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vendredi, 08 juillet 2022

Crise militaire, énergétique et alimentaire

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Crise militaire, énergétique et alimentaire

Par Daniele Perra

Source: https://www.eurasia-rivista.com/crisi-militare-energetica-e-alimentare/

Début juin, le Center for Strategic and International Studies ("think tank" très proche du Pentagone et de l'industrie américaine de l'armement dont il est copieusement financé) a publié un article (intitulé "The longer-term impact of the Ukraine conflict and the growing importance of the civil side of the war") qui décrit bien un certain changement de paradigme dans l'approche nord-américaine du conflit en Europe de l'Est. Il semble désormais tout à fait possible que l'Ukraine ne regagne pas son territoire à l'est, qu'elle ne reçoive pas les niveaux d'aide dont elle a besoin pour se reconstruire rapidement, qu'elle soit confrontée à des menaces permanentes de la Russie à l'est qui limiteront sa capacité à recréer une zone industrialisée, et qu'elle soit confrontée à des problèmes majeurs en termes de commerce maritime.

En sachant pertinemment que très peu de personnes au sein de l'administration américaine étaient convaincues de la possibilité réelle d'une "victoire totale" de l'Ukraine dans ce conflit (l'objectif a toujours été de le prolonger jusqu'au bout, de "se battre jusqu'au dernier Ukrainien", comme l'a souligné Franco Cardini), l'article montre néanmoins un net changement en termes de rhétorique officielle si l'on considère qu'il déclare également que seule une "infime partie" des attaques des Russes sur le sol ukrainien peut être formellement définie comme des crimes de guerre.

En fait, des décennies d'élucubrations (dans de nombreux cas, elles étaient une fin en soi) sur la soi-disant "guerre hybride" (également produites en Russie même, pensez à la "doctrine Gerasimov") ont obscurci l'esprit des "stratèges" et des "analystes" occidentaux qui n'ont pas été préparés à une nouvelle guerre conventionnelle menée par l'utilisation coordonnée (et à grande échelle) de moyens militaires, politiques et économiques. Et dans laquelle le terrorisme informationnel et la manipulation psycho-cognitive ont principalement touché le camp occidental non directement belligérant, où les médias ont sciemment choisi d'exploiter la "tragédie" en la séparant de ses causes, afin d'en inverser la responsabilité dans l'espace et le temps.

En particulier, passant outre les analyses extemporanées qui, dès la fin du mois de février, montraient la Russie prise au piège et la stratégie américaine gagnante sur toute la ligne, peu d'entre eux ont immédiatement pris conscience du niveau global du conflit: c'est-à-dire des profonds changements que l'affrontement entraînait rapidement dans la structure économique, financière et géopolitique mondiale existante et de la crise tout aussi profonde dans laquelle il plongeait (et plonge encore) l'Occident (surtout sa composante européenne) sur le plan économique et militaire.

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C'est précisément l'Europe qui, au lieu de réagir de manière hystérique, aurait dû conserver la capacité nécessaire d'analyse politico-militaire des événements, afin de limiter immédiatement les dégâts et de freiner un conflit dont la prolongation accroît de jour en jour les effets dévastateurs sur la sécurité et l'économie du continent. En effet, pour paraphraser Carl Schmitt, elle s'inspire de la principale puissance anti-européenne de l'histoire contemporaine: les Etats-Unis d'Amérique. Un tel conflit, quelle qu'en soit l'issue, exige une refonte totale (ou plutôt une restructuration) des forces militaires et des armées des différentes nations européennes, qui ont été réduites de moitié à la fin de la guerre froide et regroupées au sein de l'alliance inégale que l'on appelle l'OTAN: un instrument qui (pour Washington) a eu le "mérite" de transformer la possible menace soviétique de représailles nucléaires contre les États-Unis en la certitude inévitable d'une guerre de dévastation nucléaire et conventionnelle en Europe.

Ce discours, cependant, nécessite d'abord une analyse des événements de la guerre d'Ukraine de ces derniers mois. La pénétration initiale des forces russes le long des frontières nord et est de l'ancienne république soviétique avait créé un front de plus de 1500 km (très long par rapport au nombre de troupes initialement déployées par Moscou, environ 150.000 plus 50.000 soldats des républiques séparatistes). Ce chiffre a été réduit de moitié après le retrait russe des régions de Kiev, Cernihiv et Sumy et la concentration consécutive des forces dans le Donbass (dont la "libération" reste l'objectif déclaré) et dans les régions de Kherson, Mikolayv, Melitopol et Zaporizhzhia. L'Ukraine, pour sa part, a pu déployer 250.000 hommes entre les forces régulières, la Garde nationale et les milices incorporées à l'intérieur du pays (tristement célèbres pour les crimes de guerre commis au cours des huit années du précédent conflit) [2]. Ils ont été rejoints par environ 7000 mercenaires étrangers (principalement des mercenaires français, polonais, géorgiens, canadiens et américains, pour la plupart bien entraînés et revenant d'autres théâtres de guerre). Selon des sources militaires russes, 2000 de ces "combattants internationaux" sont tombés au combat, tandis que 2000 autres ont abandonné le front, se plaignant de la violence excessive des combats [3].

Or, il convient de préciser d'emblée qu'en termes de nombre et de moyens employés, ce conflit (malgré les limites que Moscou s'est imposées en matière de contrôle de l'espace aérien et l'utilisation, pour la plupart, de véhicules obsolètes) n'est comparable ni aux guerres des Balkans (à l'exception des 78 jours de bombardements de l'OTAN sur la Serbie) ni aux guerres occidentales en Irak et en Afghanistan, ni à l'agression contre la Libye. Entre mars et avril 2003, la "coalition des volontaires", par exemple, a affronté une armée irakienne en déroute après plus d'une décennie de régime de sanctions. Et ces guerres peuvent être classées dans le cadre d'"affrontements asymétriques" dans lesquels la plupart des opérations militaires sont de nature anti-insurrectionnelle (y compris les grandes campagnes telles que Falluja en Irak, où 15.000 Anglo-Américains ont réussi avec beaucoup de difficultés, et très probablement grâce à l'utilisation d'armes au phosphore, à venir à bout de 4000 insurgés).

Le 17 juin, le ministère de la Défense à Kiev a admis que l'Ukraine perdrait environ 50 % de ses capacités militaires totales (le pourcentage est probablement plus élevé). À peu près au même moment, le président ukrainien Volodymyr Zelensky, puis son assistant David Arakhamia, déclarent respectivement que les pertes ukrainiennes sont de 100 puis de 1000 par jour.

Il est très difficile de savoir si ces chiffres sont réels ou le résultat de la propagande et du besoin pressant de nouvelles aides occidentales. Cependant, ils mettent en évidence le fait qu'un tel volume de pertes (comme nous avons déjà essayé de le démontrer dans l'article précédent Guerre démographique et économique) est en tout cas insoutenable pour Kiev à long terme. Surtout si l'on tient compte du fait que certaines divisions de l'armée ukrainienne, laissées sans ordres et sans soutien logistique dans la zone (hostile) de Severodonetsk, auraient subi des pertes s'élevant à 90 % de leurs effectifs.

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Les services de renseignement britanniques et nord-américains parlent de plus de 15.000 victimes dans le camp russe (plus ou moins l'équivalent de dix ans de guerre en Afghanistan dans les années 1980). Kiev affirme avoir neutralisé 33.600 soldats ennemis. Le volume réel des pertes des deux côtés ne peut être établi avec certitude [4]. Comme l'a déclaré l'analyste Gianandrea Gaiani, même si les pertes russes étaient de moitié (7500), cela resterait un nombre élevé selon les normes occidentales actuelles (et non selon un modèle de guerre conventionnel). En effet, il faut savoir que les principales armées européennes (France, Allemagne et Italie), réduites en nombre mais à fort contenu technologique, disposent en moyenne d'environ 80.000 hommes et d'un nombre limité de véhicules blindés et d'avions. En outre, l'armée italienne a un âge moyen de 39,8 ans parmi les volontaires en service permanent, dont plus de 57% ont plus de 40 ans [5]. Dans l'éventualité d'un conflit conventionnel dans lequel elles devraient faire tourner des troupes sur la ligne de front, aucune de ces armées ne serait capable de déployer plus de 15.000 hommes à la fois dans la bataille avec une résilience limitée à quelques semaines en cas de taux de pertes élevé et d'utilisation intensive des munitions. En particulier, aucune armée européenne ne semble préparée à un conflit mené principalement dans la dimension terrestre, décisive lorsque l'enjeu est la recherche (comme dans le cas russe) d'un espace vital (ou espace de sécurité) refusé dans sa totalité (physiquement et virtuellement) par l'Occident. C'est pourquoi le "blocus" de Kaliningrad, même s'il est étudié stratégiquement comme un instrument de pression dans les négociations, s'avère assez risqué, surtout à la lumière du non-respect des accords de transit entre l'enclave et le reste du territoire russe élaborés par Moscou et Bruxelles au début des années 2000.

Cela devrait expliquer la réticence mal dissimulée de nombreux gouvernements européens à déclarer ouvertement le montant et les caractéristiques de l'aide militaire envoyée à l'Ukraine (peut-être plus limitée qu'on ne le pense), alors que, au contraire, le ministère américain de la Défense a choisi de publier en détail la valeur et la quantité de chaque article spécifique envoyé. Le site informatique du gouvernement nord-américain indique que, depuis le 24 février, les États-Unis ont fourni 5,6 milliards de dollars d'aide militaire à l'Ukraine (8,6 "investis" au total depuis 2014). Ces fournitures comprennent : 1400 systèmes de défense antiaérienne Stinger, 6500 missiles antichars Javelin, 126 obusiers M777, des drones tactiques Puma, 20 hélicoptères Mi-17 (dont 16 étaient en possession de l'armée de l'air afghane), 7000 armes légères et 50 millions de munitions, plus de 700 munitions détournées [6].

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Toutefois, en partie en raison du changement de paradigme susmentionné, il a été décidé de ne pas envoyer d'"armes offensives" telles que les drones Grey Eagle en raison du risque (très élevé) que leur technologie sophistiquée tombe entre les mains des Russes.

Si les données militaires ne sourient pas à l'Europe, les données économiques sont dramatiques. Plus précisément, le problème de l'approvisionnement en énergie (avec des prix en constante augmentation) entraînera une crise économique structurelle dont il sera très difficile de sortir, étant donné que les tentatives désespérées de diversification n'auront aucun impact à court terme. L'idée même de pouvoir compter immédiatement sur le GNL nord-américain, à l'heure où Gazprom coupe ses approvisionnements en réponse au régime de sanctions, semble avoir été tuée dans l'œuf après qu'un mystérieux accident (pour le plus grand plaisir du marché intérieur américain) a mis hors service le terminal GNL de Freeport au Texas (photo), d'où partent les méthaniers qui acheminent le gaz liquéfié vers l'Europe [7].

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Le régime de sanctions pratiquement auto-imposé par l'UE a également sapé le "Green Deal" et la transition supposée vers une économie à émissions nulles d'ici 2050 [8]. Une telle approche nécessite des ressources et des investissements considérables pour développer de nouvelles technologies et procéder à une véritable restructuration énergétique. Des ressources qui, à l'heure actuelle, ne sont plus disponibles, car le coût de plus en plus élevé de l'énergie réduit considérablement la compétitivité des économies européennes à l'échelle mondiale. Le Green Deal inclut inévitablement le développement d'infrastructures pour le stockage et le transport des énergies renouvelables. En outre, les matériaux utilisés pour la production de technologies liées aux énergies renouvelables (panneaux solaires, batteries de stockage, véhicules électriques) sont fabriqués à partir de métaux rares (cobalt, nickel, manganèse, lithium) que l'UE importe et pour lesquels la Russie détient d'importantes parts de marché avec la capacité relative d'influencer leur développement. Moscou est le deuxième plus grand producteur de cobalt et le troisième plus grand producteur de nickel au monde. Le premier producteur européen de manganèse est l'Ukraine (huitième au monde), bien que cette production soit concentrée dans le Donbass, désormais perdu. Enfin, la Chine contrôle 46 % de la production mondiale de lithium. En outre, l'utilisation du GNL nord-américain (plus cher pour le consommateur final) et produit par fracturation hydraulique, ainsi que le temps nécessaire à la construction de nouveaux terminaux et la consommation considérable d'énergie pour le processus de transformation, sont également "écologiquement hostiles". 

Dans ce contexte, bien que Bruxelles tente de parler d'une seule voix, les intérêts de chaque pays restent différents, tout comme les sources d'énergie respectives. L'Allemagne et l'Italie sont très dépendantes du gaz ; la France s'appuie fortement sur l'énergie nucléaire ; les petits pays comme la Grèce, Chypre et Malte dépendent du pétrole.

40% des importations européennes de gaz proviennent de Russie, 18% de Norvège, 11% d'Algérie et 4,6% du Qatar. 30 % des combustibles fossiles proviennent de Russie [9]. Le remplacement des approvisionnements énergétiques russes n'est concevable qu'à long terme et, à court terme, le prix élevé des ressources pourrait entraîner des problèmes économiques et sociaux, même pour les pays qui n'importent pas directement de Moscou.

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La soi-disant "crise du blé" mérite également quelques considérations finales. À cet égard, il convient de réaffirmer que le blocus ukrainien du blé ne représente pas un problème irrémédiable au niveau mondial. Selon les données de la FAO, le blé ukrainien représente 3,2% de la production mondiale.  En 2021, l'Ukraine était le huitième producteur mondial avec 25 millions de tonnes par an. Le premier producteur mondial est la Chine (134 millions), suivie de l'Inde (108) et de la Russie (86, premier exportateur mondial). Il convient de noter que l'UE dans son ensemble serait le deuxième producteur mondial avec 127 millions de tonnes. Cette crise n'affecterait donc théoriquement pas du tout l'Europe.

Les augmentations de prix (avant le conflit) ne sont pas proportionnelles à la pénurie de matières premières, mais sont le résultat d'une attente future, le produit de contrats dits "dérivés". Des parties qui n'ont rien à voir avec le blé (en dehors du circuit de production), utilisent en fait les titres dérivés à des fins de simple spéculation (par exemple, ils les achètent à 30 et les revendent à 40). Une pratique qui, jusqu'aux années 1990, était interdite sur ce type de marchandise par l'Organisation mondiale du commerce. Cependant, la libéralisation totale du secteur qui a suivi a permis l'utilisation de ces instruments de spéculation financière. Comme l'a déclaré le professeur Alessandro Volpi : "Le marché des céréales, comme le marché de l'énergie, vit sur une attente de tendances, avec des paris réels qui déterminent le prix. S'il y a un conflit, si chaque jour on nous rappelle que le blé ukrainien est bloqué, si de nouvelles restrictions de production sont annoncées, les paris seront à la hausse et les prix auront tendance à augmenter" [10].

La crise alimentaire est donc déconnectée du déroulement du conflit. En 2021, 44 pays souffraient déjà de pénuries alimentaires (33 en Afrique et 11 en Asie) [11]. La hausse des prix de l'énergie, des carburants et des céréales et la spéculation qui y est associée n'ont fait qu'aggraver une situation déjà problématique, qui conduira plus de 440 millions de personnes à souffrir de la faim dans les mois à venir, avec pour corollaire des migrations incontrôlées et la possible réouverture du "front" des OGM en Europe et dans le monde (ce n'est pas une coïncidence si les multinationales qui produisent des semences génétiquement modifiées sont les mêmes qui produisent des herbicides à base de glyphosate).

Ajoutez à cela le fait qu'un éventuel accord entre la Russie et la Turquie sur le déminage des ports ukrainiens (malgré les craintes de Kiev) et sur le transit des navires marchands en mer Noire coupera du "jeu alimentaire" les forces qui pensaient pouvoir l'utiliser comme une arme de pression humanitaire contre Moscou.

NOTES

[1] A. H. Cordesman, The longer-term impact of the Ukraine conflict and the growing importance of the civil side of the war, www.csis.org.

[2] Voir le rapport de l'OSCE intitulé War crimes of the armed forces and security forces of Ukraine : torture and inhuman treatment, www.osce.org. Elle déclare : "L'ampleur de l'utilisation de la torture et le fait que cela soit fait systématiquement prouvent que la torture est une stratégie intentionnelle desdites institutions, autorisée par leurs dirigeants". Ces institutions, précise le rapport, sont précisément les forces de sécurité ukrainiennes, la Garde nationale et ses milices associées. Le rapport précise également que le droit européen ne justifie en aucun cas la torture et ne prévoit aucune exception, même en cas de confrontation armée ou de menace pour la sécurité nationale.

[3] G. Gaiani, Premières indications (amères) de la guerre en Ukraine, www.analisidifesa.it.

[4] Le 9 juin, Moscou a déclaré avoir abattu 193 avions ukrainiens, 130 hélicoptères et plus de 1 000 drones. Le 19 juin, Kiev a affirmé avoir abattu 216 avions, 180 hélicoptères et 594 drones russes. Indépendamment des chiffres gonflés, il est néanmoins évident que dans le contexte de l'utilisation de systèmes anti-aériens S-300 et S-400 à longue portée et de systèmes anti-aériens portables dans des champs de bataille survolés à basse altitude par des hélicoptères, le nombre de pertes d'avions peut encore être élevé.

[5] Premières indications (amères) de la guerre en Ukraine, ibid.

[6] Voir la coopération des États-Unis avec l'Ukraine en matière de sécurité, www.state.gov.

[7] M. Bottarelli, L'utopie di chi spera nel GNL di USA, Africa e Israele, www.ilsussidiario.net.

[8] I. Dimitrova, L'UE et son secteur énergétique après l'Ukraine, www.eurasia-rivista.com.

[9] Ibid.

[10] Voir Crise du blé, ce n'est que de la spéculation, www.collettiva.it.

[11] Voir FAO : Record de production céréalière mondiale en 2021, www.askanews.it.

jeudi, 29 octobre 2009

Vers la fin de l'hégémonie du dollar?

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Michael WIESBERG:

 

 

Vers la fin de l’hégémonie du dollar?

 

Début octobre 2009, est paru sur les pages internet du journal libéral de gauche britannique “The Independant” un article de Robert Fisk, leur correspondant au Proche Orient. Cet article a suscité de vives discussions. Selon les propos de Fisk, les Etats arabes du Golfe songeraient à remplacer d’ici les neuf prochaines années le dollar américain par un panier de devises et/ou de valeurs incluant le dollar, le yen japonais, le renminbi (ou yuan) chinois, l’euro et l’or. A ce panier s’ajouterait également la monnaie unique, actuellement en projet, du Conseil de Coopération du Golfe (CCASG) qui comprend l’Arabie Saoudite, Abu Dhabi, le Koweit et le Qatar. Pour concrétiser ce projet, ces Etats pétroliers arabes auraient déjà pris langue avec la France, la Chine, le Japon et la Russie. Les représentants de ces Etats se sont empressés de démentir les affirmations de Fisk en arguant qu’elles proviendraient apparemment de “sources intéressées et peu sûres”.

 

Mais la vitesse stupéfiante à laquelle l’article de Fisk s’est diffusé dans le monde entier démontre que la renommée du dollar a considérablement chuté au cours de ces dernières années et que l’incertitude quant à l’avenir du système monétaire international ne cesse de croître. 

 

On considère donc comme parfaitement imaginable que la facturation du prix du pétrole en dollars connaîtra bientôt sa fin et qu’ainsi le dollar cesserait d’être la monnaie-guide dans le monde. Ce pronostic a pour lui quelques arguments percutants: la crise financière a considérablement fragilisé les assises économiques des Etats-Unis; la confiance s’est évanouie ces dernières années dans les perspectives de croissance de l’économie américaine et dans la capacité qu’a la banque d’émission américaine de rétablir la stabilité des prix.

 

Les pays pétroliers cherchent-ils à se débarrasser de leurs réserves de dollars?

 

Or c’était justement cette confiance des acteurs économiques internationaux (comme les banques centrales, les producteurs de pétrole brut ou les banques d’investissement) qui fondait la suprématie monétaires des Etats-Unis depuis que Nixon, en 1971, avait abandonné la convertibilité du dollar en or. De plus, cette confiance résidait également dans le rôle de grands consomamteurs que l’on attribuait aux Américains (et c’est là sans doute qu’il aller chercher les origines de l’actuelle crise du dollar): les marchés américains, en effet, constituaient, jusqu’il y a  peu, 25% de la demande internationale. Et ce sont justement ces marchés-là qui sont frappés aujourd’hui d’un fort recul de la demande. 

 

La portée de ce recul saute aux yeux, si l’on examine comment fonctionnait le “modèle économique” du commerce entre les Etats-Unis et les Etats asiatiques en forte croissance, principalement la Chine: les Etats-Unis achetaient une bonne part des marchandises produites en Asie et les Etats asiatiques, en échange, investissaient leurs bénéfices d’exportateurs dans des emprunts d’Etat américains (ce qui équivaut à des billets de créance). C’est de cette manière que la colossale consommation américaine a été rendue possible (à laquelle même les plus pauvres avaient accès grâce à leurs cartes de crédit), car, par la demande d’obligations américaines, les taux d’intérêts pouvaient être maintenus très bas aux Etats-Unis.

 

Maintenant, le scénario se modifie: la faiblesse persistante du dollar menace de mettre un terme à “ce donner et à ce prendre”, surtout à cause de la perte de valeur des réserves de devises en dollars, que la plupart des banques centrales ont accumulées dans le monde entier. Rien que la Chine possède 24% des “Treasury Securities” américaines et le Japon, 21%. L’Allemagne, pour sa part, n’en possède que 1,8%. En revanche, elle possède beaucoup plus de “chiffons de  papier” émis par des banques privées américaines.

 

On pourrait croire  que les banques centrales ont grand intérêt à ce que le dollar restent à moitié stable. On peut toutefois réfuter cet argument en démontrant que les vicissitudes actuelles du dollar incitent à se débarrasser des réserves que l’on possède de cette devise, avant qu’elle ne chute encore, ce que la conjoncture américaine actuelle permet d’envisager.

 

Le danger de voir les banques centrales se débarrasser de leurs réserves de dollars est réel: le  processus pourrait d’ailleurs commencer dans les pays producteurs de pétrole (qui possèdent 6% des “Treasury Securities” américaines). C’est ce que constatent par ailleurs Jörn Grisse et Christian Kellermann dans une analyse qu’ils ont publiée auprès de la Fondation Friedrich Ebert en Allemagne. L’intérêt des pays producteurs de pétrole à un dollar stable est nettement moindre que dans les pays asiatiques. Ils peuvent aussi compenser la diminution de la demande américaine en allant au devant de la demande croissante d’hydrocarbures que l’on observe  ailleurs dans le monde.

 

Tous ces facteurs pourraient contribuer à précipiter la fin de l’hégémonie du dollar, ainsi que des “pétro-dollars”, comme on les appelle. Contrairement à ce que pense Fisk, on ne passera sans doute pas à l’artifice d’un “panier de devises” mais à  une autre devise, en l’occurrence, très probablement, l’euro.

 

Dans ce cas, les Etats-Unis perdraient leur droit de seigneuriage (le droit de battre monnaie) et les revenus qui en résultent comme les produits nets engrangés par la banque d’émission qui crée les liquidités et d’autres formes d’argent propres aux banques centrales, que celles-ci  peuvent produire vu la demande élevée de dollars. Par ailleurs, les Etats-Unis ont profité jusqu’ici des importations de capitaux en provenance des Etats exportateurs de pétrole. Vu le manque d’investissements potentiels dans ces pays mêmes, les bénéfices des Etats pétroliers étaient réinvestis pour une bonne part aux Etats-Unis.

 

Toutefois, faut-il le préciser, cette fin éventuelle de l’ère des pétro-dollars ne constituerait qu’une “ultima ratio” pour des Etats comme, par exemple, l’Arabie Saoudite qui est contrainte d’en appeler à la protection militaire des Etats-Unis. C’est là un véritable contrat d’assurance dont on ne se débarrassera que si le dollar subit une véritable et rapide dégringolade. La crainte de voir survenir une telle dégringolade est bien présente: elle s’exprime notamment par un repli vers  l’or, dont le court par once de métal fin, vient de battre un nouveau record (calculé en dollars).

 

La classe moyenne américaine ne sera plus jamais le moteur de la sur-consommation mondiale

 

En arrivera-t-on à cette extrémité du point de vue américain ou non? Cela dépendra essentiellement de la politique budgétaire du Président Obama et de la politique en matière d’intérêts de la Federal Reserve (la banque d’émission américaine). Ce qui apparaît toutefois indubitable, c’est qu’il n’y aura pas de retour possible, pour les Etats-Unis, à la situation dont ils jouissaient avant la crise financière. La classe moyenne américaine est extrêmement endettée, est menacée du chômage ou du moins d’un déclin social assuré: elle ne sera plus le moteur de la sur-consommation mondiale. Ensuite, les fonds de pension américains, nourris de gains privés obtenus par spéculation boursière, ont été entraînés dans les abîmes par la crise financière, alors qu’ils auraient permis aux retraités américains de bénéficier d’une fin de vie dorée; encore un pan de la consommation potentielle qui disparaît.

 

Le déclin de la classe moyenne américaine et l’effondrement des fonds de pension éliminent un incitant important chez les fournisseurs des Etats-Unis que sont la Chine et le Japon: pourquoi garderaient-ils le dollar comme devise de réserve? Ensuite, tous les bons du trésor américain auront un jour une fin, arriveront à échéance. S’ils ne trouvent pas suffisamment d’acquéreurs pour de nouveaux billets de créance américains (car l’offre de produits industriels américains est à présent assez limitée), la Federal Reserve pourra certes racheter ces “Treasury Bonds” et augmenter ainsi la bulle des dollars, mais cela aura des répercussions insoupçonnées en matière d’inflation ou autre. Il faudra donc beaucoup de doigté et d’imagination au Prix Nobel de la Paix Barack Obama s’il entend conserver, pour les Etats-Unis, les avantages que leur a offerts jusqu’ici la suprématie du dollar.

 

Michael WIESBERG.

(article paru dans  “Junge Freiheit”, Berlin, n°43/2009; traduction française: Robert Steuckers).

mardi, 13 janvier 2009

Los supermercados y la crisis alimentario mundial

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Los supermercados y la crisis alimentaria mundial (extracto)

La crisis alimentaria ha dejado sin comida a miles de personas en todo el mundo, el Banco Mundial añade cien millones de hambrientos más fruto de la crisis actual…

Esther Vivas * (Adital 04.12.08)
El “tsunami” del hambre no tiene nada de natural, sino que es resultado de las políticas neoliberales impuestas durante décadas por las instituciones internacionales. Hoy, el problema no es la falta de alimentos sino la imposibilidad para acceder a ellos debido a sus altos precios.

Esta crisis alimentaria deja tras sí a una larga lista de perdedores y de ganadores. Entre los más afectados, se encuentran mujeres, niños y niñas,… En definitiva, aquellos que engrosan las filas de los oprimidos del sistema capitalista. Entre los ganadores, encontramos a las multinacionales de la industria agroalimentaria que controlan de origen a fin la cadena de producción, transformación y comercialización de los alimentos. De este modo, mientras la situación de crisis azota, principalmente, a los países del sur global, las multinacionales del sector ven multiplicar sus ganancias.

Monopolios

La cadena agroalimentaria está controlada en cada uno de sus tramos (semillas, fertilizantes, transformación, distribución, etc.) por multinacionales que consiguen grandes beneficios gracias a un modelo agroindustrial liberalizado y desregularizado. Un sistema que cuenta con el apoyo explícito de las élites políticas y de las instituciones internacionales que anteponen los beneficios de estas empresas a las necesidades alimenticias de las personas y el respeto al medio ambiente.

La gran distribución, al igual que otros sectores, cuenta con una alta concentración empresarial. En Europa, entre los años 1987 y 2005, la cuota de mercado de las diez mayores multinacionales de la distribución significaba un 45% del total y se pronosticaba que ésta podría llegar a un 75% en los próximos 10-15 años. En países como Suecia, tres cadenas de supermercados controlan alrededor del 95,1% de la cuota de mercado; y en países como Dinamarca, Bélgica, España, Francia, Holanda, Gran Bretaña y Argentina, unas pocas empresas dominan entre el 60% y el 45% del total. Las megafusiones son la dinámica habitual en el sector. De este modo, las grandes corporaciones, con su matriz en los países occidentales, absorben a cadenas más pequeñas en todo el planeta asegurándose su expansión a nivel internacional y, especialmente, en los países del sur global.

Este monopolio y concentración permite un fuerte control a la hora de determinar lo qué consumimos, a qué precio lo compramos, de quién procede, cómo ha sido elaborado, con qué productos, etc. En el año 2006, la segunda empresa más grande del mundo por volumen de ventas fue Wal-Mart y en el listado de las cincuenta mayores empresas mundiales se encontraban también, por orden de facturación, Carrefour, Tesco, Kroger, Royal Ahold y Costco. Nuestra alimentación depende cada día más de los intereses de estas grandes cadenas de venta al detalle y su poder se evidencia con toda crudeza en una situación de crisis.

De hecho, en abril del 2008 y frente a la situación de crisis alimentaria mundial, las dos mayores cadenas de supermercados de Estados Unidos, Sam’s Club (propiedad de Wal-Mart) y Costco (de venta a mayoristas), apostaron por racionar la venta de arroz en sus establecimientos aludiendo a una posible restricción en el suministro de este cereal. En Sam’s Club, se limitó la venta de tres variedades de arroz (basmati, jasmine y grano largo) así como la compra de sacos de arroz de nueve o más quilos a un total de cuatro por cliente; en Costco se restringió la venta de harina y de arroz frente al aumento de la demanda. En Gran Bretaña, Tilda (la principal importadora de arroz basmati a nivel mundial) también estableció restricciones a la venta de arroz en algunos establecimientos al por mayor. Con esta medida se puso en evidencia la capacidad de las grandes cadenas de distribución de incidir en la compra y venta de determinados productos, limitar su distribución e influir en la fijación de sus precios. Un hecho que ni siquiera se había producido en Estados Unidos tras la II Guerra Mundial, cuando sí se restringió el acopio de petróleo, neumáticos y bombillas, pero no de alimentos.

Cambio de hábitos

Otra dinámica que se ha puesto de relieve frente a la situación de crisis alimentaria ha sido el cambio de hábitos a la hora de hacer la compra. Ante la necesidad, por parte de los clientes, de abrocharse el cinturón y buscar aquellos establecimientos con precios más baratos, las cadenas de descuento han sido las que han salido ganando. En Italia, Gran Bretaña, España, Portugal y Francia, estos supermercados han visto aumentar sus ventas entre un 13% y un 9% el primer trimestre del 2008 respecto al año anterior.

Otro indicador del cambio de tendencia es el aumento de las ventas de marcas blancas que ya suponen, según datos del primer trimestre del 2008, en Gran Bretaña un 43,7% del volumen total de ventas, en el España un 32,8%, en Alemania un 31,6% y en Portugal y Francia alrededor del 30%. Cuando son, precisamente, las marcas blancas las que dan un mayor beneficio a las grandes cadenas de distribución y permiten una mayor fidelización de sus clientes.

Pero más allá del papel que la gran distribución pueda jugar en una situación de crisis (con restricciones a la venta de algunos de sus productos; cambios en los hábitos de compra, etc.), este modelo de distribución ejerce a nivel estructural un fuerte control e impacto negativo en los distintos actores que participan en la cadena de distribución de alimentos: campesinos/as, proveedores, consumidores/as, trabajadores/as, etc. De hecho, la aparición de los supermercados, hipermercados, cadenas de descuento, autoservicios…, en el transcurso del siglo XX, ha contribuido a la mercantilización del qué, el cómo y el dónde compramos supeditando la alimentación, la agricultura y el consumo a la lógica del capital y del mercado
*Coautora del libro Supermercados, no gracias (Icaria editorial, 2007)
Autor: Esther Vivas- Fecha: 2009-01-06