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jeudi, 06 janvier 2022

Nick Land et la pertinence des "Lumières sombres"

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Nick Land et la pertinence des "Lumières sombres"

par Pietro Missiaggia

Le philosophe britannique Nick Land, né en 1962, connu comme le père de ce courant philosophique né dans les années 90, au moment de la crise des idéologies, et souvent appelé accélérationnisme, est peu connu en Italie et dans les pays de l'Europe méditerranéenne ; ce n'est que ces deux dernières années que deux de ses œuvres ont été traduites en italien Collasso. Scritti 1987-1994 édité par Luiss University Press, et L'Illuminismo Oscuro traduit et édité par Gog Edizioni. Nous voudrions analyser certains aspects de cette dernière œuvre, qui représentent les théories novatrices de Land et sont souvent utiles pour comprendre notre époque.

The_Dark_Enlightenment.jpgThe Dark Enlightenment est un texte publié par le penseur britannique en 2013 par "épisodes" dans l'un des nombreux blogs internet fréquentés par les membres de la "droite alternative" ou Alt-Right. Le livre de Land a souvent été défini, par de nombreux commentateurs plus ou moins ignorants, de bonne ou de mauvaise foi ou simplement politiquement corrects (une erreur également commise par les éditeurs de Gog), comme un texte inspirateur du suprémacisme blanc, fortement apologétique envers l'eugénisme et considéré comme la somme d'une pensée irrationnelle, agressive, anti-égalitaire et purement cérébrale. Dans ce court texte, nous analyserons des extraits du texte de Land pour essayer de comprendre objectivement sa pensée et ce qui peut être utile en elle pour notre époque, qui est une époque de dissolution.

Commençons par dire que Land est très critique à l'égard des mouvements qui se réfèrent au suprémacisme blanc, au suprémacisme noir, etc. et qui considèrent l'histoire comme un phénomène de lutte entre les races (racisme), tout comme il est critique à l'égard de la nostalgie fasciste et nationale-socialiste et des apologistes du politiquement correct. Selon le Land: "Il est extrêmement commode, lorsqu'on construit des structures pseudo-capitalistes dirigées par l'État, ouvertement corporatistes et à troisième voie, de détourner l'attention des expressions de colère de la paranoïa raciale blanche, surtout lorsque celles-ci sont décorées par des insignes nazis maladroitement modifiés, des casques à cornes, une esthétique à la Leni Rienfenstahl et des slogans empruntés généreusement à Mein Kampf. Aux États-Unis - et donc, avec un décalage réduit, également à l'échelle internationale -, des draps blancs aux divers titres pseudo-maçonniques, avec croix brûlantes et cordes de suspension, ils ont acquis une valeur théâtrale comparable" (op. cit., Roma 2021, p. 68).

Pour Land, la paranoïa raciale des suprématistes blancs est extrêmement nuisible non seulement à la création d'un système alternatif mais aussi à eux-mêmes ; en effet, pour l'auteur "l'Übermensch racial est un non-sens" (ibid., p. 130) et il ajoute que "aussi extrêmement fascinants que soient les nazis [...] ils posent une limite logique à la construction programmatique et à l'engagement de la politique identitaire blanche". Se tatouer une croix gammée sur le front ne change rien". (ibid). Les suprémacistes blancs du monde anglophone, même s'ils ne le réalisent pas, alimentent le système dans son idiotie et son théâtre en manquant d'une ligne politique cohérente et en étant destinés, pour Land, à succomber comme notre monde vers l'épuisement. Pour Land, comme il le précise à la page 129 de son manifeste, sacrifier la modernité au nom de la race revient à se démoder soi-même ; plus que se démoder, c'est faire le jeu de la modernité elle-même, en l'alimentant de ce qu'elle voudrait voir comme une paranoïa raciale, qui se traduit par deux formes doubles : la paranoïa raciale du suprémacisme et la paranoïa anti-raciale typique de la pensée politiquement correcte.

41ntp4UMRiL._SX351_BO1,204,203,200_.jpgPour Land, en effet, la référence constante à un croquemitaine qui voit dans le IIIe Reich le mal absolu est délétère, mais c'est aussi la force de la modernité qui, à partir de la seconde moitié du XXe siècle, fait "jaillir la force politique du monde globalisé exclusivement du cratère incinéré du IIIe Reich" (p. 72). Cette tendance conduit, pour notre auteur britannique, à délaisser la rationalité pour l'irrationalité ; cela n'a rien d'étonnant : les hommes rationnels sont rares, surtout à une époque comme la nôtre, caractérisée par l'émotivité et le manque d'analyse: "Toute tentative de nuance, d'équilibre et de proportion dans le cas moral contre Hitler revient à mal interpréter le phénomène " (p. 75). En effet, l'hitlérisme et le totalitarisme national-socialiste sont souvent interprétés non pas comme un phénomène politique lié à une période historique spécifique avec ses propres présupposés, mais comme quelque chose d'éternel aux accents religieux abrahamiques: l'antéchrist présentant le mal absolu. C'est ce que critique Land, comme en témoignent ses propos: "Si embrasser Hitler comme un Dieu est un signe de déplorable confusion politico-spirituelle (quand c'est bien), reconnaître sa singularité historique et sa signification sacrée est presque obligatoire, car tous les hommes de foi réfléchie le considèrent comme un complément précis du Dieu incarné - l'Anti-Messie détecté, l'Adversaire - et cette identification a la force d'une vérité évidente. (Quelqu'un s'est-il déjà demandé pourquoi le sophisme logique de la reductio ad Hitlerum fonctionne si bien ?)" (p. 77).

La critique par Nick Land du racisme biologique grossier et dépassé, typique de certains cercles de la droite alternative américaine et du monde anglophone en général, ainsi que des tendances à la reductio ad Hitlerum du politiquement correct sous toutes ses formes, est tout à fait claire ; il n'est pas nécessaire d'apporter d'autres précisions pour comprendre que Land critique sévèrement le racisme biologique ainsi que son opposé, l'antiracisme délirant.

Examinons maintenant ce que Land entend par "Lumières sombres" et pourquoi le concept qu'il propose peut être considéré comme profondément novateur. Land propose les Lumières comme le véritable nom de la modernité (p. 17) et considère implicitement comme son digne héritier les Lumières libérales qui, au cours du XXe siècle, ont triomphé des deux totalitarismes qui leur ont disputé la suprématie: le communisme/socialisme et le national-socialisme/fascisme, comme le dit aussi Alexandre Douguine dans sa Quatrième théorie politique (Nova Europa Edizioni, Rome 2018). Pour Land, "un Dark Enlightenment cohérent [est] dépourvu à ses débuts de tout enthousiasme rousseauiste pour l'expression populaire" (p. 23) et "Là où le progressive Enlightenment voit des idéaux politiques, le Dark Enlightenment voit des appétits" (ibid.).

Land considère la démocratie comme un cancer incurable, de même que l'expression populaire et les différents populismes. La démocratie n'est pas un idéal, c'est l'auge des politiciens. Pour Land, le modèle naturel serait un État qui permet une grande liberté économique et la gestion privée de sa propre vie, comme les technocraties asiatiques, avec une référence particulière à Hong Kong, Singapour, Taiwan, etc., où la démocratie est souvent absente et où ces États sont basés sur un modèle connu sous le nom de néo-caméralisme, l'État d'entreprise (Land définirait le modèle naturel de l'homme comme étant celui de l'Asie). Selon Land, dans le sillage de deux autres penseurs considérés comme des Américains libertaires (presque anarcho-capitalistes selon l'opinion populaire) : Hans Hermann Hoppe et Curtis Yarvin (alias Moldbug) (photo, ci-dessous) et dans le sillage du décisionnisme de Hobbes, il comprend que "l'État ne peut être supprimé mais il peut être guéri de la démocratie" (p. 27).

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Un véritable libertarianisme selon Land doit cependant proposer de mettre en évidence, dans le sillage typiquement anglo-saxon, la supériorité de la liberté sur la démocratie: il faut pouvoir opter pour une sortie libre. Quiconque le souhaite doit être libre de créer son propre système et d'être laissé tranquille, ce que la démocratie moderne ne fait pas, avec ses chasses aux sorcières et son politiquement correct, avec ses guerres humanitaires pour la démocratie et avec sa rhétorique sur les droits de l'homme. Des droits de l'homme qui ne sont même pas respectés par ces mêmes démocraties qui tonnent haut et fort la parodie de progressisme et de liberté... Alors que la seule liberté de la démocratie est celle de la voix, du vote, c'est-à-dire la protestation pour obtenir plus de droits et de pain, mais qui en réalité ne mène à rien. Pas de voix mais un discours libre, telle est la devise du Land. Que faire de la démocratie ? Pour notre auteur, il nourrit "une population largement infectée par le virus zombie qui titube vers un effondrement social cannibale, l'option privilégiée devrait être la quarantaine" (p. 39).

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Avant de conclure sur l'utilité de s'inspirer de la pensée de Land dans notre époque historique actuelle, il est nécessaire de préciser ce que notre auteur pense de l'eugénisme. Land définit l'homme comme inégal, dans le sens où chaque homme est différent et où l'égalité totale n'existera jamais, mais il ne faut pas y voir un phénomène négatif, ni une suprématie du fort sur le faible, mais plutôt, pour reprendre une formule marxiste telle que "chacun selon ses capacités et chacun selon ses besoins", l'idéal pour l'auteur britannique serait une société basée sur la hiérarchie. Cette hiérarchie, cependant, ne doit pas devenir, comme l'a dit Julius Evola, un hiérarchisme, même s'il partait de prémisses très différentes; elle doit consister en un soutien mutuel sur la base d'une sorte d'état organique. En fait, Land conclut son texte en affirmant que "les nationalistes raciaux s'inquiètent de voir leurs petits-enfants se ressembler" (p. 149) et que lorsque l'on voit la réalité "depuis l'horizon bionique, tout ce qui émerge de la dialectique de la terreur raciale devient la proie des banalités". Il est temps d'aller au-delà de cela" (p. 150). C'est-à-dire que pour le Land, il est nécessaire d'aller au-delà des moyens grossiers de l'eugénisme et du racisme biologique. Selon lui, il est nécessaire de créer une nouvelle élite, en utilisant également les moyens technologiques des machines, et à ses yeux, les anciens moyens sont banals et obsolètes, ainsi que synonymes de stupidité. Ce qui peut et doit être critiqué et réprimandé à Land, c'est que, en bon anglo-saxon, il prend en considération le QI comme synonyme de jugement, mais qu'en penseur objectif, il en reconnaît les limites.

Ayant clarifié la stupidité de juger Land comme un penseur raciste ou comme un idéologue de la soi-disant Alt-Right, passons à ce que l'on peut tirer de bon de Land. Tout d'abord, dans sa conclusion avec l'horizon bionique, il propose que la seule façon de chevaucher le tigre de la post-modernité est d'utiliser la même technique, mais en prenant soin de la contrôler, et comme Carl Schmitt l'a dit dans son Dialogue sur le pouvoir (Edizioni Adelphi), la technique n'est ni bonne ni mauvaise mais neutre. L'homme doit l'utiliser sans en perdre le contrôle, sinon, comme le dit également le bon Theodore Kaczynski dans son ouvrage Industrial Society and its Future, si l'homme ne contrôle pas la technologie et la technologie qui en découle, il sera totalement insatisfait et incapable de satisfaire ses besoins. C'est-à-dire qu'il ne se sentira pas satisfait de la technique et de la technologie qui en découle et de leurs conclusions, mais complètement et perpétuellement insatisfait, incapable et souvent frustré, ce qui le conduira à un état d'épuisement nerveux. 

Nick Land nous apprend à penser par nous-mêmes, à rejeter le style paranoïaque du système dans son ensemble, c'est-à-dire dans ses illusions, tant celles de ses ennemis qui ne font que l'alimenter que celles du système lui-même. C'est le sublime Trash, comme dirait le slovène Žižek. Que faire à la fin de nos jours ? Comme nous l'enseignent déjà Evola et le Jünger du Traité du Rebelle, nous devons nous y rendre pour nous défendre et attaquer selon la situation, en nous enracinant et en prenant des références stables dans le navire chancelant de la modernité qui s'approche de la postmodernité pour attendre une sortie libre espérée du système qui, comme l'espère Land, se produira parce que le système se nourrit jusqu'à l'éclatement non seulement à cause des problèmes générés par le substrat socio-économique mais surtout à cause de son éternelle idiotie, sa schizophrénie, en somme: par tous les déchets qu'elle produit. Le système, en bref, est un grand même. Land a déclaré : "Le même est mort. Vive le même!". A cela, nous devons répondre que le système n'est pas encore mort, mais qu'il va mourir et que nous ne nous soucions pas de savoir quand, nous vivons de notre libre individualité et de notre pouvoir parce que nous sommes simplement... 

Hiérarchie de la connaissance: plus d'Aristote et moins de pédagogie

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Hiérarchie de la connaissance: plus d'Aristote et moins de pédagogie

Carlos X. Blanco

L'homme est un animal étrange. Il y a en lui une impulsion, une force qui, par nature, le conduit vers la connaissance, l'oblige à s'échapper de l'enceinte de la sensation et de la fantaisie.

Πάντες ἂνθροποι τοῦ εἰδέναι ὀρέγονται φύσει (980e 21). [Aristote, Métaphysique. Dans cet article, je cite selon l'édition de García Yebra, éditorial Gredos, deuxième édition, 1982].

Connaître et comprendre entrent pleinement dans la sphère du désir humain. C'est une appétence (ὀρέγω). Les choses dignes d'être aimées sont l'objet d'une aspiration. L'animal humain, même s'il n'a besoin de rien à un moment donné, et au-delà du besoin concret, est un animal qui étend son âme - pour ainsi dire - aux objets de son intérêt.

En dehors de toute approche évolutionniste, bien sûr, Aristote met en évidence une gradation dans l'échelle zoologique. Certains animaux ne vivent que d'images (φαντασία), d'autres ajoutent la mémoire à leur vie (μνήμη), qui est déjà le germe de l'expérience, bien qu'à un faible degré. Mais l'homme, comme le souligne le Stagirite dans le livre I de la Métaphysique, "participe à l'art et au raisonnement" (980b 26).

L'expérience découle de multiples souvenirs, qui sont "noués ensemble", pour ainsi dire. Et, de même, les expériences sont à leur tour nouées à un niveau supérieur dans l'" art " (τέχνη). Aucun autre animal, au-delà de la simple prévention des dangers, n'est "rusé" et capable d'utiliser les multiples expériences nouées : seul l'homme.

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Le Philosophe comprend ici que la τέχνη découle de l'empirique et se fonde sur lui. Le concept (ὑπόληψις) est universel dès lors qu'il naît (γίγνομαι) d'expériences multiples (981e). Naître ou devenir : tel est le sens du verbe γίγνομαι : on ne parle jamais d'un résultat mécanique ou constructif. Ces dernières significations doivent être réservées aux psychologues cognitifs modernes, déjà imprégnés d'un esprit entièrement mécaniste. Par expérience, l'homme avec τέχνη peut revenir au singulier. Ainsi au médecin, dont les connaissances lui permettent de soigner Calias, comme un homme individuel, comme un patient singulier. Ce n'est que de manière "non essentielle" que nous dirions que le médecin guérit l'homme et non cet homme singulier appelé Calias. Le médecin exclusivement théorique n'est pas un vrai médecin.

Étendons l'analogie au domaine de l'éducation ou à tout autre domaine professionnel ("technique") de l'être humain. Ces "pédagogues" qui n'ont jamais enseigné à des enfants, ces pédagogues qui, bien qu'ayant une connaissance approfondie de la législation et des théories didactiques les plus en vogue, n'ont jamais mis les pieds dans une classe autre qu'universitaire... quel "art" possèdent-ils? Quelle doit être leur τέχνη, au sens où ils font véritablement autorité et sont efficaces? Chaque τέχνη est enracinée dans des expériences artisanales, qui sont elles-mêmes des systèmes de sensations "nouées". Mais il faut distinguer le "technicien" (expert, connaisseur d'un sujet, τεχνιτης) de l'empiriste (ἔμπειπος). La différence est donnée par la connaissance de la cause. Le technicien est le professionnel avisé qui est en possession d'une théorie née de ses expériences, une théorie qu'il "retourne" à son tour à ce fond empirique pour mieux les comprendre et agir sur elles. En revanche, l'artisan manuel (χειροτέχνης) ne connaît que le quoi, pas le pourquoi. L'ouvrier se forme, il contracte des habitudes qui le rendent capable, et cela par habitude (δι᾽ ἔθος) [981b].

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Seul celui qui sait peut enseigner, celui qui possède l'art et pas seulement la compétence d'un métier.

La pédagogie officiellement imposée en Espagne, surtout après la L.O.G.S.E. (1991), s'inspire d'une série de théories de lignée marxiste et pragmatiste. Dans ces théories, il n'y a pas de distinction entre "savoir quoi" et "savoir pourquoi" et, de plus, on prétend que toute connaissance se réduit à "savoir comment". Pour cette raison, et dans une direction totalement anti-aristotélicienne, les métiers (formation professionnelle, "cycles de formation", "modules professionnels") sont entrés de plain-pied dans les écoles secondaires, sous un même toit, sous une direction et une administration uniques. Même dans l'enseignement secondaire obligatoire, la terminologie la plus généraliste et "ouvriériste" a imprégné les noms des matières et des activités ("ateliers" de langue ou de mathématiques, "ressources" pour l'apprentissage, "technologie", etc.)

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L'approche aristotélicienne ne doit pas nécessairement être considérée comme une théorie dérogatoire à l'égard des métiers manuels, même si, dans la société hellénique du IVe siècle avant J.-C., ils étaient traités comme "subalternes" et "serviles". AD, ils étaient traités comme des "subalternes". Les métiers sont absolument nécessaires à la vie, et être compétent en la matière, c'est s'élever au-dessus du niveau moyen d'une vie digne et civilisée. Les sociétés sous-civilisées ne sont pas conscientes de l'importance de l'artisanat et des connaissances empiriques. Mais seule notre société de consommation de masse a tenté de masquer les différences de classe, de profession, de préparation et de talent (différences inévitables dans toute culture humaine) au moyen d'un amalgame pédagogique, comme l'amalgame entre l'apprentissage des métiers et la formation intellectuelle et morale des personnes. De manière parasitaire, les apprentissages sont logés sous les mêmes toits institutionnels et dans les mêmes chapitres budgétaires que l'enseignement secondaire à caractère intellectuel et préparatoire à l'université. Faire des Instituts et des Universités des "ateliers" à l'atmosphère de plus en plus ouvrière, ainsi que penser la science et la connaissance exclusivement en termes de production, sont les traits qui caractérisent la pédagogie imposée aujourd'hui, tant dans son volet marxiste que dans le volet plus proche du pragmatisme américain. L'étudiant est un travailleur qui "manipule des outils", tuant ainsi ce qu'il y a de plus précieux en l'homme: sa curiosité, sa capacité d'émerveillement, sa soif de connaissance. Dans ces écoles qui veulent préparer les jeunes à l'usine, toutes pareilles, l'homme est animalisé, formé et instruit, s'il a un peu de chance, mais pas éduqué.

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Aristote souligne dans le livre I de la Métaphysique comment la science naît du loisir, et rappelle qu'elle a été rendue possible par l'existence d'une classe sacerdotale en Égypte (981b 25). Il est facile de tomber dans le réductionnisme sociologique et de transférer tout le contexte d'une civilisation esclavagiste, avec toutes les considérations précédentes, à aujourd'hui. Considérations sur une sagesse séparée du travail manuel et utilitaire, un savoir suprême, hiérarchiquement élevé au-dessus des métiers et des techniques. Les idéologies, mais pas la philosophie authentique, ont tenté à l'époque moderne d'étendre un continuum entre la pratique utilitaire et la contemplation désintéressée. Ne pouvant ou ne voulant pas abolir la division en classes sociales, tout un public candide et "moyen" (car il s'agit d'une partie de la société qui vit d'un travail qui n'est ni entièrement manuel ni entièrement intellectuel) se leurre, "naturalisant" et donc niant le saut entre la praxis et la théorie (en invoquant Gramsci, Dewey, Piaget ou quelque autre saint de leur dévotion), niant le hiatus entre le savoir subalterne et le savoir suprême. Ne pouvant abolir les classes sociales (égalitarisme, communisme), ils ont décrété l'abolition de la hiérarchie gnoséologique.

En termes de politique éducative, l'amalgame des savoirs traduit par une image horizontale des enseignants nous a été présenté comme "progressiste": dans un I.E.S. (établissement d'enseignement secondaire) coexistent des instituteurs, des professeurs de baccalauréat, des techniciens de la formation professionnelle, des professeurs d'atelier, des coiffeurs, des mécaniciens, des professeurs de gymnastique, etc. Ils reçoivent tous le même traitement, presque le même salaire, et bien sûr la même considération sociale. Les professeurs de coiffure, de gymnastique, de technologie et de cuisine partagent déjà leurs prérogatives d'éducateurs avec les professeurs de mathématiques, de philosophie ou de grec. Le fait qu'elle [la sagesse, la première science] ne soit pas une science productive est déjà évident chez les premiers philosophes. Car les hommes commencent et ont toujours commencé à philosopher par admiration..." (982b 11). (982b 11).

Cette homologation, et la tentative de nous offrir tout ce fatras comme "éducation" est le signe de notre temps. Il est difficile de lutter contre ce signe car très vite le débat est interprété comme une lutte idéologique entre égalitaristes et réactionnaires. Les philosophes classiques (Platon, Aristote, Saint Thomas) ont déjà fermement affirmé qu'il existe des hiérarchies entre les connaissances, que la sagesse est censée commander et non obéir. Les sages doivent être obéis par les moins sages. La science universelle, la connaissance du tout, règne sur la connaissance particulière, prisonnière de la nécessité et de l'urgence. Déjà les premiers philosophes, dit Aristote, étaient des hommes libres qui ont créé une science libre : "

Ὄτι δ'οὐ ποιητική, δῆλον καὶ ἐκ τῶν πρώτων φιλοσοφησάντων- δὰι γὰρ τὸ θαυμάζειν οἱ ἄνθροποι καὶ νῦν καὶ καὶ τὸ πρῶτον ἤρζαντο φιλοσοφεῖν.

Le sage désintéressé, comme l'amoureux des mythes, entreprend sa quête par admiration.

διὸ καì ὁ φιλόμυθος θιλόσοφός πώς έστιν- ὁ γὰρ μῦθος σύγκειtαι ἐκ θαυμαγίων- [982b 18].

Toutes les sciences sont plus nécessaires que la philosophie (entendue comme sagesse et science des principes et causes premières) mais mieux, aucune.

ἀνακαιότεραι μὲν οὖν πᾶσαι ταύτης, ἀμεινων δ' οὐδεμία [983a 10].

Le Kazakhstan: la nouvelle cible

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Le Kazakhstan: la nouvelle cible

Daniele Perra

Ex: https://www.geopolitica.ru/it/article/obiettivo-kazakistan

Avant-propos
Avant de tirer des conclusions hâtives sur la nature des manifestations actuelles au Kazakhstan, il est nécessaire de développer une vision globale permettant de situer le pays dans un paysage géopolitique international de plus en plus complexe.

À cet égard, plusieurs facteurs méritent une attention particulière. En premier lieu, on ne peut éviter de souligner que la Russie et la Chine, surtout au cours des dix dernières années, ont développé des stratégies capables de contrebalancer (et, à certains égards, d'empêcher) la force propulsive des tentatives occidentales de réaliser les soi-disant "changements de régime". Les cas les plus évidents à cet égard sont l'endiguement des manifestations à Hong Kong (en ce qui concerne la Chine), la réponse russe au coup d'État atlantiste en Ukraine et la récente crise entre la Pologne et le Bélarus. Les deux derniers exemples en particulier ont fait " jurisprudence ". En ce qui concerne l'Ukraine, en 2014, la Russie est même allée jusqu'à utiliser le concept de "responsabilité de protéger" (la fameuse R2P largement exploitée par l'Occident en Serbie et en Libye) pour justifier l'annexion de la Crimée: en d'autres termes, elle a utilisé un instrument "occidental" pour mener à bien une action qui, en réalité, est en totale contradiction avec le positivisme normatif qui règne dans le droit international américano-centré. Il en va de même pour la récente crise migratoire à la frontière entre la Pologne et le Belarus (qui a également été au centre d'une tentative ratée de révolution colorée). Nous avons encore une fois assisté à l'utilisation d'une arme typiquement occidentale (le flux migratoire visant à déstabiliser la politique interne du pays qui le subit) contre un pays occidental (plus ou moins la même chose que ce qui est arrivé à l'Italie, mais perpétrée par des alliés supposés) qui a contribué à créer ces vagues migratoires grâce à sa participation active aux guerres d'agression des États-Unis et de l'OTAN (la Pologne faisait partie de la fameuse "coalition des volontaires" qui a attaqué l'Irak en 2003 avec la Grande-Bretagne, l'Australie et les États-Unis).

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Sur la même longueur d'onde, on peut interpréter l'attitude russe envers l'Arménie de l'ancien Premier ministre pro-occidental Nikol Pashynian. Ce dernier, arrivé au pouvoir à la suite d'un exemple typique de "révolution colorée", après n'avoir rien fait pour éviter un nouveau conflit avec l'Azerbaïdjan, a naturellement dû se heurter à la réalité d'un Occident peu intéressé par la santé du peuple arménien et beaucoup plus intéressé par la création du chaos aux frontières de la Russie. Une prise de conscience qui l'a inévitablement conduit à chercher une solution du côté russe pour assurer sa propre survie et celle de l'Arménie elle-même.

Deuxièmement, il est nécessaire de garder à l'esprit que la pénétration occidentale (en particulier nord-américaine) en Asie centrale est ancienne. Sans s'embarrasser de la doctrine de "l'arc de crise" de Brzezinski et de ses associés, avec ses suites terroristes, il suffit dans ce cas de rappeler la formule C5+1 (les anciennes républiques soviétiques plus les États-Unis) inaugurée sous l'administration Obama et renforcée sous la présidence Trump. L'objectif de cette formule était (et est toujours) de favoriser la pénétration américaine dans la région, notamment en termes de "soft power" et de services de renseignement, afin de contrer le projet chinois de la nouvelle route de la soie. À cet égard, il ne faut pas négliger le fait que Washington n'a jamais cessé de rêver à la rupture de l'axe stratégique Moscou-Pékin. Et il n'est pas si improbable que ce soit précisément le Kazakhstan (un pays dans lequel la pénétration nord-américaine est plus forte qu'ailleurs) qui ait été chargé de cette tâche (ce que l'on ne pourra commencer à évaluer que dans les prochains jours). On ne peut pas non plus exclure que la Russie et la Chine en soient parfaitement conscientes.

Pénétration nord-américaine du Kazakhstan

Le Kazakhstan entretient de solides relations diplomatiques et commerciales avec les États-Unis depuis son indépendance. Washington a été le premier à ouvrir un bureau de représentation diplomatique dans l'ancienne République soviétique après son indépendance et Nursultan Nazarbayev a été le premier président d'un État d'Asie centrale à se rendre aux États-Unis. En fait, le Kazakhstan a cherché à mettre en œuvre une stratégie d'équilibre substantiel entre les puissances eurasiennes voisines (Russie et Chine) et la puissance mondiale hégémonique (les États-Unis). Si cette tentative d'équilibrage géopolitique (d'équilibre multi-vecteurs entre les puissances) a porté ses fruits dans les deux premières décennies de la vie de la République, il n'en va pas de même à partir du moment où la compétition entre l'Occident et l'Eurasie (malgré les efforts de la Chine pour échapper au "piège de Thucydide") s'est davantage aggravée. En effet, une telle stratégie (dont nous sommes peut-être en train d'observer les résultats), dans un contexte international où la crise permanente est devenue une normalité (due également à l'anxiété stratégique de la puissance hégémonique qui sent sa primauté remise en cause), devient particulièrement problématique. Et avec cela, le risque d'être englouti dans les mécanismes d'une nouvelle guerre froide devient de plus en plus élevé.

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Il est bon de souligner que le pays reste l'un des principaux alliés de la Russie et de la Chine. Il est fermement ancré dans l'Union économique eurasienne et l'Organisation du traité de sécurité collective (ces deux institutions, pourrait-on dire, n'auraient aucun sens sans le Kazakhstan). En même temps, elle fait partie intégrante de l'Organisation de coopération de Shanghai et joue un rôle central dans le projet chinois d'interconnexion eurasienne de la nouvelle route de la soie.

Cela n'a pas empêché le pays de développer davantage ses liens étroits avec Washington. À une époque où de nombreux pays d'Asie centrale se sont désintéressés des États-Unis (considérés comme n'étant plus indispensables pour contrebalancer l'influence russe et chinoise), leur préférant la Turquie pour des raisons d'affinités culturelles, le Kazakhstan est resté accroché aux États-Unis. Sa relation avec Washington, contrairement à ses voisins immédiats, n'était en aucun cas associée à la présence américaine en Afghanistan. Les entreprises américaines gèrent toujours une grande partie de la production pétrolière du Kazakhstan, qui représente 44 % des recettes de l'État. Plus précisément, 30 % du pétrole du Kazakhstan est extrait par des sociétés nord-américaines, contre 17 % par les sociétés chinoises CNPC, Sinopec et CITIC et 3 % par la société russe Lukoil.

En 2020, les échanges commerciaux entre les États-Unis et le Kazakhstan se sont élevés à environ 2 milliards de dollars. Il s'agit d'un chiffre plutôt faible si on le compare aux 21,4 milliards de dollars d'échanges avec la Chine (qui a ouvert son énorme marché intérieur aux produits agricoles kazakhs) et aux 19 milliards de la Russie (où l'industrie de l'armement joue un rôle majeur). Toutefois, les 2 milliards d'échanges avec les États-Unis sont presque trois fois plus élevés que les 600 millions d'échanges totaux avec les autres pays d'Asie centrale [1].

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En outre, depuis 2003, le Kazakhstan organise chaque année des exercices militaires conjoints avec l'OTAN. En outre, de 2004 à 2019, les États-Unis ont vendu au Kazakhstan des armes pour une valeur totale de 43 millions de dollars (un chiffre qui n'est pas particulièrement élevé, mais qui indique bien que le Kazakhstan a toujours essayé de créer des canaux alternatifs aux fournitures russes).

Il n'est donc pas surprenant que la rhétorique officielle de la République et de ses principaux médias soit totalement dépourvue des invectives anti-occidentales qui caractérisent les autres pays de la région. L'actuel président Kassym-Jomart Tokayev (un sinologue diplômé de l'Institut d'État des relations internationales de Moscou), par exemple, n'a jamais pris parti pour Moscou sur les questions internationales, essayant toujours de maintenir une vague neutralité. Et tant Moscou que Pékin n'ont pas manqué de critiquer le Kazakhstan lorsque le pays a permis aux États-Unis de rouvrir et de poursuivre le développement de certains laboratoires biologiques de l'ère soviétique. En particulier, de nombreux doutes ont été émis quant aux réelles activités nord-américaines dans les laboratoires d'Almaty et d'Otar (près des frontières avec la Russie et la Chine). L'accusation (même pas trop voilée) est que des armes biologiques sont développées dans ces sites. Cette accusation ne semble pas si infondée si l'on considère que les États-Unis disposent de laboratoires similaires dans 25 pays. Ces laboratoires sont financés par la Defence Threat Reduction Agency (DTRA), dont les gestionnaires des programmes militaires sont des entreprises privées qui ne sont pas directement responsables devant le Congrès américain. Et c'est précisément dans ces laboratoires que les expériences sur les coronavirus ont eu lieu (et ont encore lieu) [2].

Les protestations

Qu'est-ce qui a motivé les protestations de ces derniers jours ? Tout d'abord, il est nécessaire de garder à l'esprit que ce n'est pas la première fois que de telles manifestations ont lieu au Kazakhstan. En 2011, par exemple, 14 travailleurs de l'industrie pétrolière ont été tués à Zhanaozen lors d'une manifestation contre les conditions de travail difficiles et les bas salaires.

Il n'est pas surprenant que les manifestations de ces derniers jours aient commencé plus ou moins dans la même région, non seulement en raison de l'augmentation exponentielle du prix du carburant, mais aussi des licenciements massifs mis en œuvre par la gestion "occidentale" de l'industrie pétrolière et de la politique économique fondée sur des modèles néolibéraux. Les travailleurs protestataires sont principalement issus de la société Tenghizchevroil (50% Chevron, 25% ExxonMobil et 20% KazMunayGas). L'une des raisons de cette protestation est le fait que 70 % de la production pétrolière kazakhe est destinée à l'Occident.

Cela devrait, du moins en théorie, démontrer le caractère essentiellement spontané des premières manifestations. A première vue, il ne semble pas possible de parler d'une réponse occidentale (au cœur de l'Eurasie) aux avancées diplomatiques chinoises en Amérique latine. Cela n'exclut toutefois pas que les manifestations puissent être utilisées pour créer le chaos et déstabiliser le pays (une possibilité non négligeable si l'on considère le réseau dense d'organisations occidentales présentes, le rôle néfaste de la "cinquième colonne" d'oligarques pro-occidentaux et l'intérêt croissant de certaines agences de presse pour ce qui se passe en ces heures), peut-être même en exploitant les tensions potentielles entre les différentes communautés ethniques qui composent la population kazakhe.

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En conclusion, ce que les dirigeants politiques de nombreux pays de l'ex-Union soviétique (et de l'ancien bloc socialiste) n'ont pas encore compris, c'est que tenter de devenir amis avec l'Occident n'est pas en soi une garantie de survie politique. L'Ukraine, par exemple, est un État en déliquescence que l'OTAN cherche à exploiter comme champ de bataille (fourrage à abattre en cas d'agression contre la Russie). La Pologne doit sa "bonne fortune" à sa situation géographique entre la Russie et l'Allemagne, etc. Sans parler des innombrables cas dans lesquels les États-Unis se sont acharnés sur leurs anciens alliés et leurs outils géopolitiques extemporanés : de Noriega à Saddam, en passant par Ben Laden et Al-Qaïda.

Dans ce contexte, le rôle de la Russie et de la Chine sera à nouveau d'empêcher le chaos: d'empêcher la déstabilisation du Kazakhstan et d'éviter que cela n'affecte le processus d'interconnexion de l'Eurasie.

Source première: https://www.eurasia-rivista.com/obiettivo-kazakistan/

NOTES
[1] T. Umarov, Can Russia and China edge the United States out of Kazakhstan, www.carnagiemoscow.org.

[2] Voir The Pentagon Bio-weapons, www.dylana.bg.

Brèves notes sur la solennité de l'Épiphanie

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Brèves notes sur la solennité de l'Épiphanie

La figure des Rois Mages dans une tradition millénaire qui unit l'Europe et l'Asie

par Brunello Natale De Cusatis

Ex: https://www.barbadillo.it/102405-annotazioni-brevi-sulla-solennita-dellepifania/

Comme chacun le sait, le 6 janvier, c'est l'Épiphanie du Seigneur, fête de précepte pour l'Église catholique, ainsi que l'une des plus hautes solennités de l'année liturgique, avec celles de Pâques, de Pentecôte, d'Ascension et de Noël.

Le mot vient du grec ancien Épiphanie (ἐπιφάνεια), un substantif féminin signifiant "manifestation", "apparition", "présence divine". Cela explique pourquoi, en termes chrétiens, il est fait référence à la première manifestation de la divinité et de l'humanité de Jésus-Christ aux Rois Mages, porteurs de trois cadeaux d'une profonde signification symbolique - comme leurs propres figures - l'or, l'encens et la myrrhe. Nous lisons dans l'Évangile selon Matthieu - le seul des Évangiles canoniques qui les mentionne, sans toutefois aucune indication quant à leur nombre ou leur lignée royale - que ces

 "[...] mages vinrent d'Orient à Jérusalem et demandèrent : / "Où est le Roi des Juifs qui est né ? Nous avons vu son étoile monter, et nous sommes venus le vénérer". / [...] Et voici que l'étoile, qu'ils avaient vue se lever, les précédait, jusqu'à ce qu'elle vienne se placer au-dessus du lieu où était l'enfant. / En voyant l'étoile, ils furent saisis de joie. / En entrant dans la maison, ils virent l'enfant avec Marie, sa mère, et se prosternant, ils l'adorèrent. Puis ils ouvrirent leurs coffres et lui offrirent des cadeaux d'or, d'encens et de myrrhe". (Mt 2, 1-2, 9-11)

Il ne fait aucun doute que l'Épiphanie, en plus d'être l'un des "piliers" du christianisme, est peut-être la plus "fascinante" des fêtes d'obligation (ce n'est pas pour rien qu'elle a la capacité d'attirer fortement l'attention et la curiosité de nos enfants, surtout si l'on considère qu'elle coïncide, en Italie, avec la célébration de la fête du Seigneur. En Italie, en effet, elle coïncide aussi avec la fête de la Befana, une figure folklorique qui distribue des cadeaux). Elle est également une fête "mystérieuse" (non seulement au sens commun du terme "mystère", mais aussi au sens théologique de vérité surnaturelle, c'est-à-dire non connaissable par les forces naturelles de l'intelligence). A y regarder de plus près, cela est dû principalement à sa profonde charge symbolique, en référence à la fois aux personnages et aux éléments qui la caractérisent : les Mages, les cadeaux et l'étoile comète.

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Il est difficile de s'extraire, surtout dans l'espace offert par un court article, de l'exégèse historico-critique riche et complexe liée aux figures des Mages, translittération du terme grec magos (μαγος, pluriel μαγοι), un titre qui n'identifiait pas des rois, mais les prêtres gardiens de la doctrine du prophète et mystique Zoroastre ou Zarathoustra, fondée avant le sixième siècle av. J.-C. dans l'ancienne Perse.

Partant des maigres informations fournies par l'Évangile selon Matthieu, la tradition chrétienne a, au fil du temps, enrichi l'histoire des Mages de divers détails. L'une des évolutions les plus importantes est certainement la transformation de leur statut initial de prêtres et d'astrologues en celui de rois. En ce sens, la thèse la plus accréditée est qu'il s'agit d'une référence à certaines prophéties de l'Ancien Testament qui évoquent l'adoration du Messie par certains rois. C'est le cas du célèbre psaume "royal", Le Roi promis, attribué à Salomon: "Le roi de Tarse et des îles apportera des offrandes, / Les rois des Arabes et de Saba offriront un tribut" (Ps 72 (71) : 10). Ainsi, les premiers exégètes chrétiens auraient réinterprété le récit de Matthieu - un récit, d'ailleurs, du moins selon divers biblistes contemporains, qui semblerait être une composition didactique plutôt qu'une chronique, ou plutôt une "(re)construction" à la fois historique et littéraire, destinée à fournir un enseignement - à la lumière de ces prophéties en élevant les Mages au rang de rois. Quant au nombre de trois, il a probablement été suggéré par le nombre de cadeaux qu'ils ont apportés.

Dans le même temps, il faut toutefois rappeler que les Évangiles apocryphes ont largement contribué à l'enrichissement des images liées aux Mages, qui ont fini par faire partie intégrante de la culture chrétienne canonique. En ce sens, la description la plus détaillée se trouve dans l'Évangile de l'enfance arménien, dont je cite ce seul passage important, extrapolé du chapitre V, paragraphe 9 :

    "Aussitôt, un ange du Seigneur se rendit au pays des Perses, pour avertir les mages d'aller adorer le nouveau-né. Et eux, guidés par une étoile pendant neuf mois, sont arrivés à destination au moment où la Vierge est devenue mère. En ce temps-là, le royaume des Perses régnait par sa puissance et ses conquêtes sur tous les rois qui existaient dans les pays d'Orient, et ceux qui étaient les Mages étaient trois frères : le premier, Melkon, régnait sur les Perses, le second, Balthasar, régnait sur les Indiens, et le troisième, Gaspar, possédait le pays des Arabes. Unis par l'ordre de Dieu, ils sont arrivés au moment où la Vierge est devenue mère".

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Quant aux dons, leur interprétation est bien connue - on en trouve déjà trace dès la fin du IVe siècle dans certains hymnes religieux et, un peu plus tard, également dans divers chants populaires - comme emblèmes prophétiques de l'identité de Jésus: l'or indique sa royauté ; l'encens est la représentation de son sacerdoce divin ; la myrrhe, une plante dont on extrait une résine caoutchouteuse et qui, mélangée à des huiles, était utilisée pour fabriquer des onguents à des fins médicinales et cosmétiques ainsi que religieuses, anticipe sa future souffrance rédemptrice - après tout, le terme "Christ" signifie précisément "oint", c'est-à-dire une personne consacrée par l'onction d'un onguent symbolique, un chrême, en tant que roi, guérisseur et Messie d'origine divine.

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Il est également important de rappeler que le culte des Trois Rois est toujours vivant aujourd'hui, car la légende veut que leurs dépouilles mortelles aient été récupérées en Inde par Sainte Hélène, mère de Constantin Ier, puis transportées à Constantinople et placées dans la basilique de Sainte Sophie. De là, au IVe siècle, elles furent transportées à Milan, où l'évêque de l'époque, Eustorgio, fit construire une basilique afin de préserver le monumental sarcophage romain en pierre brute qui les abritait et qui, selon la tradition, avait été donné par l'empereur Constantin Ier lui-même. Des siècles plus tard, après le siège de Milan (1161-1162) par Frédéric Ier Barberousse, les célèbres et précieuses reliques ont été volées et déplacées à Cologne en Allemagne. Ce n'est qu'au début du XIXe siècle que les conditions ont été créées pour que certains de ces restes reviennent dans la basilique de Sant'Eustorgio, désormais placés dans une châsse au-dessus de l'autel de la chapelle des Mages, qui abrite également leur sarcophage, naturellement vide. Toujours pour préserver leur mémoire, le clocher de la basilique est surmonté non pas de la traditionnelle croix au sommet, mais de l'étoile à huit branches qui les a guidés vers Bethléem. Cette richesse du symbolisme lié aux trois Rois Mages fait que la basilique milanaise de Sant'Eustorgio est encore aujourd'hui un lieu de pèlerinage.

Brunello Natale De Cusatis.

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