samedi, 08 mars 2008
Entretien avec Jean Tulard
Entretien avec Jean Tulard
Jean Tulard, professeur à la Sorbonne, Directeur d’études à l’Ecole pratique des hautes études, membre de l’Académie des sciences morales et politiques est le spécialiste incontesté des études napoléoniennes. En cette « année Napoléon », nous l’avons rencontré pour nous entretenir avec lui de la personnalité et du rôle de Napoléon Bonaparte.
En quoi Napoléon a-t-il préservé l’idéal révolutionnaire ?
C’est Jacques Bainville qui, le premier, a souligné que le 18 Brumaire ne mettait pas fin à la Révolution mais, au contraire, en préservait les conquêtes : la destruction de la féodalité, l’égalité, la vente des biens nationaux
Dans différents ouvrages, vous affirmez que le 18 Brumaire a permis de conclure la Révolution. Est-ce à dire qu’une révolution appelle presque toujours un coup d’Etat ?
La violence appelle toujours la violence. D’emblée, dès 1789, on sut que la Révolution se terminerait sur un coup d’Etat militaire.
Pensez-vous qu’à la veille du 18 Brumaire, l’Etat devait être restauré sur des fondements durables ?
A la veille du 18 Brumaire, l’aspiration de tous les profiteurs de la Révolution se portait vers un retour à l’ordre. Napoléon Bonaparte l’a bien compris. La France était livrée à l’anarchie dans tous les domaines au temps du Directoire faute d’une autorité ferme.
Pourquoi Napoléon Bonaparte sera-t-il choisi, est-ce pour sa popularité ou pour son ambition?
La gloire de Bonaparte a joué en sa faveur. Il avait vaincu en Italie et conclu lui-même la paix de Campoforrmio. Son expédition d’Egypte avait fait rêver comme le prouvent les mémoires de Lamartine. Vaincre à l’ombre des Pyramides ou à Nazareth, ce n’était pas rien.
Selon vous, en quoi Brumaire est-il plus dramatique que glorieux ?
Jusqu’au bout le coup d’Etat de Brumaire a failli ne pas réussir. Il fut mal préparé et certains acteurs comme Sieyès (qui avait à monter à cheval!) et surtout Bonaparte perdirent leur sang-froid à l’inverse de Fouché qui avait ménagé tous les clans ou de Murat qui n’eut pas d’état d’âme lorsqu’il chassa les députés ; Talleyrand aura, au soir du 18 Brumaire, le mot de la fin : " Il faut dîner ".
Avec l’arrivée de Napoléon au pouvoir, la France entre-t-elle dans l’ère moderne ?
Oui, la France moderne sort du 18 Brumaire. C’est ce qu’a montré Taine. Nos institutions (Conseil d’Etat, Inspection des Finances, Cour des Comptes, Recteurs, Préfets) datent de cette époque. Nos notables aussi (cf Les dynasties bourgeoises de Beau de Loménie).
Que reste-t-il de l’ère napoléonienne ?
"Sauf pour la gloire, sauf pour l’art, il eût probablement mieux fallu que Napoléon n’eût pas existé", disait Bainville. Le jugement est injuste. Il n’en reste pas moins que Napoléon est le Français le plus connu dans le monde.
Selon vous, qu’est-ce qui a conduit Bonaparte à se faire sacrer Empereur des Français ?
Si Bonaparte choisit le titre d’Empereur des Français, c’est pour éviter celui de roi. La chute de la monarchie était trop proche et la référence aux Carolingiens et à Charlemagne (que l’on connaissait mal) suffisamment lointaine pour n’être pas trop compromettante. La nécessité d’une monarchie héréditaire s’était imposée à la suite des attentats très nombreux contre le Premier Consul. Pitt (Premier ministre britannique) se moquait d’un gouvernement à la merci d’un coup de pistolet.
Pensez-vous que la réforme juridique est la plus grande œuvre accomplie par Napoléon ?
Le bilan du Consulat et de l’Empire est imposant. N’oublions pas qu’auparavant la France était divisée entre pays de droit écrit et de droit coutumier. Cette unification du droit était indispensable.
Les cinq codes promulgués préservaient-ils les grands principes de la Révolution ?
Les codes ont été l’œuvre de juristes et de conseillers d’Etat issus de la Révolution et qui étaient très attachés aux principes de 1789 et notamment à l’idée d’égalité. Les auteurs du code civil ont surtout retenu les acquis de la révolution bourgeoise de 1789 à 1791. On notera la volonté de détruire tout ce qui rappelle la féodalité. La sécularisation complète du droit est confirmée. Tous les corps intermédiaires chers à l’Ancien Régime disparaissent.
Outre l’organisation centralisée de l’administration française, que nous reste-t-il de l’œuvre de Napoléon ?
N’oublions pas le style de l’Empire, le goût des parades militaires et le musée du Louvre, alors Musée Napoléon.
Comment expliquez-vous que les conquêtes de Napoléon n’ont duré que le temps de son règne ?
Les conquêtes de Napoléon furent éphémères pour deux raisons. Elles furent le fruit de la violence et reposèrent sur les baïonnettes de la Grande Armée. Napoléon ne s’est pas préoccupé des aspirations nationales des peuples. Il l’a payé en Espagne, en Italie, en Hollande, en Allemagne.
Vous sentez-vous bonapartiste ?
Il me semble que le bonapartisme d’aujourd’hui repose plus sur la nostalgie d’une gloire passée que sur un programme politique précis. En ce sens je veux bien passer pour bonapartiste. (Propos recueillis par Xavier CHENESEAU).
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