samedi, 05 décembre 2020
Un dossier théorique sur l'Europe des ethnies
Un dossier théorique sur l'Europe des ethnies
Par Carlos X. Blanco
Ouvrage collectif : La Europa de las Etnias. Construcciones teóricas de un mito europeísta [EAS, Alicante, 2020]
Les éditions EAS viennent de publier un volume intitulé La Europa de las Etnias. Construcciones teóricas de un mito europeísta [EAS, Alicante, 2020]. C'est un ouvrage collectif très précieux pour l'étude du régionalisme européen, qui contient un large éventail de contributions. Cependant, la sélection n'est pas complète. Et je le dis d'emblée : il manque certains des grands penseurs traditionalistes espagnols, ensuite, la tradition carliste y est absente. Les figures marquantes (mais peu connues) du régionalisme traditionnel ou du foralisme font défaut : Vázquez de Mella, Elías de Tejada... Il est vrai que le carlisme et le traditionalisme régionaliste espagnol ne s'inscrivent pas très bien dans un concept d’ « Europe des ethnies » puisque ces courants hispaniques, les nôtres si souvent oubliés, subordonnent les langues vernaculaires, leurs propres chartes, l'historicité des territoires et leur pluralité ("Las Españas") à une loyauté envers le Roi légitime, à une obéissance à la Loi naturelle et à une stricte observance de la Doctrine catholique, et l'"ethnicité" y est comprise comme un fait historico-politique plutôt que bio-culturel, sans toutefois exclure complètement et nécessairement cette dernière facette.
De la conception forale et pluraliste de la pensée hispanique traditionnelle émerge une idée de base : il existe en Espagne diverses ethnies, progressivement impliquées dans un processus convergent et synthétique : l'Hispanidad. Il y a aussi une revendication de la diversité et des autonomies (et non les horribles "autonomismes" d'aujourd'hui) en vertu de circonscriptions historiques (nos royaumes et principautés qui forment la couronne d'Espagne) ; nos ethnismes hispaniques sont surtout très hostiles au jacobinisme libéral importé et imposé. À mon avis, un auteur hispanique traditionaliste aurait pu apparaître dans les titres. Dans le livre, les références à l'ethnicité ne manqueraient pas (entendue, je le répète, dans un sens qui n'est jamais raciste, puisqu'un catholique ne peut l'être, mais historico-politique et territorial).
Il existe un certain nombre d'articles d'origine française, ou émanant de pays francophones. Beaucoup d'entre eux sont des auteurs qui peuvent être englobés dans la "Nouvelle Droite" ou la pensée identitaire européenne plus actuelle (Robert Steuckers, Georges Feltin-Tracol). D'autres auteurs sont issus de la pensée fédéraliste et régionaliste française (Guy Héraud). Il y a aussi des études et des commentaires d'auteurs plus anciens mais d’un passé proche ; il s'agit de divers textes consacrés à certains des "pères" de la pensée régionaliste et ethniste identitaire (notamment les travaux de et sur Saint Loup, c'est-à-dire Marc Augier).
Dans la France jacobine et centraliste, où le républicanisme d'extraction révolutionnaire a toujours été un boulet et un système de prison intellectuelle pour les auteurs régionalistes, il est très méritoire de planter le drapeau des "petits pays" ou des pays "charnels". La diversité a presque toujours été écrasée dans le pays voisin depuis 1789, et ils prévoyaient le retour de ces patries apatrides au milieu d'une crise galopante de l'État-nation au XXIe siècle. Ils sont une source d'inspiration face à la nécessité de retrouver une force ethnique dans chaque territoire européen face aux dangereux mixages en cours et face à l'invasion afro-arabe, face au multiculturalisme obligatoire. Ce sont des questions intellectuelles majeures qui convergent dans cette rencontre avec la force ethnique des groupes et des territoires. Ce livre est très bon car il propose des documents traduits pour l'étude, quelle que soit la position adoptée par chacun.
C'est, en somme, une œuvre collective qui ne peut laisser personne indifférent.
Le jacobin centralisateur, défenseur d’un État-nation homogène et unitaire, sera toutefois irrité. L'Europe apparaît systématiquement dans le texte non comme un ensemble d'États jacobins mais comme une Europe des ethnies.
Les nationalistes séparatistes ("fractionnaires", comme les élèves de Gustavo-Bueno aiment à le dire) ne verront pas non plus d'un bon œil certaines des propositions faites dans l’ouvrage. Il se trouve qu'une grande partie des nationalistes séparatistes, ceux qui défendent un droit à l'autodétermination de leur "nation sans État", se qualifient d'"internationalistes". Cependant, utilisant des méthodes violentes ("combat de rue" et terrorisme plus ou moins intense) et invoquant des critères ethnicistes pour se séparer d'un "État-nation vu comme prison des peuples" et d'une ethnie prétendument oppressive (c'est le cas des "abertzales" basques et des "cuperos" et républicains de l'Esquerra catalane), ils accueillent et recrutent tous les étrangers, quelle que soit leur religion, langue et couleur tant qu'ils apprennent leur langue vernaculaire et acceptent d'être citoyens d'une nouvelle petite république non espagnole. Ils méprisent le frère espagnol et se donnent avec amour au nouveau venu. Le séparatisme espagnol de certains Basques et Catalans participe du même ridicule conceptuel que le nationalisme hispanique étroit qui ne revendique que les taureaux, la chèvre de la Légion et la chansonnette "que-viva-Espana" de Manolo Escobar. Le séparatisme abertzale ou catalaniste est ethniciste quand il s'agit de rejeter le reste des Espagnols, mais devient internationaliste quand il s'agit d'enregistrer et de nationaliser le premier être humain qui, sans un seul papier en ordre, passe par la nouvelle république "en construction". Il s'agit d'une simple "souveraineté" artificielle, et non d'un véritable nationalisme identitaire.
Ce ne sera pas non plus un livre au goût du régionalisme conservateur classique et, comme on l'a dit par le passé, du régionalisme "sain". Par "sain", on entendait dans la droite espagnole et dans le régime franquiste ce type de fierté identitaire pour les traditions folkloriques et les expressions parfois banales d'une province et d'une région. Au Valencien, sa paella, à l'Asturien son cidre et sa fabada, au Catalan la butifarra. Un régionalisme sous-développé et limité au niveau des danses et des costumes régionaux, très stylisé et préservé, mais avec pas mal de déformation, dans l'Espagne unitaire de Franco.
Les réductionnistes linguistiques, qui sont légion en Espagne, n'aiment pas non plus parler d'ethnies. Ces personnes, outre les indicateurs génétiques et somatiques clairs qui identifient les cultures aux races, s'accrochent à la langue comme seul facteur réellement différenciateur, que ce soit à des fins d'autonomie ou dans un but clairement indépendantiste. Ainsi, l'ethniciste catalan, généralement doté d'un phénotype méditerranéen qui est le plus commun dans cette zone du sud de l'Europe, indissociable en tout point de tout autre espagnol "standard", fait valoir son identité linguistique comme seule ressource différenciatrice ; une identité qui, soit dit en passant, est commune avec celle que possèdent les Valenciens et les habitants des Baléares ainsi que de nombreux habitants du sud de la France. L'existence d'une langue catalane est la seule façon pour les séparatistes de parler d'une "nation catalane", qui n'a pas existé politiquement tout au long de l'histoire. À l'autre bout du charabia centrifuge espagnol se trouve le cas des Asturies, où l'on trouve - comme c'est typique du nord de la péninsule - certains des génotypes les plus anciens d'Europe (il faut toujours laisser de côté le flot de population étrangère récente qui s'est accumulé dans les villes) et où l'on trouve des preuves de l'existence du premier royaume chrétien indépendant sur la péninsule après l'invasion mahométane.
Dans la Principauté des Asturies, la puissance de sa propre langue vernaculaire (et, comme le catalan, pas exclusive non plus, puisqu'elle est également parlée à León, à Zamora et, plus faiblement, dans les Asturies de Santillana) est une puissance bien moindre, moins efficace comme élément de mobilisation des revendications indépendantistes. Les réductionnistes linguistiques pensent que les Asturies ont leur propre langue et qu'il y a aussi une conscience ethnique ; cependant, il y a beaucoup moins de revendications séparatistes dans les Asturies qu'en Catalogne. Mais, bien que beaucoup de gens soient offensés en l’entendant, la Catalogne est une région beaucoup plus "espagnole" au sens habituel du terme, un sens étranger au réductionnisme linguistique, et très espagnole en termes de paysages, de coutumes, de phénotype, etc. Les réductionnistes linguistiques auront toujours du mal à établir des équations entre la langue et l'ethnicité. Les nationalistes asturiens seront donc toujours condamnés à l'échec et au discrédit international en fondant leurs revendications exclusivement sur la bable et la cornemuse, avec des éléments identitaires plus nombreux et plus forts dans la Principauté : don Pelayo, Covadonga, le royaume des douze rois Caudillos... des éléments strictement historiques qui parlent de la lutte entre les civilisations (les civilisations celto-romaine, germanique et chrétienne des rois d'Oviedo contre la Morisma, des éléments objectifs de l'histoire politique (la création médiévale d'un État qui est, en outre, le germe ou la "mère" des autres royaumes hispaniques). Dans les Asturies, il n'y a pratiquement pas de nationalistes (si l'on excepte les figures isolées telles un Xaviel Vilareyo), mais il y a beaucoup plus d'ethnies au sens global, tandis qu'en Catalogne, il y a plus qu'assez de faux nationalistes, car ce n'est qu'avec leur propre langue et la biretta, et en ignorant leur période de pouvoir, qu'ils ont réussi à conditionner la politique et l'économie du reste du peuple espagnol.
Il en va de même pour l'anomalie basque. À la mort du Caudillo, la langue était plus morte que la bable, dans une Espagne où le bilinguisme et le nationalisme (de type celtique) n'étaient paradigmatiques dans leur pureté que dans le cas de la Galice. Les Basques n'avaient jamais formé d'unité politique, comme les Asturiens l'avaient fait, malgré la folie hallucinatoire de Don Sabino, folie qui créa le PNV. Une ethnie dispersée dans les territoires castillans, navarrais et français qui se sont également regroupés politiquement après la Seconde République, pour former une "nation" selon des critères de réduction linguistique, suivant la ligne purement romantique du nationalisme politique, qui commence toujours par la culture.
Le mot "ethnicité" et la conception ethnique de l'Espagne ou de toute l'Europe suscitent également des réticences parmi les nationalismes "historiques". Pour beaucoup de gens, seule l'histoire est la mère de tous les peuples. Bien sûr, dans l'histoire, la contingence règne : un mariage de rois, une répartition capricieuse des richesses, une invasion qui n'est pas entièrement rejetée, un traité ou un destin aventureux peuvent provoquer la division ou la fusion des peuples. La nation espagnole est le fruit de l'histoire, et si quelque chose a été fait pour unir ses différents groupes ethniques, c'est bien son unité politique, une unité qui a été, depuis le XVIe siècle, une unité d'armes et de langue, et seulement très lentement un concert de lois et de juridictions.
Il est indéniable que l'Espagne est l'une des plus anciennes nations politiques d'Europe, même s'il faut noter qu'en raison de sa composition impériale, elle a toujours été, du début à la fin, un système de nations ethniques, et le jacobinisme n'a jamais été efficace sur notre sol. Et ce ne sera jamais le cas.
Et maintenant, revenons au livre que la maison d'édition EAS vient de publier. Constructions théoriques d'un mythe européiste, et c'est une bonne occasion de repenser l'avenir européen de l'Espagne. C'est un livre pluriel, avec des perspectives plurielles. Il comprend, comme nous l'avons dit, des textes de Robert Steuckers, George Feltin-Tracol, Guy Héraud, Saint-Loup... Les auteurs sont nombreux et leurs pensées sont assez disparates. Le titre de ce volume collectif coïncide avec un ouvrage de Guy Héraud (L' Europe des Ethnies, orig. 1963), et en fait ce texte, qui apparaît ici, vers la fin du volume, est le chapitre le plus long de tous.
Le point de vue de Héraud est fédéraliste, proudhonien. Il considère que l'Europe est en fait un conglomérat de groupes ethniques qui, au sens le plus large, sont aussi des régions ayant leur propre identité nationale, très souvent associée à leur propre conscience linguistique. Mais le fédéraliste français ne semble pas être un réductionniste linguistique comme le sont les indépendantistes espagnols (qu'ils soient asturiens, basques, catalanistes, galiciens, etc.). Il semble qu'en Europe, le facteur linguistique soit une priorité dans l'ethnicité, au-dessus du facteur biologique - étant donné la fraternité fondamentale de tous les peuples européens, mais il apparaît toujours comme un facteur ajouté à d'autres éléments importants qui définissent une culture nationale. Compte tenu de la série de conflits ethnicistes en Europe (rappelons la tragédie de la Yougoslavie ou la tentative de "nettoyage ethnique" menée par l'ETA et la "gauche abertzale"), la proposition faite par Héraud, il y a des années, semble naïve : par exemple, une série de référendums sur l'autodétermination qui regrouperait démocratiquement et "rationaliserait" le continent selon des critères ethniques. Je crois sincèrement que l'utopie fédéraliste et d'autodétermination de Héraud pourrait finir comme le Rosaire de l'Aurore.
L'écrivain et aventurier français Marc Augier (dit Saint-Loup) est également présenté ici. Augier a cultivé son utopie particulière d'une Europe des ethnies, en identifiant les multiples ethnies, qui ne coïncident pas souvent avec l'État-nation, mais avec les soi-disant "patries charnelles". Inscrit dans un courant non officiellement reconnu par le national-socialisme, qui est celui d'un fédéralisme des ethnies européennes au sein d'une Nouvelle Europe apparue après le triomphe de l'Axe, Saint-Loup a parcouru le continent sur sa moto en "plongeant" dans cette mosaïque de petites patries, dont certaines sont enfouies et aliénées. Dans ses romans, l'auteur et ancien combattant de l'Axe, a rêvé et rêvé de cette hypothétique fédération de régions ethniques que, bien sûr, l'hitlérisme aurait été loin d'approuver en cas de victoire, même si certains hiérarques nazis ont nourri certains objectifs similaires. Saint-Loup proposait une utopie.
La notion de "patrie charnelle", loin des connotations national-socialistes et donc racistes et suprémacistes, a été adoptée au sein de la Nouvelle Droite. Robert Steuckers y réfléchit et, dans le cadre des travaux de cet important penseur belge, nous pensons qu'il pourrait bien être le complément nécessaire à la notion fédérative d'Europe comme Imperium : un pouvoir exécutif central fort dans certaines compétences (défense, planification macroéconomique...) mais qui respecte en même temps l'hypothèse d'un principe de subsidiarité.
Si nous voulons que l'identité européenne, et espagnole, se renforce face à l'invasion du Continent et face à la Mondialisation, il est bon que notre noyau le plus intime ou le plus "charnel" de la patrie récupère et acquière une nouvelle sève. Un livre intéressant et une grande initiative éditoriale.
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00:25 Publié dans Livre, Livre, Terres d'Europe, Terroirs et racines | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : livre, espagne, europe, affaires européennes, europe des ethnies, ethnies | | del.icio.us | | Digg | Facebook
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