Les deux prénoms – Pol et Roger – font irrésistiblement songer au champagne que prisait tant le second. Quand Pol Vandromme m’a proposé, au mitan des années 80, d’éditer un livre sur les relations croisées entre Céline, Roger Nimier et Marcel Aymé, j’ai naturellement trouvé l’idée excellente. Cela a donné cet essai qui restitue admirablement l’amitié et l’estime qui liaient ces écrivains¹. C’est d’ailleurs Aymé qui présenta Nimier à Céline. Tout cela est connu ; ce qui l’est un peu moins, c’est l’amitié entre Pol, le hussard belge, et Roger l’Ariel, tel que le baptisa Céline.
Terrible chagrin que celui qui terrassa l’auteur de La Droite buissonnière à l’automne 62. Cette lettre écrite après les obsèques en témoigne : « J’étais aux funérailles de Roger Nimier. Mais j’ai quitté Garches tout de suite pour me rendre à Saint-Brieuc (avec Philippe Héduy, Antoine Blondin, et Jacques Perret), où avait lieu l’inhumation. (…) La disparition de Roger Nimier me laisse désemparé. Je suis, pour le moment, recru de fatigue et de chagrin. Nous voilà un peu plus seuls encore, et privés du meilleur d’entre nous (du plus fidèle, du plus fervent, du plus ingénieux), – ce qui n’arrange rien. »²

Témoignage poignant qui fait désormais partie de l’histoire littéraire, tout comme la fameuse dédicace « au maréchal des logis Destouches, qui paie aujourd’hui trente ans de génie et de liberté, respectueusement, le cavalier de 2e classe Roger Nimier, février 1949 »³. Cent ans exactement après sa naissance – il est né un 31 octobre –, ce numéro entend rendre hommage à celui qui contribua à la réhabilitation de Céline sur la scène littéraire. Il le fit d’une double façon : par ses articles dans la presse foisonnante de l’époque et par son rôle de conseiller littéraire chez Gallimard.


Céline lui en saura gré comme en témoigne cette autre dédicace : « Vous serez toujours mon premier critique. Bon voyage et à bientôt cher Roger, fidèlement et amicalement. » Elle figure précisément sur son exemplaire de D’un château l’autre dont la réception critique n’eut pas été la même sans son entregent. Mais Nimier ne fut pas que cet intercesseur habile. Romancier, critique, scénariste, journaliste, ses talents multiples ne pouvaient que susciter la jalousie des ratés. Ceux qui furent regroupés sous la bannière des “hussards” n’étaient pas moins talentueux. Ayant confié un jour à Vandromme que, de ce cénacle, ce sont les romans de Jacques Laurent qui avaient ma préférence, je le vis tiquer : c’est qu’il ne lui avait pas pardonné certain propos condescendant à l’égard de Nimier. La fidélité de Pol envers Roger était sourcilleuse4.

Et je n’ai garde d’oublier que c’est grâce à ce dernier que parut la première monographie consacrée à Céline5. Par sa mort tragique, Nimier demeure à jamais une figure de légende. Elle ne devrait pas estomper le merveilleux écrivain qu’il est. Puisse ce numéro susciter l’envie de découvrir une œuvre souvent mentionnée mais peu lue en définitive6.
- (1) Pol Vandromme, Marcel, Roger et Ferdinand, Éd. de la Revue célinienne, 1984.
- (2) Cf. Christian Dedet, Sacrée jeunesse (Chronique des sixties), Éd. de Paris, 2003, p. 416. Lettre reprise par l’auteur dans Roger Nimier, Antoine Blondin, Jacques Laurent et l’esprit hussard, P.-G. de Roux, 2012, p. 105.
- (3) Dédicace sur un exemplaire des Épées envoyé au Danemark.
- (4) Voir Pol Vandromme, Roger Nimier, Éd. Jacques Antoine, 1977. Réédité en 2002 aux éditions Vagabonde.
- (5) Due à Marc Hanrez, elle parut en novembre 1961 dans la collection “La Bibliothèque idéale” de Gallimard.
- (6) Mon appel à célébrer Nimier a été tellement bien entendu que tous les textes reçus ne peuvent trouver place dans ce numéro ; merci à Patrick Wagner (qui va également commémorer le centenaire de Nimier) de recueillir, en décembre prochain, ces textes dans sa revue Livr’arbitres.
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