mardi, 27 mai 2014
Chine, Russie, UE et gaz
Lettre de Charles Sannat
Chine, Russie, UE et gaz
"Mes chères contrariennes, mes chers contrariens !
Depuis plusieurs semaines, la rumeur courait et devenait de plus en plus insistante sur les négociations en cours entre la Russie et la Chine concernant la signature d’un contrat de fourniture de gaz d’ampleur historique digne de faire basculer les traditionnels rapports de forces géostratégiques.
En effet, la Chine et la Russie viennent d’annoncer officiellement, dans le cadre du voyage de Poutine dans l’empire du Milieu, la signature d’un contrat à… 400 milliards de dollars ! Colossal, surtout que ces ventes de gaz ne devraient pas forcément être libellées en dollars puisque derrière tout cela se joue une bataille féroce pour tenter de contrer la domination américaine du monde aussi bien politique qu’économique.
Souvenez-vous de l’épisode du relèvement du plafond de la dette américaine. La Chine furieuse avait indiqué qu’il était temps de désaméricaniser le monde… c’est véritablement en marche et la vitesse de changement est même assez incroyable.
La Russie menace sans ambiguïté l’Europe de couper le gaz
C’est un article des Échos qui revient sur la dernière sortie du Premier ministre russe Dmitri Medvedev alors que son patron Poutine est en Chine.
« Le Premier ministre russe Dmitri Medvedev a quant à lui mis la pression sur l’Occident mardi en évoquant la «possibilité théorique» d’une réorientation vers la Chine des exportations de gaz russe qui n’iraient plus vers l’Europe. «Nous avons suffisamment de réserves, suffisamment de gaz pour livrer du gaz et à l’est, et à l’ouest. Mais si l’on envisage le pire, de manière purement théorique le gaz qui se serait pas livré en Europe peut être envoyé (…) en Chine», a-t-il déclaré dans un entretien à Bloomberg. »
En clair, à compter d’aujourd’hui, la Russie ne dépend plus financièrement parlant de ses exportations de gaz vers les pays européens mais l’Europe dépend encore, elle, de ses importations de gaz russe.
Vous ne devez pas oublier qu’il n’existe pas de gazoduc traversant l’Atlantique et capable de nous livrer le gaz issu des gaz de schistes américains. Il faut donc liquéfier le gaz US dans d’immenses terminaux construits à cet effet (ce qui est en cours mais pas tout à fait encore achevé) puis remplir de tout ça d’immenses bateaux appelée « méthaniers » et capables de nous livrer… Remplacer le gaz russe par une flotte entière de bateaux prendra des années, et nous coûtera particulièrement cher.
En clair, désormais la Russie n’est plus dépendante de nos achats de gaz puisqu’elle peut vendre tout son gaz à la Chine, en revanche, nous sommes encore dépendants du gaz russe, puisque les Américains ne sont pas encore en mesure de nous livrer les quantités importantes dont nos pays ont besoin.
Victoire par KO de Poutine et évidemment l’Union européenne, grand nain devant l’éternel, qui se retrouve encore être le dindon de la farce de l’affrontement américano-russe pour le leadership mondial. C’était prévisible et je ne me suis pas gêné pour l’écrire et pour le dire.
Russie-Chine : élargir l’usage réciproque des monnaies nationales
Mais l’accord sino-russe ne va s’arrêter uniquement à la fourniture de gaz puisque tout cela s’accompagne également d’un accord monétaire comme nous l’apprend cette dépêche de l’Agence de presse RIA Novosti :
« La Russie et la Chine envisagent d’utiliser plus largement leurs monnaies nationales – le rouble et le yuan – dans leurs échanges commerciaux et leurs investissements réciproques, indique la déclaration conjointe signée mardi à l’issue de négociations entre les présidents russe et chinois Vladimir Poutine et Xi Jinping.
«Les parties envisagent d’entreprendre de nouvelles démarches pour élever le niveau et élargir les domaines de coopération pratique russo-chinoise. Il s’agit d’engager une interaction étroite dans le secteur financier, y compris d’augmenter le volume des règlements directs en monnaies nationales russe et chinoise dans le commerce, les investissements et l’octroi de crédits», lit-on dans la déclaration sur l’ouverture d’une nouvelle étape de partenariat et de coopération stratégique entre les deux pays.
La Russie et la Chine stimuleront également les investissements réciproques, notamment dans les infrastructures de transport, l’exploitation de gisements de minéraux utiles et la construction de logements bon marché en Russie. »
Il n’aura échappé à personne que le roi dollar n’est le roi que parce qu’il sert de devise de référence à l’ensemble des flux commerciaux à travers la planète et en particulier à l’achat des matières premières énergétiques comme le pétrole et le gaz d’où le nom justement de « pétro-dollars » !
Or, par cet accord, la Chine et la Russie viennent de mettre officiellement un terme à la suprématie du dollar dans les échanges internationaux. C’est une première et c’est une information d’une importance capitale.
Vous assistez ni plus ni moins à la désaméricanisation et à la dédollarisation du monde. Nous passons d’un monde unipolaire, où l’hégémonie américaine était totale depuis la chute du mur de Berlin, à un monde à nouveau multipolaire avec un immense bloc formé par la Chine et la Russie d’un côté et les USA qui, en l’absence d’un Traité transatlantique que l’on vous fera avaler de force tant il devient une question de survie pour l’Empire américain, se retrouveraient tout simplement isolés.
L’UE « supplie » Poutine de ne pas interrompre les livraisons de gaz à l’Europe
Alors notre Union européenne, qui est allée jouer aux apprentis sorciers en Ukraine et qui a provoqué sciemment « l’ogre » russe, se retrouve au milieu du gué, totalement à la merci des menaces de coupure de livraison du gaz russe.
Alors notre benêt béat de président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, vient d’écrire une lettre à Vladimir en disant :
« Tant que se poursuivent les discussions à trois, entre la Russie, l’Ukraine et l’UE, les livraisons de gaz ne devraient pas être interrompues. Je compte sur la Fédération de Russie pour maintenir cet engagement. » Ou encore « il est impératif que toutes les parties continuent de s’engager de manière constructive dans ce processus, et se mettent d’accord également sur un prix qui reflète les conditions de marché », écrit Barroso pour qui cela « relève de la responsabilité de la compagnie russe Gazprom que d’assurer les livraisons des volumes requis comme prévu dans les contrats passés avec les compagnies européennes »…
Mais à tout cela il fallait y réfléchir avant d’aller allumer le feu en Ukraine, et il est évident que Vladimir Poutine, à défaut de déclencher la Troisième Guerre mondiale (car il n’est pas fou, contrairement à ce que la propagande de nos médias tente de nous faire avaler), nous fera payer au prix fort notre alignement stupide et sans recul sur des positions américaines absolument incompatibles avec les intérêts géostratégiques fondamentaux de l’Europe.
Une Europe au bout d’un mois de crise ukrainienne réduite à supplier Vladimir Poutine de ne pas couper le robinet de gaz.
Une Europe qui, encore une fois, et vous en avez une preuve une fois de plus qui risque de s’avérer douloureuse, qui est fondamentalement plus un problème que la solution".
Charles Sannat*, Le Contrarien matin du 22 mai 2014
*Directeur des études économiques chez AuCOFFRE.com
00:05 Publié dans Actualité, Affaires européennes, Géopolitique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : politique internationale, chine, russie, europe, affaires européennes, eurasie, eurasisme, gazoducs, gaz, hydrocarbures, accords gaziers, actualité, géopolitique | | del.icio.us | | Digg | Facebook