samedi, 31 octobre 2009
Hommage de Günter Rohrmoser à Ernst Jünger
Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1998
Hommage de Günter Rohrmoser, philosophe et sociologue conservateur
Mon rapport à Ernst Jünger a plutôt été celui de la distance. Je ne suis pas, me semble-t-il, la personne appropriée pour lui rendre hommage à l'occasion de son décès, ni pour prendre position à l'endroit de l'ensemble de son œuvre. Dieu merci, Ernst Jünger n'est pas resté toujours le même homme. L'Ernst Jünger de la première guerre mondiale, l'Ernst Jünger du temps de la République de Weimar, l'Ernst Jünger du temps du Troisième Reich et l'Ernst Jünger d'après la seconde guerre mondiale sont autant de facettes très différentes d'une œuvre qui embrasse l'ensemble du siècle. C'est incontestable: il appartient à l'aréopage des plus grands écrivains de ce siècle. Et si le socialiste Mitterrand ne s'était pas affirmé comme un très bon connaisseur et un admirateur de l'œuvre de Jünger, la querelle stérile entre la gauche et la droite à propos de sa personne aurait continué bon train. Pour moi, aujourd'hui comme hier, l'œuvre principale de Jünger reste Der Arbeiter. Ce livre a été interprété comme une contribution de l'auteur au national-socialisme, ce qui est complètement faux. Der Arbeiter est l'une des plus grandes descriptions physiognomiques de notre siècle; les paysages terrifiants du “cœur aventureux” en sont le complément. Certes, le Travailleur est un mythe: il n'a pas grand' chose à voir avec la réalité ouvrière du 20ième siècle. Mais, depuis, le monde s'est transformé et ressemble désormais à un paysage d'ateliers et de fabriques; tout est devenu travail et, comme auparavant, nous luttons pour faire advenir ce que Jünger nommait une “construction organique”, c'est-à-dire une nouvelle fusion entre l'homme et la technique. Avec ces paroles, il a touché notre siècle en plein cœur. Ensuite, ce n'est nullement un hasard si, avec cet ouvrage, il a plus profondément influencé Heidegger que celui-ci n'a bien voulu l'admettre. Personnellement, je ne trouve guère d'inspiration dans le Jünger d'après la seconde guerre mondiale. Je me souviens que Carl Schmitt annonçait, tout étonné, mais aussi à moitié amusé, qu'Ernst Jünger pensait que l'éon chrétien s'achevait. La spéculation qui calcule l'âge de la Terre et qui, dans une certaine mesure, dérive des travaux d'Oswald Spengler, ne sont pas du goût de tout le monde. Jünger a certes été un homme pie(ux), mais il était très éloigné du christianisme, plus éloigné sans doute que d'un païen de l'antiquité.
Günter ROHRMOSER.
(texte paru dans Junge Freiheit, n°9/98).
00:05 Publié dans Révolution conservatrice | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : révolution conservatrice, conservatisme, ernst jünger, allemagne, lettres, littérature, lettres allemandes, littérature allemande, hommages | | del.icio.us | | Digg | Facebook
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