En 2018 est sorti au cinéma le film de Ryan Coogler, Black Panther, produit par les studios Disney et tiré de l’univers des comics étatsuniens de la compagnie Marvel. Ce film a connu un réel succès avec une recette estimée à plus d’un milliard trois cents millions de dollars. Il a même obtenu trois Oscars techniques (meilleur décor, meilleure musique et meilleure création de costumes).
Black Panther (ou la Panthère noire en français) désigne le premier super-héros noir d’origine africaine inventé par Stan Lee et Jack Kirby en juillet 1967 au moment des revendications en faveur des droits civiques outre-Atlantique. Trois mois plus tard, des militants afro-américains fondaient le Black Panther Party. La coïncidence n’est pas du tout anodine. Dans un ouvrage préfacé par Pierre Hillard, Le monde occulte des comics books. De DC Comics à Marvel (Omnia Veritas Ltd, 2019), Jérémy Lehut insiste sur la nocivité de ces bandes dessinées destinées aux adolescents qui détournent, pervertissent et dévoient l’imaginaire mythologique européen. Souvent en filigrane jusqu’aux années 1990, les idéologies dyssexuelles, féministes, cosmopolites et leucophobes (ou racisme anti-Blanc) se manifestent de plus en plus ouvertement tant dans les albums que dans les films : le dieu Thor devient ainsi une déesse, Heimdal, le gardien d’Asgard, est incarné dans plusieurs films de la franchise Marvel par un Noir; le capitaine Marvel se trouve être une femme…
Un modèle d’État « afrofuturiste »
La Panthère noire du film éponyme concerne le personnage principal, le prince T’Challa qui, suite à l’assassinant de son père T’Chaka, devient le nouveau roi du Wakanda. Il affronte dans ce film un adversaire mineur, le trafiquant européen Ulysses Klaue, et un ennemi majeur, Erik « Killmonger » (« Celui qui propage la mort ») Stevens, soit son propre cousin, de son vrai nom N’Jadaka, fils de N’Jobu tué pour haute trahison par son propre frère, le roi T’Chaka. Le conflit oppose donc un Africain à un Afro-Américain passé dans les forces spéciales et formé par la CIA pour fomenter des révolutions et déstabiliser les États. Peut-on y voir un rappel de l’antagonisme entre les anciens esclaves libérés d’Amérique revenus en Afrique occidentale et les autochtones. Killmonger entend régner. Il veut soutenir en l’armant les luttes des Afro-descendants sur tous les continents et préparer l’avènement d’un « empire quasi-universel du Wakanda ».
Le Wakanda est un État fictif d’Afrique centrale, orientale ou australe réputé pour son extrême pauvreté et son économie pastorale rétrograde. En fait, un immense champ de projection holographique couvre tout le territoire et cache au monde entier une autre réalité. Le Wakanda est une nation hautement technicisée disposant d’engins volants capables de se rendre invisibles, de trains à suspension électro-magnétique, d’appareils de contrôle d’avions ou de voiture qui permettent de conduire à distance…
La puissance incroyable du Wakanda repose sur l’existence dans son sous-sol d’un métal rare venu de l’espace, le vibranium, d’une dureté extrême, qui émet une énergie interne ainsi que d’incontestables effets mutagènes. Le vibranium a provoqué l’apparition de l’herbe-cœur, une plante qui, préparée en décoction, accroît les capacités physiques humaines. En tant que Black Panther, le roi de Wakanda appartient aux humains augmentés. Il bénéficie en outre du savoir-faire technologique représenté dans le film par la princesse royale Shuri, sa sœur cadette, experte en sciences appliquées et en techniques d’infiltration. Avant de partir en mission en Corée du Sud, T’Challa et Shuri répètent une scène habituelle des James Bond quand Q donne dans son laboratoire à l’agent 007 de nouveaux gadgets de combat.
Protégé par d’excellentes forces armées et par un réseau international de renseignement extérieur clandestin et omniscient, le Wakanda concilie avec un rare bonheur les avancées techniques et la tradition. Ainsi pour son intronisation, le nouveau roi doit-il relever tout défi lancé contre lui par un duel avec tout autre prétendant au trône. Le combat cesse soit par la mort d’un des protagonistes, soit par un abandon. Victorieux, le roi boit ensuite une potion et se retrouve recouvert de sable rouge. La potion le met en contact avec l’esprit de son prédécesseur. Dès que les effets s’estompent, le roi s’extrait du sable (fœtus symbolique), ce qui témoigne d’une seconde naissance, celle d’un homme de puissance.
Aussi étonnant que cela puisse paraître, la démocratie semble ne pas y exister. Le monarque wakandais prend l’avis du conseil des sages composé du général en chef des Dora Milaje (la garde royale féminine personnelle), de la reine-mère et des représentants religieux et des tribus. Le film et les comics qui l’évoquent écartent du Wakanda toute influence monothéiste. Les Wakandais des animistes convaincus. Leurs cultes (de la Panthère, du Lion et du Crocodile) s’inspirent, influence notable de l’afrocentrisme, de la mythologie égyptienne (les divinités Bast/Bastet, Sekmet, Sobek). Voilà donc un État au prestigieux développement technique demeuré pour le moins polythéiste… Faudrait-il comprendre que les monothéismes nuisent aux découvertes techno-scientifiques ? Les vives polémiques autour du génome humain confortent cette hypothèse.
Vertu de l’autarcie
Le Wakanda se compose à l’origine de cinq tribus rivales. Quatre acceptent finalement de se soumettre à l’autorité de la première Panthère noire. Elles exercent par ailleurs une mission fonctionnelle dans la société wakandaise. Si la tribu des Frontières se fait passer pour de simples éleveurs, elle monte la garde aux marches du royaume. Les responsables de la tribu de la Rivière portent des vêtements verts en peau de crocodile et, pour les plus respectés d’entre eux, un plateau à lèvres. La tribu des Marchands regroupe les artistes, les commerçants, les tisserands et les artisans. Quant à la tribu des Mines, sa tâche est vitale puisqu’elle extrait le vibranium du sol ou de la montagne. Cette organisation tribale ressemble à s’y méprendre à une stratification sociale par caste. Cela signifie-t-il qu’une société communautaire formée d’ordres sociaux favorise le succès économique et technique ? Il faut le croire…
Dès le règne de la première Panthère noire, la cinquième tribu, celle des Jabari, adorateurs du Gorille blanc, fait sécession, ne reconnaît pas l’autorité royale et se réfugie dans les sommets montagneux les plus hauts et les plus enneigés du Wakanda. La tribu des Montagnes constitue un royaume caché au sein d’un État quasi invisible. Ne serait-ce pas d’une métaphore de l’« État profond » ?
La pauvreté supposée du Wakanda n’attire guère les étrangers d’autant qu’il ne s’ouvre pas au monde extérieur. Cet exemple parfait (idéal ?) de société fermée doit sa réussite, d’une part, à un développement économique autarcique et auto-centré et, d’autre part, à une homogénéité ethnique complète. La « diversité » multiculturelle n’y a pas sa place. Le roi T’Challa déambule dans les rues animées de sa capitale en compagnie de son (ancienne ?) petite amie en toute quiétude. Il est aussi étonnant que les milieux d’Hollywood, si suspicieux en matière raciale, proposent un modèle monoculturel, ethnocentré et traditionnel qui ne peut que rappeler « les-heures-les-plus-sombres-de-leur-histoire ». Relevons le silence des organisations LGBTQXYZ malgré l’absence dans le film de tout personnage gay, lesbien, trans, bi ou autre… Mentionnons en outre l’absence de toute scène de métissage. La princesse Shuri n’embrasse même pas l’agent – caucasien – de la CIA ou, après le générique de fin, le Soldat de l’Hiver convalescent ! Ce manque de réaction, voire cette indulgence peu courante, surprend. Black Panther de Ryan Coogler recevra-t-il bientôt le label fort prisé de « film néo-patriarcal hétéronormé cisgenré » de la décennie ?
Souverainisme noir ou panafricanisme 2.0 ?
Le roi T’Challa fait face à un dilemme diplomatique considérable. Doit-il révéler au monde la véritable nature du Wakanda et prendre sa part dans la gestion des affaires du monde ? Ou bien doit-il maintenir sa position isolationniste habituelle ? Le monarque décide de miser sur le soft power en valorisant à travers une fondation officielle des initiatives humanitaires. Il souhaite néanmoins conserver l’entière souveraineté de son royaume. Le Wakanda ne serait-il pas en fait un transfert africanisé des États-Unis d’Amérique rêvés, soit un pays altruiste et magnanime en politique étrangère, conservateur sur les plans intérieur et moral ? Par bien des aspects, le Wakanda rappelle aussi la Fédération eurosibérienne envisagée par Guillaume Faye puisque cet État africain exprime clairement une nature hautement archéofuturiste.
Black Panther de Ryan Coogler a réjoui les populations noires de l’Occident mondialisé, car elle se reconnaissent dans le Wakanda. Le film met en effet le paquet pour séduire ce public, y compris les suprémacistes noirs. Fervent monogéniste, l’un des personnages du film assène une inexactitude anthropologique, à savoir que l’Afrique serait le berceau de l’humanité. Les scénaristes ignorent les thèses paléontologiques les plus récentes qui valident maintenant un foisonnement polygénique d’espèces humaines. Hollywood n’a pas compris en revanche que le Wakanda peut devenir le modèle symbolique du nouveau panafricanisme. Faire de l’Afrique un continent libre qui, pour avancer, renoue avec ses traditions interrompues (ou défigurées) par les colonisateurs européens et la Décolonisation, devrait être la motivation fondamentale de ses enfants, les héritiers du Gondwana. Quant aux descendants des Boréens, ils attendront encore très longtemps la moindre aventure, dessinée, écrite ou filmée, d’un hypothétique White Bear.
Georges Feltin-Tracol