dimanche, 10 mai 2009
Histoire du libéralisme en Russie
Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1988
Histoire du libéralisme en Russie
Victor LEONTOVITCH, Histoire du libéralisme en Russie, Fayard, Paris, 1986, 479 p.,180 FF (Préface d'Alexandre Soljénitsyne).
Ouvrage fouillé, très complet, le livre de Victor Léontovitch commence par une approche théorique du libéralisme dans le contexte russe. N'ayant connu ni un régime aristocratique féodal (une démocratie limitée aux aristocrates) ni l'indépendance de l'autorité spirituelle (le pape) face aux pouvoirs temporels, la Russie a forcément développé un libéralisme différent de celui de l'Europe occidentale. Dans le programme de gouvernement de l'Impératrice Catherine II, apparaissent des idées libérales issues de Montesquieu et appelées à moderniser la Russie, à construire un réseau de manufactures et à renforcer l'éducation publique. Ces mesures furent jugées trop révolutionnaires par son fils Paul Ier et aussitôt annulées. Alexandre Ier, petit-fils de l'Impératrice, poursuivra son œuvre émancipatrice. Léontovitch souligne l'influence de ministres comme Spéranski et Karamzine. Spéranski avait élaboré un projet de «royaume orthodoxe» caractérisé par une sorte d'«absolutisme libéral». Karamzine voudra codifier le droit russe selon des idées proches de celles de Savigny, lequel souhaitait maintenir les règles issues de la coutume et de la jurisprudence, de même que les variantes régionales du droit, contre toutes les tentatives d'homogénéisation des peuples et du continent européen sous l'égide d'un droit unique, comme, par exemple, le Code Napoléon. Mais libéraliser, dans la Russie, du XIXième siècle, signifie émanciper les paysans. C'est ce problème crucial qui bloquera l'évolution de la Russie vers un libéralisme à l'occidental. Au lieu de voir triompher le libéralisme, la Russie a vu triompher les radicalismes de toutes moutures. Dans sa préface, Soljénitsyne explique que la non réussite du libéralisme, a fait naître d'autres dégradations idéologiques, comme l'absolutisme démocratique ou la démocratie impérialiste. Comme les idées à la fois traditionalistes et émancipatrices de Karamzine et Savigny ne parviennent pas à infléchir les réformes dans un sens évolutionnaire, la Russie ne connaîtra que des tentatives rupturalistes extrêmes, malgré les projets d'un Witte ou d'un Stolypine au début de ce siècle. L'application de projets libéraux idéaux et abstraits ne pouvait pas fonctionner en Russie. Victor Léontovitch explore à fond les méandres de cette lancinante question paysanne russe, avec ses moujiks qui passent du servage aristocratique/autocratique au servage étatique/kolkhozien. Un chapitre nous éclaire sur ce qu'est le droit paysan traditionnel, où ce sont les «feux» qui possèdent des terres communales et non des individus qui possèdent des terres individuelles. Ces terres ne pouvaient être héritées, et à la disparition d'une famille, d'un feu, par mort ou stérilité, elles revenaient à la commune; ce contexte rend bien sûr l'application d'un libéralisme individualiste à l'occidentale très problématique... (Robert Steuckers).
00:05 Publié dans Histoire | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : libéralisme, russie, 19ème siècle, 18ème siècle | | del.icio.us | | Digg | Facebook
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