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mardi, 07 avril 2009

Le communautarisme américain

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Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1995

Université d'été de la F.A.C.E. - 1995

Résumé des interventions

Le communautarisme américain

(intervention de Robert Steuckers)

 

Le communautarisme américain d'aujourd'hui, c'est-à-dire tout le débat entre sociologues visant à réhabi­liter la notion de “communauté” aux Etats-Unis, est une réponse tardive au néo-libéralisme et une redé­couverte des liens communautaires. Conscients de la faillite et de l'impasse que sont l'individualisme et le collectivisme, les sociologues de la “nouvelle gauche” cherchent désormais à restaurer la logique com­munautaire. La plupart de ces nouveaux “communautariens” américains tâtonnent: ils tentent de vulgari­ser et d'adapter un discours qui a été parfaitement “scientificisé” en Europe avec Otto von Gierke, Ferdinand Tönnies (Communauté et société)  et François Perroux. Mais cet héritage précieux de la socio­logie avait été refoulé au profit de conceptions très “sociétaires” ou très “technocratiques” des agrégats humains. Les sociologues américains de la tradition “communautarienne” aujourd'hui émergente ont cons­taté, devant la déliquescence des villes américaines, devant la criminalité galopante, que leur société basculait dans l'anomie totale, vu la disparition de tous les référents sous les coups de l'hyper-modernité.

 

D'où le triple constat de cette nouvelle école sociologique et philosophique:

1) Les Etats-Unis sont une société sans référents, parce qu'elle est une société d'immigrés qui ont rompu avec leurs traditions ancestrales, sans en avoir reconstruit d'autres;

2) Or les Etats-Unis veulent être une société pleinement démocratique; mais une démocratie n'est viable que s'il existe au préalable des vertus civiques, c'est-à-dire une sorte de bloc d'idées incontestables, impliquant des droits et des devoirs. Les vertus civiques réclamées par toute démocratie saine sont l'avatar contemporain de la virtus  des Romains, de la virtù  de Machiavel et de la vertu de Montesquieu.

3) Pour que ces vertus civiques demeurent vivantes, dynamiques, adaptables aux circonstances, il faut que demeurent les liens, valeurs et comportements traditionnels; d'où la notion d'un “progrès” —qui effa­cerait définitivement ces legs irrationnels du passé pour qu'advienne un bien définitif, rationnel, raison­nable et épuré—  n'est plus défendable.

 

C'est sur base de ce triple constat que la sociologie récente aux Etats-Unis lance un appel aux citoyens pour qu'ils renouent avec leurs traditions, mais cet appel demeure assez vague et imprécis quand on le compare à la profondeur d'analyse d'un Tönnies ou d'un Perroux. Nous préférerions retourner à la rigueur de Tönnies et de Perroux, mais cette rigueur n'est plus directement accessible, même en milieu acadé­mique, c'est pourquoi nous sommes contraints en pratique de revenir dans le débat sur la “communauté” par cette “petite porte” —la seule qui ne soit pas condamnée—  qu'est le communautarisme américain ac­tuel.

 

Autre aspect intéressant de ce débat: il permet de dépasser le paralysant clivage “gauche/droite”, étant donné, justement, que les “communautariens”, s'ils viennent en majorité de la “gauche”, viennent aussi assez souvent d'une droite “axiologique” ou “aristotélo-thomiste”. Le communautarisme permet de ras­sembler tous ceux qui s'opposent au libéralisme radical, à l'hyper-individualisme et au culte de l'argent, revenu sur l'avant-scène avec Thatcher et Reagan. A l'époque du grand avènement du néo-libéralisme, de la fin des années 70 à l'entrée de Reagan à la Maison Blanche, les théories de Hayek et des Chicago Boys avaient triomphé de celles de John Rawls, consignées dans un ouvrage célèbre à l'époque, A Theo­ry of Justice  (1979). Rawls critiquait la notion de contrat aliénant ma liberté de citoyen, déléguant mes pouvoirs naturels à une instance appelée à barrer la route au chaos (guerre civile). Pour Rawls, le fait de déléguer ainsi ses propres pouvoirs ruine les ressorts coopératifs naturels de toute la société. Pour dé­passer cet effet pervers du contractualisme, il faut rendre vigueur aux normes traditionnelles, se débar­rasser de cette philosophie anglo-saxonne qui estime que les normes et les valeurs découlent d'énoncés vides de sens. Le livre de Rawls provoque deux réactions: 1) Nozick et Buchanan définissent des normes toutes faites, jugées comme universellement valables et intangibles (origines néo-libérales de la political correctness);  2) il faut faire revivre les normes traditionnelles, donc redonner vie aux res­sorts des com­munautés.

 

Parmi les nombreux protagonistes de ce nouveau “communautarisme”, citons Ben Barber, issu d'une gau­che très activiste, engagée dans tous les combats depuis 68. Ben Barber oppose très justement le li­bé­ra­lisme à la démocratie. Le libéralisme signifie l'anarchie sociale, l'effilochement des tissus séculaires, la fin des institutions stables de la société (mariage, famille, etc.), l'anomie. La démocratie, si elle est forte, im­plique la participation, donc des agrégats humains aux ressorts naturels intacts, capables de s'adapter en souplesse à tous les contextes et à tous les coups du sort. Restaurer une démo­cra­tie forte, contre les effets dissolutifs du libéralisme, signifie accroître la participation des citoyens à tous les niveaux de dé­cision, réactiver la citoyenneté. En effet, le libéralisme, issu du contractualisme, est une “démocratie faible”, dans le sens où il participe d'une épistémologie “newtonienne”, où le simplisme géométrique est de rigueur; le libéralisme est cartésien, dans le sens où il est déductif et où il ne consi­dè­re comme pleinement citoyens que ceux qui adhèrent religieusement à quelques vérités abstraites, alors que le “commu­nau­ta­ris­me” est amené à définir le citoyen comme le ressortissant d'un Etat qui a une histoire particulière et a dé­ployé des valeurs spécifiques, particularités et spécificités qui fondent justement la concrétude de la ci­toyenneté. Le libéralisme postule un homme dépolitisé (qui a délégué ses pouvoirs potentiels à une ins­tan­ce supérieure), ce qui est une aberration aux yeux de l'ancien militant gauchiste Ben Barber. Il faut donc opérer un retour à la Polis antique, où le citoyen se situe dans une histoire, où il intervient et par­ti­ci­pe. Le libéralisme, soit la “démocratie faible”, génère des pathologies: atomisation so­ciale, chaos, ano­mie, expédiant de la dictature, passivité des citoyens. Une démocratie réelle, soit une démocratie forte, com­mencent par des “assemblées de voisins” (5000 citoyens décrète Barber), reliées entre elles par des “coo­pératives de communication” (rendues possibles par les progrès en télécommuni­cations). Ben Barber pro­pose ce modèle pour les Etats-Unis, société où aucune tradition ne subsiste et où aucune tradition par­ticulière ne peut s'imposer à la majorité. D'autrs communautariens parle de “faire éclore partout des sphè­res de justice”. Un débat passionnant que les “Bons Européens” doivent brancher sur les legs com­munautaires de leurs propres histoires et sur l'appareil conceptuel que nous lèguent Otto von Gierke, Tön­nies et Perroux.

(résumé de Catherine NICLAISSE).

 

 

 

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