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samedi, 18 juillet 2009

Labyrinthe et "Trojaburg"

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Labyrinthe et «Trojaborg»

Deux traits caractéristiques de la préhistoire nord-européenne

 

par le Prof. Frithjof Hallmann,

Université d'Uppsala

 

Il est une règle en archéologie qui veut que la fréquence des découvertes sur un site prouve que ce site est le site originel de l'objet en question. Dans le cas du sym­bole que sont les labyrinthes, le site d'o­rigine doit être le nord de l'Europe et non le sud. Environ 500 labyrinthes de pierre ont été découverts en Europe sep­ten­trio­nale, jusqu'aux confins de l'Océan Arcti­que. Bon nombre de ces labyrinthes datent de la préhistoire européenne, y compris ceux du Grand Nord. Dans la zone médi­terranéenne, on ne trouve que rarement ce symbole, perennisé dans les aligne­ments de pierres.

 

En règle générale, le labyrinthe est consi­déré comme une sorte de jardin, conçu pour jouer à s'égarer. Tous ceux qui ont eu l'occasion de visiter des labyrinthes de haies dans les jardins et parcs anglais, fran­çais ou italiens, sauront combien il est parfois difficile de retrouver le chemin de la sortie. Le labyrinthe, en conséquence, est considéré par la plupart de nos con­tem­porains, comme un jeu où l'on s'a­mu­se à s'égarer. Beaucoup de princes eu­ro­péens du XVIième au XIXième siècle se sont fait installer des jardins labyrin­thi­ques pour amuser et distraire leurs in­vi­tés. Parmi les plus célèbres labyrinthes fran­çais, citons ceux de Versailles, de Chan­­tilly, du Jardin des Plantes; en An­gleterre, les labyrinthes de Hatfield House, de Hertfordshire, de Hampton Court Pala­ce (à Londres), ainsi que le grand laby­rin­the de Hazlehead Park à Aberdeen; en Ita­lie, aujourd'hui, on peut encore visiter le célèbre labyrinthe de haies de la Villa Pi­sani à Stra, à l'ouest de Venise, avec une tour et une statue de Minerve au centre. Ce sont là les laby­rinthes les plus connus et les mieux con­servés aujourd'hui. 200.000 touristes par­couraient chaque an­née les allées du laby­rinthe de Stra, jus­qu'au moment où il a fallu les fermer au public qui devenait vraiment trop nom­breux et risquait d'abîmer le site.

 

Quant au touriste qui s'intéresse à l'his­toi­re de l'art, il peut visiter de nom­breux labyrinthes de mosaïques, surtout dans des églises. Ceux qui se rendent en Italie pourront en voir de très beaux dans l'é­glise Santa Maria di Trastevere à Rome, ou encore dans l'église San Vitale de Ra­venne, dont le sol présente un magni­fi­que labyrinthe. Dans la cathédrale de Luc­ca, on peut apercevoir un labyrinthe gravé dans un mur et flanqué d'une ins­cription latine signifiant "Ceci est le laby­rinthe que le Crétois Dédale a construit". En France, notons les labyrinthes de la Cathédrale de Bayeux et de l'église de Saint-Quentin, qui attirent, aujourd'hui encore, de nom­breux amateurs d'art. En territoire alle­mand, nous ne trouvons au­jourd'hui plus qu'un seul labyrinthe: dans la crypte de la Cathédrale de Cologne.

 

Mais en Allemagne, comme en divers en­droits d'Angleterre, on peut encore voir les traces, dans l'herbe, de très an­ciens la­byrinthes comme la Roue (Rad)  d'Eilen­riede près de Hannovre ou les la­byrinthes d'herbe de Steigra et de Graitschen en Thu­ringe. Malheureusement, le magnifi­que laby­rinthe de Stolp en Poméranie, l'un des plus beaux du monde, a été dé­truit.

 

En Angleterre, une bonne centaine de labyrinthes

 

En Angleterre, au contraire de l'Alle­ma­gne où l'on ne trouve plus que les trois labyrinthes que je viens de citer, le tou­riste amateur de sites archéologiques pour­ra en visiter une bonne centaine. Dans les Iles Britanniques, on les appelle Troy-town  ou Murailles de Troie (Walls of Troy),  exactement comme plusieurs la­byrinthes scandinaves encore existants (Trojaborg;  en all. Trojaburg).  A l'évi­den­ce, labyrinthes britanniques et la­by­rinthes scandinaves sont structurelle­ment apparentés. Car il ne s'agit pas de cons­truc­tions de modèle simple, édifiées pour le seul plaisir du jeu, mais d'une al­lée u­ni­que serpentant circulairement vers un centre, pour en sortir immédiatement, tou­jours en serpentant. Il est intéressant de noter que les élèves des écoles pri­maires, en Scandinavie, apprenaient en­core, dans les années 30, l'art de «dessiner des labyrinthes».

 

Avant de nous pencher sur la significa­tion étymologique des termes «laby­rin­thes» et «Trojaborg» (Troy-town; Troja­burg),  je voudrais d'abord signaler qu'au­jourd'hui, sur le territoire suédois, j'ai dé­nombré 296 Trojaborge  de pierre, dont les diamètres varient entre 4 et 24 m et qui comptent généralement 12 seg­ments cir­cu­laires; en Finlande, y compris les Iles Åland, j'en ai dénombré 150; dans le nord de l'Angleterre, 60 (dont 15 sont fouillés par des archéologues profession­nels); en Norvège, 24; en Estonie, 7; en Angleterre méridionale, 2; sur le territoire de la RFA (avant la réunification), 1. Nous arrivons ainsi au nombre de 540 Trojaborge nord-européens en pierres, auxquels il faut a­jouter la centaine de la­byrinthes en prairie des Iles Britanniques et leurs trois équi­valents allemands. Malheureuse­ment, la zone archéologique méditerranéenne ne compte plus, au­jourd'hui, de labyrinthes de ce type; seuls demeurent les labyrinthes des églises et ceux, récents et en haies, des parcs. Nous pouvons en revanche décou­vrir des laby­rinthes gravés sur des parois rocheuses, comme dans le Val Camonica dans les Alpes italiennes, ou à Pontevedra en Espagne septentrionale. Ce labyrinthe ibé­rique présente le même modèle que ce­lui découvert sur la pierre irlandaise de Wicklow et celui de Tintagel en Cor­nouailles.

 

J'ai cherché à découvrir un labyrinthe en Crète, qui confirmerait la légende de Thé­sée et Ariane. Je n'ai pas découvert le fa­meux labyrinthe de Cnossos. Or, on as­so­cie très justement la Crète au symbole du la­byrinthe, car, au British Museum et dans le Musée de l'Antiquité de Berlin, les visiteurs peuvent y voir des labyrinthes sur des monnaies crétoises du IIième et du Vième siècle avant notre ère. En Egyp­te, pays d'où nous viendrait, d'après les lin­guistes, le terme «labyrinthe» (Lope-ro-hint,  soit le palais à l'entrée du lac, allu­sion à un labyrinthe disparu, qui se serait situé sur les rives du Lac Méri), je n'ai pas eu plus de chance qu'en Crète et je n'ai pas trouvé la moindre trace d'un labyrin­the. D'autres spécialistes de l'étymologie cro­yent que l'origine du mot labyrinthe vient du terme «labrys», qui désigne la dou­ble hache crétoise.

 

Un piège pour

 l'astre solaire?

 

Quant au nom scandinave de Trojaborg,  il n'a rien à voir avec la ville de Troye en Asie Mineure, comme l'a prouvé un spé­cialiste allemand des symboles, qui vivait au siècle dernier, le Dr. Ernst Krause. Tro­jaborg  serait une dérivation d'un terme in­do-européen que l'on retrouve en sans­krit, draogha,  signifiant «poseur de piè­ges». Dans la mythologie indienne, en ef­fet, existe une figure de «poseur de piè­ges», qui pose effectivement des pièges pour attraper le soleil.

 

En langue vieille-persique, nous retrou­vons la même connotation dans la figure d'un dragon à trois têtes, du nom de dru­ja;  en langue suédoise dreja  signifie l'acte de «tourner» ou de manipuler un tour. Le sens caché du labyrinthe se dé­voile dans la légende de Thésée et d'Ariane, dans l'Ed­da et dans la Chanson des Nibelun­gen, où nous retrouvons, par­tout, une jeu­ne fille solaire gardée par un dragon ou un Minotaure, symboles des forces de l'obs­curité. Le mot «Troja» se re­trouve, outre dans le nom de la ville de l'épopée homérique, dans le nom de cen­taines de labyrinthes scandinaves et bri­tanniques, dans la danse labyrinthique française, le Troyerlais, dans la ville de Troyes en Cham­pagne, dans les trojarittes de la Ro­me antique, dans le nom de Hagen von Tronje, figure de la Chanson des Nibe­lun­gen. Des dizaines de noms de lieu en Eu­ro­pe portent la trace du vocable "troja".

 

Le Prof. Karl Kerényi, l'un des principaux spécialistes contemporains des mythes et des symboles, est l'un des très nombreux experts qui admettent aujourd'hui l'origi­ne nordique du symbole du laby­rinthe. Les pays du Nord, pauvres en so­leil, dé­ve­loppent une mythologie qui cherche à ren­dre cet astre captif, au con­traire des my­thologies du Sud de l'Europe. Les ar­chéo­logues spécialisés dans la préhistoire, sur base de leurs fouilles, datent les laby­rinthes nord-euro­péens de l'Age du Bron­ze (de 1800 à 800 avant notre ère); les la­byrinthes sur parois rocheuses de l'Europe centrale, de même que le labyrinthe en pier­res plates d'argile de Pylos dans le Pé­lo­ponèse, datent, eux, de 1200 à 1100 avant notre ère. Un laby­rinthe de vases étrusque date, lui, du VIIième ou du VIième siècle avant notre ère, tandis que les monnaies de Cnossos, sur lesquelles figurent des la­byrinthes, da­tent du Vième et du IIième siècle avant notre ère.

 

La ressemblance est frappante entre les la­byrinthes des monnaies crétoises du IIiè­me siècle avant notre ère et la configu­ra­tion du labyrinthe suédois de Visby en Got­land. Cette configuration, nous la re­trou­vons dans de nombreux sites de Suè­de, et aussi en Norvège, en Finlande et en Estonie. D'où, la question de l'origine sep­tentrionale de ces symboles labyrinthiques se pose tout naturellement.

 

Ces labyrinthes reflètent le tracé astrono­mi­que des planètes. Les mythes associés aux labyrinthes, d'après de nombreux cher­cheurs et érudits, reflètent la nostalgie du soleil chez les peuples des régions sep­tentrionales de l'Europe.

 

Dr. Frithjof HALLMAN.

(texte issu de Mensch und Maß,  23.2.1992; adresse: Verlag Hohe Warte, Ammerseestraße 2, D-8121 Pähl; parution bimensuelle, abonnement trimestriel, 35 DM).   

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