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vendredi, 06 février 2009

Les mots sont des armes

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LES MOTS SONT DES ARMES

 

L’étymologie grecque de « barbare », c’est celui qui bafouille car il ne sait pas parler correctement le grec. Notre langue, nos langues – car le problème touche toute l’Europe de l’Ouest -, semblent en train de se barbariser.

 

Le vocabulaire usuel, déjà réduit dans ses nuances et sa « biodiversité » par des modes irritantes, semble en même temps se complexifier. L’invasion des jargons techniques à propos de rien, l’usage de longues expressions prétentieuses pour rallonger inutilement des phrases qui seraient claires si elles restaient concises, les contresens qui en découlent forcément, toute cette prétention grotesque qui caractérise politiciens, gens de medias, mais aussi par contagion le bipède très moyen, ont déjà été analysés, dénoncés, stigmatisés, par des tas de braves gens désolés de voir une langue qu’ils aimaient devenir un sabir incompréhensible. Et la tentation existe alors de se dire qu’il en a peut-être été toujours ainsi, même si l’arrogance des incultes et l’agressivité des sectaires nous paraissent se renforcer.

 

Ce qu’apporte de nouveau le livre d’Ivan Karpeltzeff, c’est l’idée, avec quelques démonstrations à la clé et beaucoup d’humour en prime, que ces modes ne sont pas neutres et qu’elles traduisent parfois également une certaine volonté idéologique de nous décerveler. Bien sur, cela ne marche pas toujours. Le champ sémantique des expressions à la mode existe bien et, avec un peu d’habitude, on sait ce que signifient en clair des expressions comme « incivilités » ou « dommages collatéraux ». Mais la pédagogie est d’abord répétition et le bourrage de crâne est bien relayé.

 

Il y a peut-être plus grave. La baisse qualitative du vocabulaire induit une baisse de la pensée utilisable, et la baisse quantitative qui l’accompagne en parallèle, a des conséquences sociologiques désastreuses : Celui qui ne sait pas s’exprimer suffisamment bien ne pourra pas communiquer efficacement, il ne pourra même pas faire face aux situations de la vie courante. Bien plus qu’une soi-disant exclusion, le développement de la violence dans la macédoine de nos sociétés « pluriculturelles » est sans doute une conséquence directe de ce déficit de capacité de communiquer dans une langue en pleine déstructuration. Les rapports entre immigration, difficultés de langue, échecs de socialisation, et la généralisation de la violence qui en découle dans les rapports sociaux, tout ceci avait déjà été longuement analysé dans les années 1960 par Geoffrey Gorer à propos des Etats-Unis (« The American people »). Encore s’agissait-il d’un pays avec des restes de normes et des modèles, encore ne parlait-il que d’un melting pot brassant des peuples de même origine et non d’une agglomérat de cultures trop souvent irréductibles voire antinomiques Aujourd’hui, un égalitarisme imbécile exige de placer barbares et Grecs au même niveau de « total respect » ! Or si tout se vaut, c’est que rien ne vaut quoi que ce soit.

 

Cette régression du vocabulaire s’accompagne d’une régression de la grammaire. Disparition de l’article, disparition du vouvoiement (et d’une subtilité des rapports qui fait place à une brutalité que ne tempèrera jamais la fausse fraternité des chefs), disparition de la mesure du temps par un système élaboré de conjugaisons qui codifiait aussi la causalité et la probabilité. Qui comprend encore l’usage du futur antérieur ?

Ivan Karpeltzeff décrit aussi la disparition correspondante de la pensée, de ce silence – pourtant nécessaire à la réflexion – qui semble affoler nos contemporains. Tous les jours la radio nous fait entendre le saboteur d’interview qui empêche son interlocuteur de répondre à la question qu’il lui a posée en le coupant par une nouvelle question creuse (cela s’appelle « rebondir ») puis encore une, et encore une. L’auteur explique que cela fait partie de la formation de nos journalistes : interdire à celui qu’on interroge de réfléchir, de répondre en nuançant, de réagir autrement qu’au quart de tour. La consigne est « Si le silence atteint 3 secondes, il faut intervenir ! » Seuls les « penseurs » étiquetés comme tels (donc de gauche, bien sur, mais aussi et surtout copains de la production) auront peut-être un régime de faveur. Inutile alors de s’étonner que d’une télé à l’autre, d’une radio à l’autre, les chiffres souvent trafiqués des informations saucissonnées sont incohérents. Qui aura le temps de le noter ?

 

A qui le crime profite-t il ? A ceux pour qui la régression du langage est un avantage certain, puisqu’elle abaisse les défenses intellectuelles de ceux qu’on voudra soumettre à tous les messages de conditionnement, messages qu’on masquera éventuellement par une pseudo complexification de ce même langage appauvri pour mieux en masquer la teneur et leur donner une allure de sérieux. En clair, à la caste médiatique qui baise la main qui la nourrit, celle des marchands et des politiciens. Notons au passage l’homogénéité des soi-disant nouvelles que quelques agences autoproclamées nous assènent avec les mêmes titres et les mêmes commentaires dans une presse largement subventionnée par l’argent du contribuable. Cela fait maintenant une cinquantaine d’années qu’aux trois pouvoirs classiques de Montesquieu (exécutif, législatif et judiciaire), la société occidentale a prétendu ajouter un quatrième pouvoir : celui d’informer. Mais si la tripartition de Montesquieu concerne des institutions, ce quatrième pouvoir, note l’auteur, n’est qu’un pouvoir tout court, un pouvoir de nuisance qui exige sa place, pour mieux nous décerveler et nous soumettre.

 

Or, prétend Ivan Karpeltzeff, c’est dans les journaux presque exclusivement que les enseignants puisent aujourd’hui leur matière, crédibilisant ainsi un média et un usage de la langue qui contribuent puissamment à nous crétiniser. Et c’est vrai que lorsqu’un enseignant cherche à développer le sens critique de ses élèves face à la presse, il jouera infiniment plus, voire exclusivement, sur les différences superficielles (les opinions politiques affichées) que en osant s’attaquer au fond, c'est-à-dire à la sélection de ce que le journal dit considérer comme de son devoir (sic) de rapporter.

 

On se rappelle qu’un célèbre journaliste antique, Jules César, le chroniqueur de la Guerre des Gaules, après avoir soigneusement préparé sa campagne, prit soin de se faire appeler au secours par une tribu gauloise préalablement subvertie. Ou que CNN, célèbre chaîne de télévision américaine partie prenante de la première guerre d’Irak, avait monté une magnifique opération d’intox (celle qui a fait croire au monde entier que les méchants soldats irakiens avaient tué les pauvres bébés des couveuses de l’hôpital de Koweit) pour se vanter peu de temps après de l’efficacité de son mensonge. Bref, l’interventionnisme cher à nos grandes âmes désintéressées, est une vieille technique. La guerre des mots est flexible, elle sait créer de nouveaux bon droits (le droit d’ingérence de Bernard Kouchner) pour mieux fouler aux pieds les anciens (le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes dans ce cas précis). Il en est de même de l’utilisation de l’argent (« la cavalerie de Saint Georges » disait on des écus d’or que les Anglais répandaient partout pour faire faire leurs guerres par les autres) mais aussi du langage pour aider à la victoire. Cela marche puisque, en dépit de tout, notre caste médiatique a repris durant cinquante ans les termes de « république démocratique et populaire » pour désigner les pires totalitaires de l’histoire de l’Europe, ceux qui étaient obligés d’enfermer leur population pour l’empêcher de fuir. Ivan Karpeltzeff appelle cela la guerre indirecte.

 

La guerre indirecte, ce sont toutes les méthodes qui permettent d’éviter la guerre militaire et ses pertes. Ce sont la propagande, la corruption, la subversion, tout ce qui détruit l’ennemi même en temps de paix apparente. Mais à notre époque, depuis l’arrivée du léninisme, la notion de paix n’existe plus guère. L’ennemi a pris une dimension quasi religieuse pour les guérillas avides de conquête et la guerre des mots n’est pas la moindre. La comparaison de la subversion et du jeu de go est connue. Chaque pion installé doit menacer les lignes adverses et aider à fixer les lignes ennemies. Chaque « petit pas » contribue à la victoire finale mais nécessite également une analyse complète des structures et des ressorts du corps social qui est sa proie désignée (entreprise, association, état). Les faux nez existent aussi. L’auteur note que la création du mot « altermondialisme » qui signifie mondialisme autre, différent (mais mondialisme quand même !) est une arme magnifique à l’usage de tous les braves gens qui eux vont comprendre « antimondialisme » et tomber dans le piège.

 

Malgré tous les exemples qu’il cite et qui devraient le corseter, Ivan Karpeltzeff, mu par sa volonté d’analyse du «grand complot » (le terme est de nous), amalgame parfois un peu et anathémise parfois à tort. Ce n’est pas par volonté d’être un « cultureux branché » que le bipède moyen prononce Beijing à la française au lieu de Pékin. C’est tout simplement que personne chez nous ne maîtrise vraiment les règles de prononciation du pinyin (la graphie officielle chinoise de translittération du chinois en caractères romains depuis les années 70) et que tout un chacun ignore qu’il vaudrait mieux prononcer quelque chose comme Peking ! (la distinction française p/b n’a aucune pertinence en pinyin, et la lettre j se prononce entre le dz et le tj palatal). Même chose pour Ci Xi qui est la graphie pinyin de Tseu Hi, comme Lao Zi est celle de Lao Tseu, ou Qin celle de Ts’in, ou Mao Zedong celle de Mao Tse Toung (ou Tsö Tong ou Tse Tûng etc. ad infinitum, selon la nationalité du transcripteur ancien – Nous continuons cette même diversité dans notre transcription des noms russes dans les différentes langues européennes). Bref Ivan Karpeltzeff semble faire la même faute que ceux qu’il fustige… En revanche, s’il est vrai que le jargon politiquement correct utilise le dérivé lourdingue de subsidiarisation pour parler de délégation de pouvoirs, c’est alors un vrai contre sens à la notion de subsidiarité telle que l’a conçue la doctrine de l’Eglise. Le terme et la notion de subsidiarité sortent de l’encyclique Quadragesimo anno de 1931 sur la restauration de l’ordre social. Pie XI écrivait : "De même qu'on ne peut enlever aux particuliers, pour les transférer à la communauté, les attributions dont ils sont capables de s'acquitter de leur seule initiative et par leurs propres moyens, ainsi ce serait commettre une injustice, en même temps que troubler d'une manière très dommageable l'ordre social, que de retirer aux groupements d'ordre inférieur, pour les confier à une collectivité plus vaste et d'un rang plus élevé, les fonctions qu'ils sont en mesure de remplir eux-mêmes."

Un dernier petit point de discorde avec Ivan Karpeltzeff. Selon nous, ce n’est pas une opinion publique traumatisée qui donne ces générations de moutons, c’est seulement une vieille manie qui nous fait admirer les assassins fanatiques mais beaux parleurs, ceux qui rempliront nos fosses communes comme le firent jadis un Robespierre ou un Clémenceau.

 

En revanche, on se ralliera totalement à l’auteur quand il explique combien la contre offensive est nécessaire face à ce qui n’est ni un jeu intellectuel, ni une compétition aux règles claires. Nous devons apprendre à analyser, contester et réviser tout ce qu’on nous martèle comme issu d’un consensus vague, d’une opinion publique non définie, d’une communauté internationale beaucoup plus floue que ces communautés modernes qui se dotent d’institutions dites représentatives pour mieux verrouiller leurs membres obligés. Il faut sans cesse dénoncer la cuistrerie, tout comme les idéologues qui se présentent comme des savants qu’ils ne sont pas. Il faut faire lire et relire, pour mieux les mettre en application, les nombreux ouvrages que cite Ivan Karpeltzeff, de Jules Monnerot à Alain de Benoist, de Pierre Debray-Ritzen à Bernard Fay. Rappeler à tous ceux qui utilisent un jargon mensonger qu’une famille monoparentale n’est pas vraiment une famille, qu’un plan social n’est pas vraiment social, que la laïcité française est (hélas) autre chose que la simple tolérance ou la vraie neutralité. Bref retrouver une attitude de réarmement moral individuel, « même et surtout si le terme peut prêter à sourire » face au sous clergé des idéocrates déguisés.

 

Dominique DELORME.

 

Ivan Karpelltzeff,  La Guerre des mots -  Préface de Jean Haudry , 190 pages et une bibliographie- décembre 2005 - Les Editions de la forêt. F-69380 Saint-Jean-des-Vignes. ISBN 2-9516812-5-9.

Cet article est paru dans la revue "Renaissance Européenne", organe de l'association "Terre & Peuple - Wallonie".

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