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Alors que la droite officielle proteste contre la commémoration des 150 ans de la Commune de Paris, une certaine gauche libérale bien-pensante y voit, en glorifiant l’événement, une occasion pour redorer son image de marque « populaire » et de réaffirmer son monopole sur la lutte sociale et l’insurrection parisienne. Au-delà de cet enjeu mémoriel conflictuel et la puissance symbolique de cette événement sujet à de fortes récupérations idéologiques, il convient de voir dans cette parenthèse politique, sociale et économique de 1871 un événement à la fois anticipateur et correcteur.
Deux éléments explicatifs soulignent la signification nationale et populaire de cette insurrection, au-delà des clivages de droite et gauche : les causes profondes de l’insurrection et le contexte historique de l’humiliation nationale consécutive à la défaite française de 1871 face aux Prussiens. Ainsi, même si Paris constituait une véritable poudrière avec une population politisée sous l’influence la gauche radicale, de l’anarchisme et du syndicalisme révolutionnaire sorelien, il ne faut pas oublier que c’est l’extrême pauvreté de la classe ouvrière et la famine, la ghettoïsation des quartiers populaires par les transformations haussmaniennes qui constitueront les ressorts profonds du soulèvement.
L’autre cause immédiate qui jouera le rôle de déclencheur est la capitulation de l’empereur Napoléon III, encerclé par les Prussiens à Sedan, le 2 septembre 1870, perçue par la population parisienne comme une profonde humiliation et un coup de poignard dans le dos des Versaillais. Il ne faut pas oublier que, dès le 4 septembre, à Paris, la République est proclamée et un gouvernement de la Défense nationale est formé, lequel promet de continuer la lutte malgré le siège de l’armée prussienne que subit Paris à compter du 19 septembre. Néanmoins, les Parisiens s’estimeront trompés en apprenant que, depuis des semaines, le gouvernement de la Défense nationale avait engagé des pourparlers avec Otto von Bismarck, le chancelier allemand, pour parvenir à un cessez-le-feu qui sera finalement signé le 28 janvier 1871.
Après des élections hâtives et tronquées, qui portent au pouvoir une Assemblée majoritairement conservatrice et monarchiste, puis l’installation d’Adolphe Thiers à Versailles, le fossé se creuse entre le « pays légal » versaillais réactionnaire, obéissant aux mots d’ordre de la bourgeoisie financière, et le « pays réel » de la Commune. Evénement correcteur à valeur dystopique, la Commune joue un rôle de miroir déformant en rendant compte de la bêtise d’une droite réactionnaire, ralliée au camp de l’« étranger » et de l’ordre bourgeois, et l’abstraction internationaliste d’une gauche aveuglée par les dogmes marxistes.
Mais elle a aussi une dimension anticipatrice et axiologique, puisqu’elle met en exergue les contours de ce que la droite authentique devrait être en tant que modèle, à la fois nationale, révolutionnaire et populaire, et ce vers quoi la gauche nationale et populaire devrait tendre en s’émancipant de son discours internationaliste et droit-de-l’hommiste. C’est en effet dans ce sens que la Commune fut l’incubateur et le point de convergence entre une droite véritablement nationale-populaire et une gauche nationale révolutionnaire, unie dans leur lutte antibourgeoise contre l’« étranger » et pour la justice sociale. C’est, aussi, qu’en ce sens, la Commune transcende le clivage droite-gauche classique et fut un laboratoire d’idées hétérogènes : socialisme, jacobinisme, blanquisme, proudhonisme, jusqu’à l’anarchisme et le nationalisme d’un Édouard Drumont. Mais aussi fédérateur : les expériences communalistes et autogestionnaires pouvant appartenir à une tradition politique de gauche comme de droite.
Cela explique aussi que le contexte historique et social spécifique permet la rencontre atypique entre un Auguste Blanqui, socialiste insurgé pour qui le bourgeois anticommunard constituait « le Prussien de l’intérieur », et un Louis Rossel, jeune officier supérieur, républicain et patriote qui, refusant la défaite face à l’Allemagne en 1870, se rallie à la Commune.
Nous avons en France la chance de compter deux chercheurs qui se sont aventurés sur les chemins de la Tradition primordiale. Le premier c’est bien évidemment René Guénon (1886 – 1951), auteur d’une œuvre conséquente, et personnage parfois érigé comme maître-à-penser inégalable. Nous lui devons beaucoup, même si, dans la perspective qui est la nôtre, on peut se trouver parfois en désaccord (quand ce n’est pas tout simplement l’histoire qui lui donne tort : nous en voulant pour preuve la décadence qui touche l’Orient, partie du monde qui devait, selon Guénon, être le dernier bastion de la Tradition). Le second, moins connu que son illustre prédécesseur, se nomme Paul-Georges Sansonetti.
Le Professeur Paul-Georges Sansonetti appartient à ces aventuriers de l’ésotérisme, en quête du Graal hyperboréen depuis longtemps déjà. Chargé de conférences à l’École pratique des hautes-études de la Sorbonne, ce dernier a rédigé de nombreux ouvrages sur la Tradition et son symbolisme, sur le Graal ainsi que sur l’alchimie et Tintin. En trois ans, le Professeur Sansonetti a publié pas moins de quatre ouvrage inédits et une réédition. C’est ce que l’on peut appeler un auteur fécond !
En 2019 paraît Présence de la Tradition Primordiale (1)où l’auteur part sur les traces de la Tradition dans les œuvres de plusieurs écrivains et cinéastes. En 2020, Arcanes polaires (2)sort aux éditions Arqa. Sans doute le meilleur livre pour découvrir le travail de Sansonetti puisqu’il couvre l’ensemble des thèmes développés par le chercheur. La même année, Terre & Peuple publie son ouvrage Le Graal d’Apollon (3), une étude où il démontre que le Dieu des arts et de la médecine est intrinsèquement lié à l’Âge d’Or. Toujours en 2020, les Amis des ACE ont l’excellente idée de ressortir le livre Les runes et la Tradition Primordiale (4). Ce livre jusqu’alors épuisé et vendu à des prix honteux sur le marché de l’occasion marque l’apparition d’un thème majeur dans l’œuvre du Professeur Sansonetti : l’analyse des runes – enfin, du plus ancien système runique connu sous le nom d’ancien Futhark – à travers la guématrie.
La guématrie est une technique de numérologie utilisée majoritairement dans l’ésotérisme hébraïque (bien que l’on atteste de l’usage de ce procédé en Assyrie aux alentours de 720 avant Jésus-Christ, ainsi que chez les Arabes et les Grecs). Celle-ci consiste à attribuer une valeur numérique à une lettre. Par exemple, si nous prenons notre alphabet latin cela donne A = 1, B= 2, et ainsi de suite. Paul-Georges Sansonetti applique donc cette méthode à l’ancien Futhark en s’inspirant des travaux du chercheur allemand Heinz Klingenberg (5). À première vue, appliquer une méthode analytique hébraïque à une écriture germanique peut déconcerter, mais Sansonetti, dans un entretien qu’il nous a accordé (6), affirme que les travaux de Klingenberg sont « irréfutables », bien qu’ils soient d’une nature différente de la sienne, comme il l’exprime d’ailleurs dans l’introduction de la réédition sus-nommée : « Tout en démontrant à quel point ces caractères sont indissociables de la religiosité nordique, Heinz Klingenberg demeure dans un cadre strictement universitaire et sa découverte – capitale, redisons-le – ne constitue cependant pas pour lui un argument susceptible d’étayer l’existence d’arcanes issus de la Tradition primordiale (7) ».
La traduction de cet ouvrage en langue française serait d’ailleurs très intéressant. La guématrie runique n’est pourtant pas une fin en soi dans le livre du Professeur, son but étant de montrer que l’ancien Futhark et, in extenso, la mythologie nordique, s’inscrivent entièrement au sein de la Tradition primordiale. Pour cela, Sansonetti va étudier chaque rune et démontrer en quoi celles-ci représentent des symboles sacrés en lien avec la Tradition. Le Professeur se base également sur les pierres runiques, les inscriptions runiques retrouvées sur des armes (lances, scramasaxes) et des bractéates qu’il passe au crible.
En 2021, paraît la suite de Les runes et la Tradition Primordiale, intitulé La cathédrale polaire des runes (8) aux excellentes éditions du Lore. C’est l’occasion pour Paul-Georges Sansonetti d’approfondir le propos du premier opus cité, raison pour laquelle nous parlons volontiers de suite. En effet, on retrouvera donc une sacrée dose de guématrie runique dans cette ouvrage, avec le décorticage de nombreuses inscriptions. Le lecteur familier du premier ouvrage ne sera ainsi pas dépaysé car des thèmes bien connus de l’auteur sont de nouveau présent : le 111, les jumeaux, Tuisto, des références au pythagorisme aussi et à l’évangile de Saint Jean !
La cathédrale polaire des runes, on l’aura compris, devra être lu à la suite de Les runes et la tradition primordiale. Il faudra peut-être rédiger quelques mémos pour se souvenir de la signification des nombres présents au fil des pages (144, 26, 19, 37, etc.) pour une compréhension aisée. La démarche du Professeur Paul-Georges Sansonetti est singulière, nous ne lui connaissons pas d’équivalent. Pour autant, certains risquent de ne pas adhérer à ce décodage de l’ancien Futhark. L’auteur pousse t-il le bouchon un peu trop loin dans son usage de la guématrie ? Peut-être. Nous laissons le lecteur en juger par lui-même. Le propos de Paul-Georges Sansonetti possède sa propre logique en plus d’une bonne dose d’intuition, et il est sans commune mesure avec certaines extrapolations, inventions et fumisteries que l’on peut lire sur les runes, surtout dans les ouvrages d’inspiration New Age. Nous sommes convaincu, à l’instar du Professeur Paul-Georges Sansonetti, que la mythologie nordique se fond dans la Tradition. Nous avions d’ailleurs exposé un point de vue allant dans ce sens dans un article consacré au Dieu BaldR (9). La cathédrale polaire des runes, ouvrage véritablement roboratif, ouvre la voie à ne nouveaux sentiers quant aux mystères venus du Nord.
Thierry Durolle.
Notes:
1 : Paul-Georges Sansonetti, Présence de la tradition primordiale. E. A. Poe, G. Meyrink, H.P. Lovecraft, J.R. Tolkien, Stanley Kubric et d’autres…, Éditions de l’œil du Sphinx, 2019, 255 p.
2 : Paul-Georges Sansonetti, Arcanes polaires. Symboles de la science sacrée, Éditions Arqa, 2020, 316 p.
3 : Paul-Georges Sansonetti, Le Graal d’Apollon, Éditions Terre & Peuple, 2020, 156 p.
4 : Paul-Georges Sansonetti, Les runes et la Tradition Primordiale, Éditions ACE, 2020, 316 p., 18 €.
5 : Heinz Klingenberg, Runenschrift-Schriftdenken. Runeninschriften, Éditions Carl Winter, 1973.
6 : dans Solaria, n°52, été 2020.
7 : Paul-Georges Sansonetti, Les runes et la tradition primordiale, op. cit., p. 5.
8 : Paul-Georges Sansonetti, La cathédrale polaire des runes, La Diffusion du Lore, 2021, 172 p., 24 €.
9 : cf. Thierry Durolle, « Baldr et l’Âge d’Or », dans Solaria, n° 50.
Note de l'éditeur:
Vouloir limiter l’écriture des anciens Germains au simple rôle linguistique montrerait une méconnaissance totale de ce que leur tracé comporte réellement. Car ladite écriture, composée de vingt-quatre signes, s’impose comme un système prodigieusement élaboré rassemblant les notions essentielles constitutives de l’identité ethnoculturelle européenne. Mais cela signifie aussi que le savoir émanant des runes se relie au maître thème du légendaire de notre continent et qui, jadis évoqué par René Guénon et Julius Evola, se nomme « Centre suprême ». Thème corrélatif à la mystérieuse « Tradition primordiale » traversant toutes les religiosités qu’instituèrent nos ancêtres et englobant l’univers du symbolisme et des mythes. Le « Centre suprême » est à la « Tradition primordiale » ce que le pyramidion représente pour une pyramide : le sommet conférant à ce monument sa forme générale et ses proportions.
Dans un précédent ouvrage, intitulé Les Runes et la Tradition primordiale, il m’a été offert d’avancer le fait que chaque rune correspondait à l’un des symboles fondamentaux et chaque symbole à une donnée amenant la possible maîtrise de soi-même et de l’espace voué à notre épanouissement existentiel. En un moment où, fin du cycle des quatre Âges oblige, l’avenir de nos sociétés se retrouve si grandement menacé, le terme runoz, désignant « les runes » et, on s’en doute, l’ésotérisme que ces lettres impliquent, énonce le principe racine d’une origine civilisationnelle ainsi que la spécificité génétique propre aux peuples d’Europe.
Un livre salutaire qui, au prisme des plus récentes découvertes archéologiques, met un vigoureux coup de pied dans la fourmilière universitaire, cette entité qui n’a de cesse de réduire sciemment l’étude des runes pour de basses raisons idéologiques.
SOMMAIRE :
Introduction
chapitre i : Chaque rune est un symbole fondamental
chapitre ii : L’homme double originel et celui en maîtrise de lui-même
chapitre iii : Le divin et l’humain
chapitre iv : Les runes et le « maître des runes »
chapitre v : Le soleil polaire
chapitre vi : Ce qu’énonce la rune
chapitre vii : L’être et son corps subtil
chapitre viii : Alu, origine du monde manifesté
chapitre ix : 111, le nombre du pôle
chapitre x : Les runes et le pôle
chapitre xi : La montagne polaire
chapitre xii : Le solfège des runes
conclusion
L’angle droit pour conclusion
bibliographie
Pour commander l'ouvrage: http://www.ladiffusiondulore.fr/home/893-la-cathedrale-polaire-des-runes.html
par David EngelsEx: http://metapoinfos.hautetfort.com
Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de David Engels, cueilli sur le Visegrád Post et consacré aux questions de démographie et d'homogénéité ethno-culturelle.
« Size matters » ? La démographie déclinante de la Pologne dans le contexte européen
Il y a quelques jours, les médias ont rapporté que, malgré les efforts considérables de son gouvernement, la Pologne continue d’afficher une tendance démographique à la baisse : par rapport à 2020, la population a diminué de 115 000 personnes, et le nombre de naissances est aussi faible qu’il l’était pour la dernière fois il y a 17 ans. Que signifie cette évolution, qui est considérée par de nombreux opposants au gouvernement comme la preuve de l’« échec » des politiques natalistes et anti-avortement du gouvernement conservateur ?
Tout d’abord, il convient de souligner que la Pologne s’inscrit tout à fait dans la tendance des autres pays de l’UE pour l’année 2020 : l’Allemagne, la France et de nombreux autres pays ont également connu une baisse analogue des naissances. L’explication est simple : une pandémie accompagnée d’un confinement de la population, d’une surpopulation dans les hôpitaux, d’une fermeture des écoles et de la crainte des conséquences désastreuses du lockdown pour l’économie est certainement tout sauf un moment idéal pour mettre des enfants au monde – que ce soit en Pologne, en Allemagne ou en France. Mais le problème est plus profond, car l’ensemble du monde occidental souffre d’un déclin démographique rampant depuis des décennies.
Les explications sont multiples : déclin de la foi religieuse, attitude hédoniste face à la vie, désir de développement personnel radical, banalisation de l’avortement, féminisme extrême, conséquences de la propagande sur le changement climatique, crise de la masculinité, disparition du mariage, nécessité pour les deux partenaires de travailler pour gagner leur vie, effets du culte de l’« éternelle jeunesse », etc. Mais toutes ces raisons ne sont que des symptômes superficiels d’un fait beaucoup plus profond : toutes les civilisations, lorsqu’elles atteignent leur stade final, connaissent un déclin démographique progressif, et nous pouvons observer des tendances similaires en Égypte au début de la période ramesside au XIIIe siècle avant Jésus-Christ, en Chine à la fin de la période des « États combattants » au IIIe siècle avant J.-C., dans le monde gréco-romain de la République tardive au Ier siècle avant J.-C., dans l’Iran sassanide tardif du VIe siècle de notre ère, ou dans le monde islamique post-classique du Xe siècle de notre ère.
Si l’on considère les civilisations par analogie avec les êtres vivants, tôt ou tard, elles sont toutes condamnées à décliner, à mourir, à se fossiliser, et à mesure que la vigueur de la civilisation diminue, le désir de transmettre les traditions ancestrales à ses enfants s’estompe. Pourquoi une personne qui ignore, méprise ou même déteste son propre passé (et ces personnes sont de plus en plus nombreuses, grâce aux écoles, universités et médias politiquement corrects) voudrait-elle transmettre ses traditions culturelles à ses descendants – ou même avoir des enfants?
Lorsque j’ai discuté avec une dame allemande lors d’une conférence il y a quelques années, elle m’a pratiquement reproché d’avoir des enfants, affirmant que les « Européens » avaient commis de telles atrocités dans leur histoire que c’était un signe de colonialisme et d’égoïsme que d’avoir sa propre progéniture, plutôt que d’adopter des enfants d’Afrique ou d’Asie, ou – afin de lutter pour la « neutralité climatique » – de s’en passer complètement. Lorsqu’une société entière pense de cette façon – et c’est maintenant le cas de beaucoup de citoyens, pas seulement en Allemagne – les civilisations se fossilisent et s’éteignent : non seulement par manque d’enfants, mais aussi par manque d’amour pour leur propre histoire et leur tradition. Il ne reste qu’une masse anonyme de personnes qui ne pensent qu’à leur propre intérêt matériel et ne peuvent ressentir aucune solidarité culturelle entre elles.
Mais comment se fait-il que la Pologne et les autres États de la zone du trimarium soient particulièrement touchés par ce déclin démographique et donc aussi culturel ? Cela signifie-t-il même que l’Est de l’Europe est moins disposé à vivre que l’Ouest ? Ce serait probablement une erreur. D’une part, il faut garder à l’esprit que le déclin démographique de l’Europe de l’Est n’est pas seulement dû à la natalité, mais aussi au simple fait que de nombreuses personnes de l’Est se rendent à l’Ouest pour y travailler durement (et donc sans enfant) pendant plusieurs années et profiter des salaires plus élevés, et ne rentrent chez elles que plus tard – voire pas du tout. Mais d’autre part – et cela me semble central – les pays d’Europe de l’Est se caractérisent par une grande homogénéité de leur population, tandis que l’Ouest est de plus en plus peuplé de personnes issues des mondes subsaharien et musulman.
Il est bien connu que ces personnes ont nettement plus d’enfants que les habitants « autochtones », non seulement au début, mais souvent aussi après plusieurs générations, et cela explique aussi la différence entre les deux moitiés de l’Europe : plus la nation est homogène et « européenne », moins il y a d’enfants désormais ; plus elle est « multiculturelle », plus il y en a : il n’est pas étonnant que la France et l’Angleterre aient une natalité élevée, mais plus on regarde vers l’Est et le Sud-Est, plus la démographie diminue.
Maintenant, bien sûr, la question se pose de savoir quels seront les effets de cette dépopulation progressive. Une faible population signifie-t-elle nécessairement que son propre peuple sera dominé par ceux qui sont plus nombreux ? Pas nécessairement, ou du moins pas immédiatement : lorsque les Espagnols ont conquis les Amériques au XVIe siècle, ou lorsque les Anglais et les Français ont colonisé de grandes parties de l’Afrique et de l’Asie au XIXe siècle, ils étaient bien moins nombreux que les indigènes. Ils avaient cependant un avantage fondamental que l’Europe d’aujourd’hui a perdu : leur énorme supériorité technique. C’est également la voie empruntée par une autre société en déclin, celle des Japonais ; au lieu de compter sur l’immigration massive, ils investissent massivement dans les technologies du futur afin de maintenir un niveau de vie et une influence politique constants. Mais nous devons également considérer d’autres aspects.
Auparavant, les Européens étaient convaincus de leur mission dans ce monde et avaient des sociétés fortes et cohérentes qui soutenaient la croissance et l’expansion. Aujourd’hui, la majeure partie de l’Europe est encore traumatisée par les horreurs de la Seconde Guerre mondiale et renonce non seulement à toute forme d’expansionnisme ou même de violence physique, mais même à la défense de sa propre survie, préférant acheter la paix et la tranquillité à court terme avec de l’argent plutôt qu’avec du respect – et sacrifier pour cela les générations suivantes.
Et, bien sûr, il y a le problème de la pression démographique que subit l’Europe, non seulement de l’extérieur, mais aussi de l’intérieur, en raison de sa « culture de l’accueil » qui remonte déjà à des décennies, mais qui a été renforcée de manière drastique par le gouvernement Merkel : la population des Européens de souche diminue de façon spectaculaire, tandis que le nombre d’immigrants augmente rapidement, de telle sorte que dans de nombreuses villes d’Europe occidentale, les immigrants et leurs descendants constituent déjà la nette majorité de la population, surtout dans les groupes d’âge les plus importants, c’est-à-dire les jeunes. Compte tenu de l’absence apparente d’intégration culturelle dans la culture occidentale, cela signifie qu’au long terme, il sera de plus en plus difficile d’attendre une quelconque forme de solidarité entre les habitants de ce continent, car la solidarité se fonde généralement sur un certain nombre d’éléments culturels communs tels que l’histoire, la langue, la religion, le patriotisme, le folklore, les caractéristiques nationales et régionales ou une vision très spécifique de l’individu ou de la famille.
Ces facteurs d’identité commune ont aujourd’hui largement disparu, et de nombreux pays, comme la France, la Belgique, les Pays-Bas et le Royaume-Uni, se sont transformés en sociétés tribalisées. Tant que l’économie reste stable et que les pressions démographiques extérieures sont maîtrisées, même une société aussi fragmentée peut raisonnablement survivre. Mais dès que des conflits internes éclatent à propos de la répartition de richesses décroissantes et que les frontières extérieures ne sont plus défendues, cela conduit inévitablement à la catastrophe. Et c’est exactement ce qui se passe en ce moment.
En conclusion, il est donc peut-être plus sûr pour une nation européenne d’avoir une population décroissante, mais homogène et solidaire, qu’une population croissante, mais multiculturelle et déchirée à l’intérieur d’elle-même.
Bernard Rio (Un dieu sauvage) : « Le monde occidental est désenchanté et même déprimant si on ne prend pas un peu de recul »
Ex: https://www.breizh-info.com/
Bernard Rio mène une double carrière d’écrivain et de journaliste. Il est l’auteur d’une soixantaine de livres, et a été couronné par plusieurs prix littéraires pour ses essais historiques et ethnologiques, notamment « Voyage dans l’au-delà : les Bretons et la mort » en 2013 (prix Histoire de l’Académie littéraire de Bretagne et des Pays de la Loire), et « Pèlerins sur les chemins du Tro Breiz » en 2016 (Prix du salon du Livre de Vannes). Il est aussi l’auteur de quatre romans : « Un dieu sauvage » publié chez Coop Breizh en 2020, « Le voyage de Mortimer » et « Les masques irlandais » publiés aux éditions Balland en 2017 et 2018, « Vagabond de la belle étoile » aux éditions L’Age d’Homme en 2005.
Nous l’avons interrogé au sujet de son dernier ouvrage, « Un dieu sauvage ».
Breizh-info.com : D’où vous est venue l’idée d’écrire « un dieu sauvage » ?
C’est une question que je ne m’étais pas encore posée. D’où vient l’idée d’écrire une fiction ? Il y a des livres qui s’inscrivent dans une actualité, ceux publiés à l’occasion du bicentenaire de la mort de Napoléon Bonaparte par exemple. Il y en a d’autres qui correspondent à une recherche personnelle et originale, ce fut le cas par exemple de mes essais « L’arbre philosophal », « Voyage dans l’au-delà » ou encore « Le cul bénit, amour sacré et passions profanes ». Mes romans relèvent d’une autre perspective. Ils s’imposent à moi. Pour chacun d’entre eux, j’ai dérogé à mes règles d’écriture, abandonnant ainsi la recherche préliminaire et le plan, pour privilégier l’intuition et l’imagination. Ceci dit, « Un dieu sauvage » est un roman à part car je ne l’ai pas écrit d’un seul jet. Je l’ai pris et repris périodiquement pendant plusieurs années jusqu’à la dernière version achevée en décembre 2019. Il a été chroniqué qu’il s’agissait d’un roman prémonitoire Le récit a certes été écrit avant la crise sanitaire du Coronavirus, et contient des correspondances avec la situation actuelle. Néanmoins, les mesures politico-sanitaires qui attentent aux libertés de l’homme de la rue et que celui-ci découvre, avec ingénuité aujourd’hui, ont été décrites depuis des années dans des sphères aussi différentes que des revues scientifiques ou des ouvrages de science-fiction. Sans doute ai-je été plus attentif aux intersignes de l’invisible (le monde des dieux) et ai-je exercé mon esprit critique sur ce que je voyais et entendais depuis des lustres (le monde des hommes), ce qui m’a conduit a écrire cette dystopie. Ce roman participe cependant moins de la veine d’Aldous Huxley ou de George Orwell que d’un autre genre. Selon une critique littéraire, « Un dieu sauvage » serait plus proche d’« Au château d’Argol » (Julien Gracq), « Sur les falaises de marbre »(Ernst Junger) et « Le désert des tartares » (Dino Buzatti). J’y souscris pleinement.
Breizh-info.com : Peut-on dire que votre livre est archéofuturiste, dans le sens où il mêle notre Antiquité la plus profonde, et notre futur le plus proche… ?
Oui, vous pouvez le qualifier ainsi. Mon récit revisite les mythes antiques tout en s’inscrivant dans une réflexion contemporaine : le devenir de l’homme dans un monde totalitariste et ses capacités de survie, d’évasion et de liberté.
Le récit fonctionne sur trois plans : la terre, l’homme et le divin. De même que les hommes croient dominer le monde et le temps alors qu’ils ne sont que des marionnettes entre les mains des dieux (selon l’heureuse formule d’Alain Daniélou), la caste au pouvoir que je décris est davantage dans l’illusion que dans la réalité. Le matérialisme recouvert d’un vernis moral n’est qu’un faux semblant. Je développe aussi dans cette fiction une idée qui m’est chère, et qui pourrait s’apparenter à la physique quantique. Et si le temps n’était pas linéaire ? Si une autre logique inversait la cause et la conséquence ? Si le futur était déjà réalisé, si le passé était encore là, si le présent était une chimère ? Ce qui n’est pas la conséquence du passé pourrait-il être la conséquence du futur ?
Le roman illustre le concept de rétro-causalité. Il revisite le concept de l’espace-temps en lui octroyant une flexibilité par commutation de lignes d’univers. Dans le livre, le personnage du mystérieux Ignotus, invisible pour les Prêcheurs au pouvoir mais réel aux yeux des femmes, incarne cette permanence du passé, ce futur réalisé et ce présent illusoire. Il est le messager, celui qui condamne, celui qui enfante, celui qui fait peur et celui qui enchante.
Ce serait une sinistre infirmité que de penser la réalité comme un temps fini et un espace réduit au visible. La raison est ici soumise à la critique de l’illusion. La matière est assujettie à la conscience. L’ordre, qui n’est qu’un désordre organisé par le pouvoir, se décompose. La peur qui cimente le pouvoir disparait mot après mot, image après image. Albert Camus écrivait dans « L’homme révolté » (1951) que tout blasphème était une participation au sacré.
Breizh-info.com : En choisissant un personnage féminin comme élément déclencheur de la révolte, ne faites-vous pas du conformisme dans les temps actuels, bénis pour les femmes ?
Ah Ah ! Me tenant éloigné des faux-débats télévisés, je me contrefous de ce qui est bien ou mal pensant, normé, genré ou je ne-sais-quoi encore. Senta la tisseuse est à l’image de la Pythie de Delphes ou de la Morrigan irlandaise.
L’histoire est « animée » par sept personnages : Quatre femmes symbolisant les trois Grâces et leur muse, et un trio d’hommes composé de l’inconnu incarnant un cavalier de l’Apocalypse ainsi que du duo de médecins représentant l’antagonisme du pouvoir. Ces septénaires contribuent tous, délibérément ou involontairement, à la destruction de l’ordre correspondant à chacune des sept étapes de l’évolution spirituelle : pulsion (conscience du corps physique), émotion (conscience des sentiments), raison (conscience de l’intelligence), intuition (conscience de l’inconscient), spiritualité (conscience du détachement), volonté (conscience de l’action), réalisation (conscience de l’éternité). Les quatre femmes ouvrent ainsi la voie à une spiritualisation, au renversement du positivisme des Prêcheurs, au retour de la conscience. Pour les suivre dans cette voie, il suffit simplement de changer de perspective et de se laisser emporter par l’intuition dans un univers elliptique où le visible et l’invisible s’enchevêtrent, où l’esprit domine la matière.
Chacun de mes personnages se pose des questions au fur et à mesure que les événements improbables emportent la raison. Le hasard bouleverse la vie de celui qui l’accepte pour ce qu’il n’est pas, c’est-à-dire un simple hasard, et pour ce qu’il est : le destin, une correspondance qui vient du futur. En se déconditionnant, les quatre femmes se laissent emporter par la crue des mots qui charrie les épaves du vieux monde. La résilience opère alors. La vie ne se profile plus comme une ligne droite mais se déroule comme une spirale. L’être humain est dans la main des dieux et cependant doté d’un libre-arbitre. Il a toujours le choix du chemin qu’il emprunte.
Breizh-info.com : Votre roman est une profonde critique de notre monde moderne. L’écrivain que vous êtes s’y sent-il étranger ? Qu’est-ce qui vous dérange le plus ?
Le monde occidental est désenchanté et même déprimant si on ne prend pas un peu de recul. C’est l’aboutissement d’une idéologie matérialiste apparue à la Renaissance qui a culminé à la Révolution française et a gangréné l’ensemble des classes sociales. Cependant je trouve la situation actuelle passionnante. J’estime d’ailleurs avoir eu la chance d’assister en direct en 1989 à l’effondrement du bloc soviétique (lequel a pris à contrepied tous les experts qui occupent les plateaux de télévision). Un de mes plus beaux souvenirs de journalisme fut la comparaison que je fis entre deux voyages à Berlin-Est, avant et après la chute du mur. Aujourd’hui, bis repetitae, c’est le capitalisme qui va s’effondrer. Je n’ai pas peur de ce qui va se passer et je n’entends pas jouer le rôle de supplétit pour conserver les petits privilèges matériels d’un monde voué à sa perte. Et il n’y a pas lieu à mes yeux de sauver ce système où plus rien n’est sacré. Dans ce système, j’inclus toutes les institutions civiles et religieuses. Il est symptomatique qu’en France toutes les églises et religions, (y compris les groupuscules néodruidiques qui se sont particulièrement ridiculisés en officiant masqués dans la nature), aient collaboré obséquieusement avec le pouvoir, en appelant leurs fidèles à courber l’échine. Ces « gens d’église » ont oublié que les sanctuaires ne relèvent pas du profane mais du sacré. Lors des épidémies, dans l’antiquité et au Moyen Age, il y avait une lecture magico-symbolique des événements, et donc une interprétation et une réponse appropriée. Par exemple, je pense notamment aux cultes et vertus prophylactiques de saint Sébastien et saint Roch. Les légendes hagiographiques sont comparables à des palimpsestes qui recèlent sous le vernis de la reformulation chrétienne, la présence de substrats mythologiques anciens. En l’occurence, saint Sébastien s’apparente au Sagittaire (du latin saggitarius, l’archer), dans le calendrier zodiacal, c’est-à-dire dans la mémoire d’un temps mythique. Le martyre par sagittation du saint peut être mis en parallèle avec le dieu archer de la mythologie grecque Apollon et ses flèches pourvoyeuses de la peste. Dans l’Iliade, le dieu à l’arc d’argent assouvit sa vengeance contre les Achéens en les frappant de ses flèches qui répandent l’épidémie dans la ville. Cette allégorie ne peut être qu’un motif littéraire si on se place sur un plan profane. Elle peut être aussi interprétée sur un plan sacré. Dans la mythologie, l’archer a une vocation particulière : contrôler, réactiver ou prendre l’énergie vitale de la nature. Lancer une flèche est une opération magique qui permet d’agir à distance, de réactiver le saint (Sébastien), le dieu (Apollon), le soleil en le piquant avec des flèches par une opération relevant de la magie sympathique, afin que l’astre ne meure pas et que le printemps advienne. Or, pendant l’épidémie, les sanctuaires ont été fermés avec la complicité du clergé. Ce qui est un sacrilège. Il a été interdit aux dévots d’honorer les saints protecteurs, ce qui est un non sens. Cette absence de sacralité et de mystère, voilà ce qui me gêne le plus dans la société contemporaine.
Breizh-info.com : « Finalement, tout devient possible lorsque le monde se transforme en chaos » dites-vous. C »est à la fois un message terrifiant, mais aussi porteur d’énormément d’espoir non ?
Dans ce roman, la révolte solitaire devient universelle. Au sentiment de l’absurde d’une situation succèdent les temps de la rébellion, de la mort puis de la renaissance.
La révolte de mes héroïnes ne se résume pas à une contestation des esclaves, à une colère et à un affrontement, elle se place entre deux temps, le temps d’avant, la guerre, et le temps d’après, l’unité. Cette révolte des femmes prend peu à peu les allures d’une délivrance tandis que la révolte d’un autre personnage, le docteur, s’avère une aliénation. La première est métaphysique et suit les voies du sacré, c’est une évolution acceptée qui ne cherche pas à nier ou à tuer Dieu mais à intégrer et à manifester une part d’éternité. La seconde est une révolution manichéenne. Elle se limite à une alternative entre le bien et le mal, c’est un rapport de force entre le maître et l’esclave, le second n’aspirant qu’à remplacer le premier dans cette relation dominant-dominé. Dans la mythologie, l’un des travaux d’Hercule/Héraklès est de nettoyer les écuries du roi Augias, dont le nom signifie « brillant, rayonnant ». Le roi voit (il rayonne) ses 3000 bœufs mais ne sent pas leurs déjections. Ressentir, c’est sentir la chose (du latin res). Aujourd’hui les politiciens ne sentent plus la chose publique (res publica). Il appartient au héros de détourner les eaux des fleuves pour purger l’immonde.
« Un dieu sauvage », Bernard Rio, éditions Coop Breizh, 208 pages, 18 euros
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