Jonathan Littell, lecteur de Céline
Ex: http://lepetitcelinien.blogspot.com/
Si le personnage principal des Bienveillantes de Jonathan Littell (1) ne faisait pas la rencontre de Céline, il serait sans doute superflu de revenir sur ce roman. Mais il se trouve qu’au début des années trente, Maximilien Aue, futur officier nazi, accompagne Céline à un concert d’une pianiste légendaire : Marcelle Meyer (1897-1958). Quelques années plus tard, Lucien Rebatet l’emmène à plusieurs reprises chez l’écrivain. Et leur ami commun, Henri Poulain, secrétaire de rédaction de Je suis partout, lui récite dans le métro des passages entiers de L’École des cadavres. Pas moins.
Paul-Éric Blanrue a consacré à ce phénomène de l’édition qu’est Littell (800.000 exemplaires vendus à ce jour) une intéressante étude (2). Selon lui, si Céline est très peu cité dans le roman, sa présence y est constante, telle une ombre tutélaire. Rien d’étonnant à cela : Littell est – on l’a appris depuis – un « grand fan de Céline » (3).
Extrait du livre de Blanrue :
« La musique comme accompagnatrice d’une tragédie ? Précisément. Telle est une des constantes de l’œuvre de Louis-Ferdinand Céline, l’un des fantômes récurrents des Bienveillantes. Le narrateur le rencontre à deux reprises, cite quelques lignes de l’un de ses pamphlets antisémites d’avant-guerre sans le nommer (il s’agit de L’École des cadavres) et se rend au concert en sa compagnie, mais le personnage n’apparaît véritablement que dans le délire de Aue, après sa blessure à la tête (dont Céline a également souffert), sous le nom halluciné du “Dr Sardine”, Littell déclare d’ailleurs : “Céline, pour critiquer le théâtre de Sartre, lui avait lancé que l’horreur n’est rien sans le songe et sans la musique ! » (L’Est Républicain).
L’auteur de Rigodon a souvent montré le caractère hypnotique de la musique, en particulier au tout début du Voyage au bout de la nuit, lorsque Bardamu, tranquille “anar” sirotant place Clichy, se décide soudain, envoûté, charmé comme un serpent, à suivre une fanfare militaire, qui le conduit tout droit à la caserne et à la guerre de 14. “Dans le récit célinien la musique intervient en des points qui mettent en scène une désarticulation du réel, qu’il s’agisse de la “folie” qui poursuit le trépané ou des histoires de folie que sont les guerres qui parcourent le vingtième siècle et dont Céline s’est voulu le “chroniqueur” […] Ainsi qu’on a pu le lire dans Mort à crédit, la singulière écoute célinienne de la musique est liée à son expérience malheureuse de la guerre, elle est en lui l’empreinte que la guerre a laissée, son sceau, blessure et détraquement du corps”, écrit François Bruzzo (Francofonia, n° 22, printemps 1992). Il en va de même dans Les Bienveillantes, où la musique indique un tracé, un chemin de fer dont il semble difficile de se détourner. »
On voit que Paul-Éric Blanrue est attentif aux aspects proprement littéraires du livre, même s’il entend avant tout avoir une démarche d’historien. Depuis une vingtaine d’années, il a entrepris un véritable travail de démystification, fondant le « Cercle zététique » qui se propose d’enquêter sur tous les sujets relevant de l’extraordinaire, tant en science qu’en histoire.
Pour conclure, relevons l’ironie du sort qui a voulu que le Prix Goncourt ait été attribué à Littell alors qu’il échappa, comme on sait, à Céline. Mieux : Littell a également décroché le Grand Prix de l’Académie française. Un hebdomadaire satirique en a fait des gorges chaudes, le français du jeune Américain laissant fortement à désirer (4). Il ne faut, en effet, pas être grand clerc pour constater que le roman est truffé de fautes de style, de barbarismes, de solécismes et surtout d’anglicismes. Mauvaise traduction ou mauvaise relecture de Gallimard ?
Marc LAUDELOUT
1. Jonathan Littel, Les Bienveillantes, Gallimard, 2006, 908 p. Nous n’avons pas consulté la réédition en poche qui est, paraît-il, débarrassée de ces scories.
2. Paul-Éric Blanrue, Les Malveillantes. Enquête sur le cas Jonathan Littel, Éditions Scali, 2006, 128 p. Voir aussi le site Internet de l’auteur : www.blanrue.com.
3. Christophe Ono-dit-Biot, « Beyrouth, Littell, l’art de la guerre », Le Point, 21 décembre 2006.
4. « Bienveillante Académie », Le Canard enchaîné, 8 novembre 2006. Voir aussi les contre-arguments de Florence Mercier-Leca, maître de conférences à l’Université de Paris IV-Sorbonne : « “Les Bienveillantes” : la confusion des genres », La Quinzaine littéraire, 1er-15 décembre 2006.
Paul-Éric Blanrue a consacré à ce phénomène de l’édition qu’est Littell (800.000 exemplaires vendus à ce jour) une intéressante étude (2). Selon lui, si Céline est très peu cité dans le roman, sa présence y est constante, telle une ombre tutélaire. Rien d’étonnant à cela : Littell est – on l’a appris depuis – un « grand fan de Céline » (3).
Extrait du livre de Blanrue :
« La musique comme accompagnatrice d’une tragédie ? Précisément. Telle est une des constantes de l’œuvre de Louis-Ferdinand Céline, l’un des fantômes récurrents des Bienveillantes. Le narrateur le rencontre à deux reprises, cite quelques lignes de l’un de ses pamphlets antisémites d’avant-guerre sans le nommer (il s’agit de L’École des cadavres) et se rend au concert en sa compagnie, mais le personnage n’apparaît véritablement que dans le délire de Aue, après sa blessure à la tête (dont Céline a également souffert), sous le nom halluciné du “Dr Sardine”, Littell déclare d’ailleurs : “Céline, pour critiquer le théâtre de Sartre, lui avait lancé que l’horreur n’est rien sans le songe et sans la musique ! » (L’Est Républicain).
L’auteur de Rigodon a souvent montré le caractère hypnotique de la musique, en particulier au tout début du Voyage au bout de la nuit, lorsque Bardamu, tranquille “anar” sirotant place Clichy, se décide soudain, envoûté, charmé comme un serpent, à suivre une fanfare militaire, qui le conduit tout droit à la caserne et à la guerre de 14. “Dans le récit célinien la musique intervient en des points qui mettent en scène une désarticulation du réel, qu’il s’agisse de la “folie” qui poursuit le trépané ou des histoires de folie que sont les guerres qui parcourent le vingtième siècle et dont Céline s’est voulu le “chroniqueur” […] Ainsi qu’on a pu le lire dans Mort à crédit, la singulière écoute célinienne de la musique est liée à son expérience malheureuse de la guerre, elle est en lui l’empreinte que la guerre a laissée, son sceau, blessure et détraquement du corps”, écrit François Bruzzo (Francofonia, n° 22, printemps 1992). Il en va de même dans Les Bienveillantes, où la musique indique un tracé, un chemin de fer dont il semble difficile de se détourner. »
On voit que Paul-Éric Blanrue est attentif aux aspects proprement littéraires du livre, même s’il entend avant tout avoir une démarche d’historien. Depuis une vingtaine d’années, il a entrepris un véritable travail de démystification, fondant le « Cercle zététique » qui se propose d’enquêter sur tous les sujets relevant de l’extraordinaire, tant en science qu’en histoire.
Pour conclure, relevons l’ironie du sort qui a voulu que le Prix Goncourt ait été attribué à Littell alors qu’il échappa, comme on sait, à Céline. Mieux : Littell a également décroché le Grand Prix de l’Académie française. Un hebdomadaire satirique en a fait des gorges chaudes, le français du jeune Américain laissant fortement à désirer (4). Il ne faut, en effet, pas être grand clerc pour constater que le roman est truffé de fautes de style, de barbarismes, de solécismes et surtout d’anglicismes. Mauvaise traduction ou mauvaise relecture de Gallimard ?
Marc LAUDELOUT
1. Jonathan Littel, Les Bienveillantes, Gallimard, 2006, 908 p. Nous n’avons pas consulté la réédition en poche qui est, paraît-il, débarrassée de ces scories.
2. Paul-Éric Blanrue, Les Malveillantes. Enquête sur le cas Jonathan Littel, Éditions Scali, 2006, 128 p. Voir aussi le site Internet de l’auteur : www.blanrue.com.
3. Christophe Ono-dit-Biot, « Beyrouth, Littell, l’art de la guerre », Le Point, 21 décembre 2006.
4. « Bienveillante Académie », Le Canard enchaîné, 8 novembre 2006. Voir aussi les contre-arguments de Florence Mercier-Leca, maître de conférences à l’Université de Paris IV-Sorbonne : « “Les Bienveillantes” : la confusion des genres », La Quinzaine littéraire, 1er-15 décembre 2006.
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