dimanche, 15 juin 2025
Israël-Iran: même dans une telle crise, l’Europe pusillanime sombre dans l'insignifiance
Israël-Iran: même dans une telle crise, l’Europe pusillanime sombre dans l'insignifiance
Andrea Muratore
Source: https://it.insideover.com/guerra/israele-iran-anche-in-qu...
Des contributions à la désescalade ? Des négociations diplomatiques sérieuses ? Des activités effervescentes pour défendre ses intérêts ? Rien de tout cela. L’Europe s’arrête sur le conflit Iran-Israël, écrasée entre la crainte de démentir la position américaine et le réflexe conditionné de l’interventionnisme.
Il en résulte une position difficilement compréhensible : les mêmes pays qui, depuis plusieurs semaines, ont adopté des positions de plus en plus critiques contre Tel-Aviv en raison de l’escalade des bombardements sur Gaza et des privations imposées par Israël aux civils dans la Bande de Gaza, approuvent désormais, pour l'essentiel, les attaques unilatérales lancées par l’État hébreu contre l’Iran, auquel Washington accorde tacitement son blanc-seing. Ce qui est sans influence aucune sur les deux camps.
Une courte revue de déclarations aide à le comprendre. Emmanuel Macron, président français : « La France réaffirme le droit d’Israël à se défendre et à garantir sa sécurité. » Friedrich Merz, chancelier allemand : « L’objectif doit rester d’empêcher l’Iran de développer des armes nucléaires. » Des paroles similaires des porte-paroles de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen. En passant, David Lammy et Antonio Tajani, ministres des Affaires étrangères du Royaume-Uni et de l’Italie, ont invité à la modération… pour l’Iran !
Dire que ces déclarations ne signifient rien ne signifie pas forcément défendre le régime iranien, mais plutôt montrer un principe politique clair : l’Europe est totalement inaudible, insignifiante et prévisible dans ses déclarations. Simplement elle demeure une note marginale dans le monde des relations internationales.
Il est paradoxal de voir Macron parler du droit à la défense d’Israël tout en étant promoteur de la reconnaissance par la France de la Palestine ; les appels européens à la modération et à la dénucléarisation de l’Iran restent inaudibles, tandis que des bombes tombent sur Natanz, Fordow, Ispahan et d’autres centres après qu'aucun pays européen n’a saisi l’aimant avancé par Abbas Aragchi (photo), ministre iranien des Affaires étrangères, qui, après le début des négociations avec les États-Unis sur le nucléaire en avril, a souligné la froideur diplomatique totale du Vieux Continent, en particulier des pays du groupe E3 (Allemagne, France, Royaume-Uni), signataires du Joint Comprehensive Plan of Action (Jcpoa), l’accord de 2015 négocié par Barack Obama et Hassan Rouhani, avec l’Union européenne, la Chine, la Russie et les États-Unis.
Aragchi, diplomate réservé et certainement pas extrémiste, demandait une audience aux diplomaties européennes: «ambassadeur ne porte pas préjudice». Elle ne lui a pas été accordée par les pays de l’E3, et il faut souligner que même l’unique État européen qui avait tenté de jouer le rôle de médiateur, l’Italie, s’est trouvée également dépourvue de toute marge de négociation.
Au moins, Giorgia Meloni a, dans une note du Palazzo Chigi, « réaffirmé le plein soutien aux négociations entre les États-Unis et l’Iran pour un accord sur le programme nucléaire iranien », mais il reste incertain que ces négociations, prévues pour demain en Oman, auront lieu comme prévu. Et la décision de Benjamin Netanyahu de tenir de nombreux pays européens, dont l’Italie, dans l’ignorance de l’imminence des raids montre la faible considération de son gouvernement pour des États amis de Tel-Aviv.
« Les gouvernements européens devraient intensifier la coordination avec l’administration Trump et les États du Conseil de coopération du Golfe pour préserver le canal diplomatique avec l’Iran, en maintenant à court terme un canal secondaire pour la résolution des conflits avec Téhéran », a déclaré à Euractiv Ellie Geranmayed du Conseil européen pour les relations étrangères (Ecfr). Une vision qui présuppose une Europe qui soit puissance de dialogue, mais qui aujourd’hui se heurte à une réalité beaucoup plus désolante, qui parle plutôt d’un Vieux Continent faible et pusillanime, dépourvu de capacité d’influence sur ses voisins, contraint à subir les événements dans chaque dossier: cela vaut pour Gaza, la crise en Libye, la mer Rouge et l'affrontement entre les États-Unis et les Houthi, cela vaut bien sûr pour la guerre en Ukraine et, apparemment, pour la guerre Iran-Israël.
Au final, peut-être que l’opinion de l’Europe est tout simplement insignifiante. Sur la scène mondiale, la position d’une Turquie, d’une Arabie Saoudite, d’une Inde et d’un Pakistan sur une crise comme celle qui s’est ouverte entre l’Iran et Israël a plus d’impact que celle de toute l’Europe, communautaire ou non. Nous sommes prévisibles, marginaux et périphériques. Et nous ne faisons rien pour inverser la tendance. Le déclin du rôle de l’Europe dans le monde en est la conséquence logique et inévitable.
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Douche glacée à Varsovie
Douche glacée à Varsovie
par Georges Feltin-Tracol
Les plumitifs de la presse subventionnée de grand chemin jubilaient le mois dernier. Satisfaite de la victoire présidentielle du maire libéral de Bucarest, le 18 mai, grâce à une forte ingérence numérique occidentale, française en particulier, la cléricature médiacratique souhaitait que le poulain de l’actuel premier ministre polonais, l’extrême centriste Donald Tusk, Rafal Trzaskawski, déjà candidat battu en 2020, évinçât le candidat national-conservateur présenté par PiS (Droit et Justice), Karol Nawrocki (photo).
L’espoir du système médiatique d’occupation mentale était fondé au soir du premier tour, ce même jour. Avec 31,36 %, Rafal Trzaskawski arrivait en tête. Mais Karol Nawrocki le talonnait à 29,54 %, soit un écart de 1,82 point ! Le report des suffrages pour le second tour du 1er juin se révélerait décisif. Outre cette maigre différence, deux enseignements supplémentaires rendaient les spéculations électorales bien hasardeuses.
Les trois candidats de gauche ne recueillent que 10,18 %. Aucun ne dépasse 5 %. La gauche tant dans sa version sociale-démocrate que dans sa variante radicale devient une force marginale d’appoint guère certaine. Quant aux trois candidats de droite radicale, ils cumulent à 21,92 % des voix. Ce résultat constitue la grande surprise du premier tour.
Troisième au soir du 18 mai, Slawomir Mentzen (photo) récolte 14,81 %. Il représente la Confédération Liberté et Indépendance. Fondée en 2018, cette coalition politique compte seize députés et cinq euro-députés dont trois membres à l’Europe des nations souveraines et deux aux Patriotes pour l’Europe. Elle regroupe Nouvel Espoir, le Parti des chauffeurs, la Ligue nationale, l’Union des familles chrétiennes et le Mouvement national. Des différences programmatiques entre les alliés ne nuisent pas à l’entente: le Mouvement national tend vers le national-populisme alors que Nouvel Espoir se veut libéral-conservateur. Mentzen a séduit un électorat jeune ou primo-votant lassé du bipartisme entre la Plateforme civique d’extrême centre et PiS, et intéressé par ses propositions libertariennes en prenant exemple sur Elon Musk et la TechnoBro d’inspiration minarchiste (un État limité à ses seules fonctions régaliennes).
Arrivé en quatrième position avec 6,34 %, Grzeorgorz Braun représente la Confédération de la Couronne polonaise (deux députés et un euro-député non-inscrit). Créée en 2019 et alliée à la Confédération Liberté et Indépendance avant d’être exclue cette année pour radicalité élevée, cette Confédération de la Couronne polonaise a bénéficié de l’appui du Congrès de la Nouvelle Droite. Non, les rédactions d’Éléments, de Nouvelle École et de Krisis n’ont pas déménagé à Varsovie ! Lancé en 2011 par l’excentrique Janusz Korwin-Mikke (photo, ci-dessous), ce Congrès de la Nouvelle Droite, affilié au Parlement européen à Identité et Démocratie, s’affiche libéral et conservateur. Son libéralisme est parfois surprenant avec sa volonté de légaliser toutes les drogues. Usant d’un argumentaire libertarien, Braun perd 78.918 voix par rapport à Krzysztof Borak, candidat en 2020 (6,78 %).
N’obtenant que 0,77 %, Marek Jakubiak anime les Républicains libres, une scission nationaliste du PiS. Héritier du nationaliste russophile ethno-polonais Roman Dmowski (1864 – 1939), ce candidat ne cache pas son scepticisme envers les idées libertariennes et le conservatisme libéral. Il faut toutefois rappeler qu’à l’occasion de la première élection présidentielle à l’automne 1990, le futur président Lech Walesa affronta au second tour l’homme d’affaire canadien, Stanislaw Tyminski, par ailleurs chef du groupusculaire Parti libertarien du Canada.
Acceptant de discuter sur Internet avec Slawomir Mentzen, les deux finalistes démontrent leur envie de draguer ses électeurs. Si Trzaskawski reste lui-même face à son contradicteur et déroule son discours libéral-progressiste destiné en premier lieu à ses électeurs urbains, Nawrocki, ouvertement atlantiste et fan du MAGA trumpiste, diaspora polonaise outre-Atlantique oblige, accepte toutes les conditions de son interlocuteur devenu faiseur de président dont le refus que l’Ukraine adhère à l’Union dite européenne, que l’armée polonaise intervienne là-bas et le rejet d’introduire l’euro en Pologne.
Il faut attendre la matinée du lundi 2 juin pour apprendre l’élection de Karol Nawrocki à la présidence à 50,89 % contre 49,11 % pour Trzaskawski, soit la plus faible différence de l’histoire de l’élection présidentielle en dépit d’une diminution de l’abstention (28,37 % au lieu de 32,69 % au 1er tour). Certes, Nawrocki a su attirer vers lui la grande majorité des électeurs de droite radicale. Il a aussi su catalyser la colère des catégories populaires irritées par la campagne de presse anti-Nawrocki. En effet, pendant la campagne électorale, la presse menteuse n’a pas cessé de dénigrer le candidat du PiS au point de pratiquer un racisme de classe. Elle a accusé le directeur de l’Institut de la mémoire nationale de proxénétisme et de s’être battu lors de quelques rixes. Cette campagne négative s’est retournée contre ses auteurs.
Investi le 6 août prochain, Karol Nawrocki entend saper le gouvernement de Donald Tusk et de favoriser le retour au pouvoir du PiS. Le futur chef d’État polonais dispose d’un droit de véto sur toutes les lois. Ce véto ne peut être annulé que par un vote de la Diète à la majorité qualifiée des trois cinquièmes. La cohabitation va donc se poursuivre et elle risque de devenir électrique d’autant que le gouvernement Tusk repose sur une alliance instable entre la gauche, les centristes agrariens et les libéraux. Toutefois, la faible avance montre l’existence d’un antagonisme intérieur qui s’apparente à une guerre culturelle majeure, voire à une « guerre civile froide ». PiS appartient cependant aux Conservateurs et réformateurs européens. L’audience continentale de l’Italienne Giorgia Meloni s’accroît par conséquent.
GF-T
- « Vigie d’un monde en ébullition », n° 160 , mise en ligne le 10 juin 2025 sur Radio Méridien Zéro.
12:30 Publié dans Actualité, Affaires européennes | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : actualité, pologne, affaires européennes, europe, europe centrale | |
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Conflictualité sans boussole : pourquoi une politique de paix stratégique n'est pas un recul
Conflictualité sans boussole : pourquoi une politique de paix stratégique n'est pas un recul
Elena Fritz
Source: https://pi-news.net/2025/06/konflikt-ohne-kompass-warum-s...
Dans un article récent publié sur Apollo News, Max Mannhart évoque « l'erreur de la droite sur l'Ukraine » (cf. https://apollo-news.net/der-historische-ukraine-irrtum-von-rechts/ ), reprochant aux voix conservatrices de méconnaître la situation stratégique et de se réfugier dans une dangereuse illusion irénique
Dans le débat sur les politiques étrangère et de sécurité allemandes, un consensus remarquable s'est établi: ceux qui ne soutiennent pas l'aide militaire à l'Ukraine sont considérés comme naïfs, bercés d'illusions ou virtuellement « pro-Poutine ». Ce cadre discursif se déplace de plus en plus vers les milieux conservateurs du centre.
Récemment, un article très remarqué a évoqué « l'erreur de la droite sur l'Ukraine », reprochant aux voix conservatrices de méconnaître la situation stratégique et de se réfugier dans une dangereuse illusion irénique. Une telle critique est légitime. Elle mérite toutefois une analyse précise, non pas pour des raisons tactiques, mais pour des raisons stratégiques. Car derrière la demande de fournir toujours plus d'armes, d'exercer de plus en plus de pression, de montrer de plus en plus de « fermeté » se cache un discours sur la politique de sécurité qui n'est plus que partiellement compatible avec la réalité.
La faisabilité militaire comme dogme
Le point central de l'argumentation est la thèse selon laquelle la Russie ne serait prête à négocier que sous la pression militaire. Cette affirmation n'est pas nouvelle: elle imprègne la communication officielle de l'OTAN depuis le début de la guerre. Elle suppose qu'une Ukraine militairement inférieure, équipée de systèmes d'armes occidentaux, pourrait améliorer ses conditions de négociation face à une grande puissance continentale européenne disposant d'une couverture nucléaire et d'une défense stratégique en profondeur. Cette prémisse contredit toutefois la situation stratégique sur le terrain.
Depuis l'automne 2023, le conflit se meut dans une large mesure dans une impasse opérationnelle. Malgré un soutien occidental massif, les forces armées ukrainiennes n'ont pas réussi à inverser la tendance sur le plan opérationnel. Les contre-offensives de l'été 2023 n'ont eu aucun effet structurel. Malgré tous ses problèmes internes, la Russie a consolidé sa position le long des lignes de front. L'idée selon laquelle il serait possible d'« amadouer » la Russie sur le plan militaire et de la contraindre à négocier est donc dénuée de fondement factuel. À y regarder de plus près, elle est davantage motivée par des considérations politico-psychologiques que stratégiques.
La question cruciale : dans quelles conditions la Russie serait-elle disposée à négocier ?
Un deuxième point problématique dans le débat actuel est l'objectif implicite. La demande de livraisons d'armes n'a de sens sur le plan stratégique que si l'on sait clairement à quoi elles doivent servir et quel est l'objectif final qui serait politiquement réaliste. Or, c'est précisément là que le discours reste vague.
Faut-il chasser complètement la Russie des territoires occupés depuis 2014? L'Ukraine doit-elle être intégrée à l'OTAN, malgré les risques systémiques? Ou s'agit-il d'obtenir la meilleure position de négociation possible dans le cadre d'un cessez-le-feu à définir? Sans définition d'objectifs, toute mesure en reste à une sorte de politique symbolique. Or, une stratégie qui ne nomme pas ouvertement ses objectifs perd de sa légitimité, tant sur le plan intérieur qu'extérieur.
La Russie en tant qu'acteur systémique, et non en tant que variable
Un troisième angle mort perceptible en de nombreuses analyses sur l'Ukraine réside dans l'idée que la Russie est un partenaire de négociation prévisible et rationnel au sens occidental du terme. En réalité, l'action russe suit sa propre logique stratégique, ancrée dans une structure géopolitique profonde. Pour Moscou, l'Ukraine n'est pas un « État voisin », mais un tampon en matière de politique de sécurité – sur les plans historique, culturel et militaire.
L'adhésion de Kiev à l'OTAN n'est pas considérée en Russie comme une décision diplomatique, mais comme une menace existentielle. Que l'on partage ou non ce point de vue est secondaire. Ce qui est déterminant, c'est que ceux qui l'ignorent ne mènent pas une politique étrangère, mais se livrent à une projection de nature morale. Une solution à la guerre en Ukraine passe par la reconnaissance de cette perception stratégique, et non par sa délégitimation.
La perspective conservatrice : une politique d'intérêts plutôt qu'une illusion
Dans ce contexte, la position des acteurs conservateurs, qui sont sceptiques à l'égard des livraisons d'armes et misent sur la diplomatie, n'apparaît pas comme une « erreur », mais comme une tentative de ramener le conflit dans le cadre de la Realpolitik.
Le recours à la pensée classique en termes d'intérêts, de zones d'influence et de perceptions liées à la sécurité ne constitue pas un retour en arrière, mais une correction nécessaire du moralisme qui remplace le contrôle politique par l'indignation publique.
Ceux qui exigent que la Russie « perde » ne donnent pas de réponse concrète à la question de savoir ce que cela signifie exactement et comment cet objectif peut être atteint avec des moyens calculables sans franchir le seuil d'une escalade systémique. Ce sont précisément les positions conservatrices qui mettent en garde contre une extension du conflit sur le sol européen et misent sur des formes d'intervention diplomatique. Ces voix sont peut-être sous-représentées dans le discours médiatique. Mais contrairement à la rhétorique belliciste, elles apportent ce qui compte dans la crise: des options d'action.
Conclusion : la sécurité ne vient pas des vainqueurs, mais de l'équilibre
La guerre en Ukraine n'est pas un duel moral, mais un conflit stratégique entre deux systèmes ayant un impact mondial. Elle ne peut être résolue par des déclarations d'intention, mais par la gestion des intérêts, la minimisation des risques et la marge de manœuvre dans les négociations. Ceux qui présentent la politique de paix conservatrice comme un abandon de responsabilité méconnaissent le fait que la capacité à s'imposer des limites stratégiques n'est pas un signe de faiblesse, mais l'expression d'une sagesse politique. Dans une situation où aucun objectif militaire ou politique ne peut être clairement défini, continuer à s'armer n'est pas courageux, mais irresponsable.
Voir aussi :
« Alexander Wallasch : l'erreur historique de la gauche concernant l'Ukraine - https://www.alexander-wallasch.de/gastbeitraege/der-historische-ukraine-irrtum-von-links-dieser-krieg-wird-deutschland-ruinieren
11:45 Publié dans Actualité, Affaires européennes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : realpolitik, actualité, ukraine, allemagne, europe, affaires européennes | |
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Le Royaume-Uni se prépare à la guerre
Le Royaume-Uni se prépare à la guerre
Léonid Savin
Le 2 juin, le gouvernement britannique a publié le rapport naguère promis sur sa stratégie de défense, ce qui a donné un document de 140 pages présentant sa vision du développement des forces armées du pays, leur utilisation et les menaces qui pèsent sur le Royaume-Uni.
Le préambule souligne que « la menace à laquelle nous sommes confrontés aujourd'hui est plus grave et moins prévisible que jamais depuis la guerre froide. La Grande-Bretagne est confrontée à la guerre en Europe, à l'agression croissante de la Russie, à de nouveaux risques nucléaires et à des cyberattaques quotidiennes sur son propre territoire. Nos adversaires coopèrent de plus en plus entre eux, tandis que les technologies transforment les méthodes de guerre. Dans la guerre en Ukraine, les drones tuent plus de personnes que l'artillerie traditionnelle, et celui qui dotera le plus rapidement ses forces armées de nouvelles technologies aura l'avantage ».
Il est ensuite question d'un « changement majeur dans notre stratégie de dissuasion et de défense : le passage à une posture de préparation opérationnelle pour dissuader les menaces et renforcer la sécurité dans la région euro-atlantique. Alors que le Royaume-Uni assume davantage de responsabilités en matière de sécurité européenne, nous devons adhérer à la politique de défense « l'OTAN d'abord » et jouer un rôle de premier plan au sein de l'Alliance nord-atlantique. Le Royaume-Uni deviendra un leader en matière d'innovation au sein de l'OTAN ».
En bref, la nouvelle stratégie prévoit quatre axes qui devraient conduire à un certain effet de synergie.
Premièrement : le passage à l'état de préparation au combat — la création de « forces combinées » plus meurtrières, équipées pour l'avenir, et le renforcement de la défense nationale.
Deuxièmement : le moteur de la croissance économique — la création d'emplois et la prospérité grâce à un nouveau partenariat avec l'industrie, à des réformes radicales dans le domaine des achats et au soutien aux entreprises.
Troisièmement : « L'OTAN avant tout » : renforcer la sécurité européenne en assumant un rôle de premier plan au sein de l'Alliance, en renforçant le potentiel nucléaire, en utilisant les nouvelles technologies et en modernisant les armes conventionnelles.
Quatrièmement : une approche axée sur l'ensemble de la société: élargir la participation à la sécurité du pays et renouveler le contrat avec ceux qui servent.
Les responsables du groupe chargé de la préparation du document étaient George Robertson (photo), ancien secrétaire général de l'OTAN, le général Richard Barrons, ancien chef du commandement interarmées britannique, et Fiona Hill, issue du monde universitaire. Elle possède également la nationalité américaine et a travaillé à la Maison Blanche, où elle coordonnait la politique à l'égard de la Russie et de l'Europe au sein du Conseil national de sécurité des États-Unis.
Tous trois développent des opinions assez russophobes, ce qui a influencé le style de la stratégie et les termes utilisés dans celle-ci.
La Russie est mentionnée 33 fois dans le document, dans un contexte clairement négatif : « La Russie mène une guerre sur notre continent », « l'agression croissante de la Russie et les nouveaux risques nucléaires », « l'agression russe en Europe s'intensifie », « la Russie démontre sa volonté d'utiliser la force militaire, de nuire à la population civile et de menacer d'utiliser des armes nucléaires pour atteindre ses objectifs », etc.
En dressant la liste des menaces, les auteurs de l'étude tirent une conclusion sans équivoque : la Russie est une « menace immédiate et urgente ». Vient ensuite la Chine, qualifiée de « défi complexe et persistant ».
Parmi les autres menaces figurent la Corée du Nord et l'Iran, qualifiés de « destructeurs régionaux ». Dans le même temps, le renforcement des liens entre la Russie et la Chine avec ces deux pays se voit souligné, ce qui crée une nouvelle dynamique, et « les États émergents de taille moyenne peuvent être hostiles aux intérêts de la Grande-Bretagne ».
Cette étude rappelle des stratégies similaires élaborées aux États-Unis, où les quatre États mentionnés apparaissent constamment comme des menaces depuis l'époque de Barack Obama.
Cependant, la section consacrée aux défis technologiques donne le même sentiment de déjà-vu: elle énumère les technologies quantiques, l'hypersonique, les armes de haute précision, les robots, les cybermenaces, l'intelligence artificielle, les armes à énergie dirigée et la bio-ingénierie.
Il en va de même pour la section consacrée à la concurrence stratégique. Le rapport fait référence à un changement de priorités dans l'approche des États-Unis et propose de suivre la même voie, confirmant ainsi le statut de partenaire militaro-politique junior de Washington.
Et la concurrence stratégique, comme indiqué, est directement liée à la multipolarité croissante, où l'on mentionne à nouveau la Chine et la Russie, qui remettent en cause « l'ordre international fondé sur des règles » (tous les libéraux-mondialistes répètent ce mantra).
Mais ce ne sont là que des fleurs, comme on dit. Voici ce que les auteurs de l'étude envisagent de cultiver en proposant leurs prévisions sur l'évolution de la situation.
« Sur la base des méthodes de guerre existantes, si le Royaume-Uni mène une guerre entre les États membres de l'OTAN en 2025, il peut s'attendre à être soumis à certaines ou à toutes les méthodes d'attaque suivantes.
- Attaques contre les forces armées au Royaume-Uni et dans les bases étrangères.
- Attaques aériennes et balistiques (à l'aide de drones à longue portée, de missiles de croisière et de missiles balistiques) visant les infrastructures militaires et les infrastructures nationales critiques au Royaume-Uni.
- Tentatives visant à déstabiliser l'économie britannique, en particulier l'industrie qui soutient les forces armées, notamment par le biais de cyberattaques, de blocus maritimes et d'attaques contre les infrastructures spatiales critiques.
- Augmentation des cas de sabotage et de cyberattaques touchant les infrastructures critiques internes et externes.
- Tentatives de manipulation de l'information dans le but de saper la cohésion sociale et la volonté politique.
En ce qui concerne les vulnérabilités spécifiques, le rapport souligne la dépendance de l'île à l'égard des câbles Internet sous-marins, des importations alimentaires (environ 50 %), du gaz naturel norvégien, ainsi que la nécessité d'accéder à des métaux rares.
Outre la réorganisation de la structure des forces armées afin d'améliorer l'intégration des différentes branches de l'armée, le rapport mentionne le développement du secteur de la défense et la formation de personnel technique. Il souligne que la création de plates-formes pour les chars et les avions nécessite un cycle d'au moins cinq ans, tandis que le développement de petits systèmes tels que les drones peut prendre plusieurs mois.
Il est prévu de créer un département de contre-espionnage militaire au sein des services de renseignement, ainsi que de fusionner les services chargés de la cyberguerre et du spectre électromagnétique.
Les partenaires de la Grande-Bretagne dans le cadre d'une riposte hypothétique à ces menaces sont également désignés. Il s'agit en premier lieu des États-Unis, des pays de l'OTAN, puis de l'Ukraine.
À propos de cette dernière, il est dit que «c'est un moment décisif pour la sécurité collective en Europe, qui ne se produit qu'une fois dans une vie: garantir un règlement politique durable en Ukraine, garantissant sa souveraineté, son intégrité territoriale et sa sécurité à l'avenir, est essentiel pour dissuader la Russie de poursuivre son agression dans toute la région».
Afin de ne pas manquer cette occasion unique, qui ne se présente qu'une seule fois, le Royaume-Uni devrait doubler son aide à l'Ukraine, qui s'élève à 3 milliards de livres sterling, et la maintenir aussi longtemps que nécessaire.
Les auteurs précisent les mesures à prendre pour renforcer cette aide: «Par exemple, en développant les co-entreprises entre les industries de défense britannique et ukrainienne et, dès la fin du conflit immédiat, en aidant l'Ukraine à accéder à de nouveaux marchés pour son industrie de défense, notamment pour l'entretien et la modernisation des équipements soviétiques obsolètes utilisés par des pays tiers».
Mais cela ne se limite pas aux anciens équipements soviétiques: «Le ministère de la Défense doit également tirer les leçons de l'expérience remarquable de l'Ukraine en matière de guerre terrestre, d'utilisation de drones et de conflits hybrides afin d'élaborer sa propre approche moderne de la conduite des opérations militaires».
Ce passage montre clairement qu'il ne faut pas se faire d'illusions sur la raison des élites politiques occidentales, qui continueront à provoquer une escalade délibérée. Dans ce scénario, l'Ukraine est à la fois un terrain d'essai pour évaluer de nouvelles formes et de nouveaux moyens de mener un conflit armé, et un instrument direct contre la Russie.
Toutefois, les auteurs du document n'ont pas seulement mentionné l'orientation européenne.
Ils ont également souligné les intérêts de la Grande-Bretagne dans la région indo-pacifique (avec la base de Diego Garcia), dans l'Atlantique (en particulier les îles Malouines, que l'Argentine appelle Malvinas et considère comme siennes) et à Gibraltar (dont l'Espagne revendique légitimement le territoire).
Le document montre également un intérêt pour la production d'un nombre important de missiles à longue portée. Et dans les recommandations, il est mentionné la nécessité de porter les effectifs des forces armées à 100.000 personnes, dont 83.000 seront des soldats réguliers et les autres des réservistes.
Les indicateurs quantitatifs sont mentionnés en raison des problèmes actuels de recrutement de l'armée britannique.
Selon les données officielles, depuis la fin du service obligatoire en 1960, les effectifs des forces régulières britanniques ont diminué de 74%. Au cours de l'année qui a suivi avril 2024, 1140 militaires ont démissionné. L'année précédente, ils étaient 4430 de plus.
Dans son rapport sur l'état de préparation des forces armées publié en février 2024, le Comité de sélection pour le service militaire a exprimé son inquiétude face aux problèmes de recrutement et de fidélisation des militaires. Dans une déclaration orale devant la Commission des comptes publics en avril 2025, le chef d'état-major de la défense, l'amiral Tony Radakin, a reconnu le problème, mais a déclaré qu'il « s'atténuait ».
La presse britannique a qualifié cette nouvelle étude de tentative de promotion du « keynésianisme militaire » afin d'obtenir le soutien budgétaire nécessaire.
Et il faudra soutirer des sommes considérables aux contribuables.
Les dépenses importantes seront vraisemblablement consacrées aux missiles, à la construction de nouveaux sous-marins de combat et à la fabrication de munitions pour ceux-ci. L'achat aux États-Unis d'avions multifonctionnels F-35A, certifiés pour le transport de la bombe nucléaire gravitationnelle B61-12, dont la puissance maximale est de 50 kilotonnes, est également envisagé. Au total, 15 milliards de livres sterling seront investis dans la modernisation de la production d'armes nucléaires.
Compte tenu des faiblesses des blindés britanniques, confirmées par les combats en Ukraine, il sera probablement nécessaire de créer de nouveaux prototypes de chars et de véhicules blindés.
Le rapport mentionne également la formation d'une milice dirigée par des volontaires, qui aidera à protéger les aéroports, les centres de communication et d'autres infrastructures nationales critiques contre les drones et autres attaques surprises. À cet égard, la Grande-Bretagne a clairement suivi l'exemple de la Pologne et de certains autres pays de l'UE qui, pris de panique, ont déjà commencé à créer des formations similaires pour « se défendre contre la Russie ».
En général, sur le plan diplomatique, il faut clairement s'attendre à une sorte de démarché, sinon de la part de la Chine, de l'Iran et de la Corée du Nord, du moins de la part de la Russie, car le comportement hostile de Londres est désormais renforcé par une rhétorique et des intentions agressives.
Mais si l'on lit entre les lignes et que l'on tient compte du contexte international et politique interne, l'aperçu présenté devrait inquiéter les Britanniques eux-mêmes.
Les dernières élections ont montré que la méfiance à l'égard du gouvernement actuel augmente, tout comme les possibilités de sécession en Irlande du Nord et en Écosse. Compte tenu des précédents historiques, les forces armées britanniques pourraient être utilisées à l'intérieur du pays pour réprimer des troubles. Et les symptômes d'éventuelles émeutes civiles au Royaume-Uni deviennent chaque jour plus visibles.
11:19 Publié dans Actualité, Affaires européennes, Militaria | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : grande-bretagne, royaume-uni, défense, europe, affaires européennes, bellicisme | |
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