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lundi, 11 janvier 2010

1941: les Soviétiques préparaient la guerre

Soviet-troops-02.jpgArchives de Synergies Européennes - 1991

 

1941: les Soviétiques préparaient la guerre!

 

par le Dr. Heinz MAGENHEIMER

Professeur à l'Université de Salzbourg,

Membre de l'Académie de la Défense de Vienne

 

Pendant des décennies, l'attaque alle­man­­de contre l'Union Soviétique, com­men­cée le 22 juin 1941, a été considérée comme l'exemple par excellence d'une guerre d'exter­mi­na­tion, préparée depuis longtemps et justifiée par des arguments raciaux. L'histo­rio­gra­phie soviétique qualifiait en outre cette guer­re de «guerre de pillage» et ajoutait que l'Al­le­­magne avait trahi ses promesses, avait rompu la parole donnée. Jusqu'en 1989, le Pac­te Hitler/Staline des 23 et 24 août 1939 a­vait été interprété de cette fa­çon dans l'apo­logétique soviétique. L'observateur des évé­ne­ments était littéra­lement noyé sous un flot d'ar­guments qui vi­saient à étayer au moins deux thèses: 1) La signature du traité a em­pêché Moscou d'être impliqué dans les pre­miers événements de la guer­re européenne, qui aura ultérieure­ment comme victime prin­cipale l'URSS; 2) Le pouvoir soviétique a vu d'avance le plan des «impérialistes» et l'a contre­car­ré; il vi­sait à détourner l'armée al­le­mande vers l'Est. L'Union Soviétique au­rait ainsi été la victime, à l'été 1941, de sa fi­dé­lité à la lettre du pacte et de sa volonté de paix. Cette loyauté, l'URSS l'a payée cher et a failli être complètement détruite sur le plan militaire.

 

Des experts soviétiques réfutent l'interprétation officielle

 

Depuis 1989, cette vision de l'histoire con­tem­poraine a été largement réfutée. Des ex­perts soviétiques, dont V. Dachitchev, esti­ment désormais que le Pacte des 23 et 24 août 1939 a constitué une lourde erreur de la poli­tique étrangère soviétique (cf. Hans-Henning Schröder, Der Zweite Weltkrieg, Piper, Mün­chen, 1989). Bien sûr, on parle encore et tou­jours de la guerre germano-russe comme d'une «guerre d'anéantissement justifiée par une idéologie racialiste», notamment dans les écrits, y compris les derniers, de l'historien Andreas Hillgruber (cf. Zwei­fa­cher Untergang, 1986). Mais les préoccu­pa­tions qui dominent, actuellement, chez les spécialistes de l'histoire contempo­raine, sont celles qui concernent les mul­tiples fa­cet­tes du processus de décision: outre la volonté d'expansion de Hitler, on examine désor­mais la logique, certes subjec­tive, qui a fait que l'Allemagne a choisi la solution mili­taire pour règler le problème que constituait l'URSS dans le contexte stra­tégique du prin­temps 1941. On étudie ensuite ce qui opposait de façon irréconciliable les idéologies au pou­­voir en URSS et dans le Troisième Reich, tout en essayant de com­prendre quelles étaient les arrière-pensées de Staline en ce qui concerne l'Europe. Résultat de ces in­ves­ti­gations: on se de­mande si l'attaque alle­man­de n'a pas été fi­nalement une attaque pré­ventive, vu ce qui s'annonçait à moyen ou long terme. Ernst Topitsch est de cet avis de­puis longtemps et a étayé solidement sa thè­se dans Stalins Krieg (2ième éd., 1986). Quant à Viktor Souvorov, dans Le brise-glace  (Olivier Orban, Paris, 1990), il a illustré cette thèse à grand renfort de preuves.

 

Staline avait le temps pour lui

 

Cela n'aurait guère de sens de revenir sur la vieille querelle quant à savoir si l'attaque de la Wehrmacht a été dictée essentiellement par des considérations d'ordre stratégique et politique ou par des motivations d'ordre idéo­logique. Il me semble plus utile, d'un point de vue historique, de chercher à cerner la rai­son première et fondamentale qui a fait que l'état-major allemand s'est décidé à pas­ser à l'attaque. Cet état-major s'est dit, me semble-t-il, qu'attendre passivement rendait jour après jour le Reich plus dépendant de la politique de Staline; une telle dépendance aurait finalement créé des conditions défa­vorables pour l'Alle­magne dans sa guerre à l'Ouest et en Afrique. Hitler était bien cons­cient du risque énorme qu'il y avait à ouvrir un second front, à parier pour l'offensive: il l'a clairement fait savoir à ses généraux, dont la plupart étaient trop optimistes.

 

Les papiers de Joukov

 

Les historiens qui affirment que les motiva­tions idéologiques à connotations racistes ont été les plus déterminantes, sous-estiment trop souvent les préoccupations stratégiques; en effet, dès le début de l'automne 1940, la si­tuation, pour l'Allemagne, était alar­mante; l'état-major devait le reconnaître, si bien que son chef, le Général Halder crai­gnait, dès a­vril 1941, une attaque préventive des Sovié­ti­ques. Aujourd'hui, après qu'on ait publié les papiers du Maréchal Georgy Joukov et qu'on y ait découvert des docu­ments d'une im­por­tance capitale, non seu­lement on sait que l'Ar­mée Rouge s'était mise en branle, que ses manœuvres avaient un caractère offen­sif, surtout dans les quatre districts mili­tai­res de l'Ouest mais on sait également, d'a­près des sources attestées, que les autorités militaires soviétiques pré­voyaient dès la mi-mai 1941 une attaque pré­ventive limitée, au moins contre la Pologne centrale et la Haute-Silésie.

 

Staline a certes refusé ce plan, mais son exis­tence explique néanmoins pourquoi les Soviétiques ont massé six corps mé­ca­nisés sur des positions en saillie du front (le pre­mier échelon opérationnel sovié­ti­que comp­tait en tout et pour tout treize corps mécani­sés), ont aligné cinq corps aé­roportés, ont réaménagé les installa­tions d'un grand nom­bre de terrains d'a­viation pour bombar­diers et pour chas­seurs à proximité de la fron­tière et ont renoncé à renforcer la Ligne Staline, a­lors qu'elle aurait été excellente pour u­ne bonne défense stratégique du ter­ri­toire soviétique. Les papiers de Joukov nous permettent de comprendre pour­quoi les gran­des unités stationnées dans les régions frontalières n'ont pas reçu l'ordre de cons­trui­re un système défensif en profondeur mais, au contraire, ont été utilisées pour a­mé­liorer les réseaux routiers menant à la fron­tière. Ces indices, ainsi que bien d'au­tres, ont été mis en exergue récemment par des historiens ou des publicistes sovié­tiques, dont Vladimir Karpov. Sur base de ces plans d'opération, le chef de l'état-major général soviétique, Joukov, en accord avec le Minis­tre de la Défense, Timo­chen­ko, voulait attein­dre en trente jours la ligne Ostrolenka, Rive de la Narev, Lowicz, Lodz, Oppeln, Olmütz. Ensuite, Joukov prévoyait de re­tourner ses for­ces vers le Nord et d'attaquer et de défaire le centre des forces allemandes, ainsi que le groupe Nord des armées du Reich, massé en Prusse Orientale.

 

Je souligne ici que ce plan d'opérations ne signifie pas que les Soviétiques avaient défi­nitivement décidé de passer à l'offensive. L'exis­tence de ce plan ne constitue donc pas une preuve irréfutable des intentions offen­sives de Staline à l'été 1941. Mais ce plan nous permet d'expliquer bon nombre de pe­tits événements annexes: on sait, par exem­ple, que Staline a refusé de prendre en consi­dération les informations sérieuses qu'on lui communiquait quant à l'imminence d'une at­taque de la Wehrmacht au printemps 1941. Or il y a eu au moins 84 avertissements en ce sens (cf. Gordievski/Andrew, KGB, 1990). Com­me le prouvent les événe­ments de la nuit du 22 juin, Staline voulait éviter toute provocation; peu de temps avant que le feu des canons al­le­mands ne se mette à tonner au-dessus de la frontière soviétique, il a don­né ins­truction à l'ambassadeur d'URSS à Ber­lin, de s'enquérir des conditions qu'il fal­lait respec­ter pour que les Allemands se tien­nent tran­quilles (cf. Erich E. Som­mer, Das Memorandum, 1981).

 

Staline estime que

l'Armée Rouge n'est pas prête

 

Ce qui nous autorise à conclure que Staline cher­chait à gagner du temps, du moins jus­qu'au moment où le deuxième échelon stra­té­gique, composé de six armées (77 divi­sions), puisse quitter l'intérieur des terres rus­ses. Ce qui étaye également la thèse qui veut que Staline estimait que ses préparatifs offensifs, destinés à réaliser ses projets, n'é­taient pas encore suffisants. Quoi qu'il en soit, au début de la campagne, les Sovié­ti­ques alignaient à l'Ouest, réserves compri­ses, 177 divisions, renforcées par au moins 14.000 chars de combat, environ 34.000 ca­nons et obusiers et à peu près 5.450 avions d'attaque (61 divisions aériennes). Face à ces forces impressionnantes, la Wehrmacht n'a­li­gnait que 148 divisions, trois brigades, 3.580 chars de combat, 7.150 canons et envi­ron 2.700 avions d'attaque.

 

Cette faiblesse des forces allemandes et l'im­provisation dans l'équipement et l'orga­nisa­tion, permettent de soutenir la thèse que la décision d'ouvrir un front à l'Est ne décou­lait pas d'un «pro­gram­me» con­cocté depuis longtemps (cf. Hart­mut Schustereit, Vaban­que, 1988). Beau­coup d'indices semblent prou­ver que Sta­line esti­mait que le conflit ou­vert avec l'Allemagne était inéluctable. En effet, les avantages in­contestables que le Pac­te germano-soviétique offrait à Berlin (cf. Rolf Ahmann, Hitler-Stalin-Pakt 1939, 1989) n'avaient de valeur qu'aussi long­temps qu'ils facilitaient les opérations allemandes à l'Ouest.

 

C'est alors qu'un facteur a commencé à pren­dre du poids: en l'occurrence le fait que les deux camps percevaient une menace qui ne pouvait être éliminée que par des moyens militaires. Les ordres qui lancent déploie­ments ou opérations ne reflètent  —c'est con­nu—  que des jugements d'ordre poli­tique. C'est pourquoi l'observateur se trouve face à une situation historique où les deux prota­go­nistes ne réfléchissent plus qu'au moment opportun qui se présentera à eux pour dé­clen­cher l'attaque. Mais comme dans l'his­toi­re, il n'existe pas d'«inéluctabilité en soi», la clef pour com­prendre le déclenchement de l'«O­pé­ration Barbarossa» se trouve dans une bonne con­naissance de la façon dont les adversaires ont perçu et évalué la situation. De cette fa­çon seulement, l'historien peut «vi­vre ré­trospectivement et comprendre» (com­me le disait Max Weber), le processus de décision. On peut ainsi acquérir un ins­tru­ment pour évaluer et juger les options po­litiques et stra­tégiques qui se sont présentées à Berlin et à Moscou au cours des années 1940 et 1941. L'Allemagne tentait, en pres­tant un effort immense qu'elle voulait uni­que et définitif, de créer un imperium conti­nen­tal inatta­quable; l'URSS tentait de défen­dre à tout prix le rôle d'arbitre qu'elle jouait secrètement, officieusement, en Europe.

 

Dr. Heinz MAGENHEIMER.

(texte issu de Junge Freiheit, juin 1991; adresse: JF, Postfach 147, D-7801 Stegen/Freiburg). 

 

   

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