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vendredi, 22 juin 2007

Don d'information, résistance à la globalisation

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Frédéric VALENTIN:

Le don d'information, résistance à la globalisation

Un pamphlet bien conçu, publié récemment par Bernard Maris (1), a ou­vert la boîte de Pandore de la cuistrerie contemporaine : les dis­cours des experts en économie. On y trouve clairement exposé qua­tre thèmes qui ferment définitivement, du moins pour des penseurs hon­nêtes, la prétention des pseudo-spécialistes en économie :

- A la fin des années 70, la démonstration mathématique de ce que le modèle de concurrence est dans une impasse totale est acquise. Gé­rard Debreu a démontré que le marché ne conduit pas, naturelle­ment, à l’équilibre. Puis, Lipsey-Lancaster et Nash établissent que le mar­ché ne donne pas l’optimum. Ainsi, de même que les planifica­teurs socialistes, s’inspirant de la théorie de l’optimum et de Walras, ont finalement assassiné leur pays, de même les libéraux éradiquent l’Europe à l’abri de superstitions ridicules.

- Les auteurs Henri Simon (prix Nobel 1978) et Maurice Allais (prix No­bel 1988) ont prouvé que les agents sont irrationnels dès que l’on introduit de l’aléa dans leurs gains. La rationalité n’est qu’un postulat commode, sans lien avec le réel. Pour avoir osé préten­dre qu’ils avaient fabriqué le modèle adéquat à la réalité, les deux No­bel Merton et Scholes ont fait plonger leur portefeuille dont les clients ont été renfloués, comme toujours, par le prélèvement fiscal sur les populations laborieuses (2).

- Si certains savants finissent par devenir malhonnêtes en se trans­for­mant en « experts », les experts qui s’autorisent de la complexité de la science économique sont toujours malhonnêtes. Il en résulte que les économistes lucides refusent de parler de la réalité éco­nomi­que : elle n’existe pas. Tout ce qui se dit est parfaitement dé­montrable mais invérifiable et insanctionnable.

- La seule économie possible est l’histoire. Confession du prix No­bel John Hicks, peu avant sa mort ; et pratique régulière de Maurice Al­lais. Edmond Malinvaud, cherchant pourquoi les économistes ne font pas de découvertes, répond maintenant que cette science est sem­blable à la casuistique.

Une fois que l’esprit a été éclairé sur l’absence d’une science éco­no­mique prouvant quoi que ce soit, le point de vue de Carl Schmitt s’impose avec force : l’économie est un moyen de contrôle social in­di­rect. Il dépend de la volonté des élites et du sens de l’action op­portune, que de désobéir et /ou ne pas obéir aux diktats fondés sur cette pseudo-science. Il existera toujours des alternatives aux vec­teurs actuels de la globalisation que sont la finance, le commerce et les médiats. Nous montrerons que la problématique du don est l’une des orientations pour remettre en cause la théorie de l’information-mar­chandise véhiculée par la globalisation. Contre l’enfer de la glo­ba­lisation, soutenons le don. A l’information marchandise, opposons la valeur qualitative du lien social fondé sur des informations données et partagées.

A – Démythifier la globalisation

La globalisation désigne l’accroissement des mobilités de tout ce qui est codifiable (3). Sont concernés : la circulation des capi­taux, les marchandises et informations qui peuvent être numérisées et se transporter indépendamment des hommes. Tout ce qui se dé­place rapidement et à faible coût (sauf, évidemment, les hommes) a fa­cilité le développement des firmes globales. Par la double impulsion des États qui ont démoli leurs frontières, et du progrès technique orienté par le type de compétition que les entreprises subissent, la glo­balisation creuse chaque jour les inégalités au sein des pays et en­tre les régions du monde, en particulier entre les emplois compéti­tifs et les emplois protégés.

Les firmes globales pratiquent de la manière suivante :

- Décomposition de la chaîne de production, depuis la recherche-dé­­ve­lop­pement d’un nouveau produit jusqu’à sa distribution, en ac­ti­vi­tés unitaires simples.

- Localisation des activités sédentaires là où elles doivent l’être.

- Installation des autres processus dans les territoires qui offrent les meil­leures conditions pour leur fonctionnement.

Les experts-économistes serviteurs des marchands cherchent à faire croi­re que le progrès technique est la seule source du chômage et des inégalités. Puisque personne ne peut refuser le progrès tech­ni­que, il n’y a rien à faire... En réalité, c’est le processus de globa­lisa­tion qui est responsable d’une grande partie du chômage, en sorte qu’un certain protectionnisme servirait les intérêts des populations. Mais, pour les castrats au service des puissances économiques, il s’agit de camoufler le fait essentiel que le libéralisme de façade sert à réinstaller la société de castes : les patrons cèdent leur pla­ce aux héritiers ; en politique et dans la haute administration, les mê­mes noms se retrouvent sur plusieurs générations. Les lettrés sont en­fon­cés dans l’oubli par la promotion des « merducons » (4) du spec­tacle (cinéma, radio, chanson, sport) qui orientent les passions des foules. Cette nouvelle caste des têtes d’affiche, leaders d’opi­nion, transmet son succès à ses descendants. L’“affirmative action” (ou discrimination positive) applique le principe de la naissance à la pla­­ce du mérite. Partout en Europe, des mafias ethniques venant du vaste monde, des sectes monothéistes spécialisées dans le grand ban­ditisme intellectuel et le crime comme les humains qui pensent, pos­sèdent à nouveau, collectivement et donc par droit de naissance pour chacun, un statut juridique de race supérieure. Le fait d’être un dé­vot de telle secte ou de venir d’ailleurs, hors d’Europe, assure au­to­matiquement une préférence sur tous et favorise l’embauche par les satrapes politiques contrôlés par les marchands.

Par le processus de globalisation, l’oligarchie qui pilote l’Occident, fu­sion de la politique et des affaires, a réussi à inverser l’ordre tra­ditionnel des fonctions : l’avoir commande le pouvoir qui donne des ordres au savoir. Le sublime libéralisme mondial est en réalité une imposition violente, par propagande, meurtres et déporta­tions, d’une idéologie religieuse monothéiste et d’une organisation cléricale. Le droit de l’homme comme réalité est la continuation de la tyrannie mo­­nothéiste : la caste des purs auto-proclamés guide le troupeau et pu­­ri­fie le monde des mal-pensants.

La justification de la globalisation par des économistes-charla­tans ca­che donc le règne d’organisations centralisées à l’échelle du globe, vé­ritables Églises dirigées par des oligarchies de trafiquants. Si, en pratique, on vit le retour de la société raciste théo­cratique, l’absence d’une noblesse au service du peuple et d’une aris­tocratie spirituelle indépendante se fait déjà cruellement sentir. La mondialisation se dé­roule donc dans un certain contexte, spatial­e­ment et temporellement localisé. Quelques mensonges pieux ont été re­levés par l’économiste Bernard Maris (5) :

- La mondialisation n’est pas le commerce, mais l’organisation con­certée au niveau mondial des grands oligopoles.

- Les changements institutionnels qui favorisent le processus de glo­balisation sont soigneusement programmés dans des institutions spé­cialisées dans la dérèglementation, comme la commission euro­péen­ne ou l’OMC.

- La globalisation n’est pas la mondialiation des échanges. Pour plus de la moitié, le commerce se limite aux filiales de firmes globales.

Le mouvement de globalisation renvoie plutôt aux enclosures qui pré­cé­dèrent la révolution industrielle. Ce fut un mouvement de destruc­tion du collectif transformé en propriétés privées. De la même ma­niè­re, la globalisation organise la privatisation du monde et, corrélative­ment, tiers-mondise les Nations. Les oligarchies de trafiquants se dé­sengagent de toute obligation de façon radicale : plus de devoirs à l’é­gard de multiples groupes : employés, âgés ou jeunes, générations à venir, conditions de vie, etc. Ne pas avoir à assumer les con­sé­quences de ses actes, voilà l’avantage des nouveaux maîtres et les rai­sons de leur préférence en faveur des religions monothéistes fon­dées sur la culpabilisation, la délation et le meurtre intellectuel de mas­se.

Sous le prétexte fallacieux de pratiquer la science économique, les ec­clesia financières entretiennent des claque-dents affirmant que la guerre de tous contre tous est un progrès. L’idéologie occidentiste, par l’abus de la métaphore guerrière, tente de voiler les conditions réelles de la privatisation du monde. De même qu’il fallut une “grande transformation” pour stopper les conséquences des enclosures, de mê­me il faudra d’autres organisations (6) pour freiner les ardeurs des maîtres de l’heure. La compréhension de leur propagande vomitive amène à repenser la logique du Don - Contre-Don qui, quoique étouf­fée par les échanges monétaires, est une voie de réappropriation de l’humanité de l’homme en ce qu’elle fait appel à la valeur qualitative du lien social.

B – Don, dette, information

La production économique a besoin d’informations et de motivation. L’information est celle du travailleur ou de l’entrepreneur sur ce qu’il doit faire pour satisfaire au mieux des besoins ou désirs. Transmettre aux divers agents économiques les informations nécessaires sur les désirs et possibilités des autres est traditionnellement considéré par les économistes comme le problème majeur qu‚un système écono­mique doit résoudre (7). Les marchés avec leurs prix, la planification avec ses transferts administratifs d’information apportent des solu­tions qui, dans l’ensemble, sont impressionnantes. Mais si la motiva­tion existe ou est développée, des agents peuvent vouloir se trans­mettre volontairement des informations économiques à titre gracieux. Car le don d’information améliore le calcul, diminue les inconvénients du coût élevé de toutes informations, et donc son imperfection et son manque. La publicité qui incite à la consommation perd une grande par­tie de sa rentabilité si l’information est donnée et transmise gratui­tement. Le don d’information limite aussi les ravages du mensonge, car la motivation du secret perd de son importance.

Le capitalisme a d’autres possibilités d’avenir que la globalisation et la société de castes à fondement raciste théocratique dans laquelle les riches et les purs (justes et pieux selon la bible) dominent le trou­peau des impurs. Mais il faut pouvoir étudier l’autogestion, l’écologie, les autonomies, les décentralisations et les démocratisa­tions, etc. Pour préférer quelque chose il faut le connaître et, pour pouvoir le réa­liser il faut, de plus, savoir que c‚est possible. Aussi, la large diffu­sion de la connaissance de possibilités de transformations sociales est nécessaire pour que ces possibilités soient comprises et effec­tuées par le maximum de personnes. Car dans le champ des réfor­mes sociales, les personnes sont tout à la fois acteurs et auteurs, le suc­cès requérant que le progrès soit perçu (la fin est immanente aux moyens en ces matières).

Le don d’informations lutte contre la négligence de l’étude des so­cié­tés possibles par rapport à celle des sociétés réalisées (présentes et passées). L’argument clef des conservatismes de toutes les factions au pouvoir est devenu que seul ce qui existe est possible. Cela prou­ve une pauvreté d’imagination et de connaissance et une inaptitude à penser logiquement. Le seul critère « mérite d’exister » n’est pas le cri­tère de qualité d’une société. La recherche des inexistants pos­si­bles, la quête des ailleurs réalisables, l’analyse des utopies réalistes sont nécessairement la plus scientifique des activités. Pour savoir ce qui, parmi l’inobservé, est possible ou ne l’est pas, il faut avoir une con­naissance en profondeur de la nature et de la structure du mon­de. Le chant révolutionnaire affirme : « la liberté guide nos pas ». En fait, c’est l’espoir de liberté, c’est-à-dire l’imagination du futur, du pos­si­ble, du désirable : l’utopie. L’utopie de maintenant, c’est de donner le plus d’informations possibles pour limiter les relations hostiles, ré­dui­re les activités de parasitisme, connaître les méthodes de la ty­ran­nie monothéiste. La société actuelle des trafiquants pieux ne devien­dra problématique que si un maximum de gens peuvent en concevoir une différente. Or, toute information transmise peut créer une dé­cou­verte nouvelle ou une prise de conscience, en se combinant avec ce que sait déjà celui qui la reçoit ; de sorte que la diffusion d’in­for­ma­tions doit emprunter toutes les voies de la communication. Par exem­ple, le don d’informations provoquerait instantanément des amélio­ra­tions dans les domaines sociaux suivants :

- Les simples annonces de demande et d’offre d’emploi, développées et systématisées.

- Les accords de livraison présente ou future de biens et services, pas­sés deux à deux.

- Chaque unité économique ferait ses propres études de marché pour l’usage de ses produits et services.

- Des groupes auraient la possibilité de se transmettre des “prix fictifs” représentant des taux de substitution entre leurs désirs, ou des taux de transformation entre leurs possibilités, ou encore se don­ne­raient les rapports entre les coûts marginaux et les productivités mar­ginales.

- Les effets externes positifs ou négatifs créés par une activité se­raient connus. Le centre de décision calculerait le profit « fictif » inté­grant ces externalités. Les mensonges comptables diminueraient.

On peut donner et contre-donner pour bien des raisons : amour de l’au­tre, gratitude, reconnaissance, sens de l’équilibre ou du devoir, re­cherche de l’estime ou du statut, crainte de perdre la face, ou pour que l’autre continue de donner. Une forme classique de lien social, l’at­tachement d’un individu à ceux avec lesquels il est en relation in­stitutionnelle, est le sentiment que la personne a envers une (des) au­tre(s) une dette qu‚elle ne peut jamais entièrement repayer : dettes envers les parents, l’Empereur (cas japonais), mais ces sentiments existent souvent envers des groupes, des collectivités, des entités so­ciales (Patrie) ou des divinités créatrices. La notion de réseau rap­pelle qu’on donne en général plus facilement lorsqu’on connaît celui qui reçoit. Le réseau permet de savoir si l’aide offerte procure plaisir et de s’informer si les autres donnent aussi.

La globalisation n‚est pas la meilleure économie possible pour le plus grand nombre. La technique ne justifie aucunement la globalisation. C’est l’absence de réflexion sur le don, sur le rôle de l’information dans les conceptions sociales qui limitent la société à l’horreur ac­tuelle. Nous montrerons ci-dessous comment la théorie de l’informa­tion marchandise, véhiculée par les organisations dominantes, ré­sulte d’une conception monothéiste du marché et débouche sur la propagande et la censure. Puis nous établirons comment le don, re­fusant que l’information n’ait qu’une valeur quantitative, renoue avec la tradition de l’homme-mesure de toutes choses, conquérant de sa li­berté.

C – La théorie de l’information-marchandise

La vulgate économique pose en hypothèse que dans un monde d’a­tomes individuels et de concurrence pure et parfaite, et en l’absence de barrières techniques ou institutionnelles, les discours de tout un cha­cun et de tous types circulent. Le monde parfait, pur et immaculé, posé a priori, permet aux énoncés d’être émis, entendus, lus, é­cou­tés, vus sans entraves. La stratégie des ententes est alors d’obtenir une rente de monopole par la censure et la propagande.

1 – Censure, propagande et information-marchandise

La censure et la propagande sont deux manières complémentaires d’ob­tenir des rentes de monopole (8) :

- La censure augmente le coût, pour les producteurs et les utili­sa­teurs, des énoncés concurrents. Elle intervient tant sur le support ma­té­riel de la pensée (livres, ordinateurs,...) que sur les idées (inter­dic­tion d’enseignement, doctrines imposées, censures doctrinales) que sur les personnes (procès, sanctions, intimidations).

- La propagande diminue artificiellement le coût des énoncés de l’au­torité. Elle suppose un contrôle monopolistique sur les médiats, ces principaux moyens de diffusion des messages destinés aux foules et à l’intelligentsia. Les sources alternatives sont plongées dans le si­lence et les populations se convertissent, peu à peu, par la répétition des énoncés, aux superstitions qui conviennent à l’autorité. L’en­sei­gnement est toujours le premier visé puisqu’il permet une pro­pa­­gande « préventive » à l’usage des futurs croyants adultes.

Censure et propagande mobilisent un personnel important organisé en ecclésia. L’acceptation de la propagande et de la censure par les foules et l’intelligentsia est recherchée à travers le mécanisme étho­logique de l’argument d’autorité : les censeurs et autres prédicateurs sont présentés comme des leaders d’opinion et des locomotives so­cia­les dont les pensées sublimes sont crédibles. La cohérence des sain­tes doctrines s’appuie sur la hiérarchie des « élus », caste su­bli­me à laquelle les médiats demandent leur consentement avant de dif­fuser un énoncé. Enfin, les bourreaux de la magistrature, par envie de plaire et crasse intellectuelle, recherchent l’hérésie à tout prix et développent l’hystérie et l’efficacité de la censure.

Propagande et censure vont de pair. Elles naissent dans des socié­tés ouvertes qu’elles ferment ensuite pour longtemps. La propagande et la censure ne peuvent tolérer les libertés de l’esprit, assimilées au péché. L’éducation évolue vers la propagande, la censure déclenche l’au­tocensure et la sottise bestiale en résulte naturellement. Ces deux phénomènes ont toujours et partout dénaturé la pensée authentique et accouché de nouveaux systèmes d’idées extravagants mais com­pa­tibles avec la tyrannie.

En occident aujourd’hui, l’offre oligopolistique de messages tant cul­turels (idéologies) qu’informationnels (nouvelles) et la censure tou­chant les œuvres, leurs supports et leurs créateurs, ramènent le mar­ché de l’information à une fiction. La demande d’informations est con­di­tionnée par l’éducation / propagande à laquelle chacun est soumis depuis son enfance. Les offreurs sont organisés en consistoires : 100 chaînes et cent fois la même chose (et les mêmes têtes). Le con­tenu des messages est toujours imprégné de la même idéologie. Le mo­ment de la consommation ne change plus le contenu : du matin au soir, le médiatique autoréfère. Et une formation intellectuelle plus in­dé­pendante a un coût prohibitif, conséquence logique de l’efficacité de la censure. Pour les trafiquants et leurs cochons truffiers, l’infor­ma­tion-marchandise est un moyen d’enrichissement et de domi­na­tion. Ils demandent donc que la valeur soit appréciée selon les cri­tè­res de toute marchandise : la structure de préférence de l’individu ab­strait.

2 – Quelle valeur pour les flux d’information ?

Le morcellement effectif du pouvoir a toujours été la seule garantie contre l’intolérance. Si propagande et censure fleurissent aujourd’hui en occident, c’est qu’elles accompagnent la concentration des pou­voirs entre les mains d’oligarchies marchandes. Celles-ci affirment que l’information obéit aux mêmes lois que celles qui régissent les échanges marchands. Pourtant, dans une information se combinent la connaissance (un savoir), la donnée matérielle (informatique), la nouvelle (domaine informationnel). Mais les trafiquants affirment qu’une information est semblable à une marchandise ou à un service: c’est une chose que l’on peut quantifier et évaluer. Un paradoxe é­merge cependant : information et appréciation se correspondent. On ne peut évaluer une information si l’on ne présuppose pas une pos­sibilité d’appréciation. Une appréciation résulte d’informations préa­la­bles... Comment fixer la valeur?

Les experts qui analysent l’information sous l’angle d’un service é­co­no­mique particulier emploient leurs instruments habituels, la pré­fé­ren­ce et l’évaluation. La valeur dépend de la qualité de la relation éta­blie entre le producteur et l’usager. En tant que service, l’information obéit à cette règle, même si elle n‚est pas « appropriable » puis­qu’elle forme le substrat sur lequel s’appuient les décisions. Chaque bran­che de l’économie, de la théorie du capital humain aux in­ves­tis­se­ments immatériels, la traite alors à sa façon. Il reste toutefois que le don, en posant la question de la gratuité, ouvre d’autres voies qui re­nouent avec la pensée philosophique traditionnelle : l’homme est la me­sure de toutes choses ; l’homme accepte des conventions ; l’hom­me est un créateur.

D – Don et valeur de l’information

Max Weber (9) a développé, au début de ce siècle, la compréhension des comportements humains fondés sur l’intérêt et sur la fidélité à une conviction. Les hommes donnent de la valeur à l’objet et valo­ri­sent leur action. Ce phénomène de l’évaluation est impliqué dans toute action qui veut réaliser un but et cherche à s’en donner les moyens. Pour Weber, la valorisation consiste à donner une dignité su­périeure à un type d’actions sur les autres. Mais il est impossible de faire que les hommes ne croient qu’à un système de valeurs et portent tous uniformément la même appréciation sur le cours des choses.

Toute relation sociale s’inscrit soit dans l’éphémère soit dans la du­rée, est fermée ou ouverte (dans un parti politique, on recrute un ma­xi­mum de membres). L’activité sociale, orientée d’après autrui, met en jeu des réciprocités (pas nécessairement de la solidarité ou de la coopération) et possède un degré de probabilité pour que les rap­ports sortent du cadre dans lequel ils sont établis (exemple : la non obéissance ou la désobéissance vident des règles ou des structures de leurs possibilités d‚existence). Le don d’information agira donc sur les formes d’activité sociale et sur le type de relations. Les fragments de Protagoras ouvrent la première piste.

1 – La tradition sophistique

Le premier fragment de Protagoras affirme : « De toutes les choses, la mesure est l’homme : de celles qui sont, du fait qu’elles sont ; de celles qui ne sont pas du fait qu’elles ne sont pas » (10). L’homme-mesure s’interprète de plusieurs manières. Le grec « métron » pro­vient des racines indo-européennes *me- ; *met- ; *med-, « me­su­rer » (11). La valeur originelle a été « mesurer le temps ». Elle a eu des emplois dérivés, notamment les mesures autres que temporelles et spatiales : soit en vue d’un résultat tangible (destiner, gouverner, soigner) ; soit en vue de la cohérence du discours (inférer, déduire, apporter une preuve). L’homme-mesure est donc celui qui crée l’har­mo­nie, l’unité et la différence dans les choses. Il décèle l’existence et la manière dont les choses existent. Il laisse la possibilité aux choses d’être et de devenir. Il en valorise une sans que celle-ci en ait pour un groupe. Il peut refuser de classer et de hiérarchiser, laissant les cho­ses dans un état d‚indifférence, l’une n’ayant pas plus de valeur que l’autre. L’existence simultanée de mesures plus ou moins com­pa­ti­bles est donc normale.

L’homme-mesure est à la fois individuel et social. Il prononce des o­pi­nions et agit selon des convictions. Créant la différence, il protège la valeur potentielle des choses. Car par différence, elles demeurent sans valeur affirmée mais acquièrent une valeur latente, non quan­ti­fia­ble. Ainsi, lorsqu’on refuse de classer des informations, on affirme que ce que l’on reçoit n’a aucune importance, aucune valeur : ça nous indiffère ici et maintenant. Dans le temps, les choses in­diffé­ren­tes s’actualiseront éventuellement. C’est dans le processus de trans­formation des choses au cours du temps que la valeur s’actualise.

Il n’existe pas d’universalité des valeurs. La curiosité intellec­tuelle, la déambulation, le souhait de connaître, valorisent à certains moments telle ou telle modalité de l’être. Du fond latent des choses, informes et sans valeur, sortent les œuvres des hom­mes, la valeur créative. L’hom­me-mesure met à plat les va­leurs proclamées des choses et des qualités et refuse de se sou­mettre à une définition quantitative dé­finitive de la valeur.

Le poète français Charles Baudelaire a illustré parfaitement cette dé­marche. Le monde extérieur et notre univers intime sont entourés de mystères. Les images picturale, poétique ou musicale guident vers des correspondances où tout se vaut. Le poète est l’un de ceux qui dé­voilent les richesses du monde, et sépare la valeur d’usage d’une œuvre d’avec sa valeur marchande grâce au choc esthétique. Un tel rap­port entre l’homme et l’objet exclut toute espèce de classement et de hiérarchie.

2 – Les conventions

L’économiste écossais David Hume, au XVIIIième siècle, affirmait que la convention est le sentiment de l’intérêt commun (par exemple, la justice résulte de conventions humaines). Pour les auteurs contem­porains qui en redécouvrent l‚intérêt et la portée, elle est un réfé­rentiel sans autre raison d’être que de garantir aux actions humaines une certaine continuité, durée et pérennité. Contrairement au contrat ou à la promesse, elle résulte d’un accord unanime et libre. « C’est une solution stable et régulière, offerte par l’environnement socio-économique dans lequel les acteurs sont plongés » (12). Puisqu’elle cherche à mettre en place des relations de confiance, elle touche au domaine de l’éthique. Toute la question est de savoir sur quoi se fon­de la conviction des individus quant à la généralisation de l’adoption d’une convention. Les conventionnalistes parlent d’écran d’informa­tions (13) pour désigner l’ensemble des règles qui définissent un système d’interprétation de l’information. Un pont est rétabli avec la phi­losophie grecque qui se préoccupait déjà de l’influence des ac­teurs sur les flux d’informations et de l’interprétation de celle-ci.

Il ne suffit pas de recevoir des informations pour que les conduites de­viennent cohérentes ou coordonnées. L’individu n’est pas maître du tissu informationnel qui l’entoure : information et individu sont é­troi­tement liés. Au sein d‚un groupe, un grand nombre d’informations ne sont pas traitées mais admises comme telles. Les conventions é­vitent à chacun d’avoir à manipuler un grand nombre de données, si­gnaux, énoncés, disparates. Elles sont des écrans informationnels en­tre les individus qu’elles placent dans un espace de confiance. Elles diffusent de l’information sur les convictions partagées, les rè­gles et normes. Les écrans d’informations assurent la conviction, trans­fèrent l’information afin de répondre à la question: Comment les in­dividus savent-ils (et sont-ils convaincus) que la convention est une norme générale ? Les conventions en tant que structure d’infor­ma­tions contiennent deux dimensions: l’énoncé qui véhicule le contenu donnant du sens à la convention ; le dispositif matériel qui assure tech­niquement le transfert d’information sur l’existence de la con­ven­tion auprès de chaque individu. « En tant qu’écran d’information, la con­vention est donc à la fois composée de discours qui l’énoncent et d’objets qui mettent en relation les adopteurs » (14).

L’information n’est plus ici un flux autour duquel les individus gra­vi­tent ; elle fait écran au sens et empêche que chacun se méfie et dou­te du comportement des autres en les informant du respect de la nor­me. L’information est organisation sociale.

Le Don d‚informations va-t-il alors définir à lui seul la valeur de l’in­for­ma­tion ? Ou ce don ne sera-t-il qu’un vecteur de l’échange mar­chand? En réalité, puisque le don est une convention morale à valeur im­matérielle, qui ne saurait s’identifier à la gratuité, l’association avec l’information nous conduit à l’économie de l’immatériel qui met l’accent sur l’attente d’une réaction qualitative à l’acte de donner. On sort de la logique de l’échange si on escompte, dans le don, la re­la­tion à venir (contre-don) en termes qualitatifs. Dans le don d’infor­ma­tions domine l’idée d’un retour anticipé qui prend la forme de la rela­tion donateur/donataire. Le retour s’effectuant gratuitement, la nou­veau­té réside tout d’abord dans la nouvelle perception du temps (le moment du retour est inconnu) et dans l’anticipation d’une conduite at­tendue de l’autre. Donner de l’information valorise le rapport à l’au­tre, l’aspect qualitatif de rapports communautaires par le partage d’in­for­mation. Le don d’informations dans le cadre des conventions exis­tantes aide celles-ci à résister au temps, à ne point se périmer. Il re­fu­se la marchandisation puisque l’entretien de la convention n’est pas monétarisé. Le don d’informations est à la fois invisible, sans retour attendu, sans dette à l’égard de qui que ce soit. Les conventions so­ciales définies comme des processus informationnel fonctionneront d’au­tant mieux que:

- L’interactivité entre les locuteurs est régulière.

- Celui qui reçoit l’information l’enrichit en la traitant.

- L’information circule. Le mouvement en garantit la valeur en tant que processus décisionnel.

- Chaque acteur a un statut propre : il reçoit des informations dans une zone donnée, sur des thèmes spécifiés. Il se peut que certaines informations aient une valeur marchande. Mais un grand nombre n’en auront pas.

- Le contexte dans lequel est perçu l’information n’est pas négligé.

Le don d’information pratiqué dans les réseaux interpersonnels et in­terorganisationnels accroît l’importance des liens amicaux et commu­nautaires, à la place des régulations marchandes. Le don est lui-mê­me une convention d’après laquelle on distribue des connaissances sans qu’il y ait d’utilité marchande ; des énoncés sont offerts sans hié­rarchisation directe et immédiate des contenus. La productivité du don en matière d’information réside dans la création de ressources nou­velles, puisque individus et conventions se forment mutuellement.

E – Reconquérir notre liberté

A l’écart de la globalisation et de l’information-marchandise, moyen de propagande et objet de censure, le don dévoile la question du rap­port entre l’homme et la division du travail. Les membres des groupes de production, hier comme aujourd’hui, ont besoin de connaître la valeur de leurs contributions respectives. Or le technicien, depuis la plus haute antiquité, est celui qui anticipe la valeur future. Le tech­ni­cien, comme le donneur d’informations, parie sur le futur dans sa di­men­sion qualitative. Cette anticipation des qualités à venir, par les tech­niciens et les donneurs d’informations, est une dimension de ce que les anciens Grecs nommaient la liberté.

Platon, dans La République, avait déjà posé la question de la valeur d’une production. Il avait répondu que la mesure de la valeur cor­respondait à la quantité de travail servant à la production. Il en va de mê­me aujourd’hui pour le don et l’échange d’informations au sein des ré­seaux informationnels. Pour Platon, le rapport entre les travaux qui ser­vent à produire les biens est un rapport d’équité, de justice com­mu­tative. Appliqué à l’information, l’équité s’exprime par une valeur indifférenciée. Puisque l’information est appréciée selon des valeurs qua­litatives comme la coopération, la confiance, la convention, elle ne tombe pas dans le domaine marchand et on ne peut lui appliquer les notions de coût, prix, investissement... Par ailleurs, si nous substi­tuons à La République de Platon les réseaux interpersonnels et inter-organisationnels, la division du travail devient le partage de l’infor­ma­tion et le don d’information est le moyen par lequel l’agent (l’acteur, l’hom­me, le citoyen) réalise sa liberté. Car seul un sujet actif, un hom­me libre, peut donner.

Le retour sur investissement (le rendement) de toute affectation de res­sources prend, avec le don, une autre dimension. Le donateur at­tend un retour qualitatif. En matière d’éducation par exemple, le don an­ticipe l’amélioration de la qualité du donataire qui sera utile à tous. Par là, de nouvelles ressources ont été créées. Dans le domaine de la technique, a enseigné Heidegger, nous ne devons pas en rester aux mécanismes et procédures car la technique exprime des formes de futur anticipées dont certaines seront opératoires. Le projet tech­ni­que est une anticipation selon le schéma du don, anticipation de fu­turs possibles.

Conclusion

Don, Technique et ordre social fondé sur le mérite forment un tout qui, reposant sur l’anticipation de futurs possibles, affirme la liberté de l’homme. Information-marchandise, logique de l’adaptation à la globalisation et ordre social fondé sur la naissance orchestrent le mépris de toutes les potentialités au profit de l’empire de la servitude, la tyrannie de l’opinion imposée par les médiats. La société actuelle (l’occidentisme) vit donc dans une schizophrénie qui la ronge : elle met l’accent sur la technique mais, simultanément, re­con­sti­tue les castes et traite l’information comme une marchandise. Elle fonctionne avec de multiples conventions et, parallèlement, incite à s’enrichir par des stratégies de modification de celles-ci.

L’occident a réactivé les méthodes des ecclesia monothéistes, responsables de la propagande et de la censure. Le jugement à l’é­gard des censeurs restera pour nous aujourd’hui ce qu’il fut au XIIIiè­me siècle, sous la plume de Roger Bacon : « Ils avaient commis une gra­ve erreur, ils étaient même coupables ; leur décision, injustifiable, ne pouvait que naître d’une profonde ignorance » (15). Les conven­tions valables dans les sociétés ouvertes fondées sur la technique sont qu’aucun pouvoir ne doit posséder le monopole de la doctrine. Cen­sure et propagande prouvent, une fois de plus, que les marchands sont tentés par une simplification dramatique du monde à laquelle il nous faut nous opposer de toutes nos for­ces. Le don associé à l’information émerge comme un moyen privi­lé­gié de réaliser notre liberté.

Frédéric VALENTIN.

Bibliographie :

BIANCHI Luca : Censure et liberté intellectuelle à l’université de Paris. Les Belles Lettres, 1999.

COULOUBARITSIS L. : Aux origines de la philosophie européenne. De Boeck, 1992.

FREUND Julien : Philosophie et Sociologie. Cabay, Louvain, 1984.

GIRAUD Pierre-Noël : Économie, le grand satan ? Textuel, 1998.

GOMEZ Pierre-Yves : Le gouvernement de l’entreprise. InterÉditions, 1996.

HAUDRY Jean : Études Indo-Européennes, 1992.

KOLM Serge-Christophe : La bonne économie. PUF, 1984.

LECLERC Gérard : La société de communication. PUF, 1999.

MARIS Bernard : Ah Dieu ! Que la guerre économique est jolie ! A.Michel, 1998.

MARIS Bernard : Lettre ouverte aux gourous de l’économie qui nous prennent pour des imbéciles. A.Michel, 1999.

MILON Alain : La valeur de l’information. PUF, 1999.

ZINOVIEV Alexandre : Le communisme comme réalité. Le livre de poche, 1983.



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Commentaires

Don d'information, OK, mais encore faut-il exercer avant d'informer sa liberté de penser. Sinon, l'on ne fait rajouter qu'à la soupe anesthésiante et entropique. Je constate, à la lecture des blogs, que l'esprit réellement libre existe, mais plutôt comme une perle rare.

Encore faut-il pouvoir crier contre l'intox, celle qui informe que les (généralisation hâtive et voulue) retaités de la SNCF se feraient des retraites dorées, pour préparer le terrain au gouvernement contre les régimes spéciaux de retraite (ce n'est qu'un exemple).

Plus que donner de l'information, je crois qu'il est plus profitable de se serrer les coudes, d'être solidaires pour résister au rouleau compresseur. Tous différents, oui, mais tous ensemble!

Écrit par : Alain | vendredi, 22 juin 2007

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