samedi, 04 octobre 2025
La rivalité entre Moscou et Washington dans le monde turcophone
La rivalité entre Moscou et Washington dans le monde turcophone
Stefano Vernole
Source: https://telegra.ph/La-rivalit%C3%A0-tra-Mosca-e-Washingto...
Le grand partenariat eurasiatique représente en effet la seule carte dont disposent Moscou et Pékin pour concilier leurs projets d’infrastructures dans la région.
Tandis que l’administration Trump joue la carte de la séduction face aux «swing states» en les attirant avec de nouveaux accords énergétiques — comme celui proposé à la Turquie pour l’achat de son GNL, devenu manifestement moins attrayant après le doublement de la connexion énergétique russo-chinoise — et dans les secteurs de la technologie nucléaire civile et de l’aviation, ou proposé au Kazakhstan et à l’Ouzbékistan, avec 12 milliards de dollars dans les secteurs aérien, ferroviaire et dans celui des matières premières, la Russie mise sur une stratégie globale et promeut le concept « Altaï, patrie des Turcs » ainsi que le projet « Grand Altaï » comme contrepoids à l’Organisation des États turciques (OTS). Par le biais de conférences, d’expéditions et d’initiatives soutenues par l’État, Moscou cherche à se positionner non comme un acteur marginal dans le monde turc, mais comme son centre historique et culturel, notamment après la médiation nécessaire atteinte avec Istanbul en Syrie après la chute d’Assad.
Selon divers documents publiés, la Russie commence à percevoir l’OTS comme un défi à sa présence en Asie centrale, et la narration de l’Altaï présente la région Sayan-Altaï comme le berceau des langues, des États et de la culture turcs aux 6ème-7ème siècles. Les historiens et fonctionnaires russes soulignent combien l’Altaï est le lieu d’origine sacré des peuples turcs et représente un espace de coexistence entre communautés slaves et turques au nom d’une origine eurasiatique commune.
Cette vision de la translatio imperii permet à Moscou de se présenter en «gardienne» du patrimoine turc, tout comme la Turquie l’a fait, à l’inverse, avec la gestion de Sainte-Sophie à Istanbul.
Des conférences comme le Forum international de l’Altaï à Barnaoul, la publication de la Chronique de la civilisation turque et des programmes pour la jeunesse en turcologie donnent à ce récit un certain poids académique. Cette approche met en lumière le rôle de la Russie comme centre de civilisation et non comme périphérie.
Moscou promeut le projet « Grand Altaï » comme une initiative transfrontalière reliant la Russie, le Kazakhstan, la Mongolie et la Chine. Les objectifs proclamés du projet en matière d’écologie, d’échanges scientifiques et de renaissance culturelle s’alignent sur des objectifs politiques plus larges: renforcer le patrimoine turc dans une identité eurasiatique; étendre le soft power russe à travers des projets transfrontaliers; démontrer la capacité à établir des plateformes d’interconnexion alternatives.
En juillet 2025, le Premier ministre Mikhaïl Michoustine a accueilli à Manzherok, en République de l’Altaï, des dirigeants venus du Kazakhstan, d’Arménie, de Biélorussie et d’autres pays. Bien que présenté officiellement comme un forum environnemental, l’événement a aussi servi de plateforme pour discuter d’intégration et de commerce, révélant ainsi sa nature géopolitique sous couvert culturel.
Les États d’Asie centrale cherchent à équilibrer prudemment les deux cadres.
Le Kazakhstan a reconnu l’Altaï comme une « patrie sacrée de la civilisation turque », tout en s’engageant activement dans des projets lancés par l’Organisation des États turciques (OTS), tels que le livre d’histoire turc commun et l’alphabet unifié. L’Ouzbékistan et le Kirghizistan participent à des festivals et expéditions sur l’Altaï, obtenant une légitimité culturelle sans engagements politiques plus profonds.
Pendant ce temps, les initiatives de l’OTS continuent de progresser. Le livre d’histoire, coordonné par l’Académie turque, est en cours de rédaction et l’alphabet unifié, approuvé en 2024, est introduit progressivement. La Russie observe les deux initiatives avec suspicion, craignant que le nationalisme turcophone ne soit utilisé contre l’intégration eurasiatique.
Plutôt que d’affronter directement l’OTS, la Russie insère l’Altaï dans des stratégies eurasiatiques plus larges, y compris les programmes culturels de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) et le dialogue avec l’Union économique eurasiatique (UEE). La compétition concerne cependant moins l’interprétation historique que la définition de futures constellations d’influence.
La stabilité de l’Asie centrale est devenue une composante essentielle de la stabilité même de la République populaire de Chine. Le Traité de bon voisinage, d’amitié et de coopération éternelle, signé à Astana le 17 juin 2025, engage six parties à ne pas s’aligner l’une contre l’autre, à la modération réciproque, aux consultations et à l’élargissement de la coopération en matière de sécurité et d’économie, tout en intégrant les principes de souveraineté et d’intégrité territoriale, et en permettant des liens opérationnels plus profonds.
Les récents sommets de Xi’an et d’Astana ont créé 13 plateformes de coopération et mis en place un Secrétariat pour en coordonner la mise en œuvre. En juillet 2025, la Chine et ses partenaires d’Asie centrale ont inauguré des centres de coopération au Xinjiang pour la réduction de la pauvreté, l’échange éducatif et la prévention de la désertification. Leur mission est pratique: emplois ruraux, formation professionnelle, transfert de technologies et gestion environnementale afin de réduire les racines de l’insécurité.
Les corridors économiques terrestres à travers le Kazakhstan, le Kirghizistan, le Tadjikistan, le Turkménistan et l’Ouzbékistan revêtent aujourd’hui une importance stratégique. L’Asie centrale offre à Pékin une diversification des routes, des tampons physiques contre les chocs maritimes et un accès aux marchés adjacents. La Chine a approuvé la troisième connexion ferroviaire Chine-Kazakhstan, a avancé la ligne Chine-Kirghizistan-Ouzbékistan après des décennies de négociations et a amélioré les routes avec le Tadjikistan. Les services de conteneurs se sont étendus et le corridor transcaspien a vu sa capacité et sa coordination améliorées. Pékin combine la logistique au pilotage sécuritaire: gestion des frontières, partage de données et formations conjointes, souvent sous l’égide de l’OCS.
Le grand partenariat eurasiatique représente en effet la seule carte dont disposent Moscou et Pékin pour concilier leurs projets d’infrastructures dans la région, fournir à l’Asie centrale la connectivité nécessaire à son essor économique et empêcher les États-Unis d’y créer un foyer de déstabilisation de toute l’Eurasie.
La stratégie du président Vladimir Poutine de centraliser le pouvoir dans la Fédération de Russie a des implications particulières pour les régions frontalières russes, qui ont poursuivi un dialogue avec les États voisins. Le territoire de l’Altaï et la République de l’Altaï — deux régions frontalières russes du sud-ouest de la Sibérie — participent ainsi à une initiative régionaliste avec les régions voisines de la Chine, du Kazakhstan et de la Mongolie. Cette alliance régionale multilatérale entre administrations infranationales vise à coordonner les politiques de développement économique dans la sous-région des monts Altaï. Ses perspectives dépendent en grande partie du soutien politique et économique des autorités fédérales russes, mais aussi du consensus chinois et de l’élaboration d’un soft power eurasiatique plus que jamais nécessaire au vu des défis géostratégiques actuels.
18:05 Publié dans Actualité, Géopolitique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : asie centrale, actualité, pays turcophones, turcophonie, asie, chine, russie, altaï, affaires asiatiques, connectivité, géopolitique | |
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