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mercredi, 24 janvier 2018

Le McCarthysme avant McCarthy

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Le McCarthysme avant McCarthy

Ex: http://www.dedefensa.org

Justin Raimondo est un vieux briscard libertarien, ennemi de l’État centralisateur, pacifiste et antiguerre, isolationniste. (C’est aussi un homme malade qui lutte contre le cancer comme il en a avisé ses lecteurs, et qui poursuit avec héroïsme, sans faillir, sa mission de commentateur de la Grande Crise de l’américanisme. S’il faut symboliquement marquer la tradition des vœux pour une nouvelle année, qu’il en soit le récipiendaire.)

L’une des cibles privilégiées de Raimondo, outre les neocons, c’est la gauche moraliste et hypocrite, et hypocrite parce que belliciste sous couvert de moralisme, – ou de moraline, selon le mot nietzschéen. Cette fois (le 29 décembre 2017), Raimondo s’adresse à ces commentateurs de gauche honorables qui, en accord avec leurs idées, s’opposent avec vigueur et alacrité à la politique belliciste générale (la “politiqueSystème”, pour notre cas), et s’étonnent aujourd’hui, se scandalisent même, souvent avec fureur, de voir les démocrates et une bonne partie de la gauche progressiste US à la pointe du bellicisme et des simulacres qui vont avec, et essentiellement le Russiagate à cet égard ; et notamment, cette gauche “progressiste-belliciste”, instigatrice de la nouvelle vague de McCarthysme qui touche les USA à l’encontre de tous ceux qui ne vouent pas la Russie aux gémonies jusqu’à menacer ce pays de rien moins qu’un état de guerre à peine déguisé. Ces commentateurs de gauche honorables, ce sont des gens comme Glenn Greenwald de The Intercept ou Robert Parry de ConsortiumNews.

Raimondo est bien sûr de leur côté dans leur bataille antiguerre et leur dénonciation des progressistes-bellicistes, mais il tient, dans la chronique que nous citons, à leur rappeler ou à leur apprendre s’ils ne le savent pas que les pratiques McCarthystes qu’ils dénoncent viennent de bien avant McCarthy et que les premiers inspirateurs et organisateurs de l’appareil répressif qui permit le McCarthysme, c’est justement ceux de la gauche américaniste, communistes en tête. La boucle est bouclée alors, du marxisme-policier au marxisme-culturel... Quant aux neocons, ils ont retrouvé leurs origines naturelles, venus du trotskisme et installés au cœur du parti démocrate jusqu’aux années 1970.

Voici donc l’explication historique que Raimondo adresse aux “commentateurs de gauche honorables”... 

« L’histoire se répète dans ce cas d'une manière bizarrement invertie : les neocons ont leur ascendance idéologique dans la faction belliciste et pro-sioniste du parti démocrate réunie autour du sénateur de l’État de Washington Scoop Jackson. Ils ont été écartés de la direction du parti à cause de leur engagement en faveur du conflit vietnamien que les démocrates rejetaient radicalement [à partir de 1969]. Aujourd’hui, ils retrouvent une nouvelle jeunesse dans leur parti d’origine grâce à une autre guerre, –contre Trump et contre Poutine.

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Henry "Scoop" Jackson, Sénateur de Floride

» Les neocons ne sont nullement étrangers à l'art de la chasse aux sorcières mais les quelques [progressistes] actuels qui sont déconcertés par la prise de contrôle de “leur” parti démocrate par des menchéviks portant des œillères ne connaissent pas l’histoire. Le Hollywood libéral n’est pas avare d’interminables récits sur les “persécutions” infligées aux admirateurs de Staline par le Comité des activités anti-américaines de la Chambre (HUAC). Lorsque la HUAC tint des audiences pour enquêter sur des groupes communistes à l'hôtel de ville de San Francisco [à la fin des années 1940], les manifestants de gauche perturbèrent la procédure en manifestant leur sympathie pour les accusés. Ce dont on se souvient moins, si pas du tout, c’est que la première tentative d'établir un “contrôle de la subversion”, et en particulier par le biais de la HUAC, fut la “Brown Scare” une campagne menée par l'extrême gauche, avec les communistes à l’avant-garde. L’objectif de cette campagne était la soi-disant pénétration clandestine nazie aux USA, que le gouvernement devait extirper de vive force.

dickstein2.jpg» La HUAC avait été mise en place à la Chambre des Représentants en 1934 à la demande du député démocrate de New York Sam Dickstein (photo), qui devint plus tard un juge de la Cour suprême de l'Etat de New York. Il mourut en 1954. Après la dissolution de l’URSS et la chute du communisme, les archives du KGB ouvertes au public révélèrent que Dickstein avait été un agent rétribué des Soviétiques pendant des années. Dickstein manipula la HUAC pour faire passer les adversaires de Franklin Roosevelt pour des fascistes, et après l'invasion de la Russie par Hitler il essaya par tous les moyens d’assimiler le sentiment antiguerre aux USA au nazisme. Ses traitants des SR soviétiques lui avaient donné le nom de “Crook” [“Escroc”] en raison de sa cupidité exceptionnelle. Il avait insisté pour être payé l'équivalent de plus de $20.000 par mois par les Soviétiques.

» Le Parti communiste et les groupes “anti-fascistes” que le Parti manipulait étaient à l'avant-garde du mouvement pour réprimer la “subversion” pendant les années Roosevelt, et quand la guerre arriva les outils légaux étaient en place. Quant au président, il poussait continuellement son ministre de la justice Francis Biddle, à “faire quelque chose” contre “les isolationnistes”. Le “procès de la sédition“ de 1944 fut une farce totale, au cours de laquelle le ministère de la Justice tenta de prouver que les 30 accusés – du commentateur et auteur de The New Republic Lawrence Dennis à un certain Elmer J. Garner, un fermier populiste de 80 ans, militant anti-Roosevelt qui était trop sourd pour entendre un seul mot du procès et qui mourut quelques semaines après cette grotesquerie au cours de laquelle il avait comparu avec 32 cents en poche – s'étaient engagés dans une conspiration pour provoquer une mutinerie dans les forces armées alors que la plupart d’entre eux ne s’étaient jamais rencontrés.

» Les premières inculpations avaient été lancées en 1942, désignant un certain nombre de membres du Congrès et le Comité de l’association America First comptant 900 000 membres, ainsi que des groupes pro-allemands connus comme le Bund germano-américain. L’affaire se termina dans la confusion : lorsque le juge nommé au temps du New Deal mourut à la fin de 1944, le gouvernement décida de cesser les poursuites.

MacC-tribunechiic.jpg» Ce n'était que la plus visible des mesures répressives qui furent prises lors de la “Brown Scare” et qui furent ensuite réutilisées lors de la “Red Scare”. Il s’agissait d’un simple ajustement suivant le tournant de la politique étrangère américaine et un changement ultérieur de l'opinion publique américaine. Le FBI avait infiltré des groupes comme le Comité America First qui s'opposait à l'entrée des Etats-Unis dans la Seconde Guerre mondiale, il avait mis sur écoutes des dirigeants conservateurs tel que le directeur du Chicago Tribune Robert McCormick ; il suffisait alors de réorienter toutes ces procédures vers les cibles de gauche. Mais rappelez-vous l’essentiel : c’est la gauche qui lança tout cela et fit mettre en place la répression dans toute son ampleur, alors qu’elle tenait le fouet.

» Vous êtes donc surpris que nos “progressistes” montrent les dents et soutiennent avec enthousiasme les interminables enquêtes sur la “subversion” russe réalisées par un FBI très politisé ? Remettez-vous donc, – ils ne font que revenir à leurs vieilles pratiques historiques. »

Raimondo dit dans ces paragraphes beaucoup de choses intéressantes, qui ne sont pas inédites mais qu’en général on connaît peu ou très peu, et qu’en général on se garde le plus souvent de trop détailler lorsqu’on en connaît effectivement. Pour notre part, nous ne connaissions pas tous les aspects que détaille Raimondo, dans ce cadre précis de la mise en place d’un appareil répressif d’État où travaillent côte-à-côté le Congrès et l’administration fédérale, principalement le ministère de la Justice (DoJ), principalement par l’intermédiaire de son bras armé qu’est le FBI. Cet appareil de répression est un phénomène systémique en soi qui n’existait pas auparavant et qui pose les premières pierres de la structure fondamentale de l’État de Sécurité Nationale (National Security State). La structure sera complètement en place avec la National Security Act de 1947, qui créait le département de la défense (réunion des ministères de la guerre et de la marine), une force aérienne indépendante (l’USAF), la CIA et le Conseil de Sécurité Nationale (National Security Council, ou NSC, sorte de “gouvernement de sécurité nationale” personnel du président).

Les vagues de “panique” (Scare) qui ont précédé, comme la Red Scare de 1919, avaient amené des réactions de répression, – dans le cas cité, contre le “péril rouge”, socialo-communiste et anarchiste, – mais sans instauration d’une réelle structure répressive comme ce fut le cas à partir de 1933-1934 (selon la description de Raimondo). Le paradoxe de l’événement est que cette structure se met en place d’abord contre le danger nazi alors que les USA sont en plein cœur de la Grande Dépression et que le principal danger, du point de vue de la direction américaniste, aurait dû être perçu comme venant de la gauche et du communisme. Il apparaît que la “Brown Scare” (“Panique Brune”, référence aux “chemises brunes” nazies) est d’abord l’exploitation politicienne, voulue par Roosevelt et exploitée par la gauche radicale, d’une crainte d’une menace fasciste de prise de pouvoir, comme on en voyait beaucoup en Europe à cette époque. Sur ce point, sans aucun doute Roosevelt et la gauche coopérèrent pour exploiter cet atout de communication et mettre en place ce qui devint effectivement une structure bureaucratique de répression, – servant aussi bien contre la gauche que contre la droite. L’on peut ainsi considérer l’interprétation de Raimondo comme fondée en estimant qu’il y avait une certaine imitation des structures de répression d’État comme en URSS sous la pression de la gauche radicale et communiste.

upton.jpg(D’un autre côté, Roosevelt, qui était d’abord un politicien roué assez éloigné de l’image idéalisée qu’on en fit et qui persiste, s’opposait aux tentatives légales d’avancement trop affirmé de la gauche radicale, comme par exemple lorsqu’il sabota indirectement la campagne de l’écrivain Upton Sinclair et de son programme  EPIC (End Poverty in California) pour devenir gouverneur de Californie en 1934. Roosevelt, qui restait constamment soutenu par Wall Street même contre des centres importants de la direction économique [par exemple, Henry Ford, ennemi acharné de Roosevelt et de Wall Street], reçut dans le cas de la Californie le soutien de tous les dirigeants des studios d’Hollywood qui levèrent des bandes et des milices pour saboter la campagne de Sinclair. Dans ce cas, Hollywood la gauchiste et la progressiste, – ceux qui se considèrent comme des créateurs et des artistes, des scénaristes aux acteurs, – était priée rudement de s’aligner au moins dans la neutralité, tandis que la direction des studios hollywoodiens jouait parfaitement le jeu du président et donc de l’américanisme.)

... Car enfin, ce que nous suggère indirectement Raimondo en décrivant la mise en place de cette structure répressive commanditée par la gauche, c’est bien la description d’une branche de cet “État de Sécurité Nationale”, à peu près au même moment où le Complexe Militaro-Industriel allait commencer à prendre son élan. Roosevelt ayant installé un gouvernement très fort et très centralisé pour lutter contre la Grande Dépression, effectivement l’ensemble de la dynamique mise en place évoluait vers cette énorme infrastructure bureaucratique, à la fois de communication, de répression et de développement technologique, que l’on connaît aujourd’hui, – d’une certaine façon, le véritable DeepState qui est une sorte de Mordor des USA. De ce point de vue, McCarthy n’avait pas beaucoup d’effort d’organisation à faire pour lancer sa campagne anticommuniste en 1950 parce que l’outil existait ; plus encore, qui s’étonnerait d’apprendre qu’en se lançant en politique (élu sénateur en 1944), McCarthy était clairement à gauche et pro-Roosevelt, et qu’il ne devint anti-communiste que pour sa campagne de réélection dès 1950, ayant jugé l’anticommunisme comme un bon argument de communication.

Ainsi la mise en accusation de la gauche progressiste US par Raimondo est-elle fondée, et même plus grave encore qu’une simple “passade” pour souligner un événement conjoncturel. Manipulée ou pas, la gauche progressiste a largement participé à la mise en place structurelle de certaines fondations du monstre bureaucratique, répressif et belliciste, que sont devenus les USA, et son évolution actuelle n’est rien d’autre qu’un retour à l’envoyeur, ou l’achèvement d’une “révolution” dans le sens originel sur lequel insiste Hanna Arendt (une révolution est d’abord une ellipse d’un corps dans l’espace, le ramenant à son terme à son point de départ). Quoi qu’elle en dise, la gauche progressiste US regarde le McCarthysme comme l’on se regarde dans un miroir. Dont acte, et suffisamment pour avoir toute confirmation que l’américanisme, c’est-à-dire le cœur grondant du Système, n’épargne aucune vertu, surtout parmi ceux qui prétendent en faire leur production exclusive.

 

01:03 Publié dans Histoire | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : histoire, états-unis, censure, répression, maccarthysme | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

mercredi, 13 février 2013

Two, Three, Many McCarthyisms

Two, Three, Many McCarthyisms

Review of: Manufacturing Hysteria: A History of Scapegoating, Surveillance, and Secrecy in Modern America, Jay Feldman, Anchor, 416 pages