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vendredi, 19 septembre 2025

« La Rive Gauche » ésotérique de Georges Bataille et du Collège de Sociologie

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« La Rive Gauche » ésotérique de Georges Bataille et du Collège de Sociologie

Cette initiative fut une expérience culturelle dont l’importance est inversement proportionnelle à sa notoriété

par Luca Gallesi

Source: https://www.barbadillo.it/124690-la-rive-gauche-esoterica...

A propos d'Interroger le Sphinx. Histoire du Collège de Sociologie de Renzo Guolo, paru aux éditions Mimesis (Italie)

Vers la fin des années trente, au sein de la librairie parisienne Galeries du Livre, rue Gay-Lussac, plusieurs intellectuels de premier plan, parmi lesquels Georges Bataille, Roger Caillois et Michel Leiris, fondent le Collège de Sociologie : une association qui n’est ni un collège, ni réellement vouée à la sociologie, mais qui voudrait être une société secrète dédiée à l’étude du sacré, à la fonction des mythes et à l’action du pouvoir.

Georges Bataille, déjà reconnu comme écrivain et spécialiste de Nietzsche, considère que l’école sociologique française doit tourner son attention vers les problématiques de l’homme contemporain.

Roger Caillois, proche de René Daumal et de Georges Dumézil, estime vital d’identifier les facteurs capables de restaurer les liens entre les hommes, raison pour laquelle il oriente ses recherches vers le sacré.

Michel Leiris, comme les deux autres figures du surréalisme français, est un ethnologue très critique envers sa propre discipline, qu’il juge incapable de saisir la totalité de l’existence, contrairement à la poésie et à la littérature.

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Rapidement tombée dans l’oubli, tant à cause de sa brièveté que de l’avènement de la guerre mondiale, cette initiative fut, en réalité, une expérience culturelle dont l’importance est inversement proportionnelle à sa notoriété, comme le raconte Renzo Guolo dans son essai Interroger la Sphinx. Histoire du Collège de Sociologie (Mimesis, 376 p., 26 €). En explorant les parcours intellectuels, académiques et artistiques des fondateurs, Guolo met en lumière l’absolue singularité d’un groupe ayant courageusement mené une aventure exemplaire dans le monde politique et culturel du 20ème siècle, impliquant de nombreux protagonistes de l’époque.

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Aux trois noms déjà cités, il faut ajouter, parmi les fondateurs, Jules Monnerot, qui fut en réalité le véritable concepteur de l’initiative et celui qui en a choisi le nom, mais qui ne prit ensuite pas part aux activités ultérieures, sans doute volontairement effacé en raison de son adhésion déclarée au fascisme français, ce qui n’est pas totalement incompréhensible.

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Georges Bataille, Roger Caillois et Michel Leiris.

En effet, lorsqu’on évoque des sociétés secrètes – ou même des Ordres monastico-chevaleresques – s’opposant au matérialisme de la société de consommation, la pensée se tourne spontanément vers des mouvements et cénacles d’extrême droite, qui fleurissaient alors à travers l’Europe. Or, ici, nous sommes face à des figures de la culture et de la politique issues presque toutes de la gauche, parfois même de l’extrême gauche, fascinées par l’attrait envoûtant des zones d’ombre du pouvoir. Chez tous, on trouve l’ardent désir d’une « nouvelle aristocratie », fondée sur une grâce mystérieuse, et non sur le travail ou l’argent. Caillois va jusqu’à considérer comme sain « de désirer le pouvoir sur les âmes ou sur les corps, par prestige ou tyrannie », pour forger un nouvel « environnement ». Bataille, quant à lui, affirme que « seuls l’armée et la religion peuvent répondre aux aspirations les plus profondes des hommes ».

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Connus pour leur radicalisme anticonformiste, Bataille, Caillois et Leiris partagent une amitié et une affinité spirituelle scellées dans l’expérience artistique et littéraire du surréalisme, ainsi que dans l’aventure politico-ésotérique de revues révolutionnaires telles que Contre-Attaque et Acéphale. L’objectif affiché du Collège de Sociologie est de dépasser l’académisme de la sociologie officielle, « en réglant leurs comptes avec les gardiens académiques de cette science humaine et l’hégémonie qu’ils y exercent », qui se figent dans l’analyse des civilisations passées. Il s’agit d’affronter, au contraire, « des questions brûlantes mais urgentes à comprendre, telles que le fascisme et le communisme, avec leur emprise sur la société, leur caractère d’organisations de mobilisation totale, leur nature à la fois politique et religieuse ».

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Au final, l’histoire de ce cénacle d’intellectuels privilégiés s’achève par le retour de tous ses animateurs à la littérature, qu’ils avaient dédaigneusement quittée à la recherche d’un sens à la vie ne pouvant se trouver que dans l’action et la redécouverte du sacré. Leur aventure semble aujourd’hui à des années-lumière des préoccupations de l’intelligentsia actuelle, davantage soucieuse de ses apparitions sur les réseaux sociaux et dans les talk-shows que prête à affronter le scandale et la difficulté d’approfondir les grandes questions de l’existence humaine. Il demeure cependant la consolation de leur exemple et de leurs tentatives, qu’on les partage ou non, de s’engager pour affronter la réalité de leur temps, sans se soucier d’être, ni même de paraître, du côté des justes.

mercredi, 24 novembre 2021

Jeux, masques et règles : Roger Caillois et notre ludique tyrannie

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Jeux, masques et règles: Roger Caillois et notre ludique tyrannie

par Nicolas Bonnal

On évoque justement le caractère ludique de cette tyrannie sanitaire : il faut « jouer le jeu », comme dit le partisan du confinement éternel ou de la dose bimestrielle. De même les masques, les règles, les gestes dits barrières évoquent cette fâcheuse tendance au totalitarisme ludique que nous observons partout. Ajoutons que le non vacciné relève moins du bouc émissaire de Girard que du cas du non-participant mal considéré. Il ne veut pas participer à l’amusant jeu du vaccin, du reset (pas de voiture, de maison, de courant, etc.) alors sanctionnons-le.

Tout cela nous rappelle le fameux livre de Caillois sur les jeux ; il en distinguait de quatre genres :

« Après examen des différentes possibilités, je propose à cette fin une division en quatre rubriques principales selon que, dans les jeux considérés, prédomine le rôle de la compétition, du hasard, du simulacre ou du vertige. Je les appelle respectivement Agôn, Alea, Mimicry et llinx. Toutes quatre appartiennent bien au domaine des jeux : on joue au football ou aux billes ou aux échecs (agôn), on joue à la roulette ou à la loterie (alea), on joue au pirate ou on joue Néron ou Hamlet (mimicry). On joue à provoquer en soi, par un mouvement rapide de rotation ou de chute, un état organique de confusion et de désarroi (ilinx). »

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Seuls les deux derniers nous intéressent, en particulier Mimicry. Caillois écrit à ce propos :

« Mimicry. - Tout jeu suppose l'acceptation temporaire, sinon d'une illusion (encore que ce dernier mot ne signifie pas autre chose qu'entrée en jeu : in-lusio), du moins d'un univers clos, conventionnel et, à certains égards, fictif. Le jeu peut consister, non pas à déployer une activité ou à subir un destin dans un milieu imaginaire, mais à devenir soi-même un personnage  illusoire et à se conduire en conséquence. »

Le masqué vacciné parano méfiant est en effet un personnage illusoire qui subit « un destin dans un milieu imaginaire. » mais en marge de la tragédie qui lui préparent ses élites démoniaques, lui reste un ludique. Il ne veut plus être lui-même (Guénon parle déjà du caractère minable de notre vie ordinaire moderne, idem pour Thoreau et son « désespoir tranquille ») :

« Le sujet joue à se faire croire ou à faire croire aux autres qu'il est un autre que lui-même. Il oublie, déguise, dépouille passagèrement sa personnalité pour en feindre une autre. Je choisis de désigner ces manifestations par le terme de mimicry. »

Parlons du masque maintenant. On veut porter un masque pour changer de personnalité et « faire peur aux autres », ajoute Caillois dans une phrase effrayante :

« L'inexplicable mimétisme des insectes fournit soudain une extraordinaire réplique au goût de l'homme de se déguiser, de se travestir, de porter un masque, de jouer un personnage. Seulement, cette fois, le masque, le travesti fait partie du corps, au lieu d'être un accessoire fabriqué. Mais, dans les deux cas, il sert exactement aux mêmes fins: changer l'apparence du porteur et faire peur aux autres. »

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Parlons de la folie furieuse, dantesque et menaçante qui nous entoure. La deuxième rubrique de Caillois se nomme Ilinx. Voici ce qu’elle désigne :

« Ilinx rassemble les jeux qui reposent sur la poursuite du vertige et qui consistent en une tentative de détruire pour un instant la stabilité de la perception et d'infliger à la conscience une  sorte de panique voluptueuse. Dans tous les cas, il s'agit d'accéder à une sorte de spasme, de transe ou d'étourdissement qui anéantit la réalité avec une souveraine brusquerie. »

Cet ilinx est lié à une rage de destruction (le Reset), celle que nous vivons maintenant (destruction des économies, des libertés, du respect humain, de la logique, de toute la superstructure de la civilisation) :

« Il existe un vertige d'ordre moral, un emportement qui saisit soudain l'individu. Ce vertige s'apparie volontiers avec le goût normalement réprimé du désordre et de la destruction. Il traduit des formes frustes et brutales de l'affirmation de la personnalité… »

A la fin de son livre Caillois reprend son étude sur le masque :

« Le masque : attribut de l'intrigue amoureuse et de la conspiration politique; symbole de mystère et d'angoisse; son caractère louche. »

Et il évoque la bautta, le masque vénitien rendu célèbre par Kubrick dans EWS (ce n’est certes pas un hasard : voyez mon livre) :

« Elle était imposée aux nobles, hommes et femmes, dans les lieux publics, pour mettre un frein au luxe et aussi pour empêcher que la classe patricienne soit atteinte dans sa dignité, quand elle se trouverait en contact avec le peuple. Dans les théâtres, les portiers devaient contrôler que les nobles portaient bien la bautta sur le visage, mais une fois entrés dans la salle, ils la gardaient ou l'enlevaient suivant leur bon plaisir. Les patriciens, quand ils devaient conférer pour raison d'Etat avec les ambassadeurs, devaient aussi porter la bautta et le cérémonial le prescrivait également en cette occasion aux ambassadeurs. »

Caillois rappelle après d’autres que le masque libère, mais au mauvais sens du terme :

« Ils sont bruyants, débordants de mouvements et de gestes, ces masques, et pourtant leur gaieté est triste; ce sont moins des vivants que des spectres. Comme les fantômes, ils marchent pour la plupart enveloppés dans des étoffes à longs plis, et, comme les fantômes, on ne voit pas leur visage. »

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En réalité – et on est bien d ‘accord – le masque permet d’échapper à la loi (voyez mon texte sur Guénon et le carnaval permanent de nos sociétés) :

« Cette humanité, qui se cache pour se mêler à la foule, n'est-elle pas déjà hors la nature et hors la loi ? Elle est évidemment malfaisante puisqu'elle veut garder l'incognito, mal intentionnée et coupable puisqu'elle cherche à tromper l'hypothèse et l'instinct. »

Sources:

Roger Caillois, Les jeux et les hommes (Gallimard)

Nicolas Bonnal – Kubrick (Amazon.fr, Ed. Dualpha)

 

16:23 Publié dans Philosophie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : philosophie, jeux, jeu, roger caillois, nicolas bonnal | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook