C’est une lutte à mort qui aujourd’hui s’est engagée entre deux visions du monde totalement incompatibles : l’identité contre le cosmopolitisme, l’enracinement contre le nomadisme, la tradition contre le Progrès. Dans ce combat dantesque, pour nous autres militants identitaires, lire Vincenot est toujours un bain de jouvence, et pour beaucoup, un retour à nos racines paysannes toujours présentes dans notre longue mémoire et dans nos veines. Lors de la parution de l’ouvrage en 1978, les Français ne s’y sont d’ailleurs pas trompés : « De toutes les tribus, ils m’écrivent » disait l’auteur car ce qu’il racontait, c’était tout bonnement ce que nos parents avaient vécu eux aussi, qu’ils soient gaulois d’Auvergne, de Touraine, du Poitou, du Quercy, du Saintonge…
Un biotope gaulois
Orphelin à l’âge de 8 ans, Henri Vincenot va passer une large partie de son enfance chez ses grands-parents, à Commarin, dans la montagne bourguignonne. Si dans la plaine, l’aristocratie est largement d’origine burgonde (peuple germain issu de l’île de Bornholm dans la Baltique et qui a donné son nom à la Bourgogne), dans la vallée de l’Ouche et dans la montagne, le peuplement est clairement d’origine celtique. En ce premier tiers du XXe siècle, époque à laquelle se déroule La Billebaude, les traditions venues du fond des âges sont encore bien présentes et vécues au quotidien. Il faut dire que nous sommes encore dans le cadre d’une civilisation lente, non encore emportée par le cancer du Progrès, qui vit encore au rythme des saisons et dont la seule richesse n’est que le fruit du travail de la terre et de ce que la forêt donne en cadeau : gibier, fruits, plantes médicinales. Pour s’en convaincre, il n’est que de relire de Vincenot également La vie des paysans bourguignons au temps de Lamartine. À croire que le temps, pour le plus grand bonheur des hommes, s’était arrêté avant la grande fuite an avant, vers le néant des temps modernes.
Il n’est de richesse que d’hommes
La Billebaude, c’est aussi la rencontre de personnages souvent hauts en couleur, comme il en pullulait encore dans tous nos terroirs de France il n’y a pas encore si longtemps : d’abord les deux grands-pères de l’auteur, chasseurs hors pair, l’un et l’autre Compagnons du devoir (l’un est forgeron, l’autre sellier-bourrelier), véritables aristocrates du travail manuel, un garde-chasse doublé d’un braconnier qui connaît la forêt comme sa poche, un chemineau (pas un cheminot, rien à voir avec le chemin de fer) qui erre sur tous les chemins de Bourgogne, conteur de légendes anciennes, connaissant toutes les familles et leurs secrets, dormant là dans un fossé, là dans une grange, des femmes connaissant toutes les vertus des plantes et capables de soigner aussi bien une angine, un rhumatisme, une plaie profonde, une morsure… Le voilà ce peuple celtique au sein duquel grandit notre auteur, au sein d’un village encore très marqué par une puissante vie communautaire.
La dimension du sacré
Dans ces années 20 en Bourgogne, les traditions païennes sont encore bien présentes. L’Église le sait mieux que toute autre puisque pour une fois main dans la main avec les instituteurs laïcs, elle s’attache à éradiquer ce qu’elle appelle les « superstitions » qui ne sont pas autre chose que des traditions, croyances et légendes qui ont peu à voir avec le désert du Sinaï mais beaucoup avec la Tradition primordiale celtique. Même le missel local a une dimension ethnique puisqu’il est intitulé « Missel éduen », nom du peuple celte installé depuis l’Âge de Bronze sur les contreforts de la montagne du Morvan.
Ces Gaulois de la montagne sont certes attachés à leurs églises et à ses rites pagano-catholiques, pour autant, leur véritable temple, leur sanctuaire, c’est la forêt primaire et son bestiaire sacré, sangliers, cerfs et chevreuils qu’ils traquent dans des parties de chasse épiques, à la billebaude c’est-à-dire à la rencontre, sans traque organisée. La chasse que Vincenot découvre avec son grand-père deviendra une des grandes passions de sa vie. C’est au cours de l’une d’elle, poursuivant un chevreuil, qu’il atterrit dans le hameau abandonné de la Pourrie, « cinq feux dans la vallée de l’Ouche », ancien lieu de vie d’une petite communauté cistercienne qu’il réhabilitera et dans lequel il repose depuis 1985, avec son épouse et un de ses fils, sous une pierre granitique gravée d’une croix celtique. Il est des symboles qui ne meurent jamais…
Eugène Krampon
• D’abord mis en ligne sur Terre et Peuple, le 17 février 2021.
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