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vendredi, 08 juillet 2016

René Daumal, une révolte poétique et spirituelle

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René Daumal, une révolte poétique et spirituelle

Ex: http://www.zones-subversives.com

La trajectoire de René Daumal permet de présenter la créativité poétique qui alimente la première partie du XXème siècle. Il est surtout associé à la revue du Grand Jeu et aux marges du surréalisme.

« Prenez garde, André Breton, de figurer plus tard dans les manuels d’histoire littéraire, alors que si nous briguions quelques honneurs, ce serait celui d’être inscrit pour la postérité dans l’histoire des cataclysmes », prophétise René Daumal. Ce poète méconnu n’a pas tenté de créer une Église, à l’image de Breton ou Debord. Mais il incarne une certaine forme de révolte spirituelle et métaphysique. Il rejette le matérialisme dialectique mais pas la perspective révolutionnaire. Toutefois, Daumal et la revue du Grand Jeu privilégient l’expérimentation poétique, qui peut devenir une force comme une limite.

Le groupe « simpliste »

René Daumal né le 16 mars 1908 à Boulzincourt dans les Ardennes, région d’Arthur Rimbaud. Son père, Léon Daumal, s’active dans le militantisme socialiste. René Daumal découvre Alfred Jarry, l’auteur d’Ubu roi, une pièce de théâtre jugée scandaleuse. Au début du XXème siècle, Alfred Jarry s’inscrit dans le courant du symbolisme, la seule théorie d’Art véritablement nouvelle. Ce mouvement littéraire « lavé des outrageantes signifiances que lui donnèrent d’infirmes court-voyants, se traduit littéralement par le mot Liberté et, pour les violents, par le mot Anarchie », décrit Rémy de Gourmont. Jarry ne cesse de choquer le petit monde littéraire et son attitude perturbe la bienséance bourgeoise de la bonne société parisienne. Si Jarry meurt en 1907, avant la naissance de René Daumal, ce poète marque durablement les avant-gardes littéraires du XXème siècle.

Mais René Daumal ne tarde pas à rencontrer d’authentiques poètes. En classe de seconde, à Reims, il fréquente Roger Gilbert Lecomte, Robert Meyrat, Roger Vailland. René Daumal amène ce trio de farceurs à se poser de véritables questions pour pousser la réflexion, témoigne Robert Meyrat. René Daumal, adolescent discret et rêveur, écrit des poèmes qui tournent en dérision les petits évènements de la vie du lycée. Mais le groupe des « quatre R » se replie sur lui-même pour s’engager dans son aventure spirituelle. Ils méprisent les autres lycéens qu'ils condamnent à la médiocrité. René Daumal expérimente l’alcool, le tabac, le noctambulisme, l’asphyxie. Il se tourne vers les marges de la poésie et de la philosophie.

Le groupe qui se définit comme « simpliste » s’active à des gamineries. Les jeunes poètes se distinguent par des caractères différents mais partagent la même curiosité pour l’expérimentation et les mêmes affinités mystiques. Le simplisme est décrit comme « troué, effondré, malmené, une non-œuvre, une contre-œuvre pour finir » selon Yves Peyré. Le groupe simpliste, formé en 1924, utilise la drogue et l’opium pour ses expérimentations métaphysiques. Meyrat propose aux trois autres « phrères » simplistes de jouer à la roulette russe. Il vide les barillets mais ses compagnons ne sont pas au courant et prennent le jeu au sérieux. Les simplistes jouent avec leur vie de manière enfantine, comme s’il s’agissait d’une farce. L’enfance est alors considérée comme une source d’inspiration métaphysique.

René Daumal se réfère à Nerval, écrivain du rêve. Il pratique l’hypnose pour atteindre l’isolement sensoriel et un sentiment de vertige. Le simplisme est une philosophie qui « va se fonder sur cette métaphysique expérimentale, celle de "l’identité de l’existence et de la non-existence du fini vers l’infini" », selon H.J. Marxwell. Les simplistes recherchent un « long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens », selon la formule d’Arthur Rimbaud.

La création de la revue le Grand Jeu

daumalGJ.jpgEn 1925, René Daumal rentre en khâgne au lycée Henry IV à Paris. Lecomte et Meyrat sont restés à Reims. Mais Vailland et surtout Minet ont également rejoint la capitale. Pierre Minet, surnommé Phrère Phluet, fréquente les milieux marginaux de la bohème parisienne et joue un rôle important dans la dynamique de création d'une nouvelle revue: le Grand Jeu.

Les collaborateurs du Grand Jeu proviennent d'origines géographiques et idéologiques différentes. Le premier numéro doit être publié en 1928 pour être consacré à la Révolte. Daumal insiste “pour ne pas donner une place excessive aux poèmes”, “pour ne pas avoir l'air de jeunes gens qui veulent être imprimés. D'ailleurs, qu'importe ? - Trop de poèmes ennuient vite, la partie poétique sera d'ailleurs aussi importante que la philosophique”. René Daumal prend la direction éditoriale du projet en raison des absences de Gilbert-Lecomte et Vailland.

Mais le Grand Jeu reste dans l'ombre des surréalistes qui valorisent également la révolte. La dimension individualiste et réfractaire de cette révolte débouche, pour André Breton et les surréalistes, vers les idées anarchistes. La poésie permet également d'exprimer un dégoût pour la société et de dénoncer les contraintes sociales et morales.

La trajectoire de René Daumal croise donc celle d'André Breton mais aussi celle d'Alfred Jarry et de la pataphysique. Pour René Daumal, “Le particulier est absurde”, “Le particulier est révoltant”, toute forme prise au sérieux devient absurde. Pour Jarry, le rire pataphysique devient “la seule expression humaine du désespoir”, pour “exorciser l'absurde”. René Daumal partage avec la pataphysique une philosophie de la table rase comme préalable. Mais il s'aperçoit rapidement des limites d'une simple critique ravageuse de l'existant sans perspective. C'est ce qui explique sa dérive dans l'orientalisme mystique.

René Daumal présente la réflexion de la revue Le Grand Jeu dans un texte intitulé “Liberté sans espoir”. L'adolescent doit forger son propre jugement sans subir la moindre influence. Il doit construire son propre espace de liberté, avec une révolte sans objet. L'ironie, qui devient alors centrale, constitue la réalisation d'“actes gratuits” dans lesquels la volonté ne se soumet à aucune règle. La valeur de l'acte se mesure à “la volonté pure”. Surtout, l'être humain doit renoncer à son individualité pour s'éveiller à la dimension universelle de l'esprit humain.

Ce discours métaphysique complexe permet aux membres du Grand Jeu d'attaquer violemment la société occidentale et ses dogmes. “Faire désespérer les hommes d'eux-même et de la société” devient le but du Grand Jeu. La négation et la destruction de la société avec ses règles idiotes devient un projet salutaire. Le premier numéro du Grand Jeu comprend trois essais sur la “Nécessité de la révolte”. Ensuite, le revue intègre plusieurs poèmes.                    

Convergences et oppositions avec les surréalistes

Le Grand Jeu se rapproche des surréalistes mais aucun accord n'aboutit. En effet, le Grand Jeu accueille les exclus et dissidents du mouvement surréalistes qui critiquent l'autoritarisme d'André Breton.

L’écriture automatique émerge avec la découverte de l’inconscient par la psychanalyse. Un groupe, autour de Breton et Soupault, fonde la revue Littérature en 1919. Ce projet commence « par la démolition de tout ce qui pourrait nous accaparer. Ne pas permettre. La réussite, pouah. La première bataille se livre contre le poème, le pohème, le peau-aime, etc », écrit le jeune Aragon. Breton et Soupault écrivent le poème des Champs magnétiques, réalisés sous la dictée magique de l’inconscient. Les mots et les phrases apparaissent d’eux-mêmes. La découverte de l’aventure surréaliste par Daumal et les jeunes Rémois fait écho à leurs propres préoccupations. Mais le mouvement dada s’attaque directement à la forme poétique. « Il est parfaitement admis aujourd’hui qu’on peut être poète sans avoir écrit un vers, qu'il existe une qualité de poésie dans la rue », estime Tristan Tzara. A Paris, le mouvement dada organise des conférences destinées à créer des scandales. Le 23 janvier 1920, les acteurs sur scène massacrent un texte de Breton. Puis Tzara lit un article de journal dans un concert de crécelles. Pour Breton, cette destruction de l’art incarne « l’idée moderne de la vie ». Mais les surréalistes se séparent de dada qui combat également la poésie. L’expérimentation surréaliste peut passer par des activités médiumniques. Breton tente de supprimer le contrôle qu'exerce la raison sur l’esprit pour libérer une force spirituelle. L’investigation surréaliste se tourne alors vers l’écriture automatique et le récit des rêves.

daumalcontreciel.jpgL’esprit humain doit se libérer de ses conditionnements selon les surréalistes. En 1925, ce mouvement pose des bases précises avec, pour préalable, « un certain état de fureur ». L’action surréaliste ne se préoccupe pas de « l’abominable confort terrestre » mais vise à « changer les conditions d’existence de tout un monde ».

Mais Breton tente de démolir le Grand Jeu à partir de positions politiques de certains de ses participants. Par exemple, Vailland fait l’éloge du préfet de police de Paris dans la presse. Le Grand Jeu interdit dès lors les contributions individuelles dans la presse. Mais Breton s’attache à conserver le monopole de la contestation poétique.

Le Grand Jeu se considère comme communiste dans la destruction de l’ordre établi mais ne rejoint pas le Parti. Les intellectuels communistes sont considérés comme des policiers serviles. Mais l’aventure du Grand Jeu s’essouffle et René Daumal se tourne vers de nouveaux horizons. Le Grand Jeu, depuis les simplistes, demeure une expérience collective qui dépasse les prétentions individuelles. « L’Occident individualiste-dualiste-libre-arbritriste, triste, capitaliste-colonialiste-impérialiste et couvert d’étiquettes du même genre à n’en plus finir, il est foutu, vous ne pouvez vous en doutez comme j’en suis sûr », constate Daumal.

La trajectoire de Daumal et du Grand Jeu s’ancre dans la créativité poétique de son époque. Mais la critique de la vie quotidienne débouche vers une fuite dans la poésie et la métaphysique. Le rêve, l’expérimentation s’apparentent à une fuite hors du monde et de la civilisation occidentale. Daumal, pourtant critique lucide de l'institutionnalisation du surréalisme, ne s’inscrit pas dans une démarche de dépassement de la société marchande par l’émancipation individuelle et collective. La révolution intérieure prime sur la révolution sociale. Alors que les deux devraient être étroitement liés. Sa dérive vers la culture orientale et une forme de religiosité hindouiste révèle l’impasse d’une révolte uniquement spirituelle pour ré-enchanter.

Articles liés:

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La révolution des surréalistes

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L'explosion Dada

Sur René Daumal:

Jean-Philippe de Tonnac, René Daumal, l'archange, Grasset, 1998

Emission Surpris par la nuit sur René Daumal 

Emission radio consacrée à René Daumal

Dans la revue Clés

Court-métrage de Marion Crépel sur les simplistes

Sur le Grand Jeu:

Site consacré au Grand Jeu

Dans La revue des ressources: Régis Poulet, "Le Grand Jeu de René Daumal, une avant-garde à rebours"

Sur le site Traces autonomes, "Le Grand Jeu, une avant-garde critique"

Dans Libération : Frédérique Roussel, "Le cercle des phrères disparus"

Conférence : Zéno Bianu, "Rien ne va plus, faites le Grand Jeu"

lundi, 28 septembre 2015

Smoke & Surrealism: Don Salvadore Dalí, the Original Mad Man

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Smoke & Surrealism:
Don Salvadore Dalí, the Original Mad Man

By James J. O'Meara

Dalisbook-188x300.jpgCarlos Lozano and Clifford Thurlow
Sex, Surrealism, Dali and Me: The Memoirs of Carlos Lozano [2]
2nd ed.
YellowBay.co.uk, 2011

“In the next century, when children ask ‘Who was Franco? They will answer: he was a dictator in the time of Dalí.” — Don Salvador Dalí

“The only difference between Dalí and a mad man is that Dalí is not mad.” — Don Salvador Dalí 

Having just published a book[1] that makes extensive use of the “paranoiac-critical method [3]” of Don Salvatore Dalí,[2] I was pleased as Punch[3] when this item appeared on my Kindle radar.

Surely the only contribution made by that insufferable poseur, André Breton, with his “surrealist” movement[4] was as what we used to call in grad school a “reliable anti-authority;” anyone deemed by this self-proclaimed Pope of Surrealism as traitor and purged was, ipso facto, worthy of interest — most notably, Artaud[5] and Dalí.[6]

Our memoirist is in some ways a typical child of the ’60s, at least the way the ’60s are supposed to have been; hitchhiking around like Kerouac, reading Hermann Hesse. Born in Colombia, the family moves to America, he loses his father (of course) and eventually makes his way to San Francisco. After a plentiful course of drugs, he’s taken up by the Living Theatre — and in particular an older woman calling herself Gypsy — and brought to Europe, where he is abandoned by the troop. A reading of the Tarot (a legacy of Gypsy) leaves him “resolved to shed all fears and doubts and be myself.” He “had been left, not to starve, I realized, not to fail, not to fall beneath the wheel,[7] but to flow with the turning of the wheel.”[8]

San Francisco was fading from my memory. America was an alien planet floating in the void of wild uncharted waters.

Europe was different. Europeans seemed to have been born with a feeling for art and literature, poetry and beauty. Old men in bars read Camus.[9]

Salvador Dali with a painting of Jose Antonio Primo de Rivera [4]

Salvador Dalí with a portrait of José Antonio Primo de Rivera

As we have often pointed out before, one needs to carefully distinguish the wheel, or circle, from the spiral; the former is the pattern of futile repetition (such as the Wheel of Fortuna or the Wheel of Rebirth) while the latter is the pattern of escape from the wheel and rising to a higher level (the Turn of the Screw). Carlos does not return to America, or Colombia, nor does he merely take up residence in Europe, like so many “artistic” Americans. Rather, he undergoes a metamorphosis, an archeofuturistic return of the Pagan to modern day Europe.

My earliest desire as a young adult had been to work as a teacher, to be a pillar of society. But LSD had allowed me to decode my DNA and, through its foggy mysterious influence, I had reprogrammed myself.

I had arrived home. Five days in Paris and the pagan darkness of the New World[10] was melting from my genes.

It comes as no surprise that Carlos is a dancer, “Isadora Duncan relived.”[11] As such, he understands and responds as he “moved in the spiraling patterns of savage nature.”

But to be complete, more than just drugs are needed.[12]

But then, the inexplicable happens, and he meets, and is taken up by Salvatore Dalí. The relationship is formally pederastic, of course, but that shouldn’t put you off, as Dalí is old enough to be more interested in pedagogy, so little here would shock, say, Jerry Falwell.[13] Besides,

Dalí, I would learn, was only a voyeur, the great masturbator, but his inclination was decidedly pederast. He liked inexperienced boys, androgynes particularly, transsexuals explicitly.[14] He bathed in the bizarre, the unnatural, the surreal; he had orgasms over the outrageous, the lascivious and lewd. He was enthralled by Le Pétomane, the French music hall performer whose act consisted of nothing but farting and he loved farting himself. “The French live to eat. I eat to fart.”

The reader, of course, is less interested in Carlos’s schooling than in Dali’s antics. Dali sits at a café casually twisting tin foil and wax into sculptures he will sell for thousands; “I was a sheet of tinfoil ready to be turned and twisted. Soft wax in the hands of the perverter.”[15]

It was a continuous show. You were with an unconventional, singular personality. A star. Anything could happen. And it always did. I never tired of being with Dalí. Even when he was nasty I still adored him. He was like a lobster: masses of shell, tough on the outside, hard on the inside, and just a morsel of soft sweet meat.[16]

Dali’s acts and words seem illogical, absurd, unmotivated, only because we, unlike Dali, cannot follow the subliminal, sublime, surrealistic chord that unites them all.

“We spend one third of our lives on an oneiric treasure island. You must build bridges to the mainland and follow me through the invisible passages that join the waking and dream states and lead to the realm where all contradictions reach a hyper-lucidity of irrationality.”

What we said was forgettably brilliant, all nonsense and all so meaningful I knew intuitively it was far better talking foolishly with a genius than talking seriously with a fool.

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A good example of Dali’s paranoiac mode of living and discoursing (to the extent that they can be distinguished) occurs when Carlos debuts in the Paris production of Hair. Dali of course arrives to congratulate him, and immediately the discourse becomes pagan:

“Hermes is the God of riches and good fortune. He is the messenger, a dancer, a trickster and the Patron Saint of Thieves, something Jesus the Fish acknowledged on the Cross. He was the son of Zeus, you know.”

Par for the course, just some mythological fluff for flattering his protégé, right? Later, at dinner, a guest makes the mistake of asking Carlos “his sign,” and Dalí is set off:

“What is the sign of Jesus?’ he roared. Dado shrugged like a good Italian. “Capricorn,” he said. “The early Christians changed the birthdate of Jesus to comply with the mid-winter celebrations they discovered among the savages of northern Europe. The Christian era and the Age of Pisces are contemporaneous. The very name, Jesus, transliterates as the word fish in Aramaic, his own tongue. As man or myth, he chose fishermen as disciples. Not goats.”

I sat there amazed by his theme [dancing, Hermes, thief, Jesus], amazed that it had begun before our arrival at Maxims’s.[17]

“He was a fisher of men,” he continued. “He performed miracles on the sea and with the fishes. The Gnostics sketched a fish in the dust, not a cross, to identify themselves. Jesus possessed all the qualities of Pisces, the last sign of the Zodiac and its completion of all human potentials. He was humble, emotional, unworldly and vague, unlike those who arrive in December under the sign of Capricorn, with their money worries and dreams of ruling the world. Jesus was born in the spring, a Pisces for the Age of Pisces. Violetera [Carlos] is a Scorpion, the same as Amanda [Lear, Dali’s transsexual favorite]. They will both sting me in the balls . . .” He paused.

Paused, indeed.

Dali’s main teaching is to inculcate the traditional, and Traditional, virtues of patience and repetition: “Dalí was dedicating his life to the battle against unrelenting time and decay.” The company of Hair gets an earful:

“All success comes from hard work. Hard work and patience and more hard work,” he roared, menacing the company with his walking stick. “Never trust in inspiration. You must work every day, every day, every day. Inspiration arrives through your work. It arrives through your involvement. I am a worker. A peasant. I work seventeen hours a day.”

As does Carlos:

“A Hindu once told me you find God by digging in the same hole. He was mad.[18] The substance of success is scandal and patience. Are you patient, Carlitos?”

“It is the obsession of repetition the Gods take note of.”[19]

dali ballerina.JPGDespite his “far-out” art and aberrant — but very public — lifestyle, Dalí, like most of the Great Artists of the 20th century, was at least temperamentally a man of the Right.[20] Thus, even if you have no interest, or an active dislike, of “modern art”[21] or weirdoes, you will likely enjoy this tour through this little-known world of post-War anti-Leftists, a sort of avant-garde version of the circles of the Windsors or Mosleys.[22]

Take this chap, “The Spanish Ambassador to France, a famous fascist,” who

was one of the richest men in Spain, . . . had helped to finance Franco’s uprising in the Spanish Civil War, El Caudillo had rewarded him with a diplomatic post, [and] was setting up a meeting between Don Salvador and the Conde de Barcelona, Spain’s exiled monarch and father of King Juan Carlos.

The famous fascist is confused by Carlos’ waist-length hair and patchouli scent:

[He] kissed my hand as he left the gathering. “Au revoir, Mademoiselle,” he said with a bow and Dalí was delighted. “Angels are androgynes,” he explained. “I will inspect your back. You will have scars where they cut off your wings. You have the most glorious navel. It is the privilege of princes to show their navel. I will decorate it with a ruby . . .”

Dali, of course, is dangerous to know, as the Ambassador discovers:

“They will think I’m a pederast . . .” he had said in confidence and Dalí had announced these noble doubts to the ears of the world . . .

And You-Know-Who is a distinct presence; as Dalí accepts some French literary award,

He threw out his chest, gripped his hands behind his back and only those who had sat watching old newsreels of Hitler knew who had inspired his act.

Even the waiters are fascistically suggestive:

[A] waiter . . . bore a distinct resemblance to Hitler. He had one of those awful moustaches and a wave of hair plastered to his forehead. “C’est colossal,” Dalí said. “I will put him in a film. I will show him as a kind man, a music lover, a marvelous painter. Hitler had the most wonderful sense of humour.”[23]

Parisian students, searching for a Third Way, recognize an ally:

The previous year during the Paris riots, Dalí had been driven to the Sorbonne to give a lecture on the relationship between DNA and the spiral stalks in vegetables in a Cadillac filled to the roof with cauliflowers. The students had been overturning expensive cars but when they saw Dalí they cheered.

It’s also a chance to revisit that Mad Men era of free smoking:[24]

The smoke had become thicker, hanging like dense clouds around the chandeliers.

He lit a Gauloise and the smell mingled with the street smells and Paris was everything I had imagined it was going to be.

Can you imagine the smell inside a French police station? All those Gauloises.[25]

Is it any surprise that Sterling Cooper’s art director is a closeted homosexual named . . . Salvatore?[26]

It’s unfortunate that Dalí is here well into his ’60s, so there’s no opportunity to really see genius at work. On the plus side, the book benefits from being written not by the memoirist nor by some art “expert” but by what would seem to be an old school journalist, one Clifford Thurlow, (not, fortunately, Clifford Irving[27]) who gives us a colorful and straightforward text that is a pleasure to read and, when combined with the paranoiac-surrealist acts and utterances of Dalí, produces a unique mixture, a kind of Magical New Journalist style.[28]

Highly recommended for anyone interested in that most fascinating and (deliberately) obscure area, the post-War avant-garde Right, though tolerance for a certain amount of nonsense is required.

Notes

1. End of an Era: Mad Men and the Ordeal of Civility (San Francisco: Counter-Currents, 2015). An Amazon reviewer of the text under discussion here notes that “like the keenest FaceBook digital networkers of today, [Dalí] knew how to promote himself, an innate skill practised long before the Mad Men of Madison Avenue.”

2. “The paranoiac critical method of Dalí is an attempt to systematize irrational thought. . . . When asked why the centaurs in his painting, Marsupial Centaurs [5], were riddled with holes, he replied, ‘The holes are like parachutes, only safer.’ This response is often used as an example of Dalí being Dalí, purposefully obscure, self-absorbed, and downright snotty. The reader might interpret this comment as a nose thumbing, coupled with an ‘If you don’t know why the holes are there, you Philistine, I will never tell you.’ The fact is, however, that Dalí is simply stating the reason for the holes, which upon examination, becomes unmistakable, true to its Paranoiac Critical ancestry.” “THE PARANOIAC CRITICAL METHOD” by Josh Sonnier, here [6]. As an example of the transition from irrational to inevitable, consider my discussion of Clifton Webb’s Mr. Belvedere as an incarnation of Krishna in “The Babysitting Bachelor as Aryan Avatar: Clifton Webb in Sitting Pretty,” here [7]. For more on parachutes, holes, and safety, see The Skydivers by Bad Filmmaker and accidental Traditionalist Coleman Francis, as discussed in my upcoming essay “Flag on the Moon — How’d IT Get There?” Both essays will appear in the forthcoming collection Passing the Buck: A Traditionalist Goes to The Movies (San Francisco: Counter-Currents, 2016).

3. See Jonathan Bowden, “The Real Meaning of Punch and Judy,” here [8]. For another view, see Count Eric Stenbock, The Myth of Punch, edited by David Tibet (London: Durtro Press, 1999).

4. “Surrealism is not a movement. It is a latent state of mind perceivable through the powers of dream and nightmare. It is a human predisposition. People ask me: What is the difference between the irrational and the surreal and I tell them: the Divine Dalí.” — Dalí.

5. See Stephen Barber, Antoine Artuad: Blows and Bombs (London: Faber, 1993) and Jeremy Reed, Chasing Black Rainbows: A Novel About Antonin Artaud (London: Peter Owen, 1994).

6. See Dalí by J. G. Ballard, with an Introduction by Dalí (New York: Ballantine, 1974), and Diary of a Genius by Dalí, with an Introduction by J. G. Ballard (London: Solar Books, 2007). Ballard discusses surrealism on YouTube here [9].

7. A reference to Hesse’s novel of schoolboys, their crushes, and their being crushed by the System, Beneath the Wheel. The ’60s figure of Hesse crops up from time to time; Carlos meets a actor (not Max von Sydow) who will supposedly star in a (I guess never produced) film of Steppenwolf, and will talk of making a “journey to the east.”

8. Not impressed? Neither was Dalí. As for astrology: “People are no different from wine. We are born at a given moment, in a given place. There are good years and bad, from good valleys and inauspicious ones. Some bottles are shaken and the sediment fouls the taste. Some are dropped and smash into a thousand million pieces. That is astrology. Never, never speak of it again. . . . God despises astrology and prefers a well told lie to a tedious truth.”

9. Of course, some are more European than others. “I once knew an Englishman I also liked.” “Never trust the English.”

10. Unlike the repetitive circle, in the spiral things reverse, and America is “dark” and “pagan.” Burroughs also perceived the so-called “New World” as old and evil, “groveling worship of the food source” (Naked Lunch).

11. Like Krishna, or Mr. Belvedere, or indeed Clifton Webb himself; see note 2 above.

12. “He never touched drugs and barely took more than a sip of wine. ‘I am already in that place where you all want to be. Satori is in here,’ he bragged, rubbing his temples.” Elsewhere, Dali’s coterie “hopped around the room like devotees in a heathen temple.”

13. “‘Is it Hermes or Aphrodite? Is Dalí a pederast or a dirty old man? Let their tongues wag, Violetera [Carlos].”

14. As for women, “He liked the form not the touch. But there were exceptions.” Dalí would have been revolted by today’s negroid fashion in femininity: “Big breasts are the base element of the bovine principle. Women with small breasts are for pleasure. Women with big breasts are cows and cows are bred to eat and procreate.” Dalí’s inclinations seem to recall the Persian Sufi method of inducing poetic inspiration or mystical reverie by the contemplation (only) of the Beautiful Boy; see Peter Lamborn Wilson’s Scandal: Studies in Islamic Heresy (Brooklyn: Autonomedia, 1988). Need I cite Plato’s Symposium?

15. As Alan Watts pointed out, to be perverse means to move by poetry.

16. Frederic Rolfe (“Baron Corvo”) liked to compare himself to a crab. See his roman a clef Nicolas Crabbe.

17. Using Dalí’s methods, we can see that the embezzling little weasel Pryce (thief!) is really Wotan, and the Irish Catholic ad men of McCann Erikson are revealed as Judaic interlopers by their shirtsleeves; see End of an Era, op. cit.

18. Dalí has no reverence for the non-European: “It was divine wisdom to place them [Virgin and Mother] in one being. We do not need a pantheon like the Hindus and Aztecs.”

19. “If one does what God does enough times, one becomes as God is.” — Dr. Hannibal Lecter. On the other hand, Dalí is not himself insane (“I am not mad”). On his second trip to New York he smashes out of a window display, raining shards on startled Fifth Avenue passersby, just as Will Graham stops the Tooth Fairy by smashing into his kitchen via a plate glass window. Dalí is let go only when he promises “to never do it again.”

20. See Kerry Bolton’s Artists of the Right (San Francisco: Counter-Currents, 2012). Dalí shares with Dada-ist painter Julius Evola a grand contempt for the bourgeoisie: when Dalí’s favorite hotel replaces the wooden toilet seat he believes was used by King Alphonso with modern, plastic seat, he goes ballistic and forces them to find and re-install the original. Even this inspires an epic rant: “We are surrounded by moralists, hygienists and philistines. I have no confidence in my class. You can trust the aristocracy to be charming. You can trust the peasants to be vulgar. You can trust the true artist to be a madman. The bourgeois you can trust to steal the toilet from under you . . .’” This is the toilet set, over the admiration of which Dalí and Carlos bond.

21. “All art is political,” Dalí instructs his ward. “Once it is understood, it loses its power and becomes aesthetic, decorative, pedagogic.”

22. One can’t help but recall Hunter S. Thompson’s description of the Circus Circus hotel as “What the whole ‘hep’ world would be doing if the Nazis had won the war” (Fear and Loathing in Las Vegas [New York: Random House, 1972]).

23. Again, one recalls or the subtitle of Franz Liebkind’s manuscript for Springtime for Hitler: “A Gay Romp with Adolf and Eva.”

24. I discuss the Right’s obsession with tobacco in “Mad Manspreading?” here [10] and reprinted in End of An Era, op. cit.

25. The police station crops up when Carlos’ female companion doffs her blouse as they walk along a Paris street and are promptly arrested. The police, however, are easily bought off with offers of free tickets to Hair. One can’t help but think of how this genial corruption contrasts with the Nanny State howls of New York’s de Blasio and Cuomo over the “scandal” of topless women in Times Square (yes, even Times Square! Is nothing sacred?)

26. I discuss the “gay liberationist” fantasy that art directors on Madison Avenue were unknown or closeted in End of an Era, which Margo Metroland picked up on in her excellent review, here [11]. On the contrary, ad agency art departments were exactly where young men from the provinces would flock to; for example, Andy Warhol, whose career seems a kind of Americanized (i.e., trivialized) version of Dalí’s art-as-commodity.

27. Howard Hughes’ faux-biographer apparently lived among a similar colony of Spanish artists, divas and oddballs; see his contributions to Orson Welles’ F is For Fake (1975; Criterion, 2014)

28. There are a lot of odd spellings throughout, some perhaps British, some Colombian, some misprints; I have let Microsoft silently “correct” them in my quotations here.

Article printed from Counter-Currents Publishing: http://www.counter-currents.com

URL to article: http://www.counter-currents.com/2015/09/smoke-and-surrealism/

URLs in this post:

[1] Image: https://secure.counter-currents.com/wp-content/uploads/2015/09/Dalisbook.jpg

[2] Sex, Surrealism, Dali and Me: The Memoirs of Carlos Lozano: http://www.amazon.com/gp/product/1491038209/ref=as_li_tl?ie=UTF8&camp=1789&creative=390957&creativeASIN=1491038209&linkCode=as2&tag=countecurrenp-20&linkId=X3NV2UTHBVZGHMJ7

[3] paranoiac-critical method: https://en.wikipedia.org/wiki/Paranoiac-critical_method

[4] Image: https://secure.counter-currents.com/wp-content/uploads/2015/04/dali_joseantonio.jpg

[5] Marsupial Centaurs: http://brain-meat.com/josh/dali/11.jpg

[6] here: http://brain-meat.com/josh/dali/dali5.htm

[7] here: http://www.counter-currents.com/2013/02/the-babysitting-bachelor-as-aryan-avatarclifton-webb-in-sitting-pretty-part-2/

[8] here: http://www.counter-currents.com/2013/03/the-real-meaning-of-punch-and-judy/

[9] here: https://www.youtube.com/watch?v=uhNE5xd_0wE

[10] here: http://www.counter-currents.com/2015/06/mad-manspreading/

[11] here: http://www.counter-currents.com/2015/09/the-ordeal-of-superficiality/

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lundi, 06 avril 2015

Marc. Eemans en de 'gnostische' schilderkunst

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Le but ultime, Marc. Eemans (1928)
 
 

Ex: http://mededelingen.over-blog.com

Kort na zijn ontslag uit het Klein Kasteeltje eind 1949 publiceerde Marc. Eemans onder pseudoniem De Vlaamse krijgsbouwkunde, een boek dat hij gedeeltelijk tijdens de bezetting geschreven had. Hij gaat opnieuw aan de slag in het uitgeversvak, nl. bij uitgeverij Meddens waar hij in contact komt met Jef L. de Belder (1912-1981) die in 1949 ontslagen was uit het interneringskamp van Merksplas. De Belder was redactiesecretaris van het door Meddens uitgegeven pasgeboren maandblad De Periscoop (1950-1980), een betrekking die hij aan hoofdredacteur René F. Lissens te danken had. Jef De Belder en zijn vrouw Line Lambert (1907-2005) runden de Colibrant-uitgaven te Lier, waar Eemans' Het boek van Bloemardinne in 1954 verscheen, twee jaar later gevolgd door Hymnode.

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Jan Hugo Verhaert trad in 1956 bij Meddens in dienst als verantwoordelijke voor het tijdschrift World Theatre / Théâtre dans le Monde, een blad gesubsidieerd door de Unesco. Hij werd ook ingezet om de lay-out van De Periscoop te verzorgen, “het troetelkind” van directeur Theo Meddens (1901-1966). Op verzoek van prof. Lissens werd het hoofdredacteurschap in 1955 aan de De Belder overgedragen.

In 1956 nam hij jammer genoeg ontslag en bleven alleen nog Marc. Eemans, toen lector bij Meddens, en ikzelf over. Ik verzorgde de vormgeving. Eemans moest intussen alleen alles beredderen, wat hij graag deed, daar hij (die pottenkijkers schuwde als de pest) nu de vrije hand had. De nieuwe hoofdredacteur, dr. Frans van den Bremt, had van literatuur en hedendaagse kunst weinig kaas gegeten. Hij was musicoloog, zijn grootste hobby was fotografie en hij liet Eemans graag betijen.

 

In De Periscoop publiceerde Eemans een aantal lezenswaardige gelegenheidsbijdragen, onder meer over Henri de Braekeleer, William Degouve de Nuncques, Fritz van den Berghe, Max Ernst en E. L. T. Mesens. Zijn eerste bijdrage, 'Bij Paul van Ostaijen in de leer' (1 november 1956), verscheen in de periode dat de dichter van het Eerste boek van Schmoll dank zij de vierdelige publicatie van zijn Verzameld werk onder redactie van Gerrit Borgers volop in de belangstelling stond. Met die bijdrage eist Eemans opnieuw avant-gardistisch verleden op en situeert zichzelf – m.i. geheel onterecht – in de Ostaijense traditie. Twee jaar tevoren had hij het moeten slikken dat zijn vriend Mesens hem het predicaat 'surrealist' ontzegd had. In 'Les apprentis magiciens au pays de la pléthore' verweet Mesens hem met zoveel woorden enige “verwardheid” (ook op politiek vlak...), wat hem gebracht heeft tot een “culte mystico-panthéiste dont l'expression est symboliste et ne peut rien avoir de commun avec la réduction des antonomies que le surréalisme s'est toujours proposé”.

Dat stond echter hun vriendschap niet in de weg.

*

Na zijn vrijlating was Eemans ook als schilder opnieuw aan de slag gegaan – La vie méhaignée (le chant d'amour) dateert van 1950. In 1957 exposeerde hij een dertigtal werken in galerie Le Soleil dans la Tête te Parijs. De bescheiden catalogus werd ingeleid door een oude relatie van de schilder, Claude Elsen, pseudoniem van Gaston Derycke (1910-1975), die voor de oorlog aan Hermès meewerkte.

 

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Gaston Derycke had in de jaren dertig enkele plaquettes gepubliceerd. Hij was redacteur bij het Amerikaanse persagentschap United Press, redactiesecretaris van het weekblad Cassandre, opgericht door Paul Colin, en had naam en faam verworven met zijn filmkritieken in Le Rouge et le Noir en in Les Beaux-Arts. Hij werkte ook mee aan de roemruchte Cahiers du Sud (1925-1966).

In 1937 schreef hij nog met zoveel woorden de haat te delen tegen het fascisme dat de cultuur en de intelligentie bedreigt, maar bij het begin van de bezetting werd hij toch maar hoofdredacteur van Cassandre en publiceerde hij kritieken in Le Nouveau Journal. In 1944 verscheen Destin du Cinéma, meer dan een tijdsdocument. Ondertussen had hij zich ook ontpopt als misdaadauteur met Je n'ai pas tué Barney (1940) en Quatre crimes parfaits (1941), verschenen in de populaire, door Stanislas-André Steeman gedirigeerde reeks 'Le Jury'. Relevanter zijn de kritische bijdragen waarin hij theoretische bespiegelingen verwoordt over het genre zelf en scherpzinnig de redenen analyseert waarom het als minderwaardig wordt geacht, een stelling die hij terecht betwist.

Bij de bevrijding kreeg Derycke het zwaar te verduren. Hij vlucht naar Frankrijk waar hij deel gaat uitmaken van het actieve netwerk van Belgische schrijvers die in min of meerdere mate gecompromitteerd waren door de collaboratie. Als Claude Elsen zet hij zijn literaire carrière in Parijs voort. Hij schrijft een paar jaar opgemerkte filmkritieken in het extreem-rechtse tijdschrift Écrits de Paris, opgericht in 1947 door René Malliavin die in januari 1951 Rivarol zou lanceren, 'hebdomadaire de l'opposition nationale' dat tot op heden verschijnt. Zijn belangstelling voor misdaadliteratuur blijft onverminderd. Wanneer Jean Paulhan hem uitnodigt mee te werken aan de herrezen NRF (anno 1953, nu als Nouvelle Nouvelle Revue Francaise) publiceert hij een bijdrage waarin hij de Amerikaanse 'roman noir' als antidotum stelt voor de dreigende sclerose van de klassieke politieroman.

Met de publicatie in 1953 van Homo eroticus: esquisse d'une psychologie de l'érotisme in de prestigieuze reeks 'Les Essais' van Gallimard (uitgever van de NNRF) verwerft de expat die tot dan slechts toegang had tot uiterst rechts gemarkeerde publicaties, een (bescheiden maar voor velen benijdenswaardige) plaats binnen de Franse literaire institutie. Hij zou echter vooral als vertaler van o.m. Norman Mailer, Angus Wilson, Kingsley Amis en anti-psychiater Ronald Laing waardering (en ook soms wel terechte kritiek) oogsten. Tot slot, in J'ai choisi les animaux komt een vroege maar niet minder radicale verdediger van de dierenrechten resoluut aan het woord.

*

 

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Het is typisch voor Eemans' demarche dat hij bij zijn tentoonstelling in galerie Le Soleil dans la Tête, een manifestatie die hij ongetwijfeld als een vorm van rehabilitatie zag, een tekst vroeg aan uitgerekend een eveneens door de collaboratie zwaar gebrandmerkte relatie.

Claude Elsen onderstreept dat schilderkunst voor Eemans niets anders is dan :

 

Démarche spirituelle, conquête de l'invisible, elle annexe ce monde invisible à l'univers visible de l'art pictural, nous faisant voir ces choses dont saint Jean de la Croix dit qu'elles existent sans que nous les voyions, au contraire de celles que nous voyons et qui n'existent pas.

Cette peinture ne se réclame d'aucune mode, ne va dans le sens d'aucun courant actuel. Si l'on peut voir en elle, dans une certaine mesure, un prolongement du surréalisme, elle se rattache davantage à une Tradition plus secrète et plus profonde – à cette Tradition hermétique dont récemment encore André Breton lui-même déplorait que l'art moderne ignorât le message.

 

Claude Elsen zinspeelt hier op het pas verschenen L'art magique van Breton, die op ambigue wijze gefascineerd was door die “Tradition plus secrète et plus profonde”, die “Tradition hermétique” die hier nog ruim aan bod zal komen.

Eemans had nu blijkbaar een bruggenhoofd in Parijs. In de lente van 1959 publiceerde Le Soleil dans la Tête een voornaam uitgegeven monografie van Serge Hutin (1929-1997) en Friedrich-Markus Huebner (1886-1964), Ars magna. Marc. Eemans, peintre et poète gnostique.

Serge Hutin, doctor in de letteren verbonden aan het CNRS (Centre National de la Recherche Scientifique), publiceerde in 1955 een Histoire des Rose-Croix. Hij had enkele deeltjes op zijn naam staan in de bekende reeks 'Que sais-je?' uitgegeven door de Presses Universitaires de France: L'alchimie, Les sociétés secrètes, La philosophie anglaise et américaine en Les gnostiques. Zijn belangrijkste publicaties waren toen nog in de pijpleiding: Les disciples anglais de Jacob Böhme en Henry More. Essai sur les doctrines théosophiques chez les Platoniciens de Cambridge.

 

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Hutin wijst erop dat alleen al de titels van Eemans' schilderijen uit de periode 1950-1959 onmiskenbaar verwijzen naar diens esoterische bedoelingen: La gnose de la parturience, Le serpent hyperboréen, L'étoile anagogique, L'ascension originelle, enz. Met zijn werk wil Eemans de toeschouwer verheffen tot wat hij “l'état de mystère” noemt, waardoor hij, de toeschouwer, niet louter passief blijft maar integendeel toegang krijgt tot “le monde invisible des symboles, des illuminations et des rites”. Het komt erop aan een on-middellijke, niet gemedieerde 'communicatie' tot stand te brengen door het prikkelen of '(op)wekken' van de trans-rationele intuïtie'. Wanneer de kunstenaar daar in slaagt, dan gaat het niet langer om fantastische kunst – dit is de projectie van wonderbaarlijke of schrikwekkende fantasma's, “enfantés par le sommeil de la raison dont parle Goya” – maar wel om een waarachtige revelatie. De schilder reveleert, ont-hult (een) waarheid

(άληθεία, wat niet verhuld is).

De telles œuvres sont belles, certes, mais leur caractère d' 'art' n'est, somme toute, que secondaire: elles sont, avant toute, l'expression symbolique des expériences intérieures de l'artiste – expériences qui ne sont elles-mêmes qu'une découverte 'occulte' et magique.

Volgens Hutin verschijnt de contemporaine surrealistische schilderkunst als de laïcisering van een in se esoterische schilderkunst:

Il ne s'agit plus d'extérioriser une doctrine secrète traditionnelle, mais de découvrir, indépendamment de toute contrainte (religieuse ou initiatique), l'intrication 'dialectique' de la réalité et de la surréalité – du domaine des apparences sensibles et de celui des déterminismes subtils qui conditionnent les premières.

 

Hij stelt vast dat Salvador Dalí zijn 'mystiek' bewust heeft geïntegreerd in de traditie van de katholieke symboliek en dat Ernst Fuchs (°1930) de “koninklijke weg” van het zestiende-eeuwse hermetisme teruggevonden heeft. Maar zelfs kunstenaars die, vrij van welke sacrale traditie ook, een eigen, persoonlijke weg volgen, wars van welke vorm van esoteriek ook, blijken spontaan de uitbeelding en de regels te herontdekken van bepaalde vormen van traditionele symboliek, zoals bijvoorbeeld Leonor Fini die in haar werk de taal der alchemie als vanzelf hanteert. Eemans, van zijn kant, leunt doelbewust aan bij een “ésotérisme de type traditionnel”:

il dessine et peint dans un but initiatique: surtout il ne s'agit point de 'faire de jolies choses', même pas de faire de l'art pur mais de fournir à la méditation des 'supports' concrets et symboliques tout à la fois, qui permetttront au spectateur de répéter en lui-même le processus d'illumination intuitive par laquelle l'artiste est parvenu à la connaissance supra-rationnele, à la gnose.

 

Impliciet suggereert Hutin hier dat Eemans aanknoopt bij of deelachtig is aan de traditie van het kunstwerk als sacrale, geladen afbeelding. Aan de Byzantijnse iconen werden en worden wonderdadige en andere wonderbaarlijke vermogens toegekend. Voor de Renaissance-mens hadden (bepaalde) schilderijen en beeldhouwwerken een religieus of zelfs thaumaturgisch of minstens bezwerend karakter, net zoals de antieke, polychrome Griekse beelden die het voorwerp waren van cultische zorgen. Peter Burke stipt in dat verband aan dat (bepaalde) Renaissance-schilderijen lijken te behoren tot een magisch stelsel buiten het kader van het christendom (zo was Botticelli's Primavera wellicht een talisman).

Volgens Hutin zijn Eemans' schilderijen tegelijk concrete et symbolische 'dragers' voor meditatie, net als bijvoorbeeld mandala's, die moeten leiden tot illuminatie, supra-rationele kennis, gnosis. Hij gaat uitvoerig op dit thema in:

Ce n'est pas, bien au contraire!, une peinture 'anecdotique', 'allégorique' ou 'littéraire': il ne s'agit pas de 'raconter une histoire', ni d' 'illustrer une doctrine', ni de transformer des idées en allégories concrètes. Bon gré mal gré, celui qui regarde de telles œuvres est obligé de participer à un acte magique: même s'il ne retrouve pas l'illumination gnostique à laquelle le peintre est parvenu, il sera plongé dans un état de 'rêverie' singulièrement propice aux hantises métaphysiques. […] Ce peintre-penseur a retrouvé l'un des principes de la meilleure initiation: il ne s'agit pas d' 'apprendre' didactiquement tel ou tel système, mais de réaliser en soi un état d'illumination – condition nécessaire à l'acquisition ultérieure d'une connaissance métaphysique véritable. Il ne faut pas vouloir à tout prix découvrir une 'signification' précise aux scènes 'symboliques' que nous montre le peintre: il s'agit, tout simplement, de les regarder de la manière la plus 'intuitive', la plus spontanée possible. Aristote caractérisait ainsi l'enseignement des mystères d'Éleusis: 'Ne pas apprendre, mais éprouver', et, dans l'observation des tableaux de Marc. Eemans, c'est un peu la même chose.

 

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Het gaat immers om een 'supra-picturale' schilderkunst die zich niet richt naar het materialistische genot van de kleur om de kleur en van de vorm om de vorm, maar wel om een “véritable tentative gnostique pour réconquérir les visions métaphysiques et les mythes'. Drie invalshoeken bepalen het esoterische universum van de schilder, aldus Hutin: de Griekse mysteriën en godenwereld, bepaalde vormen van christelijke gnosis en alchemistische overleveringen, vermengd met reminiscenties aan de Edda's. De inbreng van het surrealisme bestaat, ten eerste, uit vernuftige metaforische uitwerkingen (“dans lesquelles Eemans excelle autant que son compatriote Magritte”) en, ten tweede, uit een metafysica van de erotiek (“qui rejoint d'ailleurs d'authentiques secrets occultes”).

Hutin heeft nu meer dan de helft van zijn diepgravend essay achter de rug en beseft dat zijn discours nu ook iets concreets moet bevatten op louter schilderkunstig vlak, hoe profaan dit ook moge wezen... Sommigen zullen inderdaad de vraag stellen of de kunstenaar zoveel duistere literatuur van doen heeft, waarbij ze geringschattend insinueren dat de schilderijen van Eemans al te literair zijn en, vooral, dat hij zondigt door gebrek aan zin voor plastiek. Het volstaat echter, zegt Hutin, hen te wijzen op de subtiliteiten van zijn coloriet en op zijn voorkeur voor het clair-obscur – “ce mystère incarné dans toute vraie peinture de l'âme”. Bovendien moet gewezen worden op Eemans' diepe kennis van de compositie:

Tout dans ses œuvres, est harmonie rythmiquement ordonnée, non point en raison d'une idée ou d'une allégorie préétablie, mais bien en fonction de formes – peut-être toujours chargées de sens – qui sont là avant tout pour se répondre sur le plan des nécessités plastiques inhérentes à toute peinture digne de ce nom.

Volgens Hutin komt Eemans' kunst van de compositie rechtstreeks voort uit de surrealistische technieken van het 'papier collé' en van de foto-montage. Tot slot wijst hij op

une permanente fusion entre des images oniriques et celles qui relèvent du sentiment de l'infini, aussi bien dans le temps que dans l'espace, avec les analogies telluriques, lunaires et solaires, ou encore avec tous les reflets de dépaysement par rapport au moi discursivement tangible, dépaysement qui conduit à se sentir soit immensément grand, soit infiniment petit, ou bien encore à se voir emporté, tel une comète, à travers le monde sidéral.

De behandeling van het literaire werk van Eemans door Hutin en Huebner zal te zijner tijd aan bod komen. Wel dient hier al aangestipt dat Hutin de publicatie bij Le Soleil dans la Tête aankondigt van Eemans' Gnose de chair et de Silence. Daar kwam niets van in huis, en Eemans zou ook geen tweede keer exposeren bij de Parijse galerie. Het zou mij niet verwonderen dat hij zichzelf eens te meer in de weg heeft gestaan.

Henri-Floris JESPERS

vendredi, 21 juin 2013

In herinnering aan Marc. Eemans

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In herinnering aan Marc. Eemans (16 juni 1907 - 28 juli 1998)

 

Marc. Eemans wordt geboren op 16 juni 1907 te Dendermonde. Hij is onder meer actief als dichter, schilder en kunsthistoricus.

Al op zeer jonge leeftijd vertrouwd geraakt met het Brusselse artistieke milieu, begint hij onder invloed van Victor Servranckx zich op 15-jarige leeftijd te wijden aan de abstracte schilderkunst. In deze periode volgt hij lessen bij de symbolistische schilders Constant Montald en Emile Fabry. Hij schrijft voor toonaangevende avantgarde-tijdschriften als Het Overzicht, De Driehoek en Sept-arts. Vanaf 1925 schildert Eemans niet langer abstract. Hij ondergaat sterk de invloed van André Breton's Manifeste du surréalisme dat in het voorafgaande jaar verschijnt. Eemans onderhoudt intensieve contacten met de Brusselse surrealistische kring en geldt ook hier als de jongste binnen het gezelschap. Aanvankelijk voelt hij zich aangetrokken tot het communisme en schrijft hij in 1926 samen met de bevriende dichter René Baert Le Manifeste de l'Humanisme. Eemans' bronnen zullen echter veeleer mystiek van aard zijn. Een vroeg aanwezige belangstelling voor het werk van o.a. de Engelse en Duitse romantici (Percy Bysshe Shelley, Novalis), William Blake, Maurice Maeterlinck en Comté de Lautréamont wijst hem in deze richting. In 1930 komt het tot een definitieve breuk met de Brusselse kring en vervolgt hij zijn eigen weg. Datzelfde jaar richt Eemans samen met Baert de uitgeverij Hermès op, dat Eemans' eerste dichtbundel Vergeten te worden publiceert. Het (Franstalige) tijdschrift Hermès verschijnt van 1933 tot 1939 en wijdt speciale afleveringen aan (o.a.) Jan Ruusbroec, de Middelnederlandse mystiek, Meester Eckhart en het Soefisme. Niet onbelangrijk zijn de door Henry Corbin gerealiseerde Franse vertalingen van Duitse existentialistische auteurs (Martin Heidegger, Karl Jaspers). In nabeschouwing zou het project volgens Eemans gelijkenissen vertonen met de esoterische kring Gruppo di Ur, in 1927 mede-opgericht door de Italiaanse filosoof Julius Evola.

eemans_partout2.jpgEemans romantische en aristocratische gezindheid doen hem evolueren naar een eerder mythisch geïnspireerd nationaalsocialisme. “Eemans [zag] in het nazisme vooral een terugkeer tot de oertraditie, de wedergeboorte van een sacrale en magische wereld die ten onder was gegaan aan de technische, democratische maatschappij.” (1) Het in 1944 verschenen L'épreuve du feu: à la recherche d'une éthique van de hand van René Baert vormt een blauwdruk van deze visie.


In reactie op de naoorlogse Belgische kunst, die dan voornamelijk abstract-georiënteerd is, sticht Eemans in 1958 samen met de Waals-Brusselse schilder Aubin Pasque
Fantasmagie, het driemaandelijkse tijdschrift van het Centre International d'Actualité Fantastique et Magique. Ze vertegenwoordigt een fantastische schilderkunst (en literatuur) die navolging vindt in o.a. Frankrijk, Duitsland, Nederland, Tsjecho-Slowakije en Joegoslavië.

In de jaren 1970 komt Eemans in aanraking met het werk van Julius Evola, wiens traditioneel metafysische opvattingen hem diepgaand zullen beïnvloeden. Hij bezoekt Evoliaanse kringen in Italië en treedt in contact met Renato del Ponte, stichter van het Centro Studi Evoliani in Genua en redacteur van het tijdschrift Arthos. Er wordt overgegaan tot de vorming van een Brusselse studiekring (Studi Evoliani Bruxelles) die kortstondig nieuwsbrieven verzorgt, teksten en vertalingen uitgeeft, maar op weinig belangstelling kan rekenen.

Ter gelegenheid van Eemans' 65e verjaardag wordt door vrienden in 1982 een Marc. Eemans-stichting opgericht. Ongeacht haar functioneren was de doelstelling – het bestuderen van idealistische en symbolistische kunst en literatuur – ambitieus. Een archief van kunst, literatuur en muziek met betrekking tot diverse symbolen en mythen, niet slechts van België maar van Europa en elders in de wereld, zou worden ontsloten.

Nog tot in zijn laatste jaren geeft Eemans dissidente beschouwingen over zijn kunstenaarschap en het Belgische surrealisme.

Aanbevolen literatuur

Jespers, Henri-Floris (20-09-2009). Marc. Eemans en de 'gnostische' schilderkunst. (http://mededelingen.over-blog.com/article-36310697.html)

Tommissen, Piet (1972). Inleiding tot de idee Marc. Eemans. Brussel: Henry Fagne. (http://marceemans.wordpress.com/2012/08/15/p-tommissen-inleiding-tot-de-idee-marc-eemans)

Voor teksten van Marc. Eemans, zie http://marceemans.wordpress.com

Noten

(1) Henri-Floris Jespers, 'Marc. Eemans 90 jaar: een biecht', in: BRUtaal I (1997), nr. 1, p. 12.

mardi, 08 janvier 2013

Une approche des surréalismes de Belgique

 

Une approche des surréalismes de Belgique

par Marc. Eemans 

Café Het Goudblommeke (55 rue des Alexiens 1000 Brussel) maart 1953. Van links naar rechts: Marcel Mariën, Camille Goemans, Gérard Van Bruaene, Irène Hamoir, Georgette Magritte, E.L.T. Mesens, Louis Scutenaire, René Magritte en Paul Colinet.

Tout comme l'histoire de la peinture et de la sculpture symbolistes belges doit encore être écrite, cela en dépit de nombreux et parfois remarquables travaux d'approche tels des catalogues d'expositions et de savantes monographies de détail ou d'ensemble, l'histoire de l'art surréaliste de Belgique reste encore à écrire. Certes, il existe déjà pas mal de publications à ce sujet, ne serait-ce que les innombrables livres parus à la louange de la peinture de René Magritte ou de Paul Delvaux. Il y a eu de même des esquisses de travaux d'ensemble qui pèchent, hélas, par manque d'objectivité ou d'information. Le travail le plus complet jusqu'ici est le beau livre de Madame José Vovelle, actuellement professeur en Sorbonne. Ce livre, édité en 1972 aux Editions André De Rache à Bruxelles, n'est toutefois qu'une thèse de doctorat de troisième cycle soutenue en 1968 à Paris.

Comme le dit un modeste "avertissement" en tête de ce très remarquable travail, "Depuis des documents inédits ont été divulgués et des études particulières ont précisé tel ou tel point de la matière envisagée". Et en effet, de nombreuses perspectives nouvelles se sont ouvertes, tandis que des faits tout aussi nouveaux ont tenté de brouiller celles-ci depuis la rédaction de l'ouvrage de Madame Vovelle.

Puisse le catalogue pour la présente exposition des oeuvres qui ont fait l'objet du legs Hamoir-Scutenaire rectifier quelque peu ces perspectives, et d'abord en précisant que ce que l'on présente généralement comme le surréalisme en Belgique n'est le plus souvent que le surréalisme de la "Société du mystère" (selon l'expression de Patrick Waldberg) de l'entourage de Magritte, et encore ... Bien souvent on oublie d'y ajouter le surréalisme du "Groupe surréaliste du Hainaut", en ignorant à peu près complètement l'éphémère effloraison du surréalisme liégeois avec Auguste Mambour, qui fut un remarquable surréaliste durant environ trois ans, et le couple Delbrouck-Defize qui exposa même un jour à Paris sous l'égide d'André Breton.

Deux femmes surréalistes wallonnes, qui relèvent plutôt du groupe surréaliste parisien, sont la Namuroise Marianne Van Hirtum et la Liégeoise Alika Lindberg, fille du poète Hubert Dubois, l'inspirateur du surréalisme de Mambour. Cette dernière figure toutefois dans les annales du surréalisme parisien sous le nom de Monique Watteau. Toutes deux semblent des inconnues pour les historiens du surréalisme belge, tout comme la Gantoise Suzanne Van Damme, l'épouse du surréaliste italien Bruno Capacci et l'amie des surréalistes bruxellois Paul Colinet et Marcel Lecomte. ·

C'est par ailleurs un lieu commun d'affirmer que si l'expressionnisme belge est flamand, le surréalisme belge serait wallon. Rien n'est moins vrai, car le maître à penser du surréalisme bruxellois, Paul Nougé, bien que d'origine française, avait une mère flamande, tout comme l'historiographe officiel du surréalisme belge, Marcel Mariën est anversois. Il en est de même pour son homonyme (également un oublié quoique surréaliste depuis 1926-1927), le collagiste Georges Mariën, chef de file de plusieurs collagisles surréalistes anversois.

N'oublions pas que Camille Goemans est le fils du Secrétaire perpétuel de l'Académie royale de Langue et de Littérature flamandes de Belgique et que E.L.T. Mesens se proclamait volontiers, ne serait-ce que par bravade ou provocation, "le flamingant de Londres". Fait est qu'en sa jeunesse présurréaliste celui-ci avait été un intime des poètes expressionnistes flamands Wies Moens et Paul Van Ostaijen ainsi que du futur chef fasciste flamand Joris Van Severen dont une grande amie de Magritte, la Flamande, quoique francophone Rachel Baes a été la fidèle égérie au point de se faire enterrer à ses côtés au cimetière d'Abbeville en France.

On néglige également l'apport pourtant important au surréalisme belge des Flamands Fritz Van den Berghe, tout au moins en son ultime période (1927-1939), de Maxime Van de Woestijne (il est le seul à représenter le surréalisme belge dans une petite monographie allemamle consacrée à l'ar1 surréaliste) et de nous-même, auteur d'un album contenant "dix formes linéaires influencées par dix formes verbales" (1930), le seul recueil vraiment surréaliste paru en langue néerlandaise, tout au moins en Flandre.

Comme on a bien voulu conférer à un dessinateur quelque peu naïf et sans le moindre talent le statut de surréaliste à part entière pour la seule raison qu'il est le neveu de Paul Colinet, pourquoi ne nous permettrions-nous pas de joindre également aux surréalistes belges un Jules Lempereur qui inspira par certains de ses dessins le livre de Marcel Lecomte intitulé "Connaissance des degrés", paru toutefois sans les arts dessins. Même dans les milieux officiels (Administration des Beaux-Arts et Musées) le surréalisme belge est devenu ûn vrai fourre-tout. C'est ainsi, par exemple, qu'à l'exposition "Werkelijkheid en verbeelding - Belgische Surrealisten" (Réalité et imagination - Surréalistes belges), qui s'est tenue à Arnhem du 12 juillet au 6 septembre 1964, nous retrouvons parmi les exposants James Ensor, Léon Spilliaert, Victor Servranckx , Jan Burssens, Marcel Delmotte et Octave Landuyt, sans oublier plusieurs peintres qur fréquentaient la taverne bruxelloise "Le Petit Rouge", promus surréalistes par E.L.T. Mesens du fait qu'il y avait ses habitudes lors de ses séjours, après guerre, dans sa ville natale...

***

Si l'on veut vraiment écrire une histoire objective des "surréalismes de Belgique", il conviendrait d'y reconnaître trois courants dont les prodromes sont un courant dadaïste ("Oesophage", "Marie"), un courant rationaliste , très valéryen ("Correspondance") et un courant métaphysique, proche des vues sur la poésie du poète flamand Paul Van Ostaijen ("Hermès").

Des trois courants seuls les deux premiers ont requis l'attention des historiens du surréalisme belge (voir e.a. le livre de José Vovelle et le catalogue de l'exposition "René Magritte et le Surréalisme en Belgique" (Musées royaux des Beaux-Arts de Belgrque, Bruxelles 24 septembre - 5 décembre 1982). Quant au troisième courant, fort proche du surréalisme de l'André Breton du "Second manifeste du Surréalisme", 1929, il ne prit vraiment corps qu'en 1930, lorsque Camille Goemans et Marc. Eemans eurent pris congé", du surréalisme à la Nougé-Magritte et Scutenaire, en fondant les Editions "Hermès".

La vraie soudure entre les surréalistes bruxellois se fit à l'occasion de ce qu'il est convenu d'appeler la "bataille du Casino de Saint Josse" (novembre 1926): Les futurs membres du groupe vinrent à cette manifestation en char à bancs (une initiative de Geert van Bruaene) accompagnés d'un "chevalier" mercenaire en armure, car les acteurs du "Groupe Libre" avaient averti leurs adversaires qu'ils seraient reçus sans ménagement. Il y eut en effet non seulement chahut, mais aussi bataille avec quelques blessés légers de part et d'autre, dont Camille Goemans.

Parmi les amis des futurs surréalistes il y avait outre Van Bruaene , trors Flamands, les poètes Gaston Burssens et Paul Van Ostaijen (à cette époque un associé de van Bruaene) ainsi que l'auteur de ces lignes qui fut le seul de ceux-ci à rejoindre le groupe.

Marc. Eemans entraîna dans son sillage son amie Irène Hamoir laquelle il venait d'apprendre les rudiments du surréalisme selon les préceptes du premier "Manifeste du surréalisme" de Breton, d'où la "Lettre à Irène sur l'automatisme". Hélas, pour Eernans ! l'"automatisme" n'était pas tout à fait à l'ordre du jour de surréalistes bruxellois loin de là ! Il avait oublié que ceux-ci étaient surtout férus d'insolite et de spéculations diverses sur les apparences des choses et de leur réalité la plus banale possible tout en les rangeant dans un ordre peu habituel. Seconde bévue d'Eemans au sein du groupe, fut sa traduction d'une "Vision" d'une mystique médiévale brabançonne, Soeur Hadewych. Selon lui, le déroulement de cette vision rejoignait la quête du mervetlleux des surréalistes. Il suivait en cela une des thèses de son ami Van Ostaijen selon laquelle, tout en n'accordant que peu de crédit à l'écriture automatique à la Breton, celui-ci prônait en poésie une exploitation consciente du subconscient, en faisant une distinction nette entre la poésie subconsciemment inspirée et la poésie consciemment construite. Selon Van Ostaijen, la première de ces deux poésies procéderait d'un état extatique et, si l'on n'est pas un mystique, cette poésie pourrait procéder d'un fonds de mythes et d'archétypes selon une psychologie des profondeurs comme l'a formulée un Carl Gustav Jung.

A l'époque, Eemans et Van Ostaijen étaient encore ignorants de la psychologie jungienne, mais en bon surréaliste Eemans se croyait autorisé à se référer au freudisme et à ses vues sur l'inconscient. Toutefois, sans connaître Jung, Van Ostaijen et Eemans s'étaient déjà convertis aux vertus de tout ce qui relèverait de l'irrationnel, du métaphysique el de l'hermétique : aussi bien la mystique, orthodoxe ou non, que l'occultisme, l'alchimie, la parapsychologie, le romantisme, surtout allemand, et le symbolisme, sans oublier l'art des fous et ce que l'on appellerait plus tard l'"art brut", bref tout ce qui. s'insère dans l'imaginaire, le féerique du "hasard objectif', le fantastique et le merveilleux visionnaire.

Que nous sommes loin d'un surréalisme à la Nougé - Magritte et surtout de la gratuité du dadaïsme à la Mariën ! mais proche du surréalisme du Breton qui croit à ce fameux "point suprême d'où la vie et la mort, le réel et l'imaginaire, le passé et le futur, le communicable et l'incommunicable cessent d'être perçus contradictoirement".

Et aussi que nous sommes encore loin de ce futur surréalisme "non-dit" de la revue "Hermès", celle-ci consacrée à l'étude comparée de la poésie, de la mystique el de la philosophie.

Marc. Eemans en devint un des deux directeurs et Camille Goemans y fut l'auteur des "Notes des Editeurs" ainsi que des "Notes sur la poésie et l'expérience" rédig ées en collaboration avec l'essayiste Joseph Capuano. Henri Michaux, ami de collège de Goemans, devint le secrétaire de rédaction de la revue et André Rolland de Renéville, l'auteur de "Rimbaud le Voyant", ainsi que Bernard Groethuysen et quelques autres spécialistes en la matière y entrèrent au comité de rédaction. La revue compta parmi ses collaborateurs Marcel Lecomte qui entretint ainsi certains contacts avec le groupe Nougé, Magritte et Scutenalre. Que de sérieux peu "surréaliste" dans tout cela dira-t-on ! Aussi le ludique E.L.T. Mesens fut-il, "très fâché" en traitant ses anciens amis de "petits curés"... Plus tard tout rentra toutefois dans l'ordre surréaliste et Camille Goemans re devint à la grande joie de celui-ci un riche acheteur d'oeuvres de Magritte. Quant à Eemans, il redevint l'ami intime de Mesens et l'on sait que le couple Scutenaire-Hamoir, ainsi que le brave et gentil Colinet, cessèrent de bouder le vieux complice de leur "Bande Bonnot".

Seul le caractériel Marcel Mariën (en raison d'une jalousie d'ordre sentimental!) et ses jeunes séides d'après-guerre ne cessèrent de harceler Eemans de leur hargne, bien que Tom Gutt lui ait toul récemment adressé quelques lettres fort courtoises...

Mais arrêtons ici ces trop brèves el peul-être trop subjectives notes sur les "surréalismes de Belgique". N'empêche qu'en dépit de récentes lois en matière de révisionnisme politique, il conviendrait de pratiquer pas mal de révisionnisme surréaliste en réagissant contre certaines déviations el dérives vers la facilité pseudo- ou néo-dadaïste et la grossièreté pure et simple sous prétexte de faire de l'anti-esthétique el de l'antifascisme.

Et souvenons-nous du fameux pamphlet de Salvador Dali à l'adresse des "cocus du vieil art moderne". Quoique l'on puisse en penser, il ne s'agit pas que d'humour "paranoïa-critique"…

Marc. Eemans

Mai 1995

Uit: Eemans, M. (1995), Une approche des surréalismes de Belgique. Bruxelles: Fondation Marc. Eemans : archives de l’art idéaliste et symboliste.

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lundi, 07 janvier 2013

Un arôme de Magritte

Un arôme de Magritte

par Marc. Eemans 

Il y eut un temps, c'était dans les années soixante, où j'avais l'honneur de participer à des expositions d'art belge à l'étranger organisées par les instances officielles de mon pays. Ce fut d'une part le cas au Gemeentemuseum d'Arnhem et d'autre part au Centraal Museum d'Utrecht, et cela dans le cadre de l'Accord culturel belgo-néerlandais, mais surtout grâce à la bienveillante amitié de feu Monsieur Emile Langui, alors Directeur Général des Beaux-Arts au Ministère compétant de l'époque.

Depuis lors je fus comme frappé d'un certain ostracisme disons d'un ostracisme d'ordre politique, de sorte qu'il n'y eut plus de participation à quelque exposition officielle que ce fût, et voici, oh surprise! Que j'ai eu l'honneur de participer, sans que j'en fusse averti, à l'exposition “L'avant-garde en Belgique, 1917-1929” qui se tient en ce moment (18 septembre-13 décembre 1992) au Musée d'Art Moderne de Bruxelles.

Ostracisme levé? Pas tout à fait, car au lendemain du vernissage une de mes oeuvres appartenant au Musée contemporain de Gand, celui de Jan Hoet, fut enlevée sous prétexte d'une restauration urgente, et cela jusqu'à la fin de l'exposition, les autres oeuvres, commes elles appartenaient à des collections particuliéres, eurent cependant le privilège de ne pas être également décrochées... pour restauration urgente!

Quel deus ex machina intervint dans la levée d'ostracisme et quel autre ordonna l'éloignement d'une de mes oeuvres de cette exposition? Je l'ignore.

Toujours est-il que la notice biographique qui accompagne mon nom n'est pas très tendre à mon égard et me reproche surtout d'oser parler de “balivernes” à propos de certaines oeuvres de Magritte... Je passerai sur certaines assertions gratuites comme “Le surréalisme est le moment du saut quantique entre le met et l'image”. Que signifient ici les mots “quantique” et surtout “saut”? Et puis aussi, pour conclure, “Marc. Eemans est un artiste du fantastique plutôt qu'un explorateur du paradoxe surréaliste”. Me voilà donc qualifié d'”artiste du fantastique” alors que mes exégètes parlent plutôt d'"ïdéalisme magique”, mais surtout qui a jamais osé qualifier le surréalisme de “paradoxe”? Quel comble d'incompréhension et d'absurdité!

Mais revenons à mon délit de “lèse majesté” à l'égard de Magritte, et je lis: “La négation de la raison chez Eemans se manifesta explicitement quelques années plus tard (en 1944) lorsqu'il déclara que le Wallon René Magritte veut nous faire croire que dans ses peintures une pomme est un oeuf ou une clef un nuage et autres balivernes”, et mon biographe d'ajouter: “On peut s'étonner d'entendre quelqu'un -qui connaissait René Magritte personnellement depuis 1926/1927- déclarer que ce dernier parlant de l'image d'une chose, prétendait qu'il s'agissait de l'image d'autre chose. Au contraire, ce qu'affirmait l'oeuvre de Magritte ce n'était pas que ce quelque chose était ou n'était pas, mais ce qui paraît évident n'est pas pour autant exact”.

Merci, grand merci de m'avoir éclairé sur les intentions de Magritte quant à la signification de certaines de ses oeuvres genre “cette pipe n'est une pipe”, et dire que j'ai eu l'impudence de fabriquer un petit multiple avec une vraie pipe, disant “Cette pipe est bien une pipe (hommage à Magritte...”)!

Mais où peut-on découvrir qu'il y ait chez moi quelque “négation de la raison”? Ce n'est pas parce que je mets d'autres facultés au-dessus de la raison dans l'élaboration d'une oeuvre d'art que je nie celle-ci. Ce que j'ai toujours reproché à petits nuages propres à la bande dessinée, bref d'avoir trop rappeler à ce propos la définition qu'en donna Maurice Denis pour affirmer que la peinture n'est pas un jeu de l'esprit ou le lieu de spéculations plus ou moins philosophiques, sémantiques ou structuralistes avec la représentation des choses ou les mots qui les désignent?

Je sais que Magritte était un joueur d'échecs et qu'il aimait déplacer ses “pièces”sur son échiquier, en l'occurence peinture: bilboquets, grelots, chapeaux melon, etc. en des variations infinies selon une fantaisie (ou une logique) que j'appelerai “surréaliste” par commodité de langage, mais que je crois plutôt “dadaïste”.

Qu'on me permette toutefois une anecdote qui m'a été racontée par le peintre Désiré Haine. La scène se passait à une exposition de peintres surréalistes à La Louvière, où René Magritte et Désiré Haine furent témoins d'une petite discussion entre deux gamins devant une peinture de Magritte représentant (déjà!) une pipe, et au cours de laquelle un des deux gamins prétendait que la pipe représentée n'était pas une vraie pipe et qu'on ne pouvait done pas la fumer... Se non è vero!

D'autre part, à propos des recours par trop répété à des mots dans des peintures de Magritte, je citerai Victor Segalen (“Gustave Moreau, maître imagier de l'orphisme”) où il dit : “Ne croyons plus à la valeur des mots ou bien avec défiance : 'Citadelle' est terrible de menace et de sonorité. Mais, fait observer R. de Gourmont, 'mortadelle' est bien plus terrible encore, et c'est un aliment charcutier”.

A part ça, j'avoue que je signerais volontiers de mon nom au moins une cinquantaine d'oeuvres de Magritte – les plus poétiques – et que d'ailleurs une de mes oeuvres exposées au Musée d'art moderne de Bruxelles avait, pour un critique d'art flamand, “un arôme de Magritte”... Ah, mes oeuvres de jeunesse, et l'osmose des premiers balbutiements du surréalisme en Belgique! Sont-ce là les mystères de la “Société du Mystère”?

Marc. Eemans

Overgenomen uit de in eigen beheer verspreide brochure 'Marc. Eemans et le surrealisme, plus particulièrement celui de René Magritte', daterend van 1992.

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dimanche, 06 janvier 2013

Petite histoire surréaliste en marge du legs Hamoir-Scutenaire

 

Petite histoire surréaliste en marge du legs Hamoir-Scutenaire

par Marc. Eemans 
René Magritte - Portret van Irène Hamoir, 1936.

René Magritte - Portret van Irène Hamoir, 1936.

Etrange confusion d'intention que celle de ces surréalistes bruxellois des années '20 qui entendaient faire de l'anti-peinture alors que René Magritte et Marc. Eemans étaient peintres et que Paul Nougé, Camille Goemans, Marcel Lecomte et Jean (avant de devenir Louis) Scutenaire voulaient faire de l'anti-liltérature toul en ne cessant de pratiquer de la lillérature ... De méme André Souris, Paul Hooreman et Edouard L.T. Mesens s'appliquaient à faire de l'anti-musique tout en composant de la musique…

De tous ces jeunes gens, seul E.L.T. Mesens fut à ce moment le seul à être conséquent avec lui-même en renonçant à la musique, mais pour faire, lui aussi, de la littérature et des collages tout en devenant marchand de tableaux comme son ami et concurrent Camille Goemans.

Tous, ou à peu près tous, entendaient être sérieux comme des papes tout en étant évidemment anti-papistes. Rappelons à ce propos que Paul Nougé est l'auteur d'un livre intitulé "Histoire de ne pas rire" et qu'un beau jour le groupe excommunia André Souris pour avoir dirigé une messe à la mémoire de son défunt mécène. Faut-il dire que ces messieurs maniaient volontiers, tout comme leurs amis français, l'anathème contre tous ceux qui contrevenaient à leur dogme de l'anti-art ?

Mais tout cela ne relève-t-il pas d'une certaine présomption ainsi que d'une bien grande naïveté de penser bien que la plus grande rigueur et probité intellectuelles aient toujours été l'exigence primordiale du groupe surréaliste bruxellois dont l'aîné, Paul Nougé, a toujours été considéré comme le principal maître à penser ?

Certes, tous ces surréalistes n'étaient pas aussi férus de cartésianisme et tous ne se voyaient pas comme des émules du Monsieur Teste de Paul Valéry ou de la rigueur intellectuelle de Jean Paulhan, l'éminence grise de la N.R.F., car pour d'aucuns il y avait des antécédents soit symbolistes, dadaïstes ou futuristes, voire cubistes et abstraits ("plastique pure").

Mals tous étaient par ailleurs hantés de politique gauchiste allant du léninisme stalinien au trotskisme et plus tard même au maoïsme. Ils croyaient ou voulaient mellre leur anti-art au service de la révolution prolétarienne en vouant avec un certain aveuglement leur ferveur révolutionnaire au mythe bolchevik. La plupart demeurèrent jusqu'au bout fidèles à leur utopie gauchiste en dépit des révélations, dès les années '30, sur les horreurs du Goulag. E.L.T. Mesens, peut-être plus lucide que ses amis, lui au contraire, proclamait volontiers que les surréalistes en fait de révolution n'étaient que des "anarchistes sentimentaux" et il ajoutait pour sa part qu'il était "sans dieu ni maître"...

E.L.T. Mesens partageait par ailleurs, avec ses amis Irène Hamoir, Jean Scutenaire et Marc. Eemans, le privilège d'être tes benjamins de ces would-be révolutionnaires surréalistes. ce qui leur permellait certaines incartades plus ou moins pittoresques comme des visites au cirque ou à la foire du midi où les attiraient surtout les baraques de tir et le musée Spitzner.

Marc. Eemans était le plus jeune du groupe et il est actuellement le seul encore en vie de cette assez hétéroclite "Société du Mystère", comme l'appela un jour Patrick Waldberg. Marc. Eemans était plus particulièrement lié avec Camille Goemans (il avait été en classe avec le frère cadet de celui-ci) et E.L.T. Mesens, dont il avait fait la connaissance vers 1924 au fameux "Cabinet Maldoror'' de Geert van Bruaene. Il avait rejoint le groupe lors de la mémorable "bataille du Casino de St. Josse". Il y avait amené dans son sillage Irène Hamoir, une jeune militante socialiste dont il avait fait la connaissance aux cours du soir de ce qui était à l'époque l'embryon d'un Institut pour Journalistes. La jeune femme était totalement ignorante de touchait à l'avantgarde artistique et liltéraire et plus spécialement du surréalisme. Son nouvel ami eut tôt fait de l'initier et de la convertir au communisme ainsi qu'aux critères du surréalisme au point d'en faire une des trois égéries, avec Georgette Magritte et Marthe Beauvoisin, du surréalisme bruxellois.

Quant à Jean Sculenaire, le dernier venu, il devint un intime de la "Société du Mystère" à la suite de l'envoi de quelques poèmes à Paul Nougé qui les trouva à ce point proches des préoccupations poétiques du groupe qu'il crut à une mystification de son ami Goemans. Le patronyme de l'auteur de l'envoi n'avait-il d'ailleurs pas un parfum de canular avec ce Sculenaire trop visiblement dérivé du flamand Schutteneer (skutteneer = tirailleur) ? Fait était que ces poèmes étaient bel et bien l'oeuvre d'un étudiant en droit de l'Université Libre de Bruxelles. Après plus ample informé, ce jeune inconnu devint bien vite un membre à part entière du groupe avec des affinités plus particulières avec les autres jeunes recrues de celui-ci. Il naquit ainsi une amicale complicité avec Irène Hamoir et Marc. Eemans, jouant à eux trois à la "Bande Bonnot", elle devenant l'anarchiste Rirelle Maitrejean, lui Raimond-la-Science el Eemans Kibaltchiche, le futur Victor Serge, le secrétaire particulier de Léon Trotski. Il faut dire que Scutenaire était obsédé par tout ce qui était marginal depuis le banditisme et la prostitution (songeons au roman "Boulevard Jacqmain" d'Irène Hamoir) jusqu'aux fantassins du "Batt' d'Aff" disciplinaire de l'armée française.

Les Raimond-la-Science et Kibaltchiche bruxellois, faut-il le dire, étaient tous deux amoureux de leur Rirelle Mailrejean, mais au lieu d'épouser la ''Veuve", comme Je fit le Raimond-la-Science parisien, son admirateur bruxellois épousa la Rirette... Après être devenu entre-temps un docte docteur en droit et un vrai fonctionnaire modèle.

Témoins de cet épisode du surréalisme bruxellois sont une "Lettre à Irène sur l'automatisme" d'Eemans, de quoi démentir l'affirmation bien gratuite de Scutenaire selon laquelle les surréalistes bruxellois n'avaient cure de l'"écriture automatique" chère à Breton ; un poème-préface de Sculenaire pour la première exposition personnelle d'Eemans à la galerie "L'epoque" de leur ami Mesens ; une lettre éplorée d'Eemans à Nougé ; une photo de couverture d'un magazine bruxellois d'une Rirelie en maillot de bain, mais le visage caché par une pancarte portant la mention "Miss Week-end". Ajoutons-y une petite dizaine d'oeuvres d'Eemans dans la riche collection de peintures surréalistes du couple Hamoir-Scutenaire ainsi que des photos des anciens complices de la "Bande Bonnot" bruxelloise, prises lors de la présentation de "La Chanson de Roland", de Louis Sculenaire, au 18 de la rue du Président à Bruxelles.

Nous sommes en 1930, Camille Goemans et René Magiitte sont rentrés à Bruxelles, tous les deux pauvres comme Job après l'échec de la galerie Goëmans (sic) de la rue de Seine, à Paris. C'est le moment pour Goemans et Eemans de "prendre congé" de leurs amis et du surréalisme sectaire et fermé à la Nougé, trop souvent en bulle aux pièges du dérisoire el du farfelu, et d'ouvrir l'épisode d'un surréalisme ouvert, occulté (selon le précepte du "second manifeste du surréalisme"), non-dit et apolitique de la revue "Hermès", mais l'histoire de ce surréalisme reste encore à écrire...

Le mariage de Rirette avec son Raimond-la-Science, n'interrompit pas pour autant la profonde affection qui liait Irène Hamoir à son ami "Marco"l Cette amitié dura jusqu'au décès de celle-ci avec pour corollaire qu'elle suivit les conseils de son vieil ami ainsi que d'un autre fidèle des Sculenaire du nom de Luc Canon (fidèle au point d'habiter un Cour Louis Scutenaire, situé à peine à quelques lieues du. village natal de celui-ci) . Irène Hamoir soustraya ainsi son trésor d'Aiibaba de la caverne surréaliste de la rue de la Luzerne aux grilles de tous ceux qui le convoitaient et vous connaissez la suite…

Marc. Eemans

Réf. : Rirette Maîtrejean – “Souvenirs d'anarchie”. Quimperlé, 1988, Editions “La Digitale”.

Uit: Eemans, M. (1995), Une approche des surréalismes de Belgique. Bruxelles: Fondation Marc. Eemans : archives de l'art idéaliste et symboliste.

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lundi, 26 novembre 2012

Marc. Eemans: Artikelen/Articles

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Marc. Eemans: Artikelen/Articles

sur: http://marceemans.wordpress.com/

jeudi, 20 septembre 2012

Marc. EEMANS: La Vision de Tondalus

Marc. EEMANS:

La Vision de Tondalus et la littérature visionnaire au moyen âge

 

simon-marmion-ca-1475-tondalus-ziet-de-gevreesde-koningen-conchober-en-donatus.gifLa vision est un des genres mystico-littéraires des plus goûtés au moyen âge. Innombrables sont, en effet, les textes visionnaires parvenus jusqu'à nous et, sans parler de ces sommets que sont les visions de Sainte Hildegarde et de Hadewych, l'on peut dire que la vision a fleuri dans tous les pays de l'Europe occidentale. La plupart des textes conservés semblent d'abord avoir été écrits en langue latine, pour être traduits par la suite en langue vulgaire et se répandre ainsi dans toutes les couches de la société.

A en juger d'après le grand nombre de visions d'origine irlandaise, l'on peut affirmer que c'est avant tout un genre propre au monde celtique (1) où il se confondrait avec la tradition païenne de l'imram (2) ou voyage maritime à la Terre des Ombres, île lointaine et inaccessible où tout n'est que félicité.

Par la suite, se rencontrant avec d'autres récits de tradition strictement chrétienne, ce voyage se serait confondu avec les « ravissements dans l'esprit », au cours desquels les visionnaires visitent l'au-delà.

L'une des premières visions chrétiennes dont le texte nous soit parvenu est la Vision de Salvius qui nous apporte, d'emblée deux éléments propres au style visionnaire: la mort apparente du visionnaire et l'apparition du guide qui Je conduit sain et sauf à travers les embûches de l'au-delà.

Dans tous les textes visionnaires du quatrième au sixième siècle, le paradis des élus se rapproche encore beaucoup de l’Élisée des Grecs ou du Hel des anciens Germains: c'est une espèce de pays de cocagne ou tout n'est que joie et allégresse, et qui se confond volontiers avec le paradis terrestre dont Adam en Eve furent chassés après la faute.

Dans un des Dialogues du Pape Grégoire le Grand, nous trouvons également la description classique d'une mort apparente accompagnée d'un voyage dans l'autre monde, tandis que des considérations eschatologiques viennent utilement nous renseigner sur notre vie future. Maïs l'originalité de cette vision réside dans le fait que nous y rencontrons pour la première fois le thème du pont étroit qui est une des épreuves les plus redoutables pour les âmes damnées.

Le texte de Grégoire le Grand semble avoir donné un essor définitif au genre et dès le huitième siècle les visions se multiplient, en étant toutes construites sur le même schéma.

L'Historia Ecclesiastica de Beda Venarabilis (3) nous rapporte à elle seule la relation de trois morts apparentes accompagnées de visions à tendances eschatologiques. La plus remarquable d'entre elles est la Vision de Drithelm qui s'apparente de très près à la Vision de Tondalus, aussi la considère ton comme une de ses sources.

Sous le règne de Charles Magne, nombreuses sont les visions qui s 'inspirent des thèmes de Grégoire le Grand, mais sous l'influence de certains facteurs extérieurs, elles perdent petit à petit leur sens religieux pour revêtir un aspect politique. La plus célèbre des visions de ce genre est certainement la Vision d'une Pauvresse. Elle nous conte l'histoire d'une pauvre femme, du district de Laon, tombée en extase en l'année 819, et dont les visions auraient inspiré directement la politique carolovingienne.

Faisant exception dans la série des visions politiques de l'époque, les Visions d'Anscarius (4) sont de la plus pure inspiration eschatologique. Dès sa prime jeunesse, Anscarius connut les visions et les ravissements, aussi vécut-il de la manière la plus sainte, loin des rumeurs du vaste monde. Puis, certain jour, une vision lui ayant montré les beautés de l'apostolat, il alla convertir les hommes du Nord à la foi chrétienne. Les Visions d'Anscarius s'apparentent de fort près à la Vision de Salvius, tout en s'inspirant des principaux thèmes eschatologiques de l'Apocalypse. Jusqu'ici, le style visionnaire était encore tout entaché de matérialité, voire même de vulgarité. Chez Anscarius, au contraire, le récit se spiritualise et l'âme qui s'échappe du corps endormi se pare d'une essence vraiment impondérable, tout comme Je Ciel se colore d'une indicible fluidité. Anscarius reconnaît cependant son incapacité à traduire l'ineffable et il avoue que ses descriptions ne sont que des approximations qui se trouvent bien en-dessous du réel.

Pendant les deux siècles qui suivent, la littérature visionnaire connaît une certaine régression. Hormis la Vision de Vauquelin, qui date de 1091, il n'y a aucun texte marquant à signaler.

Dès le début du 12° siècle, les textes visionnaires se suivent de très près, nous y relèverons surtout des visions d' origine irlandaise dont la Vision d'Adamman semble être la plus ancienne. Tout en relevant d'un certain conventionnel, le genre se traduit en récits d'une très grande beauté de style. Ces visions nous révèlent, en effet, le merveilleux chrétien dans toute sa diversité, depuis la description des plus misérables scènes du monde des damnés, jusqu'à l'épanouissement béatifique des âmes au sein de Dieu. Les thèmes traditionnels se développent et s'amplifient d'un récit à l'autre. Des réminiscences orientales, dues aux Croisades, s'y révèlent, tandis que des rappels des auteurs anciens viennent témoigner des premières influences du monde antique.

Cette littérature visionnaire à tendance eschatologique connaîtra bientôt son apogée dans la Divine Comédie (5) du Dante, tandis que les visions d'inspiration plus mystique aboutiront aux plus sublimes révélations de Sainte Hildegarde et de Hadewych (6). Tant par leur popularité ,que par la beauté de leur style, la Vision de Tondalus et le Purgatoire de St-Patrice occupent une place d'exception dans la littérature eschatologique du moyen âge.

La Vision du Chevalier Ovin relatée dans le Purgatoire de St-Patrice se rattache à l’antique tradition celtique des Imrama, aussi n ' est-ce point en état de léthargie que le Chevalier Ovin s'aventure dans le monde des ténèbres, mais en y pénétrant volontairement par une grotte qui communique avec les entrailles de la terre. Sur le plan chrétien il refera le voyage déjà entrepris avant lui par Orphée, Ulysse et Enée. Tout comme eux il pénètrera de son plein gré dans le monde de l'au-delà, mais son voyage est un véritable pélerinage: c'est, en effet, pour se purifier qu'il veut contempler les peines infligées aux âmes damnées. Il est ainsi porteur de cette foi essentiellement chrétienne et médiévale en la Rédemption de l'homme.

6758028-M.jpgLe Chevalier Ovin n'a point le bonheur d'avoir un guide dans son voyage, mais là ou les dangers seront par trop menaçants, il lui suffira de prononcer le nom de Jésus pour se sentir aussitôt à l'abri. Il ira ainsi de supplice en supplice, en se purifiant chaque fois davantage, pour arriver enfin aux partes du Paradis.

Par les nombreuses recommandations à l'adresse du lecteur qui entrecoupent le récit, cette vision se révèle avant tout comme une œuvre d'édification et une exhortation à la pénitence.

Ce récit, qui se rattache au fameux Pélerinage de St-Patrice, en Irlande, a rencontré un succès sans précédent dans les annales de la littérature médiévale. Ecrit en latin par un moine irlandais du nom d'Henry de Saltrey vers 1189, il fut bientôt traduit dans toutes les langues de l'Europe occidentale. De nombreux auteurs célèbres s'en inspirèrent, notamment Calderon qui en tira son El Purgataria de San Patricio. Jusqu'au milieu du 19° siècle il a servi de trame à un mystère fort populaire dans toute la Bretagne.

Quant à la Vision de Tondalus, due vers le milieu du 12° siècle à la plume du moine Marcus, son succès dura plus de trois siècles. Plus de 60 versions latines, toutes du 12° ou du 13° siècle en ont été conservées jusqu'à nos jours. Sa traduction en langue vulgaire se répandit dans tous les pays de l'Europe occidentale. Vincentius Bellavacensis recopia intégralement cette vision dans son Speculum Ristoriale (vers 1244) , tandis que Denys le Chartreux en donna un résumé fort circonstancié dans deux de ses ouvrages Quatuor Novissima et De Particulari Judicia Dei. C'est grâce à ces deux auteurs, particulièrement populaires à l'époque, que la Vision de Tondalus pénétra dans tous les milieux.

Cette vision nous conte les mésaventures du Chevalier Tondal qui, étant tombé certain jour en état de léthargie, eut le privilège de descendre en Enfer et d'en rapporter le récit que le frère Marcus (7) a trancrit pour l'édification des pécheurs.

Dès le seuil de l'autre monde, Tondal est accueilli par son ange gardien et ensemble ils traverseront l'Enfer pour visiter ensuite le Paradis et y contempler les âmes bienheureuses.

La délimitation de l'au-delà en trois zônes bien définies- Enfer, Purgatoire, Paradis - telle que nous la trouvons dans la Divine Comédie n' est pas encore bien fixée dans le récit du frère Marcus, aussi a-t-on pu soulever une controverse quant à la définition des lieux visités par Tondalus Selon certains, seul le supplice infligé par Lucifer, relèverait des peines de l'Enfer, toutes les autres étant encore celles du Purgatoire.

Quoi qu'il en soit, nous constatons que dans la Vision de Tondalus onze supplices s'étagent jusqu'aux partes du Paradis et que même à l'intérieur de celui-ci, certaines âmes doivent encore souffrir des supplices temporaires, tels les deux rois ennemis Concober et Donacus, qui avaient cependant déjà fait pénitence sur terre, maïs qui ne furent pas « entièrement bons » ... Quant au roi Cornacus, il y doit également expier certains crimes et y subit ainsi chaque jour, durant trois heures, la peine du feu jusqu'au nombril, tandis que la partie supérieure de son corps se recouvre entièrement de poils. Comme on le voit, dans le Paradis de Tondal, la première joie connaît encore ses heures de détresse, mais les cinq joies suivantes, elles, sont toute félicité. Elles sont réservées aux âmes nobles qui vécurent d'une vie exemplaire ici-bas.

Tondal serait volontiers resté en ces lieux, mais son ange gardien lui fait comprendre qu'il n'en est pas encore digne. S'il persévère dans ses bonnes résolutions, il reviendra certainement en ces lieux pour y prendre part aux chœurs des bienheureux. Maïs avant d'en arriver là Tondal devra vivre, pendant le temps qui lui reste à demeurer sur terre, une vie de mortification et de charité. C'est à ce moment que l’âme de Tondal va rejoindre son corps pour s'adonner à l’œuvre de la gräce.

La Vision de Tondalus a laissé des traces profancles dans toute la littérature de moyen âge. Son iconographie est des plus abondantes, car des artistes de la qualité d'un Pol de Limbourg ou d'un Jéröme Bosch y ont trouvé de fécondes sources d'inspiration. Nombreux sont également les incunables qui ont reproduit cette vision. La première édition typographique de ce livre serait celle d'Anvers « gheprent bi mi Mathijs van der goes », portant le millésime 1472.

Les bibliographes sont toutefois unanimes pour affirmer que cette édition a été antidatée par van der goes qui voulait ainsi s'attribuer la gloire d'avoir imprimé le premier livre paru dans les Pays-Bas.

Presque toutes les éditions de la Vision de Tondalus datent du 16° siècle et dès le 17°, cet ouvrage qui avait connu tant de vogue ne reparut plus au catalogue des éditeurs. Au 19° siècle il sortit de l'ombre grâce à la curiosité des philologues romantiques et dès 1837 Octave Delepierre, archiviste de la Flandre Occidentale en présenta une nouvelle version française d'après le texte la tin de Vincentius Bellavacensis, à laquelle nous empruntons les fragments publiés dans le présent cahier.

Dans plusieurs pays d'Europe les philologues se sont depuis lors occupés fort longuement des innombrables manuscrits de l’œuvre. Certains d'entre eux nous ont dotés ainsi de la présentation critique de quelques-uns d’entre-eux, notamment MM. R. Verdeyen et J. Endepols qui publièrent une version moyen-néerlandaise de la Vision de Tondalus et du Purgatoire de St. Patrice. Nous devons la plupart des données historiques réunies dans cette étude aux patientes recherches de ces deux savants.

Une étude détaillée du sujet, que nous venons d'esquisser ici et qui relève autant de l'histoire de la littérature comparée que de l'histoire de la dévotion occidentale au moyen âge, reste encore à écrire.

Marc. EEMANS.

(1) Rappelons cependant que le monde antique tout comme le monde oriental connurent ce genre et bien souvent nos visions médiévales en sont des démarcations plus ou moins conscientes.
(2) Le plus célèbre Imram connu à ce jour est celui du Voyage de Bran ou de Saint Brandan.
(3) Moine et historien anglais, né à Wearmouth (675-735).
(4) Saint Anschaire, évèque de Hambourg (801-865) .
(5) Les constantes allusions du Dante à des personnages politiques contemporains rattachent également la Divine Comédie à la tradition carolovingienne des visions politiques.
(6) Parmi les grandes femmes visionnaires citons également: Elisabeth de Schönau, Marie d'Oignies, Christine de St-Trond, Lutgarde de Tongres, Beatrice de Nazareth, Mechtild de Magdebourg, etc.
(7) L'auteur de la Vision de Tondalus, probablement un moine Irlandais du XIIe siècle, n'est connu que sous ce prénom. C'est ainsi qu'il se présente lui-même au debut de son récit.

Hermès, n° 3, mars 1937.

mercredi, 19 septembre 2012

Marc. Eemans : Non possumus

 

Non possumus

by Marc. Eemans

 

Qu'on nous excuse ce recours au latin papal pour opposer un refus – net et catégorique – à cette déviation vers un ésotérisme teinté de science-fiction que nous croyons découvrir derrière le « thème d'Uranus » proposé par quelques « fantasmages »au IVe Salon International « Fantasmagie » de Bruxelles, dont le présent numéro [Fantasmagie no. 10, mai 1962] est en quelque sorte comme le support idéologique.

Libre à ces amis de se perdre dans les dédales d'un néo-rosicrucianisme revu et corrigé à la lueur de certaines théories à la mode du jour, qui tendent à nous faire croire que notre civilisation se trouve « en rupture et mutation ».

Nous le savons bien que nous sommes entrés – et depuis pas mal d'années déjà – dans une ère que nous appellerons volontiers celle du mépris, de la bassesse d'être et de 'avilissement. Oui, nous assistons à une irrésistible autant qu'irréversible montée d'aveugles forces telluriques qui menacent de submerger tout ce qui nous était cher et qui demeurait notre seule raison de vivre et d'espérer. Que nous sommes aussi entrés dans une ère de science nouvelles, de conquêtes interstellaires et de menaces nucléaires, qui le niera, mais en quoi cela peut-il changer l'essence-même de notre condition d'homme et de l'authenticité de notre vie réelle ?

Ne faut-il pas être un peu illuminé, comme Pierre Teilhard de Chardin, ou plutôt jobard, comme le savant américain Oppenheimer, pour affirmer que les récents progrès de la science sont en passe de faire de nous des « êtres nouveaux »? Sans doute, les technocrates d'aujourd'hui se trouvent à l'antipode de l'homme cultivé, de l' « honnête homme » de jadis, car la technocratie a succédé à la culture, en général, et à la science, en particulier. L'automation autant que la spécialisation vont 'l'encontre de la vie de l'esprit. Ainsi, nos modernes cosmonautes – pour ne parler que de ces vedettes de la technocratie – au lieu d'être les prototypes du surhomme de demain que nous annonçait Nietzsche, ne sont-ils que de simples citoyens soviétiques ou américains uniquement préoccupés de la bonne réussite du travail qui leur a été assigné. Une fois rentrés chez eux, après leur périple spatial qui relève davantage de la performance sportive, que de l’expérience scientifique, ils ne sont certainement plus que de tout petits hommes, aussi dupes que le premier monsieur Dupont ou Durand venu, de la pâture que peuvent leur offrir les modernes techniques d'abrutissement des foules que sont la grande presse, le cinéma, les sports, la radio et la télévision.

Il est évident que nous ne nous laisserons pas aveugler par ce stupide nouveau culte des idoles et que nous sommes prêts à apporter notre tribut d'admiration aux savants obscurs qui rendent possibles tant d'exploits spectaculaires. Mais, ne l'oublions pas, ce sont aussi ces savants qui sont les apprentis-sorciers üraniens » auxquels font allusion MM. Brahy et Mariën, ces apprentis-sorciers dont l'esprit d'investigation et de conquête est à la fois riche en découvertes vertigineuses et en menaces d'anéantissements apocalyptiques.

Certes, nous pourrons nous rencontrer ainsi avec certaines théories quant aux caractéristiques « uraniennes », telles que les définissent les astrologues, car, somme toute, leurs vues sur l' « ère uranienne » ne sont peut-être que de simples intuitions qui nous viennent de la nuit des temps, et dont les projections métaphoriques, ainsi que les synthèmes et symboles, peuvent parfaitement se prêter à l'analyse des mythes et archétypes de l'inconscient collectif chers à la psychologie des profondeurs.

Mais, que penser de ces tenants de la « Tradition »qui veulent insérer les progrès techniques du jour dans un schéma de superstitions selon lesquelles l'histoire du monde s’acheminerait vers un devenir religieux fait à l'image des divagations les plus sottes ?

Rêveries sans bien grande importance, sans doute, mais aussi étrange goût du paradoxe et de l'affirmation gratuite. Et, par ailleurs aussi, que de visions rétrogrades, que de professions de foi réactionnaires, et que de logomachie ! On se croirait parmi les primates de la pensée philosophique ou les analphabètes de la Christian Science devant des sornettes aussi flagrantes que l'énoncé que voici que certains n'ont pas hésité à proposer à notre méditation : « Uranus ensuite pourra porter l'Humanité vers une fraternité réelle et non plus théorique. Le véritable christianisme enseigné par une Eglise plus démocratique, telle que le conçut son fondateur, deviendra universel, et le culte du Saint-Esprit prendra une grande importance ».

Devons-nous y opposer une profession de foi agnostique, anti-chrétienne et anti-démocratique, pour nous présenter comme des néo-païens non-conformistes et passablement révolutionnaires ? Non, ce ne serait que ridicule, et puis ne nous répondrait-on pas que nous n'y avons rien compris et que nous ne sommes que de pauvre esprits cartésiens auxquels échappe la grâce de l'Illumination initiatique...

Mais, comment l'art fantastique et magique peut-il s'accommoder de tant d’ésotérisme primaire ? Pour les épigones du surréalisme figuratif, il suffira peut-être de démarquer certaines recettes qui remontent aux fantasmagories d'un Jérôme Bosch ou d'un Brueghel et que le Salvador Dali des bonnes années a su réactualiser dans le sillage du comte de Lautréamont. Ce ne seront que perspectives fuyantes en des paysages désertiques ou lunaires avec des personnages déboîtés ou larvaires aux ombres allongées, des matières molles ou viscérales, des spectres un peu grotesques ou hideux, le tout plongé dans une atmosphère d'apocalypse.

Quant aux admirateurs d'un surréalisme évolué selon les plus récentes formules de l'abstraction chaude ou lyrique, que d'aucuns considèrent comme le nec plus ultra de l'expression automatique, il leur suffira de s'adonner à l'art des nébuleuses ou des éruptions solaires et de peindre des cosmogonies agrémentées ou non de planètes et d’étoiles filantes...

Le fantastique uranien s'intègre ainsi facilement dans l'incongru, le cauchemaresque et la science-fiction, à moins qu'il ne prétende être le véritable art magique, celui des signes secrets et des anagogies qui relient mystérieusement le passé au futur.

Mais pourquoi le fantastique ne s'en tiendrait-il pas à la sancta simplicitas, à la simple poésie de l’œil, du sein, de la rose, du feuillage, de l'écorce, de l'écume de la mer, de la conque, du cristal, de la pierre, de l'écaille, de la plume, de l'algue, du nuage, de l'os, « autant d'éléments », comme le rappelait encore Thomas Owen dans une récente préface de catalogue fantasmagique, « qui participent à l'expression fantastique » ?

Et pour finir, que l'on nous permette de préférer au « thème d'Uranus », celui de l'Amour, de l'amour sublime, car dans le doux sourire d'une femme aimée nous découvrons infiniment plus d'infini fantastique que dans toutes les infinitudes de l'univers.

Marc. EEMANS

Fantasmagie no. 10. Numéro spécial sur le thème d'Uranus, mai 1962.

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mardi, 18 septembre 2012

Trois maitres néerlandais du « réalisme magique »

 

 
 

Trois maitres néerlandais du « réalisme magique »

by Marc. Eemans

Raoul Hynckes - De ijzeren hand, 1935.

Réalité, irréalité, surréalité... qui osera nous dire et ainsi définir et délimiter les frontières, certes tout arbitraires, de cette merveilleuse unicité du monde des apparences et de ses reflets au sein de notre plus profonde intériorité transfigurante?

Pour tout dire, ce n'est qu'au départ de cette foncière unicité de toutes choses que les correspondances vraiment s'établissent et prennent leur envol vers cet « invisiblement visible »qui nous déroute, nous trouble et nous enchante tout à la fois, en nous plongeant en plein dans cet abîme d'inconnaissance dont témoignent ceux qui savent et nous redisent la fable de l' « éternel mystère ».

En fait, il y a les états multiples de ce mystère de l' « invisiblement visible »qu'il appartient à ceux que l'on dit être les « voyants », et les « poètes »de nous révéler et de nous décrire de la manière la plus tangible, la plus de nous révéler et de nous décrire de la manière la plus tangible, la plus évidente,. Nul n'est besoin pour ce faire d'avoir recours à quelque thaumaturgie occulte ou autre, mais bien d'approcher ce qu'il est convenu d'appeler le « réel »avec la plus simple vertu d'attention. Le miracle tout aussi simple de la participation aussitôt s'opère, et le « voyant », le « poète »devient montagne, fleur ou nuage. Il devient et décrit ce qui est  en apparence, aussi bien qu'au-delà et qu'en deça des apparences. Il nous dit la magie du vent qui souffles dans les arbres, le mystère de cette « mer sans cesse recommencée », ainsi que la vie profonde et tout aussi mystérieuse des choses qui nous entourent. Il saisit au vol la prodigieuse et fabuleuse aventure d'un sourire à peine esquissé et magnifie la simplicité d'un geste qui s'ébauche et peut-être se tend vers l'infini. Il devine la tension latent qui unit et sépare tout à la fois les objets qui font le décor de notre vie la plus quotidienne et il en dégage aussitôt la part d'indicible, celle qui appartient à ce dieu invisible qu'il nous a plu de départir à la moindre parcelle d'être.

Ainsi, pour qui sait le sentir et le deviner, le mystère de l' « invisiblement visible » ne cesse de se révéler à chaque instant et en toute circonstance, là même où d'aucuns ne se heurtent qu'au vide de leur propre néant. Le prodigieux naît de la magie de nos cinq sens (libre à d'autres d'y ajouter ceux qui leur conviennent) et le merveilleux, le féerique ou le « fantastique », - pour employer un mot à la mode -, peut surgir à chaque coin de rue. Il suffira de reconnaître les minutes et les rencontres insolites »pour baigner en pleine « poésie »et unique réalité, à la fois réelle, irréelle et surréelle...

*

Cet assez long long préambule pour vous dire tout ce que nous voyons ou plutôt devinons dans les œuvres, peintes d'une manière ô combien minutieuse et réaliste, de trois peintres néerlandais qui ont nom Raoul Hynckes, Pijke Koch et Carel Willink. En leur pays ils eurent leur heure de célébrité, à un moment où l'art non-figuratif était encore considéré comme « dégénéré », mais depuis lors, comme nous l'écrivait l'un d'eux, ils ne sont guère plus qu'une « fiche dans un classeur nécrologique et c'est tout ». Et pourtant, et pourtant... Nous sommes encore quelques-uns à considérer leurs œuvres comme les plus belles, les plus accomplies et les plus chargées de sens de notre époque. Ces trois peintres, en effet, - et nous ne les groupons ici que par simple commodité, - ont su approcher en toute humilité, et chacun à sa manière, le grand mystère de l' « invisibilité du visible ». Par leur simple vertu d'attention et par la prodigieuse magie de leur pinceau, ils sont tous les trois parvenus, et chacun à sa manière, à nous rendre tangible la profonde unicité du réel, de l'irréel et du surréel. Leurs œuvres nous parlent le langage de l'indicible, car tout ce qu'ils peignent, - bien que tout ne soit emprunté qu'au monde des apparences les plus concrètes -, baigne dans une atmosphère chargée des correspondances les plus troublantes.

On nous rétorquera peut-être que Raoul Hynckes, pour atteindre à ce que nous appellerions la « sublimité » de son art, n'a que trop souvent recours à l'allégorie, et que ses natures mortes ne sont qu'une longue et monotone méditation sur le thème de la vanitas ; que Pijke Koch, lui aussi, ne recule pas devant l'allégorie, et que Carel Willink emprunte le meilleur de son langage poétique à certaines formules de l'insolite cher au surréalisme figuratif.

Sans doute, mais au-delà de toute cette affabulation extérieure, il y a avant tout une certaine densité intérieure qui touche aux fibres mêmes de l'être. Tout y est mystère : mystère des choses, mystère des ombres et des lumières qui les baignent, mystère du merveilleux qui affleure, se donne et se refuse, pour déboucher sur le silence même du tout-mystère.

Voilà, certes, la grande magie de ce réalisme d'au-delà le réalisme et la raison de notre dilection pour cet art si anachronique en cette époque du plus grand confusionisme pictural.

Marc. EEMANS

Fantasmagie no. 7, octobre 1961.

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lundi, 17 septembre 2012

Piet Tommissen: Inleiding tot de idee Marc. Eemans

Marc. Eemans

 

Piet Tommissen:

 

Inleiding tot de idee Marc. Eemans

 

Piet Tommissen en Marc. Eemans, 1972.

Toen ik aanvaardde een essay te wijden aan het werk en het denken van de schilder, dichter en kunsthistoricus Marc. Eemans, heb ik me afgevraagd of het in mijn geval geoorloofd was te spreken van een zekere continuïteit in zijn geestelijke ontwikkeling. Langzaam maar zeker kwamen elementen en argumenten aan het licht om mijn overtuiging te staven dat die vraag positief macht beantwoord worden. Aldus is deze geschiedenis van de intellectuele en creatieve levensweg van Marc. Eemans ontstaan. Daarbij werd de klemtoon vooral op zijn denken en op zijn poëtisch oeuvre gelegd, vermits het illustratiemateriaal dat deze uitgave verrijkt, als een soort picturaal complement van mijn stelling kan beschouwd worden. Overigens bleven om voor de hand liggende redenen, biografische en andere gegevens buiten beschouwing.

Hopelijk vergeeft de lezer het me dat ik met hem wegen ga verkennen, die men normaliter in essays van het onderhavige genre links laat liggen. Maar op de eerste plaats is het zo dat ik geen kunsthistoricus ben en het derhalve als een punt van elementaire intellectuele eerlijkheid beschouw me onbevoegd te verklaren om een verantwoord waardeoordeel over het schilderkunstig werk van Marc. Eemans uit te spreken. En voorts is er het oude adagium « de gustibus et coloribus non disputandum », dat in de loop der tijden zijn geldigheid heeft behouden. Waarom de lezer dan ook willen beïnvloeden met een onvermijdelijk subjectieve analyse van de boodschap die de schilderijen van Marc. Eemans brengen?

Toch weze het me toegelaten de aandacht te vestigen op een soort sleutel-schilderij die « De pelgrim van het absolute » heet en in 1937 ontstond. De kijker wordt als het ware gebiologeerd door dat monumentaal gelaat met die ogen die hem aankijken zonder dat men precies weet of het nu een nieuw werd en dan wel de dood is die er uit spreekt. Dit werk resumeert op voortreffelijke wijze wat ik hier getracht heb te formuleren bij wijze van aan loop tot de thans volgende inleiding tot de idee Marc. Eemans. Want hebben we laatstgenoemde niet leren kennen als een man die steeds onvoldaan is krachtens zijn faustische natuur, als iemand die voortdurend datgene nastreeft wat hij zelf ooit « de liefde, overal en altijd » (1) heeft genoemd? In « De pelgrim van het absolute » moet men in zekere zin het jeugdportret zien van hem die thans in de derde leeftijd is getreden, die « ergens in Vlaanderen geboren » werd en thans leeft boven de mensen in « het land der inwendige mythen » (2) waarover hij niet ophoudt te spreken (3).

Mijn grote Meester, de Duitse geleerde Carl Schmitt spreekt ergens van « jene geheimnisvolle Hand, die unsem Grill nach Büchem lenkt" (4), over de geheimzinnige hand die er over waakt dat ons telkens de boeken in handen komen, die onontbeerlijk zijn voor onze geestelijke vorming. Meestal gaan er jaren overheen alvorens men zich rekenschap geeft van de occulte maar duurzame invloed die een bepaald boek op de levensloop van een mens uitoefende. In het geval dat we thans behandelen liggen de zaken enigszins anders, want Eemans werd van in zijn prille jeugd door de grondige lectuur van bepaalde boeken derwijze beïnvloed, dat het m.i. onmogelijk is zijn evolutie te volgen en zijn latere opties te verstaan zonder terdege rekening te houden met deze én rechtstreekse én diepgaande invloed.

Keren we dus even terug naar de tijd dat de nauwelijks tienjarige Eemans zijn vader regelmatig vergezelde bij diens bezoek aan kunsttentoonstellingen, en dat hij via een verre verwante, de beeldhouwer Emiel De Bisschop, talrijke kunstenaars en schrijvers uit de kunstkring « Doe stil voort », waarin schilders lijk Felix De Boeck, Prosper De Troyer en Victor Servranckx debuteerden, persoonlijk leerde kennen. Op het Koninklijk Atheneum van Brussel had Eemans een merkwaardige leraar Nederlands, een zekere Maurits Brants. Deze hing aan de muren van zijn klaslokaal reproducties op van taferelen uit de Germaanse mythologie en meer bepaald uit het Nibelungenlied en uit de Edda, iets wat de verbeelding van de ontvankelijke leerlingen naar het verre verleden van het sagenrijk Thule deed afdwalen. Ook dient dier de invloed vermeld van Eemans' oudere broeder Nestor, die een groot kenner van Richard Wagner was. In zijn bibliotheek trof de jonge Marc. alles aan wat nodig was om zijn initiatie in de wereld der eeuwige mythen te vervolledigen: Tannhauser, Parsifal, Tristan en Isolde, zander de Ring der Nibelungen te vergeten en de ontroerende Senta uit de Vliegende Hollander, deze fantastische heldin van de « trouw tot in de dood » …

Vanaf zijn veertiende levensjaar begon de « Benjamin der eerste Belgische abstracte schilders » de werken van Plato en de Ethica van Spinoza te lezen, en verslond hij de meesterwerken van de grote Hollandse symbolisten: « Mei » van Herman Gorter, « Psyche » en « Fidessa » van Louis Couperus en de « Sonnetten » van Willem Klaas. Deze dichters brachten de jonge Eemans op hun beurt op het spoor van de Engelse romantiekers, vooral van Shelley, waarvan precies in 1922 de honderdste verjaardag herdacht werd van zijn al even tragisch als mysterieus verscheiden. Ook de door Frederik Van Eeden bezorgde vertaling van het oeuvre van Rabindranath Tagore bekoorde de jonge man zeer.

De jaren 1922, 1923, 1924 en 1925 moeten in Eemans' intellectuele ontwikkeling als beslissende jaren beschouwd worden, vermits het in deze periode was dat de latere auteur van « Vergeten te worden » de vier jaar oudere jonge dichter René Baert ontmoette. Dit gebeurde in een door studenten en kunstenaars bezochte herberg, « Le Diable au corps » geheten en gevestigd in de Koolstraat in Brussel; de onvergetelijke Père Gaspard was er wat men schipper na God pleegt te noemen. Dank zij Baert ontdekte de jonge Eemans Novalis in de voortreffelijke Franse vertaling van Maurice Maeterlinck (4). De weerslag was andermaal biezonder groot. Rond hetzelfde tijdstip bezocht Eemans ook vrij regelmatig het fameuse « Cabinet Maldoror », in 1923 door de pittoreske Geert Van Bruaene in het Hotel Ravenstein ingericht. Eemans had Van Bruaene reeds als kind leren kennen, toen deze nog tijdens de eerste Duitse bezetting meespeelde in de op dat ogenblik Nederlandstalige schouwburg Alhambra, waarvan Paul Gustave Van Hecke, de latere uitgever van het tijdschrift « Variétés » en mecenas van de Vlaamse expressionisten en van de surrealisten Magritte en Mesens, toen één der directeurs was.

Geert Van Bruaene maakte van zijn jonge bezoeker een enthousiaste bewonderaar van de « Chants de Maldoror » van de betoverende Isidore Ducasse, bijgenaamd comte de Lautréamont (5), Van kapitaal belang is anderzijds Eemans' ontmoeting geweest met Paul Van Ostaijen, de grootste Vlaamse expressionistische dichter, die namelijk de vennoot van Geert Van Bruaene werd toen deze een andere kunstgalerij, « La Vierge poupine », één van de belangrijkste cenakels van het surrealisme in België, in de Naamse straat in Brussel oprichtte (6). In 1925 hield Paul Van Ostaijen hier een lezing tijdens een door de studentenvereniging « La lanterne sourde » georganiseerde poëzieavond. Deze in het Frans gehouden lezing mag beschouwd worden als het poëtisch credo van Van Ostaijen; hij maakte een streng onderscheid tussen de « vanuit het onderbewuste geïnspireerde poëzie » en de « bewust gemaakte poëzie », en verkondigde dat de echte literatuur van een natie steeds met de mystieke schrijvers begint (7).

Niet minder vruchtbaar vaar de geestelijke vorming van de jonge Eemans was de lectuur van hel boek van Amance: « Divinité de Frédéric Nietzsche» (8). Maar een zo mogelijk nog grotere aantrekkingskracht oefenden het tijdschrift « L'Esprit » en de in de reeks « Philosophie » uitgegeven werken uit, twee initiatieven van de zogenaamde « Philosophes » (9). Ik citeer in het hieronder de « Philosophische Untersuchungen über das Wesen der menschlichen Freiheit » (1809) van Friedrich Schelling in de vertaling van Georges Politzer (10), de zwaar-op-de-handse studie van Jean Wahl over de « Parmerudes » van Plato (11), en vooral de twee delen « Livres prophétiques » van William Blake (12) en de « Critique des fondements de la psychologie » van Georges Politzer (13).

Met deze voor een jonge kerel van zijn leeftijd ongewone intellectuele bagage gewapend, evolueerde Marc. Eemans naar het surrealisme. Maar alvorens deze beslissende stap te wagen deed hij een tijdje - net lijk René Magritte - aan abstracte kunst, die men toen, althans in België, « zuivere beelding » noemde. Op dit terrein was bij de jonge volgeling van Victor Servranckx, Jozef Peeters, Pierre-Louis Flouquet, Karel Maes en Felix De Boeck (14). Ook is bekend dat Marc. Eemans en zijn vriend René Baert op het einde van 1926 en het begin van 1927 met het plan rondliepen een « Humanistische groep » op te richten ; Eemans schreef er zelfs een « Manifest » voor dat ik onlangs uit de vergeetboek kon opdelven, waarbij ik me verplicht zag te onderlijnen dat Marc. Eemans zich aanvankelijk niet meer herinnerde die tekst te hebben geschreven (15). Er kan geen twijfel over bestaan dat hij op dat ogenblik onder sterke Iinkse en meer bepaald trotzkystische invloed stond. Dat jonge intellectuelen zich toendertijd door de Ille Internationale aangetrokken voelden is algemeen geweten en het is bijgevolg slechts normaal dat ook de jonge Eemans in die zin reageerde. Het waren de Franse surrealisten en ook de jonge « Philosophes » van het tijdschrift « L'Esprit » die hem voor deze denkontwikkeling sensibiliseerden en hel verwondert derhalve geenszins te vernemen dat hij met Pierre Naville correspondeerde (deze briefwisseling ging helaas verloren), die toch één der sterfiguren van het tijdschrift « La Révolution Surréaliste » was, terwijl René Baert contact opnam met Pierre Morhange, gelijktijdig directeur van het tijdschrift « L'Esprit » en uitgever van de reeks « Philosophie ».

Intussen was het Eerste Surrealistisch Manifest van André Breton verschenen (1924), dat onmiddellijk de aandacht van de jonge Eemans trok en zijn in stemming wegdroeg. Voortaan zouden zijn verzuchtingen naar dat absolute, dat hij nooit nagelaten heeft na te streven, via de door Breton gewezen weg verlopen. Als outsider doch meteen als « medestrijder » nam hij deel aan de zijde van de latere Belgische surrealisten aan de memorabele « veldslag van het Casino van Sint-Joost-ten-Node » in october 1926: de politie kwam er bij te pas om de vechters te scheiden en enkele belhamels naar het dichtst bijgelegen politiecommissariaat te transporteren. Van toen dateert alleszins zijn vriendschap met Camille Goemans en met Edouard Léon Théodore Mesens, vriendschap die nooit zou vertroebeld worden (16).

Hoe zonderling het ook moge lijken, toch is het een feit dat de jonge Eemans, alhoewel eens te meer de Benjamin van de groep zijnde, zich uitzonderlijk actief heeft betoond in de schoot van wat men sinds het boek van Patrick Waldberg over Magritte a posteriori de « Société du Mystère » is gaan noemen (17). Het is mij bekend dat zij die de « gouden legende » van het Belgische surrealisme schreven en schrijven doen alsof ben de naam van één der mede-ondertekenaars van een « Préface à une exposition de Magritte » (Brussel 1928) en medewerker aan het door Camille Goemans vanuit Parijs gelanceerde efemeer tijdschriftje « Distances » niet eens bekend is. Desniettemin staat buiten kijf dat Marc. Eemans gedurende minstens drie volle jaren aan alle zittingen van de groep deelnam en dat hij zijn eigen weg is gegaan op grond van persoonlijke overwegingen die verband hou den met wat hij zelf de « histoire sordide du groupe surréaliste belge » (18) heet. Ik ga hier niet nader op in, temeer daar het niet lang heeft geduurd of ideologische redenen gingen de kloof nog verbreden tussen hem en de groep waarin de autoriteit van Paul Nougé zwaar doorwoog. Vermeldenswaard is echter dat Mesens in 1928 in de galerij « L'époque » de eerste tentoonstelling van Eemans organiseerde en dat de te dier gelegenheid uitgegeven catalogus een gedicht bevatte van Jean (later Louis) Scutenaire, die op dat moment een intieme vriend van Marc. Eemans was. De publiciteit van deze galerij werd toen gevoerd met de namen van hen die middelerwijl wereldfaam verwierven: Marc Chagall, Max Ernst, Giorgio de Chirico, Hans (later Jean) Arp, Paul Klee e.a., en de naam van Marc. Eemans figureerde tussen deze pIejade van beroemde schilders!

Toen het Stedelijk Museum van Amsterdam in 1930 een tentoonstelling wijdde aan de Nederlandse « Onafhankelijken », werden Marc. Eemans en zijn vrienden Magritte en Mambour aIs Belgische surrealistische gasten uitgenodigd. Afgaande op de in de catalogus van deze tentoonstelling geciteerde prijzen gold het werk van Eemans op dat ogenblik meer dan dat van zijn beide oudere vrienden. In 1970 beleefde ik trouwens in Straatsburg de aangename verrassing in het kader van een door de Raad van Europa ingerichte en aan « Europa 1925 » gewijde retrospectieve een werk aan te treffen van Marc. Eemans, getiteld « L'attitude des apparences» en gedateerd 1928. Dit werk stamde uit de oude verzameling van E.L.T. Mesens uit Landen en behoorde aan de Heer Calixte Veulemans in Brussel toe. Het volstond de catalogus in te kijken om vast te stellen dat het de enige schilderij was van een nog levende Belgische schilder... Terwijl de bevoegde overheid in Straatsburg Marc. Eemans dus voldoende representatief achtte om één zijner werken in een internationaal opgevatte expositie op te nemen, schijnen de Belgische specialisten niet eens zij naam te kennen, wat blijkt uit de onlangs in Parijs ingerichte tentoonstelling « Peintres de l'imaginaire. - Symbolistes et surréalistes belges » (4-2 t/m 8-4-1972). Nochtans nam Eemans aIs « surrealistisch schilder » reeds aan twee of drie officiële Belgische exposities deel en fungeerde zijn jeugdportret (ongeveer 20 jaar oud) samen met werk van Magritte destijds in de schouwramen van het voorlopig Museum voor Moderne Kunst op het Koningsplein in Brussel. Begrijpe wie kan...

De eerlijkheid verplicht ons anderzijds in te zien dat de naam van Marc. Eemans reeds in de eerste jaren van het officieel Belgisch surrealisme in de kring der ingewijden ietwat taboe was. Toch werkte hij mee en dit zelfs vrij regelmatig aan « Variétés » (hij ontwierp de titelvoorstelling van dit tijdschrift), de belangrijke publicatie van Paul Gustave Van Hecke waarin veel aandacht besteed werd aan het surrealisme. Twee of drie pentekeningen van Marc. Eemans hebben het omslag van bepaalde nummers georneerd ; andere pentekeningen vindt men in de tekst van meerdere afleveringen. Ook treft men er de reproductie van twee schilderijen aan : « Twee klimopbladen brengen lof aan een reliëf van Hans Arp » en « voetbalmatch » (19). De laatstgenoemde schilderij heeft zelfs een eigen geschiedenis : het onderwerp van het doek (voetbalspelers die het hoofd van één onder hen als bal gebruiken) viel samen met een groteske van zijn vriend Van Ostaijen, « Waarachtige voetbalkamp » (20), zonder dat de twee kunstenaars dit wisten. Het is een zonderlinge samenloop van omstandigheden die door Marc. Eemans terstond aan Van Ostaijen gesignaleerd werd. Helaas heeft de mededeling laatstgenoemde nooit bereikt, aangezien hij net in een rusthuis in Miavoye-Anthée bij Dinant overleden was (21). Bij zijn surrealistisch debuut, rond 1927 dus, was Marc. Eemans tevens één der eersten - ja zelfs meer dan tien jaar vóór Delvaux - om de deugden van de poëtische vervreemding van de vrouwenmode van het einde der vorige en het begin dezer eeuw te herkennen, wat duidelijk blijkt uit enkele zijner in « Variétés » afgedrukte pentekeningen.

Reeds in die activiteitsfaze begonnen enkele vrienden van de latere « Société du Mystère » hun jonge collega de rug toe te keren, maar Victor Servranckx, de Vlaamse constructivist, die net bezig was naar het surrealisme over te hevelen (hij kocht nota bene het zonet vermelde doek « Voetbalmatch »), liet in « Variétés » een eigenaardige nota afdrukken, waarin hij poogde te begrijpen waarom die jonge man (sc. Marc. Eemans) haatgevoelens kon opwekken, en tot de flatteuse slotsom kwam : « Eemans élargit le domaine de l'inquiétude humaine, sans tirer ses conclusions, sans tâcher de résoudre quoi que ce soit. C'est son droit et - l'opposant aux trop hâtifs théoriciens – je dirai même: c'est ce qui me plaît en lui » (22). Twee jaar later gebeurde echter het onvermijdelijke : Marc. Eemans en Camille Goemans verlieten de groep om redenen die deze laatste niet tot eer strekten. Het toeval dat in het leven en in de geschiedenis zo vaak ingrijpt heeft gewild dat Eemans in de loop van datzelfde jaar - 1930 - bij de door hem samen met Goemans opgerichte uitgeverij Hermes de bundel « Vergeten te worden » liet verschijnen: tien hermetische woordvormen waaraan een gelijk aantal tekeningen van de kunstenaar beantwoordden. Het is overigens vermoedelijk de enige waarachtige surrealistische dichtbundel die Vlaanderen heeft voortgebracht (23).

Ja, hoe de vervreemding van de vrienden Eemans en Goemans van de surrealistische groep verklaard? André Blavier analyseerde onlangs het complex probleem van het tot-stand-komen van de groep rond 1926 en schreef wat volgt: «Diverses démarches, rencontres, chassés-croisés et convergences ont précédé, dont l'enchevêtrement n'est encore qu'imparfaitement démêlé» (24). Persoonlijk wil het me voorkomen dat het vrijwel onmogelijk zal blijken de ware geschiedenis van de groep tijdens de twintiger en dertiger jaren te achterhalen, dat het moeilijk zal vallen de juiste motieven aan te wijzen die sommigen in deze, de anderen in de tegenovergestelde richting stuwden, dat het een zware opgave zal betekenen netjes uit te maken welke affiniteiten en welke instinctieve gevoelens van afkeer in talrijke gevallen de uiteindelijke opties hebben bepaald. Wat het geval Eemans betreft bestond er toch van meetaf een fundamenteel verschilpunt: terwijl de meeste leden van de groep een min of meer «dadaïstisch» verleden achter zich hadden (25) en anderen zich op zekere affiniteiten met een Paul Valéry of een Jean Paulhan beriep (25) en er een erg cartesiaanse denktrant op nahielden, kwam Eemans in de groep terecht met een diametraal tegenovergestelde intellectuele bagage, die hem desniettemin ontvankelijk moest maken voor het surrealisme à la Breton, dat irrationeel en anti-cartesiaans was getint. In de gedachtengang van Eemans, agnostisch en scherp anti-christelijk ingesteld, bezaten de werken der mystiekers en meer bepaald hun visioenen een transcendente waarde die verenigbaar was met de surrealistische aanpak der dingen. Na uit het Middel-Nederlands het eerste visioen van de Vlaamse mystieke Zuster Hadewijch te hebben vertaald, beging bij de onvoorzichtigheid - het woord onvoorzichtigheid stamt in dit geval van mij - de tekst aan zijn vrienden voor te lezen tijdens een bijeenkomst in het ouderlijk huis van Marcel Lecomte, de Merodestraat 226 in Brussel. De reactie was veeleer koel, want noch een Nougé, noch een Magritte, noch een Scutenaire waren er op voorbereid dergelijke boodschap van numineuse aard op te vangen. De enige die hiertoe eventueel in staat bleek, was misschien Marcel Lecomte...

In ieder geval, de kloof was er. Maar hoe thans nog alle aspecten van het drama achterhalen? De specialisten ter zake - en ik bedoel uiteraard niet de hagiografen van het Belgisch surrealisme - zijn het er volmondig over eens dat de studie van het surrealisme in België nog steeds in de kinderschoenen steekt. Tijdens de aan het surrealisme gewijde decade van Cérisy-Ia-Salle (1966) lokte een uiteenzetting van André Souris (die een omstreden en zelfs in staat van beschuldiging gesteld lid van de groep is geweest) in dit verband een vinnige discussie uit : Ferdinand Alquié, die de debatten leidde, begon met zich af te vragen of men moest spreken van een Belgisch surrealisme dan wel van het surrealisme in België? Hij besloot zijn tussenkomst als volgt: « le groupe belge a non seulement nié J'esthétique et la beauté où Breton les nie, mais encore en plusieurs autres où Breton les accepte » (26). In de flink gestoffeerde studie die André Blavier aan het Belgisch surrealisme komt te wijden schrijft deze kenner ijskoud : « Le surréalisme fut, en Belgique, un fait wallon et plus strictement hennuyer » (27), daarbij uit het oog verliezend dat André Souris zelf uitdrukkelijk heeft bevestigd dat de groep van La Louvière, met Achille Chavée en zijn vrienden, wat tien jaar na de Brusselse groep tot stand kwam en reeds tot de tweede surrealistische generatie behoorde (28). Wat mij betreft wil ik er toch op wijzen dat, ongeacht het feit dat het surrealisme in België hoofdzakelijk door franssprekende of tweetalige jonge intellectuelen gedragen werd, verschillende onder hen – net Iijk dit reeds voor de Belgische symbolisten het geval was geweest – van Vlaamse afstamming waren: Camille Goemans, in Leuven geboren , was de zoon van de bestendige secretaris van de Koninklijke Vlaamse Academie voor taal en letterkunde -; Marc. Eemans, in Dendermonde ter wereld gekomen, publiceerde verschillende dichtbundels in het Nederlands; E.L.T. Mesens, Brusselaar van geboorte, debuteerde in de flamingantische groep « Ter waarheid » waartoe intellectuelen als Joris Van Severen behoorden, en hield niet op, zij het ook wellicht uit provocatie, zich de flamingant van Londen te noemen. En vergeten we niet dat de grote Vlaamse expressionistische schilder Frits Van den Berghe een « surrealistische » periode heeft gekend, terwijl een Rachel Baes zich graag beroept op haar voorouders uit het Waasland en het geschikte klimaat voor haar onbetwijfelbaar surrealistisch werk in het Middeleeuwse Brugge heeft gevonden. Tenslotte verdient het feit vermelding - noblesse oblige - dat Marcel Mariën in Antwerpen het levenslicht aanschouwde.

Wat nu Marc. Eemans betreft, onlangs heeft hij zelf het probleem van zijn toegehorigheid tot het surrealisme gesteld, en verklaard dat hij zonder het surrealisme nooit zou geworden zijn wat hij tenslotte geworden is (29). Volstaat dergelijke verklaring evenwel om in hem een waarachtige surrealist te begroeten? Het probleem lijkt me ingewikkeld, maar toch meen ik die vraag bevestigend te moeten beantwoorden, alhoewel Eemans beslist een speciaal type van surrealist blijkt te wezen. Het ligt in de bedoeling deze stelling in de volgende paragrafen te verdedigen. Alvorens van wal te steken wens ik toch te onderlijnen dat men enkele recente publicaties beslist buiten beschouwing moet laten: het speciaal nummer van het « Journal des Poètes », omdat hier de kaarten vervalst worden door weliswaar op twintig pagina’s negentien auteurs te presenteren maar gelijktijdig verschillende andere belanghebbenden hetzij te verwaarlozen, hetzij te verzwijgen; ook de repliek van Marc. Eemans, die weliswaar enkele nuttige gegevens bevat i.v.m. een met de officiële geschiedenis « parallel » lopende visie, maar die desniettemin bij definitie partijdig moet genoemd worden (30).

Een geldig vertrekpunt zijn m.i. daarentegen bepaalde opmerkingen die José Pierre in Cérisy-Ia-Salle geformuleerd heeft n.a.v. de uiteenzetting van André Souris. Volgens hem is het zo dat het Belgisch surrealisme « s'est développé dans un salon » (in een achterkeuken zou Marc. Eemans zeggen) en beging het de vergissing het stalinistisch verschijnsel te verwaarlozen (31). Zijnerzijds onderstreepte Paul Bénichou enkele thema's « que les Belges n'ont pas vécus, c'est-à-dire l'écriture automatique, le rêve, l'inconscient, le merveilleux » (32). Met andere woorden : de leden van de « Société du Mystère » hebben de inhoud van het Tweede Surrealistisch Manifest van André Breton, waarin zekere theoriën van Leo Trotzky onderduims nawerken, onderschat of onjuist geïnterpreteerd, meer bepaald dan de werkelijke toestand van het communisme in de Sovjet-Unie onder het bewind van Jozef Stalin. Anderzijds is het zo dat in het Eerste Surrealistisch Manifest de Duitse romantiekers buiten beschouwing werden gelaten, terwijl André Breton er in zijn Tweede Manifest expressis verbis naar verwijst, inzonderheid naar Novalis, en bovendien plots een « occultation » van het surrealisme aanbeveelt. Marc. Eemans was bijgevolg zowat de enige in de groep der Belgische surrealisten om, gezien zijn voorafgaandelijke kennisname van en affiniteiten met de auteur van « Die Lehrlinge zu Sais » , de nieuwe denkontwikkeling van André Breton te verstaan en te begroeten. In tegenstelling met wat Bénichou beweerde had hij ten andere al in 1927 in de vorm van een brief aan Irène Hamoir, de latere echtgenote van Jean Seutenaire, een tekst aan het automatisme gewijd.

In de voorgaande bladzijden heb ik gepoogd aan de hand van de feiten aan te tonen dat Marc. Eemans reeds vóór zijn twintigste levensjaar ontstellend veel gelezen had en door sommige vrienden beschouwd werd als een vroegrijp «genie ». Daarom weze het me toegestaan even in te gaan op de esthetische categorie (33) van de vroegrijpheid, de precociteit, waarbij ik onmiddellijk duidelijk wens te stellen dat vroegrijpheid uiteraard gedetermineerd wordt door de aanwezigheid op het geschikte ogenblik van één of meer exogene variabelen, alsook zo nodig van de interventie van een catalysator vanaf het moment dat de creatieve voorwaarden ter beschikking staan. Welnu, de precociteit van Marc. Eemans lijkt me een uitgemaakte zaak, temeer daar ze gepaard ging met een ander verschijnsel: zijn autodidactisme. De oude Grieken onderscheidden de « adidact » (hij die nooit scholing kreeg) en de « heterodidact » (hij die door een leermeester onderwezen werd) van de « autodidact » (hij die zichzelf vormde), en koppelden de creatieve zin aan het autodidactisme, zoals ons een aandachtige lectuur van Homeros leer!. Ofschoon het autodidactisme momenteel in de essentieel « heterodidactische » wetenschappelijke middens een slechte pers heeft, handhaaft het literair en artistiek autodidactisme daarentegen zijn adeltitels: men denke even aan de gevallen Rimbaud en Lautréamont. Terwijl Rimbaud een catalysator vond in de persoon van Verlaine, vond Marc. Eemans de zijne in de André Breton van het Tweede Surrealistisch Manifest. Het was deze Breton die hem zijn statuut van autodidact leerde valoriseren. Nochtans mag uit deze vaststelling niet worden afgeleid dat Eemans een slaafse volgeling van Breton zou geworden zijn. Neen, Eemans heeft Breton ·hoogstens tweemaal ontmoet en dan nog veeleer toevallig ; wèl heeft hij steeds de ontdekte affiniteiten naar waarde geschat en op zijn manier te pas gebracht. In dit verband lijkt het me toch nodig er op te wijzen dat Eemans' affiniteiten met André Breton's denkwereld slechts tot het poëtische en het occulte beperkt bleven, daar Eemans in de loop der jaren, op politiek gebied, totaal andere wegen ging dan Breton. Voor hem blijven de marxistisch getinte bekommernissen van het surrealisme tegennatuurlijke geesteshoudingen, aangezien het dialectisch materialisme, zoals het door de marxisten wordt voorgestaan, hem dialectisch onverzoenbaar lijkt met de surrealistische stellingen, althans met deze van Breton. Deze laatste liggen in de lijn van Novalis' « magisch idealisme » (33). Consequent tenslotte met zichzelf en zijn « onderwerping aan de wereld van de mythen » is Eemans in de buurt van Alfred Rosenberg's « Mythus des 20. Jahrhunderts » beland. Dit werd hem natuurlijk in orthodox-surrealistische middens biezonder kwalijk genomen en kost hem tot op de dag van heden vanwege bepaalde salon-communistische belhamels uit bedoelde middens verguizing, lastercampagnes en zelfs uitgesproken haat.

Wat er verder ook van zij, in het elfde onderhoud dat André Breton in 1952 aan André Parinaud toestond, onderstreepte de grote surrealistische voorman de rol die Friedrich Hegel in zijn denken gespeeld heeft en wees hij er op dat het Tweede Manifest een uitnodiging bevatte « à confronter dans son devenir le message surréaliste avec le message ésotérique » (34). Is het niet merkwaardig dat de vrienden Eemans en Goemans precies in 1930, het verschijningsjaar van het Tweede Manifest, hun uitgeverij Hermes hebben opgericht? Volgens mijn bescheiden oordeel hebben we hier te doen met een expliciete echo van bedoeld manifest en vooral van de kapitale· zin eruit: « Je demande l'occultation profonde, véritable du surréalisme » (35). In·een lange verklarende nota bij deze zin beveelt Breton de studie aan van een aantal wetenschappen met slechte reputatie en geeft hij een verklaring van de liefde die onbetwijfelbaar moet beschouwd worden als een verlengstuk van de hoofse liefde van de middeleeuwse troebadoers (36) : « le renoncement à l'amour, qu'il s'entoure ou non d'un prétexte idéologique, est un des rares crimes inexpiables qu'un homme doué de quelque intelligence puisse commettre au cours de sa déjà bien assez sombre vie» (37). Marc. Eemans zal niet nalaten deze oproep op te zuigen, temeer daar de lectuur van boeken die zijn latere ontwikkeling bepaalden, in casu de « Vita Nuova » van Dante, hem reeds voor deze kijk op de dingen hadden gevoelig gemaakt. En had hij niet de twee verzen onthouden waarmee de Tweede Faust van Goethe eindigt:

« Das Ewig-Weibliche
Zieht uns hinan » (38),

zodat hij wel ontvankelijk moest zijn voor Breton', boodschap van « l'amour fou » ? De problemen van « l'amour fou » en van « l'amour sublime » zullen zijn belangstelling ten andere blijven gaande houden, wat verder zal blijken, zodra sprake is van een door Eemans in 1965 in Knokke gedane mededeling. Er is zelfs meer: in Cérisy-la-Salle heeft René Passeron een belangrijke voordracht gehouden over « Le surréalisme des peintres », waarin hij o.m. laat verstaan dat het surrealisme geen « peinture d'amour » zou hebben voortgebracht, doch hoogstens een variante van het picturaal expressionisme. Welnu, in de veronderstelling dat deze stelling juist is, moet toch Marc. Eemans als de uitzondering worden beschouwd die de algemene regel bevestigt; men denke slechts aan schilderkunstige werken lijk « Tempel van de vrouw », « Flora’s rijk » of de assemblage « Het rijk der strelingen » (38a).

Het is hier het ogenblik om even te verwijlen bij de belangrijke « Lettre sur l'automatisme », hoger reeds geciteerd n.a.v. een door Paul Bénichou in Cérisy-Ia-Salle aan de Belgische surrealisten gericht verwijt. Het betreft een in 1927 geschreven tekst waarin Marc. Eemans, zich beroepend op de theorieën van Freud en van Ivan Pavlov; de psychologie van de droom beschrijft. Onder de onuitgegeven teksten van onze auteur bevinden zich overigens talrijke optekeningen van dromen, onmiddellijk na het ontwaken genoteerd. Volgens de kwestieuze « Lettre » is het onjuist de droomactiviteit te interpreteren als een zuiver psychisch gebeuren, doch moet men er eer een gedachtenassociatie in zien die de menselijke psyche onophoudelijk verwart. De idee dringt slechts in beeldvorm tot het droomnet door, maar zodra de mens in wakende toestand is wordt het psychisch automatisme door de agressiviteit van de praktische rede verdrongen. Aan deze tekst ligt de overtuiging ten grondslag dat het nodig is het Westers denken te revolutioneren, omdat dit den ken vooralsnog té uitgesproken rationalistisch is en opdat de Westerse mens eindelijk zou ontdekken dat de taal meer is dan een conventioneel iets tussen levende wezens, het woord geheel iets anders dan de blote abstractie van een begrip, namelijk de gangsteen die alle creatieve mogelijkheden bevat, een magische draagkracht heeft en invloed uitoefent (39).

Langs zijn beroepsbezigheden om heeft Marc. Eemans inderdaad ook het probleem van de taal aangesneden, en wel via een enkwest over de radiotaal dat bij voor rekening van het weekblad « Radio Belgique » van zijn vriend Florent Gaes (wiens redactiesecretaris hij was) gehouden heeft. Volledigheidshalve meen ik er goed aan te doen de in dat verband aan bekende persoonlijkheden voorgelegde vragenlijst integraal af te drukken:

1. Gelooft U in de wording van een zuivere radiofonische stijl: a) op muzikaal; b) op literair gebied?
2. Op literair vlak zal de radiofonische stijl uiteraard een gesproken stijl zijn, maar kunt U zeggen in welk opzicht deze gesproken stijl zal verschillen van de geschreven en van de gewone gesproken stijl?
3. Gelooft U in de mogelijkheid van een bepaalde ritmische stijl, eigen aan de gesproken taal en toch vergelijkbaar aan de prosodische stijl van de geschreven poëzie?
4. Is U vertrouwd met de wetenschappelijke theorieën die momenteel in de linguïstiek actueel zijn? In bevestigend geval, meent U dat ze op het ontstaan van een zuivere radiofonische stijl invloed kunnen uitoefenen? (40).

Dit enkwest bracht er Eemans toe zich te verdiepen in de problemen van het verbaal automatisme en van de glossolalie. Daarom maakte hij zich vertrouwd met de nieuwe taal-psychologische stromingen en meer bepaald met het mechanisme van de gesproken poëzie, dat sterke verwantschap vertoont met de oerbronnen van de lyrische ontboezeming, zoals pater Marcel Jousse (41) net kwam aan te tonen. In dit verband moet ik ten andere ook de aandacht vestigen op een tekst van Félix Wagner, die een persoonlijke vriend van Marc. Eemans was en in het tijdschrift « Hermès » over de oude noordse poëzie schreef (42) : hier is sprake van de « Kenningar » en van de magische kracht der runen. Vandaar dus de belangstelling van Eemans voor de poëzie als heilige taal en als afstraling van het transcendente. Alle in het tijdschrift « Hermès » verschenen studies convergeren ten andere naar dit centraal probleem, namelijk het geheim van de poëzie als weerkaatsing van het onuitsprekelijke en als supra-rationeel kenmiddel.

In het licht van deze enkele gegevens springt het belang van het tijdschrift « Hermès » reeds in het oog. Het eerste nummer verscheen in juni 1933 en het elfde en laatste is december 1939 gedateerd. Het eerste nummer begint met een « Note des éditeurs » (deze en alle latere inleidende nota's zijn, zoals bekend, van de hand van Camille Goemans), waarin sprake is van een duistere vloed die mystiek en poëzie scheidt en waarin als doelstelling van het tijdschrift de verkenning van dit niemandsland aangegeven wordt teneinde uit te maken of het uiteindelijk om een radicale tegenstelling of om een mysterieuze convergentie gaat. Vanaf het eerste nummer herkent men reeds de diverse aantrekkingspolen die de betekenis van het ganse initiatief hebben bepaald. Eerst en vooral is er een door René Baert en Marc. Eemans gemaakte vertaling van het Eerste Visioen van Zuster Hadewych (hoger reeds vernoemd). Dan volgt een tekst van Jean Wahl over Kierkegaard en het mysticisme. Vervolgens is er een essay van Friedrich Gundolf over zijn meester Stefan George, vertaald door Sacha Goernans - Chigirinsky. Tenslotte zijn er nog een studie van Georges Méautis over de mysteriën van Eleusis, en een artikel van Jacques Masui over yoga en mystiek. Afgezien van het visioen van Zuster Hadewych lijken me de studie over Stefan George en deze over de mysteriën van Eleusis betekenisvol voor de doorslaggevende rol die Marc. Eemans van bij de aanvang qua oriëntering van het tijdschrift gespeeld heeft. Inderdaad is het mogelijk te bewijzen dat enerzijds de Kreis-idee van Stefan George zijn verbeelding steeds parten heeft gespeeld, doch dat anderzijds de aantrekkingskracht van het eeuwige Griekenland - het artikel van Georges Méautis herinnert er ons aan - hem nooit losliet.

Marc. Eemans droomde namelijk ook van een Kreis, zoals Stefan George deze gestalte had gegeven, en op een gegeven ogenblik tijdens de tweede Wereldoorlog heeft hij zelfs gemeend er met zijn vrienden René Baert en Franz Briel de kern te hebben van gevormd. Het was alleszins bij George dat bij zich bewust werd van dat « innere Reich » waarvan de integriteit diende gevrijwaard. En het was aan het magistraal Nietzsche-boek van de George-leerling Ernst Bertram (43) dat hij het beeld van « Ritter, Tod und Teufel », naar de ets van Dürer, als symbool ontleende voor al wat in de menselijke houding zonder vrees moet zijn, en in deze van de dichter gekant tegen de valstrikken van het leven . Andere boeken van Bertram, vooral « Das Nomenbuch », hebben stellig de « noordse » blikrichting van Eemans' denken medebepaald, alhoewel er langs de andere kant steeds Griekenland blijft dat in de geest van de kunstenaar noordelijke nuanceringen aanneemt en dit via de poëzie van Hölderlin en de bespiegelingen van Nietzsche over de oorsprong van de Griekse wijsbegeerte en het Griekse treurspel. Erwin Rhode's « Psyché » had Eernans' denken trouwens al naar een esoterische interpretatie van de Griekse wereld gedraineerd. De « permanence de la Grèce » is voor hem geen droombeeld en zijn surrealistische vriend Paul Colinet noemde hem niet zonder reden « Marc le Grec ». Men bekijke ten andere de landschappen die de aehtergrond vonnen van zijn schilderkunstig werk: het zijn zuiderse streken. En vergeten we evenmin dat Eemans gecorrespondeerd heeft met de Griekse dichter Angelos Sikelianos over de delfische spelen die deze laatste nieuw leven wilde inblazen: jammer dat deze briefwisseling verdwenen is (44).

Maar middelerwijl zijn we van het tijdschrift « Hèrmes » afgedwaald. Onder de medewerkers citeer ik lukraak de wijsgeer Jean Wahl, André Rolland de Renéville die het boek « Rimbaud le Voyant » schreef (45), Denis de Rougemont (cfr. voetnota 36), de oriëntalisten Emile Dermenghem en Henry Corbin, alsook de denker Bernard Groethuysen. Voorts was er nog de dichter Henri Michaux die gedurende ettelijke jaren als hoofdredacteur fungeerde ; René Baert en Marc. Eemans waren de directeurs van de ganse onderneming. « Hermès » wijdde speciale nummers aan de mystiek in de Nederlanden (een realisatie van Marc. Eemans), aan Meester Ekkehard (hoofdzakelijk te danken aan de vlijt van Groethuysen), aan Ruusbroec, aan de mystiek van de Islam (samengesteld door Henry Corbin). Dankzij de competentie van Henry Corbin maakte « Hermès » het Franstalig publiek ook voor het eerst met de Duitse existentialisten Martin Heidegger en Karl Jaspers bekend. Deze introductie van het Duits existentialistisch denken en meer bepaald van de wijsbegeerte van Heidegger opende ook voor Eemans zelf nieuwe perspectieven, want Heidegger is immers niet alleenlijk de auteur van « Sein und Zeit », doch ook de schrijver van geleerde bespiegelingen over de poëzie van Hölderlin en van de voordracht « Wozu Dichter? », uitgesproken in gesloten kring n.a.v. de twintigste herdenkingsdag van Rilke's overlijden op 29 december 1926 (46).

Rond 1938 kwam Marc. Eemans klaar met zijn dichtbundel « Het bestendig verbond » waarvan een fragment onder de titel « Wola’s visioen » terstond gepubliceerd werd (47). De naam van Wola de Zienster werd ontleend aan de Edda waarvan Eemans benevens twee Franse vertalingen - o.m. deze van zijn reeds vermelde vriend Félix Wagner - ook de uitstekende Nederlandse versie bezat van de Nederlandse germanist Jan De Vries, hoogleraar aan de Universiteit van Leiden, die hij later tijdens een door « Ahnenerbe » georganiseerd colloquium persoonlijk leerde kennen. Maar terwijl de verzen van de IJslandse dichter op de godendeemstering betrekking hebben, wil Eemans' gedicht de essentiële eenheid onderstrepen die volgens hem bestaat tussen mystiek en poëzie dank zij « de minne » of de bovenvleselijke liefde (48), of nog dank zij de « orewoet » of het mystiek orgasme. De bundel « Het bestendig verbond » verscheen in 1941 bij de Brusselse uitgever Julien Bernaerts, beter gekend onder de naam Henry Fagne. De tekst werd voorafgegaan van een geleerde inleiding over het thema « Marc. Eemans en de metaphysische dichtkunst » (49), geschreven door de Vlaamse essayist Urbain Van de Voorde. In deze inleiding worden mystiek, wijsbegeerte en poëzie als een soort trias voorgesteld met het mythe-begrip als centrale kern. In vroegere tijden waren inderdaad de priester, de magiër en de dichter meestal één en dezelfde persoon, terwijl in het presocratische Griekenland de wijsgeren doorgaans ook dichters waren. Sindsdien overwoekerde het discursief steeds meer en meer het sacraal denken, dat in voortdurende verbinding staat met het numineuze. De wereld geraakte voortdurend meer gerationaliseerd, het heilige en het numineuze werden steeds vlugger tot de rol van esoterische godsdienstigheid gereduceerd en zelfs de wijsbegeerte ontaardde allengs tot een geheel van min of meer schijnbare speculaties, een toestand waartegen Nietzsche en Heidegger vinnig gereageerd hebben. Slechts de poëzie, ten minste zij die deze naam waardig is, is nog draagster van een stukje van het sacrale, en deze poëzie neemt dan metafysische allures aan door beeld en idee tot een synthese te versmelten.

In agnostische middens maakt men zich meestal een verkeerde voorstelling van het begrip sacraal en à fortiori ook van het wezen van de mystiek. In deze kringen denkt men daarbij welhaast automatisch aan superstitie en aan de bekende uitspraak van Marx: « opium voor het volk ». Toch is het onjuist godsdienst, kwezelarij en de zin voor het heilige door elkaar te haspelen. In 1917 verrastte Rudolf Otto de wereld der deskundigen met zijn boek « Das Heilige » waarin hij voor het eerst de notie « numineus » omschreef (50). Omwille van zijn stelling de weerden « God » en « godsdienst » vermijdend, was het er hem om te doen de vormen van de bij definitie niet-rationele religieuse ervaring te analyseren. Geplaatst tegenover het heilige kent de mens twee divergerende gevoelens: een gevoel van angst t.o.v. het « mysterium tremendum », de mysterieuse majesteit van al wat zijn begrip te boven gaat en ·het Onkenbare uitmaakt; en een gevoel van nederigheid t.o.v. het « mysterium fascinans », de aantrekkingskracht die het bovenaardse op hem uitoefent. Deze twee gevoelens zijn « numineus », d.i. hun oorsprong berust in het gans Andere en zij herinneren er de mens aan dat hij slechts een bijkomstig iets is in de oneindigheid van ruimte en tijd . Tijdens bepaalde bevoorrechte ogen blikken slaagt er de mens evenwel in zijn menselijke begrenzing te doorbreken, buiten zichzelf te treden, verrukking te leren kennen , een toestand die intreedt onmiddellijk na wat men in de mystieke literatuur de « duistere nacht » noemt, de nacht van de ziel. Het is geenszins nodig in God te geloven, maar abstractie maken van zijn inauthentisch leven volstaat om dat te ervaren, lijk Heidegger zegt.

Meer dan één volstrekt areligieus auteur heeft ons bericht over ervaringen die gelijkenis vertonen met deze der mystiekers. Aldus Pierre Drieu la Rochelle die bekent in 1914, tijdens twee gevechten met het blanke wapen, een extase te hebben gekend « que tranquillement je prétends égale à celles de sainte Thérèse et de n'importe qui s'est élancé à la pointe mystique de la vie » (51). Ernst Jünger, een andere oudstrijder 1914-18, heeft uitvoerig gehandeld over verschillende aspecten van de oorlog als inwendige ervaring (52). De auteur van « Das Wäldchen 125 » en van « In Stahlgewittern » gebruikt herhaalde malen het woord « Rausch », roes, mystieke dronkenschap, om een staat of toestand aan te duiden die plots intreedt na het stellen van een daad die nochtans niets ritueels of magisch heeft. Men denke ook aan de extatische gevoelens die de drugs kunnen opwekken (53) en men herinnere zich de onbetwistbaar « mystieke » ervaring van de bekende « nuit de Gênes » die Paul Valéry tijdens een verblijf in de ligurische hoofdstad heeft gekend. Als curiosum signaleer ik nog terloops dat de mystieke geschriften van Meester Ekkehard destijds heruitgegeven werden door de marxist Gustav Landauer, één der sleutelfiguren van de Beierse « Räterepublik » van 1919 (54) !

Alhoewel de « mystieke » ervaring die Eemans in zo hoge mate interesseerde zowat de antipode vormde van de bekommernissen van de leden van de « Société du Mystère », was zij nochtans helemaal niet vreemd aan het surrealisme zoals het door Breton werd opgevat. Victor Crastre, groot kenner van het werk en van de denkontwikkeling van Breton, handelt in één zijner studies over « surréalisme et ésotérisme ». Vanzelfsprekend onderlijnt hij dat een streng onderscheid dient gemaakt tussen de religieuse geest die niet noodzakelijk mystiek hoeft te zijn, en de mystiek die niet noodzakelijk religieus dient te wezen doch verschillende gestalten aannemen kan: de erotische, de poëtische em. In dit verband ben ik zo vrij te verwijzen naar de stellingen van Lucien Lévy-Bruhl, die door Marc. Eemans gekend waren en terugslaan op het « prelogisch » denken der primitieve samenlevingen en dat de socioloog zelfs « mystique » noemde (55) . Crastre is getroffen door die zin in het Tweede Surrealistisch Manifest waarin Breton spreekt over dat opperste punt « où la vie et la mort, le réel et l'imaginaire, le passé et le futur, le communicable et l'incommunicable cessent d'être perçus contradictoirement » (56). Betekenisvol is derhalve zijn opmerking nopens een quasi-gelijkenis tussen het denken van Breton en dat van de wijsgeren en mystiekers uit de Middeleeuwen (57). De aandachtige lezer zal op zijn beurt een quasi-gelijkenis vaststellen tussen de ideeën van André Breton en deze van Marc. Eemans. Vermits ik hoger reeds de interventie van Paul Bénichou op het colloquium van Cérisy-la-Salle vermeldde, meen ik deze interventie thans in zoverre te mogen vervolledigen dat, behoudens Marcel Lecomte, Marc. Eemans de enige Belgische surrealist was die de boodschap van het Tweede Manifest werkelijk heeft gehoord en voortaan op zijn manier een surrealisme heeft geleefd dat parallel loopt aan datgene wat officieel voor Belgisch surrealisme doorgaat. André Blavier heeft het ook wel zo gezien waar hij schrijft: « A l'exception de Lecomte, en effet, les surréalistes en Belgique ne manifesteront, à l'inverse aussi de Marc. Eemans, collaborateur d' « Hermès » et plus tard un des participants à «Fantasmagie » qu'un intérêt limité et critique pour les arcanes et les ésotérismes constitués » (58).

Het loont nochtans de moeite even te zien hoe E.L.T. Mesens, een der trouwe vrienden van Eemans, gereageerd heeft op diens « surréalisme parallèle ». Hij verwijt Eemans een evidente geestesverwarring - zelfs op politiek vlak - die hem naar een « culte mystico-panthéiste dont l'expression est symboliste et ne peut rien avoir en commun avec la réduction des antinomies que le surréalisme s'est toujours proposé » (59) leidde. Ik kan die aanval slechts ontzenuwen door beroep te doen op de autoriteit van Serge Hutin, die namelijk getuigt wat volgt: « Pour qui connaît le sens profond de la démarche d'un Marc. Eemans, il ne sera guère difficile de faire justice de semblables reproches, même si certaines de ses oeuvres, voire même si toute l'allure de sa démarche, semblent «l'incliner, en dépit d'un athéisme foncier et essentiellement irréductible, vers un "culte mystico-panthéiste" dont l'expression peut paraître "symboqu'il existe un certain point de l'esprit d'où la vie et la mort, le réel et l'imaginaire, le passé et le futur, le communicable et l'incommunicable, cessent d'être perçus contradictoirement" (Manifestes, p. 92) ne pourrait-elle avoir quoi que ce soit de commun avec cette réduction des antinomies qui serait le but de toutes les démarches liste" . Et d'ailleurs, en quoi cette démarche, qui procède en ligne droite de cette affirmation d'André Breton : « Tout porte à croire surréalistes? » (60).

Het ware wenselijk alles te citeren wat Hutin over dit onderwerp schrijft, maar ik beperk er me toe hem even te volgen waar hij Eemans' « prométhéisme » beklemtoont en daarbij herinnert aan het feit dat laatstgenoemde in de puberteitsjaren diep getroffen werd door het beroemde vers van de Hollandse symbolist Willem Kloos: « Ik ben een God in het diepst van mijn gedachten ». Hutin knoopt hier de volgende uitspraak van André Breton aan vast: « Il ne s'agit que de rendre à l'homme toute la puissance qu'il a été capable de mettre sur le nom de Dieu» (61). Wil men Eemans een zeker confusionisme (juister ware: syncretisme) in de schoenen schuiven, dan vraagt men zich af waarom men dergelijk verwijt niet aan het adres van André Breton richt, aan het adres van hem die de indruk geeft voortdurend in zijn eigen denkproces verloren te lopen en niet de uiterste consekwenties te durven trekken, terwijl toch Eemans, volkomen consekwent met zichzelf, bereid er zelfs de meest nadelige gevolgen van te verdragen, « au bout de la nuit » is gegaan, want waar hij slechts een chiliastische « verrukking » bespeurde, zagen zijn vijanden geheel iets anders dan een geestelijk peilen...

Op het ogenblik dat hij zijn bundel « Het bestendig verbond » drukklaar maakte leerde Eemans - dank zij zijn vriend, de Vlaamse dichter Wies Moens - het boek « Der Geist des Ganzen » van Julius Langbehn (62) kennen. Dit boek is in werkelijkheid een verzameling van artikels die tussen 1902 en 1906 geschreven werden door hem die men in Duitsland de « Rembrandt-Deutsche » pleegt te noemen. Het boek verscheen ten andere posthuum dank zij het toedoen van Langbehn's intieme vriend Benedikt Momme Nissen. Langbehn onderzoekt het totaliteitsconcept vanuit de betekenis van het Griekse woord « katholon ». Volgens hem werkt het « geheel » in functie van de ondergeschikte delen en manifesteert het zich in deze laatste; ieder ouderdeel werkt anderzijds binnen het kader van bet « geheel » en kan slechts bestaan in functie ervan. Het « kwaad » is afwijking, negatie of baat van de organische totaliteit in de mens en in de tijdelijke ordening der dingen; het « kwaad » brengt tweedracht en wanorde teweeg, zodat al wat zich tegen de geest van het « geheel » verzet, spanning schept en in strijd ontaard!. Opdat de geest van totaliteit heerse is nodig dat de intellectuele halfslachtigheid verdwijne, want zij is het resultaat van mensen zonder ruggegraat noch karakter, van mensen zonder binding met de bron van alle scheppingsdrang die toch het authentisch leven is van hem die de totaliteit van zijn menselijk bestaan aanvaardt. Langbehn herinnert er aan dat de Latijnse woorden « vis », « vir » en « virtus », hetzij kracht, man en deugd dezelfde woordstam hebben. De werkelijk echte mens is gelijktijdig kracht en deugd, en streeft er naar « Uebermensch » te worden via een terugkeer naar de bronnen, lijk het ons de mythe van Antaios leert. « Het bestendig verbond » is het verbond tussen de mens en de elementen: de lucht, de aarde, het water en het vuur. Maar het is vooral het verbond met zijn diepste essentie, wat het motto van de bundel verklaart, een woord van Sint Augustinus namelijk: « Quaere super nos », motto dat de Vlaamse dichter Cyriel Verschaeve graag had vervangen gezien door een « videntem videre », lijk hij Eemans persoonlijk schreef.

Aangekomen op de plaats die Dante in het begin van zijn Inferno de « mezzo del cammin di nostra vita » (63) noemt, moest ook Eemans doorheen « una selva oscura » (64) maar instede van aan wanhoop ten prooi te vallen maakte hij er een nieuwe bestaansreden van, een reden om intens in het diepst van zijn « empire intérieur » te leven. Het is een periode van bezinning en meditatie, maar ook van onverdroten intellectueel labeur, vermits hij in deze jaren een dichtbundel in prozavorm « Hymnode » (65) voltooide en in het Frans zowel een essay van de Nederlandse dichter P.N. Van Eyck « Over leven en dood in de poëzie » (66) als de « Beginselen der chemie », dit merkwaardig werk van de Vlaamse dichter Karel Van de Woestijne, vertaalde (66). Ook was het dan dat hij een « Dagboek » hield, waarin hij een vijftigtal dromen optekende, dromen die niet zo zeer nachtmerries dan wel verlengstukken van zijn intellectuele bezigheden waren. Ik denk o.m. aan een door zekere paragrafen uit Ernst Jünger's boek « Das abenteuerliche Herz » geïnspireerde droom (68), of aan die andere droom die uitgesproken antisartriaans getint was. Maar er bestaat bovendien - steeds uit diezelfde periode - een geestelijk dagboek: elf schriften met zowat 265 paragrafen van ongelijke lengte. Eemans noteerde dag-in dag-uit wat hem interesseerde op grond van intense lectuur: nota's, diverse opmerkingen. Het geheel draagt de titel « Perpetuum mobile » en moest eigenlijk een soort « poesophia perennis » worden. Het vertrekpunt zijn telkens gedachten van zijn lievelingsauteurs van weleer: Ruusbroec, Spinoza, Herman Gorter, Jakob Boehme, Friedrich Nietzsche, Jean Wahl, Martin Heidegger, waar nu nieuwe namen bijkwamen: Vladimir Soloviev, Nikolai Berdjajev, Gustave Thibon, J.C. Jung enz. Het hoofdthema van deze « poesophia » is het zoeken naar de « deus absconditus », het numineus beginsel. N.a.v. één zijner bedenkingen bekent Eemans ootmoedig dat de beschrijving van de hel volgens Dante en zijn illustrator Botticelli hem steeds zodanig fascineerde dat hij er rillingen van kreeg. Boehme bracht hem het onderscheid bij tussen de voor de mens onkenbare God, zelfs wanneer hij zich tot op de hoogste top pen der mystieke extase verheft, en de « deus sive natura naturans », kenbaar voor de mens via de schepping en geïncarneerd in dat « empire intérieur » van de mens waarin deze laatste zichzelf ontdekt aIs « een God in het diepst van zijn eigen wezen » Is dat geen echo van het « ella provede, giudica, e persegne / suc regno come il loro gli altri Dei » (69)?

Deze onsamenhangende notities bevatten bovendien waardevolle indicaties nopens Eemans' conceptie van de liefde. Volgens de kunstenaar overtreft het erotische ver de louter sexuele daad (par. 72) en is de « homo eroticus » heel wat anders dan een pervers iemand, bezeten door vleselijke begeerten: « voyant » in plaats van « voyeur » (par. 73). Na in de "Signatura Rerum » van Jacob Boehme de fundamentele notie « lubet" te hebben gevonden, die hij vrijelijk ais gesublimeerde libido (par. 74) interpreteerde, beschrijft Eemans de « homo eroticus » ais zijnde gedreven door zijn « lubet » om zich van de liefde-ascese te bedienen teneinde aan zichzelf ten onder te gaan (par. 75). Rémy de Gourmont spande zich in zijn brochure « Dante, Béatrice et la Poésie amoureuse » in om aan te tonen dat Dante's Beatrice slechts een na te streven ideale voorstelling was. Ik geloof niet dat Eemans het daar helemaal mee eens is en de vleselijke koppeling wil bannen. Ik ben er integendeel van overtuigd dat hij eer bereid ware de visie van John Donne, die dichter van de echtelijke liefde, te onderschrijven. Het betreft de volgende beschrijving in het gedicht « Extase » :

« When love, with one another so
lnteranimates two soules,
That abler soule, which thence doth flow,
Defects of loneliness controules » (70).

Terwijl het « eroccultisme » van een Strindberg sterk beinvloed werd door Swedenborg (71), geldt voor Eemans dat zijn ideeën qua erotiek, culminerende daarenboven in een veredeld vitalisme, rechtstreeks uit de wereld der mystieken en heel speciaal uit deze van Boehme stammen.

Boehme leerde Eemans tevens dat, lang vóór het « panta rhei » der presocratici, er al het subliem Punt was dat reeds bestond voor de verschijning van God (par. 168). Is het niet eigenaardig onder de pen van onze eenzame kunstenaar dit « gierig » geloof in een mysterieus Punt terug te vinden , een Punt waaraan Breton in zijn Tweede Manifest zo vasthield en dat we bij een Teilhard de Chardin terugvinden? Ook moet hier het Leitmotiv liefde en dood, of in de freudiaanse terminologie eros en thanatos, vermeld worden, dat in Eemans' werk constant aanwezig is. Wat er verder ook van zij, de nota's van « Perpetuum mobile » bevatten voorts nog reflexies over de metafysische verhouding tussen het zuiver denken en het wezen van de poëzie. Volgens Eemans zou iedere ware poëzie oorspronkelijk een geheime theologie moeten zijn, een intuïtieve theologie die de theogenetische eigenschap van de mens - zichzelf als een « heilig mysterie » beschouwen - ophemelt. Reeds Boccaccio beweerde in zijn commentaar bij de « Divina Commedia » dat poëzie theologie is. In den beginne was het Woord en het Woord is via de poëzie vlees geworden (par. 174). Eemans ontleent aan Jean Wahl twee neologismen van groot belang: « métaphète » en « ontophilie ». Dan noemt hij de poëzie een « métaphétie ontophilique » om aldus de sleet te ontlopen die zich heeft meester gemaakt van de poëzie in het algemeen en van het woord in het biezonder. Met één slag geeft onze kunstenaar dus aan de poëzie haar originele functie van geestelijke oefening teug (par. 248). Het woord « numineus » komt in deze nota's slechts incidenteel voor (cfr. par. 150 en 152), maar men voelt dat het alom tegenwoordig is van zodra het er op aankomt de diepere zin van de poëzie - die ook liefde is - te definiëren.

Ofschoon Marc. Eemans in zijn nota's « Perpetuum mobile » reeds de hoofdtrekken van zijn « poesophia perennis » schetste, vinden we deze ongeveer twintig jaar later terug in een mededeling die hij deed op de in Knokke in september 1965 gehouden 7e Internationale Biënnale van de Poëzie. Deze mededeling handelde over « La poésie et le monde des sentiments » en is niet enkel interessant op zichzelf, maar ook en vooral omdat ze de mogelijkheid biedt na te gaan hoe Eemans, ongeacht de beproevingen die hij doorstond, zichzelf trouw bleef, overeenkomstig het devies van de laatste ridderorde waarop hij al zijn hoop had gevestigd : « Meine Ehre heisst Treue ». Trouw aan de liefde in zoverre ze een opening naar alle mogelijkheden toelaat (72). En de poëzie, zo betoogt Eemans, is de plaats van alle liefde en sluit ipso facto al uit wat laag-bij-de-gronds en onderduims is. Ingaande op de haat en de woede verklaart hij onmiddellijk dat deze twee neigingen niet tot de wereld van de poëzie kunnen behoren: « La haine et la colère n'appartiennent en fait qu'aux réalités néantissantes et vont à la l'encontre de celles qui tendent vers l'absolu, c'est-à-dire vers le dépassement même de l'homme en direction du mystère absolu que nous avons coutume d'appeler Dieu, mais qui n'est en vérité que le mystère de notre plus profond nous-même» (73).

Na een korte verwijzing naar het door Jules Monnerot aan « La poésie moderne et le sacré » (74) gewijd essay, en na Benjamin Péret tot tweemaal toe te hebben geciteerd, riep Eemans vervolgens uit: « L'Amour et rien que l'amour, voilà bien l'origine et l'essence de toute poésie, -non pas l'amour sordide, mais l'amour total, corps et âme, l'amour dévastateur, celui qui, par delà le sexe, conduit au tout amour, à l'amour au-delà de l'amour » (75). En de toespraak eindigde met een hernieuwde bevestiging van het geloof van de kunstenaar in het magisch idealisme van een Novalis. In 1959 publiceerden Serge Hutin en Friedrich Markus Huebner ten andere een brochure over de kunst en het denken van Eemans waarin de schilder en dichter uitdrukkelijk als « gnostisch » wordt betiteld (76). Om dit kwalificatief begrip naar waarde te schatten is het nuttig te verwijzen naar een in april 1966 in Messina gehouden colloquim over de oorsprong van het gnosticisme. De specialisten ter zake kwamen o.m. tot de bevinding dat het beter is het woord « gnosis » te gebruiken wanneer het gaat over de aan een elite gereserveerde kennis van goddelijke mysteries, onafhankelijk van tijd en ruimte, en van « gnosticisme » te spreken wanneer men het heeft over een geheel van coherente denksystemen uit de tweede eeuw onzer tijdrekening (77). In antieke godsdiensten bestonden enkel mysteries voor de niet-ingewijden, zodat het arcanum automatisch in gnosis veranderde zodra het bij de ingewijden of de wijzen terechtkwam. Maar er is ook de « docta ignorantia » van een Nikolaus van Kues waarover paragraaf 133 van « Perpetuum mobile» handelt: Eemans analyseert de begrippen « apophatisch» en « kataphatisch » om te belanden bij de twijfel, deze voor hem zo karakteristieke aporie: bestaan we werkelijk, zijn we niet slechts schijn en « representatie », om schopenhaueriaanse termen te bezigen?

Ja, die « docta ignorantia » ... Maar is het een voldoende reden om zich aan de onwetendheid over te geven en te doen als-of? Eemans schijnt ons veeleer te zeggen: laat ons liever een nieuwe gnosis opbouwen, een gnosis die iets ontleent aan alle gnostische tradities die de én mystieke én mythische verbeelding van de mens hebben onledig gehouden en die hem telkens aanwakkerden om opnieuw te geloven in de almacht der ideeën. Ben gnostische proeve in die zin is ongetwijfeld Marc. Eemans' « Boek van Bloemardinne », het resultaat van een uitdaging van de vrouwelijke kunsthistoricus en neuroloog Juliane Gabriëls en handelend over de Brusselse ketterin uit de 14e eeuw Bloemardinne die de venusiaanse liefde onderwees vanop een zilveren spreekgestoelte. Men zou niet eens haar bestaan hebben vermoed, ware het niet dat Pomerius deze heterodoxe mystieke vrouw in zijn Ruusbroec·biografie in enkele regels veroordeeld had (78). Maar deze weinige regels volstonden voor Eemans om één der meest originele en meest diepzinnige werken van de moderne Nederlandse literatuur te schrijven (79). Het betreft geen proeve van reconstructie van het denken van Bloemardinne, maar veeleer zijn het contrapunctische variaties op mystiek-esoterische thema's, bij zoverre dat Bloemardinne zowel commentaar levert op deze of gene uitspraak van Ekkehard als zekere beweringen van Nietzsche verwerpt. Er komen zinspelingen op Tanchelin, die andere Middelnederlandse ketter, in voor en men vangt echo's op van Hermes Trismegistos en uit de « Divina Commedia » van Dante. Toch is het alles behalve een zuiver cerebrale uiteenzetting, ja in werkelijkheid een levendig geschrift vol poëtische nuances binnen een welomlijnd decor : de middeleeuwse hoofdstad van het graafschap Brabant met het woud in de onmiddellijke omgeving, waar Ruusbroec zijn « Die Chierheit der gheesteleker Brulocht » en andere bewonderenswaardige werken schreef.

In « Het Boek van Bloemardinne » komen ook visioenen en beschrijvingen van zuivere magie voor en dat alles is geschreven in een taal die Friedrich-Markus Huebner van Eemans deed getuigen dat hij de « sprachmächtige Dolmetscher zeitloser Erkenntnisse » is. Aan dezelfde bron ontsproot in 1956 « Hymnode ». (80), een ander werk vol bliksemschichten, dat voorafgegaan wordt van een « psychomachia » en gevolgd door een « Na-wereldse minnezang ». Deze laatste eindigt met het fatalistisch « en Eros Thanatos... », waarover hoger reeds sprake was; er mag trouwens in dit verband gewezen worden op de slotzin van een andere publicatie van Eemans: « Ah que la mort soit nôtre, et qu'elle est douce... » (80a). Hoe en waar dergelijke werken onderbrengen of catalogeren? Zijn het uitingen van die « culte mystico- panthéiste dont l'expression est symboliste » die Mesens aan Eemans verweet? Op het eerste zicht zou men geneigd zijn ·bevestigend te antwoorden, maar bij nader toekijken merkt men dat het « poëtische collages » zijn zonder het minste symbolistisch achterplan, want opdat er van symbool sprake kan zijn moet voorafgaandelijk « une signification conventionnelle » bestaan en is tevens nodig dat de verwoorde zaak in de plaats staat van een verborgen zaak die men tracht te sensibiliseren bij middel van een metafoor of een allegorie, zodat de ingewijden haar kunnen interpreteren en begrijpen. Niets van dat alles bij Eemans: er is slechts zijn persoonlijk denkklimaat, een klimaat dat gelijktijdig mythisch en metafysisch is, maar vooral poëtisch en dus magisch; om dat klimaat tot uitdrukking te brengen bedient hij zich van beelden en woorden die geen plaatsvervangende functie vervullen doch er enkel staan voor zichzelf met al het « gewicht » dat hen kenmerkt. Voor Eemans is een hond b.v. geen symbool van trouw of aanhankelijkheid, maar «een viervoeter die behoort tot de soort der op tenen lopende vleesetende zoogdieren », en is er een hond in één zijner werken aanwezig, dan is het niet iets alledaags, doch een aanwezigheid omringd met een soort lichtkring om die hond beter te plaatsen in een transcenderend klimaat dat niets gemeen heeft met welkdanige symboliserende bekommernis dan ook. Eemans' poëtische en mythische, alias mystische bronnen zijn van diverse aard en om het in feite uiterst « simplistisch » mecanisme van zijn poëzie te leren kennen volstaat het na te gaan hoe hij zonder enig vooroordeel zijn schijnbaar « diepzinnig » schilderwerk componeert : de lichaamsvormen van een vrouwelijk naakt verleiden hem b.v. wegens de zuiverheid van de lijnen, een andere vorm zal hem evenzeer bekoren en zo komt hij er toe een harmonieus amalgaam te smeden zonder te hebben moeten beroep doen op de platgelopen schablone van de toevallige ontmoeting... Iedereen weet wat Lautréamont bedoelde. De « fantasmagische » schilderes Elisabeth Geurden, een zijner vriendinnen, verwijt trouwens aan Eemans dat hij zijn inspiratie zoekt bij de naakte dametjes uit « Playboy » en « Lui » !

Neen, Eemans doet geen beroep op het fantastische of het monstrueuse, maar wel op het poëtische van wat Novalis het « magisch idealisme » noemde, d.i. het wonderbare, dat « merveilleux » dat André Breton zo graag tegenover het « mystère » plaatste (81). Toch sluit één en ander niet uit dat Eemans ook aan humor doet en Magritte soms op eigen terrein verslaat, zoals kunstcriticus Georges Fabry deed opmerken (82). Dan stoot men op zo iets lijk wijsgerige persiflage: in « De stelten van de wijsgeer » (sc. Bergson) b.v. of nog in « Cette pipe est bien une pipe » (een assemblage bij middel van een echte pijp). Hetzelfde klimaat van humor vinden we terug in « Paul Delvaux schildert de therapeut van Magritte » : één der duiven van Magritte werd vervangen door een vrouwtje van Delvaux, terwijl Magritte poseert, zijn hoed stevig op het hoofd... Het is een waarachtig werk van durf en uitdaging. - Maar om naar de Marc. Eemans van het « magisch idealisme » terug te keren, heeft dat idealisme iets gemeens met de surrealistische orthodoxie? Welnu, hier kan worden verwezen naar het oordeel van Gérard Legrand, de jonge medewerker van André Breton toen die zijn boek « L'art magique » samenstelde. Legrand zegt woordelijk dat twintig eeuwen vroeger, in de Syrische woestijn en aan de boorden van de Nijl « vécurent des hommes dont le mouvement de pensée présente avec le nôtre de si frappantes affinités que plusieurs d'entre nous n'ont pas manqué, tout étrangers qu'ils soient aux études spécialisées généralement requises en pareil cas, s'intéresser à eux » (83). Waarom dan verbaasd opkijken bij het vernemen dat Eemans zich voor esoterische en mystieke literatuur interesseert, en waarom zich opwinden wanneer men vaststelt dat zijn intellectuele ontwikkeling, zijn geestelijke queste volkomen in de lijn van het zuiverste surrealisme liggen?

Laat ons een moment de tekst van André Breton over de magische kunst bekijken. Die tekst is uiteindelijk niets anders dan een verlengstuk van het magisch idealisme van Novalis, van het idealisme dat aan de oorsprong ligt van Eemans' geestelijke evolutie. In Breton's tekst komen talrijke zinnen en opties voor die Eemans even goed , zou kunnen geschreven hebben. Ik vestig evenwel zeer speciaal de aandacht op de volgende passus: « La conception de l'oeuvre d'art comme objectivation sur le plan matériel d'un dynamisme de même nature que celui qui a préside à la création du monde s'éclaire d'une lumière particulièrement vive chez les Gnostiques» (84). Men heeft als het ware de indruk een zin te lezen uit het « Perpetuum mobile » van Eemans...

In het licht van wat vooraf gaat kan men zich rekenschap geven van de wereld die het denken van André Breton en Eemans scheidde van dat van de leden van de « Société du Mystère ». Marcel Mariën heeft zelf in een interview dat hij enkele jaren geleden toestond aan Christian Bussy n.a.v. een reeks uitzendingen van de R.T.B. over het surrealisme, in weinige woorden bevestigd dat er verschillen « et même des différences fondamentales » bestaan hebben tussen de Belgische surrealisten en het door Breton verdedigde surrealisme (85). Het betrof vooral de doeltreffendheid van het poëtisch experiment. En Mariën, na gesproken te hebben over het verschil in opvatting tussen Breton en Eluard over de essentie van de poëzie, onderlijnde dat de « Belgische » conceptie nauw verwant was aan deze van Eduard, volgens wie « le poète .est celui qui inspire bien plus que celui qui est inspiré » (86). Vandaar dat Mariën besloot: « Pour Nougé, pour Magritte, jamais il n'a été question de concevoir autrement l'activité poétique que sous l'angle de la préméditation, c'est-a-dire de l'invention d'un objet (poème ou image peinte) susceptible de toucher, de bouleverser le lecteur, le spectateur. Une telle démarche, il va sans dire, exclut le hasard en tant que facteur primontial. Elle réclame une attention soutenue, la méditation prolongée, des précautions, des ratures, des reprises, une hésitation, une prudence infinies » (87).

Mariën ging dan verder als volgt: « Or Breton, à partir de l'expérience de l'écriture automatique, a construit une théorie, un véritable système philosophique qui élève l'inspiration naïve au rang de vérité, ce qui l'englue à mon sens dans la mystique » (88). Kortom, net lijk Eemans, is ook Breton in de mystiek « vastgelopen » ... Vanzelfsprekend zijn de leden van de « Société du Mystère » nooit op die manier «vastgelopen» want in hun geval - Marcel Lecomte en Camille Goemans niet te na gesproken - was het qua inspiratie altijd erg mager gesteld. Men mag zelfs beweren dat iedere vorm van metafysica hen a priori verdacht voorkwam. Men moet slechts enkele hunner werken lezen om te merken dat ze dichter bij de scherts dan bij de « geestelijke bruiloften » staan. Overigens waren de afleveringen van « Fantômas » van Marcel Allain en Pierre Souvestre, alsmede de « Série noire » van Gallimard één der meest geliefde « nourrituresterrestres » van René Magritte. Niet de minste belangstelling voor shi-itisch Iran b.v. zoals het ons Henry Corbin schildert in « Terre céleste et corps de résurrection » (89) ; evenmin trouwens voor de « Cantos » van Ezra Pound (90).

Bepaalde iconografische documenten spreken boekdelen over de geestesgesteldheid van de leden van de « Société du Mystère » ; zo de foto « Le rendez-vous de chasse » waarop men van links naar rechts Mesens, Magritte, Scutenaire, Souris en Nougé herkent en, in zittende houding, drie hunner dames: Irène Hamoir, Marthe Nougé en Georgette Magritte. Het is de banaliteit, de mediocriteit van kleine provinciemensen die tot de rang van ideaal verheven werden, terwijl Marc. Eemans er prat op kan gaan - of kan gaan - zich door Paul Colinet « Marc le Grec » te laten noemen, of « Marc l'Echanteur » door de Franse dichteres Anne-Marie De Backer. In de ogen van de kunstcriticus Stéphane Rey lijkt hij « un peu comme un prince germanique, sorti de l'ombre ou du tombeau, porteur d'un message de l'autre monde. Mage et prophète, sorte de revenant chargé de sortilèges » (91). Wat kan ik nog toevoegen aan dit magisch portret van hem waarvan ik gepoogd heb de denkontwikkeling te schetsen tot aan de einders van de wereld die de onze is? Zijn leven lang bleef hij trouw aan zich zelf: dergelijke continuïteit kan verrassen in een periode die op de gemakzucht is afgestemd, maar Eemans zoekt de moeilijkheid op « te zijn » en denkt enkel aan zelfanalyse volgens het voorschrift van André Breton, en dit op zulkdanige wijze zelfs dat zijn trouwste vrienden hem steeds opnieuw een ietsje moeten ontdekken. Ik heb getracht hem te ontdekken maar beken ootmoedig dat talrijke facetten van zijn complexe persoonlijkheid niet tot hun recht zijn gekomen. Anderen zijn mogelijk handiger in dit soort dingen en ook scherpzinniger wellicht: dat ze hun talent van bronzoeker op Eemans beproeven en ontdekken wat mij verborgen bleef en wat ik niet met de gewenste duidelijkheid kan verwoorden.

Grimbergen, 12 mei 1972.

Dr. Piet Tommissen, Marc Eemans, Brussel: Henry Fagne, 1972.

dimanche, 29 mai 2011

La réception d'Evola en Belgique


 

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Entretien avec Robert Steuckers sur la réception de l’œuvre de Julius Evola en Belgique

 

Propos recueillis par Denis Ilmas

 

Q. : Monsieur Steuckers, comment avez-vous découvert Julius Evola ? Quand en avez-vous entendu parler pour la première fois ?

 

RS : Dans la Librairie Devisscher, au coin de la rue Franz Merjay et de la Chaussée de Waterloo, dans le quartier « Ma Campagne », à cheval sur Saint-Gilles et Ixelles. « Frédéric Beerens », un camarade d’école, un an plus âgé que moi, avait découvert « Les hommes au milieu des ruines » dans cette librairie, l’avait lu, et m’en avait parlé tandis que nous faisions la queue pour commander d’autres ouvrages ou quelques manuels scolaires. Ce fut la toute première fois que j’entendis prononcer le nom d’Evola. J’avais dix-sept ans. Nous étions en septembre 1973 et nous étions tout juste revenus d’un voyage scolaire en Grèce. Pour Noël, le Comte Guillaume de Hemricourt de Grünne, le patron de mon père, m’offrait toujours un cadeau didactique : cette année-là, pour la première fois, j’ai pu aller moi-même acheter les livres que je désirais, muni de mon petit budget. Je me suis rendu en un endroit qui, malheureusement, n’existe plus à Bruxelles, la grande librairie Corman, et je me suis choisi trois livres : « L’Etat universel » d’Ernst Jünger, « Un poète et le monde » de Gottfried Benn et « Révolte contre le monde moderne » de Julius Evola. L’année 1973 fut, rappelons-le, une année charnière en ce qui concerne la réception de l’œuvre d’Evola en Italie et en Flandre : tour à tour Adriano Romualdi, disciple italien d’Evola et bon connaisseur de la « révolution conservatrice » allemande grâce à sa maîtrise de la langue de Goethe, décéda dans un accident d’auto, tout comme le correspondant flamand de Renato del Ponte et l’animateur d’un « Centro Studi Evoliani » en Flandre, Jef Vercauteren. Je n’ai forcément jamais connu Jef Vercauteren et, là, il y a eu une rupture de lien, fort déplorable, entre les matrices italiennes de la mouvance évolienne et leurs antennes présentes dans les anciens Pays-Bas autrichiens.

 

Je dois vous dire qu’au départ, la lecture de « Révolte contre le monde moderne » nous laissait perplexes, surtout Beerens, le futur médecin chevronné, féru de sciences biologiques et médicales : on trouvait que trop d’esprits faibles, après lecture de ce classique, se laisseraient peut-être entrainer dans une sorte de monde faussement onirique ou acquerraient de toutes les façons des tics langagiers incapacitants et « ridiculisants » (à ce propos, on peut citer l’exemple d’un Arnaud Guyot-Jeannin, tour à tour fustigé par Philippe Baillet, qui lui reprochait l’ « inculture pédante du Sapeur Camember »,  ou par Christopher Gérard, qui le traitait d’ « aliboron » ou de « chaouch »). Une telle dérive, chez les aliborons pédants, est évidemment tout à fait possible et très aisée parce qu’Evola présentait à ses lecteurs un monde très idéal, très lumineux, je dirais, pour ma part, très « archangélique » et « michaëlien », afin de faire contraste avec les pâles figures subhumaines que génère la modernité ; aujourd’hui, faut-il s’empresser de l’ajouter, elle les génère à une cadence accélérée, Kali Yuga oblige. L’onirisme fait que bon nombre de médiocres s’identifient à de nobles figures pour compenser leurs insuffisances (ou leurs suffisances) : c’est effectivement un risque bien patent chez les évolomanes sans forte épine dorsale culturelle.

 

Mais, chose incontournable, la lecture de « Révolte » marque, très profondément, parce qu’elle vous communique pour toujours, et à jamais, le sens d’une hiérarchie des valeurs : l’Occident, en optant pour la modernité, a nié et refoulé les notions de valeur, d’excellence, de service, de sublime, etc. Après lecture de « Révolte », on ne peut plus que rejeter les anti-valeurs qui ont refoulé les valeurs impérissables, sans lesquelles rien ne peut plus valoir quoi que ce soit dans le monde.

 

« Révolte » et la notion de numineux

 

Plus tard, « Révolte » satisfera davantage nos aspirations et nos exigences de rigueur, tout simplement parce que nous n’avions pas saisi entièrement, au départ, la notion de « numineux », excellemment mise en exergue dans le chapitre 7 du livre et que je médite toujours lorsque je longe un beau cours d’eau ou quand mes yeux boivent littéralement le paysage à admirer du haut d’un sommet, avec ou sans forteresse (dans l’Eifel, les Vosges, le Lomont, le Jura ou les Alpes ou dans une crique d’Istrie ou dans un méandre de la Moselle ou sur les berges de la Meuse ou du Rhin). « Masques et visages du spiritualisme contemporain » nous a apporté une saine méfiance à l’endroit des ersatz de religiosité, souvent « made in USA », alternatives très bas de gamme que nous fait miroiter un vingtième siècle à la dérive : songeons, toutefois dans un autre contexte, à la multiplication des temples scientologiques, évangéliques, etc. ou à l’emprise des « Témoins de Jéhovah » sur des pays catholiques comme l’Espagne ou l’Amérique latine, qui, de ce fait, subissent une subversion sournoise, disloquant leur identité politique.

 

Nous n’avons découvert le reste de l’œuvre d’Evola que progressivement, au fil du temps, avec les traductions françaises de Philippe Baillet mais aussi parce que les latinistes de notre groupe, dont le regretté Alain Derriks et moi-même, commandaient les livres non traduits du Maître aux Edizioni di Ar (Giorgio Freda) ou aux Edizioni all’Insegno del Veltro (Claudio Mutti). Je crois n’avoir atteint une certaine (petite) maturité évolienne qu’en 1998, quand j’ai été amené à prendre la parole à Vienne en cette année-là, et à Frauenfeld, près de Zürich, en 1999, respectivement pour le centième anniversaire de la naissance d’Evola et pour le vingt-cinquième anniversaire de son absence. L’idée centrale est celle de l’ « homme différencié », qui pérégrine, narquois, dans un monde de ruines. Evola nous apprend la distance, à l’instar de Jünger, avec sa figure de l’ « anarque ».

 

Q. : Quelques années plus tard, la revue « Totalité » sera la première, dans l’espace linguistique francophone, à publier régulièrement des textes d’Evola. De « Totalité » émergeront une série de revues, telles « Rebis », « Kalki », « L’Age d’Or », puis les Editions Pardès. Comment tout cela a-t-il été perçu en Belgique à l’époque ?

 

RS : Le coup d’envoi de cette longue série d’initiatives, qui nous ramène à l’actualité éditoriale que vous évoquez, a été, à Bruxelles du moins, une prise de parole de Daniel Cologne et Georges Gondinet, dans une salle de l’Helder, rue du Luxembourg, à un jet de pierre de l’actuel Parlement Européen, qui n’existait pas à l’époque. C’était en octobre 1976. Depuis, le quartier vit à l’heure de la globalisation, échelon « Europe », Europe « eurocratique » s’entend. A l’époque, c’était un curieux mixte : fonctionnaires de plusieurs ministères belges, étudiants de l’école de traducteurs/interprètes (dont j’étais), derniers résidents du quartier se côtoyaient dans les estaminets de la Place du Luxembourg et, dans les rues adjacentes, des hôteliers peu regardants louaient des chambres de « 5 à 7 » pour bureaucrates en quête d’érotisme rapide camouflé en « heures supplémentaires », tout cela en face d’un vénérable lycée de jeunes filles, qui faisait également fonction d’école pour futures professeurs féminins d’éducation physique (le « Parnasse »). En arrière-plan, la gare dite du Quartier Léopold ou du Luxembourg, vieillotte et un peu sordide, flanquée d’un bureau de poste crasseux, d’où j’ai envoyé quantité de mandats dans le monde pour m’abonner à toutes sortes de revues de la « mouvance » ou pour payer mes dettes auprès du bouquiniste nantais Jean-Louis Pressensé. En cette soirée pluvieuse et assez froide d’octobre 1976, Daniel Cologne et Georges Gondinet étaient venus présenter leur « Cercle Culture & Liberté », à l’invitation de Georges Hupin, animateur du GRECE néo-droitiste à l’époque. Dans la salle, il y avait le public « nouvelle droite » habituel mais aussi Gérard Hupin, éditeur de « La Nation Belge » et, à ce titre, héritier de Fernand Neuray, le correspondant belge de Charles Maurras (Georges Hupin et Daniel Cologne étaient tous deux collaborateurs occasionnels de « La Nation Belge »). Maître Gérard Hupin était flanqué du Général Janssens, dernier commandant de la « Force Publique » belge du Congo. J’étais accompagné d’Alain Derriks, qui deviendra aussitôt le correspondant belge du « Cercle Culture & Liberté ». Les contacts étaient pris et c’est ainsi qu’en 1977, je me retrouvai, pour représenter en fait Derriks, empêché, à Puiseaux dans l’Orléanais, lors de la journée qui devait décider du lancement de la revue « Totalité ». Il y avait là Daniel Cologne (alors résident à Genève), Jean-François Mayer (qui fera en Suisse une brillante carrière de spécialiste ès religions), Eric Vatré de Mercy (à qui l’on devra ultérieurement quelques bonnes biographies d’auteurs), Philippe Baillet (traducteur d’Evola) et Georges Gondinet (futur directeur des éditions Pardès et, en cette qualité, éditeur de Julius Evola).

 

Je rencontre Eemans dans une Galerie de la Chaussée de Charleroi

 

eemans30.jpgTout cela a, vaille que vaille, formé un petit réseau. Mais il faut avouer, avec le recul, qu’il n’a pas véritablement fonctionné, mis à part des échanges épistolaires et quelques contributions à « Totalité » (une recension, un seul article et une traduction en ce qui me concerne…). Rapidement, Georges Gondinet deviendra le seul maître d’œuvre de l‘initiative, en prenant en charge tout le boulot et en recrutant de nouveaux collaborateurs, dont celle qui deviendra son épouse, Fabienne Pichard du Page. Lorsqu’il revenait de Suisse à Bruxelles, en passant par Paris, Cologne faisait office de messager. Il nous racontait surtout les mésaventures des cercles suisses autour du NOS (« Nouvel Ordre Social ») et de la revue « Le Huron », qu’il animait là-bas avec d’autres. Ainsi, en 1978, par un coup de fil, Cologne m’annonce avec fracas, avec ce ton précipité et passionné qui le caractérisait en son jeune temps, qu’il avait pris contact avec un certain Marc. Eemans, peintre surréaliste, historien de l’art et détenteur de savoirs voire de secrets des plus intéressants. A peine rentré dans la « mouvance », j’ai tout de suite eu envie de la sortir de ses torpeurs et de ses ritournelles : alors, vous pensez, un « surréaliste », un artiste qui, de plus, exposait officiellement ses œuvres dans une galerie de la Chaussée de Charleroi, voilà sans nul doute l’aubaine que nous attendions, Derriks et moi. J’étais à Wezembeek-Oppem quand j’ai réceptionné le coup de fil de Cologne : j’ai sauté sur mes deux jambes, couru à l’arrêt de bus et foncé vers la Chaussée de Charleroi, ce qui n’était pas une mince affaire à l’époque du « 30 » qui brinquebalait bruyamment, crachant de noires volutes de mazout, dans toutes les rues et ruelles de Wezembeek-Oppem avant d’arriver à Tomberg, première station de métro en ce temps-là. Il faisait déjà sombre quand je suis arrivé à la Galerie, Chaussée de Charleroi. Eemans était seul au fond de l’espace d’exposition ; il lisait, comme je l’ai déjà expliqué, « le nez chaussé de lunettes à grosses montures d’écaille noire ».  Agé de 71 ans à l’époque, Eemans (photo en 1930) m’a accueilli gentiment, comme un grand-père affable, heureux qu’Evola ait de jeunes lecteurs en Belgique, ce qui lui permettrait d’étoffer son projet : prendre le relais de Jef Vercauteren, décédé depuis cinq ans, sans laisser de grande postérité en pays flamand. Cologne disparu, amorçant sa « vie cachée » qui durera plus de vingt ans, le groupe bruxellois n’a pratiquement plus entretenu de liens avec l’antenne française du réseau « Culture & Liberté ». Il restait donc lié à Eemans seul et à ses initiatives. Gondinet, bien épaulé par Fabienne Pichard du Page, lancera « Rebis », « L’Age d’or », « Kalki » et les éditions Pardès (avec leurs diverses collections, dont « B-A-BA » et « Que lire ? »). Baillet continuera à traduire des ouvrages italiens (dont un excellent ouvrage de Claudia Salaris sur l’aventure de d’Annunzio à Fiume) puis participera à la revue « Politica Hermetica » et fera un passage encore plus bref que le mien au secrétariat de rédaction de « Nouvelle école », la revue de l’inénarrable de Benoist (cf. infra). Et les autres s’éparpilleront dans des activités diverses et fort intéressantes.

 

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Q. : Parlez-nous davantage de Marc. Eemans…

 

RS : Eemans a donc lancé son « Centro Studi Evoliani », que nous suivions avec intérêt. La tâche n’a pas été facile : Eemans se heurtait à une difficulté majeure ; en effet, comment importer le corpus d’un penseur traditionaliste italien, de surcroît ancien de l’avant-garde dadaïste de Tristan Tzara, dans un contexte belge qui ignorait tout de lui. Quelques livres seulement étaient traduits en français mais rien, par exemple, de son œuvre majeure sur le bouddhisme, « La doctrine de l’Eveil ». En néerlandais, il n’y avait rien, strictement rien, sinon quelques reprints tirés à la hâte et en très petites quantités à Anvers : il s’agissait des éditions allemandes de ses ouvrages, dont « Heidnischer Imperialismus ». En français, l’œuvre n’était que très incomplètement traduite et nous n’avions aucun travail sérieux d’introduction à celle-ci, à part un excellent essai de Philippe Baillet (« Julius Evola ou l’affirmation absolue »), paru d’abord comme cahier, sous la houlette du « Centro Studi Evoliani » français, dirigé par Léon Colas. Ni Boutin ni Lippi n’avaient encore sorti leurs thèses universitaires solidement charpentées sur Evola. Gondinet et Cologne, dans le cadre de leur « Cercle Culture & Liberté » n’avaient édité que quelques bonnes brochures et les tout premiers numéros de « Totalité » étaient fort artisanaux, faute de moyens. En fait, Eemans n’avait pas de véritable public, ne pouvait en trouver un en Belgique, en une telle époque de matérialisme et de gauchisme, où les grandes questions métaphysiques n’éveillaient plus le moindre intérêt. Mais il n’a pas reculé : il a organisé ses réunions avec régularité, même si elles n’attiraient pas un grand nombre d’intéressés. Au cours de l’une de celle-ci, j’ai présenté un article de Giorgio Locchi sur la notion d’empire, paru dans « Nouvelle école », la revue d’Alain de Benoist. Dans la salle, il y avait Pierre Hubermont, l’écrivain prolétarien et communiste d’avant-guerre, auteur de « Treize hommes dans la mine », ouvrage couronné d’un prix littéraire à la fin des années 20.  Hubermont, comme beaucoup de militants ouvriers communistes de sa génération, avait été dégoûté par les purges staliniennes, par la volte-face des communistes à Barcelone pendant la guerre civile espagnole, où ils avaient organisé la répression contre les socialistes révolutionnaires du POUM et contre les anarchistes. Mais Hubermont ne choisit pas l’échappatoire facile d’un trotskisme figé et finalement à la solde des services anglais ou américains : il tâtonne, trouve dans le néo-socialisme de De Man des pistes utiles. Pendant la seconde conflagration intereuropéenne, Hubermont se retrouve à la tête de la revue « Wallonie », qui préconise un socialisme local, adapté aux circonstances des provinces industrielles wallonnes, dans le cadre d’un « internationalisme » non plus abstrait mais découlant de l’idée impériale, rénovée, en ces années-là, par l’européisme ambiant, notamment celui véhiculé par Giselher Wirsing. Hubermont était heureux qu’un gamin comme moi eût parlé de l’idée impériale et, avec une extrême gentillesse, m’a prodigué des conseils. D’autres fois, le Professeur Piet Tommissen est venu nous parler de Carl Schmitt et de Vilfredo Pareto. Une dame est également venue nous lire des textes de Heidegger, à l’occasion de la parution du livre de Jean-Michel Palmier, « Les écrits politiques de Heidegger ». Les thèmes abordés à la tribune du « Centro Studi Evoliani » n’étaient donc pas exclusivement « traditionalistes » ou « évoliens ». Eemans lance également l’édition d’une série de petites brochures et, plus tard, nous bénéficierons de l’appui généreux de Salvatore Verde, haut fonctionnaire italien de ce qui fut la CECA et futur directeur de la revue italienne « Antibancor », consacrée aux questions économiques et éditée par les Edizioni di Ar (cette revue éditera notamment en version italienne une de mes conférences à l’Université d’été 1990 du GRECE sur les « hétérodoxies » en sciences économiques, que l’inénarrable de Benoist n’avait bien entendu pas voulu éditer, en même temps que d’autres textes, de Nicolas Franval et de Bernard Notin, sur les « régulationnistes » ; je précise qu’il s’agissait de la « cellule » mise sur pied à l’époque par le GRECE pour étudier les questions économiques). Toutes les activités du « Centro Studi Evoliani » de Bruxelles ne m’ont évidemment laissé que de bons souvenirs.

 

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Q. : Mais qui fut Eemans au-delà de ses activités au sein du « Centro Studi Evoliani » ?

 

RS : J’ai très vite su qu’Eemans avait été, après guerre, un véritable encyclopédiste des arts en Belgique. Plusieurs ouvrages luxueux sur l’histoire de l’art sont dus à sa plume. Ils ont été écrits avec grande sérénité et avec le souci de ménager toutes les susceptibilités d’un monde foisonnant, où les querelles de personnes sont légion. Ces livres font référence encore aujourd’hui. Dans un coin de son salon, où était placé un joli petit meuble recouvert d’une plaque de marbre, Eemans gardait les fichiers qu’il avait composés pour rédiger cette œuvre encyclopédique. Toutefois, il n’en parlait guère. Il m’a toujours semblé que la rédaction de ces ouvrages d’art appartenait pour lui à un passé bien révolu, pourtant plus récent que l’aventure de la revue « Hermès », qui ne cessait de le hanter. J’aurais voulu qu’il m’en parle davantage car j’aurais aimé connaître le lien qui existait entre cette peinture et ces avant-gardes et les positions évoliennes qu’il défendait fin des années 70, début des années 80. J’aurais aimé connaître les étapes de la maturation intellectuelle d’Eemans, selon une chronologie bien balisée : je suis malheureusement resté sur ma faim. Apparemment, il n’avait pas envie de répéter inlassablement l’histoire des aventures intellectuelles qu’il avait vécues dans les années 10, 20 et 30 du 20ème siècle, et dont les protagonistes étaient presque tous décédés. Au cours de nos conversations, il rappelait que, comme bon nombre de dadaïstes autour de Tzara et de surréalistes autour de Breton, il avait eu son « trip » communiste et qu’il avait réalisé un superbe portrait de Lénine, dont il m’a plusieurs fois montré une vignette. Il a également évoqué un voyage à Londres pour aller soutenir des artistes anglais avant-gardistes, hostiles à Marinetti, venu exposer ses thèses futuristes et machinistes dans la capitale britannique : le culte des machines, disaient ces Anglais, était le propre d’un excité venu d’un pays non industriel, sous-développé, alors que tout avant-gardiste anglais se devait de dénoncer les laideurs de l’industrialisation, qui avait surtout frappé le centre géographique de la vieille Angleterre.

 

L’influence décisive d’un professeur du secondaire

 

Eemans évoquait aussi le wagnérisme de son frère Nestor, un wagnérisme hérité d’un professeur de collège, le germaniste Maurits Brants (1853-1940). Brants, qui avait décoré sa classe de lithographies et de chromos se rapportant aux opéras de Wagner, fut celui qui donna à l’adolescent Marc. Eemans le goût de la mythologie, des archétypes et des racines. Pour le Prof. Piet Tommissen, biographe d’Eemans, ce dernier serait devenu un « surréaliste pas comme les autres », du moins dans le landerneau surréaliste belge, parce qu’il avait justement, au fond du cœur et de l’esprit, cet engouement tenace pour les thèmes mythologiques. Tommissen ajoute qu’Eemans a été marqué, très jeune, par la lecture des dialogues de Platon, de Spinoza et puis des romantiques anglais, surtout Shelley ; comme beaucoup de jeunes gens immédiatement après 1918, il sera également influencé par l’Indien Rabindranath Tagore, lequel, soit dit en passant, était vilipendé dans les colonnes de la « Revue Universelle » de Paris, comme faisant le lien entre les mondes non occidentaux (et donc non « rationnels ») et le mysticisme pangermaniste d’un Hermann von Keyserlinck, dérive actualisée du romantisme fustigé par Charles Maurras.

 

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Eemans a souvent revendiqué les influences néerlandaises (hollandaises et flamandes) sur son propre itinéraire intellectuel, dont Louis Couperus et Paul Van Ostaijen. Ce dernier, rappelle fort opportunément Tommissen, avait élaboré un credo poétique, où il distinguait entre la « poésie subconsciemment inspirée » (et donc soumise au pouvoir des mythes) et la « poésie consciemment construite » ; Van Ostaijen appelait ses éventuels disciples futurs à étudier la véritable littérature du peuple thiois des Grands Pays-Bas en commençant par se plonger dans leurs auteurs mystiques. Injonction que suivra le jeune Eemans, qui, de ce fait, se place, à son corps défendant, en porte-à-faux avec un surréalisme cultivant la provocation de « manière consciente et construite » ou ne demeurant, à ses yeux, que « conscient » et « construit ». A l’instigation surtout du deuxième manifeste surréaliste d’André Breton, lancé en 1929, un an après le décès de Van Ostaijen, Eemans explorera d’autres pistes que les surréalistes belges, dont Magritte, ce qui, au-delà des querelles entre personnes et au-delà des clivages politiques/idéologiques, consommera une certaine rupture et expliquera l’affirmation, toujours répétée d’Eemans, qu’il est, lui, un véritable surréaliste dans l’esprit du deuxième manifeste de Breton —qui évoque le poète romantique allemand Novalis—  et que les autres n’en ont pas compris la teneur et n’ont pas voulu en adopter les injonctions implicites. Si l’étape abstraite de la « plastique pure » a été une nécessité, une sorte d’hygiène pour sortir des formes stéréotypées et trop académiques de la peinture de la fin du 19ème siècle, le surréalisme ne doit pas se complaire définitivement dans cette esthétique-là. Il doit, comme le préconisait Breton, s’ouvrir à d’autres horizons, jugés parfois « irrationnels ».

 

 

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Quand Sœur Hadewych hérisse les surréalistes installés

 

Fidèle au credo poétique de Van Ostaijen (photo ci-dessus), Eemans s’était plongé, fin des années 20, dans l’œuvre mystique de Sœur Hadewych (13ème siècle), dont il lira des extraits lors d’une réunion de surréalistes à Bruxelles. L’accueil fut indifférent sinon glacial ou carrément hostile : pour Tommissen, c’est cette soirée consacrée à la grande mystique flamande du moyen âge qui a consommé la rupture définitive entre Eemans et les autres surréalistes de la capitale belge, dont Nougé, Magritte et Scutenaire. Toute l’animosité, toutes les haines féroces qui harcèleront Eemans jusqu’à sa mort proviennent, selon Tommissen, de cette volonté du jeune peintre de faire franchir au surréalisme bruxellois une limite qu’il n’était pas prédisposé à franchir. Pour les tenants de ce surréalisme considéré par Eemans comme « fermé », le jeune peintre de Termonde basculait dans le mysticisme et les bondieuseries, abandonnait ainsi le cadre soi-disant révolutionnaire, communisant, du surréalisme établi : Eemans tombait dès lors, à leurs yeux, dans la compromission (qui chez les surréalistes conduit automatiquement à l’exclusion et à l’ostracisme) et dans l’idéalisme magique ; il trahissait aussi la « révolution surréaliste » avec son adhésion plus ou moins formelle et provocatrice à l’Internationale stalinienne. Pour Eemans, les autres restaient campés sur des positions figées, infécondes, non inspirées par la notion d’Amour selon Dante (à ce propos, cf. notre « Hommage à Marc. Eemans sur http://marceemans.wordpress.com/ ). Pour poursuivre leur œuvre de contestation du monde moderne (ou monde bourgeois), les surréalistes, selon Eemans, doivent obéir à une suggestion (diffuse, lisible seulement entre les lignes) de Breton : occulter le surréalisme et s’ouvrir à des sciences décriées par le positivisme bourgeois du 19ème siècle. Breton, en 1929, en appelle à la notion d’Amour, telle que l’a chantée Dante. La voie d’Eemans est tracée : il sera le disciple de Van Ostaijen et du Breton du deuxième manifeste surréaliste de 1929. Pour concrétiser cette double fidélité, il fonde avec René Baert la revue « Hermès ».

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Le surréalisme y est « occulté », comme le demandait Breton, mais non abjuré dans sa démarche de fond et sa revendication primordiale, qui est de contester et de détruire le bourgeoisisme établi, et s’ouvre aux perspectives de Dante et de la mystique médiévale néerlandaise et rhénane. Cette situation générale du surréalisme français (et francophone) est résumée succinctement par André Vielwahr, spécialiste de ce surréalisme et professeur de français à la Fordham University de New York : « Le surréalisme éprouvait depuis plusieurs années des difficultés insolubles. Il sombrait sans majesté dans le poncif. L’écriture automatique, l’activité onirique s’étaient soldées par un supplément de ‘morceaux de bravoure ‘ destinés à relever les œuvres où ils se trouvaient sans jamais fournir la clé ‘capable d’ouvrir indéfiniment cette boîte à multiple fond qui s’appelle l’homme » (in : S’affranchir des contradictions – André Breton de 1925 à 1930, L’Harmattan, Paris, 1998, p.339). Aller au-delà des poncifs et trouver le clé (traditionnelle) qui permet de découvrir l’homme dans sa prolixité kaléidoscopique de significations et de le sortir de toute l’unidimensionnalité en laquelle l’enferme la modernité a été le vœu d’Eemans. Qui fut sans doute, à son corps défendant, l’exécuteur testamentaire de Pierre Drieu la Rochelle qui écrivait le 1 août 1925 une lettre à Aragon pour déplorer la piste empruntée par le mouvement surréaliste : Drieu reconnaissait que les surréalistes avaient eu , un moment, le sens de l’absolu, « que leur désespoir avait sonné pur », mais qu’ils avaient renié leur intransigeance et, surtout, qu’ils « avaient rejoint des rangs » et n’étaient pas « partis à la recherche de Dieu » (A. Vielwahr, op. cit., pp. 66-67). Aragon avait reproché à Drieu que s’être laissé influencé par les gens d’Action Française, qui étaient, disait-il, « des crapules ». En quémandant humblement la lecture des écrits mystiques de Sœur Hadewych, Eemans, jeune et candide, s’alignait peu ou prou sur les positions de Drieu, qu’il ne connaissait vraisemblablement pas à l’époque, des positions qui avaient hérissé les « partisans alignés du surréalisme des poncifs ». Notons qu’Eemans travaillera sur les rêves et sur l’écriture automatique, notamment à proximité d’Henri Michaux, qui sera, un moment, le secrétaire de rédaction d’ « Hermès ». Il reste encore à tracer un parallèle entre la démarche d’Eemans et celles d’Antonin Artaud, Georges Bataille, Michel Leiris et Roger Caillois. Mais c’est là un travail d’une ampleur considérable…  

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Eemans m’a souvent parlé de sa revue des années 30, « Hermès ». Il en possédait encore une unique collection complète. « Hermès » était une revue de philosophie, axée sur les alternatives au rationalisme et au positivisme modernes, dans une perspective apparemment traditionnelle ; en réalité, elle recourrait sans provocation à des savoirs fondamentalement différents de ceux qui structuraient un présent moderne sans relief et, partant, elle présentait des savoirs qui étaient beaucoup plus radicalement subversifs que les provocations dadaïstes ou les gestes des surréalistes établis : pour être un révolutionnaire radical, il fallait être un traditionnaliste rigoureux, frotté aux savoirs refoulés par la sottise moderne. « Hermès » voulait sortir du « carcan occidental » que dénonçaient tout à la fois les surréalistes et les traditionalistes, mais en abandonnant les postures provocatrices et en se plongeant dans les racines oubliées de traditions pouvant offrir une véritable alternative. Pour trouver une voie hors de l’impasse moderne, Eemans avait sollicité une quantité d’auteurs mais l’originalité première d’ « Hermès », dans l’espace linguistique francophone, a été de se pencher sur les mystiques médiévales flamandes et rhénanes. De tous ses articles dans « Hermès » sur Sœur Hadewych, sur Ruysbroeck l’Admirable, etc., Eemans avait composé un petit volume. Mais, malheureusement, il n’a plus vraiment eu le temps d’explorer cette veine, ni pendant la guerre ni après le conflit. Il faudra attendre les ouvrages du Prof. Paul Verdeyen (formé à la Sorbonne et professeur à l’Université d’Anvers) et de Geert Warnar (1) et celui, très récent, de Jacqueline Kelen sur Sœur Hadewych (2) pour que l’on dispose enfin de travaux plus substantiels pour relancer une étude générale sur cette thématique. Notons au passage qu’une exploration simultanée de la veine mystique flamande/brabançonne, jugée non hérétique par les autorités de l’Eglise, et des idées de « vraie religion » de l’Europe et d’ « unitarisme » chez Sigrid Hunke, qui, elle, réhabilitait bon nombre d’hérétiques, pourrait s’avérer fructueuse et éviter des dichotomies trop simplistes (telles paganisme/catholicisme ou renaissancisme/médiévisme, etc. empêchant de saisir la véritable « tradition pérenne », s’exprimant par quantité d’avatars).

 

Mystique flamando-rhénane et matière de Bourgogne

 

Dans l’entre-deux-guerres, l’exploration de la veine mystique flamando-rhénane, entreprise parallèlement à la redécouverte de l’héritage bourguignon, avait un objectif politique : il fallait créer une « mystique belge », non détachée du tronc commun germanique (que l’on qualifiait de « rhénan » pour éviter des polémiques ou des accusations de « germanisme » voire de « pangermanisme ») et il fallait renouer avec un passé non inféodé à Paris tout en demeurant « roman ». Les tâtonnements ou les ébauches maladroites, bien que méritoires, de retrouver une « mystique belge », chez un Raymond De Becker ou un Henry Bauchau, trop plongés dans les débats politiques de l’époque, nous amènent à poser Eemans, aujourd’hui, comme le seul homme, avec son complice René Baert, qui ait véritablement amorcé ce travail nécessaire. Autre indice : la collaboration très régulière à « Hermès » du philosophe Marcel Decorte (Université de Liège) qui donnait aussi des conférences à l’école de formation politique de De Becker et Bauchau dans les années 1937-39. Le lien, probablement ténu, entre Decorte, Eemans, Bauchau et De Becker n’a jamais été exploré : une lacune qu’il s’agira de combler. Les travaux sur l’héritage bourguignon ont été plus abondants dans la Belgique des années 30  (Hommel, Colin, etc.), sans qu’Eemans ne s’en soit mêlé directement, sauf, peut-être, par l’intermédiaire de la chorégraphe Elsa Darciel, disciple des grandes chorégraphes de l’époque dont l’Anglaise Isadora Duncan. Elsa Darciel avait entrepris de faire renaître les danses des « fastes de Bourgogne ». Malheureusement, ni l’un ni l’autre ne sont encore là pour témoigner de cette époque, où ils ont amorcé leurs recherches, ni pour évoquer le vaste contexte intellectuel où les cénacles conservateurs belges et ceux du mouvement flamand cherchaient fébrilement à se doter d’une identité bien charpentée, qui ne pouvait bien sûr pas se passer d’une « mystique » solide. Sur l’Internet, les esprits intéressés découvriront une étude substantielle du Prof. Piet Tommissen sur la personne d’Elsa Darciel, notamment sur ses relations sentimentales avec le dissident américain Francis Parker Yockey, alias Ulrick Varange.

 

Pendant la seconde guerre mondiale, Eemans a eu des activités de « journaliste culturel ». Cette position l’a amené à écrire quantité de critiques d’art dans la presse inféodée à ce qu’il est désormais convenu d’appeler la « collaboration », phénomène qui, rétrospectivement, ne cesse d’empoisonner la politique belge depuis la fin de la seconde guerre mondiale. On ne cesse de reprocher à Marc. Eemans et à René Baert la teneur de leurs articles, sans que ceux-ci n’aient réellement été examinés et étudiés dans leur ensemble, sous toutes leurs facettes et dans toutes leurs nuances (repérables entre les lignes) : Eemans se défend en rappelant qu’il a combattu, au sein d’un « Groupe des Perséides », la politique artistique que le IIIe Reich cherchait à imposer dans tous les pays d’Europe qu’il occupait. Cette politique était hostile aux avant-gardes, considérées comme « art dégénéré ». Eemans racontait aux censeurs nationaux-socialistes qu’il n’y avait pas d’ « art dégénéré » en Belgique, mais un « art populaire », expression de l’âme « racique » (le terme est de Charles de Coster et de Camille Lemonnier), qui, au cours des quatre premières décennies du 20ème siècle, avait pris des aspects certes modernistes ou avant-gardistes, mais des aspects néanmoins particuliers, originaux, car, in fine, l’identité des « Grands Pays-Bas » résidait toute entière dans son génie artistique, un génie que l’on pouvait qualifier de « germanique », donc, aux yeux des nouvelles autorités, de « positif », les artistes d’avant-garde dans ces « Grands Pays-Bas » étant tous des hommes et des femmes du cru, n’appartenant pas à une quelconque population « nomade », comme en Europe centrale. La « bonne » nature vernaculaire de ces artistes, en Flandre, ne permettait à personne de déduire de leurs œuvres une « perversité » intrinsèque : il fallait donc les laisser travailler, pour que puisse éclore une facette nouvelle de « ce génie germanique local et particulier ». L’énoncé de telles thèses, sans doute partagées par d’autres analystes collaborationnistes des avant-gardes, comme Paul Colin ou Georges Marlier, avait pour but évident d’entraver le travail d’une censure qui se serait avérée trop sourcilleuse. Finalement, on reprochera surtout à Eemans et à Baert d’avoir rédigé des articles pour le « Pays Réel » de Léon Degrelle. Baert assassiné en 1945, Eemans reste le seul larron du tandem en piste après la guerre. Il sera arrêté pour sa collaboration au « Pays Réel » et non pour d’autres motifs, encore moins pour le contenu de ses écrits (même s’ils portaient souvent la marque indélébile de l’époque). « Je faisais partie de la charrette du ‘Pays Réel ‘ », disait-il souvent. Après la fin des hostilités, après la levée de l’état de guerre en Belgique (en 1951 !), après son incarcération qui dura quatre années au « Petit Château », Eemans revient dans le peloton de tête des critiques d’art en Belgique : ses « crimes » n’ont probablement pas été jugés aussi « abominables » car le préfacier de l’un de ses ouvrages encyclopédiques majeurs fut Philippe Roberts-Jones, Conservateur en chef des Musées royaux d’art de Belgique, fils d’un résistant ucclois mort, victime de ses ennemis, pendant la seconde grande conflagration intereuropéenne.

 

« Hamer », Farwerck et De Vries

 

Sous le IIIe Reich, les autorités allemandes ont fondé une revue d’anthropologie, de folklore et d’études populaires germaniques, intitulée « Hammer » (« Le Marteau », sous-entendu le « Marteau de Thor »). Pendant l’été 1940, on décide, à Berlin, de créer deux versions supplémentaires de « Hammer » en langue néerlandaise, l’une pour la Flandre et l’autre pour les Pays-Bas (« Hamer »). Quand on parle de néopaganisme aujourd’hui, surtout si l’on se réfère à l’Allemagne nationale-socialiste ou aux innombrables sectes vikingo-germanisantes qui pullulent aux Etats-Unis ou en Grande-Bretagne, tout en influençant les groupes musicaux de hard rock, cela fait généralement sourire les philologues patentés. Pour eux, c’est, à juste titre, du bric-à-brac sans valeur intellectuelle aucune. C’est d’ailleurs dans ce sens qu’Eemans adoptera les thèses d’Evola consignées, de manière succincte, dans un article titré « Le malentendu du néopaganisme ». Mais ce reproche ne peut nullement être adressé aux versions allemande, néerlandaise et flamande de « Hammer/Hamer ». Des germanistes de notoriété internationale comme Jan De Vries, auteur des principaux dictionnaires étymologiques de la langue néerlandaise (tant pour les noms communs que pour les noms propres, notamment les noms de lieux) ont participé à la rédaction de cet éventail de revues. Eemans était l’un des correspondants de « Hamer »/Amsterdam à Bruxelles. Cela lui permettait de faire la navette entre Bruxelles et Amsterdam pendant le conflit et de s’immerger dans la culture littéraire et artistique de la Hollande, qu’il adorait. Il est certain que l’on a rédigé et édité des études sur « Hammer » en Allemagne ou en Autriche, du moins sur sa version allemande ou sur certains de ses principaux rédacteurs. Je ne sais pas si une étude simultanée des trois versions a un jour été établie. C’est un travail qui mériterait d’être fait. D’autant plus que la postérité de « Hamer »/Amsterdam et « Hamer »/Bruxelles n’a certainement pas été entravée par une quelconque vague répressive aux Pays-Bas après la défaite du IIIe Reich. De Vries est demeuré un germaniste néerlandais, un « neerlandicus », de premier plan, ainsi qu’un explorateur inégalé du monde des sagas islandaises. Son œuvre s’est poursuivie, de même que celle de Farwerck, que l’on n’a commencé à dénoncer qu’à la fin des années 90 du 20ème siècle ! De l’écolier de Termonde influencé par Brants, son professeur wagnérien, du cadet de famille influencé par Nestor, son aîné, autre Wagnérien, au disciple attentif de Van Ostaijen et du lecteur scrupuleux du deuxième manifeste surréaliste de Breton au directeur d’Hermès et au rédacteur de « Hamer », du réprouvé de 1944 au fondateur du « Centro Studi Evoliani » et au collaborateur d’ « Antaios » de Christopher Gérard, il y a un fil conducteur parfaitement discernable, il y a une fidélité inébranlable et inébranlée à soi et à ses propres démarches, face à l’incompréhension généralisée qui s’est bétonnée et a orchestré le boycott de cet homme à double casquette : celle du dadaïste-surréaliste-lénino-trostkiste et celle du wagnéro-mystico-évoliano-traditionaliste. Et pourtant, il y a, derrière cette apparente contradiction une formidable cohérence que sont incapables de percevoir les esprits bigleux. Ou pour être plus précis : il y a chez Eemans, surréaliste et traditionaliste tout à la fois, une volonté d’aller au « lieu » impalpable où les contradictions s’évanouissent. Un lieu que cherchait aussi Breton dès son second manifeste.  

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Après la guerre, Eemans participe à la revue « Fantasmagie » ; l’étude de « Fantasmagie » mérite, à elle seule, un bon paquet de pages. L’objectif de « Fantasmagie » était de faire autre chose que de l’art bétonné en une nouvelle orthodoxie, qui tenait alors le haut du pavé, après avoir balayé toute interrogation métaphysique. Dans les colonnes de « Fantasmagie », les rédacteurs vont commenter et valoriser toutes les œuvres fantastiques, ou relevant d’une forme ou d’une autre d’ « idéalisme magique ». On notera, entre bien d’autres choses, un intérêt récurrent pour les « naïfs » yougoslaves. Quant à Eemans, il se chargeait de la recension de livres, notamment ceux de Gaston Bachelard. Je compte bien relire les exemplaires de « Fantasmagie » qui figurent dans ma bibliothèque mais je n’écrirai de monographie sur cette revue, ou sur l’action et l’influence d’Eemans au sein de sa rédaction, que lorsque j’aurai dûment complété ma collection, encore assez lacunaire.

 

Harcèlement et guéguerre entre surréalistes

 

L’après-guerre est tout à la fois paradis, purgatoire et enfer pour Eemans. Dans le monde de la critique d’art, il occupe une place non négligeable : son érudition est reconnue et appréciée. En Flandre, on ne tient pas trop compte des allusions perfides à sa collaboration au « Pays Réel » et à « Hamer ». En revanche, dans l’univers des galeries huppées, des expositions internationales, des colloques spécifiques au surréalisme en Belgique et à l’étranger, un boycott systématique a été organisé contre sa personne : manifestement, on voulait l’empêcher de vivre de sa peinture, on voulait lui barrer la route du succès « commercial », pour le maintenir dans la géhenne du travail d’encyclopédiste ou dans l’espace marginal de « Fantasmagie ». Son adversaire le plus acharné sera l’avocat Paul Gutt (1941-2000), fils du ministre des finances du cabinet belge en exil à Londres pendant la seconde guerre mondiale. En 1964, Paul Gutt organise un chahut contre deux conférences d’Eemans en diffusant un pamphlet en français et en néerlandais contre notre surréaliste mystique et traditionaliste, intitulé « Un ton plus bas ! Een toontje lager ! » et qui rappelait bien entendu le « passé collaborationniste » du conférencier. Le même Paul Gutt s’était aussi attaqué au MAC (« Mouvement d’Action Civique ») de Jean Thiriart, futur animateur du mouvement « Jeune Europe », en distribuant un autre pamphlet, intitulé, lui, « Haut les mains ! ». En 1973, Eemans intente un procès, qu’il perdra, à Marcel Mariën qui, à son tour, pour participer allègrement à la curée et traduire dans la réalité bruxelloise les principes de la « révolution culturelle » maoïste qu’il admirait, avait rappelé le « passé incivique » de Marc. Eemans. L’avocat de Mariën était Paul Gutt. En 1979, dans son livre sur le surréalisme belge, qui fait toujours référence, Marcel Mariën, pour se venger, exclut totalement le nom de Marc. Eemans de son gros volume mais encourt simultanément, mais pour d’autres motifs, la colère de Georgette Magritte et d’Irène Hamoir, ancienne amie d’Eemans et veuve du surréaliste « marxiste pro-albanais » (poncif !) Louis Scutenaire. Marcel Mariën ne s’en prenait pas qu’à Eemans quand il évoquait l’époque de la seconde occupation allemande : dans ses souvenirs, publiés en 1983 sous le titre de « Radeau de la mémoire », il accuse Magritte d’avoir fabriqué dans ses caves de faux Braque et de faux Picasso, « pour faire bouillir la marmite »…. ! Plus tard, en 1991, le provocateur patenté Jan Bucquoy brûlera une peinture de Magritte lors d’un « happening », pour fustiger le culte, à son avis trop officiel, que lui voue la culture dominante en Belgique. On le voit : le petit monde du surréalisme en Belgique a été une véritable pétaudière, un « panier à crabes », disait Eemans, qui ne cessait de s’en gausser. 

 

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Q. : Mais existe-t-il une postérité « eemansienne » ? Que reste-t-il de ce travail effectué avant et après la création du « Centro Studi Evoliani » de Bruxelles ?

 

RS : Eemans était désabusé, en dépit de sa joie de vivre. Il était un véritable pessimiste : joyeux dans la vie quotidienne mais sans illusion sur le genre humain. Cette posture s’explique aisément en ce qui le concerne : ses efforts d’avant-guerre pour réanimer une mystique flamando-rhénane, pour réinjecter de l’Amour selon Dante dans le monde, pour faire retenir les leçons de Sohrawardi le Perse, n’ont été suivi d’aucuns effets immédiats. De bons travaux ont été indubitablement réalisés par quantité de savants sur ces thématiques, qui lui furent chères, mais seulement, hélas, au soir de sa vie, sans qu’il ait pu prendre connaissance de leur existence, ou après sa mort, survenue le 28 juillet 1998. L’assassinat par les services belges de son ami René Baert, dans les faubourgs de Berlin fin 1945, l’a profondément affecté : il en parlait toujours avec un immense chagrin au fond de la gorge. Un embastillement temporaire et des interdictions professionnelles ont mis un terme à l’œuvre d’Elsa Darciel, qui n’aurait plus suscité le moindre intérêt après guerre, comme tout ce qui relève de la matière de Bourgogne (à la notable exception du magnifique « Je soussigné, Charles le Téméraire, Duc de Bourgogne » de Gaston Compère). Eemans s’est plongé dans son travail d’encyclopédiste de l’histoire de l’art en Belgique et dans « Fantasmagie », terrains jugés « neutres ». Ces territoires, certes fascinants, ne permettaient pas, du moins de manière directe, de bousculer les torpeurs et les enlisements dans lesquels végétaient les provinces flamandes et romanes de Belgique. Car on sentait bien qu’Eemans voulait bousculer, que « bousculer » était son option première et dernière depuis les journées folles du dadaïsme et du surréalisme jusqu’aux soirées plus feutrées (mais nettement moins intéressantes, époque de médiocrité oblige…) organisées par le « Centro Studi Evoliani ». Eemans avait en effet bousculé la bien-pensance comme les garçons de son époque, avec les foucades dadaïstes et surréalistes, auxquelles Evola lui-même avait participé en Italie. Comme Evola, il a cherché une façon plus solide de bousculer les fadeurs du monde moderne : pour Evola, ce furent successivement le recours à l’Inde traditionnelle (Doctrine de l’Eveil, Yoga tantrique, etc.) et au Tao Te King chinois ; pour Eemans, ce fut le recours à la mystique flamando-rhénane, destinée à secouer le bourgeoisisme matérialiste belge, qui n’avait pas voulu entendre les admonestations de ses écrivains et poètes d’avant 1914, comme Camille Lemonnier ou Georges Eeckhoud, et s’était empressé d’abattre bon nombre de joyaux de l’architecture « Art Nouveau » d’Horta et de ses disciples, jugeant leurs audaces créatrices peu pratiques et trop onéreuses à entretenir ! Eemans aimait dire qu’il était le véritable disciple d’André Breton, dans la mesure où celui-ci avait un jour déclaré qu’il fallait s’allier, si l’opportunité se présentait, « avec le Dalaï Lama contre l’Occident ». Pour Evola comme pour Eemans, on peut affirmer, sans trop de risque d’erreur, que le « Dalaï Lama » évoqué par Breton, n’est rien d’autre qu’une métaphore pour exprimer nostalgie et admiration pour les valeurs anté-modernes, donc non occidentales, non matérialistes, qu’il convenait d’étudier, de faire revivre dans l’âme des intellectuels et des poètes les plus audacieux.

 

Le « Centro Studi Evoliani » : la déception

 

Une fois son travail d’encyclopédiste achevé auprès de l’éditeur Meddens, Eemans voulait renouer avec cette audace du « bousculeur » dadaïste, en s’arc-boutant sur le terrain d’action prestigieux que constituait l’espace de réflexion évolien, et en provoquant les contemporains en reliant à l’évolisme de la fin des années 70 ses propres recherches entreprises dans les années 30 et pendant la seconde guerre mondiale. Il a été déçu. Et a exprimé cette déception dans l’entretien qu’il nous a accordé, je veux dire à Koenraad Logghe et à moi-même (et que l’on peut lire un peu partout sur l’Internet, notamment sur http://euro-synergies.hautetfort.com et sur http://www.centrostudilaruna.it , le site du Dr. Alberto Lombardo). Pourquoi cette déception ? D’une part, parce que la jeune génération ne connaissait plus rien des enthousiasmes d’avant-guerre, ne faisait pas le lien entre les avant-gardes des années 20 et le recours d’Evola, Guénon, Corbin, Eemans, etc. à la « Tradition », n’avait reçu dans le cadre de sa formation scolaire aucun indice capable de l’éveiller à ces problématiques ; d’autre part, l’espace ténu des évoliens était dans le collimateur de la nouvelle bien-pensance gauchiste, qui étrillait aussi Eemans quand elle le pouvait (alors qu’on lui avait foutu royalement la paix dans les années 50 et 60). Etre dans le collimateur de ces gens-là peut être une bonne chose, être indice de valeur face aux zélotes furieux qui propagent toutes les « anti-valeurs » possibles et imaginables mais cela peut aussi conduire à attirer vers les cercles évoliens des personnalités instables, politisées, simplificatrices, que la complexité des questions soulevées rebute et lasse. En outre, toute une propagande médiatisée a diffusé dans la société une fausse « spiritualité de bazar », où l’on mêle allègrement toute une série d’ingrédients comme le bouddhisme californien, la cruauté gratuite, le nazisme tapageur, l’occultisme frelaté, le monachisme tibétain, la runologie spéculative, etc. pour créer des espaces de relégation vers lesquelles on houspille trublions et psychopathes, les rendant ainsi aisément identifiables, criminalisables ou, pire encore, dont on peut se gausser à loisir (exemple : « extrême-droite » = « extrême-druides », intitulé tapageur d’une émission de la RTBF). Sans compter les agents provocateurs de tous poils qui font occasionnellement irruption dans les cercles non-conformistes et cherchent à prouver qu’on est en train de ressusciter des « ordres occultes », préparant le retour de la « bête immonde ».

 

Eemans, âgé de 71 ans quand il lance le « Centro Studi Evoliani » de Bruxelles, n’avait nulle envie de répéter à satiété le récit des phases de son itinéraire antérieur face à un public disparate qui était incapable de faire le lien entre monde des arts et écrits traditionalistes ; ensuite, lui qui avait connu une revue de qualité dans le cadre du « national-socialisme » des années 40, comme « Hammer », n’avait nulle envie d’inclure dans ses préoccupations les fabrications anglo-saxonnes qui lancent dans le commerce sordide des marottes soi-disant « transgressives » un « occultisme naziste de Prisunic ». Il a décidé de mettre un terme aux activités du « Centro Studi Evoliani », car celui-ci ne pouvait pas, via l’angle évolien, ressusciter l’esprit d’ « Hermès », faute d’intéressés compétents. Une « Fondation Marc. Eemans » prendra le relais à partir de 1982, dirigée par Jan Améry. Elle existe toujours et est désormais relayée par un site basé aux Pays-Bas (http://marceemans.wordpress.com/), qui affiche les textes d’Eemans et sur Eemans dans leur langue originale (français et néerlandais). Au début des années 80, toutes mes énergies ont été consacrées à la nouvelle antenne néo-droitiste « EROE » (« Etudes, Recherches et Orientations Européennes »), fondée par Jean van der Taelen, Guibert de Villenfagne de Sorinnes et moi-même en octobre 1983, quasiment le lendemain de ma démobilisation (2 août), de mon premier mariage (25 août & 3 septembre) et de la défense de mon mémoire (vers le 10 septembre). 

 

La réception d’Evola en pays flamand est surtout due aux efforts des frères Logghe : Peter Wim, l’aîné, et Koenraad, le cadet. Peter Wim Logghe, au départ juriste dans une compagnie d’assurances, a fait connaître, de manière succincte et didactique, l’œuvre d’Evola dans plusieurs organes de presse néerlandophones, dont « Teksten, Kommentaren en Studies », l’organe du GRECE néo-droitiste en Flandre, et a traduit « Orientations » en néerlandais (pour le « Centro Studi Evoliani » d’Eemans). Koenraad Logghe, pour sa part, créera en Flandre un véritable mouvement traditionnel, au départ de sa première revue, « Mjöllnir », organe d’un « Orde der Eeuwige Werderkeer » (OEW) ou « Ordre de l’Eternel Retour ». Allègre et rigoureuse, païenne dans ses intentions sans verser dans un paganisme caricatural et superficiel, cette publication, artisanale faute de moyens financiers, mérite qu’on s’y arrête, qu’on l’étudie sous tous ses aspects, sous l’angle de tous les thèmes et figures abordés (essentiellement le domaine germanique/scandinave, l’Edda, Beowulf, etc. , dans la ligne de « Hamer » et du grand philologue néerlandais Jan de Vries ; une seule étude sur Evola y a été publiée dans les années 1983-85, sur « Ur & Krur » par Manfred van Oudenhove). Koenraad Logghe fondera ensuite le groupe « Traditie », suite logique de son OEW, avant de s’en éloigner et de poursuivre ses recherches en solitaire, couplant l’héritage traditionnel de Guénon essentiellement, à celui du Néerlandais Farwerck et aux recherches sur la symbolique des objets quotidiens, des décorations architecturales, des pierres tombales, etc., une science qui avait intéressé Eemans dans le cadre de la revue « Hamer », dont les thèmes ne seront nullement rejetés aux Pays-Bas et en Flandre après 1945 : de nouvelles équipes universitaires, formées au départ par les rédacteurs de « Hamer » continuent leurs recherches. Dans ce contexte, Koenraad Logghe publiera plusieurs ouvrages sur cette symbolique du quotidien, qui feront tous autorité dans l’espace linguistique néerlandais.

 

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Eemans participera également à la revue « Antaios » que Christopher Gérard avait créée au début des années 90. Il avait repris le titre d’une revue fondée par Ernst Jünger et Mircea Eliade en 1958. Gérard bénéficiait de l’accord écrit d’Ernst Jünger et en était très fier et très reconnaissant. Lors de la fondation de l’ « Antaios » de Jünger et Eliade, ceux-ci avaient demandé la collaboration d’Eemans : il avait cependant décliné leur offre parce qu’il était submergé de travail. Dommage : la thématique de la mystique flamando-rhénane aurait trouvé dans la revue patronnée par l’éditeur Klett une tribune digne de son importance. Eemans écrivait parfaitement le français et le néerlandais mais non l’allemand. J’ai toujours supposé qu’il n’aurait pas aimé être trahi en étant traduit. C’est donc dans la revue « Antaios » de Christopher Gérard, publiée à Bruxelles/Ixelles, à un jet de pierre de son domicile, qu’Eemans publiera ses derniers textes, sans faiblir ni faillir malgré le poids des ans, jusqu’en ce jour fatidique de la fin juillet 1998, où la Grande Faucheuse l’a emporté.

 

Personnellement, je n’ai pas suivi un itinéraire strictement évolien après la dissolution du « Centro Studi Evoliani », dans la première moitié des années 80. Eemans m’en a un peu voulu, beaucoup au début des années 80, moins ultérieurement, et finalement, la réconciliation définitive est venue en deux temps : lors de la venue à Bruxelles de Philippe Baillet (pour une conférence à la tribune de l’EROE, chez Jean van der Taelen) puis lorsqu’il m’a invité à des vernissages, surtout celui qui fut suivi d’une magnifique soirée d’hommage, avec dîner somptueux fourni par l’édilité locale, que lui organisa sa ville natale de Termonde (Dendermonde) à l’occasion de ses 85 ans (en 1992). Pourquoi cette animosité passagère à mon égard ? Début 1981, a eu lieu à Bruxelles une conférence sur les thèmes de la défense de l’Europe, organisée conjointement par Georges Hupin (pour le GRECE-Belgique) et par Rogelio Pete (pour le compte d’une structure plus légère et plus éphémère, l’IEPI ou « Institut Européen de Politique Internationale »).

 

La rencontre Eemans/de Benoist

 

En marge de cette initiative, où plusieurs personnalités prirent la parole, dont Alain de Benoist, l’excellent et regretté Julien Freund, le Général Robert Close (du Corps des blindés belges stationnés en RFA), le Colonel Marc Geneste (l’homme de la « bombe à neutrons » au sein de l’armée française), le Général Pierre M. Gallois et le Dr. Saul Van Campen (Directeur du cabinet du Secrétaire Général de l’OTAN), j’avais vaguement organisé, en donnant deux ou trois brefs coups de fil, une rencontre entre Marc. Eemans et Alain de Benoist dans les locaux de la Librairie de Rome, dans le goulot de l’Avenue Louise, à Bruxelles, sans pouvoir y être présent moi-même (3). Visiblement, l’intention d’Eemans était de se servir de la revue d’Alain de Benoist, « Nouvelle école », dont j’étais devenu le secrétaire de rédaction, pour relancer les thématiques d’ « Hermès ». A l’époque, malgré quelques rares velléités évoliennes, Alain de Benoist n’était guère branché sur les thématiques traditionalistes ; il snobait délibérément Georges Gondinet, qualifié de « petit con qui nous insulte » (remarquez le « pluriel majestatif »…), tout simplement parce que le directeur de « Totalité » avait couché sur le papier quelques doutes quant à la pertinence métapolitique des écrits du « Pape » de la ND, marqués, selon le futur directeur des éditions Pardès, de « darwinisme ». De Benoist reprochait surtout à Gondinet et à son équipe la parution du n°11 de « Totalité », un dossier intitulé « La Nouvelle Droite du point de vue de la Tradition ». De Benoist, qui a certes eu des dadas darwiniens, sortait plutôt d’un « trip » empiriste logique, de facture anglo-saxonne et « russellienne », dont on ne saisit guère l’intérêt au vu de ses errements ultérieurs. Il tâtait maladroitement du Heidegger et voulait écrire sur le philosophe souabe un article qui attesterait de son génie dans toutes les Gaules (on attend toujours ce maître article promis sur le rapport Heidegger/Hölderlin… est germanomane par coquetterie parisienne qui veut, n’est pas germaniste de haut vol qui le prétend…). Sur les avant-gardes dadaïstes et surréalistes, de Benoist ne connaissait rien et classait tout cela, bon an mal an, dans des concepts généraux, dépréciatifs et fourre-tout, tels ceux de l’ « art dégénéré » ou du « gauchisme subversif », car, en cette époque bénie (pour lui et son escarcelle) où il oeuvrait au « Figaro Magazine », le sieur de Benoist se targuait d’appartenir à une bonne bourgeoisie installée, inculte et hostile à toute forme de nouveauté radicale, comme il se targue aujourd’hui d’appartenir à un filon gauchiste, inspiré par le Suisse Jean Ziegler, un filon tout aussi rétif à de la véritable innovation car, selon ses tenants et thuriféraires, il faut demeurer dans la jactance contestatrice habituelle des années 60 (comme certains surréalistes se complaisaient dans la jactance communisante des années 30 et n’entendaient pas en sortir).

 

En ce jour de mars 1981 donc, Alain de Benoist dédicaçait ses livres dans la Librairie de Rome et Eemans s’y est rendu, joyeux, débonnaire, chaleureux et enthousiaste, à la mode flamande, sans doute après un repas copieux et bien arrosé ou après quelques bon hanaps de « Duvel » : on est au pays des « noces paysannes » de Breughel, du « roi boit » de Jordaens et des plantureuses inspiratrices de Rubens ou on ne l’est pas ! Cette truculence a déplu au « Pape » de la « nouvelle droite », qui prenait souvent, à cette époque qui a constitué le faîte de sa gloire, les airs hautains du pisse-vinaigre parisien (nous dirions de la « Moeijer snoeijfdüüs »), se prétendant détenteur des vérités ultimes qui allaient sauver l’univers du désastre imminent qui l’attendait au tout prochain tournant. Pour de Benoist, la truculence breughelienne d’Eemans était indice de « folie ». Les airs hautains du Parisien, vêtu ce jour-là d’un affreux costume de velours mauve, sale et tout fripé, du plus parfait mauvais goût, étaient, pour le surréaliste flamand, indices d’incivilité, de fatuité et d’ignorance. Bref, la mayonnaise n’a pas pris : on ne marie pas aisément la joie de vivre et la sinistrose. Le courant n’est pas passé entre les deux hommes, éclipsant du même coup, et pour toujours, les potentialités immenses d’une éventuelle collaboration, qui aurait pu approfondir considérablement les recherches du mouvement néo-droitiste, vu que la postérité d’ « Hermès » débouche, entre bien d’autres choses, sur les activités de « Religiologiques » de Gilbert Durand ou sur les travaux d’Henri Corbin sur l’islam persan, et surtout qu’elle aurait pu démarrer tout de suite après l’écoeurante éviction de Giorgio Locchi, germaniste et musicologue, qui avait donné à « Nouvelle école » son lustre initial, éviction qu’Eemans ignorait : les arts et la musique ont de fait été quasiment absents des spéculations néo-droitistes qui ont vite viré au parisianisme jargonnant et « sociologisant » (dixit feu Jean Parvulesco), surtout après la constitution du tandem de Benoist/Champetier à la veille des années 90, tandem qui durera un peu moins d’une douzaine d’années.

 

La brève entrevue entre le « Pape » de la « nouvelle droite » et Eemans, à la « Librairie de Rome » de Bruxelles, n’a donc rien donné : un nouveau dépit pour notre surréaliste de Termonde, qui, une fois de plus, s’est heurté à des limites, à des lacunes, à une incapacité de clairvoyance, de lungimiranza, chez un individu qui s’affichait alors comme le grand messie de la culture refoulée. Cela a dû rappeler à notre peintre l’incompréhension des surréalistes bruxellois devant son exposé sur Sœur Hadewych…

 

Eemans m’en a voulu d’être parti, quelques jours plus tard, à Paris pour prendre mon poste de « secrétaire de rédaction » de « Nouvelle école ». Eemans jugeait sans doute que l’ambiance de Paris, vu le comportement malgracieux d’Alain de Benoist, n’était pas propice à la réception de thèmes propres à nos Pays-Bas ou à l’histoire de l’art et des avant-gardes ou encore aux mystiques médiévale et persane ; sans doute a-t-il cru que j’avais mal préparé la rencontre avec le « Pape » de la « nouvelle droite », qu’en ‘audience’ je ne lui avais pas assez parlé d’ « Hermès » ; quoi qu’il en soit, pour l’incapacité à réceptionner de manière un tant soit peu intelligente les thématiques chères à Eemans, notre surréaliste réprouvé avait raison : de Benoist se targue d’être une sorte d’Encyclopaedia Britannica sur pattes, en chair (flasque) et en os, mais il existe force thématiques qu’il ne pige pas, auxquelles il n’entend strictement rien ; de plus, Eemans estimait que « monter à Paris » était le propre, comme il me l’a écrit, furieux, d’un « Rastignac aux petits pieds » : ma place, pour lui, était à Bruxelles, et non ailleurs. Mais, heureusement, mon escapade parisienne, dans l’antre du « snobinard tout en mauve », n’a duré que neuf mois. Revenu en terre brabançonne, je n’ai plus jamais ravivé l’ire d’Eemans. Et c’est juste, la sagesse populaire ne nous enseigne-t-elle pas « Oost West - Thuis best ! » ?

 

Vienne et Zürich/Frauenfeld

 

Ma première activité strictement évolienne date de 1998, année du décès de Marc. Eemans. Evola suscitait à l’époque de plus en plus d’intérêt en Allemagne et en Autriche, grâce, notamment, aux efforts du Dr. T. H. Hansen, traducteur et exégète du penseur traditionaliste. Du coup, toutes les antennes germanophones de « Synergies Européennes » voulaient marquer le coup et organiser séminaires et causeries pour le centième anniversaire de la naissance du Maître. Au printemps de 1998, j’ai donc été appelé à prononcer à Vienne, dans les locaux de la « Burschenschaft Olympia », une allocution en l’honneur du centenaire de la naissance d’Evola ; on avait choisi Vienne parce qu’Evola adorait cette capitale impériale et y avait reçu, en 1945, pendant le siège de la ville, l’épreuve doublement douloureuse de la blessure et de la paralysie : un mur s’est effondré, brisant définitivement la colonne vertébrale de Julius Evola. A Vienne, il y avait, à la tribune, le Dr. Luciano Arcella (qui a tracé des parallèles entre Spengler, Frobenius et Evola dans leurs critiques de l’Occident), Martin Schwarz (toujours animateur de sites traditionalistes avec connotation islamisante assez forte), Alexandre Miklos Barti (sur la renaissance évolienne en Hongrie) et moi-même. J’ai essentiellement mis l’accent sur l’idée-force d’ « homme différencié » et entamé une exploration, non encore achevée treize ans après, des textes d’Evola où celui-ci fut le principal « passeur » des idées de la « révolution conservatrice » allemande en Italie. Cette exploration m’a rendu conscient du rôle essentiel joué par les avant-gardes provocatrices des années 1905-1935 : il faut bien comprendre ce rôle clef pour saisir correctement toute approche de l’école traditionaliste, qui en procède tant par suite logique que par rejet. En effet, on ne peut comprendre Evola et Eemans que si l’on se plonge dans les vicissitudes de l’histoire du dadaïsme, du surréalisme et de ses avatars philosophiques non communisants en marge de Breton lui-même, et du vorticisme anglo-saxon. Les éditions « L’Age d’Homme » offrent une documentation extraordinaire sur ces thèmes, dont la revue « Mélusine » et quelques bons dossiers « H ». En 1999, à Zürich/Frauenfeld, j’ai prononcé à nouveau cette même allocution de Vienne, en y ajoutant combien la notion d’ « homme différencié », proche de celle d’ « anarque » chez Ernst Jünger, a été cardinale pour certains animateurs non gauchistes de la révolte étudiante italienne de 1968. En Italie, en effet, grâce à Evola, surtout à son « Chevaucher le Tigre », le mouvement contestataire n’a pas entièrement été sous la coupe des interprètes simplificateurs de l’ « Eros et la civilisation » d’Herbert Marcuse. Dans les legs diffus de cette révolte étudiante-là, on peut, aujourd’hui encore, aller chercher tous les ingrédients pratiques d’une révolte qui s’avèrerait bien vite plus profonde et plus efficace dans la lutte contre le système, une révolte efficace qui exaucerait sans doute au centuple les vœux de Tzara et de Breton…  

 

Deux mémoires universitaires ont été consacrés tout récemment en Flandre à Evola, celui de Peter Verheyen, qui expose un parallèle entre l’auteur flamand Ernest van der Hallen et Julius Evola, et celui de Frédéric Ranson, intitulé « Julius Evola als criticus van de moderne wereld » (4). Ranson prononce souvent des conférences en Flandre sur Julius Evola, au départ de son mémoire et de ses recherches ultérieures. En Wallonie, en Pays de Liège, l’homme qui poursuit une quête traditionnelle au sens où l’entendent les militants italiens depuis le début des années 50 ou dans le sillage de « Terza Posizione » de Gabriele Adinolfi est Philippe Banoy. La balle est désormais dans leur camp : ce sont eux les héritiers potentiels de Vercauteren et d’Eemans. Mais des héritiers qui errent dans un champ de ruines encore plus glauque qu’à la fin des années 70. Un monde où les dernières traces de l’arèté grec semblent avoir définitivement disparu, sur fond de partouze festiviste permanente, de niaiserie et d’hystérie médiatiques ambiantes et d’inculture généralisée.

 

Evola, Eemans et la plupart des traditionalistes historiques de leur époque sont morts. Jean Parvulesco vient de nous quitter en novembre 2010. Un mouvement authentiquement traditionaliste doit-il se complaire uniquement dans la commémoration ? Non. Le seul à avoir repris le flambeau, avec toute l’autonomie voulue, demeure un inconnu chez nous dans la plupart des milieux situés bon an mal an sur le point d’intersection entre militance politique et méditation métaphysique : je veux parler de l’Espagnol Antonio Medrano, perdu de vue depuis ses articles dans la revue « Totalité » de Georges Gondinet. Ce mois-ci, en me promenant pour la première fois de ma vie dans les rues de Madrid, je découvre une librairie à un jet de pierre de la Plaza Mayor et de la Puerta del Sol qui vendait un ouvrage assez récent de Medrano. Quelle surprise ! Il est consacré à la notion traditionnelle d’honneur. Et la jaquette mentionne plusieurs autres ouvrages d’aussi bonne tenue, tous aux thèmes pertinents (5). Aujourd’hui, il conviendrait de fonder un « Centre d’Etudes doctrinales Evola & Medrano », de manière à faire pont entre un ancêtre « en absence » et un contemporain, qui, dans le silence, édifie une œuvre qui, indubitablement, est la poursuite de la quête. 

 

MAUGIS-8251-1995-4.jpgEnfin, il ne faut pas oublier de mentionner qu’Eemans survit, sous la forme d’une figure romanesque, baptisée Arminius, dans le roman initiatique de Christopher Gérard (6), rédigé après l’abandon, que j’estime malheureux, de sa revue « Antaios ». Arminius/Eemans y est un mage réprouvé (« après les proscriptions qui ont suivi les grandes conflagrations européennes »), ostracisé, qui distille son savoir au sein d’une confrérie secrète, plutôt informelle, qui, à terme, se donne pour objectif de ré-enchanter le monde (couverture du livre de Christopher Gérard avec, pour illustration, le plus beau, le plus poignant des tableaux d'Eemans: le Pélerin de l'Absolu).

 

Pour conclure, je voudrais citer un extrait extrêmement significatif de la monographie que le Prof. Piet Tommissen a consacré à Marc. Eemans, extrait où il rappelait combien l’œuvre de Julius Langbehn avait marqué notre surréaliste de Termonde : « Au moment où il préparait son recueil ‘Het bestendig verbond’ en vue de publication, Eemans fit d’ailleurs la découverte, grâce à son ami le poète flamand Wies Moens, du livre posthume ‘Der Geist des Ganzen’ de Julius Langbehn (1851-1907) (…) Langbehn y analyse le concept de totalité à partir de la signification du mot grec ‘Katholon’. Selon lui, le ‘tout’ travaille en fonction des parties subordonnées et se manifeste en elles tandis que chaque partie travaille dans le cadre du ‘tout’ et n’existe qu’en fonction de lui. Le ‘mal’ est déviation, négation ou haine de la totalité organique dans l’homme et dans l’ordre temporel ; le ‘mal’ engendre la division et le désordre, aussi tout ce qui s’oppose à l’esprit de totalité crée tension et lutte. Pour que l’esprit de totalité règne, il faut que disparaisse la médiocrité intellectuelle car elle est le fruit d’hommes sans épine dorsale ou caractère et sans attaches avec la source de toute créativité qu’est la vie vraiment authentique de celui qui assume la totalité de sa condition humaine. Langbehn rappelle que les mots latins ‘vis’, ‘vir’ et ‘virtus’, soit force, homme et vertu, ont la même racine étymologique. Oui, l’homme vraiment homme est en même temps force et vertu, et tend ainsi vers le surhomme, par les voies d’un retour aux sources tel que l’entend le mythe d’Anthée ». Dans ces lignes, l’esprit averti repèrera bien des traces, bien des indices, bien des allusions…

 

(propos recueillis en avril et en mai 2011).

 

Bibliographie :

 

-          Gérard DUROZOI, Histoire du mouvement surréaliste, Hazan, Paris, 1997 (Eemans est totalement absent de ce volume).

-          Marc. EEMANS, La peinture moderne en Belgique, Meddens, Bruxelles, 1969.

-          Piet TOMMISSEN, Marc. Eemans – Un essai de biographie intellectuelle, suivi d’une esquisse de biographie spirituelle par Friedrich-Markus Huebner et d’une postface de Jean-Jacques Gaillard, Sodim, Bruxelles, 1980.

-          André VIELWAHR, S’affranchir des contradictions – André Breton de 1925 à 1930, L’Harmattan, Paris, 1998.

 

 

Notes :

 

(1)     Geert WARNAR, Ruusbroec – Literatuur en mystiek in de veertiende eeuw, Athenaeum/Polak & Van Gennep, Amsterdam, 2003 ; Paul VERDEYEN, Jan van Ruusbroec – Mystiek licht uit de Middeleeuwen, Davidsfonds, Leuven, 2003.

(2)     Jacqueline KELEN, Hadewych d’Anvers et la conquête de l’Amour lointain, Albin Michel, Paris, 2011. 

(3)     Mis à toutes les sauces, fort sollicité, j’ai également organisé ce jour-là un entretien entre Alain de Benoist et le regretté Alain Derriks, alors pigiste dans la revue du ministre Lucien Outers, « 4 millions 4 ». Soucieux de servir d’écho à tout ce qui se passait à Paris, le francophile caricatural qu’était Outers avait autorisé Derriks à prendre un interview du leader de la « Nouvelle Droite » qui faisait pas mal de potin dans la capitale française à l’époque. On illustra les deux ou trois pages de l’entretien d’une photo d’Alain de Benoist, les bajoues plus grassouillettes en ce temps-là et moins décharné qu’aujourd’hui (le « Fig Mag » payait mieux…), tirant goulument sur un long et gros cigare cubain.

(4)     Frederik RANSON, « Julius Evola als criticus van de moderne wereld », RUG/Gent ; promoteur : Prof. Dr. Rik Coolsaet – année académique 2009-2010 ; Peter VERHEYEN, « Geloof me, we zijn zat van deze beschaving » - de performatieve cultuurkritiek van Ernest van der Hallen en Julius Evola tijdens het interbellum », RUG/Gent ; promoteur : Rajesh Heynick – année académique 2009-2010.

(5)     Le livre découvert à Madrid est : Antonio Medrano, La Senda del Honor, Yatay, Madrid, 2002. Parmi les livres mentionnés sur la jaquette, citons : La lucha con el dragon (sur le mythe universel de la lutte contre le dragon), La via de la accion, Sabiduria activa, Magia y Misterio del Liderazgo – El Arte de vivir en un mondi en crisis, La vida como empressa, tous parus chez les même éditeur : Yatay Ediciones, Apartado 252, E-28.220 Majadahonda (Madrid) ; tél. : 91.633.37.52. La librairie de Madrid que j’ai visitée : Gabriel Molina – Libros antiguos y modernos – Historia Militar, Travesia del Arenal 1, E-28.013 Madrid – Tél/Fax : 91.366.44.43 – libreriamolina@yahoo.es . 

(6)     Christopher GERARD, Le songe d’Empédocle, L’Age d’Homme, Lausanne, 2003. 

          

mardi, 08 mars 2011

Het geheim der Perseïden

Het geheim der Perseïden

hermes.jpgIn het slotartikel van ‘Het cultureel leven tijdens de bezetting’ (Diogenes, nr. 1-2, nov. ’90, blz. 57), schreef onze vriend Henri-Floris Jespers dat ik in het interview van de Heer Van de Vijvere te voorschijn gekomen was als een ‘ijverige en openlijke ultra’ (sic!). Niets is minder waar. Ik een ‘ultra’? Ik wens dit hier, zo mogelijk, te weerleggen. Eerst en vooral: in een passage van zijn artikel onderstreept H.F. Jespers dat werken van zijn grootvader Floris Jespers door de Brusselse Propaganda-Abteilung, niettegenstaande haar mild standpunt tegenover de zogenaamde Belgische ‘entartete Kunst’ gecensureerd werden. En hij citeert: ‘Joods meisje’ en ‘Joodse Bruiloft’. Dergelijke titels zijn, helaas, te beschouwen als naïeve provocatie! Hadden beide werken als titel meegekregen ‘Antwerps meisje’ en ‘Antwerpse bruiloft’, zou de Propaganda-Abteilung er voorzeker geen graten in gezien hebben… Laten we niet vergeten dat nazi-idioten onze grote Rembrandt als ‘entartet’ beschouwden omdat hij o.m. ‘Het Joods bruidje’ geschilderd heeft, alsmede portretten van rabbijnen die in de buurt van zijn Jodenbreestraat rondliepen in schilderachtige Oosterse gewaden… De heren van de Brusselse Propaganda-Abteilung, het dient gezegd te worden, interesseerden zich meer voor ‘wijntje en Trijntje’ dan aan censuur! Anderzijds heeft grootvader Jespers toch in Nazi-Duitsland tentoongesteld met de meeste Vlaamse expressionisten. Dit echter met eerder brave werken die de naam hadden te behoren tot een nieuwe strekking in de Belgische kunst, namelijk het ‘animisme’. Onder het mom van ‘Heimatkunst’ heeft Floris Jespers gedurende de bezettingsjaren Ardense landschappen geschilderd waar ik onlangs nog een prachtig staaltje van gezien heb in het Osterriethhuis, aan de Meir, te Antwerpen. Zelfs een Magritte heeft zich aan de nazi-bezetter trachten aan te passen met zijn ‘surrealisme en plein soleil’, dat Andre Breton achteraf als ‘surrealisme cousu de fil blanc’ bestempeld heeft, terwijl ikzelf gedurende die bezetting als echte surrealist, als ‘Entart’ verketterd werd!

***

Doch, laten we overgaan naar ‘het geheim der Perseïden’! Perseiden? Een geheim genootschap of eerder een vriendenkring van schrijvers, musici en vooral kunsthistorici die zich als ‘Groot-Nederlanders’ of ‘Dietsers’ aanstelden, en de roem van de ‘Groot-Nederlandse cultuur’ verdedigden en wensten te verspreiden, zelfs onder nazi-bezetting, die ‘Groot-Nederland’ als een onverdedigbare en voorbijgestreefde utopie beschouwde. Laat ons niet vergeten dat er tussen Vlaanderen en Nederland teen een haast onoverschrijdbare ‘Chinese muur!’ bestond, een echte ‘muur van de schande’, en toch werd die muur overschreden, namelijk door uw dienaar, de zogezegde ‘ultra’ Marc. Eemans. Maar van waar die Perseïdenaam? Laat ons gerust opklimmen tot de 16de en de 17de eeuw, toen de kloof tussen Noord en Zuid in de Nederlanden ontstaan is. Toen is er een wellicht eveneens geheim genootschap gesticht, dat naar rederijkersgewoonten een naam meekreeg ontleend aan de klassieke Oudheid, en de keuze viel op de held Perseus die Andromeda gered heeft. In rederijkerstaal was de arme, gekluisterde Andromeda het symbool van de verscheurde Nederlanden… Een van de topfiguren van dit geheim genootschap moet Petrus-Paulus Rubens geweest zijn, de hofschilder der aartshertogen Albert en Isabella, doch tevens een halfbroer van een prinses van Nassau, geboren uit overspel van de vader van Rubens met prinses Anna van Saksen, echtgenote van Willem de Zwijger.

Hier komt nu de spilfiguur van Dr Juliane Gabriëls op de voorgrond van de moderne ‘Perseiden’. Vriendin Juliane, een thans helaas haast vergeten topfiguur uit het Vlaamse cultureel leven in de eerste helft van onze eeuw, werd te Gent geboren in een francofone orangistische familie . Ze studeerde geneeskunde aan de Vrije Universiteit Brussel en werd de eerste vrouwelijke neuroloog dezer instelling, dit circa 1910, zo ik me niet vergis. Gedurende de Eerste Wereldoorlog werd ze docent aan de toen vervlaamste Universiteit van Gent, en werd ze in 1918, als zoveel andere ‘aktivisten’, vervolgd door het Belgische gerecht.

In de diaspora der vervolgde flaminganten belandde ze te Berlijn, waar ze o.m. bevriend werd met de eveneens uitgeweken jonge dichter Paul van Ostaijen en, zo men haar mag geloven, ontmoette ze hem geregeld in de lift van een groot Berlijns hotel, die hij bediende in een rood uniformpje in de trant van ‘le chasseur de chez ‘Maxim”…

Te Berlijn trad Juliane Gabriëls in de echt met de Duitse kunsthistoricus Dr Martin Konrad, de medewerker, onder de leiding van Dr Paul Clemens, van het verzamelwerk ‘Belgische Kunstdenkmäler. (Verlag F. Bruckmann A.G., München, 1923). Het werd voor Juliane Gabriels het begin van haar tweede roeping. Ze promoveerde toen te Berlijn tot doctor in de kunstgeschiedenis met een studie over ‘Artus Quellien, de Oude, Kunstryck Belthouwer’ (Uitg. ‘De Sikkel’, Antwerpen, 1930), met de beroemde Duitse kunsthistoricus A.E. Brinckmann als promotor.

Juliane Gabriëls vertoefde echter niet lang te Berlijn en ging zich te Blaricum, aan de Zuiderzee vestigen, waar ze de geboorte van het Vlaamse expressionisme meemaakte, met haar vrienden Gust en Gusta de Smet, Fritz van den Berghe, Jozef Canrre en het koppel Lucien Brulez-Mavromati, zonder de dichter Rene De Clercq te vergeten. Een herinnering aan dit ballingschapsoord is het ‘Portret van mevrouw G.’, geschilderd door Fritz van den Berghe.

Terug in het vaderland, vestigde Juliane Gabriëls zich te Antwerpen, in de Osijstraat, waar ze een dokterscabinet opende en een salon hield waar talloze Vlaamse en Noord-Nederlandse prominenten graag geziene gasten werden.

In dit salon is een haard van Vlaams culturele  initiatieven ontstaan. Laat ons hier slechts vermelden: ‘Geschiedenis van de Vlaamsche kunst’ onder leiding van Prof. Dr Ir Stan Leurs (uitgeverij De Sikkel, Antwerpen, z.d.); stichting van de ‘Vlaamse Toeristenbond’, onder voorzitterschap van dezelfde Prof. Dr Ir Stan Leurs; stichting van een Vlaamse Akademie van de zeevaart; stichting van het ‘Busleyden-instituut’, onder voorzitterschap van de Noord-Nederlandse Prof. Dr G.J. Hoogewerff, voor de studie van de Groot –Nederlandse kunstgeschiedenis, enz.

Ik heb Juliane Gabriëls slechts twee dagen voor de inval van de Duitse legers in Belgie leren kennen. Bij een luchtaanval op Antwerpen, in mei 1940, werd haar huis in de Osijstraat door een bom getroffen en is ze een onderkomen te Brussel komen zoeken, hetgeen de aanleiding werd voor een meer uitgebreide kennismaking en de ontdekking van dezelfde interesse voor de Groot-Nederlandse idealen zowel op het gebied van de kunst als op dat van de Dietse belangen, zowel cultureel als politiek.

Groot was onze hoop toen we vernamen dat het gebied waarover de Duitse ‘Militärverwaltung’ zich uitstrekte tot aan de Somme reikte, dit is tot aan de zuidelijke grens van de aloude XVII Provincies; doch even groot werd onze teleurstelling toen we moesten vaststellen dat Noord-Nederland onder een ‘Zivilverwaltung’ viel en van Zuid-Nederland door een echte Chinese muur gescheiden werd. Onze sympathie voor de ‘Mythos van de XXe eeuw’ ten spijt, bracht dit ons, Juliane Gabriëls en mezelf, en onze gelijkgeoriënteerde vrienden, tot een eerder terughoudende gezindheid tegenover de bezetter. Dit belette echter niet, voor de meeste onder ons, een kollaboratie met voorbehoud.

Ikzelf, werkloos geworden door de oorlogsomstandigheden, ben aldus om den brode een vrije medewerker geworden aan allerlei zowel franstalige als nederlandstalige bladen en tijdschriften behorende tot de verscheidene strekkingen van de kollaboratie, dit echter op uitsluitend cultureel vlak, want politiek was me uit den boze… De Realpolitik van de bezetter was eerder dubbelzinnig en onaanvaardbaar wat ons Diets ideaal betrof. Ik heb trouwens eens gezegd aan Dr Jef van de Wiele, de leider van de Devlag en auteur van het boek ‘Op zoek naar een vaderland’, dat hij niet een lands-, maar een volksverrader was…

Zonder aan ‘weerstand’ te denken, hebben Juliane Gabriëls en onze Dietsgezinde vriende aan ‘weerstand’ gedaan onder het motto ‘onverfranst, onverduitst’. Maar hoe? Op allerlei wijzen, middels contacten met nietnazi-gezinde Duitse vrienden waaronder, o .m. de Brusselse leden van de Propaganda-Abteilung. Vandaar de milde houding van deze heren wat betreft de toepassing in Vlaanderen van de ‘entartete Kunstpolitik’ .

Ons Groot-Nederlands ideaal was anderzijds, hoe paradoksaal het ook moge klinken, gediend door een door ‘Ahnenerbe’, het wetenschappelijk organisme van de SS, gestichte uitgeverij geheten ‘De Burcht’. De zetel van deze uitgeverij werd aldus het ontmoetingscentrum van de ‘Perseïden’ en de haard van talrijke Groot-Nederlandse uitgaven, o.m. het maandblad ‘Hamer’ en het tijdschrift ‘Groot-Nederland’, waar zowel Noord-Nederlandse als Zuid-Nederlandse schrijvers regelmatig aan meegewerkt hebben.

Er waren verder nog andere mogelijkheden door andere uitgeverijen geboden. Zo is het dat bij De Sikkel een boek van Juliane Gabriëls en Adriaan Mertens in 1941 verschenen is, gewijd aan ‘De constanten in de Vlaamse kunst’, en van mezelf, bij de uitgever Juliaan Bernaerts (hij was eveneens de directeur van ‘De Burcht’) een kleine monografie over ‘De Vroeg-Nederlandse schilderkunst’ (Kleine Beer-reeks nr. 10 van de uitgeverij ‘De Phalanx’). Onze thans té vergeten vriend Urbain Van de Voorde publiceerde anderzijds bij een uitgeverij van het VNV een uitstekend overzicht van de schilderkunst der Nederlanden, dat vooral de nadruk legde op de eenheid van de zogeziene of zogenaamde ‘Vlaamse’ en ‘Hollandse’ schilderkunst, niettegenstaande de politieke verscheurdheid van ons gemeenschappelijk vaderland. Van dit boek bestaat een tot hiertoe onuitgegeven Franse vertaling. Anderzijds heb ik toen een uitvoerig, nog steeds onuitgegeven, essay in het Frans gewijd aan de Nederlandse poëzie (Noord en Zuid), vanaf de Middeleeuwen tot het midden van onze eeuw. Het draagt voor de ‘Perseïden’ de veel betekenende poëtische titel ‘Andromède révélée’.

Van een Duitse kunsthistoricus, de in Amsterdam vertoevende Friedrich-Markus Huebner, vertaalde ik verder een boek gewijd aan Jeroen Bosch dat na de oorlog, dank zij mij, nog een Franse vertaling kende onder de titel ‘Le mystere Jerome Bosch’ (uitgeverij Meddens, Brussel). Laat me er nog aan toevoegen dat ik eveneens de auteur ben (onder een deknaam!) van een boek gewijd aan ‘De Vlaamse Krijgsbouwkunde’ (Frans Vlaanderen inbegrepen), gedeeltelijk geschreven gedurende de Duitse bezetting (Drukkerij-Uitgeverij Lannoo, Tielt, 1950).

Met de bedoeling de nadruk te leggen op de voorrang van de Nederlandse op de Italiaanse kunst, gaf Juliane Gabriëls een lezing in het ‘Italiaans Instituut’ van de Livornostraat te Brussel, waarin ze betoogde dat de Renaissance niet in ltalië, doch in de Nederlanden was ontstaan met een Claus Sluter en een Jan van Eyck als boegbeelden. Na de lezing had een kleine ontvangst in de ‘dopo lavoro’ van het Instituut plaats. Bij het drinken van een uitstekende ‘chianti’ (toen een rariteit), werd een woordje gezegd ter ere van de Duce en van de leider Staf De Clercq, waarop een toevallig aanwezige Duitse SS-man, Unterscharführer Heinz Wilke, eveneens een woordje ter ere van zijn Führer wenste te zeggen. Het woord werd hem echter geweigerd omdat het voor ons uitsluitend ging om een Italiaans-Vlaamse verbroederingsavond. Heinz Wilke liep woedend weg en diende tegen ons een klacht in bij de S.D. met diplomatieke verwikkelingen tussen Brussel, Berlijn en Rome. Gelukkig genoeg voor ons, kwam de topfiguur van de SS in Belgie ons ter hulp en bleef de klacht bij de S.D. ten slotte zonder gevolg, zoniet waren Juliane Gabriëls en haar vrienden in een Duits concentratiekamp beland… Achteraf, na de val van de Duce, bleek de directeur van het ‘Italiaans Instituut’ te Brussel een Italiaanse verzetsman te zijn…

Een ander, eerder onschuldig exploot van de ‘Perseïden’ ten gunste van de Nederlandse kunstgeschiedenis, was de officiële ontvangst door het ‘Busleydeninstituut’, op het Mechelse stadhuis, van Prof. Dr Hans Gerard Evers ter gelegenheid van het verschijnen van zijn boek gewijd aan Peter Paul Rubens (Verlag F. Bruckmann, München, 1942). Het werd een heuglijke gebeurtenis met een ‘congratulatio’ van Juliane Gabriels, een dankwoord van Prof. Evers en de overhandiging van een erediploma aan de Duitse kunstgeleerde, dit in aanwezigheid van leden van het ‘Deutsches Institut’ te Brussel, waaronder weinig of geen Nazi-Iui, doch mooie jonge vrouwen, want vrouwelijk schoon heeft steeds de ‘Perseïden’ gesierd…

Een ‘Perseïde’ van over de ‘schreve’ was de Frans-Vlaamse priester Gantois, een persoonlijke vriend van de niet-katholieke Juliane Gabriëls, die reeds in het begin van de bezetting onder een deknaam een studie gewijd had aan het toen aktuele onderwerp ‘tot waar strekken zich de Nederlanden in Frankrijk uit?’ Natuurlijk tot aan de Somme! Ik licht hierbij dan uit mijn bibliotheek een vijfdelig boek uit de 18e eeuw (met een ‘imprimatur’ van 24 juni 1768) dat heet ‘Les delices des Pays-Bas ou description geographique et historique des XVII. Provinces Belgiques’, met een ‘Descriptio particuliere du Duche de Brabant et du Brabant Wallon’ .

In het Nederlands luidt dit boek (op de titelplaat) ‘Het Schouwburg der Nederlanden’, want de drukker-uitgever ervan was de Antwerpenaar C.M. Spanooghe, ‘Imprimeur-Ubraire’, gevestigd ‘sur la place de la Sucrerie’ (sic!). Een merkwaardige toeristische gids avant la lettre, waarvan de ‘Denombrement’ of inhoudstafel niet enkel de XVII provincies omvat, waaronder het hertogdom Luxemburg, het graafschap Artesie, het graafschap Henegouwen, enz., doch eveneens o.m. Waals Brabant, Frans-Vlaanderen, het Kamerijkse, ja zelfs het Prinsbisdom Luik en het Akense, dus een gedeelte van het huidige Duitslandl Aldus een echt kluitje voor de kultuteie expansiegeest van de ‘Perseïden’ die anderzijds niet terugdeinsden voor een kijk op de bestendige culturele invloed van de Nederlanden tot ver in Oost-Duitsland, o.m. Dantzig en Königsberg, ja ook in Zuid-Duitsland , tot in Tyrool (Innsbrück) en ook Frankrijk en Italië.

Een mooi geschenk in die zin was een in 1937 verschenen ‘Deutsch-Niederländische Symphonie’ onder leiding van Dr R. Oszwald en met een speciale hulde aan Prof. Raf Verhulst. Op het kaft prijkt een mooie foto van het Lierse stadhuis! Hier waren eveneens ‘Perseïden’, bewust of onbewust, aan het werk geweest. Ik denk o.m. aan de gewezen echtgenoot van Juliane Gabriels, Dr Martin Konrad en ons beider persoonlijke Nederduitse vriend Franz Fromme, of eerder Franske, de olijke anti-nazi, die het vertikte gedurende de bezetting een uniform te dragen en die aan zijn hiërarchische chef ooit de vraag stelde: ‘een uniform dragen? Wilt u dan dat ik zelfmoord pleeg?’ Deze kleine anekdote moge een, tenminste voorlopig eindpunt stellen aan rnijn beknopt relaas van wat het bewust of onbewust Diets cultureel ‘verzet’ geweest is van de kleine vriendengroep der ‘geheime Perseïden’ … Maar er bestond eveneens een politiek ‘Diets Verzet’!

POSTSCRIPTUM

Bij het redigeren van het hiervoor afgedrukt ‘Geheim der Perseïden’ zijn allerlei bedenkingen en bijkomende vaststellingen en wellicht niet altijd noodzakelijke toevoegingen aan mijn betoog komen opdoemen. En in de eerste plaats dan bedenkingen en vaststellingen bij het oorlogsgeweld dat niet voor elkeen geweld betekende. Inderdaad, zo dit geweld onvervangbaar cultuurgoed vernietigde, bracht het eveneens een cultuur opbloei mee, ten minste in onze Westerse landen. Gedurende de laatste wereldoorlog zijn in Vlaanderen uitgeverijen en vooral boekhandels als paddestoelen na de regen in groot ge tal uit de grond gerezen. Men verkocht soms zelfs mooie vergulde boekbanden aan de lopende meter… En het muziek- en toneelleven dan: talloze concerten, oprichting van nieuwe muziekensembles zoals een Vlaams filharmonisch orkest te Brussel en, eveneens te Brussel, de hernieuwing van de Alhambraschouwburg als operahuis. Ik herinner me, enkele dagen voor de ‘bevrijding van Brussel’, in augustus 1944, een opvoering van ‘De Vliegende Hollander’ . Begin september was er een Amerikaanse musicalshow met mooie, halfnaakte girls in ruil gekomen…
Amerikaanse cultuur?

Maar het oorlogsgebeuren brengt eveneens allerlei ontsporingen mee, vooral bij extraverte en ambitieuze naturen, zoals bv. een atheneumleraar die zich plots ontpopte als een toekomstig gouwleider of een dichter die zich reeds een Vlaamse Goebbels waande. Ja zelfs een naïeve Cyriel Verschaeve die het slagwoord van Rene De Clercq omvormde tot een potsierlijk ‘Wij zijn Duitsers, geen Latijnen’, in de waan dat het Nazi-Duitsland de mythe van het Heilig Roomse Rijk der Duitse Natie had doen herrijzen met een Hitler als de door de profetieën aangekondigde ‘derde Frederik’…

Aan de andere zijde, de zijde van ‘de goede Belgen’, zien we hoe de hoofdconservator van een onzer grote musea zijn museum, in mei 1940, in de steek liet om naar Engeland te vluchten om dan in 1944 naar het ‘bevrijde vaderland’ terug te keren als kapitein van het Belgische leger; een eenvoudige Gentse schoolmeester ontpopte zich tot kapitein van de ‘weerstand’, om achteraf diktator van de moderne kunst in Belgie te worden, terwijl een misdadiger van gemeenrecht als grote ‘weerstander’ uit Dachau terugkeerde, twintig kilo verzwaard, en in 1945 kabinetschef van een socialistische minister werd, om achteraf een hoge functie in een ministerie te bekleden… Er dient echter gezegd dat dezelfde man, in september 1940, een ‘Jeunesse Socialiste Nationale’ (hoe vertaalt men dit in het Nederlands?) had willen opdrichten.

Een andere goede socialist en volgeling van Hendrik De Man, en toekomstige hoge functionaris van de Spaarkas, had op datzelfde ogenblik een milde ‘Socialiste Nationale’ willen stichten… Gelukkig voor hen werd het hen door de Duitse bezetter niet toegelaten!

***

Doch laat ons tot ‘Het geheim der Perseïden’ terugkomen, om dan te herinneren aan een prent van Harrewijn uit Rubens’ tijd die ons de tuingevel van het Rubenshuis aan de Wapper toont waarop duidelijk, als een uithangbord, een voorstelling van Andromeda’s verlossing door Perseus te ontwaren is. Voor Dr Juliane Gabriëls was het een duidelijke bevestiging dat Rubens wel degelijk een lid van het geheim genootschap der ‘Perseïden’ geweest was…

Een andere stelling van Juliane Gabriëls was dat Rubens niet te Siegen geboren werd, zoals thans algemeen wordt beweerd, doch wel te Antwerpen.

Tot in het midden van verleden eeuw werd nog, historisch getrouw, aangenomen dat het te Keulen en niet te Siegen was. Ik bezit het programmaboekje van de feestelijkheden die te Antwerpen plaatsvonden van 15 tot 25 augustus 1840 ter gelegenheid van de inhuldiging van het standbeeld van P.P. Rubens op de Groenplaats aldaar. In een voorafgaande korte levensbeschrijving van de kunstenaar is deze nog steeds te Keulen geboren, en in 1840 of 1841, moet Victor Hugo nog zijn geboortehuis te Keulen bezocht hebben als toeristische bezienswaardigheid (cfr. ‘Le Rhin’, 1842).

In de ‘Aanteekeningen over den grooten meester en zijne bloedverwanten’, van de Antwerpse stadsarchivaris P. Genard, verschenen in 1877, vindt men trouwens op pagina 193 het volgende: ‘Omgeven van de zorgen eener teedere moeder en van duurbare verwanten, gaf Maria Pijpelinckx te Antwerpen, waarschijnlijk in het huis harer zuster Suzanna, het licht aan eenen zoon die den voorvaderlijken naam van’ Peeter ontving en later met fierheid den titel van geboren poorter van Antwerpen droeg.’ Het is hier niet de plaats om verder in te gaan op de echte geboorteplaats van Peter-Paulus Rubens: Siegen, Keulen of Antwerpen? Ik zal er echter aan toevoegen dat men op de Meir, te Antwerpen, een pand vindt dat, in het Latijn en met een borstbeeld van de kunstenaar, beweert zijn geboortehuis aldaar te zijn, alhoewel het slechts een huis uit de 18′ eeuw moet zijn. Hetgeen in bezettingstijd voor de ‘Perseïden’ vooral telde was dat Rubens wel te Antwerpen, in Brabant, geboren werd en niet te Siegen, in Duitsland… Dr Juliane Gabriëls, waarvan ik me als geestelijke erfgenaam beschouw (ik bezit van haar onuitgegeven geschriften, waaronder een uitgebreide stamboom van de familie Rubens), was een verwoede verdedigster van de geboorte te Antwerpen van de ‘zoon van de triomf’, zoals ze P.P. Rubens heette.

***

Alvorens dit reeds al te lang postscriptum te besluiten wil ik nog wijzen op een ander stokpaardje van Dr Juliane Gabriëls en haar vriendenkring, namelijk een te herwaarderen Vlaamse, thans totaal vergeten Jeanne d’ Arc. Zo ik me niet vergis, kent men niet eens meer haar naam en bekommeren de historici zich niet om haar bestaan. Ze was nochtans de ziel en de geestelijke aanvoerster van het Vlaamse heir dat onder het bevel stond van Filips van Artevelde en dat in 1382 te Westrozebeke vers lagen werd door Filips de Stoute en de Franse koning Charles VI.

Dit mochten de ‘Perseïden’ vernemen in ‘Het Schouwburg der Nederlanden’ dat het optekende in een ‘Histoire du Moine de St. Denis, auteur contemporain, mise en François par M. le Laboureur’ . We lezen  aldus: ‘les Flamands étaient conduits par une vieille Sorcière, qui les avait assurés de la victoire, pourvu qu’on lui donnât à porter la bannière de St. Georges. Il ajoute que cette femme fut tuee au commencement du combat. Il y aurait bien des reflexions à faire sur cette particularité, qui n’a pas êté assez remarquée par les Historiens modernes.’ Ik zou nog verder kunnen citeren, maar zal het hierbij houden. ‘Het Schouwburg der Nederlanden’ verscheen in 1786 en tot hiertoe heeft geen enkele ‘Historien moderne’ het achterhaald wie deze ‘Sorcière’ kon geweest zijn. Dr Juliane Gabriels, als goede Vlaamse feministe en logezuster, heeft haar vrienden ‘Perseïden’ trachten te overhalen dit op te sporen. Het is nog niet gebeurd en ik ben, helaas, geen historicus doch slechts een Groot-Nederlander, thans eveneens, alhoewel door de na-oorlogse surrealistjes verketterd, als de ‘laatste historische surrealist’ beschouwd…

Diogenes, nr. 1, mei 1992, p. 99-103.

lundi, 07 mars 2011

Marc. Eemans en de "gnostische" schilderkunst

Henri-Floris JESPERS

Marc. Eemans en de "gnostische" schilderkunst

Ex: http://marceemans.wordpress.com/ & http://mededelingen.over-blog.com/


Le but ultime (1928)


Kort na zijn ontslag uit het Klein Kasteeltje eind 1949 publiceerde Marc. Eemans onder pseudoniem De Vlaamse krijgsbouwkunde, een boek dat hij gedeeltelijk tijdens de bezetting geschreven had. Hij gaat opnieuw aan de slag in het uitgeversvak, nl. bij uitgeverij Meddens waar hij in contact komt met Jef L. de Belder (1912-1981) die in 1949 ontslagen was uit het interneringskamp van Merksplas. De Belder was redactiesecretaris van het door Meddens uitgegeven pasgeboren maandblad De Periscoop (1950-1980), een betrekking die hij aan hoofdredacteur René F. Lissens te danken had. Jef De Belder en zijn vrouw Line Lambert (1907-2005) runden de Colibrant-uitgaven te Lier, waar Eemans' Het boek van Bloemardinne in 1954 verscheen, twee jaar later gevolgd door Hymnode.

Jan Hugo Verhaert trad in 1956 bij Meddens in dienst als verantwoordelijke voor het tijdschrift World Theatre / Théâtre dans le Monde, een blad gesubsidieerd door de Unesco. Hij werd ook ingezet om de lay-out van De Periscoop te verzorgen, “het troetelkind” van directeur Theo Meddens (1901-1966). Op verzoek van prof. Lissens werd het hoofdredacteurschap in 1955 aan de De Belder overgedragen.

In 1956 nam hij jammer genoeg ontslag en bleven alleen nog Marc. Eemans, toen lector bij Meddens, en ikzelf over. Ik verzorgde de vormgeving. Eemans moest intussen alleen alles beredderen, wat hij graag deed, daar hij (die pottenkijkers schuwde als de pest) nu de vrije hand had. De nieuwe hoofdredacteur, dr. Frans van den Bremt, had van literatuur en hedendaagse kunst weinig kaas gegeten. Hij was musicoloog, zijn grootste hobby was fotografie en hij liet Eemans graag betijen.


In De Periscoop publiceerde Eemans een aantal lezenswaardige gelegenheidsbijdragen, onder meer over Henri de Braekeleer, William Degouve de Nuncques, Fritz van den Berghe, Max Ernst en E. L. T. Mesens. Zijn eerste bijdrage, 'Bij Paul van Ostaijen in de leer' (1 november 1956), verscheen in de periode dat de dichter van het Eerste boek van Schmoll dank zij de vierdelige publicatie van zijn Verzameld werk onder redactie van Gerrit Borgers volop in de belangstelling stond. Met die bijdrage eist Eemans opnieuw avant-gardistisch verleden op en situeert zichzelf – m.i. geheel onterecht – in de Ostaijense traditie. Twee jaar tevoren had hij het moeten slikken dat zijn vriend Mesens hem het predicaat 'surrealist' ontzegd had. In 'Les apprentis magiciens au pays de la pléthore' verweet Mesens hem met zoveel woorden enige “verwardheid” (ook op politiek vlak...), wat hem gebracht heeft tot een “culte mystico-panthéiste dont l'expression est symboliste et ne peut rien avoir de commun avec la réduction des antonomies que le surréalisme s'est toujours proposé”.

Dat stond echter hun vriendschap niet in de weg.

*

Na zijn vrijlating was Eemans ook als schilder opnieuw aan de slag gegaan – La vie méhaignée (le chant d'amour) dateert van 1950. In 1957 exposeerde hij een dertigtal werken in galerie Le Soleil dans la Tête te Parijs. De bescheiden catalogus werd ingeleid door een oude relatie van de schilder, Claude Elsen, pseudoniem van Gaston Derycke (1910-1975), die voor de oorlog aan Hermès meewerkte.

Gaston Derycke had in de jaren dertig enkele plaquettes gepubliceerd. Hij was redacteur bij het Amerikaanse persagentschap United Press, redactiesecretaris van het weekblad Cassandre, opgericht door Paul Colin, en had naam en faam verworven met zijn filmkritieken in Le Rouge et le Noir en in Les Beaux-Arts. Hij werkte ook mee aan de roemruchte Cahiers du Sud (1925-1966).

In 1937 schreef hij nog met zoveel woorden de haat te delen tegen het fascisme dat de cultuur en de intelligentie bedreigt, maar bij het begin van de bezetting werd hij toch maar hoofdredacteur van Cassandre en publiceerde hij kritieken in Le Nouveau Journal. In 1944 verscheen Destin du Cinéma, meer dan een tijdsdocument. Ondertussen had hij zich ook ontpopt als misdaadauteur met Je n'ai pas tué Barney (1940) en Quatre crimes parfaits (1941), verschenen in de populaire, door Stanislas-André Steeman gedirigeerde reeks 'Le Jury'. Relevanter zijn de kritische bijdragen waarin hij theoretische bespiegelingen verwoordt over het genre zelf en scherpzinnig de redenen analyseert waarom het als minderwaardig wordt geacht, een stelling die hij terecht betwist.

Bij de bevrijding kreeg Derycke het zwaar te verduren. Hij vlucht naar Frankrijk waar hij deel gaat uitmaken van het actieve netwerk van Belgische schrijvers die in min of meerdere mate gecompromitteerd waren door de collaboratie. Als Claude Elsen zet hij zijn literaire carrière in Parijs voort. Hij schrijft een paar jaar opgemerkte filmkritieken in het extreem-rechtse tijdschrift Écrits de Paris, opgericht in 1947 door René Malliavin die in januari 1951 Rivarol zou lanceren, 'hebdomadaire de l'opposition nationale' dat tot op heden verschijnt. Zijn belangstelling voor misdaadliteratuur blijft onverminderd. Wanneer Jean Paulhan hem uitnodigt mee te werken aan de herrezen NRF (anno 1953, nu als Nouvelle Nouvelle Revue Francaise) publiceert hij een bijdrage waarin hij de Amerikaanse 'roman noir' als antidotum stelt voor de dreigende sclerose van de klassieke politieroman.

Met de publicatie in 1953 van Homo eroticus: esquisse d'une psychologie de l'érotisme in de prestigieuze reeks 'Les Essais' van Gallimard (uitgever van de NNRF) verwerft de expat die tot dan slechts toegang had tot uiterst rechts gemarkeerde publicaties, een (bescheiden maar voor velen benijdenswaardige) plaats binnen de Franse literaire institutie. Hij zou echter vooral als vertaler van o.m. Norman Mailer, Angus Wilson, Kingsley Amis en anti-psychiater Ronald Laing waardering (en ook soms wel terechte kritiek) oogsten. Tot slot, in J'ai choisi les animaux komt een vroege maar niet minder radicale verdediger van de dierenrechten resoluut aan het woord.

*

Het is typisch voor Eemans' demarche dat hij bij zijn tentoonstelling in galerie Le Soleil dans la Tête, een manifestatie die hij ongetwijfeld als een vorm van rehabilitatie zag, een tekst vroeg aan uitgerekend een eveneens door de collaboratie zwaar gebrandmerkte relatie.

Claude Elsen onderstreept dat schilderkunst voor Eemans niets anders is dan :


Démarche spirituelle, conquête de l'invisible, elle annexe ce monde invisible à l'univers visible de l'art pictural, nous faisant voir ces choses dont saint Jean de la Croix dit qu'elles existent sans que nous les voyions, au contraire de celles que nous voyons et qui n'existent pas.

Cette peinture ne se réclame d'aucune mode, ne va dans le sens d'aucun courant actuel. Si l'on peut voir en elle, dans une certaine mesure, un prolongement du surréalisme, elle se rattache davantage à une Tradition plus secrète et plus profonde – à cette Tradition hermétique dont récemment encore André Breton lui-même déplorait que l'art moderne ignorât le message.

 

Claude Elsen zinspeelt hier op het pas verschenen L'art magique van Breton, die op ambigue wijze gefascineerd was door die “Tradition plus secrète et plus profonde”, die “Tradition hermétique” die hier nog ruim aan bod zal komen.

Eemans had nu blijkbaar een bruggenhoofd in Parijs. In de lente van 1959 publiceerde Le Soleil dans la Tête een voornaam uitgegeven monografie van Serge Hutin (1929-1997) en Friedrich-Markus Huebner (1886-1964), Ars magna. Marc. Eemans, peintre et poète gnostique.

Serge Hutin, doctor in de letteren verbonden aan het CNRS (Centre National de la Recherche Scientifique), publiceerde in 1955 een Histoire des Rose-Croix. Hij had enkele deeltjes op zijn naam staan in de bekende reeks 'Que sais-je?' uitgegeven door de Presses Universitaires de France: L'alchimie, Les sociétés secrètes, La philosophie anglaise et américaine en Les gnostiques. Zijn belangrijkste publicaties waren toen nog in de pijpleiding: Les disciples anglais de Jacob Böhme en Henry More. Essai sur les doctrines théosophiques chez les Platoniciens de Cambridge.

Hutin wijst erop dat alleen al de titels van Eemans' schilderijen uit de periode 1950-1959 onmiskenbaar verwijzen naar diens esoterische bedoelingen: La gnose de la parturience, Le serpent hyperboréen, L'étoile anagogique, L'ascension originelle, enz. Met zijn werk wil Eemans de toeschouwer verheffen tot wat hij “l'état de mystère” noemt, waardoor hij, de toeschouwer, niet louter passief blijft maar integendeel toegang krijgt tot “le monde invisible des symboles, des illuminations et des rites”. Het komt erop aan een on-middellijke, niet gemedieerde 'communicatie' tot stand te brengen door het prikkelen of '(op)wekken' van de trans-rationele intuïtie'. Wanneer de kunstenaar daar in slaagt, dan gaat het niet langer om fantastische kunst – dit is de projectie van wonderbaarlijke of schrikwekkende fantasma's, “enfantés par le sommeil de la raison dont parle Goya” – maar wel om een waarachtige revelatie. De schilder reveleert, ont-hult (een) waarheid

(άληθεία, wat niet verhuld is).

De telles œuvres sont belles, certes, mais leur caractère d' 'art' n'est, somme toute, que secondaire: elles sont, avant toute, l'expression symbolique des expériences intérieures de l'artiste – expériences qui ne sont elles-mêmes qu'une découverte 'occulte' et magique.

Volgens Hutin verschijnt de contemporaine surrealistische schilderkunst als de laïcisering van een in se esoterische schilderkunst:

Il ne s'agit plus d'extérioriser une doctrine secrète traditionnelle, mais de découvrir, indépendamment de toute contrainte (religieuse ou initiatique), l'intrication 'dialectique' de la réalité et de la surréalité – du domaine des apparences sensibles et de celui des déterminismes subtils qui conditionnent les premières.


Hij stelt vast dat Salvador Dalí zijn 'mystiek' bewust heeft geïntegreerd in de traditie van de katholieke symboliek en dat Ernst Fuchs (°1930) de “koninklijke weg” van het zestiende-eeuwse hermetisme teruggevonden heeft. Maar zelfs kunstenaars die, vrij van welke sacrale traditie ook, een eigen, persoonlijke weg volgen, wars van welke vorm van esoteriek ook, blijken spontaan de uitbeelding en de regels te herontdekken van bepaalde vormen van traditionele symboliek, zoals bijvoorbeeld Leonor Fini die in haar werk de taal der alchemie als vanzelf hanteert. Eemans, van zijn kant, leunt doelbewust aan bij een “ésotérisme de type traditionnel”:

il dessine et peint dans un but initiatique: surtout il ne s'agit point de 'faire de jolies choses', même pas de faire de l'art pur mais de fournir à la méditation des 'supports' concrets et symboliques tout à la fois, qui permetttront au spectateur de répéter en lui-même le processus d'illumination intuitive par laquelle l'artiste est parvenu à la connaissance supra-rationnele, à la gnose.


Impliciet suggereert Hutin hier dat Eemans aanknoopt bij of deelachtig is aan de traditie van het kunstwerk als sacrale, geladen afbeelding. Aan de Byzantijnse iconen werden en worden wonderdadige en andere wonderbaarlijke vermogens toegekend. Voor de Renaissance-mens hadden (bepaalde) schilderijen en beeldhouwwerken een religieus of zelfs thaumaturgisch of minstens bezwerend karakter, net zoals de antieke, polychrome Griekse beelden die het voorwerp waren van cultische zorgen. Peter Burke stipt in dat verband aan dat (bepaalde) Renaissance-schilderijen lijken te behoren tot een magisch stelsel buiten het kader van het christendom (zo was Botticelli's Primavera wellicht een talisman).

Volgens Hutin zijn Eemans' schilderijen tegelijk concrete et symbolische 'dragers' voor meditatie, net als bijvoorbeeld mandala's, die moeten leiden tot illuminatie, supra-rationele kennis, gnosis. Hij gaat uitvoerig op dit thema in:

Ce n'est pas, bien au contraire!, une peinture 'anecdotique', 'allégorique' ou 'littéraire': il ne s'agit pas de 'raconter une histoire', ni d' 'illustrer une doctrine', ni de transformer des idées en allégories concrètes. Bon gré mal gré, celui qui regarde de telles œuvres est obligé de participer à un acte magique: même s'il ne retrouve pas l'illumination gnostique à laquelle le peintre est parvenu, il sera plongé dans un état de 'rêverie' singulièrement propice aux hantises métaphysiques. […] Ce peintre-penseur a retrouvé l'un des principes de la meilleure initiation: il ne s'agit pas d' 'apprendre' didactiquement tel ou tel système, mais de réaliser en soi un état d'illumination – condition nécessaire à l'acquisition ultérieure d'une connaissance métaphysique véritable. Il ne faut pas vouloir à tout prix découvrir une 'signification' précise aux scènes 'symboliques' que nous montre le peintre: il s'agit, tout simplement, de les regarder de la manière la plus 'intuitive', la plus spontanée possible. Aristote caractérisait ainsi l'enseignement des mystères d'Éleusis: 'Ne pas apprendre, mais éprouver', et, dans l'observation des tableaux de Marc. Eemans, c'est un peu la même chose.


Het gaat immers om een 'supra-picturale' schilderkunst die zich niet richt naar het materialistische genot van de kleur om de kleur en van de vorm om de vorm, maar wel om een “véritable tentative gnostique pour réconquérir les visions métaphysiques et les mythes'. Drie invalshoeken bepalen het esoterische universum van de schilder, aldus Hutin: de Griekse mysteriën en godenwereld, bepaalde vormen van christelijke gnosis en alchemistische overleveringen, vermengd met reminiscenties aan de Edda's. De inbreng van het surrealisme bestaat, ten eerste, uit vernuftige metaforische uitwerkingen (“dans lesquelles Eemans excelle autant que son compatriote Magritte”) en, ten tweede, uit een metafysica van de erotiek (“qui rejoint d'ailleurs d'authentiques secrets occultes”).

Hutin heeft nu meer dan de helft van zijn diepgravend essay achter de rug en beseft dat zijn discours nu ook iets concreets moet bevatten op louter schilderkunstig vlak, hoe profaan dit ook moge wezen... Sommigen zullen inderdaad de vraag stellen of de kunstenaar zoveel duistere literatuur van doen heeft, waarbij ze geringschattend insinueren dat de schilderijen van Eemans al te literair zijn en, vooral, dat hij zondigt door gebrek aan zin voor plastiek. Het volstaat echter, zegt Hutin, hen te wijzen op de subtiliteiten van zijn coloriet en op zijn voorkeur voor het clair-obscur – “ce mystère incarné dans toute vraie peinture de l'âme”. Bovendien moet gewezen worden op Eemans' diepe kennis van de compositie:

Tout dans ses œuvres, est harmonie rythmiquement ordonnée, non point en raison d'une idée ou d'une allégorie préétablie, mais bien en fonction de formes – peut-être toujours chargées de sens – qui sont là avant tout pour se répondre sur le plan des nécessités plastiques inhérentes à toute peinture digne de ce nom.

Volgens Hutin komt Eemans' kunst van de compositie rechtstreeks voort uit de surrealistische technieken van het 'papier collé' en van de foto-montage. Tot slot wijst hij op

une permanente fusion entre des images oniriques et celles qui relèvent du sentiment de l'infini, aussi bien dans le temps que dans l'espace, avec les analogies telluriques, lunaires et solaires, ou encore avec tous les reflets de dépaysement par rapport au moi discursivement tangible, dépaysement qui conduit à se sentir soit immensément grand, soit infiniment petit, ou bien encore à se voir emporté, tel une comète, à travers le monde sidéral.


De behandeling van het literaire werk van Eemans door Hutin en Huebner zal te zijner tijd aan bod komen. Wel dient hier al aangestipt dat Hutin de publicatie bij Le Soleil dans la Tête aankondigt van Eemans' Gnose de chair et de Silence. Daar kwam niets van in huis, en Eemans zou ook geen tweede keer exposeren bij de Parijse galerie. Het zou mij niet verwonderen dat hij zichzelf eens te meer in de weg heeft gestaan.

Henri-Floris JESPERS

samedi, 13 mars 2010

Marc. Eemans ou l'autre versant du surréalisme

Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1989

Marc. Eemans ou l'autre versant du surréalisme

 

La conversion de Marc. Eemans au Surréalisme est contemporaine de celle de René Magritte et de ses amis. Elle s'est faite entre 1925 et 1926. A cette époque Marc. Eemans avait à peine dix-huit ans, alors que Magritte était son aîné de quelque neuf à dix ans.

 

eemanspipe.jpgC'est grâce à la rencontre de Geert Van Bruaene, alors directeur du Cabinet Maldoror en l'Hôtel Ravenstein, que le jeune Marc Eemans a été intié à la poésie présurréaliste des «Chants de Maldoror» et c'est également alors qu'il entra en contact avec Camille Goemans et E.L.T. Mesens qui allaient bientôt devenir ses compagnons de  route avec Paul Nougé, René Magritte, André Souris, paul Hooremans et Marcel Lecomte, dans l'aventure du premier groupe surréaliste belge, groupe où ils furent bientôt rejoints par Louis Scutenaire qui, à l'époque, se prénommait encore Jean.

 

Certains historiens du Surréalisme en Belgique ont estimé qu'à ses débuts, Marc Eemans, en tant que peintre, n'était qu'un épigone, un imitateur de René Magritte, mais, qu'il n'y a pas eu imitation, tout au plus chemin parallèle, ce qui s'explique aisément, car il fut une époque où le Surréalisme vivait dans l'osmose de l'air du temps».

 

Pour s'en convaicnre, il suffit d'ailleurs de consulter la petite revue «Distances», éditée à Paris par Camille Goemans en 1928, à laquelle collabora Marc. Eemans (x). Ajoutons-y au même titre ses dessins à la plume dans le mensuel «Variétés», paraissant à la même époque à Bruxelles.

 

D'ailleurs, Marc. Eemans alla bien vite prendre définitivement un chemin tout autre que celui de René Magritte et de ses compagnons de route, à l'exception de Camille Goemans et de Marcel Lecomte. Nous en trouvons un témoignage irréfutable dans un album paru en 1930 aux Editions Hermès, fondées par Goemans et lui-même et au titre bien significatif! Eemans s'y révèle comme un adepte moderne de ce que Paul Hadermann, professeur à l'Université Libre de Bruxelles, a appelé le »trobar clus de Marc. Eemans» d'après le terme provençal propre aux troubadours et minnesänger qui pratiquaient jadis une poésie hermétique «close», accessibles aux seuls initiés. Cet album intitulé «Vergeten te worden» (Oublié de devenir) compte «dix formes linéaires influencées par dix formes verbales». Il est paru initialement en langue néerlandaise, mais une réédition, avec traduction française et une introduction du prof. Hadermann, à laquelle nous venons de faire allusion, en est parue en 1983.

 

La coloration du Surréalisme propre à Marc. Eemans est dès lors nettement affirmée. Ce Surréalisme s'est fortement éloigné de celui de René magritte que Salvador Dali a qualifié un jour d'«A.B.C. du Surréalisme».

 

Tandis que les options des membres de ce que Patrick Waldberg a appelé plus tard la «Société du Mystère» se sont trop souvent orientées vers les facilités d'un certain «néo-dadaïsme» au dogmatisme sectaire à la fois «cartésien» et «gauchisant» en lequel la contrepèterie se le dispute à l'humour noir et rose, voire au «prosaïsme» petit-bourgeois (le chapeau melon et la pipe, de Magritte!), Marc. Eemans, lui, accompagné en cela par Camille Goemans et Marcel Lecomte, s'est orienté derechef vers un autre versant du Surréalisme fort proche de l'Idéalisme magique d'un Novalis et du Symbolisme de la fin du siècle dernier.

 

Ce Surréalisme, que les historiens du Surréalisme en Belgique semblent ignorer ou plutôt passer sous silence, répond en quelque sorte à l'appel à l'«occultation» lancé par André Breton dans son «Second manifeste du Surréalisme». Rappelons d'ailleurs à ce propos à quel point Breton a été profondément touché par le Symbolisme, au point que Paul Valéry a été son témoin lors de son premier mariage et qu'en 1925, voire plus tard encore, lui-même ainsi qu'Eluard et Antonin Artaud se sont révélés comme des admirateurs inconditionnels du poète symboliste Saint-Pol-Roux.

 

La filiation du Romantisme au Surréalisme via le Symbolisme est d'ailleurs évidente, aussi Alain Viray a-t-il pu écrire qu'«il y a des liens entre Maeterlinck et Breton», à quoi nous pourrions ajouter qu'il y en a également entre Max Elskamp et Paul Eluard, tandis que l'ex néo-symboliste Jean De Bosschère a viré étrangement, vers la fin de sa vie, vers le Surréalisme, un certain Surréalisme il est vrai.

 

Quoi qu'il en soit, l'art que Marc. Eemans a pratiqué, dès sa vingtième année, est ce que l'on pourrait appeler un «Surréalisme ouvert», détaché de tout sectarisme et de cet esprit de chapelle cher aux surréalistes qui se considèrent  de «stricte obédience». Dès lors la question se pose: Marc. Eemans est-il encore surréaliste? Mais en fait qu'est-ce qu'une étiquette? What is a name? En tout cas, Eemans a déclaré un jour, lors d'une enquête de la revue «Temps Mêlés» qu'il ne serait pas ce qu'il est sans le Surréalisme…

 

Parlons plutôt de la revue «Hermès» que Marc. Eemans fonda en 1933 avec ses amis René Baert et Camille Goemans (c'est ce dernier qui en rédigea toutes les «Notes des éditeurs»). C'était une revue d'études comparées en laquelle poésie, philosophie et mystique furent à l'honneur. Y collaborèrent activement e.a. Roland de Reneville (un transfuge du «Grand jeu» et auteur d'un «Rimbaud le Voyant»), le philosophe Bernard Groethuysen, l'arabisant Henri Corbin ainsi que le poète Henri Michaux qui en devint le secrétaire de rédaction. Revue surréaliste? Oui ou non, et nous croyons même que le mot «surréalisme» n'y a jamais figuré… Par contre y furent publiées les premières traductions en langue française de textes des philosophes Martin Heidegger et Karl Jaspers. Y collabora également le philosophe franças Jean Wahl tandis qu'y figurèrent des traductions de textes poétiques ou mystiques flamnds, allemands, anglais, tibétains, arabes et chinois, sans oublier l'intérêt porté à des poètes symbolistes, pré-symbolistes ou post-symbolistes.

 

En somme «Hermès» pratiqua un «Surréalisme occulté» qui a retenu l'attention d'André Breton, mais aussi l'indifférence, si pas l'hostilité de certains membres de la «Société du Mystère». Notons à ce propos que Breton a toujours préféré le «merveilleux» au «mystère», en prônant surtout le recours à la magie, sans toutefois pouvoir se soustraire à la tentation d'une magie de pacotille, celles des voyantes et des médiums. Du côté d'«Hermès», au contraire, il y eut toujours le souci d'un hermétisme davantage tourné vers l'austère éthique propre à tout ce qui relève de la «Tradition primordiale». Mais ne l'oublions pas:: le Surréalisme d'André Breton et de ses amis n'a jamais pu se défaire d'un certain «avant-gardisme» très parisien en lequel le goût de l'étrange, du bizarre à tout prix, de burlesque provocateur et de l'exotimse forment un amalgame des plus pittoresques fort éloigné des préoccupations profondes de Marc. Eemans et de ses amis de la revue «Hermès». Chez lui surtout prévaut avant tout la soumission à des mythes intérieurs nés de ses fantasmes. Il y a chez lui une gravité qui l'a conduit à une incessante quête de l'Absolu. En témoignent aussi bien ses peintures que ses écrits poétiques. Comme l'a écrit Paul Caso («Le Soir, 26-28.XII.1980): «On doit reconnaître l'existence de Marc. Eemans et la singularité d'un métier qui a choisi de n'être ni claironnant, ni racoleur. Il y a là un poids d'angoisse et de sensibilité».

 

Jean d'Urcq

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jeudi, 07 janvier 2010

Entretien avec Marc. Eemans, le dernier des surréalistes de l'école d'André Breton

EEMANSTABLEAU.jpgArchives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1990

Entretien avec Marc. Eemans, le dernier des surréalistes de l’école d’André Breton

 

propos recueillis par Koenraad Logghe

et Robert Steuckers

 

Aujourd'hui âgé de 83 ans, Marc. Eemans affirme être le dernier des surréalistes. Après lui, la page sera tournée. Le surréalisme sera définitivement entré dans l'histoire. Qui est-il, ce dernier des surréalistes, ce peintre de la génération des Magritte, Delvaux et Dali, aujourd'hui ostracisé? Quel a été son impact littéraire? Quelle influence Julius Evola a-t-il exercé sur lui? Ce «vilain petit canard» du mouvement surréaliste jette un regard très critique sur ses compères morts. Ceux-ci lui avaient cherché misère pour son passé «collaborationniste». Récemment, Ivan Heylen, du journal Panorama (22/28.8.1989), l'a interviewé longuement, agrémentant son article d'un superbe cliché tout en mettant l'accent sur l'hétérosexualité tumultueuse de Marc. Eemans et de ses émules surréalistes. Nous prenons le relais mais sans oublier de l'interroger sur les artistes qu'il a connus, sur les grands courants artistiques qu'il a côtoyés, sur les dessous de sa «collaboration»...

 

Q.: La période qui s'étend du jour de votre naissance à l'émergence de votre première toile a été très importante. Comment la décririez-vous?

 

ME: Je suis né en 1907 à Termonde (Dendermonde). Mon père aimait les arts et plu­sieurs de ses amis étaient peintres. A l'âge de huit ans, j'ai appris à connaître un parent éloigné, sculpteur et activiste (1): Emiel De Bisschop. Cet homme n'a jamais rien réussi dans la vie mais il n'en a pas moins revêtu une grande signification pour moi. C'est grâce à Emiel De Bisschop que j'entrai pour la première fois en contact avec des écrivains et des artistes.

 

Q.: D'où vous est venue l'envie de dessiner et de peindre?

 

ME: J'ai toujours suivi de très près l'activité des artistes. Immédiatement après la première guerre mondiale, j'ai connu le peintre et baron Frans Courtens. Puis je rendai un jour visite au peintre Eugène Laermans. Ensuite encore une quantité d'autres, dont un véritable ami de mon père, un illustre inconnu, Eugène van Mierloo. A sa mort, j'ai appris qu'il avait pris part à la première ex­pédition au Pôle Sud comme reporter-dessina­teur. Pendant la première guerre mondiale, j'ai visité une exposition de peintres qui jouissent aujourd'hui d'une notoriété certaine: Felix Deboeck, Victor Servranckx, Jozef Peeters. Aucun d'entre eux n'était alors abstrait. Ce ne fut que quelques années plus tard que nous con­nûmes le grand boom de la peinture abstraite dans l'art moderne. Lorsque Servranckx organisa une exposition personnelle, j'entrai en contact avec lui et, depuis lors, il m'a considéré comme son premier disciple. J'avais environ quinze ans lorsque je me mis à peindre des toiles abstraites. A seize ans, je collaborais à une feuille d'avant-garde intitulée Sept Arts. Parmi les autres colla­borateurs, il y avait le poète Pierre Bourgeois, le poète, peintre et dessinateur Pierre-Louis Flouquet, l'architecte Victor Bourgeois et mon futur beau-frère Paul Werrie (2). Mais l'abstrait ne m'attira pas longtemps. Pour moi, c'était trop facile. Comme je l'ai dit un jour, c'est une aber­ration matérialiste d'un monde en pleine déca­dence... C'est alors qu'un ancien acteur entra dans ma vie: Geert van Bruaene.

 

Je l'avais déjà rencontré auparavant et il avait laissé des traces profondes dans mon imagina­tion: il y tenait le rôle du zwansbaron,  du «Baron-Vadrouille». Mais quand je le revis à l'âge de quinze ans, il était devenu le directeur d'une petite galerie d'art, le «Cabinet Maldoror», où tous les avant-gardistes se réunissaient et où furent exposés les premiers expressionnistes al­lemands. C'est par l'intermédiaire de van Bruaene que je connus Paul van Ostaijen (3). Geert van Bruaene méditait Les Chants de Maldoror  du soi-disant Comte de Lautréamont, l'un des principaux précurseurs du surréalisme. C'est ainsi que je devins surréaliste sans le sa­voir. Grâce, en fait, à van Bruaene. Je suis passé de l'art abstrait au Surréalisme lorsque mes images abstraites finirent par s'amalgamer à des objets figuratifs. A cette époque, j'étais encore communiste...

 

Q.: A l'époque, effectivement, il semble que l'intelligentsia et les artistes appartenaient à la gauche? Vous avez d'ailleurs peint une toile superbe représentant Lénine et vous l'avez intitulée «Hommage au Père de la Révolution»...

 

ME: Voyez-vous, c'est un phénomène qui s'était déjà produit à l'époque de la Révolution Française. Les jeunes intellectuels, tant en France qu'en Allemagne, étaient tous partisans de la Révolution Française. Mais au fur et à mesure que celle-ci évolua ou involua, que la terreur prit le dessus, etc., ils ont retiré leurs épingles du jeu. Et puis Napoléon est arrivé. Alors tout l'enthousiasme s'est évanoui. Ce fut le cas de Goethe, Schelling, Hegel, Hölderlin... Et n'oublions également pas le Beethoven de la Sinfonia Eroica, inspirée par la Révolution fran­çaise et primitivement dédiée à Napoléon, avant que celui-ci ne devient empereur. Le même phé­nomène a pu s'observer avec la révolution russe. On croyait que des miracles allaient se produire. Mais il n'y en eut point. Par la suite, il y eut l'opposition de Trotski qui croyait que la révolu­tion ne faisait que commencer. Pour lui, il fallait donc aller plus loin!

 

Q.: N'est-ce pas là la nature révolutionnaire ou non-conformiste qui gît au tréfonds de tout artiste?

 

ME: J'ai toujours été un non-conformiste. Même sous le nazisme. Bien avant la dernière guerre, j'ai admiré le «Front Noir» d'Otto Strasser. Ce dernier était anti-hitlérien parce qu'il pensait que Hitler avait trahi la révolution. J'ai toujours été dans l'opposition. Je suis sûr que si les Allemands avaient emporté la partie, que, moi aussi, je m'en serais aller moisir dans un camp de concentration. Au fond, comme disait mon ami Mesens, nous, surréalistes, ne sommes que des anarchistes sentimentaux.

 

Q.: Outre votre peinture, vous êtes aussi un homme remarquable quant à la grande diversité de ses lectures. Il suffit d'énumérer les auteurs qui ont exercé leur influence sur votre œuvre...

 

ME: Je me suis toujours intéressé à la littérature. A l'athenée (4) à Bruxelles, j'avais un curieux professeur, un certain Maurits Brants (5), auteur, notamment, d'une anthologie pour les écoles, intitulée Dicht en Proza.  Dans sa classe, il avait accroché au mur des illustrations représentant les héros de la Chanson des Nibelungen. De plus, mon frère aîné était wagnérien. C'est sous cette double influence que je découvris les mythes germaniques. Ces images de la vieille Germanie sont restées gravées dans ma mémoire et ce sont elles qui m'ont distingué plus tard des autres sur­réalistes. Ils ne connaissaient rien de tout cela. André Breton était surréaliste depuis dix ans quand il entendit parler pour la première fois des romantiques allemands, grâce à une jeune amie alsacienne. Celle-ci prétendait qu'il y avait déjà eu des «surréalistes» au début du XIXième siècle. Novalis, notamment. Moi, j'avais découvert Novalis par une traduction de Maeterlinck que m'avait refilée un ami quand j'avais dix-sept ans. Cet ami était le cher René Baert, un poète admi­rable qui fut assassiné par la «Résistance» en Allemagne, peu avant la capitulation de celle-ci, en 1945. Je fis sa connaissance dans un petit ca­baret artistique bruxellois appelé Le Diable au corps. Depuis nous sommes devenus insépa­rables aussi bien en poésie qu'en politique, di­sons plutôt en «métapolitique» car la Realpolitik n'a jamais été notre fait. Notre évolution du communisme au national-socialisme relève en ef­fet d'un certain romantisme en lequel l'exaltation des mythes éternels et de la tradition primordiale, celle de René Guénon et de Julius Evola, a joué un rôle primordial. Disons que cela va du Georges Sorel du Mythe de la Révolution et des Réflexions sur la violence à l'Alfred Rosenberg du Mythe du XXième siècle, en passant par La Révolte contre le monde moderne de Julius Evola. Le seul livre que je pourrais appeler méta­politique de René Baert s'intitule L'épreuve du feu  (Ed. de la Roue Solaire, Bruxelles, 1944) (6). Pour le reste, il est l'auteur de recueils de poèmes et d'essais sur la poésie et la peinture. Un penseur et un poète à redécouvrir. Et puis, pour revenir à mes lectures initiales, celles de ma jeu­nesse, je ne peux oublier le grand Louis Couperus (7), le symboliste à qui nous devons les merveilleux Psyche, Fidessa et Extase.

 

Q.: Couperus a-t-il exercé une forte influence sur vous?

 

tetes_nus.jpgME: Surtout pour ce qui concerne la langue. Ma langue est d'ailleurs toujours marquée par Couperus. En tant que Bruxellois, le néerlandais officiel m'a toujours semblé quelque peu artifi­ciel. Mais cette langue est celle à laquelle je voue tout mon amour... Un autre auteur dont je devins l'ami fut le poète expressionniste flamand Paul van Ostaijen. Je fis sa connaissance par l'entremise de Geert van Bruaene. Je devais alors avoir dix-huit ans. Lors d'une conférence que van Ostaijen fit en français à Bruxelles, l'orateur, mon nouvel ami qui devait mourir quelques an­nées plus tard à peine âgé de trente-deux ans, fixa définitivement mon attention sur le rapport qu'il pouvait y avoir entre la poésie et la mystique, tout comme il me parla également d'un mysticisme sans Dieu, thèse ou plutôt thème en lequel il re­joignait et Nietzsche et André Breton, le «pape du Surréalisme» qui venait alors de publier son Manifeste du Surréalisme.

 

Q.: Dans votre œuvre, mystique, mythes et surréalisme ne peuvent être séparés?

 

ME: Non, je suis en quelque sorte un surréaliste mythique et, en cela, je suis peut-être le surréa­liste le plus proche d'André Breton. J'ai toujours été opposé au surréalisme petit-bourgeois d'un Magritte, ce monsieur tranquille qui promenait son petit chien, coiffé de son chapeau melon...

 

Q.: Pourtant, au début, vous étiez amis. Comment la rupture est-elle survenue?

 

ME: En 1930. Un de nos amis surréalistes, Camille Goemans, fils du Secrétaire perpétuel de la Koninklijke Vlaamse Academie voor Taal en Letterkunde  ( = Académie Royale Flamande de Langue et de Littérature), possédait une galerie d'art à Paris. Il fit faillite. Mais à ce moment, il avait un contrat avec Magritte, Dali et moi. Après cet échec, Dali a trouvé sa voie grâce à Gala, qui, entre nous soit dit, devait être une vraie mégère. Magritte, lui, revint à Bruxelles et devint un misé­reux. Tout le monde disait: «Ce salaud de Goemans! C'est à cause de lui que Magritte est dans la misère». C'est un jugement que je n'admis pas. C'est le côté «sordide» du Surréalisme belge. Goemans, devenu pauvre comme Job par sa faillite, fut rejeté par ses amis surréalistes, mais il rentra en grâce auprès d'eux lorsqu'il fut redevenu riche quelque dix ans plus tard grâce à sa femme, une Juive de Russie, qui fit du «marché noir» avec l'occupant durant les années 1940-44. Après la faillite parisienne, Goemans et moi avons fait équipe. C'est alors que parut le deuxième manifeste surréaliste, où Breton écrivit, entre autres choses, que le Surréalisme doit être occulté, c'est-à-dire s'abstenir de tous compromis et de tout particula­risme intellectuel. Nous avons pris cette injonc­tion à la lettre. Nous avions déjà tous deux reçu l'influence des mythes et de la mystique germa­niques. Nous avons fondé, avec l'ami Baert, une revue, Hermès, consacrée à l'étude comparative du mysticisme, de la poésie et de la philosophie. Ce fut surtout un grand succès moral. A un mo­ment, nous avions, au sein de notre rédaction, l'auteur du livre Rimbaud le voyant,  André Rolland de Renéville. Il y avait aussi un philo­sophe allemand anti-nazi, qui avait émigré à Paris et était devenu lecteur de littérature allemande chez Gallimard: Bernard Groethuysen. Par son intermédiaire, nous nous sommes assurés la col­laboration d'autres auteurs. Il nous envoyait même des textes de grands philosophes encore peu connus à l'époque: Heidegger, Jaspers et quelques autres. Nous avons donc été parmi les premiers à publier en langue française des textes de Heidegger, y compris des fragments de Sein und Zeit.

 

Parmi nos collaborateurs, nous avions l'un des premiers traducteurs de Heidegger: Henry Corbin (1903-1978) qui devint par la suite l'un des plus brillants iranologues d'Europe. Quant à notre se­crétaire de rédaction, c'était le futur célèbre poète et peintre Henri Michaux. Sa présence parmi nous était due au hasard. Goemans était l'un de ses vieux amis: il avait été son condisciple au Collège St. Jan Berchmans. Il était dans le be­soin. La protectrice de Groethuysen, veuve d'un des grands patrons de l'Arbed, le consortium de l'acier, nous fit une proposition: si nous enga­gions Michaux comme secrétaire de rédaction, elle paierait son salaire mensuel, plus les factures de la revue. C'était une solution idéale. C'est ainsi que je peux dire aujourd'hui que le célé­brissime Henri Michaux a été mon employé...

 

Q.: Donc, grâce à Groethuysen, vous avez pris connaissance de l'œuvre de Heidegger...

 

ME: Eh oui. A cette époque, il commençait à de­venir célèbre. En français, c'est Gallimard qui publia d'abord quelques fragments de Sein und Zeit. Personnellement, je n'ai jamais eu de con­tacts avec lui. Après la guerre, je lui ai écrit pour demander quelques petites choses. J'avais lu un interview de lui où il disait que Sartre n'était pas un philosophe mais que Georges Bataille, lui, en était un. Je lui demandai quelques explications à ce sujet et lui rappelai que j'avais été l'un des premiers éditeurs en langue française de ses œuvres. Pour toute réponse, il m'envoya une petite carte avec son portrait et ces deux mots: «Herzlichen Dank!» (Cordial merci!). Ce fut la seule réponse de Heidegger...

 

Q.: Vous auriez travaillé pour l'Ahnenerbe. Comment en êtes-vous arrivé là?

 

ME: Avant la guerre, je m'étais lié d'amitié avec Juliaan Bernaerts, mieux connu dans le monde littéraire sous le nom de Henri Fagne. Il avait épousé une Allemande et possédait une librairie internationale dans la Rue Royale à Bruxelles. Je suppose que cette affaire était une librairie de propagande camouflée pour les services de Goebbels ou de Rosenberg. Un jour, Bernaerts me proposa de collaborer à une nouvelle maison d'édition. Comme j'étais sans travail, j'ai ac­cepté. C'était les éditions flamandes de l'Ahnenerbe. Nous avons ainsi édité une ving­taine de livres et nous avions des plans gran­dioses. Nous sortions également un mensuel, Hamer,  lequel concevait les Pays-Bas et la Flandre comme une unité.

 

Q.: Et vous avez écrit dans cette publication?

 

ME: Oui. J'ai toujours été amoureux de la Hollande et, à cette époque-là, il y avait comme un mur de la honte entre la Flandre et la Hollande. Pour un Thiois comme moi, il existe d'ailleurs toujours deux murs séculaires de la honte: au Nord avec les Pays-Bas; au Sud avec la France, car la frontière naturelle des XVII Provinces historiques s'étendait au XVIième siècle jusqu'à la Somme. La première capitale de la Flandre a été la ville d'Arras (Atrecht). Grâce à Hamer,  j'ai pu franchir ce mur. Je devins l'émissaire qui se rendait régulièrement à Amsterdam avec les articles qui devaient paraître dans Hamer. Le rédacteur-en-chef de Hamer-Pays-Bas cultivait lui aussi des idées grand-néer­landaises. Celles-ci transparaissaient clairement dans une autre revue Groot-Nederland, dont il était également le directeur. Comme elle a conti­nué à paraître pendant la guerre, j'y ai écrit des articles. C'est ainsi qu'Urbain van de Voorde (8) a participé également à la construction de la Grande-Néerlande. Il est d'ailleurs l'auteur d'un essai d'histoire de l'art néerlandais, considérant l'art flamand et néerlandais comme un grand tout. Je possède toujours en manuscrit une traduction de ce livre, paru en langue néerlandaise en 1944.

 

Mais, en fin de compte, j'étais un dissident au sein du national-socialisme! Vous connaissez la thèse qui voulait que se constitue un Grand Reich allemand dans lequel la Flandre ne serait qu'un Gau parmi d'autres. Moi, je me suis dit: «Je veux bien, mais il faut travailler selon des principes or­ganiques. D'abord il faut que la Flandre et les Pays-Bas fusionnent et, de cette façon seulement, nous pourrions participer au Reich, en tant qu'entité grande-néerlandaise indivisible». Et pour nous, la Grande-Néerlande s'étendait jusqu'à la Somme! Il me faut rappeler ici l'existence pendant l'Occupation, d'une «résistance thioise» non reconnue comme telle à la «Libération». J'en fis partie avec nombre d'amis flamands et hollandais, dont le poète fla­mand Wies Moens pouvait être considéré comme le chef de file. Tous devinrent finalement victimes de la «Répression».

 

Q.: Est-ce là l'influence de

Joris van Severen?

 

ME: Non, Van Severen était en fait un fransquil­lon, un esprit totalement marqué par les modes de Paris. Il avait reçu une éducation en français et, au front, pendant la première guerre mondiale, il était devenu «frontiste» (9). Lorsqu'il créa le Verdinaso, il jetta un oeil au-delà des frontières de la petite Belgique, en direction de la France. Il revendiqua l'annexion de la Flandre française. Mais à un moment ou à un autre, une loi devait être votée qui aurait pu lui valoir des poursuites. C'est alors qu'il a propagé l'idée d'une nouvelle direction de son mouvement (la fameuse «nieuwe marsrichting»). Il est redevenu «petit-belge». Et il a perdu le soutien du poète Wies Moens (10), qui créa alors un mouvement dissident qui se cristal­lisa autour de sa revue Dietbrand  dont je devins un fidèle collaborateur.

 

Q.: Vous avez collaboré à une quantité de publications, y compris pendant la seconde guerre mondiale. Vous n'avez pas récolté que des félicitations. Dans quelle mesure la répression vous a-t-elle marqué?

 

ME: En ce qui me concerne, la répression n'est pas encore finie! J'ai «collaboré» pour gagner ma croûte. Il fallait bien que je vive de ma plume. Je ne me suis jamais occupé de politique. Seule la culture m'intéressait, une culture assise sur les traditions indo-européennes. De plus, en tant qu'idéaliste grand-néerlandais, je demeurai en marge des idéaux grand-allemands du national-socialisme. En tant qu'artiste surréaliste, mon art était considéré comme «dégénéré» par les ins­tances officielles du IIIième Reich. Grâce à quelques critiques d'art, nous avons toutefois pu faire croire aux Allemands qu'il n'y avait pas d'«art dégénéré» en Belgique. Notre art devait être analysé comme un prolongement du roman­tisme allemand (Hölderlin, Novalis,...), du mou­vement symboliste (Böcklin, Moreau, Khnopff,...) et des Pré-Raphaëlites anglais. Pour les instances allemandes, les expressionnistes flamands étaient des Heimatkünstler  (des peintres du terroir). Tous, y compris James Ensor, mais excepté Fritz Van der Berghe, consi­déré comme trop «surréaliste» en sa dernière pé­riode, ont d'ailleurs participé à des expositions en Allemagne nationale-socialiste.

 

Mais après la guerre, j'ai tout de même purgé près de quatre ans de prison. En octobre 1944, je fus arrêté et, au bout de six ou sept mois, remis en liberté provisoire, avec la promesse que tout cela resterait «sans suite». Entretemps, un audi­teur militaire (11) cherchait comme un vautour à avoir son procès-spectacle. Les grands procès de journalistes avaient déjà eu lieu: ceux du Soir, du Nouveau Journal, de Het Laatste Nieuws,... Coûte que coûte, notre auditeur voulait son pro­cès. Et il découvrit qu'il n'y avait pas encore eu de procès du Pays réel  (le journal de Degrelle). Les grands patrons du Pays réel avaient déjà été condamnés voire fusillés (comme Victor Matthijs, le chef de Rex par interim et rédacteur-en-chef du journal). L'auditeur eut donc son procès, mais avec, dans le box des accusés, des seconds cou­teaux, des lampistes. Moi, j'étais le premier des troisièmes couteaux, des super-lampistes. Je fus arrêté une seconde fois, puis condamné. Je restai encore plus ou moins trois ans en prison. Plus moyen d'en sortir! Malgré l'intervention en ma faveur de personnages de grand format, dont mon ami français Jean Paulhan, ancien résistant et futur membre de l'Académie Française, et le Prix Nobel anglais T.S. Eliot, qui écrivit noir sur blanc, en 1948, que mon cas n'aurait dû exiger aucune poursuite. Tout cela ne servit à rien. La lettre d'Eliot, qui doit se trouver dans les archives de l'Auditorat militaire, mériterait d'être publiée, car elle condamne en bloc la répression sauvage des intellectuels qui n'avaient pas «brisé leur plume», cela pour autant qu'ils n'aient pas com­mis des «crimes de haute trahison». Eliot fut d'ailleurs un des grands défenseurs de son ami le poète Ezra Pound, victime de la justice répressive américaine.

 

1_w200.jpgQuand j'expose, parfois, on m'attaque encore de façon tout à fait injuste. Ainsi, récemment, j'ai participé à une exposition à Lausanne sur la femme dans le Surréalisme. Le jour de l'ouverture, des surréalistes de gauche distribuè­rent des tracts qui expliquaient au bon peuple que j'étais un sinistre copain d'Eichmann et de Barbie! Jamais vu une abjection pareille...

 

Q.: Après la guerre, vous avez participé aux travaux d'un groupe portant le nom étrange de «Fantasmagie»? On y rencontrait des figures comme Aubin Pasque, Pol Le Roy et Serge Hutin...

 

ME: Oui. Le Roy et Van Wassenhove avaient été tous deux condamnés à mort (12). Après la guerre, en dehors de l'abstrait, il n'y avait pas de salut. A Anvers règnait la Hessenhuis:  dans les années 50, c'était le lieu le plus avant-gardiste d'Europe. Pasque et moi avions donc décidé de nous associer et de recréer quelque chose d'«anti». Nous avons lancé «Fantasmagie». A l'origine, nous n'avions pas appelé notre groupe ainsi. C'était le centre pour je ne sais plus quoi. Mais c'était l'époque où Paul de Vree possédait une revue, Tafelronde.  Il n'était pas encore ultra-moderniste et n'apprit que plus tard l'existence de feu Paul van Ostaijen. Jusqu'à ce moment-là, il était resté un brave petit poète. Bien sûr, il avait un peu collaboré... Je crois qu'il avait travaillé pour De Vlag (13). Pour promouvoir notre groupe, il promit de nous consacrer un numéro spécial de Tafelronde.  Un jour, il m'écrivit une lettre où se trouvait cette question: «Qu'en est-il de votre "Fantasmagie"?». Il venait de trouver le mot. Nous l'avons gardé.

 

Q.: Quel était l'objectif de «Fantasmagie»?

 

ME: Nous voulions instituer un art pictural fan­tastique et magique. Plus tard, nous avons attiré des écrivains et des poètes, dont Michel de Ghelderode, Jean Ray, Thomas Owen, etc. Mais chose plus importante pour moi est la création en 1982, à l'occasion de mes soixante-quinze ans, par un petit groupe d'amis, d'une Fondation Marc. Eemans  dont l'objet est l'étude de l'art et de la littérature idéalistes et symbolistes. D'une activité plus discrète, mais infiniment plus sé­rieuse et scientifique, que la «Fantasmagie», cette Fondation a créé des archives concernant l'art et la littérature (accessoirement également la mu­sique) de tout ce qui touche au symbole et au mythe, non seulement en Belgique mais en Europe voire ailleurs dans le monde, le tout dans le sens de la Tradition primordiale.

 

Q.: Vous avez aussi fondé le Centrum Studi Evoliani, dont vous êtes toujours le Président...

 

ME: Oui. Pour ce qui concerne la philosophie, j'ai surtout été influencé par Nietzsche, Heidegger et Julius Evola. Surtout les deux der­niers. Un Gantois, Jef Vercauteren, était entré en contact avec Renato Del Ponte, un ami de Julius Evola. Vercauteren cherchait des gens qui s'intéressaient aux idées de Julius Evola et étaient disposés à former un cercle. Il s'adressa au Professeur Piet Tommissen, qui lui communiqua mon adresse. J'ai lu tous les ouvrages d'Evola. Je voulais tout savoir à son sujet. Quand je me suis rendu à Rome, j'ai visité son appartement. J'ai discuté avec ses disciples. Ils s'étaient dispu­tés avec les gens du groupe de Del Ponte. Celui-ci prétendait qu'ils avaient été veules et mesquins lors du décès d'Evola. Lui, Del Ponte, avait eu le courage de transporter l'urne contenant les cendres funéraires d'Evola au sommet du Mont Rose à 4000 m et de l'enfouir dans les neiges éternelles. Mon cercle, hélas, n'a plus d'activités pour l'instant et cela faute de personnes réelle­ment intéressées.

 

En effet, il faut avouer que la pensée et les théo­ries de Julius Evola ne sont pas à la portée du premier militant de droite, disons d'extrême-droite, venu. Pour y accéder, il faut avoir une base philosophique sérieuse. Certes, il y a eu des farfelus férus d'occultisme qui ont cru qu'Evola parlait de sciences occultes, parce qu'il est consi­déré comme un philosophe traditionaliste de droite. Il suffit de lire son livre Masques et vi­sages du spiritualisme contemporain pour se rendre compte à quel point Evola est hostile, tout comme son maître René Guénon, à tout ce qui peut être considéré comme théosophie, anthropo­sophie, spiritisme et que sais-je encore.

 

L'ouvrage de base est son livre intitulé Révolte contre le monde moderne  qui dénonce toutes les tares de la société matérialiste qui est la nôtre et dont le culte de la démocratie (de gauche bien en­tendu) est l'expression la plus caractérisée. Je ne vous résumerai pas la matière de ce livre dense de quelque 500 pages dans sa traduction française. C'est une véritable philosophie de l'histoire, vue du point de vue de la Tradition, c'est-à-dire selon la doctrine des quatre âges et sous l'angle des théories indo-européennes. En tant que «Gibe­lin», Evola prônait le retour au mythe de l'Em­pire, dont le IIIième Reich de Hitler n'était en somme qu'une caricature plébéienne, aussi fut-il particulièrement sévère dans son jugement tant sur le fascisme italien que sur le national-so­cialisme allemand, car ils étaient, pour lui, des émanations typiques du «quatrième âge» ou Kali-Youga, l'âge obscur, l'âge du Loup, au même titre que le christianisme ou le communisme. Evola rêvait de la restauration d'un monde «héroïco-ouranien occidental», d'un monde éli­taire anti-démocratique dont le «règne de la masse», de la «société de consommation» aurait été éliminé. Bref, toute une grandiose histoire philosophique du monde dont le grand héros était l'Empereur Frédéric II de Hohenstaufen (1194-1250), un véritable héros mythique...

 

Q.: Vous avez commencé votre carrière en même temps que Magritte. Au début, vos œuvres étaient même mieux cotées que les siennes...

 

ME: Oui et pourtant j'étais encore un jeune galo­pin. Magritte s'est converti au Surréalisme après avoir peint quelque temps en styles futuriste, puis cubiste, etc. A cette époque, il avait vingt-sept ans. Je n'en avais que dix-huit. Cela fait neuf ans de différence. J'avais plus de patte. C'était la rai­son qui le poussait à me houspiller hors du groupe. Parfois, lorsque nous étions encore amis, il me demandait: «Dis-moi, comment pour­rais-je faire ceci...?». Et je répondais: «Eh bien Magritte, mon vieux, fais comme cela ou comme cela...». Ultérieurement, j'ai pu dire avec humour que j'avais été le maître de Magritte! Pendant l'Occupation, j'ai pu le faire dispenser du Service Obligatoire, mais il ne m'en a pas su gré. Bien au contraire!

 

Q.: Comment se fait-il qu'actuellement vous ne bénéficiez pas de la même réputation internationale que Magritte?

 

ME: Voyez-vous, lui et moi sommes devenus surréalistes en même temps. J'ai été célèbre lorsque j'avais vingt ans. Vous constaterez la vé­racité des mes affirmations en consultant la revue Variétés,  revue para-surréaliste des années 1927-28, où vous trouverez des publicités pour la ga­lerie d'art L'Epoque, dont Mesens était le direc­teur. Vous pouviez y lire: nous avons toujours en réserve des œuvres de... Suivait une liste de tous les grands noms de l'époque, dont le mien. Et puis il y a eu le formidable krach de Wall Street en 1929: l'art moderne ne valait plus rien du jour au lendemain. Je suis tombé dans l'oubli. Aujourd'hui, mon art est apprécié par les uns, boudé par d'autres. C'est une question de goût personnel. N'oubliez pas non plus que je suis un «épuré», un «incivique», un «mauvais Belge», même si j'ai été «réhabilité» depuis... J'ai même été décoré, il y a quelques années, de l'«Ordre de la Couronne»... et de la Svastika, ajoutent mes ennemis! Bref, pas de place pour un «surréaliste pas comme les autres». Certaines gens prétendent qu'«on me craint», alors que je crois plutôt que j'ai tout à craindre de ceux qui veulent me réduire au rôle peu enviable d'«artiste maudit». Mais comme on ne peut m'ignorer, certains spéculent déjà sur ma mort!

 

Propos recueillis en partie par Koenraad Logghe, en partie par Robert Steuckers. Une version néerlandaise de l'entrevue avec Logghe est parue dans la revue De Vrijbuiter, 5/1989. Adresse: De Vrijbuiter, c/o Jan Creve, Oud Arenberg 110, B-2790 Kieldrecht.   

 

(1) L'activisme est le mouvement collaborateur en Flandre pen­dant la première guerre mondiale. A ce propos, lire Maurits Van Haegendoren, Het aktivisme op de kentering der tijden, Uitgeve­rij De Nederlanden, Antwerpen, 1984.

(2) Paul Werrie était collaborateur du Nouveau Journal,  fondé par le critique d'art Paul Colin avant la guerre. Paul Werrie y te­nait la rubrique «théâtre». A la radio, il ani­mait quelques émis­sions sportives. Ces activités non po­li­tiques lui valurent toute­fois une condamnation à mort par contumace, tant la justice mi­litaire était sereine... Il vé­cut dix-huit ans d'exil en Espagne. Il se fixa ensuite à Marly-le-Roi, près de Paris, où résidait son compagnon d'infortume et vieil ami, Robert Poulet. Tous deux participèrent activement à la rédaction de Rivarol  et des Ecrits de Paris.

(3) Paul André van Ostaijen (1896-1928), jeune poète et es­sayiste flamand, né à Anvers, lié à l'aventure activiste, émigré politique à Berlin entre 1918-1920. Fonde la revue Avontuur, ouvre une galerie à Bruxelles mais miné par la tuberculose, abandonne et se consacre à l'écriture dans un sanatorium. Inspiré par Hugo von Hoffmannsthal et par les débuts de l'expres­sionnisme allemand, il développe un nationalisme fla­mand à dimensions universelles, tablant sur les grandes idées d'humanité et de fraternité. Se tourne ensuite vers le dadaïsme et le lyrisme exprérimental, la poésie pure. Exerce une grande in­fluence sur sa génération.

(4) L'Athenée est l'équivalent belge du lycée en France ou du Gymnasium en Allemagne.

(5) Maurits Brants a notamment rédigé un ouvrage sur les héros de la littérature germanique des origines: Germaansche Helden­leer,  A. Siffer, Gent, 1902.

(6) Dans son ouvrage L'épreuve du feu. A la recherche d'une éthique,  René Baert évoque notamment les œuvres de Keyser­ling, Abel Bonnard, Drieu la Rochelle, Montherlant, Nietzsche, Ernst Jünger, etc.

(7) Louis Marie Anne Couperus (1863-1923), écrivain symbo­liste néerlandais, grand voyageur, conteur naturaliste et psycho­logisant qui met en scène des personnages décadents, sans vo­lonté et sans force, dans des contextes contemporains ou an­tiques. Prose maniérée. Couperus a écrit quatre types de romans: 1) Des romans familiaux contemporains dans la société de La Haye; 2) des romans fantastiques et symboliques puisés dans les mythes et légendes d'Orient; 3) des romans mettant en scène des tyrans antiques; 4) des nouvelles, des esquisses et des récits de voyage.

(8) Pendant la guerre, Urbain van de Voorde participe à la rédac­tion de la revue hollando-flamande Groot-Nederland.  A l'épu­ration, il échappe aux tribunaux mais, comme Michel de Ghel­de­rode, est révoqué en tant que fonctionnaire. Après ces tra­cas, il participe dès le début à la rédaction du Nieuwe Standaard  qui reprend rapidement son titre De Standaard,  et devient princi­pal quo­tidien flamand.

(9) Dans les années 20, le frontisme est le mouvement politique des soldats revenus du front et rassemblés dans le Frontpartij.  Ce mouvement s'oppose aux politiques militaires de la Belgique, notamment à son alliance tacite avec la France, jugée ennemie héréditaire du peuple flamand, lequel n'a pas à verser une seule goutte de son sang pour elle. Il s'engage pour une neutralité ab­solue, pour la flamandisation de l'Université de Gand, etc.

(10) Le poète Wies Moens (1898-1982), activiste pendant la première guerre mondiale et étudiant à l'Université flamandisée de Gand entre 1916 et 1918, purgera quatre années de prison entre 1918 et 1922 dans les geôles de l'Etat belge. Fonde les re­vues Pogen  (1923-25) et Dietbrand  (1933-40). En 1945, un tribunal militaire le condamne à mort mais il parvient à se réfu­gier aux Pays-Bas pour échapper à ses bourreaux. Il fut l'un des principaux représentants de l'expressionnisme flamand. Il sera lié, à l'époque du Frontpartij,  à Joris van Severen, mais rompra avec lui pour les raisons que nous explique Marc. Eemans.

Cfr.: Erik Verstraete, Wies Moens,  Orion, Brugge, 1973.

(11) Les tribunaux militaires belges était présidés par des «au­diteurs» lors de l'épuration. On parlait également de l'«Audi­torat militaire». Pour comprendre l'abomination de ces tribunaux, le mécanisme de nomination au poste de juge de jeunes juristes inexpérimentés, de sous-officiers et d'officiers sans connaissances juridiques et revenus des camps de prison­niers, lire l'ouvrage du Prof. Raymond Derine, Repressie zonder maat of einde? Terug­blik op de collaboratie, repressie en amnes­tiestrijd,  Davidsfonds, Leuven, 1978. Le Professeur Derine si­gnale le mot du Ministre de la Justice Pholien, dépassé par les événements: «Une justice de rois nègres».

(12) Pol Le Roy, poète, ami de Joris Van Severen, chef de pro­pagande du Verdinaso, passera à la SS flamande et au gouverne­ment en exil en Allemagne de septembre 44 à mai 45. Van Was­senhove, chef de district du Verdinaso, puis de De Vlag (Deutsch-Vlämische Arbeitsgemeinschaft),  à Ypres, a été con­dam­né à mort en 1945. Sa femme verse plusieurs millions à l'Au­ditorat militaire et à quelques «magistrats», sauvant ainsi la vie de son époux. En prison, Van Wassenhove apprend l'es­pagnol et traduit plusieurs poésies. Il deviendra l'archiviste de «Fantasmagie».

(13) De Vlag (= Le Drapeau) était l'organe culturel de la Deutsch-Vlämische Arbeitsgemeinschaft. Il traitait essentielle­ment de questions littéraires, artistiques et philosophiques.

 

vendredi, 30 octobre 2009

Les "Ailleurs" d'Henri Michaux

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Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1998

Les Ailleurs d'Henri Michaux

 

Sous le titre Les Ailleurs d'Henri Michaux, la revue belge Sources  a publié les actes d'un colloque consacré au grand poète à Namur en 1995. Des nombreuses interventions, nous citerons un passage de Sylviane Gora; intitulée «Henri Michaux: sur la Voie orientale»: «Ce par quoi Michaux va être fasciné, d'une manière indiscutable, est cette possibilité pour un Oriental d'accepter et d'assumer tout sentiment d'incomplétude de soi. Michaux se détourne de la civilisation judéo-chrétienne dans laquelle il se sent si mal, s'expatrie au moins le temps d'un voyage, s'exile vers des pays autres, pays différents qui ne considèrent pas forcément la Raison comme une faculté universelle, qui font voler en éclats le principe d'identité et d'unité du sujet. L'Occidental décentré va trouver une autre orientation en Orient. Plusieurs principes spirituels ou principes philosophiques vont, dans une certaine mesure, le fasciner ou le séduire. Mais ces éléments vont ou non se couler subtilement dans son œuvre littéraire et picturale pour former ce fameux “alliage” dont parlait René Bertelé. Mais au fait, de quel Orient s' agit-il, de quelle religion en l'occurrence: le bouddhisme chinois ou tibétain, le taoïsme, le shintoïsme, etc.? De quelle peinture orientale s'agit-il? Ne risque-t-on pas de ressasser de belles généralités en tentant de la sorte de pointer du doigt tel ou tel aspect typiquement oriental chez Michaux? Ceci est beaucoup plus qu'une précaution oratoire. A mes yeux, le piège est réel. La seule manière de s'en sortir est de signaler, çà et là, et dans les limites de cette étude, d'étranges et de troublants accords entre cet Occidental par force et cet Orient à la fois réel et mythique. Ce que l'on peut dire, sans trop se tromper je crois, c'est que Michaux a été fasciné par l'art oriental (la peinture et la musique) ainsi que par la religion orientale, en particulier par la pensée hindoue en raison de son caractère foncièrement prométhéen. Dans sa longue quête de la connaissance, Michaux a été attiré par cette manière dont les Hindous considèrent la perte. Il constate en lui cette béance ontologique qui, dans le cadre européen, est perçue comme une faiblesse difficilement réparable. Il va être étonné par le renversement de perspective qu'opèrent les Orientaux dans ce domaine. Lui, le dépouillé, le pauvre hère, le désorienté va considérer la souffrance et le dépouillement de l'être comme des éléments nécessaires, vitaux, révélateurs de la condition humaine, en premier lieu parce que ces éléments donnent à l'être une conscience corporelle. François Trotet, dans «Henri Michaux ou la sagesse du vide», démontre combien la souffrance, notion centrale dans le bouddhisme, à la fois physique et intérieure chez le poète, est utile car elle permet à l'être d'acquérir une conscience corporelle dégagée de tout dualisme». A signaler aussi les bons textes de Jean-Luc Steinmetz («Le démon de Henri Michaux») et de Madeleine Fondo-Valette («Michaux lecteur des mystiques») (J. de BUSSAC).

 

Les ailleurs de Henri Michaux, Sources, Maison de la Poésie, (rue Fumal 28, B-5000 Namur),1996, 250 pages, 100 FF.

jeudi, 17 septembre 2009

Trois études allemandes sur Henri Michaux

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Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1998

 

 

Robert Steuckers:

 

Trois études allemandes sur Henri Michaux

 

 

 

Henri Michaux (1): Un barbare en voyage

 

Dans une collection dirigée par l’écrivain allemand Hans Magnus Enzensberger et publiée chez Eichborn à Francfort, nous avons trouvé une traduction de Henri Michaux, Ein Barbar auf Reisen  (= Un barbare en voyage), où l’écrivain né à Namur découvre à 30 ans, à une époque où les nuées de touristes chamarrés et ventripotents ne souillaient pas encore les paysages, l’Inde, la Chine, l’Equateur, Bali, etc. Michaux explique comment il a accepté et assimilé en lui cette découverte des Autres, comment il a été fasciné, sans cultiver le moindre esprit missionnaire, par leur altérité. Michaux est un “barbare” pour ces Indiens et ces Chinois: il ne se convertira pas à leurs mœurs, il ne les imitera pas de manière grotesque comme certains touristes ou certains enthousiastes se piquant de modes ou de philosophies orientales, il restera lui-même, tou­t en admirant leur culture authentique. Un message impor­tant à l’heure où Européens comme Asiatiques sont sommés de s’aligner sur l’étroitesse mentale des parvenus de la middle class  new-yorkaise, sous peine d’être ratatinés sous un tapis de bombes comme les enfants de Hambourg en 1943, comme ceux de Bagdad en 1991 (Ein Barbar auf Reisen, 384 p., ISBN 3-8218-4161-3, DM 49,50, Eichborn Verlag, Kaiser­strasse 66, D-60.329 Frankfurt a. M., http://www.eichborn.de).

 

Henri Michaux (2): Mescaline

 

Comme Ernst Jünger, Michaux, qui était poète et peintre («Je peins comme j’écris», a-t-il dit en 1959), a fait l’expérience d’une drogue, la mescaline, mais sous contrôle médical, entre 1954 et 1959. L’objectif de cette expérience était d’élargir les limites de la perception et de la conscience. Il en a découlé deux séries de dessins: les dessins dits de la mescaline, puis, entre 1966 et 1969, les dessins dits d’après la mescaline, en d’autres mots, les “dessins de la désagrégation”. Pour Mi­chaux, l’expérience de la mescaline lui a servi à réorienter sa conscience, à expérimenter l’élasticité de l’espace et du temps, etc. Peter Weibel, Victoria Combalia et Jean-Jacques Lebel accompagnent la nouvelle édition allemande de ces dessins, parue au “Verlag der Buchhandlung Walther König” de Cologne (Henri Michaux, Meskalin, 170 ill., ISBN 3-88375-329-7, Verlag der Buchhandlung Walther König, Ehrenstrasse 4, D-50.672 Köln).

 

Henri Michaux (3): Drogues, langues et écritures

 

Décidément, l’édition allemande prépare bien le prochain centenaire de Henri Michaux, né en 1899. A noter également, chez l’éditeur Droschl à Graz en Autriche, deux versions alle­mandes d’œuvres de Michaux: Erkenntnis durch Ab­grü­n­de, le dernier des ouvrages de Michaux sur l’expérien­ce des dro­gues, où l’“arrêt” , la “catatonie”, est la préoccupation majeure du poète; Von Sprachen und Schriften, où Michaux se de­mande si le langage est apte à exprimer les situations extrê­mes, l’expérience des catastrophes, de la folie, le cas des en­fants sauvages découverts en forêt et qui ont une telle expé­rien­ce de l’immédiateté des choses naturelles. Car Michaux veut instituer une langue véritablement vivante, qui ne sert pas seulement à communiquer des rapports secs, mais puisse transmettre la vitalité, les sentiments réels dans toute leur complexité, les situations avec tout ce qu’elles impliquent comme relations parallèles (H. M., Erkenntnis durch Abgrün­de, öS 300 ou DM 44; Von Sprachen und Schriften, öS 150 ou DM 22; Literaturverlag Droschl, Albertstrasse 18, A-8010 Graz; e-mail: droschl@gewi.kfunigraz.ac.at)

 

samedi, 21 mars 2009

"Variations pour un bal masqué" de Marc. Eemans

00:10 Publié dans art | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : peinture, surréalisme, belgique, flandre, belgicana | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

dimanche, 15 février 2009

Réflexions sur l'idéal "perséide", sur les politiques de la dynastie Pahlavi, sur la révolution islamiste et la notion de "djallihiyya"

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Réflexions sur l'idéal "persédie", sur les politiques de la dynastie Pahlavi, sur la révolution islamiste et la notion de "djallihiyya"

Paris, Invalides, "Mémorial des Rois", 7 février 2009

Intervention de Robert Steuckers

 

Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs, Monsieur le Président,

 

Nous ne nous connaissions pas et nous allons faire connaissance aujourd’hui. C’est par l’intermédiaire d’un texte que vous avez appris l’existence de nos travaux d’histoire et de géopolitique. Ce texte sur l’histoire et le destin de l’Iran a toutefois une genèse. Une genèse qu’il me paraît plus impérative de vous expliciter, avant de passer au vif du sujet, plutôt que de vous rappeller les grands moments d’une histoire iranienne que, somme toute, vous connaissez bien mieux  que moi.

 

Ce texte s’inscrit dans un itinéraire personnel et l’élément premier, certes le plus modeste, relève peut-être tout simplement d’une piété filiale, car mon père, homme simple, vouait une admiration à l’endroit de SMIR Mohammed Reza Pahlavi et de son oeuvre sociale, économique et politique.

 

Mais la raison qui poussera le jeune adulte que j’étais à respecter et à explorer le passé iranien me vient du peintre, poète et érudit Marc. Eemans, issu des milieux surréalistes bruxellois des années 20 et 30.

 

A cette époque, la Belgique connaissait un “Renouveau bourguignon”, avec les historiens Paul Colin, Luc Hommel et bien d’autres, qui entendaient renouer avec les “fastes de la Cour de Bourgogne” et avec l’âge d’or artistique, musical et chorégraphique (Elsa Darciel) du XV° siècle des Pays-Bas et du Luxembourg.

 

Cette volonté de retrouver l’âge d’or des Ducs de Bourgogne n’avait pas qu’une vocation artistique: elle posait également des objectifs politiques, dont:

1)       Le rappel, dans l’imaginaire des élites et des étudiants, des étapes de l’unification territoriale du “Cercle de Bourgogne” pour tenter de contrer, de manière anamorphique, toutes les forces centrifuges, qu’elles émanent du calvinisme hollandais, de l’imitation du républicanisme français dans les provinces romanes ou du nationalisme flamand plus récent.

 

2)       Le rappel de la vocation impériale et européenne (Drion du Chapois) des terres du “Cercle de Bourgogne”, à cette époque où les héritages bourguignon-bavarois de Philippe le Bon et Charles le Hardi, habsbourgeois de l’Empereur Maximilien I et aragonais-castillan de Ferdinand et Isabelle fusionneront par la politique dynastique des Ducs, Empereurs et Rois. C’est dans ce cadre grand-européen, sans limites territoriales trop exigües, que devait s’épanouir le génie des comtés et duchés du Cercle de Bourgogne.

 

3)       Cette fidélité au triple héritage bourguignon, habsbourgeois et aragonais-castillan a des implications géopolitiques bien évidentes: il faut ramener le Danube de ses sources à son embouchure dans le giron impérial romain, en dépit des défaites  de Nicopolis (1396; avec Jean sans Peur) et de Varna (1444); la maîtrise du bassin danubien dans sa totalité implique de déboucher dans la Mer Noire, dans cet espace pontique qui avait généré  le mythe des Argonautes et de la Toison d’Or, symbole de la chevalerie fondée par Philippe le Bon, une chevalerie qui doit tant, dans ses principes, aux traditions immémoriales de la Perse et de la religion de Zoroastre, dont on situait l’origine, à l’époque, au-delà de la Terre de Colchide.

Le retour à la Mer Noire, à la Terre de Colchide et à l’Orient sarmate ou perse avait pour corollaire stratégique de contrôler l’ensemble de la Méditerranée et surtout son bassin oriental, ce qui nous mènera, plus tard, à la demi-victoire de Lépante en 1571.

 

Dans le cadre de ce renouveau bourguignon, essentiellement artistique et esthétique pour le grand public, examinons le rôle de Marc. Eemans, né en 1905 à Termonde et féru, dès son adolescence, de toutes les avant-gardes provocatrices des trois premières décennies du XX° siècle. Marc. Eemans a vécu, intensément, comme tous les jeunes audacieux de son temps, les avènements successifs du futurisme, du dadaïsme, du surréalisme, du vorticisme anglo-saxon, avec leur cortège de provocations, pour arriver, jeune adulte, à davantage de discernement: on ne construit rien sur les sables mouvants de la provocation et de la polissonnerie; toute critique de l’établissement culturel dominant de l’Occident rationaliste et positiviste passe par un retour aux mythes et aux traditions. Ce fut l’option de quelques figures importantes du post-surréalisme. Quelques exemples: Henry Corbin, Roger Caillois, Jules Monnerot.

 

Marc. Eemans fonde, dans ce contexte, la revue “Hermès” qui paraîtra de 1933 à 1939, plus exactement jusqu’à la mobilisation générale des armées de septembre 1939, où 620.000 hommes revêteront l’uniforme. A l’époque secrétaire national au tourisme, il s’était penché sur l’étude des dimensions spirituelles se profilant derrière l’art religieux de nos pays; dans le cadre de ces activités, il découvre la tradition mystique médiévale de Flandre, de Brabant et de Rhénanie, dont “Hermès” explorera l’univers.

 

Le parallèle était évident entre ces traditions de l’Extrême Occident européen et l’oeuvre de votre grand mystique Sohrawardi, avec son culte de la Lumière que l’on retrouve tout autant dans l’architecture iranienne que dans l’architecture gothique. L’élan vers le Ciel, vers Ouranos et la Lumière divine, techniquement concrétisé dans les vitraux de nos cathédrales est une dimension commune, à l’Iran et à l’Europe, où jaillit et rejaillit la tradition persane et zoroastrienne.

 

Pendant la seconde guerre mondiale, Marc. Eemans participe, comme Félicien Marceau, à des émissions radiophoniques de nature culturelle, ce qui lui vaut d’être épuré dès 1944, en dépit de sa participation à des cercles ésotériques hostiles à la politique culturelle et artistique du III° Reich, cercles qui s’appelaient les “Perséides”: leur démarche s’inspirait directement de la mystique de Sohrawardi et du culte vieux-persan de la Lumière aurorale, seul capable de rendre à l’Europe une spiritualité originale et fidèle à ses plus lointaines racines indo-européennes.

 

Après la guerre, Marc. Eemans deviendra l’historien encyclopédiste des mouvements artistiques belges. Je ne pouvais omettre de parler devant vous de cette dette à l’endroit du Perséide Marc. Eemans.

 

J’ai connu Marc. Eemans en 1978, à l’époque où l’Iran connaissait les bouleversements qui le conduiront à devenir une “république islamique”. Nous étions dubitatifs devant ces événements que nous ne comprenions guère, n’étant pas du tout au fait des subtilités de la théologie islamique. Seuls les militants un peu hallucinés du “Parti Ouvrier Européen” ou “Europäische ArbeiterPartei”, téléguidé par Lyndon LaRouche depuis les Etats-Unis, dénonçaient les circuits de Khomeiny comme des réseaux au service de l’Intelligence Service et inscrivaient les bouleversements subis par l’Iran dans la stratégie asiatique de Zbignew Brzezinski. Personne ne les prenait au sérieux, et pourtant...

 

Pour nous, plus simplement, quelque chose de beau et de cohérent était en train de s’effriter, d’être brisé, réduit à néant et dispersé sous les vents cruels de l’histoire. Plus prosaïquement, nous lisions, médusés, les slogans idiots bombés par les alliés gauchistes de la révolution islamiste, sur les murailles sinistres de la Gare du Midi et ailleurs dans Bruxelles (“Chat’Iran – Chat-tyran”, etc.). D’autres prévoyaient, furieux, le ressac de l’industrie métallurgique wallonne, privée de ses débouchés iraniens. Ce que le boycot ordonné par Washington allait amplement confirmer.

 

Le Moyen Orient venait donc d’être plongé dans le chaos. Et les cercles politiques, toutes tendances et orientations confondues, s’enlisaient dans deux erreurs d’analyse majeures:

 

1)       Bon nombre d’observateurs, surtout à droite de l’échiquier politique, se mirent à croire, parce que le Toudeh communiste était partie prenante dans la “révolution”, que l’Iran tout entier allait basculer dans l’orbite de l’URSS qui avançait aussi ses pions en Afghanistan. La révolution, en dépit de son discours islamiste, ne camouflait, pensaient-ils, que l’ancienne volonté tsariste et stalinienne d’avoir accès, via l’Iran, aux mers chaudes et à l’Océan Indien.

 

2)       D’autres, viscéralement hostiles à la tutelle qu’exerçaient les Etats-Unis sur l’Europe et sur le reste du monde, se félicitaient que le nouveau pouvoir en place à Téhéran, était anti-américain, du moins en apparence. Leur raisonnement s’articulait comme suit: “Si les Etats-Unis occupent l’Europe et si nous manifestons contre le déploiement de missiles américains de type Pershing en Europe et, enfin, si nous applaudissons au renouveau du neutralisme en Allemagne Fédérale, alors nous devons nous réjouir de voir Washington confronté à un nouvel ennemi en Iran”. Le nouveau pouvoir à Téhéran est devenu ainsi le nouveau joujou idéologique  —pour paraphraser Rémy de Gourmont—  de toute une fraction intellectualiste intransigeante et aussi d’une bruyante “lunatic fringe” qui va des gauchismes de tous poils aux petits cénacles nationaux-révolutionnaires et à la “nouvelle droite” parisienne. Le “chiisme” dans ses variantes extrémistes et militantes, déduites de la révolution khomeyniste, fut ainsi perçu comme un levier capable de soulever l’ensemble du Moyen et du Proche Orient pour le libérer de la tutelle américaine. Résultat de cette hyper-simplification: un dualisme caricatural qui ne peut en aucun cas servir de mesure pour jauger correctement les relations internationales et les conflictualités locales ni même pour rendre compte d’un phénomène dans toutes ses complexités et nuances.

 

Ces deux modes de penser de travers, ces deux batteries de prises de position ont appelé de notre part des correctifs, au fil de nos interrogations et de nos lectures.

 

L’erreur qui consistait à percevoir la “révolution khomeyniste” comme une entreprise machiavélique et camouflée des Soviétiques, désireux de se tailler une fenêtre sur l’Océan Indien, était infirmée par les bons rapports que la diplomatie impériale iranienne entretenait avec l’URSS, sans aucun lien de vassalité et sans aucune concession à l’idéologie communiste. Par ailleurs, cette diplomatie impériale était inspirée par l’excellente notion stratégique de diversification, ce qui impliquait, concrètement, une diversification des rapports de dépendance et d’interdépendance, à l’instar de la politique gaullienne de Maurice Couve de Murville.

 

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S.M. le Shah avait développé une vision cohérente, harmonieuse et pacifique de la géopolitique de l’Océan Indien (cf. les travaux du géopolitologue Mohammed Reza Djalili), si bien qu’une diagonale eurasienne de paix aurait été possible, à terme, de l’Europe à l’Australie, avec le territoire iranien pour segment central, avec deux verrous seulement, que l’on pouvait aisément neutraliser par une diplomatie habile: la Turquie, pro-américaine, et l’Indonésie. Dans cet immense espace pacifié,centré autour du bloc avestique-védique, de l’Iran à l’Inde, la “Grande Civilisation”, rêvée par S.M. le Shah, aurait pu rayonner de ses mille feux.

 

Au regard de cette vision impériale, la géopolitique du chiisme (selon l’expression de François Thual) ne peut jouer le même rôle dans tout l’environnement géographique de l’Iran en tant que territoire, c’est-à-dire tout l’environnement centre-asiatique, indien, sunnite, arabe et turcophone du pays. Toutes les composantes de cet environnement peuvent admettre un apport authentiquement iranien dans leur héritage, mais pas nécessairement un apport chiite, comme le prouvent les inimitiés solides à l’endroit du chiisme qui subsistent au sein de l’univers religieux et politique sunnite et surtout wahhabitique.

 

La notion de “civilisation iranienne”, si clairement explicitée dans la “Réponse à l’histoire” de S.M. le Shah, s’avère finalement plus écouménique et fructueuse sur le long terme que le khomeynisme à coloration chiite. Plus récemment, la politologue française Laurence Louër a démontré, dans ses quelques ouvrages sur les réseaux chiites transnationaux, que ceux-ci, hors de l’Iran, obéissaient à des logiques fortes, le plus souvent locales, et, de ce fait, difficilement instrumentalisables dans une perspective impériale ou post-impériale irano-centrée. C’est partiellement le cas du Hezbollah et surtout du chiisme irakien, où la fraction Al-Dawa et les sadristes demeurent, ou du moins demeuraient jusqu’il y a peu, indépendants de toute influence iranienne déterminante.

 

En Irak, l’ASRII est demeurée pro-iranienne jusqu’en 2007, année où elle a opéré un virage vers des options plus nationales et plus autonomes par rapport à l’autorité religieuse d’Ali Khamenei.

 

L’élimination du pouvoir baathiste de Saddam Hussein, explique Laurence Louër, a certes été une aubaine pour l’Iran post-khomeyniste, qui voyait disparaître son ennemi mésopotamien: sans Saddam Hussein, le  pouvoir post-khomeyniste, que ce soit celui de Khatami, dit “modéré”, ou celui d’Ahmadinedjad, pouvait, en théorie, exercer une influence plus directe sur les communautés chiites extra-iraniennes mais, en dépit de quelques succès francs et évidents, cette influence demeure finalement plus fluctuante, moins assurée, qu’on aurait pu se l’imaginer.

 

Les inimitiés au sein du monde musulman lui-même pèsent très souvent plus lourd que les solidarités potentielles dont rêvaient les pan-islamistes anti-américains qui, en Occident, par tradition contestatrice, énonçaient leurs prophéties apocalyptiques en chambre ou en salon, à défaut d’avoir un impact sur le terrain.

 

La notion de “civilisation iranienne” et le grand dessein de S.M. le Shah pour tout l’espace riverain de l’Océan Indien, appuyé par une diplomatie classique, avait plus de chance de réussir à terme. Et d’ouvrir une ère de paix en Afghanistan, où l’Iran impérial s’apprêtait à offrir une aide au développement;

sur la frontière irako-iranienne où les accords d’Alger de 1975, portant sur le Chatt’El-Arab, avaient aplani bien des différends;

sur la frontière nord avec l’URSS grâce à des accords diplomatiques et économiques bilatéraux bien étayés;

avec la Turquie dans le cadre du CENTO et en souvenir de l’amitié entre S.M. impériale Reza Pahlavi et Mustafa Kemal Atatürk;

avec l’Egypte sunnite, liée à l’Iran par une amitié solide;

avec l’Arabie Saoudite du Roi Fayçal dans le cadre de l’OPEP.

 

La notion de “civilisation iranienne”, et celle de “Grande Civilisation”, induisaient une meilleure stratégie sur l’échiquier international, plus réaliste au sens de la Realpolitik traditionnelle, sans aucun ballast idéologique particulier, plutôt particulariste et donc inexportable. Les services américains et britanniques, qui se profilaient derrière la “révolution khomeyniste”, ont justement voulu éliminer ce facteur de paix et décapiter une armée et une marine qui auraient garanti un ordre régional et plus tard supra-régional dans le Golfe et au moins dans la partie occidentale de l’Océan Indien.

 

L’éradication de l’armée, et plus particulièrement de l’armée de l’air impériale iranienne, avait connu un précédent, en 1941, quand l’aviation britannique avait détruit la marine de S.M. Reza Pahlavi.

 

Washington a donc cherché à établir, entre la Méditerranée orientale et son allié pakistanais, un ordre géopolitique sans assises territoriales réelles, en tablant sur des affinités idéologiques entre le sionisme israélien et le biblisme protestant et puritain qui sous-tend la théologie politique américaine. Washington a donc privilégié une alliance idéologique plutôt que géopolitique, explique le politologue irano-américain Trita Parsi.

 

Israël constituait, pour les Etats-Unis, après 1956, un atout stratégique majeur: celui de disposer d’une armée efficace, structurée sur le binôme char d’assaut/chasseur bombardier (Centurion/MirageIII), à proximité du Canal de Suez pour dégager celui-ci au cas où Nasser, ou tout nouveau Nasser, le fermerait à la circulation maritime. L’Egypte est devenue, avec Sadate et Moubarak, une alliée des Etats-Unis mais le lien de Washington avec Israël est resté puissant, inébranlable. La concurrence majeure au Proche et au Moyen Orient est celle qui sévit entre Téhéran et Tel Aviv, selon Trita Parsi.

 

Dès le développement de la marine impériale iranienne et des capacités spécifiques de ses aéroglisseurs d’assaut, deux pôles de puissance se juxtaposaient dans l’espace du Proche et du Moyen Orient, et se concurrençaient pour obtenir le titre d’allié privilégié des Etats-Unis. Ce sont ces considérations-là qui prévalent aujourd’hui, en dépit des vicissitudes politiques et indépendamment des discours idéologiques ou religieux, des propagandes médiatiques. Il faut tout de même noter une différence de taille: au temps de la Guerre Froide et de l’existence de l’URSS et du Pacte de Varsovie, la concurrence entre Téhéran et Tel Aviv était moins virulente. Une fois que le grand croquemitaine soviétique s’est retrouvé, dès la fin des années 70, sur la pente du déclin économique et technologique, la concurrence est devenue plus vive, plus âpre. Avec, en filigrane, cette question lancinante: “Laquelle des deux  puissances aura la faveur des Etats-Unis dans un avenir plus ou moins proche?”.

 

Israël est demeuré le favori, vu les affinités idéologiques entre le puritanisme bibliste et un certain sionisme. Mais l’insignifiance, l’exigüité et la fragilité territoriales d’Israël permettent aisément de dire qu’un ordre régional reposant sur une base territoriale et démographique aussi ténue n’est guère tenable à long terme, surtout s’il n’y a plus d’ennemi égyptien ou irakien et si l’ennemi syrien peut être considéré comme quantité négligeable.

 

Pour consolider le projet américain de “Greater Middle East”, il faut un noyau territorial plus vaste et une masse démographique suffisante. Qui plus est, ce territoire et cette population doivent occuper une position centrale, au beau milieu de l’espace que l’on entend organiser et pacifier. Au beau milieu de ce “Greater Middle East”, il n’y a que l’Iran qui puisse tenir ce rôle. C’est exactement ce que disait S.M. le Shah quand elle parlait de l’espace de la “civilisation iranienne”. Le “Greater Middle East” dont rêvent les Américains, afin qu’il leur serve de débouché pour relancer leur économie, n’est rien d’autre qu’un espace qui, en toutes ses parties, à un moment ou à un autre de l’histoire de ces cinq ou six derniers millénaires, a reçu une empreinte, une détermination ou une influence iranienne.

 

Cependant, créer un “Greater Middle East” reviendrait à redonner à l’espace territorial iranien sa centralité impériale pluriséculaire, même après avoir écrasé un Iran islamiste comme le voudraient les faucons du Pentagone. Ensuite à restaurer l’aire de la “civilisation iranienne” qui ne peut accepter que des déterminations issues de sa propre matrice spirituelle, historique, linguistique et géographique.

 

La gestion d’une telle aire civilisationnelle implique justement une diplomatie différenciée, non idéologisée, axée sur le divers du réel proche et moyen-oriental, sur la diversification nécessaire, comme l’avaient préconisé les deux Shahs de la dynastie Pahlavi.

 

Richard Nixon était prêt à laisser l’Iran impérial jouer ce rôle de puissance régionale. Les démocrates qui lui ont succédé, après le Watergate, n’ont pas voulu cette solution et ont soutenu directement tous les adversaires idéologiques ou religieux du régime impérial, y compris les plus farfelus. Washington ne veut pas d’adjudant efficace: ni en Europe ni au Moyen Orient ni en Asie orientale. En dépit des propositions d’alliance irano-américaine, que formule aujourd’hui Robert Baer, dans l’espoir de dégager le contribuable américain de la charge très lourde que constitue le double budget de guerre pour l’Irak et pour l’Afghanistan. D’autant plus que le chaos persiste et s’amplifie dans les deux pays voisins de l’Iran, occupés par les Etats-Unis, l’OTAN et leurs alliés et supplétifs. Robert Baer rêve de voir une armée iranienne prendre le relais des Américains et de l’OTAN en Afghanistan et en Irak. Pour étoffer son plaidoyer, il n’évoque ni un impérialisme iranien dangereux à terme pour l’ensemble de la planète, comme l’ont décrit dans les médias et les faucons israéliens et les porte-paroles des cénacles néo-conservateurs. Ni un Iran devenu puissance nucléaire. Le ton est doux, suave et rationnel. Diamétralement différent du discours néo-conservateur d’Outre-Atlantique ou du discours des anciens mousquetaires de la “nouvelle philosophie”, ici, sur la place de Paris.

 

Mais n’est-ce pas pour enliser l’Iran dans une guerre qu’il n’a pas voulu? Une guerre que son dernier Empereur avait justement voulu éviter en signant les accords d’Alger avec l’Irak et en offrant au Roi Zaher Shah d’Afghanistan une aide fraternelle, ce qui a fait hurler les tenants sourcilleux de la vieille géopolitique anglo-saxonne d’Homer Lea qui ne veulent pas, n’ont jamais voulu, d’une présence iranienne en Afghanistan, ni en 1837 ni en 1857 ni dans les années 70 du XX°siècle. Le malheureux pays des Hazaras et des Pachtounes n’aurait alors connu ni la révolution communiste ni l’occupation soviétique ni le “low intensity warfare” des talibans ni l’invasion occidentale.

 

Les Etats-Unis ont voulu éliminer la politique régionale et la stratégie de diversification de S.M. le Shah. Dans la foulée, ils ont voulu bloquer sa politique d’indépendance énergétique par le développement du nucléaire et par sa participation à EURODIF, qui impliquait un tandem euro-iranien; de même, ils ont voulu briser la coopération entre l’Allemagne, la France, d’autres puissances européennes et l’Iran en tous domaines. Pour cela, ils ont créé les conditions qui ont mené à trente ans de gâchis, d’isolement, de boycot, de guerre, de ruine et de désolation.

 

Pour voir in fine ressurgir un Iran, certes affaibli, en deçà des potentialités que lui réservait la politique impériale, mais un Iran, qui, par le poids de l’histoire et de la géographie, reste, en dépit de toutes les avanies qu’il a subies, la puissance principale de la région; que l’on a le culot, aujourd’hui à Washington, de solliciter à nouveau comme allié, alors que l’on avait repoussé les timides ouvertures de Khatami et de son “dialogue des civilisations”, afin de couler sa politique et de faire accéder au pouvoir Ahmadinedjad, que l’on pouvait facilement diaboliser dans les médias afin de poursuivre la politique d’ostracisme à l’endroit de l’Iran, désormais encerclé par les armées américaines campées en Irak et en Afghanistan, sans compter les bases de l’Ouzbékistan et du Kirghizistan, à l’avenir mal assuré, il est vrai.

 

Une partie de l’établissement américain cherche désormais à renouer avec l’Iran pour éviter que son potentiel ne favorise les stratégies russes, tandis que l’Europe ne joue plus aucune politique “pro-active” dans la région la plus hautement stratégique de la planète.

 

La politique impériale de l’Iran avait le mérite, l’immense mérite, de la profondeur temporelle. Le recours à l’histoire pluri-millénaire de la région, depuis l’arrivée des Proto-Iraniens en Asie centrale puis sur les hauts plateaux de l’Iran actuel, était un atout politique extraordinaire, celui que procure en toutes choses la longue mémoire. Elle confère à l’intelligence politique les vertus de la stabilité, de la tempérance, selon le principe zoroastrien qu’il faut avoir de bonnes pensées, dire de bonnes paroles et mener de bonnes actions, exactement comme tout catholique se marque le front, les lèvres et la poitrine d’une croix avant d’écouter l’Evangile dominical. Un rite hérité de la tradition perse!

 

Délibérément, ce pari pour la plus longue mémoire se heurtait à la notion de “jahilliya” chez les islamistes et les wahhabites, pour laquelle toute l’histoire pré-islamique relève d’un “âge d’ignorance”, indigne de l’attention du croyant. L’islamisme n’est certes pas la seule force politique en ce monde à considérer le passé comme obscur et dépourvu de valeur ou d’intérêt. Le républicanisme français ou l’idéologie américaine ont la nette tendance à juger inférieur tout ce qui a précédé 1789 ou 1776. Et à agir en zélote contre tous les vestiges politiques, juridiques ou institutionnels hérités des Anciens, avec cette acribie du converti qu’observe Naipaul, Prix Nobel de littérature, dans tous ses ouvrages sur la civilisation indienne et sa périphérie, notamment indonésienne, contrecarrée dans son élan par l’islamisation qui provoque une cassure et un malaise, qui ne guérit jamais.

 

L’histoire iranienne et l’oeuvre de la dynastie Pahlavi nous rappellent que tout passé, de gloire ou de misère, de splendeur ou de désespoir, que tout passé aussi éloigné fût-il, oblige le souverain comme le soldat, le clerc comme le plus humble des sujets. Que cette notion d’obligation politique et historique descende sur nos têtes et en nos têtes, comme une Pentecôte qui nous donnerait la Kwarnah, le feu de gloire et de victoire.

 

Et c’est là la grande leçon à méditer, si nous voulons être et demeurer des Perséides.

 

Je vous remercie.

 

(écrit à Forest-Flotzenberg, 4 & 5 février 2009).

 

Ont participé à ce Colloque sur l’Iran du “Mémorial des Rois” à Paris, le 7 février 2009, aux Invalides à Paris, sous la présidence de Monsoieur Chahpour Sadler: 

-          Prof. Jean Haudry, sur “la royauté indo-européenne dans la tradition avestique”;

-          Prof. Charles-Henry de Fouchecour, sur “Ferdoussi et le Chahanmeh, le “Livre des Rois””;

-          André Pertuzio, sur “l’Iran et le problème pétrolier”;

-          Joseph-Antoine Santa-Croce, sur “les splendeurs de Persépolis”;

-          Laurent-Arthur du Pléssis, sur “l’Iran et la prochaine guerre mondiale”;

-          Robert Steuckers (intervention in extenso ci-dessus).

-          Le général Pierre-Marie Gallois est intervenu par le truchement d’un entretien filmé, sur “Carter, Giscard d’Estaing et la révolution islamiste”.

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mercredi, 04 février 2009

Rechtse kunst, een paradox? Over van Ostaijen en Dali

Rechtse kunst, een paradox? Over van Ostaijen & Dali

Ex: http://www.nationalisme.info/

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lundi, 22 décembre 2008

Dali par Arno Breker

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lundi, 24 novembre 2008

M. Eemans: Soliloque d'un desperado non nervalien

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Archives de "Synergies Européennes" - 1998

Marc. Eemans :

Soliloque d’un desperado non nervalien

 

Au cours d'une retraite de quelque quinze jours en l'île d'Egine, dans le golfe saronique, où j'ai fêté mes quatre-vingt-dix ans loin de tout cérémonial, j'ai longuement pu me pencher sur bien des choses de ma vie, tout en faisant un petit bilan de ce que l'on appelle le "mouvement surréaliste", auquel j'ai participé durant un bon moment.

 

Quel gâchis !

 

Ce qui aurait pu être une chose fort belle, une vraie révolution dans le domaine de l’esprit, sur le plan de la poésie et des arts n’a été finalement que le prolongement, l’aboutissement, vers 1924, des divers ismes de la fin du siècle dernier et du premier quart du nôtre. Tout cela dans le vase clos des cafés littéraires de Paris. Que d’apéritifs, que de palabres, que d’ukases et que de proclamations de politiques de gauche…

 

Le surréalisme n’a finalement pu que décevoir tous ceux qui y avaient mis tous leurs espoirs. Il y eut bien des fidèles jusqu’au bout, mais aussi que de défections et d’exclusions. Il y eut également des grands talents tels que Breton, Aragon, Eluard, Ernst, Dali et bien d’autres encore.

 

Des chefs-d’œuvre ? Toutefois, chose paradoxale, les vrais grands poètes surréalistes ne furent pas surréalistes dans le sillage de Breton. Ce furent des outsiders. Et je pense alors à un Saint-John-Perse et un Patrice de la Tour du Pin, mais quelle horreur ! Patrice de la Tour du Pin, un poète “christique” ! Ah, son angélologie et sa mysticité, mais aussi ses mythes et légendes celtiques, cette Ecole de Tess… J’ai eu l’honneur de me compter parmi ses fidèles.

 

André Breton, bien que parti du symbolisme de Mallarmé, de Gustave Moreau, voire de Gide et de Pierre Louÿs, n’en avait pas moins passé par le dadaïsme, le communisme, le trotskisme. Il a même été “citoyen du monde”, disciple d’un farfelu américain.

 

Quant à moi ? Je n’ai guère l’esprit grégaire. Je ne suis point fait pour les ukases, pour proclamer avec Pirandello “à chacun sa vérité”. Par ailleurs “sans dieu ni maître” (Mesens), formé dès l’enfance au merveilleux, aussi bien gréco-romain, germanique que chrétien, de même féru de symbolisme aussi bien français que néerlandais ou allemand, avec une bonne dose d’intérêt pour la mystique et l’ésotérisme, sans oublier mon intérêt pour la tragédie des Cathares (Otto Rahn et René Nelli), ainsi que pour l’Ahnenerbe (“Héritage des ancêtres”).

 

Qu’allais-je faire dans le cénacle surréaliste bruxellois où j’allais me heurter à l’ostracisme anti-art de Paul Nougé qui “nous a fait tant de tort” (Mesens) ? J’y ai perdu mon amie Irène, mais aussi gagné la jalousie de René Magritte (mes peintures étaient alors plus chères que les siennes ! Plus tard, Paul Delvaux aura également à souffrir de la même jalousie) et l’amitié de deux fidèles compagnons de route, E. L. T. Mesens, mon premier marchand de tableaux (Galerie L’Époque) et mon deuxième marchand (hélas raté), Camille Goemans (faillite de la Galerie Goëmans de la Rue de Seine à Paris).

 

Au-delà du surréalisme…

 

Après le court épisode surréaliste (1926-1930), ce fut pour moi un “au-delà du surréalisme” avec une traversée du désert, qui dure toujours, et aussi une assez grande dispersion dans mon activité aussi bien artistique qu’intellectuelle avec par surcroît la difficile quête du gagne-pain quotidien.

 

Mon apport au surréalisme bruxellois ? Quelques dizaines de peintures, des dessins et deux ou trois gravures. Elles ou plutôt “ils” auraient contribué (selon José Vovelle) à la naissance du surréalisme néerlandais (Moesman). N’oublions pas l’édition en 1930, de l’album Vergeten te worden, à ce jour  —paraît-il—  le seul recueil surréaliste en langue néerlandaise…

 

Je reviens à ma difficile quête du pain quotidien et ma dispersion intellectuelle, surtout due à une insatiable curiosité de même qu’à un aussi insatiable besoin d’activité.

 

D’abord ma quête du nécessaire pain quotidien. Quelques tentatives dans le domaine publicitaire (comme Magritte), collaboration dans le domaine du design, comme on dit aujourd’hui, avec mon ami l’ensemblier hollandais Ewoud Van Tonderen, finalement le journalisme et l’édition avec un passage dans la propagande touristique avec l’ami Goemans.

 

Ensuite ma dispersion intellectuelle. Bien que ne connaissant point une note de musique, elle fut à la fois musicologique et chorégraphique, en collaboration avec les réputés musicologues Kurt Sachs (juif exilé allemand, directeur de la collection de disques L’anthologie sonore), Charles Van den Borren, bibliothécaire à la bibliothèque du Conservatoire de Bruxelles, et son beau-fils américain, le jeune chef d’orchestre Safford Cape.

 

Grâce à mon amie Elsa Darciel, future professeur au même Conservatoire, nous avons reconstitué les “Basses-Danses de la Cour de Bourgogne”, d’après un précieux manuscrit du XVe siècle, de la Bibliothèque Royale de Bruxelles.

 

L’aventure de la revue «Hermès»

 

Côté poétique, philosophique et mystique : fondation en 1933, avec René Baert et Camille Goemans, de la revue “métasurréaliste” Hermes, pour l’étude comparée de la poésie, de la philosophie et de la mystique, avec une brillante collaboration internationale, mais qualifiée par les surréalistes bruxellois de revue de “petits curés” ou de fascistes en dépit de collaborateur à peu près tous agnostiques, d’autres marxistes ou juifs. Un secrétaire de rédaction de marque : Henri Michaux.

 

Toutefois, quelques supporters de qualité : Edmond Jaloux, Jean Paulhan, Ungaretti, T. S. Eliot, etc.

 

Ma principale contribution : un numéro spécial consacré à la mystique des Pays-Bas, mais les mystiques musulmane, hindoue, chinoise et tibétaine ou grecque et scandinave ne furent point oubliées, et puis il y eut également les premières traductions de Martin Heidegger et de Karl Jaspers. N’oublions pas le symbolisme et les romantiques anglais et allemands.

 

Notre manque d’information dans le domaine italien, nous fit —hélas— ignorer un effort à peu près parallèle, mais tout aussi “confidentiel” que le nôtre, celui de Julius Evola et de ses amis du groupe “Ur”.

 

Autres exemples de ma dissipation intellectuelle d’alors sont mon intérêt pour les théories du R. P. Jousse S. J. sur l’origine purement rythmique du verbe et son application au langage radiophonique dont Paul Deharme, l’époux de la poétesse surréaliste Lise Deharme (la “Dame aux gants verts” de Breton) tâchait alors de faire l’application dans ses spots publicitaires à la radio.

 

Plus grave, du point de vue surréaliste tout au moins, fut ma présence à un colloque néo-thomiste à Meudon, chez Raïssa et Jacques Maritain, sur le thème de la distinction entre mystique naturelle et surnaturelle.

 

Moins compromettante, toujours du point de vue surréaliste, fut ma correspondance avec le poète grec Angelos Sikelianos concernant la restauration des Jeux Delphiques.

 

Les années sombres…

 

En septembre 1939, la guerre mit brusquement un terme à la revue Hermes et en mai 1940, avec l’invasion de la Belgique, au gagne-pain de ses deux directeurs.

 

L’effort fut repris après la guerre par André de Renéville avec ses Cahiers de l’Hermès (deux seuls numéros remarquables) et par une nouvelle revue Hermès qu’il faut, hélas, considérer comme pirate, celle de Jacques Masui… Il existe toujours, dans le prolongement de celle-ci avec le logo de 1933, une “Collection Hermès” aux éditions Fata Morgana. Pour moi, un vrai mirage.

 

Durant la guerre et l’occupation de la Belgique, les deux directeurs de la revue devinrent, quelle erreur et quelle horreur pour d’aucuns, des collaborateurs culturels, mais aussi des résistants culturels sur nombre de points, dans certains journaux et périodiques contrôlés par l’occupant. Cela leur coûta cher : pour René Baert, la vie (par assassinat) et pour moi quelque quatre ans de camp de concentration belge, à la suite d’un procès devant un tribunal illégal et selon une loi que les communistes considéraient (lorsqu’ils en étaient victimes) comme “scélérate”, c’est-à-dire “rétroactive”.

 

J’ai appartenu par ailleurs à, disons une loge intellectuelle secrète, fondée au XVIIe siècle, à laquelle avait également appartenu Pierre-Paul Rubens, appelée “Les Perséides”. Elle avait pour but la réunion, tout au moins sur le plan intellectuel, des anciennes “XVII Provinces” (ou états bourguignons), séparées à la suite de la guerre de religion du XVIe siècle.

 

Durant la dernière guerre, les “Perséides” furent particulièrement actifs. Ils entrèrent même dans la résistance thioise et la clandestinité.

 

Sur le plan légal, ils obtinrent des autorités occupantes non-nazies (car la Belgique a été surtout occupée et gouvernée par des non-nazis) qu’il n’y eut point d’art “dégénéré” en Belgique.

 

Dans la clandestinité, ils parvinrent à rétablir des liens intellectuels avec les Pays-Bas rompus durant l’occupation (je passai maintes fois outre frontière !). Il y eut également des réunions plus ou moins clandestines. L’une d’elles fut dénoncée à la Gestapo et plusieurs des “Perséides”, dont moi, faillirent subir un séjour forcé dans quelque camp de concentration nazi…

 

Après la tourmente

 

La traversée du désert n’en devint que plus pénible après ma libération. Heureusement des amis fidèles vinrent à mon secours dont Jean Paulhan et Patrice de la Tour du Pin, de même que le Prix Nobel T. S. Eliot, sans parler de l’éditeur flamand Lannoo et les éditions néerlandaises Elsevier en la personne de son représentant à Bruxelles Théo Meddens qui me prit à son service jusqu’à ma pension à l’âge de soixante-cinq ans. Ce fut un vrai sauvetage in extremis. Aux éditions Elsevier (plus tard Meddens), j’eus l’occasion de publier une trentaine de livres consacrés à l’histoire de l’art ou de collaborer étroitement avec nombre de personnalités éminentes, telles que le professeur Leo Van Puyvelde et le musicologue Paul Collard (me voilà redevenu musicologue !). Je pus également renouer avec la chorégraphie grâce à ma fidèle amie Darciel.

 

Je pus également compter sur la neutralité, voire l’amitié d’Irène Hamoir et surtout sur celle de E. L. T. Mesens. Quant aux surréalistes d’après-guerre, ce fut la guerre ouverte, la diffamation par pamphlets odieux, même à propos d’expositions à l’étranger (Lausanne, La Femme et le surréalisme, où un ancien prisonnier d’Auschwitz et de Dachau, le Hongrois Carl Laszlo, un marchand de tableaux de Bâle) (sic ; ndlr : nous avons reçu ce texte après le décès de Marc. Eemans ; nous ne l’avons pas modifié, y compris cette phrase apparemment inachevée).

 

Puisque nous parlons de peinture, je rappellerai la fondation du groupe “Fantasmagie” consacré à l’art fantastique et magique. Mais ce mouvement dont je fus un des fondateurs sombra vite dans l’occultisme de pacotille en récoltant des membres au hasard des rencontres de bistrots de son “pape” Aubin Pasque qui avait déjà été l’inventeur d’un “surréalisme du canard sauvage” qui n’a existé que dans son imagination, mais auquel ont cru certains historiens du surréalisme en Belgique, dont David Sylvestre qui m’a interrogé un jour à son sujet…

 

Mais côté poésie ? Je n’ai jamais cessé de pratiquer de la poésie, appelons la “métaphysique et la mythique”, avec des recueils aussi bien en langue néerlandaise que française.

 

Artiste maudit

 

Du côté peinture, mes adversaires en ont profité, hélas, pour me boycotter, de sorte qu’on peut me classer parmi les  “artistes maudits” et certainement proscrits. Point d’œuvres dans les musées, si ce n’est pas un don ou un legs. Point d’expositions officielles, pas de rétrospectives, pas de subsides, etc. etc.

 

A présent, vieux, malvoyant, quasi sourd et ne marchant plus que fort difficilement et avec une canne de berger grec (car je demeure fidèle au mythe grec), je ne suis qu’un “gibelin” comme disent mes amis italiens. Je me demande, en vrai desperado, si je ne suis pas un raté et certainement un marginal qui n’a plus qu’à disparaître…

 

Heureusement que dès 1972, feu mon ami Jean-Jacques Gaillard, peintre surimpressionniste et swedenborgien, lui aussi quelque peu maudit pour avoir eu l’audace de dénoncer la grande fumisterie de l’art de Picasso, cela en pleine Académie Thérésienne, heureusement, dis-je, que l’ami Jean-Jacques m’ait prédit (belle consolation !) “une gloire posthume tristement magnifique”, y ajoutant qu’“une gloire tardive est préférable à une gloire rapide qui vieillit vite”.

 

Feu mon ami allemand, l’histoire d’art Friedrich Markus Huebner, grand admirateur de l’art flamand, de son côté m’a proclamé “l’éloquent interprète des expériences intemporelles”… Serais-je donc, moi aussi “intemporel” ?

 

Marc. EEMANS.

(20 juin-10 septembre 1997).

(précision : les inter-titres sont de la rédaction).