mercredi, 10 juin 2015
La perversion pédagogiste
La réforme du collège a remis sur le devant de la scène les dangers du pédagogisme, cette idéologie qui prétend faire de la pédagogie l’alpha et l’oméga de l’enseignement. Pour comprendre en quoi cette prétention est illégitime et ne pas brûler le bon grain pédagogique avec l’ivraie pédagogiste, il convient d’examiner ce qu’est la pédagogie, ce qu’est son but, quelles sont ses limites.
Les enfants n’aiment pas la nouveauté. Aussi leurs parents ont-ils coutume, pour les inciter à manger de nouveaux aliments, spécialement des légumes, de les présenter sous une forme déjà connue (une purée, par exemple) ou de façon ludique (un bonhomme avec des cheveux en haricots verts). Avec le temps, il n’est plus nécessaire d’utiliser ces artifices. Le but est que l’enfant aime les aliments pour eux-mêmes et qu’il acquière une certaine curiosité culinaire qui l’incitera à découvrir de nouvelles saveurs. Ce faisant, les parents pratiquent la pédagogie comme M. Jourdain.
La pédagogie est, en effet, l’art d’amener les enfants à faire ce qui est bon pour eux mais qu’ils ne feraient pas volontiers, sous des dehors attrayants. Elle n’est pas une fin en soi mais le moyen de contourner l’inappétence spontanée des enfants pour la culture. Cette inappétence n’est d’ailleurs pas spécifique aux enfants. Lire un livre, écouter une symphonie, contempler un tableau, tout cela demande un effort. Un effort de concentration, un effort pour se rendre disponible pour l’œuvre. Cela n’est pas spontané, pas plus chez l’adulte que chez l’enfant. La différence entre les deux est que l’adulte cultivé sait qu’il recevra un plaisir qui le paiera largement de son effort. L’enfant ne le sait pas. Pas encore. Il faut donc justifier l’effort qu’on lui demande par la perspective d’un plaisir qu’il connaît déjà : le jeu. Puis, progressivement, ce subterfuge doit disparaître. L’enseignant doit donner à l’élève (celui qu’on « élève » par là à l’humanité) le goût d’apprendre, le goût de cet effort, le goût de la culture pour elle-même.
Le pédagogisme est une perversion de la pédagogie qui se prend pour une fin en soi et qui considère que l’enfant vaut pour ce qu’il est et n’est pas à « élever ». Le savoir n’est plus le but, l’effort est à bannir. Il faut « apprendre à apprendre », prévalence de la méthode pour elle-même ; l’enfant doit « construire » son savoir en découvrant par lui-même les règles, les lois ; volonté d’abolir l’ennui. Or, il n’y a pas de méthode universelle, toute discipline, toute science produit sa méthode. Celle valable en mathématiques ne l’est pas en lettres. Il n’est pas possible de découvrir ce qu’on ne connaît pas. Il faut alors tromper l’élève, lui faire croire qu’il a découvert le chemin sans lui montrer qu’on avait soigneusement barré les détours et les impasses. L’ennui est le repos de l’esprit pendant lequel il peut assimiler ce qu’il a reçu, pendant lequel il peut vagabonder pour créer des connexions entre les savoirs acquis, pendant lequel s’ancrent profondément les connaissances. Peut-on apprendre le piano sans faire des gammes ? L’enfant peut-il découvrir par lui-même le solfège ?
Le plus souvent, l’application des principes pégagogistes amène à confondre activité et agitation, fait prendre n’importe quelle fantaisie enfantine pour un trait de génie, garde l’enfant dans l’illusion que tout est facile, que ce qui est difficile n’a pas d’intérêt, le garde dans un état d’ignorance suffisante et satisfaite, en fait un éternel mineur quand toute éducation doit viser à le faire accéder à une majorité intellectuelle. Mais peut-être est-ce là le but de certains.
00:05 Publié dans Ecole/Education | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : pédagogues, pédagogisme, école, enseignement, éducation | | del.icio.us | | Digg | Facebook