Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

jeudi, 24 juin 2021

Au milieu, le Massif

France_Massif_central.jpg

Au milieu, le Massif

par Georges FELTIN-TRACOL

Ex: http://www.europemaxima.com

En étudiant la topographie de la France, les géographes remarquent que son relief s’ordonne autour d’une diagonale inclinée du Nord-Ouest vers le Sud-Est. Au-delà de cette ligne s’étend un ensemble de régions basses marquées par les Bassins aquitain et parisien ainsi que par la plaine du Nord qui se prolonge à travers toute l’Europe septentrionale jusqu’à l’Oural. En-deçà se dressent des montagnes plus ou moins élevées. Au milieu de cette diagonale géophysique s’impose le Massif Central.

D’une superficie de 80.000 km², ce vaste donjon hydrographique complexe au relief compact et contrasté est, avec le Puy de Sancy à 1885 m d’altitude, le plus élevé et le plus étendu des massifs anciens d’Europe occidentale. Vaste plan incliné vers le Couchant, fortement redressé à l’Est, anciennement marqué par un volcanisme désormais en sommeil, le Massif Central domine de plus de mille mètres le Sillon rhodanien et la plaine du Languedoc et s’abaisse vers le Nord-Ouest vers les plateaux du Limousin dont le plus célèbre reste en Corrèze celui des Millevaches, c’est-à-dire des mille sources d’eau. Son centre correspond à plusieurs systèmes volcaniques enchevêtrés. Le plus étendu correspond au département du Cantal. Son contour administratif évoque l’insigne de l’Ordre de la Toison d’Or. Par les effets du volcanisme, certains paysages frappent par leurs similitudes avec les hautes-terres de Mongolie : le Cézallier, la Margeride et l’Aubrac (où on trouve un nombre considérable de menhirs ou de pierres levées, preuves indéniables d’un habitat préhistorique).

Terres d’enracinement

Dans ces espaces de moyennes montagnes courent bien des récits ancestraux à la fois folkloriques et symboliques. Ce n’est pas un hasard si Alexandre Vialatte (1901 – 1971), chroniqueur au quotidien La Montagne et traducteur de Nietzsche, de Thomas Mann ou de Gottfried Benn, vante L’Auvergne absolue. François Mitterrand aimait à chaque Pentecôte gravir avec ses fidèles la roche de Solutré, un autre site à l’habitat fort ancien. Le président ex-Cagoulard de la République de 1981 à 1995 tenait le massif septentrional du Morvan, en particulier le Mont Beuvray, pour un haut-lieu de l’imaginaire gaulois. Le « pape des escargots » d’Henri Vincenot (1912 – 1985) rapporte bien des souvenirs celtiques tandis qu’un autre Bourguignon, Johannès Thomasset (1895 – 1973) exalte l’héritage burgonde, revient sur le « Grand Duché d’Occident » à la fin du Moyen Âge et prône l’alliance franco-allemande pour sauver l’Europe. Ce n’est pas un hasard si au début des années 1970, Jean-Claude Valla et Pierre Vial ont animé un éphémère bulletin intitulé Grande Bourgogne

huA2W26dCo_0IOZ6J924fZOahcA.jpg

Auteur de Gaspard des Montagnes, Henri Pourrat (1887 – 1957) rédige ses récits à partir de sa récolte des fables locales du Livradois, cette forêt montagneuse autour d’Ambert qui servait de frontière médiévale entre l’Auvergne vassale du roi de France et le comté de Forez, terre d’Empire. Mitoyens aux Monts du Livradois, les Monts du Forez forment le décor somptueux et sauvage de l’œuvre majeure d’Honoré d’Urfé au XVIIe siècle, L’Astrée. Près de la limite départementale entre la Loire et le Puy-de-Dôme au col de l’Homme mort, se trouve au bord de la route une auberge nommée « Au Roi perdu ». S’agit-il d’une discrète allusion à l’évasion de la prison parisienne du Temple en 1794 du jeune roi Louis XVII grâce à la fameuse filière de Thiers ? Le fils de Louis XVI y aurait-il trouvé refuge dans cette région réputée être sous la période révolutionnaire, mais un terrain fertile pour la chouannerie locale ? L’histoire officielle l’ignore, mais pas les érudits locaux…

massif-central.jpg

Bien plus au Sud, en Bas-Vivarais, a vécu à Saint-Marcel-d’Ardèche le philosophe paysan Gustave Thibon (1903 – 2001). Aujourd’hui, dans ce même département, mais dans sa partie montagneuse et cévenole, on peut encore rencontrer l’agronome et penseur rural Pierre Rabhi. Tous ont noté dans leurs écrits la prégnance mystique des paysages. Même s’il pense dans La Colline inspirée (1913) à la bosse lorraine de Sion – Vaudémont, Maurice Barrès se souvient très bien du bourg de Saugues dans le Gévaudan d’où provenait une partie de sa famille et où il séjournait enfant pendant la saison estivale. Le Gévaudan, aujourd’hui partagé entre la Lozère et la Haute-Loire, acquiert une réputation effroyable dans toute l’Europe à la fin du XVIIIe siècle avec les méfaits d’une bête tueuse de femmes et d’enfants. Bien des hypothèses ont circulé autour de cet animal mystérieux et sanguinaire. L’auteur de polar, Pierric Guittaut a, au terme d’une enquête passionnante dans La Dévoreuse. Le Gévaudan sous le signe de la Bête 1764 – 1767 (Éditions de Borée, 2017), montre que la bête en question n’est qu’un loup-cervier de forte taille.

CVT_La-Devoreuse-Le-Gevaudan-sous-le-signe-de-la-bet_116.jpgEn Auvergne – Bourbonnais

Née de la fusion au XVIIe siècle des cités rivales de Montferrand et de Clermont d’où partit en 1095 l’appel du pape Urbain II à la Première Croisade, la ville de Clermont-Ferrand doit sa prospérité économique à partir de la seconde moitié du XIXe siècle à l’essor des machines agricoles et de la fabrication du caoutchouc avec l’entreprise Michelin. Inspirée par la doctrine sociale de l’Église catholique, la famille éponyme pratique le paternalisme social et finance la construction de nombreux logements sociaux. Les syndicalistes parisiens ou lyonnais prennent alors l’habitude de se moquer les Clermontois qui « vivent, grandissent, travaillent et meurent chez Michelin ». Au-dessus de l’ancienne Augustonemetum (« le sanctuaire d’Auguste »), premier nom de la ville auvergnate, s’élève le Puy de Dôme, ses installations de radio-diffusion et son centre de communication militaire. À leur proximité se visitent toujours les ruines d’un temple dédié au dieu Mercure. Depuis son sommet, on y contemple un large panorama dont les Combrailles à l’Ouest et le Bourbonnais au Nord. Se conformant à peu près au département de l’Allier, le deuxième département de France qui compte le plus grand nombre de châteaux, le Bourbonnais est le berceau de la dynastie française, puis européenne, des Bourbons. Si sa deuxième ville, Vichy, devient la capitale de l’État français entre 1940 et 1944, son chef-lieu, Moulins, est déjà le cœur politique du pays sous Charles VIII (1470 – 1483 – 1498). Sa sœur aînée, Anne de Beaujeu (ou de Bourbon) qui hérita de l’intelligence politique de leur père Louis XI, exerce plusieurs fois la régence et s’impose face aux grands féodaux.

Au XVIe siècle, le principal seigneur du Massif Central est son gendre, le connétable Charles III de Bourbon (1490 – 1527). L’historiographie officielle française le fait passer pour un traître. Le Connétable de Bourbon voit ses intérêts patrimoniaux de grand féodal contestés par la mère de François Premier, Louise de Savoie. Malgré sa prestance physique et sa grande taille, le roi de France reste un petit garçon devant sa mère. Il lui cède et fomente des procès truqués contre le Connétable. Furieux, celui-ci en tant que prince de Dombes va servir son autre suzerain Charles Quint. Charles de Bourbon meurt à la tête des lansquenets protestants de l’Empereur au moment de la prise de Rome. Dominique Venner appréciait cette figure altière et incomprise.

vues-ruelles-20-1200x800.jpg

Territoire favorable aux sourcières, l’ancien Bourbonnais voit s’installer différentes communautés proches de l’anthroposophie. Ces terres centrales facilitent une implantation communautaire tenace. Dans le Morvan, en Sologne bourbonnaise, en Auvergne autour de la ville coutelière de Thiers et non loin de là dans les Bois noirs des Monts du Forez s’implantèrent les parsonniers (ou les pariers ou encore les parciers) aussi qualifiés de « communautés taisibles ». Ces communautés rurales d’origine familiale élargie ignoraient la propriété privée individuelle. À la suite des recherches du sociologue conservateur Frédéric Le Play (1806 – 1882), historiens, micro-économistes et anthropologues étudient ces groupes coutumiers qui ont perduré jusqu’au début du XXe siècle. Détentrices d’alleux, ces communautés taisibles n’hésitaient pas à tenir tête au seigneur du coin au point que le voisinage paysan les considérait comme une forme de « noblesse populaire ». Équivalents aux bourgades nobiliaires d’Espagne du Nord et des communautés villageoises aristocratiques d’origine militaire des confins polonais, ces structures collectives originales formaient de véritables « monastères de laboureurs mariés » respectant l’obéissance aux aïeux, la pauvreté individuelle et la chasteté conjugale.

À la source du plus long fleuve de France

À cheval entre la Haute-Loire et l’Ardèche, le Vivarais – Lignon est surnommé par ses habitants le « plateau de la Burle », du nom de ce vent du Nord hivernal qui érige en quelques minutes des congères de quatre à cinq mètres de haut. Sur ce plateau d’origine volcanique existent dans des coins isolés des fermes tenues par une autre communauté spirituelle, les darbystes (ou des Frères de Plymouth, un courant protestant). Deux points saillants marquent le plateau aride de la Burle : le Mont Gerbier-de-Jonc au pied duquel surgissent les sources « véritable » et « authentique » de la Loire, le plus grand fleuve français, et le Mont Mézenc qui se caractérise par deux sommets jumeaux. Les pilotes d’avions redoutent cette zone, théâtre de divers accidents aériens mortels. Les journalistes locaux parlent d’un « triangle des Bermudes terrestre », car les pierres volcaniques perturberaient les instruments de navigation aérienne. D’autres y recherchent le trésor caché de Vercingétorix avant sa défaite à Alésia. Le plateau connaît en 1833 le scandale de l’« Auberge de Peyrebeille » sise sur la route entre Montélimar et Le Puy-en-Velay. Le réalisateur Claude Autant-Lara en fait en 1951 un film, L’Auberge rouge, avec Fernandel. La justice et le voisinage accusèrent le couple d’aubergistes et leur serviteur d’avoir tué des voyageurs. Condamnés à mort, les trois furent guillotinés sur place, ce qui est exceptionnel. Pourquoi ? Des historiens du dimanche y ont vu une forme de sacrifice et insistent sur la proximité du Meygal, le massif montagneux au centre du Velay (ou de la Haute-Loire) dont bien des villages abritaient des forgerons quelque peu alchimistes…

la-source-de-la-loire.jpg

Point de départ pour le pèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle, la cathédrale Notre-Dame du Puy-en-Velay se distingue, d’une part, des autres bâtiments de France romane et gothique par son style byzantin et, d’autre part, par la présence ancienne d’une vierge noire, émanation chrétienne d’antiques cultes telluriques féminins. La cathédrale massive se trouve encadrée de deux promontoires rocheux. Se tient sur le rocher Corneille une statue de la Vierge Marie érigée en 1860 avec la fonte du fer de deux cent treize canons venant de la prise de Sébastopol en 1855 pendant la Guerre de Crimée (1853 – 1856). En face de la cathédrale à dix minutes de marche est édifiée sur un neck, le rocher d’Aiguilhe, de 82 mètres de hauteur, une église de style roman dédiée à Saint-Michel accessible par un escalier de 268 marches. Le folklore qualifie ce promontoire de « fiente de Gargantua ». L’église paraît répondre au rayonnement mystique de l’abbaye normande du Mont Saint-Michel. Dans son court roman Pop Conspiration (Auda Isarn, 2013), Arnaud Bordes y place le siège d’une très vieille société secrète. À cinq kilomètres du Puy surplombe depuis un large éperon rocheux l’immense forteresse médiévale de Polignac, longtemps propriété de la maison du même nom dont une branche cadette a perpétué par mariage avec la dernière héritière la dynastie princière des Grimaldi de Monaco.

crdta-joel_damase_le_puy_en_velay-auvergne.jpg-3000pxa.jpg

Dans la France en crise des années 1930, la Haute-Loire rejette les compagnies de l’électricité qui profitent d’un monopole de fait. Élu en 1929 maire de Vorey-sur-Arzon, Philibert Besson (1898 – 1941) mène la rébellion. Élu député en 1932, il s’associe avec l’ingénieur – agriculteur Joseph Archer, maire de Cizely (Nièvre). Inspirés des analyses d’économistes proches des non-conformistes de la décennie 1930, Philibert Besson et Joseph Archer défendent les États fédérés d’Europe dotés d’une monnaie continentale, l’europa, dont la valeur représente trente centigrammes d’or, cent grammes de cuivre, deux kilogrammes d’acier, deux kilogrammes de blé, deux cents grammes de viande, cinquante centilitres de vin à dix degrés, deux cents grammes de coton, dix kilowatt-heure, une tonne kilométrique et trente minutes de travail. Déchu de son mandat parlementaire et poursuivi par une justice aux ordres, Philibert Besson vit une année en clandestinité protégé et hébergé par les paysans vellaves. En 1936, il se présente à la députation comme le président du Parti capitaliste-travailliste et se déclare partisan du fascisme. Battu, il prévoit la Débâcle de 1940. Interné dans un asile psychiatrique, il décède de mauvais traitements à Riom.

On pourrait continuer à arpenter ces territoires riches en symbolisme populaire et en forts caractères. Oui, Maurice Barrès a raison d’écrire dans La Colline inspirée qu’« il est des lieux où souffle l’esprit. Il est des lieux qui tirent l’âme de sa léthargie, des lieux enveloppés, baignés de mystère, élus de toute éternité pour être le siège de l’émotion religieuse ». Le Massif Central ou la clé de voûte de la France spirituelle, héroïque et paysanne au sein de notre civilisation albo-européenne.

Georges Feltin-Tracol

• D’abord mis en ligne sur Vox NR – Les Lansquenets, le 29 avril 2021.

jeudi, 16 juillet 2009

Yann Fouéré: les lois de la variété requise

yann-fouere-mars-1990.jpg

 

 

SYNERGIES EUROPÉENNES - Avril 1991

Yann FOUÉRÉ:

Les lois de la variété requise

Il ne m'arrive pas souvent de parler de philosophie. Mes lecteurs me pardonneront pour une fois d'attirer leur attention sur les lois de la "variété requise", formulées par un certain nombre de chercheurs, de physiciens, de philosophes et d'analystes à l'occasion de leurs recherches sur la "théorie des systèmes". Cette dernière s'est élaborée peu à peu depuis les années quarante dans diverses branches de la science et des techniques tant en biologie, qu'en physique, en cybernétique et en informatique. Leurs recherches les plus récentes confirment que les progrès accomplis en de multiples domaines par la civilisation de plus en plus avancée et complexe dans laquelle nous vivons, ne peuvent manquer d'avoir d'inévitables répercussions sur l'organisation "physique" et institutionnelle des sociétés humaines.

J'ai déjà indiqué dans plusieurs de mes livres et notamment dans "L'Europe aux Cent Drapeaux", qu'il y avait une "physique" de l'organisation politique et administrative comme il y a une physique de l'eau, de l'air et de l'espace. Beaucoup de nos contemporains sont égarés par des idéologies ou des systèmes de pensée qui leur font oublier l'inévitable priorité que l'on doit accorder au concret et aux impératifs de la nature, plus qu'aux théories et aux systèmes, trop souvent figés, de pensée. Il n'y a pas, en d'autres termes, de théories ou d'idéologies valables, même en politique, si ces dernières refusent de tenir compte de ce qui est et qui s'impose à nous en nous dépassant, pour privilégier seulement ce qu'il serait préférable qu'il soit.

La loi fondamentale de la vie est celle de l'équilibre, de l'action, de la réaction et de l'interaction réciproque d'organismes vivants, celles des cellules du corps humain, comme celles des hommes, des familles, des villes et des entreprises, comme celles de l'économie et des institutions que les hommes peuvent se donner. L'organisation de nos sociétés, en un mot, n'échappe pas à cette règle fondamentale de la vie. Rappelons le: il n'y a d'unité que dans la mort. A des systèmes vivants de plus en plus complexes, il faut nécessairement des systèmes d'organisation de plus en plus diversifiés.

Nous assistons de nos jours à l'éclatement de sociétés politiques devenues trop grandes et trop despotiques pour répondre aux besoins de la vie et aux désirs des hommes et des peuples. A force de vouloir tout diriger, tout réglementer, tout commander, tout décider, ils sont automatiquement conduits vers l'éclatement et la mort. Ceux qui aujourd'hui pensent encore que l'unité est inséparable de l'uniformité, tournent le dos à la vie et aux leçons des sciences, des techniques et des recherches les plus modernes, dont les lois de la "variété requise" est l'une des formulations. J'ai déjà dit que de nos jours et au point de l'évolution politique à laquelle nous sommes arrivés, il fallait bien souvent diviser pour pouvoir, par la suite, plus valablement unir.

Aux exigences d'une civilisation de plus en plus complexe doivent répondre des formes d'organisation de plus en plus décentralisées, qui remettent le choix de la décision au niveau d'organisation et de gouvernement le plus proche des citoyens. Confirmé par l'étude des disciplines modernes, l'application du principe de subsidiarité, qui est à la base de toute organisation fédéraliste, permet de concilier les contraires, d'équilibrer les besoins et les impératifs du tout ou de l'ensemble, en assurant en même temps le respect des libertés nécessaires à l'épanouissement des sociétés de base? Ce sont ces dernières qui, en s'élevant de niveau en niveau, finissent par former le tout ou l'ensemble, et permettent de réaliser ainsi l'unité dans le respect de toutes les diversités.

En économie comme en gestion, en administration comme en politique, toute centralisation excessive stérilise, car elle entraîne une simplification et un appauvrissement des canaux de communication entre la base et le sommet. Or tout le monde s'accorde à reconnaître que, en cybernétique comme en biologie et en informatique, le "feed-back" joue un rôle fondamental; c'est-à-dire que l'information ou l'organisation descendante doit se doubler, pour bien fonctionner, d'une information et d'une organisation descendante qui part de la base pour se diriger vers le sommet. Personne, en effet, ne peut mieux connaître un problème que celui qui en est le plus rapproché.

Cette page de philosophie, écho donné aux études les plus récentes, ne nous confirme-t-elle pas que la conception "totalitariste" de l'Etat centraliste qui est celle de l'Etat français, et celle d'autres grands Etats à l'éclatement desquels nous assistons, est de moins en moins adaptée à nos sociétés modernes? Nous devons y puiser des motifs supplémentaires de mener à l'écart d'idéologies et de systèmes qui cherchent à conserver ou à renforcer l'unitarisme et l'unicité des décisions, le combat pragmatique et concret qui est le nôtre, le seul qui puisse conduire à l'avènement des libertés qui sont nécessaires au peuple breton comme à tous les autres peuples de l'Europe.

Yann Fouéré

vendredi, 12 juin 2009

Les noms d'origine gauloise

sanglier-enseigne-gaulois-2_1182523184.jpg

Les noms d'origine gauloise

ex: http://www.yanndarc.com/

Sous ce titre presque anodin, ce docteur ès lettres, spécialiste de la langue gauloise, produit une synthèse extrêmement étendue sur le sujet : 3 à 4000 noms de lieux sont aujourd’hui inventoriés en France, ce qui montre selon lui que « notre carte de France est en partie écrite en gaulois ».
Les chapitres du livre traitent en priorité d’une des spécialités de nos ancêtres : la guerre. Ainsi, le premier chapitre s’intitule « les raisons des combats », et les suivants, « l’équipement militaire », « la guerre de défense », « la guerre d’attaque » et « la Gaule des combats ».

 


Il est agrémenté de listes de toponymes où l’on retrouve les correspondances entre les noms des tribus et celles de notre actuelle géographie : les Andecavi sont ainsi les ancêtres des Angevins, Les Rèmes habitent la région de Reims, les Petrocori la région de Périgueux.
Les cartes proposées sont encore plus surprenantes par leur correspondance avec les actuelles frontières des départements, pourtant si décriés par les milieux identitaires : ainsi, la cité des Cénomans correspond-elle peu ou prou aux limites de la Sarthe, celle des Turons à celles de l’Indre-et-Loire. Certaines régions (et anciennes provinces) se retrouvent elles aussi : le Limousin et ses trois départements se superposent aux frontières de la cité des Lémoviques, l’Auvergne correspond à la cité des Arvernes.


De nombreux toponymes sont inventoriés : ainsi, « randa » désigne une limite, une fontière : il donne une foule de noms  de lieux, tels que Eygurande, Randon, Chamarandes, Néronde ou Ingrandes. Nombreux sont ceux, comme nous le disions plus haut, liés à la guerre ou tout du moins à l’état quasi permanent de belligérance : les troupes de combat appelées « Catuslogues » donnent Châlons (en Champagne) ; la racine « vic » désignant les combattants donnent Evreux (Ebro-vici) ou Limoges (Lemo-vici) ; les Boïens (pays de Buch) sont les « frappeurs », les Calètes (pays de Caux) les « durs ». Lacroix nous explique que « dans les sociétés indo-européennes, le roi est – doit être – riche.  A la guerre, il touche une large part du butin ; mais en même temps, il lui faut être nourricier. Le roi, le chef gaulois, se devait d’assurer la richesse à son peuple ; l’action guerrière y pourvoira. Le thème celtique rix qu’on reconnaît dans le nom des rois et chefs gaulois (dont bien sûr Vercingétorix) s’est transmis au germanique, qui l’a redonné ensuite au français riche ; la superposition des sens est éclairante sur les motivations guerrières des peuples antiques, et en particulier gaulois. »
Le vêtement gaulois nous est quasiment familier : galoches, braies et saies sont des termes encore utilisés au début du xx° siècle.


Leurs armes jouent un grand rôle dans la vie des cités au point de participer à la désignation de certains peuples : les cornes des casques donnent les Carnutes (de Chartres) ou les Slovènes de Carnium (aujourd’hui Kranj).
Le bouclier est désigné par le « radical celtique tal-, désignant étymologiquement ce qui est plat. On trouve à son origine un thème indo-européen *tel- appliqué à des surfaces planes : sanskrit talam, surface, paume ; vieux-slave tilo, pavé, sol ; lituanien pa-talos, lit ; grec telia, table à jouer ; latin tellus, terre. Cette base est bien représentée dans les langues celtiques : vieil irlandais talam, terre ; gallois, cornique, breton tal, front (…). Le sens éthymologique du thème gaulois est parfaitement justifié : à la différence des boucliers grecs et romains, de forme enveloppante, le bouclier celtique se caractérisait par sa surface quasiment plane. » Quel exemplaire démonstration de la parenté des peuples issus du fond commun indo-européen ! Et cette racine participe à des anthroponymes pleins de poésie : Actalus, grand bouclier ; Cassitalos, bouclier d’airain ; Argiotalus, bouclier d’argent, etc…ainsi qu’à des toponymes : Talais, Talazac, Tailly. Le bouclier plat des Celtes est devenu aujourd’hui la pacifique « taloche » des maçons…seule la gifle appliquée sur la figure avec le plat de la main, peut encore évoquer la lointaine époque des guerres héroïques : n’hésitez donc pas à en user contre vos adversaires, car il est bon que les traditions se maintiennent…


Le terme français de glaive doit être relié selon toute vraisemblance à un très ancien radical celtique (…) cladi (…) vieil irlandais claideb et irlandais claioimh, épée ; moyen-gallois cledy (…) breton kleze. L’écossais moderne claidheamb employé avec l’adjectif « mor », grand, a fait naître l’anglais « Claymore » ; c’est la grande épée d’Ecosse, à lame  longue et large, popularisée en France au XIX° siècle pour les besoins du folklore celte (La harpe du barde ne se marie qu’au fracas des claymores et aux mugissements des tempêtes, écrit dans un style fort caricatural le romantique Charles Nodier).
Tite-Live note qu’au début du IV° siècle av. JC. Les armes gauloises frappèrent d’étonnement les habitants de Clusium qui n’en avaient jamais vu de semblables. Le gladius des Romains est donc un emprunt au *cladios
gaulois.


Encore une fois, les armes donnent leur nom aux peuples qui en usent : l’aulne des boucliers a donné les Arvernes, le javelot, la localité de Javols et le Gévaudan. Ceux-qui-vainquent-avec-[le bois de] -l’orme [de leur javelot] sont les Lémoviques du Limousin. Ceux-qui-combatttent-par-l’if, sont un peuple d’archers, les Eburovices d’Evreux.
Mieux encore, comme dans le Seigneur des Anneaux, un poème gallois ancien , le Kat Godeu, combat des arbrisseaux, nous montre une armée d’arbres, aux essences choisies, qui s’avancent au combat (le thème en sera repris dans le Macbeth de Shakespeare, qui emprunte à la féerie celtique).
Pas de bataille sans appel aux Dieux : « On peut penser qu’avec les Druides, au moment où la nation engageait son avenir, les chefs du peuple –guides et protecteurs terrestres –et derrière eux les chefs militaires, jouaient le rôle d’intercesseurs auprès des Dieux. Les premières prières se tournaient sans doute vers le dieu national de la teuta, bienfaiteur du peuple en temps de paix, et surtout chef guerrier suprême en temps de guerre : le féroce Teutatès (ou Toutatis, que cite Lucain (…) à l’époque gallo-romaine, il sera du reste invoqué sous l’appellation de Mars Toutatis…Toujours cette parenté entre les peuples indo-européens qui facilite les échanges. L’Histoire nous a conservé le souvenir de deux rois gaulois appelés Teutomate (…). Leur nom signifiait celui-qui-est-bon-pour-la-Tribu.


Le dieu Lug, décrit dans les anciens récits celtes anciens comme un jeune dieu guerrier, fort et combatif, armé d’une lance invincible, pouvait être invoqué par les combattants se préparant à affronter la fortune des armes, donne son nom à Lyon (Lug-dunum), mais aussi Laon, et Loudun.
Chaque tribu dispose d’un emblème, voire d’un animal totémique : les Caturci sont probablement les Sangliers-du-Combat, et se fixent à Cahors ; les Tarbelles doivent leur appellation au taureau (tarvos) , et sont fixés dans la région de Tarbes ; les Volques ont pour emblème le faucon (en celtique volco). Plus surprenant, déformée en wahl, l’expression va servir aux anciens Germains à désigner les populations étrangères avec qui ils étaient en contact (groupes celtes, puis de langue romane), une connotation péjorative s’y attachant. D’où une série de noms de peuples : Wallons, Valaques, Gallois, Gaulois.
Pour s’imposer sur le champ de bataille, la guerre psychologique n’est pas sans intérêt : ainsi les Bellovaques (de Beauvais), réputé parmi les peuples gaulois pour les plus valeureux, sont étymologiquement ceux-qui-luttent-en-criant ce qui ne manquait assurément pas de paralyser l’adversaire.


Tite-Live évoque la furie gauloise qui se manifestait au combat. Les auteurs antiques sont nombreux à souligner la fureur guerrière des attaquants celtes (ce que les Romains appellent furor, de « furo » être fou, apparenté à l’avestique dvaraiti, « il se précipite », en parlant des démons : état de transe inspirée par le divin, dépassant l’homme qui n’en est plus le maître. Fureur (…) qui transporte l’homme au dessus de lui-même, le met au niveau d’exploits qui, normalement, le dépasseraient. Voilà le germe précieux des grandes victoires, commente Georges Dumézil. (…) Notre mot gaillard, lié à la vigueur, à la vaillance, est issu d’un terme gaulois *galia, force, bravoure,(…) et donne les noms de famille suivants : Gaillard, Gallard, (…), Gaillou.
Quand le guerrier s’avère cruel (c’est parfois nécessaire, mais toujours moralement problématique), il est qualifié de *crodio. Détail amusant, ce qualificatif a perduré localement, particulièrement en Suisse et Haut-Jura où il a pris la forme crouille pour désigner les « méchants », « de mauvaise apparence », la « canaille ».

Il est impossible de résumer une œuvre aussi imposante que celle de Jacques Lacroix, sans laisser de côté une infinie quantité d’exemples fascinants, ainsi que tout l’appareillage de notes et de références bibliographiques.
Cet ouvrage savant est pourtant d’une lecture aisée : il peut être avalé d’une traite ou utilisé comme une sorte de dictionnaire, voire de guide de voyage pour un tour de France de la topographie gauloise. Il offre à l’identitaire un moyen de révéler et d’exalter des racines qu’il découvrira bien plus proches qu’il ne l’imagine. Enfin, les exemples cités le montrent assez bien, la connaissance de nos ancêtres les Gaulois ne remplit pas qu’une fonction de simple érudition, mais ceux-ci peuvent être à bien des égards des éveilleurs et des modèles.

 

Jacques LACROIX, Les noms d’origine gauloise, la Gaule des combats. Editions errance, 2003

 

Source

mardi, 10 mars 2009

Fédéralisme écologique

13373_1.jpg

 

Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1995

 

 

Fédéralisme écologique

 

Dans l'archipel vert, tous sont plus ou moins d'accord, du moins en théorie, pour dire que le fédéralisme est la projection politique la plus adéquate pour traduire le mot d'ordre de Commoner, “penser globale­ment, agir localement”, mot d'ordre répété à satiété chez tous les activistes de l'écologie. En réalité, rien n'a été fait dans ce sens: les verts politiques ont accumulé des retards considérables et sont désormais obligés de céder cette thématique localiste à des forces différentes et hétérogènes, situées à droite, au centre et à gauche. Ces forces instrumentaliseront à leur manière ce mot d'ordre qui aurait dû être le point fort des mouvements écologistes d'Europe, leur thème idéologique le plus attractif.

 

Au contraire, aux Etats-Unis, où, forcément, les contradictions du modèle de développement occidental sont plus fortes, un groupe écologiste bien charpenté, réuni autour d'hommes également connus en Europe, tels Gary Snyder, Kirkpatrick Sale et, surtout, Peter Berg, ont su conjuguer l'écologisme au loca­lisme; ils ont ainsi donné vie au mouvement biorégionaliste. Le BIORÉGIONALISME propose une restruc­turation complexe et complète de l'organisation territoriale  —pour le bien non seulement des êtres hu­mains mais de toute la biosphère—  remettant en question les frontières arbitraires entre les Etats; ils combattent au nom du principe d'auto-détermination des peuples; ensuite, ils redessinent les autonomies et les complémentarités sur base des identités et des différences naturelles et culturelles, depuis la plus simple, soit la communauté locale, jusqu'à la plus complexe, Gaia, soit la planète Terre. Plus exactement, le biorégionalisme, qui songe à changer le nom du mouvement qu'il représente en “Habitants de la Terre”, considère à nouveau la Terre comme une créature vivante, et se perçoit comme une modalité “sacrée” de dialogue avec Gaia et avec les créatures qui vivent en elle, comme une modalité qui implique respect et admiration, et éveille un sens des limites qui empêche tout abus.

 

Tout cela n'est possible que si l'on cultive une sensibilité nouvelle vis-à-vis des spécificités propres aux lieux et aux cultures, si l'on développe une loyauté politique à l'endroit du territoire où l'on vit; sensibilité et loyauté qui doivent s'associer à des pratiques économiques et sociales identitaires, étrangères au con­tractualisme mercantile. La pluralité des identités communautaires, l'internationale des patries, évitent les risques de décentrage du pouvoir et, par conséquent, les risques de colonialisme ou d'impérialisme.

 

La notion de complémentarité et le développement d'un réseau serré de relations inter-communautaires  —sur les modes de la subsidiarité et de l'interdépendance—  pourraient définir bientôt le projet d'un véri­table FÉDÉRALISME ÉCOLOGIQUE. Le problème de fond, c'est de repenser le monde, non plus “à partir de l'Occident”, de son universalisme et de son monisme centraliste, face auxquels tout le reste du monde n'est que périphérie ou colonie: il s'agit surtout de comprendre qu'“en tout lieu, il y a un centre de monde” et que, pour chaque homme, il y a une identité personnelle et communautaire, un monde propre, un terri­toire humain spécifique, naturel et culturel. C'est la raison pour laquelle le biorégionalisme, bien que né en Amérique du Nord, est un produit d'exportation à 100%. De toute évidence, ce nouvel “isme” n'est pas une “boîte fermée”: les différences historiques, culturelles et sociales entre l'Italie et les Etats-Unis sont telles qu'elles pourraient rendre toute greffe impraticable. Mais il n'est pas question d'un simple transfert: nous avons affaire à une idéologie née “ouverte”, qui se contredirait elle-même si elle prétendait fournir des préceptes absolus, de nature idéologique, posés comme universellement valides.

 

La perspective biorégionaliste voit dans l'Etat-Nation moderne une institution récente dans l'histoire et, simultanément, le perçoit comme obsolète. L'Etat-Nation s'est imposé à la suite d'une longue lutte achar­née contre les autonomies locales, en transformant le citoyen, jadis agent actif dans le processus de la décision politique (comme dans la polis  grecque et le Burg  médiéval), en récepteur passif de biens et de services. Il a changé les politiciens: de responsables de la communauté, ils sont devenus les représen­tants formels des intérêts des groupes économiques et sociaux précis. Certes, il ne sera pas simple d'esquisser les grandes lignes d'un système politico-constitutionnel complet basé sur les principes du biorégionalisme, pouvant se substituer aux modèles actuels en Europe.

 

Pourtant il est d'ores et déjà possible d'affirmer qu'un éventuel fédéralisme biorégionaliste italien ne sau­rait oublier que les populations de la péninsule italique possèdent des frontières géographiques déjà bien déterminées, dont la pertinence dérive en grande partie des vicissitudes historiques: en Italie, les identi­tés collectives se sont formées au fil des siècles et elles sont immédiatement reconnaissables dans les dialectes et dans les rythmes de la parole, qui, à leur tour, correspondent à des différences parfois soma­tiques, à des éléments de culture bien circonscrits, souvent reliquats d'identités très anciennes. On parle des Ligures, des Celtes, des Vénètes, des Etrusques, des Latins, des Picènes, des Ombres, des Samnites, voire des Osques, des Lucanes et des Bruzzes... Nous pouvons, chez nous, individuer des souches ethniques qui, en dépit d'un processus continu de dissolution et de coagulation, n'ont finalement jamais disparu, tant est fort leur enracinement sur un territoire “propre”.

 

Le fédéralisme biorégionaliste ne pourra que prendre la mesure de ces réalités profondes en Italie, qui sont d'ordres culturel et écologique tout à la fois. Il devra proposer un double niveau d'institutions.

 

La RÉGION, où prédomine l'élément culturel, et la COMMUNE, encastrée dans une “biorégion”. Tout projet de type biorégionaliste en Italie conduit à agir politiquement pour stimuler les forces locales et, en consé­quence, revaloriser toutes les structures construites à la mesure des communautés concrètes de voisi­nage ou de proximité, ou basées sur des facteurs culturels immédiats et partagés. Les métropoles, c'est-à-dire les villes de plus de 2000 ou 3000 habitants, devront-elles dès lors être considérées comme incom­patibles par rapport au projet biorégionaliste?

 

Si l'on parle de régions et de communes, sur le plan opératif, on se réfère à des entités existantes, mais, on devra aussi, nécessairement, proposer des divisions nouvelles ou des reconstitutions en entités re­dessinées, partout où le postule la renaissance de la dynamique politique, culturelle et locale. Dans la vi­sion biorégionaliste, la commune assume un rôle de tout premier plan; elle devra donc bénéficier d'un haut degré de souveraineté et d'intangibilité, jusqu'à une autonomie financière et fiscale concrète, une auto­nomie judiciaire et même législative. La région devra donc tout à la fois être “formée de” et “divisée en” communes.

 

C'est clair: ce discours interpelle fortement l'Etat unitaire, surtout dans les régions frontalières. Si les Occitans, les Tyroliens ou d'autres utilisent le biorégionalisme pour créer des nouvelles réalités institu­tionnelles transétatiques en zones alpines, ou si la Sardaigne et la Sicile revendiquent dans cette optique un statut de nations à part entière, leurs démarches n'auront de valeur et de raison historique que par rapport à un gouvernement central. Pour le reste, garder l'unité entre des entités géorégionales à l'intérieur d'un même Etat fédéral, sera toujours la tâche d'une raison historique, sans laquelle l'unité n'est possible que comme dominium du centre ou d'une partie sur toutes les autres.

 

Eduardo ZARELLI & Lorenzo BORRÉ.

(article paru dans Pagine Libere, février 1995). 

dimanche, 01 février 2009

"Signes de mort, signes de vie": identités et territoires face au mondialisme

« Signes de mort, signes de vie » : identités et territoires face au mondialisme

« Les signes de mort sont signes de vie, c’est aussi leur fonction essentielle », nous dit Jean Raspail. Les signes que nous impose chaque jour Ouest-France, que sont-ils, sinon « signes de mort » ? Mort de notre culture, de notre IDENTITE ? Il n’est que de se référer à Ouest-France du 8 décembre 2008, qui évoquait les ambitions iconoclastes de Sam Abi, agent immobilier « d’origine libanaise ». Il n’est que de se référer aux nombreux articles du même Ouest-France qui chantent les mérites de l’immigration britannique en Bretagne. Ces deux cas, au-delà de leurs différences, que révèlent-ils, sinon l’affrontement entre la liberté des marchés et celle des peuples ?

Image Hosted by ImageShack.us« Il part vendre les manoirs bretons aux émirats », proclame Ouest-France du 8 décembre 2008. Et d’évoquer Sam Abi, « Riécois d’origine libanaise ». Celui-ci, agent immobilier à Riec-Sur-Belon, se dit, avec un associé de Dubai, « décidé à commercialiser aux EMIRS les magnifiques demeures bretonnes de son catalogue », car « beaucoup de riches Arabes cherchent à acquérir des châteaux et des manoirs ». Et, après Dubai, « un autre marché au parfum de pétrole et de gaz : la Russie ». « Si les acheteurs sont sur la Lune, j’irai sur la Lune ! »

 

La pression migratoire en Bretagne : des ruptures, des inflexions

 

Depuis dix ans et plus, Ouest-France évoque l’achat massif de biens immobiliers par des étrangers, à plus de 80% anglophones. En Pays de Rance, en Centre-Bretagne et ailleurs, de véritables « colonies » britanniques. Plus de 60 000 personnes à ce jour, avec leurs journaux (Brit’Mag, Central Brittany Journal, Talking Point), leurs associations (Integration Kreiz Breizh), leurs émissions radiophoniques… et leurs agences immobilières (Brittany Immobilier) !

Cette vague britannique, c’est l’arbre qui cache la forêt. Car l’immigration en Bretagne, légale ou clandestine, est désormais issue du monde entier : Europe, Afrique, Asie et Amérique dite « latine ». D’autres ruptures et inflexions : une féminisation accrue, une explosion du « regroupement familial » et une tertiarisation importante des groupes sociaux. Il en est résulté une forte pression sur l’immobilier rural, sur celui du « rural profond », portée spectaculairement par l’immigration britannique, mais aussi, on le sait moins, sur l’immobilier périurbain.

Et Ouest-France nous annonce que va désormais se manifester une pression tout aussi forte sur notre immobilier patrimonial d’intérêt architectural et historique. Ce journal illustre cette pression par les ambitions de Sam Abi. Mais devons-nous pour autant négliger celles d’autres professionnels, moins exotiques et moins arrogants, mais aussi actifs ?

Une stratégie mondialiste : « du passé faisons table rase »

 

D’un côté, Ouest-France nous annonce les milliardaires en pétrodollars du Moyen-Orient et les oligarques russes, nouveaux acteurs de notre dépossession. D’un autre côté, le même quotidien continue de chanter ces colonies anglophones qui se constituent en enclaves protégées en zones vertes. Quel rapport entre eux, dira-t-on ? Il en existe bien un, qui est au cœur de cette stratégie mondialiste. Que se propose-t-elle ? Elle se propose d’éradiquer sur son propre territoire toute nation enracinée. Et d’y substituer de nouvelles populations qui n’obéissent qu’à leurs propres règles. Car l’ordre existant ne suscite aucun intérêt de la part du capitalisme sauvage. Nous sommes ici dans le libre marché. Il ne saurait triompher, en Bretagne comme ailleurs, sans oblitérer notre mémoire, notre culture, notre histoire, sans oblitérer notre IDENTITE. La voie royale, pour le libre marché, passe par la TABLE RASE : l’effacement, chez nous en Bretagne, de la mémoire profonde d’une culture millénaire. Il lui faut disposer d’une PAGE BLANCHE où écrire une nouvelle histoire. Les objectifs : éradiquer hommes, cultures, identités ; et d’abord vaincre la capacité de résistance de la population, éliminer les anticorps avant qu’ils ne puissent devenir actifs.

Allons-nous ainsi vers « Le pire des mondes possibles » de Mike Davis ? Ou y sommes-nous déjà ? En sommes-nous à la « déterritorialisation » : la désinsertion hors de l’espace public et l’exclusion de tout vestige de vie citoyenne ? Ou la Bretagne ne se construit-elle pas dès aujourd’hui une pseudo-territorialisation « hors-sol », parcourue de flux de populations et d’informations sans aucune cohésion sociale, technique, morale, ethnique ? Sans aucune cohésion IDENTITAIRE, en un mot.

« Les signes de mort sont signes de vie, c’est aussi leur fonction essentielle », nous dit Jean Raspail. Ne nous donne-t-il pas ainsi une raison d’espérer ? Et nous rallierons-nous à cet espoir du grand historien Arnold Toynbee : « La genèse et la croissance des civilisations obéissent à certaines lois et notamment aux impulsions de la minorité créatrice jusqu’au jour où, né de contradictions internes ou de formes extérieures, un défi est lancé que la civilisation devra relever sous peine de décomposition. » Saurons-nous et voudrons-nous être cette minorité créatrice ? Si oui, comment ferons-nous des signes de mort des signes de vie ?

Christian Beuzec pour Novopress Breizh

[cc] Novopress Breizh, 2009, Article libre de copie et diffusion sous réserve de mention de la source d’origine
[http://breizh.novopress.info]

 


 

Article printed from :: Novopress.info France: http://fr.novopress.info

URL to article: http://fr.novopress.info/?p=15076