mercredi, 20 janvier 2010
Vus d'Alsace: les rapports franco-allemands
Archives de SYNERGIES EUROPENNES
Vus d’Alsace:
les rapports franco-allemands
L’écrivain alsacien Martin Graff a publié depuis quatre ans trois livres chez l’éditeur Knesebeck, producteurs de très beaux livres d’art ou de photographie, notamment les portraits d’écrivains réalisés par la photographe Isolde Ohlbaum, dont le talent est véritablement époustouflant. La position de Graff est intéressante à plus d’un titre quand il juge les Français (de l’intérieur) et les Allemands: né dans un pays qui a été plusieurs fois bousculé d’un côté à l’autre, il connaît les insuffisances et les atouts des uns et des autres. Son bilinguisme parfait lui donne une lucidité extraordinaire, que les unilingues sont incapables d’imiter ou de capter. Graff se moque de ces lourdeaux gaulois ou germaniques qui affirment être les meilleurs amis du monde, sans être même capables de se comprendre réellement. Graff est tout naturellement européiste, car il l’est dans sa chair, par son travail quotidien dans les instituts radiophoniques (ARD, ZDF, ARTE). Quant à l’Europe technocratique de Maastricht, elle est affirmée par des politiciens qui ne connaissent pas spontanément la pluralité européenne. Graff a raison: la construction européenne doit être laissée aux gens sérieux, aux ressortissants de la ligne de fracture, aux bilingues nés (Martin Graff, Nackte Wahrheiten. Deutsche und Franzosen, ISBN 3-926901-72-1, DM 34, Knesebeck Verlag, Holzstrasse 26, D-80.469 München).
Dans un deuxième ouvrage, Graff étudie le passage sans heurt de l’Alsace de la germanité à la romanité française après 1945. Cet événement extraordinaire, unique en Europe, repose sur des sentiments que Graff discerne très clairement: les Allemands aiment l’Alsace, ils trouvent extraordinaire qu’elle ait gardé son identité germanique tout en adoptant la langue française. Mais les Alsaciens n’aiment pas être considérés comme les reliques d’une germanité idyllique et révolue: ils veulent que les Allemands les prennent au sérieux, cessent de voir en leur pays une “fata morgana gastronomico-touristique”. De même, l’Alsacien est agacé de devoir, en France comme en Allemagne, répondre à une image stéréotypée, élaborée dans des officines propagandistes depuis 1871. L’Alsacien n’est pas un patriote français portant des costumes folkloriques originaux et sympathiques (comme les chapeaux ronds des Bretons) ni un Allemand martyr, auquel on a confisqué de force sa germanité: il est un pont entre la France et l’Allemagne, le trait d’union indispensable dans une Europe en formation, donc un être d’avenir et non pas une relique (Martin Graff, Von Liebe keine Spur. Das Elsaß und die Deutsche, ISBN 3-926901-87-X, DM 39,80, Knesebeck, München, adresse supra).
Cette année, Martin Graff a changé de sujet, tout en assumant pleinement sa fonction d’Alsacien-pontifex, d’Alsacien qui jette des ponts au-dessus des mosaïques européennes. Le thème de son dernier livre est capital: il traite du Danube, du plus long fleuve d’Europe, qui est redevenu de fait son épine dorsale. Les riverains du Danube, écrit Graff, peuvent enfin se remettre à rêver, après la chute du Rideau de Fer. Ce livre sur le Danube est le résultat d’un reportage effectué par Graff pour le compte de la télévision allemande ZDF: il s’agissait de remonter le Danube, depuis son delta sur les rives de la Mer Noire jusqu’à sa source dans la Forêt Noire, à un jet de pierre de l’Alsace natale de Graff. Tous les peuples riverains du Danube sont confrontés d’une façon ou d’une autre à la mutliplicité, à la diversité fécondante des peuples et des cultures autochtones, que les machines étatiques rigides ou le libéralisme universaliste et consumériste veulent mettre au pas, diluer et effacer définitivement. Graff chante les mérites d’une multiculturalité enracinée et non d’une multiculturalité d’importation, en vrac, dans le désordre, incapable de s’organiser sinon dans de glauques réseaux mafieux. Claudio Magris avait chanté la fécondité littéraire des bords du Danube; Graff se penche davantage sur les hommes concrets, libérés du carcan marxiste, désillusionés par les belles promesses du libéralisme occidental qui leur a fait miroiter des villas californiennes et de luxueuses BMW et ne leur a donné que l’endettement et le chômage. La diversité danubienne, celle de son delta où Arméniens, Grecs, Turcs, Tatars, Italiens, Macédoniens, Gagaouzes, Circassiens, Kazakhs, Russes, Roumains, Moldaves, Valaques, Caucasiens, Tziganes, Bulgares, etc. vivent côte à côte dans la paix, est un tour de force, sans doute une imbrication pluriethnique unique au monde, mais elle est possible parce que personne là-bas n’ignore fondamentalement l’autre, connaît sa langue et sa culture, parce que le paysage extraordinaire du delta, porte de l’Europe pour les Caucasiens et les Anatoliens, leur a octroyé un destin commun. Graff nous lègue là une géoethnologie du Danube (M. Graff, Donauträume. Stromaufwärts nach Europa, ISBN 3-89660-044-3, DM 39,80, Knesebeck Verlag, München, adresse supra) (Robert Steuckers).
00:05 Publié dans Terroirs et racines | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : terres d'europe, alsace, france, allemagne, europe, affaires européennes, régions, régionalisme | | del.icio.us | | Digg | Facebook
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