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mercredi, 29 janvier 2025

L’antiwokisme, quel "conservatisme" ?

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L’antiwokisme, quel "conservatisme"?

Claude Bourrinet

L'antiwokisme (le biberon de cnews et de tous les soi-disant "conservateurs" (pour autant qu'il y ait encore quelque chose à "conserver" !), qui se couchent devant la puissance américaine est, comme l'anti-immigrationnisme (souvent teinté d'islamophobie et d'une pincée de racisme) le parement ostentatoire d'une réalité tout ce qu'il y a de plus commune et sordide : une machine idéologique à prendre le pouvoir et à gérer le capitalisme local, tout en étant intégré à l'oligarchie mondialiste.

Ni Trump, ni Meloni, ni le RN, ni l'AfD, ni Orban (etc.) n'ont le dessein de rompre avec le mondialisme. Ils sont des libéraux, qui croient au marché, au progrès, à la croissance, et qui, comme tous les dirigeants du monde tel qu'il est advenu depuis deux siècles et plus, pensent d'abord en termes de puissance économique, la politique, l'idéologie, et, pour certains, les divisions de blindés (et maintenant les missiles, les drones, les relais satellitaires, l’Intelligence artificielle etc.) étant l'ombre qui accompagne ce projet d'arraisonnement techno-industriel et marchand de la nature. Tout le reste n'est que verbiage.

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Ce qu’il y a de plus sublime, en l’homme, ce n’est pas seulement qu’il soit une « merveille », comme le clame le chœur, dans Antigone, de Sophocle, c’est-à-dire ce vivant qui a accès au Logos et, partant, transmute la nature selon son hybris, mais qu’il soit cet être protéique, changeant, modifiable, modulable comme de la pâte, justement parce qu’il est une « merveille », et que son véritable royaume, ce n’est pas la réalité terre-à-terre, mais le Verbe, l’imagination, comme le souligne Pascal, qui l’a défini de manière définitive. Un animal, si dépendant d’un écosystème impitoyablement tyrannique, ne se laisserait pas prendre par ses folies. Mais son génie inventif souffre d’un défaut rédhibitoire, de sa propension itérative à tomber immanquablement dans les vieilles ornières, comme un ivrogne du samedi soir. Son asservissement aux délices paradisiaques des lendemains enchantés le ramène toujours sur le sol détrempé, en haillons, et avec les tuméfactions de rigueur. Ce surhomme est aussi un idiot.

La liste de ses délires prophétiques est trop longue pour en faire le dénombrement. Il suffit d’invoquer les idéologies mortifères du siècle dernier. Si l’on tient compte des deux systèmes de valeurs qui se sont affrontés, après la deuxième guerre mondiale, une fois les fascismes terrassés, à savoir le communisme et le libéralisme, on ne sera pas assez sot pour prendre pour argent comptant ce que chacun avançait en guise de « vérité ». Cette « vérité », dans les faits les plus crus, c’était le combat, souvent par intermédiaires entraînés dans des massacres de masse, entre deux prédateurs géants, voulant se partager le monde. Les échafaudages rhétoriques qui se tissaient autour de ces tueries étaient là pour cacher le fauve sanglant, comme autant de mensonges dont étaient dupes les militants, mais pas du tout les dirigeants.

30878999533-1266845211.jpgUn de Gaulle, par exemple, parlait des Russes, non des « communistes russes ». Il avait raison : l’empire soviétique, une fois qu’on eut dressé, après 1989, le constat historique, n’apparut que comme l’empire tsariste modernisé. Pour reprendre concepts et terminologie marxistes, la nation slave dont le centre était Moscou était devant la nécessité, pour ne pas disparaître, de procéder à une accumulation monstrueuse de Capital industriel, pour faire face au danger d’être disloqué par les puissances occidentales, et par la logique centrifuge de cet immense territoire, qui s’étendait de la Pologne au détroit de Béring, et surtout jusqu’aux vastes territoires bariolés de l’Asie centrale et du Caucase. Sans parler d’une paysannerie pléthorique et « retardataire », qu’il s’agissait d’anéantir, comme nous l‘avons fait de manière moins brutale. Les terrifiantes dévastations humaines, culturelles, nationales, civilisationnelles, naturelles, qu’entraîna le stalinisme, furent la réponse à ce défi. Notons que le mot d’ordre de la Russie « moderne » fut, depuis Lénine jusqu’à la Fédération actuelle, de rattraper et de dépasser l’Amérique.

L’industrialisation lourde de l’empire des Tsars avait imposé ce programme, et tout le reste ne fut qu’un fil que l’on tira, jusqu’au point de rupture. L’américanisme, pour autant, n’est qu’un vocable générique, qui dépasse les limites nationales des États-Unis. Là aussi, une téléologie guidait le Nouveau Monde, dès lors qu’il avait pris son envol, mû par un messianisme calqué sur l’Ancien Testament. L’Éden à construire se devait d’être industriel, et c’est ainsi que les Américains en prirent vraiment conscience, en détruisant le Sud agricole des États-Unis. L’extermination des Indiens en fut la phase préliminaire, puisqu’il fallait commencer par une page blanche. Puis l’esclavage des Noirs se révéla trop mesquin pour un si vaste programme d’arraisonnement de la Nature vierge d’un ensemble territorial, qui avait les dimensions d’un continent. Il fallait arrimer la société à la marchandise, et surtout à la chaîne du travail, idée qui s’était laborieusement mise en place depuis la Renaissance, et qui avait eu du mal à convaincre une Vieille Europe décidément trop attachée à ses plaisirs décadents. Tout le reste découla de cette entreprise démesurée : la volonté de dominer le monde pour lui inculquer les règles calvinistes d’une civilisation saine, celle de la machine et de la liberté du renard dans le poulailler, conduisit à enchaîner guerre sur guerre, ainsi que, progressivement, une grande partie des peuples et des nations de la planète, tout en dévastant la Terre et les singularités culturelles.

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N’oublions pas que, dans les années 70, il n’était pas rare que l’on parlât, à propos de ces deux camps antagonistes, de « convergences ». La Russie se développait, et on voyait bien qu’elle aboutirait, un jour, à une ressemblance économique, donc sociale, avec son ennemie affichée, ne serait-ce que parce que s’était développée en son sein une classe moyenne avide de consommation – celle-là même qui fit tomber l’empire soviétique ; et l’Occident, à cet époque, déployait un État proliférant, qui se mêlait de tout, comme dans le monde socialiste, tout en multipliant les bureaucrates et les techniciens.

Le monde actuel n’est pas si différent, parce qu’il est encore motivé par les mêmes causes : le déploiement d’une technoscience prométhéenne, l’entrée dans une modernité radicale, susceptible de changer cet homme modulable dont nous avons parlé plus haut, c’est-à-dire de forger un « nouvel homme », irritation intermittente qui agace le genre humain depuis l’absorption et la digestion du message biblique.

Le wokisme (qui ne touche pas que la gauche, mais qui se rencontre aussi dans les milieux « conservateurs », lesquels ne se bousculent pas, d’ailleurs, le dimanche, dans les églises pour assister et participer à l’office divin !) n’est qu’une déclinaison somme toute secondaire d’un plus vase dessein, qui est de pousser la « modernité » technoscientifique et capitaliste jusqu’aux fibres les plus intimes du vivant, neurones compris. Et donc d’abolir l’homme, celui auquel les Temps anciens attribuaient ridiculement une « âme » - et où se trouve-t-elle, cette âme ? Dans le ventre ? Le cœur ? Sous le crâne ? Dans quel neurone ? Qu’on me montre la molécule de l’âme, Nom de Dieu ! (s’écrie M. Homais, apothicaire).

Le « Nouvel homme » est, en fait, relativement vieux : c’est la créature nihiliste, matérialiste, utilitariste (seul ce qui sert vaut quelque chose), béotienne, pesante et dévastatrice, sans aucune aspiration à la beauté, que les Russes (Tourgueniev, Dostoïevski…) ont décrite admirablement, et que les Américains ont si génialement illustrée, malgré quelques réfractaires, comme Emerson, Thoreau, Edgar Poe… Les dissensions de surface qui opposent les uns et les autres, nations de l’Est, de l’Ouest, du Nord, du Sud, et les partis selon la dichotomie désuète de « droite » et de « gauche », quand bien même elles expriment des intérêts réels (mais d’importance inégale : la réticence des Russes à se faire avaler par l’Occident n’est pas à mettre sur le même plan qu’une camarilla politicienne cupide et avide de gamelle), ne sont pas à prendre pour le cœur du monde actuel, lequel possède des racines lointaines, qui est plutôt le faustisme et le prométhéisme, dont l’une des réalisations est le transhumanisme (aussi bien en voie d’achèvement en Amérique qu’en Chine, ou en Russie, ou ailleurs).

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Il est bien évident que certaines « actions » ne sauraient être évitées sans que l’on perdît en soi sa nature humaine. Il y a des situations qu’on ne peut accepter, car elles anéantissent le monde vivable. Je laisse à chacun le choix de ces circonstances, car cela dépend de l’intériorité de chaque homme. Mais on voit bien que la véritable ligne de partage, qui oppose deux mondes, et qui est est éternelle, comme l’homme, c’est l’affrontement entre l’ombre et la clarté. Autrement dit, le véritable combat est dans notre âme. La politique, si l’on y accorde une importance trop grande, qui est mensonge et diabolique perte de son intégrité, ne saurait remplacer notre véritable dimension, d’homo religiosus. Si nous savons, si nous pouvons ancrer notre être jusqu’au plus profonde de notre âme, tout le reste en découlera, et le monde sera plus vivable.

16:42 Publié dans Actualité | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actualité, modernité, transhumanisme | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

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