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mardi, 20 mars 2007

Géoconstructivisme US en Afrique subsaharienne

Rodolphe LUSSAC:

Le géoconstructivisme américain au Moyen-Orient et en Afrique Noire

Réflexions critiques sur les notions de “Grand Moyen Orient”,

 

de “Pan-Sahel” et d’ “OTAN-Sud”

 

 

Après le règne de la traditionnelle géographie politique, de la géopolitique , de la géostratégie appliquée et militaro-praxéologique, la géopolitique-discours et la géopolitique-image, voilà que les Etats-Unis, grands alchimistes du One World global, nous concoctent le géoconstructivisme et s'efforcent de vendre leur dernière trouvaille "intégrationniste" : leur initiative du “Grand Moyen Orient”. Ce projet provient tout droit des laboratoires néo-conservateurs de l'administration Bush, portés par une foi messianique, digne des premiers presbytériens du Mayflower, chantres du Grand Israël;  ces laboratoires tentent d'appliquer à cette région si complexe du monde,  le nouveau concept idéologico-utopiste de la “nation building”, à savoir la transposition paradigmatique (si besoin s’en faut, par la force) dans cette partie du monde des principes de démocratie et du libéralisme libre échangiste.

 

 

Force est de constater la filiation évidente entre le nouvel interventionnisme wilsonien botté (en rupture avec la conception isolationniste de la "homeland security"), tinté de jeffersonnisme à la sauce protestanto-capitaliste et télé-évangéliste, et l'idéologie progressiste et illuministe des lumières de la Révolution française.

 

 

Ce nouveau géoconstructivsime qui imprègne l'idée tant soit peu saugrenue et tragi-comique d 'un hypothétique grand "Moyen- Orient" se fonde sur un diagnostic décrété dans le rapport "Tendances globales 2015", une étude prospective du conseil national américain du renseignement qui dresse un sombre tableau de la situation politico-économique dans la région: explosion démographique et "poussées de jeunesse" (“Youth bulge”), disproportion de réserves énergétiques, effet néfaste de la mondialisation, radicalisation des mouvements islamistes, fracture ethnique et culturelle. Seule la probabilité d'une confrontation israélo-syrienne avec le recours aux armes nucléaires et de destruction massive a retenu l'attention des medias internationaux. Selon les mêmes protagonistes du dit rapport, seule une gouvernance nationale et internationale  en tant que "pilote-conductrice" sous la botte américaine est à même de corriger les symptômes "pathogènes", socio-politiques  et économiques, des pays de la région, par l'instauration d'une vaste zone de contrôle et de stabilité qui s'étendrait du Maroc au Pakistan. Même si le terme "Grand Moyen Orient" peut, à certains égards, paraître séduisant pour certaines chancelleries dociles du monde occidental, et peut rappeler le "Great Game" du XIXe siècle, le projet participe d'une vision idéelle et constructiviste du futur des pays arabes et musulmans, et paraît être le début de la fin de l'histoire, si chère à Fukuyama. La phraséologie employée n'est pas sans rappeler un remake du discours de La Baule, tenu par François Mitterrand en 1990, quand le défunt président français proposait au précarré africain de la France, l'octroi d'une aide substantielle aux efforts de démocratisation des pays africains . Le vernis sémantique de ce géoconstructivisme est classique et bien connu des détracteurs des thèses conflictuelles sur les civilisations, énoncées depuis une bonne décennies par Samuel Huntington, car on se met hypocritement à propager le rêve fallacieux de la fin imminente des tyrannies (que les USA ont grassement soutenu pendant des décennies), l'avènement quasi spontané et organique de la démocratie, des droits de l'homme et de la paix sociale. Même si les Américains comptent beaucoup sur cette région comme base d'essai et d'expérimentation de leurs visions (comme c'est le cas, du reste, au Kosovo, en Bosnie-Herzégovine et en Macédoine), ce grand rêve constructiviste n'est en fait que la traduction de leurs bas intérêts géostratégiques dans la région et dans toute l'Afrique magrébine, occidentale et orientale.

 

 

Un vaste projet géopolitique pour le Sahel

 

 

L'opération consiste à vendre un vaste projet géopolitique, afin d'instaurer un vaste marché libre échangiste et intégré dans la région, dont les grandes compagnies multinationales américaines seraient les principales bénéficiaires, en évinçant au passage les alliés traditionnels européens du monde arabe. En fait, soucieux de contenir les poussées terroristes en Afrique, soit dans les pays du Maghreb, au Mali, au Niger, au Tchad, en Erythrée, en Ethiopie, etc., qui sont autant de bases arrières logistiques pour les réseaux terroristes transnationaux, Washington déploie des contingents militaires dans tous ces pays et dans l'immédiat entend étendre la sous-traitance de la sécurité à tous les pays alliés. Ce concept est déjà mis en pratique dans l'initiative “Pan Sahel” dont l'objet est de fournir entraînement et équipement à quatre pays (Mali, Mauritanie, Tchad, Niger). Ce nouveau dispositif qui s'étend à l'Algérie permettra de sécuriser les routes pétrolières qui vont de la Méditerranée orientale, de la Mer Rouge au Golfe de Guinée (région stratégique pour les USA, compte tenu des importantes ressources pétrolières),  donc à la façade ouest de l'Afrique, dont le pétrole devrait couvrir dans les dix prochaines années de 15% a 25% de la consommation américaine et remplacer en partie les approvisionnements du Golfe Persique (avec, pour pôle dans la région, l'Angola et le Nigeria, alors qu'une base américaine devrait s'implanter prochainement à Sao Tomé et Principe, nouvel eldorado pétrolier).

 

 

Sur un plan militaire, les Américains envisagent ainsi de faire participer des forces armées issues du Grand Moyen Orient à des missions de l'Otan, de leur fournir assistance et formation et de les associer à des opérations de maintien de la paix. Ce projet d'un "Otan-sud" a pour but d'aller au-delà de l'opération "Active Endeavor", de surveillance aérienne et maritime initiée après les attentats du 11 septembre, et appliquée à l'est de la Méditerranée et autour de Gibraltar ("Strog" et "TFE"), et tente d'établir une coopération militaire et politique plus étroite avec l'Algérie, l'Egypte, la Jordanie, Israël, le Maroc, la Mauritanie et la Tunisie. Le continent africain deviendrait, en application d'une nouvelle doctrine Monroe renouvelée, une chasse gardée et un réservoir énergétique servant les intérêts américains dans la région. En même temps, et c’est là un danger mortel pour l’Europe, les Etats-Unis, par pays arabes et musulmans interposés, parachèverait l’encerclement de l’Europe et de la Russie, les condamnant toutes deux à l’asphyxie et à l’implosion dans les décennies sinon le siècle à venir.

 

 

« Ordre géopolitique » et « géopolitique-discours »

 

 

 

Dans leur projet géoconstructiviste, les Etats-Unis se heureteront irrémédiablement à l'opposition entre théorie et pratique, entre la distinction faite par Agnew et Corbridge de l'"ordre géopolitique" et de la "géopolitique-discours". La géopolitique-discours des Américains, qui combine des éléments de géopolitique civilisationnelle et de développement (mission civilisatrice et propagation des valeurs de la démocratie et des non-valeurs du néolibéralisme), laquelle constitue leur  interprétation utopique de l'organisation hiérarchique de l'espace de la dite région, s'opposera dans la pratique à l'instauration viable et juste d'un ordre géopolitique dans cette même région. Ce géoconstructivisme américain fait dangereusement abstraction, du reste comme tous les constructivismes idéologiques, des pesanteurs de la géographie, de l'enracinement des histoires comme continuités, concrétudes et dynamiques dialectales inhérentes à tous les peuples, du pluralisme culturel et ethno-religieux, puissants vecteurs irrationnels de la conflictualité, ainsi que des différents axes géopolitiques en présence :  Israël/Turquie , Syrie/Irak/Iran, qui  constitueront autant d'obstacles à l'édification d'un moloch "unificateur" pseudo-géopolitique, aux allures “pharaonesques”, qui, à la lumière des réactions négatives et l'hostilité virulente du monde arabe, semble succomber à la prédestination d'un projet mort né. En effet, si l'on s'amusait à transposer le programme du groupe constructiviste élaboré par le chef de file de l'école d'art russe constructiviste Aleksandr Rodchenko, qui prônait la thèse que l'art “doit doit être soumis à des fins utilitaires au nom de l'objectivisme”, on tirerait aisément la leçon que le géoconstructivisme américain, s'il sert plus d'une fois les fins utilitaires géostratégiques des USA, pêche par excès de pragmatisme et d'abstraction, et comme d'habitude,  manque sérieusement d'objectivisme.  

 

Rodolphe LUSSAC.

06:00 Publié dans Géopolitique | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

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