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samedi, 07 mars 2020

Le flop du CV anonyme

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Le flop du CV anonyme

De 2009 à 2010 dans huit départements, J-PAL, en collaboration avec Pôle Emploi, a évalué si les taux d'entretiens et d'embauches de candidats issus des minorités changent lorsque les employeurs reçoivent des CV anonymes. Non seulement le CV anonyme n'a pas apporté plus d'entretiens ou d'offres aux candidats issus des minorités, mais cela a même produit un effet inverse. En fait, les entreprises volontaires pour participer à l'expérimentation effectuaient une sorte de discrimination positive en proposant un entretien aux candidats au nom à consonance étrangère même s'ils avaient un « trou » dans leur CV, alors qu'ils ne le faisaient pas avec le CV anonyme. La pratique n'a donc pas été généralisée.

S. F.

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11:05 Publié dans Actualité | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cv, cv anonyme, entreprise, actualité | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

mercredi, 05 février 2020

L’entreprise : être ou ne pas être un État souverain…

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L’entreprise : être ou ne pas être un État souverain…

par Valérie Bugault
Ex: http://www.zejournal.mobi

Le chemin du droit de l’entreprise : de la perte de souveraineté de l’État à la dictature universelle.

Une récente manifestation médiatique arrive à point nommé pour illustrer la réalité politique de la question juridique de l’entreprise.

Le droit de l’entreprise est au cœur de la souveraineté des États car il est le lieu privilégié où s’affrontent les forces économiques globalistes menées par les banquiers et les forces politiques légitimistes menées par les États. N’en déplaise aux esprits faux, la traduction de la souveraineté est éminemment juridique, aussi il n’existe pas de souveraineté politique sans souveraineté juridique. Dit autrement, la souveraineté politique passe de façon essentielle par la souveraineté juridique. Derrière tous les faux semblants et les jérémiades des actuels dirigeants économiques, qui contrôlent en réalité l’État français, est un principe général : « Dieu se rit des hommes – et des États – qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes. » On ne peut dans le même temps à la fois jouer le jeu globaliste de ses adversaires, tout de droit anglo-saxon vêtu, et déplorer son propre asservissement, c’est-à-dire son impuissance et sa domination !

Qu’en est-il de la souveraineté juridique française ? Sa disparition est parfaitement illustrée par l’évolution juridique du droit de l’entreprise. De ce point de vue, la France, comme la plupart des pays du monde, a abandonné son pouvoir régalien de régulation au profit de la mise en œuvre réglementaire illimitée du pouvoir de ses créanciers – les banquiers globalistes. Concrètement, la France a abandonné sa capacité a générer une économie politique autonome – comprendre « non contrôlée par les banquiers globalistes » – lorsqu’elle a refusé au Général De Gaulle la mise en œuvre juridique de la souveraineté économique, qui passait par un renouveau du droit de l’entreprise.

Alors que l’oligarchie compradore française faisait politiquement « tomber », en 1969, le chef de la France Libre, pour ne pas avoir à mettre en œuvre le principe général de « l’entreprise participative », je fus moi-même en 2005 – de longues décennies plus tard – bannie du système universitaire pour avoir eu l’audace de proposer une réforme de l’entreprise qui lutte contre l’anonymat et la prédation financière en réimposant la notion de contrôle économique, lequel passe par le rétablissement de frontières juridiques (1). Ma propre théorie juridique de l’entreprise avait pour objet d’éviter et même d’interdire la généralisation de l’immixtion dans la gestion des entreprises par les banquiers fournisseurs de crédit, immixtion déplorée dans l’article sur Goldman Sachs ci-dessus mentionné. Par ce choix de l’éviction des intrusions bancaires, ma théorie de l’entreprise reprenait les fondamentaux de « l’entreprise participative ». Or, il faut comprendre que quarante ans durant, tous les efforts politiques avaient été consciencieusement fait pour effacer toute trace juridique de l’entreprise participative dans les enseignements universitaires ! Sans revenir sur cet épisode épique de ma propre vie, il convient d’insister sur les tenants et les aboutissants d’une conception strictement financière de l’entreprise qui nous vient des pays anglo-saxons. Car, in fine, l’immixtion des banquiers dans la gestion des entreprises, qui se manifeste notamment par des actions sur le choix des dirigeants, a pour corollaire une prise de pouvoir des banquiers globalistes sur l’intégralité de la vie économique d’un pays.

Le pouvoir hégémonique des banquiers sur l’entreprise et sur l’économie des pays a été – sans surprise – véhiculé par le droit anglo-saxon.

Si le droit « anglo-saxon » a pris le contrôle politique du monde, aussi bien au niveau des institutions internationales qu’à celui des institutions nationales, c’est parce qu’il est conçu, depuis 1531, comme un instrument des puissants pour asservir les populations. Le « droit anglo-saxon » n’est pas à strictement parler du « droit », il est un moyen d’asservir les masses.

Depuis que les puissances d’argent ont pris, en occident, le contrôle du phénomène politique, le « droit anglo-saxon » a naturellement été utilisé par ces dernières car il est le plus adapté à leur entreprise de domination. Utile à la domination des puissants contre les humbles, le « droit anglo-saxon » repose sur deux piliers essentiels :

Premièrement, le prétendu « droit » anglo-saxon n’est pas du « droit » à strictement parler car il ne cherche à établir de façon générale ni « justice », ni « intégrité », ni « vérité », il cherche simplement à assurer la domination de quelques-uns sur la majorité ;

Deuxièmement, le prétendu « droit » anglo-saxon s’est construit, depuis le XVIème siècle, conformément au « positivisme juridique », c’est-à-dire en opposition au droit continental traditionnel qui véhiculait le principe opposé de « droit naturel ». Le positivisme juridique est la liberté d’établir, sans limite qualitative et quantitative, autant de règles qu’il est utile aux puissants de le faire. Ce positivisme s’est peu à peu techniquement imposé en France et en Europe continentale à la faveur de deux phénomènes : d’une part, matériellement, par le système du « Parlement représentatif » et d’autre part, théoriquement, par la « théorie pure du droit » d’Hans Kelsen.

Pour en revenir à l’entreprise, son évolution juridique a suivie, en France, celle de l’inversion du rapport de force entre banquiers globalistes et État politique : elle a validé, au fil du temps, la domination irrémédiable des entreprises par les quelques actionnaires actifs, majoritaires en terme relatif et la plupart du temps minoritaires en terme absolu, souvent réellement anonymes.

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Cette prise de pouvoir actionnarial et financier sur l’entreprise s’est brutalement accélérée lors de la mise en œuvre en France et dans le monde de la théorie dite de l’Agence, laquelle a notamment – parmi beaucoup d’autres vilenies – justifié l’introduction en France des stock-options, transformant les dirigeants des grandes entreprises en serviteurs dociles des intérêts patrimoniaux dominants.

Faisant fi de la tradition française, conforme au droit continental, de l’entreprise, le législateur a fini par rejeter la conception institutionnelle de l’entreprise, pour désormais considérer cette dernière comme un « nœud gordien », un simple enchevêtrement contractuel, dans lequel les plus forts sont toujours les « meilleurs ». Dire que l’entreprise est une institution signifie que l’entreprise, en tant qu’institution juridique, a une fonction politique d’organisation sociale qui relève de l’intérêt commun ; dire que l’entreprise est le simple siège d’un nœud contractuel, a pour effet juridique de livrer cette dernière aux contractants les plus forts, lesquels sont les principaux propriétaires de capitaux.

C’est ainsi que fut bannie du paysage juridique français l’entreprise participative en 1969 et ma propre théorie de l’entreprise en 2005.

Les enjeux politiques de ces bannissements successifs sont les suivants : l’entreprise ne doit en aucun cas échapper aux dominants économiques pour bénéficier à la collectivité, elle doit rester sous le complète dépendance des fournisseurs de crédits, ces derniers ayant pour objectif avoué la prise de contrôle politique totale et l’établissement d’un gouvernement mondial.

J’ai longuement décrit (2) comment l’entreprise avait dégénéré – au niveau mondial – en concept congloméral et comment ces conglomérats étaient aujourd’hui considérés comme des institutions qui soumettaient les États ; ces derniers étant aujourd’hui internationalement ravalés au rang de simple acteur économique non dominant, c’est-à-dire soumis.

Or précisément, l’entreprise participative, tout comme ma propre théorie de l’entreprise, en tant qu’elles sont les héritières du droit continental traditionnel, permettraient de s’opposer à cette domination capitalistique mondiale. Malheureusement en France les instances décisionnaires, politiques, universitaires et juridiques (qu’elles soient ou non fonctionnaires), sont soumises à la domination des principaux détenteurs de capitaux ; elles ont, par esprit de cour ou par corruption avérée, renoncé à lutter.

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Les dirigeants français de tout bord ont, depuis 1969, renoncé au principe de liberté, d’indépendance et de souveraineté, pour suivre la voie ignoble de l’asservissement et de la collaboration. Tant et si bien que nous assistons aujourd’hui à une nouvelle évolution du droit de l’entreprise qui, comme toujours, suit l’évolution des rapports de force entre « fait économique » et « fait politique ». Validant l’abjuration définitive du concept étatique, les « dirigeants politiques » français ont permis une nouvelle évolution de l’entreprise allant dans le sens, bien compris, de l’intérêt bancaire supérieur mais paré de vertus collectives que les banquiers ont faites leurs. Ainsi, conformément aux développements initiés par le Club de Rome, qui seront matérialisés plus tard par les Giorgia Guidestones, l’entreprise devient un enjeu « écologique ». L’entreprise est dès lors sommée de répondre aux défis environnementaux tels que compris par les puissances économiques dominantes, lesquelles ont parfaitement intégré l’insoutenabilité de leur domination par le jeu capitalistique dans un univers où les ressources naturelles sont limitées. Nous avons ainsi vu apparaître le RSE, ou Responsabilité Sociale de l’Entreprise, avant de voir la naissance, récente, de l’entreprise à mission (3). Conformément à la méthode des petits pas traditionnellement utilisée par la caste bancaire monopoliste, le fondement initial du « volontariat » s’atténue peu à peu pour bientôt se transformer en droit impératif, rigoureusement sanctionné. Nous avons ici, en matière d’évolution du droit de l’entreprise, la même méthodologie que celle appliquée à l’évolution du droit de propriété.

L’objectif ultime étant la disparition juridiquement validée de la liberté et de la démocratie, afin de laisser la place à la dictature bancaire universelle.

Derrière les faux semblants de la prise en compte de l’intérêt commun – intérêt commun entièrement défini à l’aune de celui des dominants financiers – l’entreprise est vouée à devenir un des instruments, juridiquement validé, de la dictature universelle. Conformément à la volonté des dominants économiques, le droit de l’entreprise va devenir un droit dictatorial chargé de mettre en œuvre la dictature universelle parée de « vert » mais armée de rouge sang.

L'auteur, Valérie Bugault, est Docteur en droit, ancienne avocate fiscaliste, analyste de géopolitique juridique et économique.

Notes:

(1) Cf. « La nouvelle entreprise » publiée en 2018 aux éditions Sigest ; https://lesakerfrancophone.fr/valerie-bugault-la-nouvelle... ; https://lesakerfrancophone.fr/valerie-bugault-les-raisons...

(2) Lire « La nouvelle entreprise », publié en 2018 aux éditions Sigest

(3) Cf. Loi dite Pacte : https://www.novethic.fr/actualite/entreprise-responsable/...

lundi, 24 septembre 2018

La Nouvelle Entreprise Entretien avec Valérie Bugault

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La Nouvelle Entreprise

Entretien avec Valérie Bugault

Ex: https://echelledejacob.blogspot.com 

[...] L’un des axes forts du travail de Mme Bugault est de faire prendre conscience à un public le plus large possible que le “fait économique” a pris le pouvoir sur le “fait politique” depuis bien longtemps et que le sort du monde se décide bien plus dans des conseils d’administration de multinationales que dans des parlements nationaux. Derrière ces entreprises se cachent les deux pinces d’une même tenaille, l’anonymisation et la concentration des capitaux d’un côté, la dérégulation financière et la libéralisation des flux de l’autre.

Très méthodiquement, l’auteur démonte les mécanismes historiques qui ont permis à cette nouvelle classe de “banquiers-commerçants” de s’accaparer le pouvoir. Il aura fallu patiemment détricoter les rouages de l’État moderne à commencer par le droit continental, hérité du droit romain, pour lui substituer un droit anglo-saxon porteur d’une autre philosophie, individualiste, prédatrice. Il aura aussi fallu développer un système bancaire et financier toujours plus complexe et centralisé autour du système des Banques Centrales pour faire circuler l’argent et donc le pouvoir en dehors des États, privant ces derniers et leurs peuples de toute souveraineté jusqu’à faire craindre la destruction de notre civilisation.

Le message est taillé à la serpe et après une 1ère partie à charge où on fait le tour des suspects habituels, FED, BRI, FMI, OMC, paradis fiscaux et des mécanismes mis en place pour permettre cette domination, Valérie Bugault nous propose une autre vison de l’entreprise et donc de la société à travers la redéfinition des rôles des différents acteurs, les apporteurs de travail, les apporteurs de capitaux, les dirigeants et au milieu, dans le rôle d’arbitre, un État régulateur.

Il s’agit d’une reforme en profondeur qui devrait irradier sur la structure même de la société ou se déploierait cette Nouvelle Entreprise, avec la fin de l’anonymat des capitaux et donc des trusts et des paradis fiscaux, la fin de la déresponsabilisation des dirigeants au travers de la personnalité “morale” et donc le retour du droit romain. Valérie Bugault déclare la guerre au monde financier d’origine anglo-saxonne.

Elle décrit longuement les relations qu’elle imagine entre ses différents acteurs, non pas pour faire disparaître par miracle toutes tensions, mais plutôt pour organiser juridiquement le cadre de ce rapport de force pour ne léser ni les travailleurs sans qui aucune richesse ne peut être produite, ni les apporteurs de capitaux, dont les capitaux sont maintenant exclusivement issu d’un travail réalisé et d’un report de consommation pour permettre le développement économique.

Les dirigeants ne seraient plus liés aux capitaux mais l’objet de négociations entre les partis pour développer un projet d’entreprise plus consensuel en lien avec la société civile. L’État retrouverait son rôle d’arbitre, garant des règles et de la sécurité juridiques des acteurs. Il suffit de se lamenter, il existe des solutions comme l’initiative Monnaie Pleine pour le secteur bancaire, Valérie Bugault nous propose un nouveau modèle d’Entreprise, clé en main.

Interview de Valérie Bugault du 23 Septembre 2018

la-nouvelle-entreprise-722x1024.jpgValérie Bugault est docteur en droit de l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne. à l’occasion de sa thèse portant sur le droit de l’entreprise, elle a élaboré une théorie juridique unifiée, qualifiée « d’iconoclaste », de l’entreprise. Elle a travaillé comme avocate fiscaliste dans le domaine des prix de transfert ainsi qu’en droit fiscal interne avant de cesser sa carrière d’avocate pour se consacrer à l’analyse des problématiques de géopolitique économique. Elle a notamment publié, en 2016, sur le site du Saker francophone une série d’études intitulée « décryptage du système économique global ».

SF – Pourquoi un livre sur une nouvelle entreprise, l’entreprise actuelle est-elle si défaillante ? Certaines comme les multinationales se portent très bien ?

VB – Les sociétés commerciales sont, dans leur version moderne, nées en France à l’occasion de la loi du 24 juillet 1867. 1 Toutefois, l’idée même des multinationales que nous connaissons aujourd’hui est bien antérieure, elle remonte à ce que la plupart des pays européens ont connu et développé sous le terme générique de « Compagnie des Indes ». Ces entités, mélanges de capitaux privés et de pouvoir militaire, disposaient de toutes les prérogatives de puissance publique, y compris celles de battre monnaie et d’engagement militaire.

Mon expérience familiale alliée à mon expérience professionnelle, y compris celle acquise dans le domaine des « prix de transfert » m’ont permis de comprendre que la structure de la société par actions était en réalité un instrument de captation du pouvoir économique ; et que cet instrument, derrière les apparences, ne servait en réalité que les plus grands détenteurs de capitaux. Ces structures capitalistiques sont organisées de façon hiérarchique au profit de leurs propriétaires majoritaires. Or, l’évolution et la généralisation de l’utilisation des marchés de capitaux, induit une concurrence, plus ou moins forte en fonction des secteurs d’activité et des époques, qui génère une concentration mécanique des capitaux, les plus gros « avalant » les plus petits. Cette concentration a été d’autant plus insidieuse que les propriétaires dominants, souvent très minoritaires, sont, pour ce qui est des entreprises cotées appartenant à des « groupes », dans une très large mesure, anonymes. Ainsi, la pratique des marchés, largement développée par la libéralisation des flux de capitaux imposée par l’idéologie dominante, a permis une énorme concentration des richesses dans des mains de personnes qui restaient, le plus souvent, anonymes. Ce phénomène a été, bien entendu, très amplifié par l’arrivée d’acteurs anonymes, largement incontrôlés, qui gèrent d’énormes masses de capitaux (fondations, fonds de pension, hedges funds, fonds vautours…) ; ajoutons que les « prix de marchés » ont définitivement fini d’être libres à l’arrivée du High Frequency Trading.

L’entreprise commerciale, à structure capitalistique, a été l’instrument discret d’une prise de pouvoir économique des plus gros détenteurs de capitaux sur les plus petits. Dans cette « pièce de théâtre », que l’on ne distingue réellement qu’une fois l’acte final écrit, les petites et moyennes entreprises, les vrais entrepreneurs, les individus créatifs et volontaires, ont finalement servi de « faire-valoir » aux gros capitalistes qui ont, d’une façon ou d’une autre, asservi les PME et mis sous tutelle toute velléité de création de richesse par des individus indépendants.

Ces principaux capitalistes ont été malins et rusés, ce qui est la caractéristique première des banquiers-commerçants issus des orfèvres changeurs du Moyen-Âge, dont ils sont les descendants directs. Ils ont avancé pas à pas, et surtout masqué, en mettant en avant la liberté du commerce et les immenses possibilités de développement social que procurerait un système fondé sur le financement capitalistique. Ils ont fait en sorte que chaque avancée règlementaire du système soit rendue nécessaire par l’avancée précédente. De fil en aiguille nous en sommes collectivement arrivés au point où personne n’imagine plus possible un autre système de développement social.

Or, décrypter les différentes avancées techniques que ce « système intégré » a suivi permet justement de comprendre pourquoi et comment il fonctionne fondamentalement de façon viciée, autour du seul concept de « domination économique ». Cela permet de comprendre également que ce système est devenu le modèle de fonctionnement de la Société politique moderne. Tous les pays du monde sont aujourd’hui concernés par ce modèle déficient qui a, par capillarité, infecté tous les autres « systèmes politiques » en vigueur. Je précise ici qu’il faudrait parler de « système économique » appliqué à l’ensemble de la collectivité humaine ; parler de « système politique » est impropre dans la mesure où justement le concept politique a totalement disparu, il a été phagocyté par le principe commercial de nature économique.

Le type de travail que j’ai effectué, à partir d’un domaine juridique technique, m’a emmené sur un terrain politique et géopolitique. Il m’a également, par un lien de causalité évident, amené à m’interroger, en tant que juriste sur le phénomène monétaire, qui a été, avec l’entreprise capitalistique, l’autre outil, extrêmement puissant, de la prise du pouvoir politique par la caste des « banquiers-commerçants ». De fil en aiguille, on peut dire que ma théorie juridique de l’entreprise m’a logiquement amenée, de façon naturelle et grâce à ma rencontre de Jean Rémy, à faire une théorie juridique de la monnaie. (2)

Finalement, j’ai pu constater que, d’un point de vue sociétal, la monnaie et l’entreprise ont beaucoup de points communs. Fondamentalement, il s’agit de deux « institutions » qui ont un rôle social fondamental à jouer : celui de permettre et de faciliter les échanges de biens et services entre individus, le tout sous le contrôle politique d’un État, c’est-à-dire, nécessairement, à l’intérieur de frontières clairement définies. Cette assertion rend évidemment nécessaire de s’interroger sur la notion d’État, c’est-à-dire sur les sous-jacents juridico-socio-politique de l’État. J’ai ainsi perçu qu’il existait une nécessité vitale d’expliquer au public ce qu’est un État ; qui n’a – vous l’aurez compris – rien à voir (strictement rien) avec l’État qui nous est vendu, par urnes interposées. Nous vivons une époque de perte total de sens philosophique, politique et sémantique. Il faut, absolument retrouver la véritable signification des choses pour reprendre collectivement le chemin de la civilisation.

droitmonnaie.jpgRetrouver le véritable sens politique de l’État permettra au « droit », en tant qu’outil de régulation des comportements socialement toxiques, de reprendre les lettres de noblesse qu’il a lâchement abandonnées au profit des « sciences économiques » chargées de mettre en musique le nouveau modèle de Société, celui de la domination intégrale, sous lequel nous vivons. De technique, mon travail m’a conduite à une réflexion de nature sémantique et quasi philosophique. Cette réflexion, tout à fait vitale, doit être partagée par le plus grand nombre de personne car elle conditionne aujourd’hui et demain la pérennité du genre humain. On en est véritablement et précisément là !

SF – Quelles voies voyez-vous pour mettre ce projet en place ? On voit par expérience que c’est difficile en Russie par exemple avec un État fort et soutenu par son peuple ou en Chine où, sous une autre forme, l’État à la main, les mécanismes du capitalisme “domine” aussi dans des formes assez sauvages.

VB – La première chose à comprendre sont les postulats sous lesquels nous sommes sommés de vivre. Ensuite, ces postulats identifiés, il convient d’identifier les « roues » qui empêchent de sortir de ces postulats idéologiques. En l’état actuel des choses, ce travail collectif n’a pas été fait, il est donc impossible d’agir en vue d’un éventuel changement. Les États forts que vous mentionnez, la Russie et la Chine, ne fonctionnent pas autrement que selon le principe commercial, le principe économique ayant lui-même pris le pas sur le principe politique.

Un combat existe néanmoins dans ces pays, comme d’ailleurs dans la plupart des pays du monde, où certaines personnes commencent à comprendre que le problème ne réside pas dans le faux choix entre « droite-gauche » ou « conservateur-progressiste » mais dans la profonde distinction qui existe entre les partisans du globalisme, qui veulent imposer leur projet de gouvernement mondial, et ceux du nationalisme étatique qui veulent rester maîtres de leurs destins collectifs.

Mon travail ne pourra réellement porter ses fruits que le jour où les gens auront collectivement compris que le problème essentiel réside dans le fait que les collectivités d’individus ont perdu le contrôle de leurs destins collectifs, qui est aujourd’hui largement concentré dans les mains des principaux propriétaires de capitaux. Mes travaux doivent en quelques sorte être considérés comme étant les moyens techniques permettant la mise en place d’un système de remplacement immédiatement opérationnel. Mon travail ne pourra être fonctionnel, opérationnel, que le jour où la collectivité des individus aura décidé de reprendre le contrôle politique de ses institutions ; il restera, par nécessité politique, lettre morte jusqu’à ce que ce jour arrive.

SF – Comment va-t-on organiser cette nouvelle justice qui va avec la nouvelle entreprise ? Ne va-t-on pas assister à de nouvelles concentrations du capital menant à des volontés d’accaparement des rouages de l’État ?

VB – La question de la « justice » est en effet importante, pour ne pas dire « essentielle », elle est intrinsèquement liée au concept politique. Car organiser la vie en commun dans d’acceptables conditions de sérénités, ne peut faire l’économie d’un questionnement sur la « justice ». Sans aller jusqu’à la « justice immanente », sans doute pas de ce monde, l’aspiration à la « justice » est la condition qui permet aux individus de sublimer leurs intérêts individuels ou catégoriels immédiats afin de faire des concessions à d’autres intérêts ou groupe d’intérêts. Ces concessions ne peuvent se faire que si existe un « intérêt commun supérieur » que chaque groupe aura conscience de défendre en faisant les concessions demandées. Cela suppose aussi l’existence d’un « arbitre », chargé de faire appliquer et respecter cet « intérêt commun supérieur ».

L’État, comme la direction des entreprises, existe précisément pour organiser la gestion d’intérêts contradictoire. Le pouvoir politique, tout comme la direction des entreprises, n’ont qu’un seul rôle à jouer : celui d’arbitrer, de faire des choix, entre des intérêts contradictoires. Ce type d’organisation ne peut être mis en œuvre qu’à partir du moment où tous les intérêts présents sont, à un moment où à un autre, pris en considération d’un point de vue social, c’est-à-dire que tous les intérêts ont dument la capacité d’être représentés par les institutions étatiques, qui forment l’organisation de la Société politique.

Ainsi, la mise en œuvre de la justice passe d’abord et avant tout par une juste représentation politique des intérêts en présence ; c’est précisément à cet objectif que répond ma théorie juridique de l’entreprise. Du point de vue « politique », il est parfaitement clair que le principe de séparation des pouvoirs (tels qu’actuellement conçus) allié au modèle parlementaire anglais est tout à fait inapte à répondre à ce besoin. Nos démocraties parlementaires modernes sont disqualifiées pour répondre au besoin de justice dont toute société (au sens de collectivité d’individus) a besoin pour fonctionner de façon satisfaite. Ce modèle d’organisation social qui a été imposé à la suite des Révolutions françaises, américaines etc. est un modèle déficient car il permet justement un accaparement du pouvoir par des groupes anonymes. Ce modèle d’organisation social ne permet pas aux différents groupes d’intérêts en présence de lutter à armes égales car, n’étant pas institutionnellement représentés et contrôlés par un mandat impératif, les décisions sont prises de façon opaques ; les « décisions politiques » font l’objet de tractations plus ou moins douteuses, opérées largement en coulisse, dans le silence et l’anonymat des « cabinets ou des couloirs », et non de façon ouverte et publique avec un médiateur-arbitre pour trancher ouvertement les litiges.

C’est précisément la raison pour laquelle j’ai proposé de revoir l’organisation sociale, politique, autour du concept de « corps intermédiaires ». (3) Là encore, mon travail sur l’entreprise a servi de fil directeur à mon travail institutionnel. C’est aussi la raison pour laquelle j’insiste, dans mon travail sur l’entreprise, pour que les dirigeants prennent la pleine mesure de leur fonction qui est de trancher, d’arbitrer, en toute indépendance et avec l’intérêt social comme ligne directrice, entre les intérêts antagonistes des « apporteurs de capitaux » et des « apporteurs de travail ».

Il faut comprendre que le « pouvoir », qu’il soit « politique » ou, s’agissant d’entreprise, « économique », n’est pas « gratuit » : il correspond fondamentalement à une fonction d’arbitrage et de prise de position entre des intérêts divergents. Ces prises de position ne sont pas sans contrepartie car le « pouvoir » doit être sanctionné si, sur une certaine durée, il s’avère incapable d’œuvrer dans le sens du bien collectif ou, s’agissant d’entreprise, de l’intérêt social. Le pouvoir (et les hommes qui l’incarnent) doit être sanctionné lorsque la collectivité s’aperçoit qu’il a dévié du droit chemin pour emprunter la seule voie de la défense d’un ou plusieurs intérêts catégoriels, au détriment de l’intérêt général.

Qu’il s’agisse de l’entreprise, ou du pouvoir politique, l’essentiel se situe dans le fait d’organiser des institutions capables de représenter tous les intérêts en présence et un pouvoir politique dont le rôle est d’arbitrer entre les intérêts en présence ; ce pouvoir politique doit par ailleurs être, institutionnellement, structurellement, sanctionné s’il dévie du droit chemin de la défense de « l’intérêt commun » pour emprunter celui de la seule défense d’intérêts catégoriels. La politique et le pouvoir se résume finalement à « une entité chargée de défendre l’intérêt du groupe au détriment des intérêts catégoriels ».

SF – Une question plus technique. Comment va se faire la destruction du capital ? Les acteurs ne voudront-t-ils pas en appeler à l’État pour les protéger, les sauver ?

VB – Les acteurs économiques dont vous parlez ont justement phagocyté l’État de telle façon que celui-ci intervienne dans le seul sens de leurs intérêts bien compris. Ce que vous redoutez n’est pas nouveau, cela fait, au bas mot 400 ans que cela dure, depuis globalement, la période dite des Grandes Découvertes, qui a donné le coup d’envoi de l’essor capitalistique avec les différentes Compagnies des Indes. Par ailleurs, parler de « destruction du capital » me gêne en raison de sa connotation idéologique. Il ne s’agit pas tant de détruire le capital que d’empêcher les principaux capitalistes de prendre un pouvoir politique absolu. Il ne s’agit pas de lutter contre un système en soi, il s’agit de lutter contre un système qui est en réalité conçu et utilisé comme une arme de guerre pour s’emparer du pouvoir politique sur les peuples.

En d’autres termes, il ne s’agit pas de lutter contre le pouvoir du capital, il s’agit d’empêcher ce dernier d’être utilisé à des fins de domination. De la même façon, préconiser un juste retour du principe politique n’a pas pour effet de faire disparaître le commerce des activités humaines. Il s’agit, tout au contraire, de remettre les choses à leur juste place en considération de leur utilité sociale ultime : le commerce ne doit pas devenir « principe politique », le commerce ne doit pas devenir le seul moyen de reconnaissance et d’élévation sociale… Pour tourner les choses autrement : je ne prétends pas empêcher les individus créatifs, volontaires, intelligents et honnêtes de s’enrichir mais je prétends, par mes travaux, soumettre la validité des actions de tels individus au jugement collectif, confronter la valeur de leurs apports à l’intérêt collectif, à « l’intérêt social ».

Dans ce nouveau système d’organisation (que je préconise), seuls s’élèveront les hommes et les idées qui apporteront un mieux être à la collectivité, ou à l’entreprise, dans son ensemble. Alors que chacun peut constater que les choses aujourd’hui sont à l’exact opposé : actuellement, seuls s’élèvent dans l’ordre (qui est un réel désordre) social les individus les plus nuisibles, notamment par leur créativité, au groupe, à la Société prise dans son ensemble.

SF – Et à l’international ? Les pays sont plus ou moins bien loti géographiquement ou en termes de ressources, et plus ou moins puissant dans un éventuel rapport de force, comment ce bouleversement va impacter la géopolitique mondiale ?

VB – La question des atouts stratégiques en matière première (énergie, terres arables, terres rares…) reste un véritable sujet. Néanmoins, il ne faut pas voir ce sujet comme un mur infranchissable. Il y a beaucoup d’autres façon d’apprécier la qualité d’un territoire, et notamment en fonction de sa qualité de vie (climat, degré de pollution etc.). Et surtout il existe la possibilité que la créativité humaine contourne ces questions de dotation en matière première par l’innovation et la créativité.

Un des gros problèmes du système de domination sous lequel nous vivons actuellement est justement que la valeur créative des individus peut très difficilement émerger. Il est, par exemple, très difficile pour un individu isolé de déposer et défendre un brevet en raison de la double barrière des coûts et des contraintes administratives.

Dans les projets « d’entreprise », « de monnaie » et « d’État » que je défends, toute personne pourra créer une entreprise innovante en soumettant son projet à 1°) un collectif de personnes qui connaissent le sujet, pour validation et 2°) à l’État – lequel serait à nouveau maître ultime de son principe monétaire, pour financement. Ensuite, une fois lancé, le projet pourra faire appel à l’épargne publique par différents moyens dont, pourquoi pas (?), le système de la blockchain.

Je ne voudrai surtout pas que les gens croient que mon projet d’entreprise rénovée sera un obstacle à l’innovation, il sera, tout au contraire, un catalyseur d’innovations. C’est précisément la raison pour laquelle j’ai expressément mentionné, à l’occasion de ma thèse, que la réalisation d’un bénéfice n’était pas une condition sine qua non de l’entreprise. La première condition de l’entreprise est d’avoir un projet professionnel, qui sera financé en fonction de l’intérêt qu’il présente pour la collectivité.

Vous voyez ainsi que la réforme de l’entreprise telle qu’ici conçue ne pourra voir le jour que si, parallèlement, les États, redevenus des entités politiques, récupèrent leur entière souveraineté monétaire. Car qui détient la monnaie a le pouvoir d’affecter les ressources. Le principe monétaire a aujourd’hui été détourné et subverti par son appropriation par la caste des banquiers-commerçants ; il en résulte, naturellement, que les ressources ne sont pas correctement affectées dans la Société.

SF – On peut aussi voir votre projet comme un énorme coup de frein à la vitesse de rotation des flux de marchandises, une baisse de la quantité pour plus de qualité ? Que fait-on du système économique actuel, des montagnes de dettes ?

Là encore, considérer les choses de cette façon, c’est être victime d’illusion. Car enfin, la multiplication du nombre des entreprises ne suppose en aucune façon un ralentissement des échanges, c’est l’inverse. Plus il y aura d’entreprises viables gérées conformément à leur intérêt propre en fonction du développement de l’intérêt collectif, et plus il y aura d’échanges productifs au sein de la Société. Quant au système économique actuel, il sera peu à peu remplacé, un peu à la façon d’une bonne monnaie qui chasserait la mauvaise.

Concernant les dettes, aujourd’hui contractées par les États sous la pression des principaux détenteurs de capitaux, il conviendrait évidemment d’en faire un audit politique sérieux au regard de leur utilité sociale, qui est également le fondement de leur légitimité. Je rappelle que, de façon fondamentale, un droit qui s’occupe de l’intérêt social du groupe, comme le faisait le droit continental traditionnel, ne fait pas passer l’intérêt catégoriel des créanciers devant l’intérêt général. Il en va, évidemment bien différemment sous la domination actuelle du droit anglo-saxon, qui est fondamentalement un principe de régulation aux mains des plus gros propriétaires de capitaux. La règlementation à l’anglo-saxonne est abusivement qualifié de droit, elle n’est pas un « système juridique » comme l’était le droit continental traditionnel, mais une succession de règlementations utilitaires et opportunistes au bénéfice de la caste capitalistique dominante. C’est précisément dans ce sens que vont les règlementations applicables en comptabilité internationale des entreprises mais c’est également dans ce sens que vont toutes les réformes imposées à la France par les institutions européennes.

SF – Il y a encore d’autres fonctions de la société à remettre debout, l’éducation, l’écologie peut-être, le militaire ? D’autres livres en perspective ?

VB – L’entreprise, et la Société, réformées dans le sens que je préconise peuvent, sinon remédier à tout, du moins produire une organisation sociale viable qui permettra de remédier aux problèmes structurels que nous rencontrons à peu près dans tous les domaines de la vie. Il ne s’agit pas de trouver les clefs du paradis terrestre, mais il s’agit, a minima, de fermer la porte aux paradis artificiels, que sont les paradis fiscaux et de permettre un rééquilibrage des forces institutionnelles en présence au sein d’une collectivité politique. Je n’ai en revanche aucune vocation personnelle à tenter d’améliorer chaque individu, ni à supprimer le mal qui peut, à un moment où à un autre, émerger de tout être humain. Il faut aussi rester modeste et considérer qu’il arrive que des actions ou des règles mues par de bonnes intentions débouchent sur des catastrophes collectives alors qu’à l’inverse, des actions ou des règles justifiées par des intentions plus ou moins honnêtes peuvent aboutir à une amélioration du bien-être collectif.

C’est précisément aux effets pervers des règlementations que « le droit », tel que conçu en Europe continental, était chargé de réfléchir et de répondre. C’est aussi sur la conscience fondamentale que « trop de droit tue le droit » que le droit continental traditionnel fondait ses préoccupations. C’est enfin sur une conception humaniste dans laquelle l’individu était pris en considération dans son contexte collectif (l’intérêt du groupe étant supérieur aux intérêts individuels ou catégoriels) que le droit continental traditionnel était bâti. Précisions ici que c’est à ces préoccupations que répondaient les rédacteurs du Code civil de 1804. Ce Code était conçu dans la droite ligne des anciennes « codifications régionales », sa seule innovation fut dans la centralisation qui s’opérait désormais au niveau de l’État et non plus à celui des régions.

Cette conception du droit est en voie de disparition rapide depuis que le principe de domination capitalistique, notamment représenté par le concept de « propriété économique », inhérente à la règlementation anglo-saxonne est peu à peu venu remplacer le droit continental traditionnel. Aujourd’hui, avec les « modernisations » successives du « droit », nous assistons au phénomène selon lequel les principes du droit civil ne sont plus le « droit commun ». Le Code de commerce conçu en 1807 comme un droit d’exception est aujourd’hui devenu, sans le dire, le véritable droit commun applicable à la collectivité politique. L’inversion du sens des institutions politiques se double d’une inversion profonde des valeurs qui s’imposent à la collectivité.

Quant à l’avenir : mes deux livres (« La nouvelle entreprise » et « Du nouvel esprit des lois et de la monnaie »), les articles que j’écris (que le Saker Francophone à l’extrême amabilité de diffuser), les émissions et conférences que je donne sont le cœur de mon travail ; je le continuerai dans la mesure du possible. Il reste très important de diffuser ces informations et analyses afin de faire réellement bouger les lignes de force sociales. L’objectif est de réconcilier les habitants, de rétablir une coopération entre les gens qui représentent des tendances idéologiques différentes ou adverses. Car les divisions sociales, savamment entretenues depuis trop longtemps, ont pour effet direct et indirect de pérenniser la domination des banquiers-commerçants.

SF – Merci Mme Bugault

Notes

1-Cf. https://fr.wikipedia.org/wiki/Loi_du_24_juillet_1867_sur_... ; https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k64790264.texteImage ; https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k64790264.texteImage
2-Cf. « Du nouvel esprit des lois et de la monnaie », co-écrit avec Jean Rémy, publié en juin 2017 aux éditions Sigest
3-cf. http://lesakerfrancophone.fr/de-nouvelles-institutions-po... 
 

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lundi, 21 mai 2018

L’entreprise au-delà des ruines

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L’entreprise au-delà des ruines

par Georges FELTIN-TRACOL

En 1941, l’ancien trotskiste et futur co-fondateur du néo-conservatisme belliciste étatsunien, James Burnham, publiait The Managerial Revolution traduit six ans plus tard sous le titre de L’Ère des organisateurs. Sept décennies après sa parution, à l’heure de l’« entreprise libérée », de l’horizontalité organisationnelle, de l’« open space » de travail et de la généralisation intrusive de l’outil numérique, les managers vivent-ils leurs derniers instants d’existence ? Telle est l’interrogation du consultant en entreprise, Philippe Schleiter, dans un ouvrage au titre bien trop réducteur. Si ce chef d’entreprise s’appuie sur son expérience professionnelle, il entend aussi donner à ses remarques une portée qui dépasse de très loin les simples rapports entre les DRH et les salariés. Sur les traces du futur maréchal Lyautey, il plaide « pour le rôle social du manager (pp. 181 – 194) » et consacre un assez plaisant essai aux répercussions socio-économiques de l’actuelle guerre économique planétaire. « Situés au cœur de l’entreprise, les managers sont […] au plus près des enjeux : leurs postes de travail sont des postes d’observation privilégiés de notre société (p. 184). » Indispensables vigies dans un environnement instable et tumultueux, « les managers représentent, par leur réalisme, leur courage, leur modestie et leur détermination une élite qui s’ignore […] née au feu de la guerre économique (p. 14) ». Cette élite méconnue œuvre au sein de l’entreprise, devenue selon l’auteur l’ultime lieu de socialisation après l’effacement consécutif de l’Église, de l’Armée, de la famille traditionnelle, des partis…

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Lieu de transmission des savoir-faire, des apprentissages et des savoir-être, « l’entreprise est un puissant antidote à l’individualisme, à l’égocentrisme et au narcissisme (p. 187) ». Le nouveau contexte mondial en fait même une unité de combat économique. Ainsi l’auteur ne rechigne-t-il pas à la comparer aux « Drakkar dans la tempête, Caravelle en partance pour le Nouveau Monde, Corps d’Armée montant au front (p. 170) ». Il veut réhabiliter l’entreprise. La période lui semble propice puisqu’« un monde nouveau est en train de naître sous nos yeux : celui de la mondialisation malheureuse. Il est porteur de défis, de compétitions et même d’affrontements qui ne pourront être relevés sans de nouvelles visions, de nouveaux projets et de nouvelles valeurs (p. 13) ».

Une ode à l’entreprise

Il estime qu’« un nouveau modèle apparaît, qui conjugue efficience et frugalité, performance et mesure (p. 49) » avec, en prime, la renaissance bienvenue des valeurs épiques (et non seulement éthiques). « L’entreprise est précisément l’une des institutions les mieux armées pour faire en sorte que le retour actuel des vertus viriles puisse s’exprimer de façon lumineuse et positive (p. 58). » Si, « au tournant des années 1960, un cocktail inédit d’individualisme et d’égalitarisme est venu modifier l’idée que nous faisions de l’autorité (p. 17) », c’est dorénavant en son sein que s’affirmerait un net regain en faveur de l’autorité. « Dans le monde incertain et dangereux qui est le nôtre, le chef doit savoir manier le glaive et se jeter dans la mêlée mais en brandissant aussi le sceptre qui soude la communauté. Il a un rôle et une dimension communautaire et même identitaire (p. 22). » Mais ce chef ne doit pas être un simple donneur d’ordre anonyme et discret. « Le chef est d’abord celui qui incarne l’autorité au quotidien et lui donne un visage. Le chef ne doit donc pas s’enfermer en haut d’une tour fût-elle de verre et non d’ivoire. Il a l’obligation d’être visible et accessible (p. 21). »

Contre le maternalisme ambiant, l’auteur exalte le risque et conteste le principe même de précaution qui s’invite partout, sauf dans l’alimentation (présence des perturbateurs endocriniens) et dans l’immigration allogène de peuplement. Il importe de distinguer « bien-être et bonheur (p. 116) ». Cette approche brise les clichés véhiculés par les syndicats. Philippe Schleiter rappelle que la France a « le taux de syndicalisation le plus bas d’Europe (p. 130) » sans jamais en expliquer les raisons. La faiblesse syndicale française se comprend à l’aune de l’idéologie égalitaire. Hors de l’Hexagone, Lointaine rémanence des « privilèges » corporatistes d’Ancien Régime, l’appartenance au syndicat permet à ses adhérents de bénéficier d’avantages sociaux propres négociés et obtenus entre leur syndicat, le patronat, voire, le cas échéant, la puissance publique. Exclus du syndicat, ils les perdent tous. En France, l’égalité veut que les accords sociaux s’appliquent à l’ensemble du personnel et pas uniquement aux seuls syndiqués. Dans ces conditions, à quoi bon cotiser ?

Philippe Schleiter considère que « l’Entreprise reste une communauté agissante (p. 91) ». Elle ne cesse de se développer parce qu’« un nombre croissant d’activités relevant autrefois des secteurs public ou associatif est désormais assuré par l’entreprise (p. 82) ». Il se lance dans une rétrospective historique à propos de cette époque faste appelée par Jean Fourastié les « Trente Glorieuses », cette « déclinaison de la modernisation et de la croissance forte et continue qui place la France au rang de puissance industrielle (p. 139) ». Il oublie cependant – peut-être victime de l’historiquement correct ? – que ce dynamisme ne date pas de l’immédiate après-guerre et des initiatives sociales du CNR (Conseil national de la Résistance), mais des efforts commencés dès la fin de la IIIe République, ensuite poursuivis sous l’État français d’un vieux maréchal par de hauts fonctionnaires et des technocrates successivement passés par les écoles de cadres de la Révolution nationale et les réseaux de noyautage de la Résistance. Pensons par exemple à Maurice Couve de Murville, ministre des Affaires étrangères entre 1958 et 1968, puis Premier ministre (1968 – 1969) du Général de Gaulle, qui arrive à Alger en décembre 1942 pour se mettre à la disposition de l’Amiral François Darlan, Dauphin officiel du Maréchal !

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Cette continuité technico-administrative explique que « l’État des Trente Glorieuses n’est pas seulement un État protecteur, […] c’est aussi un État “ entrepreneur ” qui exige de l’engagement au service d’une ambition collective (pp. 142 – 143) ». Il serait bien que les énarques redécouvrent le rôle fondamental de l’État stratège dans l’agencement des « sociétés contemporaines [qui] trouvent leur équilibre dans le mouvement (p. 72) ». L’État stratège demeure ce point fixe indispensable pour se repérer dans les flux mondiaux des échanges et des comportements.

L’auteur en appelle au renouveau industriel. Il a raison. Toutefois, son néo-industrialisme semble quelque peu excessif. La France ne doit pas privilégier l’économie tertiaire, favorable aux seuls services marchands. L’État stratège devrait permettre la relance concomitante de la matière (une nouvelle industrie ambitieuse et performante) et de la terre (l’agriculture, la pêche et l’exploitation forestière) parce que pointe déjà à l’horizon l’impératif de l’auto-suffisance alimentaire. Valorisons par conséquent les figures civiques fondatrices européennes de l’Ingénieur et du Paysan !

Renouveau entrepreunarial !

L’auteur avance avec raison que « l’heure est plutôt au patriotisme économique et un volontarisme industriel avec la ferme volonté de ne pas rater le coche de la troisième révolution industrielle naissante à la confluence de la micro-électronique, de la robotique, du logiciel et de l’Internet (p. 123) ». Regrette-t-il le « capitalisme rhénan » expliqué naguère par Michel Albert ? L’entreprise appropriée n’est pas la firme internationale, mais plutôt l’entreprise familiale ou le groupe de dimensions intercontinentales en commandite absent des places financières (Michelin). Elle se rapprocherait des entreprises japonaises et coréennes du Sud dont les employés montrent leur attachement à leur « boîte » et expriment un véritable « patriotisme entrepreunarial », soit des communautés effectives qui feraient enfin sens. « Pour relever les défis qui leur sont adressés, les dirigeants d’aujourd’hui et ceux de demain doivent donc se départir de l’ancienne vision mécaniciste de la société. Ils doivent troquer Descartes contre Darwin pour renouer avec un modèle d’organisation plus biologique, organique et holiste. Ils doivent se souvenir que l’intelligence est d’abord collective et se penser pleinement membres d’un tout dont la valeur est supérieure à la somme de ses parties (pp. 66 – 67). » Le holisme fait donc son grand retour comme le signale d’ailleurs le pasteur Jean-Pierre Blanchard (1).

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Il est possible que « l’entreprise [soit] un levier formidable pour accompagner cette renaissance et redonner confiance au pays. Parce qu’elle est rompue à l’exercice de la définition d’une vision, d’une ambition, d’un projet collectif qui, s’ils sont bien faits, fédèrent les énergies. Et aussi parce qu’en son sein les élites circulent plus vite (pp. 147 – 148) ». Comment alors motiver le personnel en-dehors des primes exceptionnelles et des augmentations de salaire ? Communauté de destin productif et professionnel, l’entreprise ne peut-elle pas appartenir à ceux qui y travaillent ? Structures coopératives, intéressement aux bénéfices réalisés, participation à la gestion quotidienne constituent des facteurs d’encouragement et de motivation à la vie de l’entreprise. Il ne s’agit pas de susciter l’autogestion, ni d’abolir la hiérarchie interne, mais de faire des cadres et des employés des co-propriétaires. Les entreprises coopératives ou « co-gérées » présentent une vulnérabilité moindre au rachat éventuel proposé par quelques multinationales prédatrices. Co-propriété de ses employés et de l’État, Alstom n’aurait jamais été bradé à des intérêts anti-français. L’entreprise ne se conçoit pas éphémère ou à durée limitée. « L’éloge de l’instant, l’ode à l’urgence sont non seulement contre-productifs mais encore sont-ils le signe annonciateur de désastres futurs (p. 31). » L’intégration de ses membres dans la vie de l’entreprise ne lui donne-t-elle pas une épaisseur certaine ? « À l’instar de toutes les communautés vivantes les entreprises ont des racines et une identité qui, loin de les lester, peuvent les aider à se trouver une voie propre à travers les aléas de l’histoire (p. 34). » Préfacier de l’ouvrage, Hervé Juvin écrit que « l’entreprise hors sol est un monstre, l’entreprise de demain retrouvera sa dimension territoriale, sociale et nationale (2) ».

Participation effective et association du travail et du capital fortifient sans aucun doute l’entreprise qui affronte la mondialisation d’autant que « l’entreprise n’est nullement à l’origine de la mondialisation (p. 83) ». Provocateur, Philippe Schleiter assure que « mondialisation ne rime pas avec uniformisation : le monde est à la fois global et pluriel (p. 46) ». Cela signifie que « la mondialisation n’est pas ce creuset dans la modernité duquel tous les pays sont appelés à se dissoudre pour permettre l’éclosion d’une nouvelle conscience planétaire, et qu’elle est plutôt une arène dans laquelle les entreprises mais aussi les nations sont appelées sinon à s’affronter de façon directe, du moins à entrer dans une compétition d’autant plus vive que l’abolition des frontières et des distances précipite tous les concurrents sur un même terrain (pp. 43 – 44) ». Toujours d’après lui, « longtemps, on a cru que mondialisation rimerait avec occidentalisation, voire avec américanisation : une folle illusion entretenue y compris par ses adversaires qui y voyaient une nouvelle ruse de l’impérialisme yankee (p. 39) ». Point de vue contestable. Les adolescents de Bucarest, de Dakar, de Séoul ou de Sarcelles portent rarement des maillots floqués à la gloire de Confucius ou de Lao Tseu ! Distribués sur les cinq continents, les films autour de StarWars et des Avangers ne propagent-ils pas l’image d’une Amérique irréelle ?

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L’entreprise contre le marché

« La mondialisation n’a […] pas été pensée entre les murs des conseils d’administration mais au sein du Bureau ovale (p. 84). » Dans les décennies 1970 – 1980, « inquiets des succès enregistrés, sur des terrains différents, par l’URSS d’une part, et le Japon d’autre part, les États-Unis ont décidé de réagir en nouant une alliance avec la Chine et en dérégulant les marchés, notamment financiers, posant ainsi les bases d’un nouveau monde (p. 84) ». Mondialisation et financiarisation de l’économie tendent à fondre les entreprises dans les flots glacés des marchés au point que certains libéraux les prennent pour des fictions ! Or les entreprises ne doivent « pas se dissoudre dans le marché global mais [au contraire] […] s’y imposer comme une force agissante (p. 90) ». L’auteur souligne que « la politique de dérégulation impulsée au début des années 1980 dans le monde anglo-saxon avant de gagner le monde entier n’est pas en faveur de l’entreprise mais du marché (p. 84) ». Il va même plus loin et pense que « le marché et l’entreprise sont des entités distinctes et même, à bien des égards, antagonistes (pp. 84 – 85) ». En effet, « l’entreprise traditionnelle représente […] l’une des rares institutions se dressant encore contre le triomphe sans partage du marché (p. 190) ». Y aurait-il du Jean-Luc Mélanchon ou du Benoît Hamon chez Philippe Schleiter ? Fausse alerte ! « En favorisant l’extension du domaine du marché, la révolution libérale poursuivie depuis une trentaine d’années ne pouvait donc que profondément déstabiliser l’entreprise, telle qu’elle s’était affirmée du XIe siècle jusqu’à la fin des Trente Glorieuses. Alors que l’entreprise était portée par une dynamique d’institutionnalisation, elle tend désormais à n’être plus que le lieu où se nouent, de façon éphémère, des relations entre agents déliés de tout pacte à moyen ou long terme. Alors qu’elle s’affirmait comme un pôle de stabilité à côté d’autres institutions durables, les nouvelles règles du jeu lui enjoignent de redevenir fluide et volatile, à l’instar de l’ensemble de la nouvelle société ainsi édifiée (p. 85). » Sévère et juste constat ! Regrettons toutefois que Philippe Schleiter n’aborde pas l’avenir de l’entreprise confrontée à l’émergence de l’intelligence artificielle et aux cadences de travail épuisantes observées par exemple chez ce nouveau négrier qu’est Amazon.

La mondialisation dévaste tout sur son passage. Dans la grande liquéfaction du monde, l’auteur ose le pari que « l’entreprise va être le conservatoire de valeurs indispensables dans les temps difficiles qui risquent bien de s’annoncer (p. 197) ». Il prend exemple sur la transition difficile de l’Antiquité tardive au Haut Moyen Âge. « Dans le chaos suivant la chute de l’Empire romain, les vestiges de l’ancienne culture ont été maintenus dans l’enceinte des monastères. Il n’est pas impossible que dans le chaos post-moderne les entreprises remplissent ce rôle en maintenant vivantes des valeurs qui, dans le reste de la société, ne sont plus qu’un vague souvenir… (p. 191). » Philippe Schleiter ne dédaigne pas les approches audacieuses et assez réductrices. Des communautés informelles mais réelles autour de BAD (bases autonomes durables), détenant des terres arables serviront, elles aussi, des conservatoires de la civilisation européenne. « La mondialisation ne met pas seulement en concurrence les économies, mais des valeurs, des modèles de société, des capacités de réduction et d’entraînement (p. 45). » L’entreprise serait-elle à la hauteur pour l’inévitable transmutation des valeurs ? La question revêt toute son importance quand on voit que les grandes et moyennes entreprises n’hésitent plus à appliquer les mots d’ordre du conformisme officiel (écriture inclusive, anti-racisme, gendérisme, féminisme hystérique…) et à livencier les militants anti-Système. Elles contribuent à la liquidation de l’ancien monde.

Jeune retraitée de la vie politique, Marion Maréchal – Le Pen révélait dans Valeurs actuelles du 22 février 2018 son projet « métapolitique » d’académie d’enseignement politique destinée à former les futurs talents d’une « droite entrepreunariale et enracinée ». Ses premières promotions auraient tout intérêt à lire Management. Le grand retour du réel. Quant à la direction, elle pourrait fort bien solliciter l’auteur pour des interventions. La nouvelle révolution des managers sera conservatrice et réfractaire. Ça nous change du primat bancaire de la Start up Nation en pacotille !

Georges Feltin-Tracol

Notes

1 : Jean-Pierre Blanchard, L’Alternative holiste ou la grande révolte antimoderne, Dualpha, coll. « Patrimoine des héritages », préface de Patrick Gofman, 2017.

2 : Hervé Juvin, France, le moment politique. Pour que la France vive !, Éditions du Rocher, 2018, p. 178.

• Philippe Schleiter, Management. Le grand retour du réel. 15 cartouches pour ne pas être démuni, préface de Hervé Juvin, VA Éditions, 2017, 199 p., 18 €.

10:21 Publié dans Actualité, Economie, Livre, Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : économie, livre, entreprise, philippe schleiter | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

lundi, 12 décembre 2011

L'entreprise autogérée

 

L'entreprise autogérée

Ex: http://physis.lautre.net/

Préambule : ce texte est la suite d’un précédent intitulé : « Démocratie politique, démocratie économique, démocratie globale » [1]; il se veut une approche de l’entreprise autogérée en tant qu’application des pratiques démocratiques à l’entreprise et plus généralement à l’économie. Malgré ses défauts structurels, l’entreprise capitaliste moderne est l’outil de production le plus évolué ayant jamais existé, il ne s’agit pas ici de voir l’entreprise autogérée en tant que « contraire » à son homologue capitaliste, mais comme un dépassement de celle-ci. Le point de départ permettant l’appréhension de l’entreprise autogérée ne peut donc ici être que l’entreprise capitaliste moderne, et non pas les différentes tentatives plus ou moins autogestionnaires ayant eu lieu dans d’autres contextes.

 

L’objectif de cet essai n’est pas de présenter un impossible modèle d’entreprise autogérée parfait et fini, mais d’apporter quelques éléments de réponse simples et concrets aux citoyens, de plus en plus nombreux, qui s’interrogent sur une alternative crédible à l’entreprise capitaliste.

 

L’idée d’autogestion

 

Si l’idée d’autogestion connut une certaine vogue en France dans les années 1970 son origine est plus ancienne ; même si le mot apparaît beaucoup plus tard, l’idée elle-même existe déjà dès le dix-neuvième siècle dans le courant de pensée socialiste, elle est inséparable des idées de « démocratie économique », de « socialisme libéral », et de « crédit social » que développe P.J. Proudhon, d’ailleurs souvent nommé « le père de l’autogestion ».

 

L’autogestion dans son application à l’entreprise correspond à une forme de gestion démocratique de celle-ci par ses travailleurs, mais l’idée peut être élargie au fonctionnement global du système socio-économique : l’autogestion généralisée (socialisme autogéré) permettant alors d’aboutir vers la démocratie globale. On ne détaillera pas ici le pourquoi de l’entreprise autogérée qui a déjà été argumenté : d’un point de vue socio-économique global [2], et du point de vue de la démocratie[3]. L’autogestion est le mode d’organisation de l’entreprise qui peut à la fois permettre de s’affranchir des incohérences sociales, économiques, et écologiques, qu’entraînent les mécanismes d’accumulation du capital et la loi du profit privé, et permettre l’instauration de véritables pratiques démocratiques dans l’entreprise.

 

Qu’est-ce qu’une entreprise autogérée ?

 

Une entreprise autogérée est avant tout une entreprise gérée par ses travailleurs, cette forme de gestion d’entreprise existe déjà dans le cadre des « coopératives ouvrières ». L’exemple le plus connu est celui de Mondragon (Mondragon Corporation Cooperativa), cette entreprise créée en 1943 par un prêtre du pays basque est aujourd’hui une société internationale qui emploie plus de 30 000 personnes. En France les 1500 « scops » existantes sont beaucoup plus petites puisqu’elles réunissent environ 30 000 salariés, soit ensemble un nombre équivalent à celui de Mondragon. Tout salarié-associé participe à la gestion démocratique de l’entreprise, mais l’entreprise peut employer de simples salariés qui ne bénéficient pas forcément des mêmes droits que les salariés-associés. Si l’entreprise coopérative présente une avancée certaine par rapport à l’entreprise capitaliste, elle ne règle pas pour autant le problème de l’inégalité du droit de propriété, car pour devenir associé il faut apporter sa part de capital qui dans le cas de Mondragon s’élève à un an de salaire. La scop peut elle-même faire appel à des actionnaires extérieurs, ce qui ne règle nullement le problème de l’inégalité économique créée par le privilège des revenus de l’argent. Il apparaît donc que les avancées permises par les coopératives sont très relatives, et que leur statut n’est pas encore suffisant pour correspondre aux critères essentiels de la démocratie économique.

 

Comme on l’a déjà vu [4], les deux obstacles essentiels à la démocratie économique sont le droit de propriété privée de l’entreprise, et les revenus privés de l’argent qui sert à son financement. La remise en question de ces deux éléments implique de définir un nouveau statut pour l’entreprise, ainsi qu’un nouveau mode de financement.

 

Le statut de l’entreprise autogéré

 

Le premier point concerne bien évidemment celui de la propriété de l’entreprise, si elle se libère de ses actionnaires, à qui sa propriété peut-elle bien revenir ?

 

- Aux travailleurs associés comme dans le cas des scops ? Il y aurait alors juste transfert du droit de propriété, le privilège du droit de propriété de l’entreprise passerait de l’actionnaire-rentier à l’actionnaire-travailleur, celui-ci devrait acheter son droit à participer à l’entreprise et l’inégalité économique inhérente à ce droit ne disparaîtrait pas.

 

- A l’État, comme dans le système socialiste soviétique ? L’histoire a montré, à ceux qui en doutaient, que concentrer entre les mains de l’État le pouvoir politique et le pouvoir économique était très néfaste pour la démocratie en général [5], et peu efficace d’un point de vue économique.

 

Si on veut vraiment que l’entreprise appartienne à quelqu’un, on risque d’avoir des difficultés à trouver d’autres possibilités, posons alors le problème différemment. Si on veut limiter le droit de propriété de l’entreprise de telle sorte qu’elle ne puisse être ni vendue ni achetée, ni que quiconque puisse tirer des bénéfices de ce seul droit, il ne reste guère que le droit d’y travailler, peut-on alors encore parler de droit de propriété ? Ne peut-on pas alors donner à l’entreprise un statut juridique la reconnaissant en dehors de tout droit de propriété, comme le sont de nombreuses associations ? D’ailleurs si la nature de l’entreprise autogérée n’est plus d’être l’objet de profit de ses actionnaires/propriétaires, ne devient-elle pas justement une association de travailleurs qui peuvent maintenant gérer eux-mêmes l’entreprise à laquelle ils participent ? Il existe en France de nombreuses « associations loi 1901″ qui emploient du personnel, produisent des biens et des services, et qui pourtant n’appartiennent à personne et ne peuvent être vendues. Il en est de même pour des administrations, pour des collectivités locales : une commune fonctionne comme une grosse entreprise, gère un budget important, assure une production de services et mêmes de certains biens, et pourtant ne peut être vendue ni achetée. Pourquoi n’en serait-il pas de même pour l’entreprise ?

 

Puisque c’est justement ce droit de propriété de l’entreprise qui est ici le premier point de blocage de la démocratie économique, l’adoption d’un nouveau statut juridique de l’entreprise doit permettre de la soustraire à cette contrainte. Comme toute association, elle pourra alors être démocratiquement gérée par ses membres, sans que ceux-ci en tirent un quelconque privilège inégalitaire. Seul leur travail dans l’entreprise sera la source de leur revenu, et aucun propriétaire ne pourra les en spolier d’une partie, ni décider à leur place la manière de gérer leur « association de travailleurs », ce qui correspond tout à fait aux valeurs de liberté et d’égalité associées aux pratiques démocratiques.

 

Le financement de l’entreprise autogérée

 

Dans l’entreprise capitaliste ou étatique, c’est d’une part le ou les propriétaires qui apportent à l’entreprise les fonds nécessaires à ses investissements, mais d’autre part elle se finance aussi soit à partir de ses profits, soit surtout à partir du crédit. L’entreprise autogérée n’ayant pas de propriétaire, et son objectif n’étant pas de dégager du profit et d’accumuler du capital mais de redistribuer à ses membres le fruit de leur travail, ne pourra logiquement être financée que par du crédit.

 

Dans l’entreprise capitaliste actuelle, le crédit provient de l’épargne et est fourni directement par des « ménages capitalistes » ou par l’intermédiaire d’établissements financiers privés, on peut facilement imaginer qu’ils ne vont pas être partants pour favoriser ce nouveau genre d’entreprise. En effet, ces agents financiers fonctionnent généralement suivant la logique du profit maximum et leurs intérêts vont dans le sens de l’entreprise capitaliste, l’entreprise autogérée entrera en concurrence avec celle-ci et risquera donc d’avoir du mal à trouver de cette manière les moyens de son nécessaire financement. De toute façon, ce type de financement fait appel au capital financier privé dont les revenus sont sources d’inégalités économiques [6], et ne peut guère s’accorder avec l’entreprise autogérée dont l’objectif est justement de pouvoir accéder à la démocratie économique la plus large possible.

 

Toutefois, l’entreprise autogérée a besoin d’accéder au crédit, et ceci dans des conditions égales pour chacun. Pour pouvoir le financer il y a au moins deux solutions techniques possibles :

 

- Un fond d’investissement financé par l’impôt, c’est à dire par une « épargne forcée ».

 

- Une libre sollicitation à l’épargne des ménages comme dans le système capitaliste. Bien sûr il ne s’agit pas ici de solliciter « l’épargne capitaliste » qui permet aux plus riches de s’enrichir sans limite, mais heureusement les ménages n’épargnent pas que pour s’enrichir. Malgré sa faible rémunération, une énorme majorité de français possèdent un livret de Caisse d’Épargne, beaucoup d’entre eux pourraient placer cet argent sous forme de placements de type capitaliste beaucoup plus avantageux, et pourtant ils ne le font pas. Les Caisses d’Épargne collectent ainsi une épargne populaire qui est normalement destinée à être prêtée pour des investissement à caractère social, cette épargne est à l’origine d’un « crédit social » que l’on peut nettement différencier du « crédit capitaliste ». Non seulement les intérêts versés aux déposants sont faibles, mais le montant des dépôts est plafonné ; même si le revenu de l’argent existe toujours, son aspect inégalitaire est ici considérablement diminué, il devient alors impossible aux plus riches d’assurer leurs revenus grâce à leur seule fortune. Vu le succès que rencontrent les livrets de Caisse d’épargne, on pourrait aisément collecter de la même manière de l’épargne destinée à assurer le financement des entreprises autogérées.

 

Dans le cadre de l’entreprise capitaliste, l’argent est attribué aux entreprises par des investisseurs privés qui agissent essentiellement suivant la seule règle de leur profit maximum. Cette règle fait dépendre l’investissement, et l’économie en général, de considérations et d’intérêts personnels qui le soumettent au bon vouloir des plus riches et n’ont absolument rien de démocratiques. Dans ce système l’accès au l’argent n’est pas égalitaire, une petite entreprise locale aura plus de mal à trouver l’argent nécessaire pour financer son développement qu’une société multinationale délocalisant sa production.

 

Dans le cadre de l’entreprise autogérée financée par du crédit social, les contraintes ne sont plus les mêmes, l’entreprise doit seulement rembourser des intérêts à taux fixes. Le financement de l’entreprise n’est plus soumis à la loi du profit maximum, mais à la seule contrainte de rembourser normalement ses emprunts. La « Caisse » chargée d’attribuer les crédits peut enfin examiner les dossiers de demande en fonctions de critères démocratiquement déterminés, la décision d’accorder ou non le prêt ne relèvera plus du seul privilège du plus riche, mais des conclusions d’une commission qui pourra être démocratiquement nommée.

 

La gestion de l’entreprise autogérée

 

Si les problèmes du statut et du financement de l’entreprise autogérée relèvent de questions d’ordre technique et peuvent trouver des réponses simples, il en est tout autrement de la gestion de l’entreprise. On touche ici un domaine qui est celui du comportement humain, l’autogestion n’est pas conçue comme un système où l’humain doit s’adapter aux besoins de l’entreprise (ce qui est le cas de l’entreprise capitaliste), mais au contraire où l’entreprise doit être le fruit de pratiques humaines librement choisies, et inévitablement différenciées et évolutives. On peut évidemment concevoir que cette gestion se fera en accord avec les valeurs et les pratiques démocratiques déjà connues, que l’entreprise sera sans doute gérée par un conseil d’administration élu par les travailleurs de l’entreprise, mais il ne faut pas oublier que la démocratie c’est aussi la diversité et le choix, c’est aux travailleurs eux-mêmes de décider comment organiser le fonctionnement de leur association. Ceci est vrai aussi bien pour l’organisation du travail que pour celui de la gestion de l’entreprise. D’un point de vue plus général, vouloir imposer aux membres de l’entreprise, « par le haut », un système prédéterminé, n’est pas conforme au principe de liberté de choix attaché à la démocratie, et est donc contradictoire avec l’idée même d’autogestion. On peut parfaitement imaginer que des entreprises autogérées fonctionnent suivant des pratiques productives différentes (postes fixes, rotation des tâches), suivant des hiérarchies de revenus différentes, suivant des modes de gestion différents ; ces méthodes de fonctionnement interne variant suivant des facteurs tels que la taille de l’entreprise, son type de production, ou les particularités culturelles locales.

 

Avantages de l’entreprise autogérée

 

Nul doute que ceux qui s’enrichissent en tirant profit de l’absence de démocratie dans l’entreprise trouveront des désavantages à l’entreprise autogérée, en attendant on voit mal quels pourraient être les effets négatifs d’une telle avancée sociale alors que ses avantages sont évidents :

 

- Dans l’entreprise capitaliste, l’intérêt des propriétaires, donc de l’entreprise, était contradictoire avec celui des salariés [7] ; dans l’entreprise autogérée, les intérêts de l’entreprise et des salariés deviennent communs. Les travailleurs sont directement responsables du bon fonctionnement de l’entreprise autogérée qui reste soumise à la concurrence et au risque de faillite ; c’est à eux de la gérer soit directement, soit en confiant cette charge à des gestionnaires compétents, qui ne leur seront pas imposés, mais qu’ils auront démocratiquement choisis pour défendre les intérêts de l’entreprise commune.

 

- L’investisseur capitaliste, qui peut facilement déplacer ses capitaux et qui vise le profit maximum, privilégie souvent la recherche du profit à court terme ; les membres de l’entreprise autogérée qui veulent sauvegarder leur outil de travail ont au contraire tout intérêt à gérer rationnellement leur outil de travail sur le long terme, il ne peut plus être ici question de négliger l’investissement ni de délocaliser la production.

 

- Contrairement à l’entreprise capitaliste, soit-disant libre mais en fait soumise au seul intérêt de ses propriétaires et à la seule loi du profit, l’entreprise autogérée est réellement libre. Elle est débarrassée du diktat de ses actionnaires qui la soumettaient au seul intérêt de leurs profits particuliers, elle n’est plus soumise à la contrainte de la rentabilité maximum, mais seulement à celle de son équilibre financier.

 

- La recherche des gains de productivité, qui ne profiteront plus aux profits du capital mais aux seuls travailleurs, jouera toujours le même rôle de stimulant à l’innovation technique. Les travailleurs devront eux-mêmes décider comment affecter ces gains : choisir entre plus de revenu ou plus de loisir ; bien sûr le rôle du législateur sera d’éviter les abus et de prendre les mesures utiles pour tendre vers un partage optimum du travail et des revenus.

 

- L’attribution du crédit selon des critères démocratiquement déterminés, et non plus selon celui du profit maximum, rendra son accès plus facile aux petites et moyennes entreprises souvent peu rentables.

 

- Le créateur d’entreprise, qui bien souvent aujourd’hui se trouve à la merci d’investisseurs capitalistes n’hésitant pas à lui « confisquer » sa création si elle s’avère rentable, pourra non seulement bénéficier plus facilement de fonds, mais ne pourra pas se faire exproprier d’un bien non négociable. Le créateur d’entreprise est un acteur économique très utile à la communauté, qui ne pourra qu’être encouragé et bénéficier d’un statut particulier dans la gestion de l’entreprise dont il est à l’origine.

 

Faisabilité de l’entreprise autogérée

 

Les paragraphes précédents montrent qu’aucun problème technique rédhibitoire ne se pose, aussi bien du point de vue du statut que de celui du financement ou de la gestion. L’entreprise autogérée n’a rien d’utopique et est parfaitement viable, elle présente même de nombreux et importants avantages par rapport à l’entreprise capitaliste. Elle est en elle-même révolutionnaire car fondée sur une approche socio-économique radicalement différente de l’approche capitaliste, mais son instauration n’implique pas nécessairement pour autant des changements profonds dans le système capitaliste lui-même. Elle peut parfaitement se greffer sur le système socio-économique capitaliste actuel sans pour autant nier totalement le droit de propriété d’entreprise qui peut toujours s’exercer au niveau des entreprises capitalistes. L’entreprise autogérée n’appartient à personne, donc à fortiori pas à l’État, elle n’est pas financée par des fonds gouvernementaux mais par une libre épargne ; il serait mal venu pour les idéologues capitalistes libéraux de la critiquer au nom de la libre concurrence et de la libre entreprise car, contrairement à l’entreprise capitaliste soumise à la loi du profit, elle est réellement libre et démocratique.

 

Contrairement à d’autres projets socialistes impliquant un changement radical et immédiat de la base économique capitaliste, l’entreprise autogérée peut parfaitement coexister avec l’entreprise capitaliste y compris sur une base concurrentielle ; elle offre donc l’avantage de se présenter en tant qu’alternative immédiate, dépendant d’une seule volonté politique. C’est un projet parfaitement adapté à un mouvement social avide de démocratie, et on ne voit pas bien quels arguments convaincants un gouvernement pourrait-il trouver pour rejeter une telle avancée économique ; il serait au contraire très intéressant pour tout le monde de tester ce genre d’entreprise, de pouvoir comparer en situation de concurrence l’entreprise capitaliste soumise à la loi du profit, et l’entreprise autogérée fonctionnant selon des pratiques démocratiques.

 

Le problème de la faisabilité de l’entreprise autogérée n’est pas d’ordre technique mais apparaît d’ordre politique et conjoncturel. On vit dans un système socio-économique capitaliste soumis à la nécessité d’accumulation et de croissance du capital privé, ce type d’entreprise est étranger à ce système, il lui serait même concurrent. Dans nos pays « développés », cette revendication est politiquement difficilement compatible avec une phase de croissance du capitalisme comme par exemple celle des trente glorieuses, car la conjoncture positive pour les salaires et l’emploi y rend difficilement acceptable l’idée d’un changement dont la masse des travailleurs ne peut que difficilement voir l’intérêt profond. En situation de « crise molle » telle que nous la connaissons depuis la fin des trente glorieuses, pour tenter d’éviter l’aggravation de la détérioration économique et sociale une des priorités essentielles des gouvernements est d’assurer les profits et la croissance du capital privé ; il apparaît alors difficilement imaginable que les dirigeants acceptent le principe d’une nouvelle forme d’entreprise qui pourrait prendre des parts de marchés si importantes pour la croissance du système capitaliste [8], d’autant plus que dans ce type de période les organisations ouvrières semblent se limiter essentiellement à des revendications défensives et ne s’intéresser guère à la recherche de solutions réellement alternatives. En fait cette revendication pourrait surtout vraiment montrer sa pertinence dans une phase d’aggravation de la crise, elle pourrait dans ce cas parfaitement devenir un mot d’ordre syndical, citoyen, et même politicien, porteur de réelle alternative. Si la crise s’aggravait fortement et se doublait de grosses difficultés du système financier, voire même de son effondrement, on pourrait alors concevoir que face à l’avalanche des faillites d’entreprises, et bien sûr sous la pression sociale habituelle à ce genre de situation, un gouvernement soucieux de relancer l’économie pourrait trouver tout avantage à accepter leur transformation en entreprises autogérées, tout comme il pourrait aussi avoir tout avantage à remplacer le crédit capitaliste, alors défaillant, par le crédit social.

 

L’entreprise autogérée, premier pas vers l’autogestion généralisée

 

Si l’entreprise autogérée est une avancée démocratique importante, et si on peut parfaitement concevoir son existence dans le cadre du système socio-économique capitaliste, elle peut aussi être conçue comme élément majeur d’un système socio-économique nouveau. Sa généralisation permettrait de libérer l’économie de la contrainte de la loi du profit et des conséquences négatives qu’elle induit dans le système socio-économique, elle aboutirait à l’abandon de l’entreprise capitaliste et à l’abolition du privilège des revenus de l’argent. On pourrait alors enfin connaître un système socio-économique :

 

- où la spéculation financière serait devenu impossible
- où le privilège de la richesse, permettant l’enrichissement grâce aux revenus de son argent, serait aboli,
- où l’exploitation systématique de l’homme, par l’argent et celui qui le possède, ne deviendrait plus qu’un souvenir,
- où l’économie ne serait plus au service du capital, mais à celui de l’humain,
- où le développement économique ne serait plus soumis à une absurde logique de croissance absolue, mais pourrait enfin devenir durable,
- où les gouvernants ne seraient plus soumis aux pressions et contraintes des lobbies de l’argent et du marché capitaliste, et pourraient enfin gérer le pays dans le sens de plus d’égalité économique et de respect de l’écosystème, dans le sens de plus de bien-être équitablement partagé.

 

Michel Lasserre (01/2002)

 

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[1] http://m-lasserre.com/textes/democratie.htm
[2] Cf « Vers le socialisme autogéré … » : http://www.m-lasserre.com/vlsa/vlsa.htm
[3] Id. (1) .
[4] Id. (1) .
[5] Le programme du Parti Social-Démocrate allemand de 1891, corrigé par Engels, soulevait déjà ce point. « Le parti social-démocrate n’a rien de commun avec ce qu’on appelle le socialisme d’état, avec le système des exploitations par l’état dans un but fiscal, système qui substitue l’état à l’entrepreneur particulier et qui, par là, réunit en une seule main la puissance de l’exploitation économique et de l’oppression politique ». (Critique des programmes de Gotha et d’Erfurt, Marx Engels, éd.sociales).
[6] Id. (1) .
[7] Id. (1) .
[8] Ce qui ne serait d’ailleurs pas si évident à démontrer : d’une part l’entreprise autogérée drainerait une partie de l’épargne qui ne s’investirait plus dans la finance capitaliste, ce qui diminuerait d’autant la croissance de la masse globale du capital financier donc ses exigences de croissance du marché capitaliste; d’autre part, pour sa production, l’entreprise autogérée pourrait utiliser les services d’entreprises capitalistes, et créer ainsi une extension de leur marché.

lundi, 25 janvier 2010

L'entreprise holiste est l'entreprise de demain

Archives de Synergies Européennes - 1988

L'entreprise «holiste» est l'entreprise de demain

 

Rudolf MANN, Das ganzheitliche Unternehmen. Die Umsetzung des Neuen Denkens in der Praxis zur Sicherung von Gewinn und Lebensfähigkeit, Scherz, Bern/München/Wien, 1988, 256 S., ISBN 3-502-15446-5.

 

Dans tous les secteurs de notre société, on parle désormais de «holisicer» pensée et pratique. En d'autres mots, de mettre l'accent sur la totalité d'un phénomène, sans le réduire à un schéma inspiré par l'idéologie ou la paresse. Le Dr. Rudolf Mann, fondateur d'une école de gestion d'entreprise fondée sur les théories holistes de l'action so­ciale, est un grand spécialiste de la matière. Dans l'ouvrage que nous venons de lire, nous avons découvert une esquisse de cette nouvelle pensée. Celle-ci sera une pensée en réseau (vernetzt), énergo-cybernétique, plus proche de la structure intime du réel que la pensée linéaire con­ventionnelle qui détermine toute la pensée occiden­tale. Systémique, la nouvelle pensée ne considérera plus l'entreprise com­me une île isolée mais comme un «système» relié à un nombre quasi infini de forces, de dépendances, etc. L'entreprise est donc un «être vivant», émanation de la force vitale universelle que les Egyptiens nommaient Ka,  les Chinois Ch'i,  les Japo­nais Ki,  les Indiens Prana,  les Tibétains Tummo  et les Grecs Aperion.  Etre vivant, l'entreprise doit donc obéir aux prin­ci­pes de la bio-cybernétique. Notamment, orienter ses énergies vers son bon fonctionnement plutôt que vers une maximisation irrationnelle de sa production. Appliquer les principes du jiu-jitsu plutôt que ceux de la boxe: uti­liser les faiblesses et les for­ces des concurrents, absorber les contradictions plutôt que les refouler, etc. Recycler ses déchets. Etre en symbiose avec son environnement. Pratiquer une écologie sainement comprise. Les prin­cipes de la bio-cybernétiques doivent être appliqués par des individus évolutionnaires, qui ont repéré en eux-mêmes leur spécificité unique et inaliénable, et l'exploitent à fond sans efforts particuliers, en prestant un excel­lent travail. Les individus qui n'ont pas reconnu en eux-mêmes leur spécificité propre prestent un travail mé­diocre, en gaspillant davantage d'énergie. L'homme, au sein de l'entreprise est un petit hologramme in­clus dans le grand hologramme qu'est l'entreprise. Il faut qu'il y ait harmonie entre petits et grands hologrammes, sinon les dys­fonctionnements s'accumulent, des potentialités humaines sont négligées et gaspillées et la totalité (entreprise, Etat, nation, communauté) stagne et dépérit. Le Dr. Rudolf Mann nous démontre la validité des ap­proches vitalistes, holistes, etc. sans recourir à des théories du XIXième ou des années 20, mais en utilisant des données scientifiques très modernes. Une leçon à retenir.

 

Robert Steuckers. 

 

00:05 Publié dans Economie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : économie, holisme, entreprise, sociologie | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook