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jeudi, 06 avril 2023

Parution du numéro 460 du Bulletin célinien

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Parution du numéro 460 du Bulletin célinien

2023-03-BC-Cover.jpgSommaire :

Céline et “Le Livre de Poche”

Du nouveau sur Abel Bonnard ?

Normance vu par Kléber Haedens (1954)

Paul Valéry dans Londres

Louis Bertrand, précurseur de Bagatelles ?

Rencontre à Bikobimbo.

Année faste

Nul doute que, pour les céliniens, cette année 2023 sera aussi faste que la précédente. Ces jours-ci paraît La Nouvelle Revue française (n° 655) avec un copieux dossier consacré à Céline. Au sommaire : la nouvelle « La vieille dégoûtante » (l’un des inédits retrouvés) complétée par plusieurs études sur les textes déjà publiés. Ils sont signés Philippe Bordas, Alban Cerisier, Yves Pagès et Javier Santiso. Fin avril paraîtra La Volonté du Roi Krogold, la légende gaélique à laquelle l’écrivain attachait tant de prix. Elle est proposée en deux versions : celle intitulée “La Légende du roi René” datant de la première moitié des années trente, et le texte portant le titre définitif écrit ultérieurement. En mai sortira un nouvel Album Céline (la première édition remonte à 1977),  avec une nouvelle iconographie et un texte dû, cette fois, à Frédéric Vitoux. Suivront, prenant en compte les inédits retrouvés, les quatre éditions, revues et augmentées, des romans dans la “Bibliothèque de la Pléiade”.

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Lors d’une conférence qui eut lieu le mois passé à Enghien-les-Bains, François Gibault a révélé qu’une adaptation cinématographique de Voyage au bout de la nuit pourrait apparaître sur le grand écran dans deux ou trois ans. Si le contrat n’est pas encore signé, le projet est en bonne voie, d’autant que l’ayant droit a été approché par une importante société cinématographique ayant les moyens financiers de le concrétiser. Par ailleurs, le biographe de Céline a indiqué que Gallimard n’a nullement renoncé à une réédition des pamphlets, et ce avant 2032 qui verra l’œuvre tomber dans le domaine public. François Gibault précise qu’Antoine Gallimard a sollicité « des personnalités du monde juif » pour participer à cette réédition.

On se souvient qu’il y a quatre ans, lors du dîner annuel du CRIF, le président de la République avait déclaré qu’il n’était pas nécessaire, selon lui, de republier ces textes. Il avait, en revanche, regretté que Charles Maurras eût été retiré du livret des “Commémorations nationales”, estimant qu’il ne faut pas occulter la figure du fondateur de l’Action Française : « Nous devons la regarder comme faisant partie de l’histoire de France, l’occulter c’est vouloir reconstruire une autre forme de refoulé post-mémoriel et post-historique et cela dit quelque chose de nos propres faiblesses. » Ce qui vaut pour l’antisémite Maurras ne vaut donc pas pour l’antisémite Céline. On peut légitimement se demander si c’est le rôle de la plus haute autorité de l’État de dire quels textes doivent être réédités et ceux qui ne le doivent pas. Décidant récemment de la dissolution d’un groupuscule nationaliste (qui rendait notamment hommage à Robert Brasillach et aux morts du 6 février 1934), le gouvernement a, entre autres raisons, justifié cet acte en relevant « que le mois de février est traditionnellement marqué par les hommages rendus aux morts des émeutes du 6 février 1934 et à Robert Brasillach, condamné pour intelligence avec l’ennemi, fusillé le 6 février 1945 et qualifié de “poète” par ces nationalistes ». Ce décret, signé par le Ministre de l’Intérieur, est cosigné par la Première Ministre et le Président de la République. Serait-il défendu de rendre hommage à ces morts et de qualifier ainsi  l’auteur des Poèmes de Fresnes,  quelque opinion que l’on ait sur la valeur de ceux-ci  ?

  1. (1) En janvier 2018, Antoine Gallimard avait déclaré ceci : « Au nom de ma liberté d’éditeur et de ma sensibilité à mon époque, je suspends ce projet, jugeant que les conditions méthodologiques et mémorielles ne sont pas réunies pour l’envisager sereinement.» (Communiqué à l’A.F.P., 11 janvier 2018).
  2. (2) “Décret du 1er février 2023 portant dissolution d’un groupement de fait”, Journal Officiel, n° 0028, 2 février 2023.

mardi, 04 octobre 2022

Edward Bernays et Louis-Ferdinand Céline face au conditionnement moderne

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Edward Bernays et Louis-Ferdinand Céline face au conditionnement moderne

par Nicolas Bonnal

Avant d’étudier Bernays, on rappellera Céline. Apparemment, tout les oppose, mais sur l’essentiel ils sont d’accord : le monde moderne nous conditionne !

« Nous disions qu'au départ, tout article à "standardiser": vedette, écrivain, musicien, politicien, soutien-gorge, cosmétique, purgatif, doit être essentiellement, avant tout, typiquement médiocre. Condition absolue. Pour s'imposer au goût, à l'admiration des foules les plus abruties, des spectateurs, des électeurs les plus mélasseux, des plus stupides avaleurs de sornettes, des plus cons jobardeurs frénétiques du Progrès, l'article à lancer doit être encore plus con, plus méprisable qu'eux tous à la fois. »

Bernays… C’est un des personnages les plus importants de l’histoire moderne, et on ne lui a pas suffisamment rendu hommage ! Il est le premier à avoir théorisé l’ingénierie du consensus et la définition du despotisme éclairé. Reprenons Normand Baillargeon :

Edouard Bernays est un expert en contrôle mental et en conditionnement de masse. C’est un neveu viennois de Freud, et comme son oncle un lecteur de Gustave Le Bon. Il émigre aux États-Unis, sans se préoccuper de ce qui va se passer à Vienne... Journaliste (dont le seul vrai rôle est de créer une opinion, de l’in-former au sens littéral), il travaille avec le président Wilson au Committee on Public Information, au cours de la première Guerre Mondiale. Dans les années Vingt, il applique à la marchandise et à la politique les leçons de la guerre et du conditionnement de masse ; c’est l’époque du spectaculaire diffus, comme dit Debord. A la fin de cette fascinante et marrante décennie, qui voit se conforter la société de consommation, le KKK en Amérique, le fascisme et le bolchévisme en Europe, le surréalisme et le radicalisme en France, qui voit progresser la radio, la presse illustrée et le cinéma, Bernays publie un très bon livre intitulé Propagande (la première congrégation de propagande vient de l’Eglise catholique, créée par Grégoire XV en 1622) où le plus normalement et le plus cyniquement du monde il dévoile ce qu’est la démocratie américaine moderne : un simple système de contrôle des foules à l’aide de moyens perfectionnés et primaires à la fois ; et une oligarchie, une cryptocratie plutôt où le sort de beaucoup d’hommes, pour prendre une formule célèbre, dépend d’un tout petit nombre de technocrates et de faiseurs d’opinion. C’est Bernays qui a imposé la cigarette en public pour les femmes ou le bacon and eggsau petit déjeuner par exemple : dix ans plus tard les hygiénistes nazis, aussi forts que lui en propagande (et pour cause, ils le lisaient) interdisent aux femmes de fumer pour raisons de santé. Au cours de la seconde guerre mondiale il travaille avec une autre cheville ouvrière d’importance, Walter Lippmann. 

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Avec un certain culot Bernays dévoile les arcanes de notre société de consommation. Elle est conduite par une poignée de dominants, de gouvernants invisibles. Rétrospectivement on trouve cette confession un rien provocante et –surtout – imprudente. A moins qu’il ne s’agît à l’époque pour ce fournisseur de services d’épater son innocente clientèle américaine ?

“Oui, des dirigeants invisibles contrôlent les destinées de millions d'êtres humains. Généralement, on ne réalise pas à quel point les déclarations et les actions de ceux qui occupent le devant de la scène leur sont dictées par d'habiles personnages agissant en coulisse.”

Bernays reprend l’image fameuse de Disraeli dans Coningsby: l’homme-manipulateur derrière la scène. C’est l’image du parrain, en fait un politicien, l’homme tireur de ficelles dont l’expert russe Ostrogorski a donné les détails et les recettes dans son classique sur les partis politiques publié en 1898, et qui est pour nous supérieur aux Pareto-Roberto Michels. Nous sommes dans une société technique, dominés par la machine (Cochin a récupéré aussi l’expression d’Ostrogorski) et les tireurs de ficelles, ou wire-pullers (souvenez-vous de l’affiche du Parrain, avec son montreur de marionnettes) ; ces hommes sont plus malins que nous, Bernays en conclut qu’il faut accepter leur pouvoir. La société sera ainsi plus smooth. On traduit ?

Comme je l’ai dit, Bernays écrit simplement et cyniquement. On continue donc:

“Les techniques servant à enrégimenter l'opinion ont été inventées puis développées au fur et à mesure que la civilisation gagnait en complexité et que la nécessité du gouvernement invisible devenait de plus en plus évidente.”

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La complexité suppose des élites techniques, les managers dont parle Burnham dans un autre classique célèbre (l’ère des managers, préfacé en France par Léon Blum en 1946). Il faut enrégimenter l’opinion, comme au cours de la première guerre mondiale, qui n’aura servi qu’à cela : devenir communiste, anticommuniste, nihiliste, consommateur ; comme on sait le nazisme sera autre chose, d’hypermoderne, subtil et fascinant, avec sa conquête spatiale et son techno-charisme – modèle du rock moderne (lisez ma damnation des stars). 

L’ère des masses est aussi très bien décrite – mais pas comprise – par Ortega Y Gasset (il résume tout dans sa phrase célèbre ; « les terrasses des cafés sont pleines de consommateurs »…). Et cette expression, ère des masses, traduit tristement une standardisation des hommes qui acceptent humblement de se soumettre et de devenir inertes (Tocqueville, Ostrogorski, Cochin aussi décrivaient ce phénomène).

“Nous acceptons que nos dirigeants et les organes de presse dont ils se servent pour toucher le grand public nous désignent les questions dites d'intérêt général ; nous acceptons qu'un guide moral, un pasteur, par exemple, ou un essayiste ou simplement une opinion répandue nous prescrivent un code de conduite social standardisé auquel, la plupart du temps, nous nous conformons.” 

Pour Bernays bien sûr on est inerte quand on résiste au système oppressant et progressiste (le social-corporatisme dénoncé dans les années 80 par Minc & co).

La standardisation décrite à cette époque par Sinclair Lewis dans son fameux Babbitt touche tous les détails de la vie quotidienne : Babbitt semble un robot humain plus qu’un chrétien (il fait son Church-shopping à l’américaine d’ailleurs), elle est remarquablement rendue dans le cinéma comique de l’époque, ou tout est mécanique, y compris les gags. Bergson a bien parlé de ce mécanisme plaqué sur du vivant. Il est favorisé par le progrès de la technique :

« Il y a cinquante ans, l'instrument par excellence de la propagande était le rassemblement public. À l'heure actuelle, il n'attire guère qu'une poignée de gens, à moins que le programme ne comporte des attractions extraordinaires. L'automobile incite nos compatriotes à sortir de chez eux, la radio les y retient, les deux ou trois éditions successives des quotidiens leur livrent les nouvelles au bureau, dans le métro, et surtout ils sont las des rassemblements bruyants. »

La capture de l’esprit humain est l’objectif du manipulateur d’opinion, du spécialiste en contrôle mental, cet héritier du magicien d’Oz.

“La société consent à ce que son choix se réduise aux idées et aux objets portés à son attention par la propagande de toute sorte. Un effort immense s'exerce donc en permanence pour capter les esprits en faveur d'une politique, d'un produit ou d'une idée.”

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Concernant la première guerre mondiale, Bernays “révise” simplement l’Histoire en confiant que la croisade des démocraties contre l’Allemagne s’est fondée sur d’habituels clichés et mensonges ! Il a d’autant moins de complexes que c’est lui qui a mis cette propagande au point…

“Parallèlement, les manipulateurs de l'esprit patriotique utilisaient les clichés mentaux et les ressorts classiques de l'émotion pour provoquer des réactions collectives contre les atrocités alléguées, dresser les masses contre la terreur et la tyrannie de l'ennemi. Il était donc tout naturel qu'une fois la guerre terminée, les gens intelligents s'interrogent sur la possibilité d'appliquer une technique similaire aux problèmes du temps de paix.”

On n'a jamais vu un cynisme pareil. Machiavel est un enfant de chœur. La standardisation s’applique bien sûr à la politique. Il ne faut pas là non plus trop compliquer les choses, écrit Bernays. On a trois poudres à lessive pour laver le linge, qui toutes appartiennent à Procter & Gamble (les producteurs de soap séries à la TV) ou à Unilever ; et bien on aura deux ou trois partis politiques, et deux ou trois programmes simplifiés !

Bernays reprend également l’expression demachinede Moïse Ostrogorski (voir notre étude sur ce chercheur russe, qui disséqua et désossa l'enfer politique américain), qui décrit l’impeccable appareil politique d’un gros boss. La machine existe déjà chez le baroque Gracian. Ce qui est intéressant c’est de constater que la mécanique politique – celle qui a intéressé Cochin - vient d’avant la révolution industrielle. Le mot industrie désigne alors l’art du chat botté de Perrault, celui de tromper, d’enchanter – et de tuer ; l’élite des chats bottés de la politique, de la finance et de l’opinion est une élite d’experts se connaissant, souvent cooptés et pratiquant le prosélytisme. Suivons le guide :

“Il n'en est pas moins évident que les minorités intelligentes doivent, en permanence et systématiquement, nous soumettre à leur propagande. Le prosélytisme actif de ces minorités qui conjuguent l'intérêt égoïste avec l'intérêt public est le ressort du progrès et du développement des États-Unis. Seule l'énergie déployée par quelques brillants cerveaux peut amener la population tout entière à prendre connaissance des idées nouvelles et à les appliquer.”

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Comme je l’ai dit, cette élite n’a pas besoin de prendre de gants, pas plus qu’Edouard Bernays. Il célèbre d’ailleurs son joyeux exercice de style ainsi :

“Les techniques servant à enrégimenter l'opinion ont été inventées puis développées au fur et à mesure que la civilisation gagnait en complexité et que la nécessité du gouvernement invisible devenait de plus en plus évidente.”

La démocratie a un gouvernement invisible qui nous impose malgré nous notre politique et nos choix. Si on avait su…

Après la Guerre, Bernays inspire le méphitique Tavistock Institute auquel Daniel Estulin a consacré un excellent et paranoïaque ouvrage récemment.

Mais en le relisant, car cet ouvrage est toujours à relire, je trouve ces lignes définitives sur l'organisation conspirative de la vie politique et de ses partis :

« Le gouvernement invisible a surgi presque du jour au lendemain, sous forme de partis politiques rudimentaires. Depuis, par esprit pratique et pour des raisons de simplicité, nous avons admis que les appareils des partis restreindraient le choix à deux candidats, trois ou quatre au maximum. »

Et cette conspiration était n'est-ce pas très logique, liée à l’esprit pratique et à la simplicité :

« Les électeurs américains se sont cependant vite aperçus que, faute d'organisation et de direction, la dispersion de leurs voix individuelles entre, pourquoi pas, des milliers de candidats ne pouvait que produire la confusion ». 

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Pour le grand Bernays il n'y a de conspiration que logique. La conspiration n'est pas conspirative, elle est indispensable. Sinon tout s'écroule. L'élite qu'il incarne, et qui œuvre d'ailleurs à l’époque de Jack London, ne peut pas ne pas être. Et elle est trop souple et trop liquide pour se culpabiliser. N'œuvre-t-elle pas à la réconciliation franco-allemande après chaque guerre qu'elle a contribué à déclencher, et que la Fed a contribué à financer au-delà des moyens de tous ?

Elle est aussi innocente que l'enfant qui vient de naître.

Un qui aura bien pourfendu Bernays sans le savoir dans ses pamphlets est Louis-Ferdinand Céline. Sur la standardisation par exemple, voici ce qu’il écrit :

« Standardisons! le monde entier! sous le signe du livre traduit! du livre à plat, bien insipide, objectif, descriptif, fièrement, pompeusement robot, radoteur, outrecuidant et nul. »

Et d’ajouter sur un ton incomparable et une méchanceté inégalable :

« le livre pour l'oubli, l'abrutissement, qui lui fait oublier tout ce qu'il est, sa vérité, sa race, ses émotions naturelles, qui lui apprend mieux encore le mépris, la honte de sa propre race, de son fond émotif, le livre pour la trahison, la destruction spirituelle de l'autochtone, l'achèvement en somme de l'œuvre bien amorcée par le film, la radio, les journaux et l'alcoolisme. »

La standardisation (j’écris satan-tardisation…) rime avec la mort (mais n’étions-nous pas morts avant, cher Ferdinand ? Vois Drumont, Toussenel même, ce bon Cochin, ce génial Villiers…). Le monde est mort, et on a pu ainsi le réifier et le commercialiser ;

« Puisque élevés dans les langues mortes ils vont naturellement au langage mort, aux histoires mortes, à plat, aux déroulages des bandelettes de momies, puisqu'ils ont perdu toute couleur, toute saveur, toute vacherie ou ton personnel, racial ou lyrique, aucun besoin de se gêner! Le public prend ce qu'on lui donne. Pourquoi ne pas submerger tout! simplement, dans un suprême effort, dans un coup de suprême culot, tout le marché français, sous un torrent de littérature étrangère? Parfaitement insipide?... »

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Divaguons sur ce thème de la civilisation mortelle – et sortons du Valéry pour une fois. A la même époque Drieu la Rochelle écrivait dans un beau libre préfacé par Halévy, Mesure de la France :

« Il n'y a plus de conservateurs, de libéraux, de radicaux, de socialistes. Il n'y a plus de conservateurs, parce qu'il n'y a plus rien à conserver. Religion, famille, aristocratie, toutes les anciennes incarnations du principe d'autorité, ce n'est que ruine et poudre. »

Puis Drieu enfonce plus durement le clou (avait-il déjà lu Guénon ?) :

« Tous se promènent satisfaits dans cet enfer incroyable, cette illusion énorme, cet univers de camelote qui est le monde moderne où bientôt plus une lueur spirituelle ne pénétrera. »

Le gros shopping planétaire est mis en place par la matrice américaine, qui va achever de liquider la vieille patrie prétentieuse :

« Il n'y a plus de partis dans les classes, plus de classes dans les nations, et demain il n'y aura plus de nations, plus rien qu'une immense chose inconsciente, uniforme et obscure, la civilisation mondiale, de modèle européen. »

Drieu affirme il y a cent ans que le catholicisme romain est zombie :

« Le Vatican est un musée. Nous ne savons plus bâtir de maisons, façonner un siège où nous y asseoir. A quoi bon défendre des banques, des casernes, et les Galeries Lafayette ? »

Enfin, vingt ans avant Heidegger ou Ellul, Drieu désigne la technique et l’industrie comme les vrais conspirateurs :

« Il y aura beaucoup de conférences comme celle de Gênes où les hommes essaieront de se guérir de leur mal commun : le développement pernicieux, satanique, de l'aventure industrielle. »

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Revenons à Céline, qui avec ferveur et ire dépeint la faune nouvelle de l’art pour tous :

« Les grands lupanars d'arts modernes, les immenses clans hollywoodiens, toutes les sous-galères de l'art robot, ne manqueront jamais de ces saltimbanques dépravés... Le recrutement est infini. Le lecteur moyen, l'amateur rafignolesque, le snob cocktailien, le public enfin, la horde abjecte cinéphage, les abrutis-radios, les fanatiques envedettés, cet international prodigieux, glapissant, grouillement de jobards ivrognes et cocus, constitue la base piétinable à travers villes et continents, l'humus magnifique le terreau miraculeux, dans lequel les merdes publicitaires vont resplendir, séduire, ensorceler comme jamais. »

Et de conclure avec son habituelle outrance que l’époque de l’inquisition et des gladiateurs valait bien mieux :

« Jamais domestiques, jamais esclaves ne furent en vérité si totalement, intimement asservis, invertis corps et âmes, d'une façon si dévotieuse, si suppliante. Rome? En comparaison?... Mais un empire du petit bonheur! une Thélème philosophique! Le Moyen Age?... L'Inquisition?... Berquinades! Epoques libres! d'intense débraillé! d'effréné libre arbitre! le duc d'Albe? Pizarro? Cromwell? Des artistes! »

Dans son très bon livre sur Spartacus, l’écrivain juif communiste Howard Fast établit lui aussi un lien prégnant entre la décadence impériale et son Amérique ploutocratique. C’est que l’homme postmoderne et franchouillard a du souci à se faire (ce que Léon Bloy nommait sa capacité bourgeoise à avaler – surtout de la merde) :

« Plus c'est cul et creux, mieux ça porte. Le goût du commun est à ce prix. Le "bon sens" des foules c'est : toujours plus cons. L'esprit banquiste, il se finit à la puce savante, achèvement de l'art réaliste, surréaliste. Tous les partis politiques le savent bien. Ce sont tous des puciers savants. La boutonneuse Mélanie prend son coup de bite comme une reine, si 25.000 haut-parleurs hurlent à travers tous les échos, par-dessus tous les toits, soudain qu'elle est Mélanie l'incomparable... Un minimum d'originalité, mais énormément de réclame et de culot. L'être, l'étron, l'objet en cause de publicité sur lequel va se déverser la propagande massive, doit être avant tout au départ, aussi lisse, aussi insignifiant, aussi nul que possible. La peinture, le battage-publicitaire se répandra sur lui d'autant mieux qu'il sera plus soigneusement dépourvu d'aspérités, de toute originalité, que toutes ses surfaces seront absolument planes. Que rien en lui, au départ, ne peut susciter l'attention et surtout la controverse. » 

Et comme s’il avait lu et digéré Bernays Céline ajoute avec le génie qui caractérise ses incomparables pamphlets :

« La publicité pour bien donner tout son effet magique, ne doit être gênée, retenue, divertie par rien. Elle doit pouvoir affirmer, sacrer, vociférer, mégaphoniser les pires sottises, n'importe quelle himalayesque, décervelante, tonitruante fantasmagorie... à propos d'automobiles, de stars, de brosses à dents, d'écrivains, de chanteuses légères, de ceintures herniaires, sans que personne ne tique... ne s'élève au parterre, la plus minuscule naïve objection. Il faut que le parterre demeure en tout temps parfaitement hypnotisé de connerie. 

Le reste, tout ce qu'il ne peut absorber, pervertir, déglutir, saloper standardiser, doit disparaître. C'est le plus simple. Il le décrète. Les banques exécutent. Pour le monde robot qu'on nous prépare, il suffira de quelques articles, reproductions à l'infini, fades simulacres, cartonnages inoffensifs, romans, voitures, pommes, professeurs, généraux, vedettes, pissotières tendancieuses, le tout standard, avec énormément de tam-tam d'imposture et de snobisme La camelote universelle, en somme, bruyante, juive et infecte... »

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Et de poursuivre sa belle envolée sur la standardisation :

« Le Standard en toutes choses, c'est la panacée. Plus aucune révolte à redouter des individus pré-robotiques, que nous sommes, nos meubles, romans, films, voitures, langage, l'immense majorité des populations modernes sont déjà standardisés. La civilisation moderne c'est la standardisation totale, âmes et corps. »

La violence pour finir :

« Publicité ! Que demande toute la foule moderne ? Elle demande à se mettre à genoux devant l'or et devant la merde !... Elle a le goût du faux, du bidon, de la farcie connerie, comme aucune foule n'eut jamais dans toutes les pires antiquités... Du coup, on la gave, elle en crève... Et plus nulle, plus insignifiante est l'idole choisie au départ, plus elle a de chances de triompher dans le cœur des foules... mieux la publicité s'accroche à sa nullité, pénètre, entraîne toute l'idolâtrie... Ce sont les surfaces les plus lisses qui prennent le mieux la peinture. »

Céline est incomparable quand il s’attaque à la foule, discutable quand il reprend le lemme du juif comme missionnaire du mal dans le monde moderne. Mais c’est cette folie narrative qui crée la tension géniale de son texte. De toute manière, ce n’est pas notre sujet. Et puis c’est Disraeli et c’est Bernays qui ont joué à l’homme invisible un peu trop visible. Comme dit Paul Johnson dans sa fameuse Histoire des Juifs (p. 329): “Thus Disraeli preached the innate superiority of certain races long before the social Darwinists made it fashionable, or Hitler notorious.”

Bibliographie:

Nicolas Bonnal – Littérature et conspiration (Dualpha, Amazon.fr)

Frédéric Bernays/Normand Baillargeon – Propagande

Céline – Bagatelles…

Drieu la Rochelle – Mesure de la France

Johnson (Paul) – A History of the Jews

 

mercredi, 25 mai 2022

Parution du n°451 du Bulletin célinien

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Parution du n°451 du Bulletin célinien

Sommaire :

Le procès de Nord (1962)

Simone Saintu (1892-1939)

Bardamu au fast-food

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Guerre

Guerre, l’un des manuscrits inédits, vient de paraître  dans  la classique collection “Blanche” de Gallimard. Deux autres textes suivront à l’automne prochain : Londres, récit de son séjour dans la capitale britannique en 1915, et La Volonté du roi Krogold, conte médiéval en partie déjà connu des céliniens. Au printemps prochain paraîtra une nouvelle édition de Casse-pipe, inachevé dans son édition actuellement connue. Une édition, revue et augmentée, du tome III des romans dans la Pléiade est également prévue. Par ailleurs, un nouvel album iconographique, commenté par Frédéric Vitoux, est à paraître dans cette collection.Dans une lettre adressée à son éditeur en juillet 1934¹, Céline évoquait son deuxième roman qui devait comprendre trois volets : « Enfance, Guerre, Londres ». Seule la partie relative à l’enfance (Mort à crédit) parut en un volume. Dans une lettre écrite deux jours plus tôt à Eugène Dabit², il évoque également ce roman en trois parties,  dont il ignore alors que deux d’entre elles (ce qui deviendra Casse-pipe et Guignol’s band) paraîtront bien plus tard : l’un de manière fragmentaire en 1949 et l’autre cinq ans plus tôt. Mais l’inédit qui sort ce mois-ci, et qui a donc été rédigé avant Mort à crédit, n’est pas pour autant un extrait de Casse-pipe. Céline y revient sur l’expérience centrale de son existence : le traumatisme subi au front, dans ce qu’il nomme d’une formule fulgurante, l’« abattoir international en folie ». On y suit la convalescence du brigadier Ferdinand depuis le moment où, gravement blessé, il reprend conscience sur le champ de bataille jusqu’à son départ pour Londres. À l’hôpital de Peurdu-sur-la-Lys (!), il est l’objet de toutes les attentions d’une infirmière entreprenante. Laquelle fait inévitablement songer à Alice David, qui officiait à l’hôpital d’Hazebrouck lorsque Louis Destouches y séjourna à l’automne 1914. L’écriture, rude, est celle de la première manière, mêlant langage populaire et argot militaire. Des pages saisissantes et, à coup sûr, du grand Céline même s’il s’agit d’un premier jet.

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En marge de cette parution, une exposition se tient à Paris jusqu’à la mi-juillet à la Galerie Gallimard. Plusieurs feuillets, extraits des liasses des manuscrits retrouvés, y sont présentés, dont le manuscrit de Guerre, particulièrement mis en valeur. Des documents plus intimes (lettres, cartes postales, tirages d’époque, portraits,…), issus des archives de l’écrivain, sont présentés. Cette documentation apporte un éclairage sur les sources biographiques de l’œuvre, en particulier sur les liens entre Louis Destouches et ses parents, sur sa formation militaire à Rambouillet et sur sa convalescence de blessé de guerre à Hazebrouck et au Val-de-Grâce. Les médailles militaires du maréchal des logis sont exposées, ainsi que le journal de marche de son régiment (conservé par le Service historique de la Défense), et le livret matricule (prêté par les Archives de Paris). L’ensemble est complété par des documents d’histoire éditoriale provenant des archives des Éditions Gallimard et des Éditions Denoël. En cette année du 90e anniversaire de la parution de Voyage au bout de la nuit, toute l’œuvre célinienne est ainsi à nouveau sur le devant  de la scène littéraire.

• Louis-Ferdinand CÉLINE, Guerre, Gallimard, coll. “Blanche”, 2022, 192 p. Édition établie par Pascal Fouché ; avant-propos de François Gibault.

  1. (1) Lettre du 16 juillet 1934 à Robert Denoël in Pierre-Edmond Robert (éd.), Céline & les Éditions Denoël, 1932-1948, Imec Éditions, 1991, p. 63.
  2. (2) Lettre du 14 juillet 1934 à Eugène Dabit in Céline, Lettres, Gallimard, coll. “Bibliothèque de la Pléiade”, 2009, pp. 430-431.

lundi, 31 janvier 2022

Parution du n°447 du Bulletin célinien

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Parution du n°447 du Bulletin célinien

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Entretien avec Jean Guenot

Céline dans France-Soir (1946-47) 

Entretien avec Oskar Hedemann

Inénarrable Roussin

Suspicion et mauvaise foi. C’est ce qui caractérise l’article de Philippe Roussin sur l’affaire des manuscrits retrouvés. Il tance les ayants droit et loue le receleur. Selon lui, il n’y eut d’ailleurs pas de recel puisqu’il n’y eut pas de vol ! Explication : les manuscrits furent « abandonnés » [sic] par Céline. Spécieux. Tout juste si Roussin ne le suspecte pas d’avoir laissé ouverte la porte de son appartement lorsqu’il s’enfuit le 17 juin 1944. Peu importe que celui-ci ait écrit : « On ne va rien toucher à l’appartement on reviendra… l’on ne peut pas dire que l’on ne reviendra jamais. » Si Céline avait été propriétaire (et non locataire) de l’appartement rue Girardon, Roussin serait-il aussi péremptoire ? Ce qui l’insupporte, c’est que, dans cette affaire, l’écrivain soit considéré comme un volé, et donc une victime. Logique : si l’écrivain n’a pas été volé, les ayants droit  n’avaient  aucune raison  d’ester en justice. Ce que Roussin omet soigneusement de préciser, c’est que si François Gibault et Véronique Chovin ont déposé plainte, c’est parce que Thibaudat refusait obstinément de restituer ces manuscrits qui leur appartiennent. Et entendait décider seul de leur sort : en l’occurrence, en faire don à l’Institut Mémoire de l’Édition (IMEC) dont il est proche. Par ailleurs, le fait que ce recel ait privé Lucette d’une joie certaine ne préoccupe nullement Roussin. Pas davantage le fait qu’à la fin de sa vie, elle avait un pressant besoin d’argent, ayant à rémunérer plusieurs personnes qui s’occupaient d’elle en permanence. Thibaudat, lui, se considérait comme le dépositaire des manuscrits, ce qui l’a autorisé à les garder par devers lui pendant des années. Le conseil des ayants droit, Jérémie Assous, n’a pas tort de dire que le journaliste de Libé est comparable à quelqu’un qui aurait gardé pendant des décennies dans son salon une toile de maître volée. Mais, de toute évidence, le droit moral et patrimonial des héritiers, Roussin n’en a cure. Mieux : il leur fait un procès d’intention en subodorant qu’ils pourraient garder sous le boisseau des textes compromettants, ce qui est saugrenu, connaissant l’objectivité du biographe qu’est Gibault. Roussin, auteur d’un livre sur Céline de 800 pages, a-t-il jamais éprouvé pour l’écrivain « une admiration sans bornes », à l’instar de  Taguieff et Duraffour  qui  nous firent  cette  confidence dans leur livre obèse ? Sûrement pas. On comprend même, entre les lignes, que Céline ne mérite pas, selon lui, le statut de « plus grand écrivain français du XXe siècle » qu’on lui accorde généralement. Et de citer complaisamment l’appréciation de Houellebecq  qui  le considère  comme  « un auteur  ridiculement  surévalué ». Venant de la part de quelqu’un dont le style est aussi plat qu’une limande, cela prête à sourire. Quant à Roussin, il estime qu’il faut rendre grâce à ceux qui ont “recueilli” ces manuscrits pendant des décennies. Et qu’il faut, en revanche, juger âprement les ayants droit qui ont eu le front de déposer plainte. Il importe surtout de condamner, une fois encore et toujours, les fautes dont Céline s’est rendu coupable. Et de ressasser ad libitum les éléments du procès qui lui est intenté depuis près de 80 ans. C’est qu’il s’agit pour Roussin de conjurer « le mauvais vent d’hiver maurrassien de l’époque ».  De la part d’un fonctionnaire, on pouvait s’attendre à davantage de réserve. L’ironie de l’histoire étant que cet article soit publié sur un site internet placé sous l’égide de Maurice Nadeau qui prit fait et cause pour Céline lorsqu’il était exilé.

• Philippe ROUSSIN, « Déshonneur et patrie : retour sur l’affaire Céline », En attendant Nadeau, 15 décembre 2021 [https://www.en-attendant-nadeau.fr/2021/12/15/deshonneur-patrie-affaire-celine].

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Marc Laudelout 

Céline à hue et à dia 

 

Louis-Ferdinand Céline est un immense écrivain. Il fut aussi antisémite et souhaita la victoire des forces de l’Axe. Deux raisons pour lesquelles il est légitime pour beaucoup de le honnir. Mais ce n’est pas suffisant pour certains qui, ajoutant la diffamation à la détestation, l’accusent d’avoir été un vil délateur, un auxiliaire de la police allemande et un partisan du génocide. Sans apporter aucune preuve formelle et contredisant ainsi les spécialistes intègres de l’écrivain : « Ses pamphlets ne présentent pas d’appel au meurtre explicite » (R. Tettamanzi) ; « Céline n’avait pas voulu l’holocauste et n’en avait pas même été l’involontaire instrument » (F. Gibault) ; « Les mesures que Céline préconise contre les juifs se suffisent à elles-mêmes, sans qu’on aille jusqu’à lui prêter une idée ou un désir d’extermination » (H. Godard).

 

D’autres enfin, pour enfoncer le clou, affirment que c’est un écrivain surévalué. Dans cet ouvrage, Marc Laudelout, éditeur du Bulletin célinien depuis 40 ans, épingle ces anticéliniens rabiques. Il évoque aussi diverses interférences littéraires, dresse le portrait de quelques figures (dont les « céliniens historiques ») et explore quelques faits liés à la biographie ainsi qu’à la réception critique de l’œuvre.

 

Un volume broché de 412 pages,  25 € frais de port inclus.

Exemplaire dédicacé sur demande.

 

Mode de règlement : chèque (bancaire ou postal) à l’ordre de M. Laudelout. Ou par virement bancaire sur le compte LCL du Bulletin célinien à Lille : IBAN : FR59 3000 2082 3100 0019 5794 L60 (BIC : CRLYFRPP).

Dans ce cas, il est recommandé de nous adresser un courriel signalant ce virement.

 

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Marc Laudelout

139 rue Saint-Lambert

B. P. 77

BE 1200 Bruxelles

mardi, 04 janvier 2022

Parution du numéro 446 du Bulletin célinien

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Parution du numéro 446 du Bulletin célinien

2021-12-BC-Cover.jpgSommaire :

Classement sans suite pour Thibaudat 

Fantasmes et travail éditorial 

L.-F. Céline : les derniers secrets 

Céline dans France-Soir (1944-1945) 

Catherine Rouayrenc nous a quittés 

Almansor, ou le secret de famille. Les origines de Lucette Destouches.

Les années noires

L’expression « les années noires » désigne généralement les années d’occupation allemande durant la dernière guerre mondiale. On songe, par exemple, au Journal des années noires, 1940-1944 de Jean Guéhenno. Pour Céline, les années noires correspondent à l’exil, d’abord en Allemagne, puis au Danemark. La fin du bonheur, comme dit l’un de ses biographes. La période la plus éprouvante étant naturellement son arrestation survenue en décembre 1945, suivie d’une détention qui se prolongea jusqu’en janvier 1947. Aussi est-ce bien opportunément que Christophe Malavoy titre son dernier opus, L.-F. Céline. Les Années noires. Superbement illustré par José Correa, cet album s’avère le cadeau idéal à offrir en cette période de fêtes. En tout cas à ceux qui aimeraient en savoir plus sur cette partie de la vie de l’écrivain. Célinien patenté, Malavoy nous avait déjà montré sa bonne connaissance de la biographie avec un livre paru l’année du cinquantenaire de la mort. Ce qui surprendra, voire heurtera, certains, c’est que le texte soit ici rédigé à la première personne, l’auteur empruntant la voix, sinon le style, de Céline.

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Cette initiative ne peut que susciter la perplexité puisque l’écrivain a lui-même narré cette partie de sa vie dans les derniers romans. Pourquoi dès lors paraphraser un écrivain de cette envergure en étant, nécessairement, en deçà de l’original ? Sur cette période, on aurait pu, tout aussi bien, choisir des extraits de l’œuvre qui eussent été en harmonie avec l’iconographie. Mais, après un temps d’adaptation, le lecteur se laisse prendre par le flux du récit, Malavoy réussissant, comme le comédien professionnel qu’il est, à endosser le rôle sans jamais verser dans la parodie. Ce qui est notable, c’est l’absence d’erreur factuelle. Lorsque c’est le cas, c’est à la suite de céliniens éminents. Ainsi, Céline n’a jamais songé à intituler l’une de ses œuvres Maudits soupirs pour une autre fois (p. 114).   Comme cela a été rappelé ici  – Nabe ayant récemment commis la même erreur –,  c’est suite à une faute de lecture que deux titres envisagés par Céline furent amalgamés : “Au vent des maudits” et “Soupirs pour une autre fois”. Et c’est sous ce titre fallacieux qu’une version primitive de Féerie parut en 1985. Les autres erreurs relèvent vraiment du détail¹.

Comme les lecteurs du Bulletin le savent, José Correa est actuellement le meilleur portraitiste de Céline. C’est aussi un aquarelliste de talent comme en attestent les illustrations en couleurs qui figurent dans cet ouvrage. Lequel n’apprendra rien aux célinistes. Mais cet ouvrage leur est-il destiné ? Il s’adresse plutôt au grand public s’intéressant à Céline et ignorant des conditions de l’exil et du procès. Ce livre offre surtout la particularité d’être en empathie avec son sujet, ce qui, dans le cas de Céline, est suffisamment rare pour être relevé.

• Christophe MALAVOY & José CORREA, L.-F. Céline. Les Années noires, Les Éditions de l’Observatoire, 2021, 245 p. (22 €). Un second tome, racontant les dix années ultérieures, Le Misanthrope de Meudon, est en préparation.

  1. (1) Ainsi (p. 232), Céline n’a pu converser avec Tixier-Vignancour depuis son lit puisqu’il n’y avait pas le téléphone ni à Skovly, ni à Fanehuset. L’écrivain téléphonait soit chez son avocat Mikkelsen, soit chez Petersen, le régisseur du domaine. Quant au livre de Milton Hindus, il est paru en 1950 (et non en 1949). En France, sa traduction parut l’année suivante et l’édition augmentée de la correspondance en 1969 (p. 199). Autre détail bibliographique : l’un des pamphlets (Bagatelles pour un massacre) a bien été réédité en 1942 mais aussi à l’automne 1943 (p. 245). Comme on le voit, il s’agit de vétilles…

Du Loup des steppes à Bardamu : Hesse et Céline contre le monde moderne

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Du Loup des steppes à Bardamu: Hesse et Céline contre le monde moderne

Nicolas Bonnal

C’est le hasard de mon livre sur Céline qui me fit retrouver Hermann Hesse, écrivain déjà bien oublié. Mais dans le Loup des steppes il nous semble, sans nous balancer dans la littérature comparée, qu’il aborde le problème de la modernité comme Céline. On est à l’époque de la guerre, de la massification, des abrutissements modernes et des années folles. Voyez la Foule de King Vidor pour évaluer le beuglant…

On commence par les hommes-masse de notre époque (traduction de Juliette Parry) » :

« Il ne s’agit pas ici de l’homme tel que le connaissent l’école, l’économie nationale, la statistique, de l’homme tel qu’il court les rues à des millions d’exemplaires et qu’on ne saurait considérer autrement que le sable du rivage ou l’écume des flots : quelques millions de plus ou de moins, qu’importe, ce sont des matériaux, pas autre chose. »

Hesse décrit aussi la vie ennuyée de cet homme-masse façonné par l’industrie et cet écœurement qui en sourd :

« …celui qui a vécu des jours infernaux, de mort dans l’âme, de désespoir et de vide intérieur, où, sur la terre ravagée et sucée par les compagnies financières, la soi-disant civilisation, avec son scintillement vulgaire et truqué, nous ricane à chaque pas au visage comme un vomitif, concentré et parvenu au sommet de l’abomination dans notre propre moi pourri, celui-là est fort satisfait des jours normaux, des jours couci-couça comme cet aujourd’hui ; avec gratitude, il se chauffe au coin du feu ; avec gratitude, il constate en lisant le journal qu’aujourd’hui encore aucune guerre n’a éclaté, aucune nouvelle dictature n’a été proclamée, aucune saleté particulièrement abjecte découverte dans la politique ou les affaires…»

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Comme Céline ou Ortega Y Gasset (et des dizaines d’autres), Hermann Hesse dénonce cette émergence cette civilisation de la masse satisfaite :

« Je ne comprends pas quelle est cette jouissance que les hommes cherchent dans les hôtels et les trains bondés, dans les cafés regorgeant de monde, aux sons d’une musique forcenée, dans les bars, les boîtes de nuit, les villes de luxe, les expositions universelles, les conférences destinées aux pauvres d’esprit avides de s’instruire, les corsos, les stades… »

Une brève allusion à notre américanisation – qui frappe aussi Chesterton ou Bernard Shaw à cette époque :

« En effet, si la foule a raison, si cette musique des cafés, ces plaisirs collectifs, ces hommes américanisés, contents de si peu, ont raison, c’est bien moi qui ai tort, qui suis fou, qui reste un loup des steppes, un animal égaré dans un monde étranger et incompréhensible, qui ne retrouve plus son cli mat, sa nourriture, sa patrie. »

Le personnage couche avec des danseuses lesbiennes découvre le fox-trot et la musique nègre. Mais voici ce que dit la danseuse:

« Crois-tu que je ne puisse comprendre ta peur du fox-trot, ton horreur des bars et des dancings, ta résistance au jazz-band et à toutes ces insanités ? Je ne les comprends que trop, et aussi ton dégoût de la politique, ton horreur des bavardages et des agissements irresponsables des partis et de la presse, ton désespoir en face de la guerre, celle qui fut et celle qui viendra, en face de la façon dont on pense aujourd’hui, dont on lit, dont on construit, dont on fait de la musique, dont on célèbre les cérémonies, dont on fabrique l’instruction publique ! Tu as raison, Loup des steppes, tu as mille fois raison, et pourtant tu dois périr. Tu es bien trop exigeant et affamé pour ce monde moderne, simple, commode, content de si peu ; il te vomit, tu as pour lui une dimension de trop. »

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Après on donne une définition de loup des steppes (titre d’un groupe de pop au temps jadis) :

 « Celui qui veut vivre en notre temps et qui veut jouir de sa vie ne doit pas être une créature comme toi ou moi. Pour celui qui veut de la musique au lieu de bruit, de la joie au lieu de plaisir, de l’âme au lieu d’argent, du travail au lieu de fabrication, de la passion au lieu d’amusettes, ce joli petit monde-là n’est pas une patrie… »

Et si Céline a dit que la vérité de ce monde c’est la mort :

« Il en fut toujours ainsi, il en sera toujours ainsi ; la puissance et l’argent, le temps et le monde appartiennent aux petits, aux mesquins, et les autres, les êtres humains véritables, n’ont rien. Rien que la mort… »

Et si Céline a dit que la postérité c’est pour les asticots :

« La gloire, ça n’existe que pour l’enseignement, c’est un truc des maîtres d’école. »

Antisémitisme ; Hesse le voit pointer comme la prochaine guerre dès le début des années vingt, au moment où Céline vit le Voyage :

« Il n’a pas vécu la guerre, ni le bouleversement des bases de la pensée par Einstein (cela, pense-t-il, est du domaine des mathématiciens) ; il ne voit pas comment se prépare autour de lui la prochaine guerre ; il tient pour haïssables les Juifs et les communistes ; il est un brave gosse insouciant et gai qui se prend au sérieux, il est digne d’être envié. »

L’Allemagne est déjà prête pour la prochaine guerre comme le voit Bainville à la même époque. On a aussi fait ce qu’il fallait au traité de Versailles (lisez Guido Preparata à ce sujet) :

« C’est cela qu’ils ne me pardonnent pas, car, bien entendu, ils sont tous innocents : le Kaiser, les généraux, les grands industriels, les politiciens, les journaux, nul n’a rien à se reprocher, ce n’est la faute de personne. On croirait que tout va on ne peut mieux dans le monde ; seulement, voilà, il y a une douzaine de millions d’hommes assassinés. »

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Hesse aussi hait ces journaux qui rendront fou Céline :

« Deux tiers de mes compatriotes lisent cette espèce de journaux, entendent ces chansons matin et soir ; de jour en jour, on les travaille, on les serine, on les traque, on les rend furieux et mécontents ; et le but et la fin de tout est encore la guerre, une guerre prochaine, probablement encore plus hideuse que celle-ci. »

Hesse décrit dégoûté une absorption des journaux :

« C’est bizarre, tout ce qu’un homme est capable d’avaler ! Pendant près de dix minutes, je lus un journal et laissai pénétrer en moi, par le sens de la vue, l’esprit d’un homme irresponsable, qui remâche dans sa bouche les mots des autres et les rend salivés, mais non digérés. C’est cela que j’absorbai pendant un laps de temps assez considérable. »

Et si Céline parle de la musique judéo-saxo-nègre, Hesse aussi :

« Lorsque je passai devant un dancing, un jazz violent jaillit à ma rencontre, brûlant et brut comme le fumet de la viande crue. Je m’arrêtai un moment : cette sorte de musique, bien que je l’eusse en horreur, exerçait sur moi une fascination secrète. Le jazz m’horripilait, mais je le préférais cent fois à toute la musique académique moderne ; avec sa sauvagerie rude et joyeuse, il m’empoignait, moi aussi, au plus profond de mes instincts, il respirait une sensualité candide et franche ».

Céline et les nègres ? Hermann Hesse et les nègres, et la bonne musique nègre :

« Et cette musique-là avait l’avantage d’une grande sincérité, d’une bonne humeur enfantine, d’un négroïsme non frelaté, digne d’appréciation. Elle avait quelque chose du Nègre et quelque chose de l’Américain qui nous paraît, à nous autres Européens, si frais dans sa force adolescente. L’Europe deviendrait-elle semblable ? Était-elle déjà sur cette voie ? »

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Toute la vieille culture est remise en cause comme chez Elie Faure à la même époque :

« Nous autres vieux érudits et admirateurs de l’Europe ancienne, de la véritable musique, de la vraie poésie d’autrefois, n’étions-nous après tout qu’une minorité stupide de neurasthéniques compliqués, qui, demain, seraient oubliés et raillés ? Ce que nous appelions « culture », esprit, âme, ce que nous qualifiions de beau et de sacré n’était-ce qu’un spectre mort depuis longtemps, et à la réalité duquel croyaient seulement quelques fous ? Ce que nous poursuivions, nous autres déments, n’avait peut-être jamais vécu, n’avait toujours été qu’un fantôme ? »

Comme dit Debord l’ancienne culture elle est congelée.

Néanmoins Hesse ne fait pas preuve d’hypocrisie, et il nous donne sa deuxième définition du loup des steppes  c’est un bohême collaborateur de cette bourgeoisie.

« En effet, la puissance de vie du bourgeoisisme ne se base aucunement sur les facultés de ses membres normaux, mais sur celles des outsiders extrêmement nombreux, qu’il est capable de contenir par suite de l’indétermination et de l’extensibilité de ses idéals. Il demeure toujours dans le monde bourgeois une foule de natures puissantes et farouches. Notre Loup des steppes Harry en est un exemple caractéristique. Lui, qui a évolué vers l’individualisme bien au-delà des limites accessibles au bourgeois, lui qui connaît la félicité de la méditation, ainsi que les joies moroses de la haine et de l’horreur de soi, lui qui méprise la loi, la vertu et le sens commun, est pourtant un détenu du bourgeoisisme et ne saurait s’en évader. »

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On se vent âme et corps au monde moderne et à sa technique de divertissement. Si notre Céline a dit que les Américains font l’amour comme les oiseaux, Hermann Hesse montre que son époque est libérée et son Allemagne de Weimar aussi :

« La plupart étaient extraordinairement douées pour l’amour et assoiffées de ses joies ; la plupart le pratiquaient avec les deux sexes ; elles ne vivaient que pour l’amour, et à côté des amis officiels et payants elles cultivaient d’autres liaisons amoureuses. Actives et affairées, soucieuses et frivoles, sensées et pourtant étourdies, ces libellules vivaient leur vie aussi enfantine que raffinée, indépendantes, ne se vendant que selon leur bon plaisir, attendant tout d’un coup de dés et de leur bonne étoile, amoureuses de la vie et cependant bien moins attachées à elle que ne le sont les bourgeois, toujours prêtes à suivre un prince charmant dans son château de conte de fées, toujours demi-conscientes d’une fin triste et fatale. »

La fille lui reproche de ne pas savoir danser, d’avoir appris le grec et le latin. Vian dira qu’il vaut mieux apprendre à faire l’amour que s’abrutir sur un livre d’histoire. Mais Céline tape tout le temps sur notre éducation et veut nous rapprendre le rigodon.

Le cinéma cette petite mort (Céline) ; voici comment Hesse décrit le procès.

« En flânant je passai devant un cinéma, je vis des enseignes lumineuses et de gigantesques affiches coloriées ; je m’éloignai, je revins sur mes pas et finalement j’entrai. Je pourrais demeurer là bien tranquillement jusqu’à onze heures environ. Conduit par l’ouvreuse avec sa lanterne, je trébuchai dans la salle obscure, je me laissai tomber sur un siège et me trouvai tout à coup en plein dans l’Ancien Testament. Le film était un de ceux qu’on tourne à grands frais et avec force trucs soi-disant non pas pour gagner de l’argent, mais dans des buts sublimes et sacrés ; les maîtres de catéchisme y conduisent en matinée leurs élèves. »

Après il tape encore plus fort sur ce cinéma :

« Ensuite, je vis le Moïse monter sur le Sinaï, sombre héros sur une sombre cime, et Jéhovah lui communiquer les dix commandements, avec le concours de l’orage, de la tempête et des signaux lumineux, cependant que son peuple indigne, entre-temps, dressait au pied du mont, le veau d’or et s’abandonnait à des distractions plutôt bruyantes. Il me paraissait bizarre et incroyable de contempler ainsi les histoires saintes, leurs héros et leurs miracles, qui avaient fait planer sur notre enfance les premières divinations vagues d’un monde surhumain ; il me semblait étrange de les voir jouer ainsi devant un public reconnaissant, qui croquait en silence ses cacahuètes : charmante petite saynète de la vente en gros de notre époque, de nos gigantesques soldes de civilisation… »

Et il dit ce qu’il en pense de cette société de consommation et de divertissement :

« Seigneur mon Dieu ! pour éviter cette saleté, c’étaient non seulement les Égyptiens, mais les Juifs et tous les autres hommes qui eussent dû périr alors d’une mort violente et convenable, au lieu de cette petite mort sinistrement mesquine et bourgeoise dont nous mourons aujourd’hui. »

La petite mort du monde bourgeois est ici là dans le poste de T.S.F.

« Mais c’était, je le vis bientôt, un appareil de T.S.F. qu’il avait dressé et mis en marche ; installant le haut-parleur, il annonça : « Vous entendrez Munich, le Concerto grosso en F-Dur de Haendel. »

En effet, à ma surprise et à mon épouvante indicible, l’appareil diabolique se mit à vomir ce mélange de viscose glutineuse et de caoutchouc mâché que les possesseurs de phonographes et les abonnés de la T.S.F. sont convenus d’appeler musique… »

Sources :

Le loup des steppes

Céline, le pacifiste enragé

 

mercredi, 11 août 2021

Céline fait des trous dans la page tandis que Brasillach permet de voir à travers...

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Céline fait des trous dans la page tandis que Brasillach permet de voir à travers...

Frédéric Andreu

A sa sortie en 1932, le Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Destouches, dit Céline, a fait l’effet d’un séisme dans le monde littéraire. Depuis, admirateurs et détracteurs lui reconnaissent un génie incomparable. On comprends alors pourquoi la découverte récente de milliers de pages inédites de Céline – en pleine folie covidiste – fait l’effet d’une réplique sismique !

Cela, c’est du Céline tout craché ! Une malle remplie de centaines de pages inédites en pleine mythographie covidiste ! Les lustres et les tables de nos logis se remettent à trembler. Et on cherche même la direction des abris…

Lanceur d’alerte, Céline est le grand démystificateur de notre temps. Il a passé au crible toutes les propagandes idéologiques, capitalisme, communisme, sionisme, etc ; et la Collaboration ne fut pas en reste avec ses vieillards qui « sentent le pipi »... Bref, toutes les (im)postures sont passées au crible. Et il a même inventé un terme pour les désigner : le «blabla» rentré dans notre langue de tous les jours. Les blablas, ce sont ces vieilles couches de peinture qu’il est allé décaper à l’intérieur même de la langue. Au total, pas moins de 80.000 pages écrites à la main pour parvenir, dirons certains, à la toile même du fond émotif des choses !

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«C’est des filigranes la vie, ce qui est écrit nette, c’est pas grand-chose ; ce qui compte, c’est la transparence !» s’écria-t-il à qui voulait l’entendre. On comprends mieux pourquoi lire du Céline, c’est beau comme un jour en décomposition, un soleil couchant avec ses flammes mourantes. On ouvre un roman de Céline, il en sort des rayons crépusculaires. Une fois refermé le livre, il ne reste plus qu’à traverser la nuit comme un voyage.

Céline pourfend les mythographies aliénantes - a commencé par la propagande qui a conduit la France a déclaré la guerre à l’Allemagne en 1939 - mais cela vaut aussi pour la langue écrite elle-même. De romans en romans, Céline atteint la toile de fond des choses de la toile, encore toute vibrante d’émotions. Brasillach nous révèle au contraire - notamment dans son roman Comme le temps passe - la mythologie personnelle de notre vie intime.

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Il n’y aurait donc non pas une mais deux « mythologies » vibratoirement actives dans nos vies individuelles et collectives. Une mythologie de seconde main, des pages aussi captatives qu’aliénantes, écrites par d’autres, et une mythologie qui nous précédent. C’est cette légende que l’on tente d’apercevoir au cours de notre passage sur terre.

Deux auteurs, deux parcours, deux styles à la fois antithétiques et complémentaires, à l’instar du crépuscule et de l’aurore. J’ai comme dans l’idée que l’un n’aurait pas été possible sans l’autre… le premier décape la langue jusqu’à la trame émotive tandis que l’autre laisse miroiter, entre ses pages, le matin profond de notre mémoire.  

Il est grand temps de relire Céline et Brasillach avant la fin du jour.

Frédéric Andreu 

fredericandreu@yahoo.fr

dimanche, 07 mars 2021

Voyage au bout de Céline

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Voyage au bout de Céline
 
98ynm8-front-shortedge-384.jpg"Seyland", "Kørsor ", "Kalundborg", ces noms à consonance étrangère ne vous disent sans doute pas grand chose ! Et pourtant, ces lieux ont écrit quelques pages de la légende célinienne. C'est au travers d'une France à couteaux tirés et une Allemagne réduite en ruine que Louis-Ferdinand CÉLINE - accompagné de sa fidèle épouse Lucette - entreprennent de rejoindre le Danemark.

Après sa sortie de prison à Copenhague, Céline doit-il rentrer en France ? Son avocat, qui s'y oppose, lui ouvre les portes de sa maison de campagne. Les trois années qui s'écoulent, ponctuées d'une abondante correspondance et de quelques visites d'admirateurs, restent encore aujourd'hui un sujet de débat. Les journées sont longues et pesantes mais les témoins ne relatent cependant pas la camisole de force décrite après coup par Céline... Bref, nous sommes plus prêt du confinement que de l'assignation à résidence.

Au cours de l'été 2019, Frédéric Andreu-Véricel, entreprend un voyage de découverte sur les traces de l'écrivain maudit. De bivouacs en bivouacs, de pistes cyclables en rencontres inopinées, notre "cyclo-campeur" retrouve la trace de «Fanhuset», la fameuse maison d’exil de Céline.

L'hiver suivant le voyage, marqué par le confinement sanitaire, est l'occasion de transcrire le récit ; autant de semaines entre quatre murs où le sismographe des souvenirs marchent à pleine cadence alors que toutes sorties à l'extérieur sont proscrites...

Les Éditions ALCUDIA est une maison d'édition en ligne qui oeuvre au "reboisement de l'imaginaire".
 
Pour se faire, ALCUDIA invite a ne pas "rêver sa vie" mais tout au contraire à "vivre son rêve", ressort essentiel à la découverte de sa "mission de vie" ou "légende personnelle".

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dimanche, 24 janvier 2021

Le Bulletin célinien n°436 est sorti de presse !

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Le Bulletin célinien n°436 est sorti de presse !

Sommaire :

András Hevesi, premier traducteur de Céline en hongrois

Céline dans Candide (1932-1936) [première partie]

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Rimbaud et Céline

Dans cette épatante collection « Bouquins », vient de paraître la réédition de la biographie de Rimbaud par Jean-Jacques Lefrère (1954-2000). Cet hématologue le jour et biographe littéraire la nuit s’était essentiellement intéressé aux écrivains du XIXe siècle. Il est aussi l’auteur d’une biographie de Laforgue et de Lautréamont tout aussi érudites que celle-ci. À la fin de sa vie, il s’était attelé à une biographie de Céline qui ne restera malheureusement qu’à l’état d’ébauche (environ 200 pages). Il avait même fait le voyage au Cameroun pour prendre des notes sur place et voir ce qu’il y était possible de trouver. Son idée était de s’attaquer à l’un des auteurs les plus emblématique du XXe siècle, après avoir traité d’auteurs mythiques du siècle précédent. Il avait prévu trois volumes de 1500 pages chacun ! Hélas la maladie a cruellement eu raison de lui. Cette biographie aurait été passionnante et riche en découvertes tant Lefrère avait le culte des archives et de la recherche. Il avait déjà rassemblé une grande documentation, s’intéressant à tous les personnages secondaires qui avaient croisé Céline. Aussi était-il un peu écrasé par la masse de travail. Il insistait aussi sur le fait que, médecin lui-même, il avait une sorte de proximité avec le docteur Destouches. Cette recherche effrénée de la documentation se faisait parfois au détriment de l’essentiel : dans sa biographie de Rimbaud (qui compte plus d’un millier de pages), le poète s’évapore sous la masse de détails. Tout le contraire de la conception d’Henri Godard qui, pour sa biographie de Céline, fit sien ce propos de Malraux : « La biographie d’un artiste c’est sa biographie d’artiste. » À l’occasion de cette réédition, j’ai constaté que les querelles entre rimbaldiens sont au moins aussi vives que celles entre céliniens. Ce qui me rappelle cette plaisante réflexion de René-Louis Doyon à propos d’une autre confrérie : « On sait que les stendhaliens, plus que tous autres spécialistes, forment une gens susceptible, chatouilleuse, jalouse de leurs os médullaires et ne pardonnant à personne d’en analyser la substance, les accidents, les particularités, surtout si on ne fait point partie de cette communion tacite… »

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Céline n’était pas un lecteur passionné de Rimbaud, lui préférant dans ce domaine les poètes du XVIe siècle, Louise Labé, du Bellay ou Ronsard. Mais il l’avait bien lu, comme en témoigne une lettre à son traducteur anglais dans laquelle il cite de mémoire des vers de la « Chanson de la plus haute tour¹ ».  Dans une étude savante, une universitaire discerne ici et là dans l’œuvre célinienne l’empreinte rimbaldienne, une sorte de filiation cachée ². Ainsi, le prologue de Mort à crédit est vu comme une réécriture minutieuse des lettres dites du « Voyant », « Alchimie du verbe » ou « Nuit d’enfer ». C’est un peu poussé mais procure de surprenantes illustrations, non pas de la notion d’intertexte, mais de « compagnonnage » (Rimbaud-Céline) qui donnent à rêver. Ce qui paraîtra, en revanche, tangible, c’est l’affirmation de Céline qui assurait connaître la raison du départ de Rimbaud en Afrique : « Il en avait assez de tricher. (…) Il y a une hantise chez le poète de ne plus tricher. » L’alternative étant, comme on sait, de « mettre sa peau sur la table ».

• Jean-Jacques LEFRÈRE : Arthur Rimbaud (biographie), Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1408 pages (32 €)

  1. (1) Éric Mazet, « Céline et Rimbaud », Études céliniennes, n° 1, automne 2005, pp. 68-71.
  2. (2) Suzanne Lafont, Céline et ses compagnonnages littérairesRimbaud, Molière, Lettres modernes-Minard, 2005.

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mardi, 19 janvier 2021

Céline et la soumission imbécile du Français

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Céline et la soumission imbécile du Français

par Nicolas Bonnal

On entend ici et là qu’on va réagir, qu’on est le pays des rebelles, des droits de l’homme, de la liberté, des tranchées et qu’on va voir ce qu’on va voir à propos du vaccin, du masque, du confinement.

Je répète : jouez aux rebelles quinze secondes, vous qui me jetez la pierre, dans le métro, à l’école, au boulot. Il n’y a pas 30% de mécontents ou d’insoumis dans ce pays, mais 1%. Et ça dépend des jours et du sujet.

Une amie m’a écrit hier :

« J’entendais hier un général de gendarmerie, étonné de la "docilité" des français (à propos du couvre-feu), qui disait qu'en réalité on n'aurait pas le choix. Carnet vaccinal obligatoire pour voyager ; pour se soigner et aller à l'hosto idem ; pour travailler encore, les administrations demanderont à leurs employés de se faire vacciner (et je doute que le privé soit en reste) ; bref ce que tu dis depuis des mois. »

C’est ce que je dis depuis des mois parce que c’est ce qui se passe depuis des siècles.

Tout pays de la liberté se croit plus libre au fur et à mesure qu’il s’enferme dans les réseaux inextricables des lois. Maistre rappelait en 1789 qu’on avait eu plus de lois en un an qu’en mille.

Quelques rappels céliniens alors. C’est ma monographie la plus lue - avec celle de Tolkien -  et elle est lue par des gens qui ont compris que Céline ne parle pas des juifs (sujet éculé tout de même) mais des Français :

« Il règne sur tout ce pays, au tréfonds de toute cette viande muselée, un sentiment de gentillesse sacrificielle, de soumission, aux pires boucheries, de fatalisme aux abattoirs, extraordinairement dégueulasse. Qui mijote, sème, propage, fricote, je vous le demande, magnifie, pontifie, virulise, sacremente cette saloperie suicidaire ? Ne cherchez pas ! Nos farceurs gueulards imposteurs Patriotes, notre racket nationaliste, nos chacals provocateurs, nos larrons maçons, internationalistes, salonneux, communistes, patriotes à tout vendre, tout mentir, tout provoquer, tout fourguer, transitaires en toutes viandes, maquereaux pour toutes catastrophes. Patriotes pour cimetières fructueux. Des vrais petits scorpions apocalyptiques qui ne reluisent qu’à nous faire crever, à nous fricoter toujours de nouveaux Déluges. »

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Céline a compris que le Français n’est pas une victime de Macron, Hollande ou Sarkozy, du comité des forges ou du mondialisme ou de Bruxelles : le Français est un enthousiaste. On le laisse cracher le morceau (à Céline) :

« Plus de Loges que jamais en coulisse, et plus actives que jamais. Tout ça plus décidé que jamais à ne jamais céder un pouce de ses Fermes, de ses Privilèges de traite des blancs par guerre et paix jusqu’au dernier soubresaut du dernier paumé d’indigène. Et les Français sont bien contents, parfaitement d’accord, enthousiastes. »

Cela c’était avant 39. Pour aujourd’hui aussi ces lignes résonnent furieusement (pensez à ces queues d’andouilles voulant être testées cet été…) :

« Une telle connerie dépasse l’homme. Une hébétude si fantastique démasque un instinct de mort, une pesanteur au charnier, une perversion mutilante que rien ne saurait expliquer sinon que les temps sont venus, que le Diable nous appréhende, que le Destin s’accomplit. »

Certains nous font le coup à la mode Maurras du grand recours, de la divine surprise (Trump…). On a vu la lâcheté incisive des femmes Le Pen. Céline savait ce qu’il en coûtait de se fier aux patriotes, aux nationalistes et autres, toujours les premiers à offrir leur poitrine aux démocraties, comme disait Bernanos. Et de rentrer dedans :

« Dans nos démocraties larbines, ça n’existe plus les chefs patriotes. En lieu et place c’est des effrontés imposteurs, tambourineurs prometteurs “d’avantages”, de petites et grandes jouissances, des maquereaux “d’avantages”. Ils hypnotisent la horde des “désirants”, aspirants effrénés, bulleux “d’avantages”. Pour l’adoption d’un parti, d’un programme, c’est comme pour le choix d’un article au moment des “réclames”, on se décide pour le magasin qui vous promet le plus “d’avantages”. Je connais moi des personnes, des véritables affranchis qui sont en même temps marxistes, croix-de-feu, francs-maçons, syndiqués très unitaires et puis malgré tout, quand même, encore partisans du curé, qui font communier leurs enfants. C’est des camarades raisonnables, pas des fous, qui veulent perdre dans aucun tableau, qui se défendent à la martingale, des Idéologues de Loterie, très spécifiquement français. Quand ça devient des racailles pareilles y a plus besoin de se gêner. »

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Cela s’applique aussi au Bayrou, catho, bourgeois, six enfants, qui nous prépare le passeport vaccinal et la grande confiscation dans un bâillement/acquiescement général.

Céline remet notre occident démocrate – qui retombe dans son terrorisme/bolchévisme initial, ici ou en Amérique - à sa place :

« La conjuration mondiale seule véritable réussite de notre civilisation. Nous n’avons plus de patriotes. C’est un regret de bétail, on en a presque jamais eu de patriotes. On nous a jamais laissé le temps. D’une trahison dans une autre, on a jamais eu le temps de souffler… D’une guerre dans une autre… »

Après on est vendus aux étrangers mais c’est depuis des siècles (pensez à Concini dans le Capitan…) :

« On nous a toujours trafiqués, vendus comme des porcs, comme des chiens, à quelque pouvoir hostile pour les besoins d’une politique absolument étrangère, toujours désastreuse. Nos maîtres ont toujours été, à part très rares exceptions, à la merci des étrangers. Jamais vraiment des chefs nationaux, toujours plus ou moins maçons, jésuites, papistes, juifs… »

Parti de l’ordre, parti catholique, parti social-démocrate, parti européen, parti pro-américain, parti prosoviétique, on n’en finirait pas…Comme on sait dans le dernier pamphlet Céline a compris que le problème français est insoluble, plus fort que prévu, et que « bouffer du juif ne suffit plus » ! Il était temps Ferdinand !

Qui a envie de bouffer du Zemmour, du Toubiana, du Kunstler, du Greenwald ? En pourcentage il y a plus de juifs que de goys antisystèmes. 10% dans un cas, un pour dix mille dans l’autre.

Un autre antisémite qui a enfin compris les Français c’est Drumont. Et dans son Testament, très supérieur à la France juive, il écrivait le vieil Edouard :

« Quand les conquérants germains et francs qui, unis aux purs Gaulois et aux Celtes, constituèrent véritablement la France eurent perdu leur vigueur, l'élément gallo-romain l'emporta, la race latine reprit le dessus; or, cette race est faite pour la tyrannie, puisqu'elle n'a aucun ressort de conscience ; elle adore une idole imbécile, une idole de marbre ou de plâtre qu'on appelle la Loi, et au nom de cette Loi, elle subit tout. »

Ensuite Drumont l’explique cette ludique loi gallo-romaine :

« La Loi, c'est le licteur qui vient de la part de César annoncer au citoyen romain qu'il est condamné à mourir, mais qu'on lui laisse le choix du supplice ; c'est le gendarme de la Révolution qui vient parfois tout seul arrêter cinq ou six personnes et qui les conduit au Luxembourg ou à la Conciergerie, où un autre gendarme vient les chercher pour les conduire à la guillotine. Jamais il n'est entré dans la cervelle de ceux qu'on arrêtait ainsi, l'idée de commencer par tuer le gendarme. C'est là un spectacle extraordinaire et il n'y a jamais qu'en France qu'un gouvernement ait pu s'appeler, comme par une désignation constitutionnelle: la Terreur. »

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Revenons à Céline et à la docilité du colonel de gendarmerie cité plus haut :

 « Les Français subiront leur sort, ils seront mis, un jour, à la sauce vinasse... Ils le sont déjà. Pas d'erreur!... Le conquérant doit être sûr de ses esclaves en tous lieux, toujours en mains, sordidement soumis, il doit être certain de pouvoir les lancer, au jour choisi, parfaitement hébétés... dociles... jusqu' aux os... gâteux de servitude, dans les plus ronflants, rugissants fours à viande... sans que jamais ils regimbent, sans qu'un seul poil de ce troupeau ne se dresse d'hésitation, sans qu'il s'échappe de cette horde le plus furtif soupçon de plainte... »

C’est lui qui qualifie nos monuments aux morts de lourds dolmens de la docilité…

Source:

Nicolas Bonnal – Céline, le pacifiste enragé

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vendredi, 25 décembre 2020

Parution du n°436 du Bulletin célinien

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Parution du n°436 du Bulletin célinien

2020-12-BC-Cover.jpgSommaire :

Céline au Brésil. Entretien avec Amanda Fievet Marques

Proust vu et corrigé par Céline

Céline dans le Journal de guerre de Paul Morand

La visite de la Beat Generation à Céline

Évelyne Pollet rééditée à Céline.

Mauriac et Céline

Arrivera-t-il à Mauriac ce qui est arrivé à d’autres écrivains ? Deux ans avant sa mort, il écrivait : « À force de ne pas mourir, le romancier que je suis a été peu à peu recouvert par le journaliste, que certes je ne renie pas : il n’est pas impossible que le Bloc-notes ou les Mémoires intérieurs seront consultés encore à une époque où nul ne songera plus à ouvrir mes romans. »   Ainsi  de Voltaire qui pariait sur ses tragédies alors que c’est sa correspondance que nous lisons. Et Candide qu’il considérait comme une pochade. Même chose pour Mauriac : on ne lit plus guère le romancier des tourments entre la religion et la chair. Mais, cinquante ans après sa mort, l’atticisme, parfois corrosif, du chroniqueur s’apprécie toujours autant. Ce Bloc-notes (1952-1970) était épuisé depuis plusieurs années. Jean-Luc Barré, qui dirige la collection “Bouquins”, a eu la bonne idée de le rééditer. Il en signe aussi la préface, connaissant bien le sujet pour avoir publié une biographie de Mauriac qui révéla au grand jour son homosexualité refoulée. Ce qu’avait subodoré Céline qui voyait en lui « un rongé pédé qui n’a jamais osé ». Au-delà de l’actualité politique, le bloc-notes peut se lire comme on savoure, mutatis mutandis, les mémoires de Saint-Simon. On y trouve un Mauriac gambadant en toute liberté, bien plus libre qu’il ne l’est dans ses romans. Il n’y est jamais question de Céline si ce n’est pour paraphraser les titres de deux de ses livres : Voyage au bout de la nuit (7 avril 1956) à propos du gouvernement de Front républicain, et Bagatelles pour un massacre (13 février 1958) sur le bombardement de représailles d’un village tunisien en réponse à l’attaque d’un avion français. C’est tout et c’est peu. Il est vrai qu’il est difficile d’imaginer deux personnalités aussi dissemblables. Cela avait pourtant bien commencé : en décembre 1932, deux phrases (pourtant réticentes) de Mauriac sur Voyage dans le très lu Écho de Paris ¹, suivies apparemment d’une lettre plus sensible, lui avaient valu une belle réponse : « Vous venez de si loin pour me tendre la main qu’il faudrait être bien sauvage pour ne pas être ému par votre lettre. » ²  Les choses s’envenimèrent par la suite. Mauriac, quoique partisan de la clémence envers les épurés, exprima des jugements hérissant Céline. Belle lettre d’insultes en retour : « Oh Canaille mais oui vous êtes ! Canaille par tartufferie, messes noires, ou connerie on ne sait ! ». Il lui envoie aussi une virulente dédicace au verso d’une reproduction du dessin de L’Illustré National. Avec une allusion à la fameuse dédicace au lieutenant Heller de la Propagandastaffel. Avant-guerre, Ramón Fernandez avait emmené Mauriac rue Lepic rencontrer l’auteur de Voyage. Répulsion instinctive : « Il faisait mante !… exactement !… (…) des gestes d’insecte… » Il le verra surtout « bicot de race ». Le fait que Mauriac critiquait dans L’Express la politique coloniale de la France n’arrangea pas les choses. Mais Céline n’avait-il pas déjà tout dit en 1933 ? « Rien ne nous rapproche, rien ne peut nous rapprocher ; vous appartenez à une autre espèce. »

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• François MAURIAC, Le Bloc-notes, 1952-1962 & 1963-1970, Robert Laffont / Mollat, coll. “Bouquins”, 2020, 2 volumes de 1290 & 1324 pages, index, préface de Jean-Luc Barré, édition établie et annotée par Jean Touzot.

  1. 1) Article reproduit in André Derval (éd.), 70 critiques de Voyage au bout de la nuit, 1932-1935, Imec Éditions, 1993, pp. 109-112.
  2. 2) Cette lettre, celle de 1948 et la dédicace de L’Illustré national  sont reprises dans le volume Lettres de la Bibliothèque de la Pléiade (Gallimard, 2009).

mardi, 24 novembre 2020

Parution du n°434 du Bulletin célinien

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Parution du n°434 du Bulletin célinien

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Sommaire :

Isak Grünberg, premier traducteur de Céline en allemand [II] 

Christian Prigent et Céline

Quand André Balland voulait rééditer les pamphlets

Charles-Antoine Cardot nous a quittés

Céline dans Les Lettres françaises (suite)

Henri Guillemin face à Céline

Nos amis écrivent…

 

 

Céline et le cinéma

Le livre part d’un constat : tous les classiques de la littérature ont un jour été portés à l’écran. …Sauf Voyage au bout de la nuit. Émile Brami, qui connaît bien le sujet pour l’avoir déjà traité dans la revue Études céliniennes, lui consacre un petit volume illustré d’une quarantaine de photographies. Dans la première partie, il retrace toutes les tentatives avortées d’adaptation au cinéma. La presse des années trente est truffée d’échos comme celui-ci :

« Louis-Ferdinand Céline est parti mercredi pour l’Amérique par le Champlain. L’auteur de Voyage au bout de la nuit est attendu par les milieux littéraires de New York où la traduction de son livre connaît un vif succès. De là, L.-F. Céline partira par avion pour Hollywood afin de s’occuper de la mise en scène de son ouvrage dont Jacques Deval vient de négocier l’adaptation avec une firme d’éditions cinématographiques » (Le Populaire, 22 juin 1934).

Hélas pour Céline, ce projet ne verra pas le jour.  Mais sans doute en est-il mieux ainsi. Michel Audiard, qui caressa longtemps l’espoir d’adapter Voyage, se félicitait finalement que le film n’eût jamais vu le jour : « …La littérature à ce niveau-là, on ne peut que saloper le coup. » La force et l’originalité du roman vient en effet de son écriture, d’où la difficulté de la transposition. Les autres livres de Céline n’ont pas davantage été adaptés à l’écran. Or, comme le rappelle l’auteur, les tentatives furent nombreuses : de Fellini à Leone en passant par Gance, Duvivier, Autant-Lara, Godard, Pialat, Dupeyron et tant d’autres. Émile Brami se penche sur les raisons qui rendent toute adaptation de Voyage périlleuse, ainsi que sur la possibilité d’adapter les autres romans de l’auteur. Restent les transpositions visuelles alternatives, telle la bande-dessinée même si les tentatives ne furent pas toujours concluantes. Jacques Tardi opta d’ailleurs pour l’illustration alors qu’antérieurement il adapta avec bonheur d’autres romans. Ce dont on est certain c’est que Céline, lui, avait tiré les leçons du cinéma : « Les écrivains d’aujourd’hui ne savent pas encore que le cinéma existe !…  et que le cinéma a rendu leur façon d’écrire ridicule et inutile… péroreuse et vaine !… (…) leurs romans ne sont plus que des scénarios plus ou moins commerciaux, en mal de cinéastes !… »  On sait qu’il appréciait surtout le cinéma muet.  Cela remontait à l’époque où sa grand-mère, Céline Guillou, l’emmenait voir Le Voyage dans la lune de Méliès. Il révérait aussi Max Linder, Buster Keaton et Chaplin (celui d’avant le cinéma parlant). Plus tard, il fréquenta le milieu du cinéma au point de faire une figuration dans un film de Jacques Deval, Tovaritch (1935), tiré de sa pièce éponyme. Deux ans plus tard, l’auteur de Bagatelles pour un massacre polémiquait avec Jean Renoir dont il détestait La Grande Illusion ainsi que, d’une manière générale, le progressisme bêtifiant que l’on retrouve dans les films français des années trente. C’est aussi dans ce pamphlet que l’on trouve un portrait féroce, “avant la lettre”, de Harvey Weinstein, figure emblématique de ce que Céline nommait « Hollywood la juive ». Émile Brami cite d’ailleurs un large extrait de Bagatelles qui en témoigne. C’est dire si son livre est exhaustif.

• Émile BRAMI. Louis-Ferdinand Céline et le cinéma (Voyage au bout de l’écran), Écriture, 2020, 208 p., ill., index des noms cités.


On regrette l’absence d’une bibliographie qui recenserait les études antérieures sur le sujet, dont celles d’Éric Mazet (Études céliniennes, 2009 & L’Année Céline 2013 & 2014), d’Alain Cresciucci (Céline à l’épreuve,  2016) et d’Alain et Odette Virmaux (Cinématographe, novembre 1986).

mardi, 03 novembre 2020

Le Bulletin célinien, n°433

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Le Bulletin célinien - n°433

2020-10-BC-Cover.pngSommaire :

L’éternel retour des maudits

Céline (et quelques autres) dans les premiers numéros des Lettres françaises (1942-1949)

Actualité célinienne

Censure

La question de la réédition des pamphlets est (en partie) réglée puisqu’on dispose de l’édition critique sortie au Québec en 2012. Le paradoxe étant que, pour une question de copyright, cette édition est à la fois interdite à la vente en France et louée par l’exécuteur testamentaire qui était même disposé à la republier chez Gallimard. Différentes associations ont fait capoter le projet. Il est navrant qu’un céliniste de renom se soit associé à cette censure. Sa péroraison consista à affirmer qu’il est superflu que ce corpus soit accessible ¹. En d’autres termes, ce spécialiste trouve parfaitement normal qu’il soit commenté dans des ouvrages de toutes sortes et en même temps qu’il demeure inaccessible au plus grand nombre. Il n’est pas le seul à côtoyer l’absurde. Sur une radio communautaire, un chroniqueur a eu cette phrase mémorable : « Il ne faut pas interdire les pamphlets mais il ne faut pas les publier non plus. ² » Le cas Céline n’est pas isolé. D’une manière générale, la censure en France gagne du terrain. Au nom de la morale, du féminisme, de l’antiracisme ou d’une nouvelle lecture de l’Histoire, certains prétendent s’interposer entre le public et les œuvres, s’arroger le droit de juger, de contextualiser ou d’interdire, comme s’il fallait guider nos choix. On constate également ce phénomène aux États-Unis où des minorités agissantes veulent interdire des livres, des films ou des conférences. La différence étant que, dans ce pays, la liberté d’expression (free speech) est protégée par le premier amendement de la Constitution. Alors qu’en France plusieurs lois encadrent cette liberté. On en arrive à cet autre paradoxe : le président de la République française a récemment rappelé le droit au blasphème alors qu’au même moment l’auteur de La Mafia juive et autres brûlots du même genre se voyait condamné à plusieurs mois de prison ferme pour délit d’opinion ³. Condamnation inconcevable aux États-Unis où l’on ne peut incarcérer quiconque pour ses idées,  aussi scandaleuses soient-elles. C’est dire si en démocratie deux conceptions différentes de la liberté d’expression peuvent exister. Le céliniste opposé à la réédition des pamphlets a décrété que « l’actualité de Céline n’est plus aujourd’hui d’ordre littéraire (comme elle l’a été dans les années 1980, avec la publication des romans dans la Bibliothèque de la Pléiade, la multiplication des essais critiques et des thèses universitaires) mais d’ordre politique ». C’est feindre d’ignorer que depuis ces années 80, Céline a continué à être édité dans cette collection prestigieuse (Féerie dans la décennie suivante et la correspondance en 2009) et que les études universitaires le concernant n’ont pas cessé de proliférer – à commencer par la sienne 4.

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La preuve que le cas Céline n’est plus littéraire mais politique est attesté, selon lui, par l’émoi suscité lors de la commémoration (prévue puis annulée) du cinquantenaire de Céline en 2011. Encore aurait-il fallu rappeler que ce retrait fut provoqué par une campagne de presse bien orchestrée. La même que celle visant, il y a deux ans, à tuer dans l’œuf l’initiative de Gallimard et de l’ayant droit.
  1. 1) Philippe Roussin, « Du rire au politique : de la bagatelle au massacre » in Céline et le politique (Actes du XXIIe Colloque international Louis-Ferdinand Céline, SEC, 2018.
  2. 2) Dixit Shlomo Malka dans son émission « Pont Neuf » sur Radio J, le 7 février 2020, qui avait pour invité Guy Konopnicki, auteur de… Il est toujours interdit d’interdire (Éd. Impact, 2020).
  3. 3) Déclaration de l’avocat franco-israélien Gilles-William Goldnadel : « J’ai le plus grand mépris pour M. Ryssen qui me le rend bien. Mais en matière de délit d’expression, rien ne justifie que l’on se retrouve en prison [sic]. »  (Breizh-Info, 25 septembre 2020). D’aucuns y ont vu de la duplicité.
  4. 4) Philippe Roussin, Misère de la littérature, terreur de l’histoire (Céline et la littérature contemporaine), Gallimard, coll. « Nrf Essais », 2005, 768 pages.

vendredi, 09 octobre 2020

Louis-Ferdinand CÉLINE : Faut-il distinguer l'oeuvre de l'homme ?

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Louis-Ferdinand CÉLINE :

Faut-il distinguer l'oeuvre de l'homme ? (2020)

 

mardi, 07 avril 2020

Semmelweis: pionnier de l'épidémiologie et héros de Céline

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Semmelweis: pionnier de l'épidémiologie et héros de Céline

Par Jacques DUFRESNE

Ex: https://metainfos.fr

Ignace Philippe Semmelweis (1818-1865). Voici le nom qui se présente avec le plus d’insistance à mon esprit dans le contexte des deux grands débats actuels : sur le virus covid-19 et sur la violence faite aux femmes. Il se trouve que ce «sauveur des mères» a eu un biographe de génie, lui aussi médecin des pauvres : Louis-Ferdinand Céline. Dans son Semmelweis, qui fut sa thèse de doctorat en médecine, soutenue en 1924, s’ébauche  un style qui s’accomplira huit ans plus tard dans le Voyage au bout la nuit, mais qui déjà, dans sa verdeur, transporte le lecteur dans une région de la vérité à laquelle aucun autre livre ne lui avait donné accès. Ce fut en tout cas mon expérience lors de ma première lecture à la fin de la décennie 1970. J’en suis à ma cinquième ou sixième lecture et je m’exclame de nouveau, avec plus d’enthousiasme encore que jadis : voici un livre qui devrait être une lecture obligatoire dans toutes les facultés de médecine !  J’ai lu quelques grandes biographies, parmi les œuvres de Plutarque, de Saint-Simon et de Stéphan Zweig notamment, aucune ne m’a donné autant que celle de Céline le sentiment de l’unité de l’auteur et de son sujet. Il m’est devenu impossible de les dissocier. Céline cite Semmelweis à quelques reprises, je me demande chaque fois s’Il s’agit vraiment d’une citation.

product_9782070755837_195x320.jpgJe n’hésite plus à mettre entre parenthèses tout ce qu’on sait au croit savoir sur l’antisémitisme de Céline, suivant en cela l’exemple de l’homme qui aurait eu le plus de raisons de jeter l’anathème sur lui, George Steiner, un juif bien formé et bien informé qui, au lieu de nier le génie là où il le voyait associé aux passions les plus funestes, s’inclinait devant le mystérieux scandale de leur coexistence dans un même être,  sans jamais exclure que, dans les mêmes circonstances , il aurait pu lui-même dériver vers les mêmes excès. Je reviens sur cette question dans un article distinct sur Steiner.

Semmelweis est celui qui, en 1848, quarante ans avant les découvertes de Pasteur sur l’infection par les microbes, a trouvé le remède à la plus tragique, la plus durable, la plus récurrente et la plus occultée des épidémies : celle qui, dans les grandes villes européennes du XIXème siècle notamment, frappaient les femmes pauvres réduites à accoucher dans les hôpitaux publics. Le taux de mortalité y était souvent de 40% et plus.

On ne sait plus qui de Socrate ou de Platon, il faut admirer le plus, tant le génie littéraire du second a contribué à la gloire du premier. Semmelweis a devant l’histoire la même dette à l’endroit de Céline que Socrate à l’endroit de Platon. Comparaison disproportionnée, m’objectera-t-on, l’œuvre de Platon est un sommet unique en son genre, tandis que la découverte de l’asepsie par Semmelweis, car c’est de cela qu’il s’agit, ne serait qu’un heureux événement parmi une foule d’autres semblables en médecine. Quand on a lu attentivement la thèse de Céline, on a au contraire et à jamais la conviction qu’il s’agit de deux plaidoyers en faveur de la même vérité, l’un au plus haut degré d’abstraction compatible avec la poésie, l’autre au ras du sol, comme dans les grands romans policiers mais jumelé à une poésie encore plus déchirante : celle de la compassion pour les malheureux.

« Semmelweis était issu d’un rêve d’espérance que l’ambiance constante de tant de misères atroces n’a jamais pu décourager, que toutes les adversités, bien au contraire, ont rendu triomphant. Il a vécu, lui si sensible, parmi des lamentations si pénétrantes que n’importe quel chien s’en fût enfui en hurlant. Mais, ainsi forcer son rêve à toutes les promiscuités, c’est vivre dans un monde de découvertes, c’est voir dans la nuit, c’est peut-être forcer le monde à entrer dans son rêve. Hanté par la souffrance des hommes, il écrivit au cours d’un de ces jours, si rares, où il pensait à lui-même : ‘’Mon cher Markusovsky, mon bon ami, mon doux soutien, je dois vous avouer que ma vie fut infernale, que toujours la pensée de la mort chez mes malades me fut insupportable, surtout quand elle se glisse entre les deux grandes joies de l’existence, celle d’être jeune et celle de donner la vie.’’ »[1]

Le Semmelweis de Céline est une chose unique dans l’histoire de la littérature. Tous les genres littéraires s’y entrelacent dans une harmonie impossible et pourtant bien atteinte : essai sur la méthode scientifique, roman policier, étude de caractères, évocation du génie des villes, histoire d’une époque et, à travers cette époque, témoignages saisissants sur la condition humaine. Quand on ferme le livre, on ne sait pas si l’on sort d’une fiction ailée ou d’un méticuleux rapport de laboratoire, d’une page de l’évangile ou d’une compilation de statistiques, mais on est sûr d’avoir fait quelque progrès dans l’inconnu de la vérité.

Semmelweis lui-même, comme Céline, est un être double, plein de compassion, mais aussi orgueilleux, intolérant et maladroit au point de nuire à ses propres recherches en se mettant inutilement à dos des collègues dont le soutien lui était nécessaire. Chercheurs du monde entier, en scaphandre, reliés par Internet et disposant d’ordinateurs tout puissants, la forme que prend aujourd’hui la recherche médicale, dans le cas des épidémies en particulier, rend très difficile pour nous de comprendre les génies solitaires du passé. Semmelweis fut peut-être le plus solitaire de tous. Et pour l’histoire des sciences telle qu’on la conçoit aujourd’hui, il n’a le mérite de la grandeur ni en tant que théoricien ni en tant que technicien : il ne fut qu’un observateur servi aussi bien par ses défauts, son orgueil, son entêtement que par ses qualités, son amour des vivants et son horreur de l’a peu près.

« L’ à peu près est la forme agréable de l’échec, consolation tentante…

Pour le franchir, l’ordinaire lucidité ne suffit pas, il faut alors au chercheur une puissance plus ardente, une lucidité pénétrante, sentimentale, comme celle de la jalousie. Les plus brillantes qualités de l’esprit sont impuissantes quand plus rien de ferme et d’acquis ne les soutient. Un talent seul ne saurait prétendre découvrir la véritable hypothèse, car il entre dans la nature du talent d’être plus ingénieux que véridique.

Nous avions pressenti, par d’autres vies médicales, que ces élévations sublimes vers les grandes vérités précises procédaient presque uniquement d’un enthousiasme bien plus poétique que la rigueur des méthodes expérimentales qu’on veut en général leur donner comme unique genèse.»[2]

De-Celine.jpgDans l’hôpital de Vienne où Semmelweis travaillait en tant qu’obstétricien, il y avait deux services de maternité, celui du professeur Bartch et celui du professeur Klin, dont il était l’adjoint. Après avoir éliminé une à une toutes les hypothèses, aussi farfelues les unes que les autres, rassemblées dans la littérature médicale de l’époque, il n’avait plus comme point de départ de son enquête qu’un seul fait : les femmes mouraient plus dans le service de Klin que dans celui de Bartch. Une différence entre les deux sautait aux yeux : dans le pavillon de Bartch le service était rendu par des sages-femmes, dans celui de Klin par des internes. Il a suffi à Semmelweis de signaler ce fait pour se mettre à dos et son patron et bon nombre de ses collègues. Il a en outre exigé avec une insistance incorrecte que les internes se lavent les mains entrant dans le pavillon de Klin; ce dernier, pour qui une telle précaution paraissait dénuée de tout fondement scientifique, le congédia. Les protecteurs de Semmelweis, car il en avait quelques-uns à Vienne, organisèrent pour lui un repos de deux mois à Venise, où il se rendit avec son ami Markusovsky. La merveille ici c’est la façon dont Céline, dans son roman biographique, raconte le séjour de Semmelweis et y voit le prélude à ses découvertes futures.

«Jamais Venise aux cent merveilles ne connut d’amoureux plus hâtif que lui. Et cependant, parmi tous ceux qui aimèrent cette cité du mirage, en fut-il un plus splendidement reconnaissant que lui ?

Après deux mois passés dans ce grand jardin de toutes les pierres précieuses, deux mois de beauté pénétrante, ils rentrent à Vienne. Quelques heures seulement se sont écoulées quand la nouvelle de la mort d’un ami frappe Semmelweis. Semblable cruauté du sort n’est-elle point normale dans sa vie ? »[3]

Le malheur n’a laissé aucun répit à Semmelweis. Il avait peu de temps auparavant perdu sa mère et son père. À son retour à Vienne, il apprend la mort de son meilleur ami, Kolletchka. Cette mort, comment se fait donc la science?  enfermait la preuve que cherchait Semmelweis. Kolletchka s’était blessé à un doigt en pratiquant une autopsie : la vérité se dévoilait tragiquement : une quelconque particule cadavérique avait contaminé le sang de cet homme. Les internes transportaient cette substance dans les entrailles des mères. Semmelweis eut droit à un nouveau poste à son hôpital, cette fois dans le service de Bartch. Dans le but de préciser le contour de sa preuve, il obtint de son patron que les sages-femmes soient remplacées par des internes le temps d’une expérience. Le taux de mortalité s’accrut immédiatement. Semmelweis appliqua alors la solution technique qu’il avait à l’esprit depuis un moment : avant chaque intervention, obliger les sages-femmes et les internes à se laver les mains avec une solution de chlorure de chaux. Le taux de mortalité descendit à son niveau actuel.

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Il existait toutefois d’autres causes d’infection que les particules cadavériques. Ces causes ne manquèrent pas de se manifester en certaines occasions. Les adversaires de Semmelweis les invoquèrent pour achever de discréditer leur collègue et l’empêcher de progresser dans la défense de sa thèse. Semmelweis devait tenter par la suite de rallier les plus grands médecins d’Europe à sa cause. Peine perdue, la plupart d’entre eux, y compris le grand Virchow, ne répondirent même pas à ses lettres.

Voici le diagnostic de Céline sur cette infection de la raison humaine par les passions. 

« ‘’S’il s’était trouvé que les vérités géométriques pussent gêner les hommes, il y a longtemps qu’on les aurait trouvées fausses.’’ (Stuart Mill)

Ce philosophe, tout absolu qu’il paraisse, demeure cependant bien au-dessous de la vérité, voici la preuve. La plus élémentaire raison ne voudrait-elle pas que l’humanité, guidée par des savants clairvoyants, se fût pour toujours débarrassée de toutes les infections qui la meurtrissaient, et tout au moins de la fièvre puerpérale, dès ce mois de juin 1848 ? Sans doute.

Mais, décidément, la Raison n’est qu’une toute petite force universelle, car il ne faudra pas moins de quarante ans pour que les meilleurs esprits admettent et appliquent enfin la découverte de Semmelweis.»

Déchiré par la contradiction entre l’amour de ses patientes et l’impuissance déraisonnable de sa profession, Semmelweis perdit le reste de prudence qu’il avait en réserve. Il tenta de dresser l’opinion publique contre ses collègues en les traitant de criminels sur des affiches. « Assassins ! je les appelle tous ceux qui s’élèvent contre les règles que j’ai prescrites pour éviter la fièvre puerpérale. »[4] Il sombra ensuite dans une démence aussi ardente que l’avait été son amour de la vérité et des mères : il fit un jour irruption dans une salle de dissection, s’empara d’un scalpel, trancha les chairs d’un cadavre et se blessa à une main. Il s’ensuivit une infection semblable à celle qui avait emporté Kolletchka, mais plus violente et plus longue.

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La démence de Semmelweis inspira à Céline, sur la maladie mentale, quelques pages qui portent la marque de son génie comme tant d’autres dans son livre.  Savoir raison garder ! La raison, qu’il assimile au bon sens, est cette limite, cette chaîne, qui tempère en nous une intelligence capable de toutes les démesures.

« Rapidement il devint le pantin de toutes ses facultés, autrefois si puissantes, à présent déchaînées dans l’absurde. Par le rire, par la vindicte, par la bonté, il fut possédé tour à tour, entièrement, sans ordre logique, chacun de ses sentiments l’agissant pour son compte, paraissant uniquement jaloux d’épuiser les forces du pauvre homme plus complètement que la frénésie précédente. Une personnalité s’écartèle aussi cruellement qu’un corps quand la folie tourne la roue de son supplice.[…] Semmelweis s’était évadé du chaud refuge de la Raison, où se retranche depuis toujours la puissance énorme et fragile de notre espèce dans l’univers hostile. Il errait avec les fous, dans l’absolu. »

Semmelweis avait participé dans une euphorie excessive et irresponsable à la révolution hongroise de 1848. Pensant aux poètes de la même époque, romantique, Céline rappelle ensuite les risques de la fuite dans l’irrationnel. « S’ils se doutaient, les téméraires, que l’enfer commence aux portes de notre Raison massive qu’ils déplorent, et contre lesquelles ils vont parfois, en révolte insensée, jusqu’à rompre leurs lyres ! S’ils savaient ! De quelle gratitude éperdue ne chanteraient-ils point la douce impuissance de nos esprits, cette heureuse prison des sens qui nous protège d’une intelligence infinie et dont notre lucidité la plus subtile n’est qu’un tout petit aperçu. »[5]

N’en faisons pas une théorie. Céline écrivain éclipse ici Céline psychiatre. Retenons toutefois qu’avant lui Platon et Aristote avaint rattaché l’idée de raison à celle de limite et à arrêtons-nous à la pertinence de ce livre dans le contexte actuel. Semmelweis était un solidaire. Modeste sur le plan théorique par rapport à celles de Pasteur et de Virchow plus tard dans le même siècle, sa découverte, celle de l’asepsie, n’en n’est pas moins l’une des plus importantes de l’histoire de la médecine et elle a l’avantage par rapport à la plupart des découvertes postérieures de donner lieu à des applications qui ne coûtent rien, qui présentent le meilleur rapport coût/efficacité dont on puisse rêver. Rappelons aussi que Semmelweis a jeté les bases de ce qu’on appellera un siècle plus tard la médecine basée sur les faits.

Le même chercheur solitaire aurait sans doute été heureux de disposer des technologies et des moyens de communications offerts aux chercheurs d’aujourd’hui, mais on peut aussi se demander si la médecine ne se prive pas d’occasions de grandes découvertes en misant trop exclusivement les technologies de pointe. Faut-il exclure qu’il y ait dans le cas du cancer, de la maladie d’Alzheimer ou de tel ou tel virus grippal des causes échappant aux radars les plus sophistiqués, des causes simples que seul pourrait découvrir un génie rassemblant tous les facteurs de réussite que Céline a su repérer dans la vie et le caractère de Semmelweis. C’est parce qu’Il se posait les mêmes questions que, dans un livre intitulé Chercher, René Dubos, celui à qui l’on doit la découverte du premier antibiotique, se prononça en faveur de la recherche dans les petites universités comme complément à la recherche dans les grands instituts. Voici ce qu’il a observé dans les petites universités du Middle West : « Ce qui m’impressionne, c’est le nombre de jeunes gens à l’esprit très ouvert de qui sortiront les idées les plus originales, les plus inattendues, alors que si vous allez à Harvard, ou à l’Institut Rockefeller, vous trouverez des gens admirables, mais qui se sont engagés dans une voie dont ils ne pourront pas sortir.»[6]


[1]Louis-Ferdinand Céline, Semmelweis, Gallimard, Paris 1990, p. 81-82.

[2] Ibid., p.80

[3] Ibid., p.74

[4] Ibid., p.111

[5] Ibid., P.121

[6] René Dubos, Jean-Paul Escande, Chercher, Éditions Stock, 1979, p.55

SOURCE : http://encyclopedie.homovivens.org/

lundi, 16 mars 2020

Four French Collaborationists: Châteaubriant, Céline, Drieu, Brasillach

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Counter-Currents Radio Podcast No. 264
Four French Collaborationists:
Châteaubriant, Céline, Drieu, Brasillach

 

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This is a lost London Forum talk by Michael Walker on four French artists of the Right: Alphonse de Châteaubriant, Louis-Ferdinand Céline, Pierre Drieu La Rochelle, and Robert Brasillach. If anyone has details about when this talk was given, please post a comment below.

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“Homage to Robert Brassilach”
Michael Walker

Comme le temps passe
Robert Brasillach

My homage is for the way you lived to die
That I a coward cannot emulate
You knew and wrote
Reason turns malevolent
after childhood disperses
And slumps into mature consideration
You could not have lived with yourself after failing.
So the leaden sentence was a gift
Better to die as you died
In the fluency and grace of certainty and light
Like poor Pucelle
Than grapple with compromise and penance
To win years in retirement and shame
Dying defiant
Sin pañuelo
The Castilian way.
Happiness a bagatelle
To a fascist
Dying well essential
Dying well redeems
The quintessence
Not delaying
Nor complaining
Nor dreading
Unbitter witness
The theatrical end
Many shrink and strive to safety
Delay complain and dread
And run away and hide
And sacrifice their pride for a
Doubtful grace
Not you a thief or cheat
Perhaps a busy undertaker
Coffins lined in neatly ordered rows
“The Bubonic East has
Broken out” –the facts
Every issue packed and bracketed
Childhood spoilt and spilled
Venom packed away in lofts or cellars
Then taken out and filmed
Nothing like that within you
So they held their tryst with you
Many shrink and strive to safety
They show their heads
Where they fear no censure
The dumb speak no treason
The illiterate pen no error
They called you traitor and acolyte to murder
But no betrayal was within you
Those
Who mattered to you
Will wait and wait
Carlists on horseback
Ragamuffin Spain
The islands of childhood
You walk to them
Punctual formal and correct
In the fields of your Great Faith
Le paradis terrestre
Martyr’s etiquette at the shore
Running and returning
Your last breath faithful
Hear the sea roar

Comme le temps passe
Robert Brasillach

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dimanche, 15 décembre 2019

La mort de L.-F. Céline de Dominique de Roux

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La mort de L.-F. Céline de Dominique de Roux

par Juan Asensio

Ex: http://www.juanasensio.com

Autres saines lectures:

Louis-Ferdinand Céline dans la Zone.

Dominique de Roux dans la Zone.

Mâles lectures.

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Je ne suis pas suffisamment versé dans la célinologie pour savoir quel accueil a été réservé au court texte que Dominique de Roux a consacré au grand écrivain en 1966, cinq années après la mort de ce dernier, mais je doute qu'il ait été goûté exagérément, si nous considérons, par exemple, les réserves qu'exprime le préfacier de ce texte, Jean-Marc Parisis, notamment sur la question juive, cette pierre d'achoppement, ce scandale des scandales sur lequel butent tous les lecteurs, sots ou érudits, de bonne ou de mauvaise foi, de Céline, mais pas vraiment Dominique de Roux, qui compare explicitement la situation de l'auteur du Voyage au bout de la nuit à celles des Juifs lorsqu'il écrit ainsi que : «Sur la ligne de passage du dernier mot, au moment où il ne lui restait plus qu'à choisir le risque du suicide, dans cette fatalité du voisinage de la mort, où il rejoignait ainsi les limites de la condition juive dans le monde, son état absolument décharné l'amena au Sundby Hospital» (1). Absolument pas honteux d'avoir utilisé une telle image, Dominique de Roux, à la toute dernière page de son texte, écrira même de Céline qu'il sera porté en terre «dans l'horreur de ce jour sans ombre, comme le Juif au visage de supplicié sur le chemin de sa libération» (p. 192).

Il me semble somme toute assez vain et peut-être même sot, comme le fait Jean-Marc Parisis encore, de reprocher à Dominique de Roux le fait qu'il aurait écarté l'antisémitisme de Céline, ou même que son propos aurait valu absolution, même s'il est vrai qu'à la parution de l'ouvrage, tout un tas de belles âmes (ainsi de Jean-Pierre Faye) ont automatiquement rangé l'auteur dans le rang assez fourni tout de même des fascistes, avec Léon Daudet, ce qui est une prodigieuse stupidité, et Lucien Rebatet, ce qui l'est certes moins. Figurant Céline en Juif immémorial, «une fois entendu qu'il porterait les fautes de la multitude» (p. 43), Dominique de Roux, d'une certaine façon, prend le difficile point de vue surplombant que lui autorise, du moins à ses yeux, la littérature ou plutôt : l'état de la littérature au moment où il écrit son livre, état qui n'a cessé, depuis cette époque, d'empirer car il est désormais parfaitement clair que la «parole littéraire n'a plus de sens» puisque «écrire, et plus encore écrire en français, semble être la projection de quelque déchéance, d'un total échec de soi-même (p. 29). L'apparition cataclysmique de Céline, dans une société où «règnent le notariat le plus sec et le style littéraire de la petite mesure» (p. 33) peut, dès lors, être interrogée à bon droit, Dominique de Roux allant même jusqu'à se demander s'il a réellement existé car, «en notre époque déjà de transhistoire, tout apparaît sans date et sans généalogie dans le cours de la médiocrité au pouvoir, et toute interrogation apporte avec elle une fatigue de mort» (p. 30).

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Quelle est l'évidence souveraine que rappelle Louis-Ferdinand Céline, et que nous faisons absolument tout ce qu'il faut pour l'oublier ? Qu'écrire, «ce n'est ni faire carrière ni prolonger ses humanités» puisqu'il faut avoir la force de «ne servir que sa vision» (p. 39) ou, en tout cas, le courage de quitter un pays fini, en émigrant à «Stromp-River, à New Brighton, comme quartier-maître à bord de l'Œdipus-Tyrannus, loin des slogans sur les volailles de France», puisque «ceux qui veulent écrire dans l'indépendance y trouveront un langage au-delà de toute frontière» (p. 38).

Malcolm Lowry n'est pas le seul grand écrivain, véritable possédé du langage capable, «torche au front», de «soulever le monde» (p. 41) en s'appuyant sur les mots, que cite Dominique de Roux. Si l'ambition de Céline a consisté à «s'insurger, défendre une cause au moyen d'un langage dru et violent» et, l'idée reviendra souvent tout au long de ces pages elles-mêmes fiévreuses, de «dépasser la littérature» (p. 59), nul doute que d'autres horribles travailleurs ne l'ont précédé, comme Rimbaud, le voyant prodigieux, celui qui sait et qui «ne revint jamais parler de son voyage» (p. 78) même s'il faut remarquer que Céline, contrairement au poète tutélaire, abandonne la vie pour la littérature (cf. p. 90). Quoi qu'il en soit, Céline, comme les poètes d'avant-guerre selon Dominique de Roux, doit se brûler, tous sordides et extatiques à la fois, guéris de la raison (cf. p. 123), obéissant à l'impératif catégorique selon lequel les «écrivains doivent se perdre» vu que «la réussite tend à avilir» (p. 129). C'est ainsi que Céline, «sous sa cape mauve, avec son grand nez, son apparence massive», ne poursuit en fait que «son propre anéantissement» (p. 131).

«Messager de l'intégral» (p. 140), Céline est «un homme à signaux, c'est tout, aussi seul qu'une veuve en marche, vers la vallée de Josaphat» (p. 133), appartenant à la communauté des maudits, autrement dit des poètes (des vrais poètes) qui «ont justement pour rôle de prophétiser, et de rappeler le souvenir du paradis et de l'enfer». Suit ce beau passage valant définition : «Leur mission est de vivre le mythe, de rejoindre au moyen de symboles la perception d'un ordre superhistorique, d'un ordre invisible qu'eux-mêmes n'ont peut-être pas vu» (p. 147).

Nous comprenons mieux pour quelle raison, sordide aux yeux des prudents et des lecteurs pressés ou mal dégrossis, Dominique de Roux a pu faire de Louis-Ferdinand Céline non seulement un Juif mais LE Juif, s'il est vrai que, dans une Europe sortie dévastée par deux conflits mondiaux, les écrivains, du moins ceux auxquels l'auteur accorde ce titre princier (Joyce, Artaud, Pound, Rimbaud nous l'avons vu mais aussi Faulkner), ont payé le tribut le plus lourd : «l'étrange animal qu'est un poète livré au regard des femmes (2), aux rires enfantins, à ces couples, à cette populace, à ce racisme, aux railleries que provoque sa souffrance !» (p. 167).
 

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Si le Juif est l'ostracisé, le maudit absolu marqué du sceau de l'infamie depuis des siècles, nul doute que l'écrivain réel, celui qui jamais ne craindra de plonger dans les eaux profondes du langage pour en ramener du nouveau, sera celui qui scandalisera et qui scandalisera, d'abord, parce qu'il n'aura pas craint de toucher au langage, de lui insuffler sa propre irrépressible panique, le faisant lever comme une pâte, le gorgeant de visions qui, sans rire, seraient bien capables de le faire craquer, exploser : c'est ainsi que Céline au Danemark, selon son exégète fiévreux, souffre de la prison, de l'exil mais, surtout, de son «grave regret du langage, obligé qu'il était de se taire ou de murmurer ce français subtil, fragile, emporté avec lui dans sa panique» (p. 158), et laissé, peut-être, sur un rivage inconnu qui n'est plus tout à fait la littérature mais quelque chose d'autre, quelque chose d'autre «dont la conception souterraine avait régi l’œuvre en marche de Joyce, d'Artaud, d'Ezra Pound» (p. 169).

Dans ce lieu que peu ont vu de loin et que si peu ont foulé, «tout l'appareil de la presse, tout le poids de l'édition, la malveillance des libraires, une telle inquisition» (p. 171) n'ont plus la moindre portée contre les voyants qui se sont volontairement écartés de la «carrière de l'homme de lettres [qui] ne demande ni audace ni supériorité» puisqu'elle «tient à tant de ruses infimes, que le premier venu peut se hisser et mystifier le public avec la complicité de la mode» (p. 184), dans ce lieu-là, Céline, et une poignée de ses frères suppliciés se tiennent le plus loin possible de «la race des esprits prostrés» car ils travaillent «pour l'au-delà de la Révolution» et organisent «la stratégie de l'Apocalypse» (p. 194) dont nous ne savons que peu de choses, si ce n'est qu'elle sera, aussi, d'abord peut-être, le grand chambardement du langage avachi.

Notes
(1) Dominique de Roux, La mort de L.-F. Céline (avant-propos de Jean-Marc Parisis, La Table Ronde, coll. La petite vermillon, 2008), p. 164.

(2) Dominique de Roux n'oublie jamais de mentionner les compagnes de Céline. Si les poètes ont pour rôle de «prophétiser, et de rappeler le souvenir du paradis et de l'enfer» (p. 147), les femmes, elles, possèdent «la gloire sereine» qui consiste à «apporter au monde des morts d'une nudité absolue, sans trêve, le combat d'un cœur vivant» (p. 146).

mercredi, 23 octobre 2019

Les trois derniers numéros du Bulletin célinien

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Les trois derniers numéros du Bulletin célinien

Numéro 422:

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In memoriam Frédéric Monnier

Mort à crédit traduit en vietnamien

Céline, romancier de l’oubli

L’interview de Céline dans Europe-Amérique.

Frédéric Monnier

Il se savait condamné depuis plusieurs années et faisait face à la maladie avec un courage magnifique. J’ai fait sa connaissance il y a quarante ans lorsque Pierre publia son Ferdinand furieux avec 300 lettres inédites de Céline. Frédéric, lui aussi fervent admirateur de l’écrivain, suivit la trace de son père en se faisant l’éditeur de Céline dans les années 80. Il commença modestement en publiant, sous la forme de plaquettes, Chansons, puis un scénario de ballet, Arletty jeune fille dauphinoise, avant de s’attaquer à la correspondance de Céline, éditant celle-ci de manière rigoureuse et soignée. C’est ainsi que, grâce à lui, nous disposons  de la correspondance à ses avocats (Naud et Tixier-Vignancour), à Joseph Garcin et enfin au traducteur hollandais de Céline, J. A. Sandfort. Faut-il préciser que ces éditions sont aujourd’hui très recherchées par la nouvelle génération de céliniens ?  Les premiers livres qu’il a édités le furent sous l’égide de La Flûte de Pan, librairie musicale, sise rue de Rome à Paris, dont il fut le fondateur et qui s’avéra une belle réussite professionnelle. Ses dernières années furent consacrées à une enquête minutieuse sur son arrière grand-oncle, Marius Mariaud, figure méconnue du cinéma muet. Le livre, édité l’année passée par l’Association Française de Recherche sur l’Histoire du Cinéma, est un modèle de recherche historiographique. Durant quatre ans Frédéric y apporta tout le soin et la persévérance dont il était capable. Cet ouvrage, qui fera date, constitue une manière de testament. « Il s’agissait moins ici de réhabiliter un auteur que de montrer ce qu’a été le parcours d’un homme qui a participé à la grande aventure créatrice de son temps et qui a fini sa vie dans le dénuement et l’oubli », écrit-il en conclusion. Sans lui,  seuls quelques cinéphiles pointus connaîtraient l’œuvre de ce pionnier ¹.

Lorsqu’on évoque sa mémoire, il importe  de  relever  cet humour pince-sans-rire  apprécié par ses amis. Et qui est apparu très tôt si l’on en juge par les souvenirs de son père : « Frédéric a huit ans et demi. Il est impassible, il écoute et sourit à peine… En classe, il est très sage, il travaille peu, parle peu, sauf pour dire par moment et sans broncher, une énormité. On l’appelle Buster Keaton. Ce soir, visite de notre ami Frédéric Pons, prof à Louis Le Grand. Homme de haute taille avec un fort accent biterrois et un crâne chauve et pointu. Il prend Frédéric dans ses bras… “Et toi, petit Frrrdérrric, tu ne me dis rien ?…” …Frédéric pose sa main sur le crâne chauve et dit : “Oh !… la belle petite poire à lavement…” ». Et l’auteur d’ajouter : « Les parents disparaissent lâchement dans la cuisine… ». Sur la même page, Pierre Monnier conte d’autres anecdotes révélatrices de l’esprit déjà facétieux du fiston ².

Frédéric n’était pas un admirateur frileux de Céline. À un ami qui désapprouvait l’attitude de l’exilé rendant son éditeur responsable de la réédition des pamphlets pendant la guerre, il répondait : « Je pense au contraire que, pour se défendre dans un procès politique, ces coups-là sont permis. D’autant plus que Denoël était mort. » Bien entendu, il était à nos côtés au cimetière de Meudon lorsqu’en 2011, François Gibault, entouré de quelques autres admirateurs de l’écrivain, prononça une allocution à l’occasion du cinquantenaire de sa mort. Grand moment d’émotion… Avec Frédéric Monnier, nous perdons un ami fidèle ainsi qu’un homme de talent.

  1. Frédéric Monnier, Marius Mariaud. Itinéraire d’un cinéaste des Buttes-Chaumont au Portugal (1912-1929), Association française de recherche sur l’histoire du cinéma, 2018
  2. Pierre Monnier, Irrévérence gardée, Godefroy de Bouillon, 1999.

Numéro 421:

BCsept19.jpgSommaire :

Quand Céline se faisait siffler à Médan

La polémique de l’été 1957 dans l’hebdomadaire Dimanche-Matin

Quatre lettres de Paul Chambrillon à Albert Paraz 

Résurrection d’Eugène Dabit

Céline sur les ondes

Faut-il faire la fine bouche ?  Il n’est pas si fréquent qu’une série d’émissions sur Céline (5 volets, 9 heures au total) soit diffusée sur les ondes ¹. L’initiative est digne d’intérêt : on a droit à une foison d’opinions diverses, parfois contradictoires. Quelques bémols tout de même. Dès lors qu’il est question de Céline, il est inévitable que la question de l’antisémitisme soit abordée. Mais était-il nécessaire de lui consacrer deux parties sur cinq, sans compter la dernière, partiellement consacrée au procès, où il en fut à nouveau question ?  Lorsqu’une émission de cette série sera consacrée à Aragon, autant de temps sera-t-il voué à son engagement stalino-communiste ? Il est permis d’en douter. Ici pas moins d’une demi-douzaine d’historiens furent invités à donner leur avis sur le cas Céline ¹. La part consacrée à ce qui fait la grandeur de l’écrivain constitue la portion congrue ² .  L’essentiel  étant consacré à  l’idéologie, d’une part, et à la biographie, d’autre part. L’intitulé du premier volet, « Un génie monstrueux », surprend dans la mesure où il rappelle le titre auquel Hindus avait initialement songé pour le livre hostile qu’il publia à son retour du Danemark. Le ton est donné dès le départ : « Comment être tout cela à la fois ? Un génie de la littérature et un monstre de l’histoire ». Un monstre de l’histoire… Comme Hitler, Himmler ou Heydrich ? Mais on est prévenu : « Il ne s’agit pas de faire un procès à charge. » ³ Certains propos affirmés au cours de l’émission laissent songeur : ainsi, cet admirateur de l’œuvre qui relève « son absence de qualités humaines » (Assouline).  Ou cette agrégée de lettres qui renchérit : « Il manque à Céline une dimension humaine profonde qu’on est en droit d’attendre d’un romancier. » (Duraffour).  Ou cette historienne : « Contrairement à Sade (!), Céline a toujours été du côté du pouvoir » ( Simonin). Du côté de Blum, puis de Daladier lorsqu’il écrit ses brûlots ?  Du côté de Vichy qui fait interdire et saisir Les Beaux draps ?  Du côté de Bidault dont la magistrature le déclare en état d’indignité nationale ? Du côté de De Gaulle dont le ministre de l’Information censure une interview télévisée ? Voilà assurément une conception originale des relations de Céline avec le pouvoir de son époque. La diversité d’opinions retient en tout cas l’attention. On entend ceux qui sont pour la réédition des pamphlets (parfois  dans la Pléiade,  comme Jean-Paul Louis  ou  Stéphane Zagdanski)  et ceux qui sont résolument contre (tel Philippe Roussin). Lequel en appelle à la « responsabilité citoyenne », pas moins. Il y a ceux qui, tout en réprouvant un livre comme Bagatelles, y trouvent des passages très drôles (Tettamanzi, Klarsfeld (!), Alliot, etc.) et d’autres qui estiment au contraire scandaleux qu’on puisse rire. Mais lorsqu’il s’agit de “sauver” des passages du livre, on ne cite invariablement que les « moments poétiques » (dixit Taguieff), telle la description de  Saint-Pétersbourg  ou  l’évocation d’une vieille pianiste revenue d’exil. Céline conserve pourtant son génie verbal dans l’invective. C’est là qu’il est insupportable, cocasse et cinglant.

• « Louis-Ferdinand Céline, au fond de la nuit » (série “Grande traversée”). Production : Christine Lecerf. Réalisation : France Culture, 15-19 juillet 2019. À écouter sur www.lepetitcelinien.com.

  1. Johann Chapoutot, Annick Duraffour, Pierre-André Taguieff, Laurent Joly, Serge Klarsfeld, Odile Roynette et Anne Simonin.
  2. Il est révélateur à ce propos que Henri Godard ne s’y exprime qu’une seule fois durant quelques minutes.
  3. Propos recueillis par Simon Blin et Nicolas Celnik, « Céline : voyage au bout du nazisme ? », Libération, 14 juillet 2019.

Numéro 420

bc-juilaout19.jpgSommaire :

Céline et le Prix Goncourt

Robert Denoël défend Céline

Simlâ Ongan, traductrice de Mort à crédit

Vichy face aux Beaux draps

L’Odyssée de Ferdine

L’Année Céline

Envions ceux qui ne connaissent pas encore L’Année Céline. Que de découvertes passionnantes en perspective ! ¹ Nulle forfanterie de l’éditeur lorsqu’il présente sa revue comme « le premier outil de référence pour les amateurs et les chercheurs ». C’est indubitablement le cas. À propos de la dernière livraison, Éric Mazet écrit : « S’il n’y avait qu’une seule Année Céline à posséder, ce serait celle-ci. Mais j’ai la collection complète et je la garde précieusement ² ». Il n’est pas le seul. Peut-on d’ailleurs se dire célinien si l’on ne détient pas la trentaine de volumes édités chaque année depuis 1990 ? Comme à chaque fois, on peut y lire un ensemble de lettres de l’écrivain dont la plupart inédites. L’une date de la jeunesse du cuirassier Destouches, l’autre du début de carrière du médecin de dispensaire. On peut surtout y découvrir une quarantaine de lettres écrites en exil à son beau-père, Jules Almansor. Et quatre lettres au québécois Victor Barbeau, né la même année que Céline et décédé centenaire. Pièce maîtresse de ce volume : le Rapport de la police danoise après l’arrestation de Céline à Copenhague, traduit et présenté par François Marchetti, le meilleur connaisseur de cette période de la vie de l’écrivain. Également au sommaire : un relevé des articles citant Céline dans la revue L’Homme libre, deux textes de l’écrivain hollandais Cola Debrot, un dossier sur la réception critique de Mea culpa, et une analyse fouillée des sources inconnues de L’École des cadavres. Laquelle montre qu’une réflexion sérieuse sur les pamphlets ne peut faire l’économie de la littérature, ces écrits ne se limitant pas au combat idéologique. Une lecture purement  historienne  de ce corpus  ne peut dès lors aboutir  qu’à une impasse : « Cette lecture doit impérativement et nécessairement tenir compte de l’écriture, sans quoi elle rate son objet. »

Un mot sur la qualité formelle de cette série imprimée sur papier de qualité et brochée au fil. Le fait que l’éditeur en soit aussi l’imprimeur n’y est pas étranger. D’un bout à l’autre de la chaîne (composition, mise en page, impression et brochage), la totalité du travail est assurée par Jean-Paul Louis, artisan patenté. Pour le reste, on ne se lasse pas de dire notre dette envers lui. Je songe en premier lieu à la correspondance célinienne (Paraz, Canavaggia, Monnier, Hindus, anthologie de la Pléiade) dont il s’est fait l’éditeur scientifique ³. Dans l’appareil critique, il s’attache – et c’est rafraîchissant dans le cas de Céline – à ne pas porter de jugement moral, politique ou idéologique : « L’éditeur de correspondance n’est ni pour ni contre, il est avec (…) Proximité et distanciation ne sont pas contradictoires, mais complémentaires : se mettre à bonne distance pour ajuster sa vision, acquérir la plus grande netteté possible et transmettre le résultat de ses observations 4. »

• L’Année Céline 2018, Éditions du Lérot, 384 p., ill. (Diffusé par le BC, 45 € franco).

  1. En procédant à des réimpressions, l’éditeur fait en sorte que la série complète reste constamment disponible. Une table générale est prévue dans deux ans lors de la mise en œuvre du trentième numéro.
  2. Groupe “Actualité célinienne », fondé par Émeric Cian-Grangé, sur Facebook, 24 juin 2019.
  3. Jean-Paul Louis, Pour une édition de la correspondance générale de Céline. Principes d’établissement du texte et de l’appareil critique à partir de l’édition de plusieurs correspondances particulières, thèse de doctorat nouveau régime, Université de Paris IV, 1997. Le discours de soutenance a été publié dans L’Année Céline 1997, pp. 97-104.
  4. Jean-Paul Louis, « Édition de la correspondance : méthodologie et état des lieux » in Céline à l’épreuve (Réception, critiques, influences), Honoré Champion, 2016, pp. 91-96.

samedi, 22 juin 2019

Bulletin Célinien n°419

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Bulletin Célinien n°419

BCjuin19.jpgSommaire :

Sur un colloque oublié

Céline et Maurice Nadeau (suite)

Baryton et Parapine

Malraux (Alain) salue « le médecin des pauvres »

Un éditeur sous l’Occupation

Quand Dubuffet voulait aider Céline

Le doyen des célinistes se souvient.

Cahiers de prison

celinecahierprison.jpgUn abonné m’écrit : « J’avais déjà lu et apprécié les cahiers de prison dans L’Année Céline, puis dans l’édition de Henri Godard avec fac-similés. J’ai pourtant l’impression d’en découvrir de nouvelles richesses dans les Cahiers Céline. Est-ce le format, la continuité du texte, la qualité des annotations de Jean-Paul Louis ? Toujours est-il que c’est à cette édition que je retournerai le plus volontiers, et je la recommande à tous les céliniens. » L’intérêt de cette édition se trouve ainsi parfaitement résumé. Si ce corpus était déjà connu des céliniens, le fait que toutes les parties en soient réunies en un seul volume constitue une heureuse initiative.Rappel des faits  : c’est le 17 décembre 1945 que Céline est arrêté, les autorités françaises ayant demandé son extradition après avoir appris sa présence à Copenhague.  Incarcéré à la prison de l’Ouest (essentiellement cellule 609, section K), Céline demande de quoi écrire. L’administration pénitentiaire lui fournit dix cahiers d’écolier de 32 pages avec comme consigne impérative de ne pas écrire sur l’affaire dont il est justiciable. Il n’en tiendra évidemment pas compte et, de février à octobre 1946, rédigera un ensemble de notes sur sa défense et ses accusateurs mais aussi sur d’autres sujets : épisodes de sa vie, conditions de réclusion, synopsis et esquisse pour des romans à venir, citations extraites de ses nombreuses lectures d’emprisonné qui lui permettent de tenir. Dans une préface éclairante Jean-Paul Louis relève que ces cahiers illustrent la transition célinienne vers ce qu’il  nomme la « seconde révolution narrative et stylistique ». Laquelle s’engage par ce chef-d’œuvre, piètrement accueilli à son retour en France et encore méconnu aujourd’hui : Féerie pour une autre fois.  Il  faut  saluer le soin avec lequel le texte a été établi et la qualité des annotations dont les connaisseurs avaient déjà en partie connaissance par trois livraisons de L’Année Céline, parues de 2007 à 2009. Comme on s’y attend, les formules incisives surgissent sous la plume du prisonnier. Florilège : « À Sigmaringen les réfugiés bouffent de la chimère » – « Moi aussi la Sirène d’Andersen m’a fait venir à Copenhague et puis elle m’a assassiné. » – « Je me sens tout à fait absous pour mes errements passés, mes cavaleries polémiques lorsque je vois avec quelle furie, quelle lâcheté, quelles effronteries, mes adversaires m’accablent à présent que je suis vaincu. » – « Je suis peut-être un des rares êtres au monde qui devraient être libres, presque tous les autres ont mérité la prison par leur servilité prétentieuse, leur bestialité ignoble, leur jactance maudite. » – « Pendant 4 ans il a fallu louvoyer au bord de la collaboration sans jamais tomber dedans. » – « Il n’y a pas d’affaire Céline mais il y a certainement un cas Charbonnières, furieux petit diplomate halluciné de haine. » – « Les discours m’assomment, les danseuses m’ensorcellent. »

Marc Laudelout.

De ces cahiers de prison se dégagent beaucoup d’émotion et de rage mêlées. On imagine ce que cette incarcération a représenté pour Céline qui, de bonne foi, se considérait injustement traité. Ils constituent à la fois un document littéraire de premier ordre et une part intimiste de l’œuvre aussi poignante que révélatrice d’un être victime de son tempérament d’écrivain de combat.

• Louis-Ferdinand Céline, Cahiers de prison (février-octobre 1946), Gallimard, coll. « Les Cahiers de la NRF » [Cahiers Céline n° 13], 2019, 240 p. (Diffusé par le BC, 25 € frais de port inclus).

Voir aussi : Henri Godard, Un autre Céline : de la fureur à la féerie. Deux cahiers de prison, Éd. Textuel, 2011.

dimanche, 19 mai 2019

Bulletin célinien n°418 (mai 2019)

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Bulletin célinien n°418 (mai 2019)

BCmai19couv.jpgSommaire :

Carnaval à Sigmaringen (mars 1945)

Malaparte et Céline

Quand Kaminski taillait un costume à Céline

Raymond Giancoli dans sa correspondance avec Albert Paraz.

 

Céline, Vailland et Chamfleury

par Marc Laudelout

Andrea Lombardi est sans nul doute le célinien le plus actif d’Italie. Outre un blog entièrement dédié à son auteur de prédilection, on lui doit plusieurs ouvrages dont une superbe anthologie, richement illustrée, éditée en 2016 par son association culturelle “Italia Storica”. Depuis plusieurs années, il n’a de cesse de rendre accessible au lectorat italien des textes peu connus de Céline (dont sa correspondance) mais aussi des témoignages et des études littéraires qu’il réunit dans des ouvrages de belle facture.

celinevailland.pngAujourd’hui, il publie une plaquette réunissant les pièces du dossier polémique qui opposa Céline à Roger Vailland. Celui qui joua le rôle d’arbitre fut Robert Chamfleury (1900-1972), de son vrai nom Eugène Gohin. Comme chacun sait, il était locataire de l’appartement juste au-dessous de celui de Céline, au quatrième étage du 4 rue Girardon, à Montmartre. Après la guerre, il réfutera Vailland et affirmera que Céline était parfaitement au courant de ses activités de résistant. Au moment critique, Chamfleury lui proposa même un refuge en Bretagne. Dans une version antérieure de Féerie pour une autre fois, Céline le décrit (sous le nom de “Charmoise”) « cordialcompréhensif, conciliant, amical ».  Sa personnalité est aujourd’hui mieux connue : parolier et éditeur de musique, Robert Chamfleury était spécialisé dans l’adaptation française de titres espagnols ou hispano-américains. Il fut  ainsi une figure marquante de l’introduction en Europe des compositeurs cubains, et des rythmes nouveaux qu’ils apportaient. Il travaillait le plus souvent en duo avec un autre parolier, Henri Lemarchand. Lequel préfaça La Prodigieuse aventure humaine (1951, rééd. 1961) de son ami qui, sur le tard, rédigea plusieurs ouvrages de vulgarisation scientifique et de philosophie des sciences. Céline lui accusa réception avec cordialité de cet ouvrage et l’invita à venir le voir à Meudon. Dans sa plaquette, Andrea Lombardi reproduit la version intégrale de la lettre que Chamfleury adressa au directeur du Crapouillot, telle qu’elle parut, pour la première fois, dans le BC en 1990.

Un biographe de Céline a admis qu’il a fait preuve de « suspicion systématique » [sic] envers son sujet ¹. C’est aussi le seul à avoir mis en cause le témoignage de Chamfleury, instillant même le doute sur ses activités de résistant. Les auteurs du Dictionnaire de la correspondance de Céline précisent, eux, qu’il « appartenait au bloc des opérations aériennes, responsable donc de nombreuses missions de parachutage ». En fait, c’est plutôt le témoignage de Roger Vailland qu’il eût fallu mettre en question. Dans un livre de souvenirs publiés en 2009, Jacques-Francis Rolland, qui appartenait au même réseau de résistance que Vailland, le qualifia de « mélange de forfanterie, d’erreurs, de fausses assertions, affligé par surcroît d’un  style indigne de l’auteur qui n’était manifestement pas dans son état normal lorsqu’il bâcla son pensum, l’un des pires de sa “saison” stalinienne » ².

• Andrea LOMBARDI (éd.), Céline contro Vailland (Due scrittori, una querelle, un palazzo di una via di Montmartre sotto l’Occupazione tedesca), Eclettica, coll. “Visioni”, 2019, 83 p., ill. Traduction des textes français : Valeria Ferretti. Couverture illustrée par Jacques Terpant (10 €)

  1. Propos recueillis de Philippe Alméras in Maroc Hebdo International, 5-11 octobre 1996.
  2. Jacques-Francis Rolland, Jadis, si je me souviens bien, Le Félin, coll. « Résistance-Liberté-Mémoire », 2009. Voir aussi « Roger Vailland l’affabulateur » in BC, n° 313, novembre 2009, pp. 4-8. Rolland et Vailland, qui appartenaient au réseau de résistance “Mithridate », se réunissaient régulièrement dans l’appartement de Chamfleury.

vendredi, 03 mai 2019

La destinée tragique de l’éditeur de Louis-Ferdinand Céline

« Robert Denoël avait toutes les qualités d’un grand éditeur
et on peut rêver à ce qu’eût été son destin
si la guerre, suivie de cette mort tragique,
n’avait pas mis un terme à une vocation contrariée
par les vicissitudes du temps »

La carrière d’éditeur de Robert Denoël débute le 30 juin 1928 et s’achève le 2 décembre 1945. Durant ces dix-sept années d’activité, il a publié quelque 700 livres à différentes enseignes. Il fût l’éditeur de Louis-Ferdinand Céline et pour cela, assassiné à la fin de la IIe Guerre mondiale. Qui était vraiment Robert Denoël ? On trouvera des réponses à la question dans cette enquête ; Jean Jour s’est attaché à remonter aux sources, tout homme étant le fruit de ses origines et de son éducation. Pour cette figure secrète et sulfureuse de l’édition, il s’agissait de s’affranchir d’un milieu provincial figé : celui de la bourgeoisie catholique des années vingt : à travers son existence tumultueuse, ce sont tous les dessous terribles de l’édition, des années de guerre, des règlements de comptes politiques et financiers qui nous sont racontés avec talent par un auteur qui n’a cure du politiquement correct.

Préface de Marc Laudelout, directeur du Bulletin célinien,  du livre de Jean Jour Robert Denoël, un destin, désormais disponible aux éditions Dualpha.

Alors que Bernard Grasset, Gaston Gallimard ou René Julliard ont depuis belle lurette leur biographe, aucune étude approfondie n’existe encore sur Robert Denoël. Le livre de l’Américaine Louise Staman, paru en 2002, s’attache surtout à éclaircir le mystère de son assassinat. C’est dire si Jean Jour s’aventure sur un terrain en friche et manifestement périlleux, compte tenu des circonstances de la disparition de cet éditeur.

Robert-Denoel-quadri.jpgTragique destin que celui de ce jeune Liégeois qui n’aura pu exercer sa profession que durant une quinzaine d’années. Pour beaucoup, il de­meu­re le découvreur de Céline auquel son nom demeure associé. Et pourtant nombreuses sont les œuvres importantes du XXe siècle qu’il aura publiées : L’Hôtel du Nord d’Eugène Dabit, Héliogabale d’Artaud, Tropismes de Nathalie Sarraute, Les Beaux Quartiers d’Aragon, Les Décombres de Rebatet, Le Bonheur des tristes de Luc Dietrich, Les Marais de Dominique Rolin, Notre-Dame des Fleurs de Jean Genet, pour ne citer que les plus connues.

On a parfois traité Denoël d’opportuniste. C’est ne pas voir qu’il fut viscéralement éditeur, très tôt soucieux de diversifier sa production, de publier des livres de qualité à une époque où la concurrence était rude, et d’assurer la pérennité de sa maison. Il réussit même à damer le pion à ses illustres confrères dans la course aux prix littéraires, récoltant sept Prix Renaudot – dont le fameux Voyage au bout de la nuit – en une décen­nie. Il fut aussi l’un des premiers éditeurs à publier des textes psychanalytiques, notamment ceux de René Allendy, Otto Rank et Marie Bonaparte.

Jean Jour a raison d’écrire que sa vie d’éditeur se caractérisa par une incessante course à l’argent. Toujours sur le fil du rasoir, Denoël n’eut jamais les moyens de ses ambitions. C’est sans doute ce qui le perdit, étant sans cesse contraint de faire des concessions. Ceci concerne tout aussi bien la diffusion de ses livres que la publication de titres plus ou moins imposés par les circonstances, ou, plus fâcheux encore, la cession de parts de sa société à des tiers qui se révéleront encombrants, voire dangereux.

Il dut également se colleter à Céline. On sait que son auteur vedette n’était guère accommodant, ne craignant pas de mettre en péril la survie même de la maison d’édition par une redoutable avidité pécuniaire. Lorsqu’en 1936, Céline adresse, par huissier, une assignation en bonne et due forme à son éditeur, celui-ci le met en garde : « Si vous persistez dans votre attitude, vous réussirez simplement à me jeter par terre, sans obtenir un franc. En effet, l’affaire Denoël & Steele est hypothéquée pour 200 000 frs et elle doit 50 000 frs au fisc. Quand on aura vendu aux enchères, il ne restera rien pour les autres créanciers. Les bouquins se vendront au camion à raison de 80 frs les 1 000 kilos et tout le bénéfice que vous en aurez tiré sera d’avoir ruiné un homme qui, peut-être, vous a fait quelque bien. »

Terrible aveu qui montre à quel point Denoël se trouve alors tenaillé entre une situation financière difficile et le manque de souplesse de Céline qui se vantera plus tard d’avoir été l’auteur le plus exigeant sur le marché. Mais s’il abreuvait volontiers son éditeur de sarcasmes, cela ne l’empêchera pas, plus tard, de lui rendre un juste hommage : « Un côté le sauvait… il était passionné des Lettres… il reconnaissait vraiment ce travail, il respectait les auteurs. »

Nul éloge comparable, sous la plume de Céline, à l’égard de Gaston Gallimard, faut-il le préciser ?

Qui était vraiment Robert Denoël ? On trouvera des réponses à la question dans cette enquête qui s’est attachée à remonter aux sources, tout homme étant le fruit de ses origines et de son éducation. Le fait que Jean Jour soit également natif de Liège lui aura permis de mieux appréhender cette figure secrète. Il s’agissait aussi de comprendre cette volonté farouche de s’affranchir d’un milieu provincial figé : celui de la bourgeoisie catholique des années vingt.

Et si Denoël a marqué l’histoire littéraire des années qui ont suivi, c’est grâce à une forte personnalité qui lui permit de vaincre bien d’obstacles : « Le physique de l’homme traduit le caractère. Tête romaine, figure romantique, mais empreinte d’énergie. Les yeux observateurs, sous les lunettes, pétillent d’esprit ». Ainsi le voit un compatriote venu lui rendre visite dans son bureau directorial, trois ans seulement avant sa disparition.

Robert Denoël avait toutes les qualités d’un grand éditeur et on peut rêver à ce qu’eût été son destin si la guerre, suivie de cette mort tragique, n’avait pas mis un terme à une vocation contrariée par les vicissitudes du temps.

Journaliste, Jean Jour (1937-2016) est né sur l’île d’Outremeuse, à Liège, patrie de Simenon, et en a retenu tout le côté pittoresque. Il est l’auteur d’une cinquantaine de livres très divers et a traduit plu­sieurs romans américains.

Robert Denoël, un destin de Jean Jour, éditions Dualpha, collection «Vérités pour l’Histoire», dirigée par Philippe Randa, 246 pages, 27 euros. Nombreuses illustrations. Pour commander ce livre, cliquez ici.

lundi, 25 février 2019

Bulletin célinien n°415 - Février 2019

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Bulletin célinien n°415

Février 2019

Sommaire : 

Rencontre avec Yves-Robert Viala

À l’agité du bocal (re)composé par Bernard Cavanna

La vérité sur Bessy

Une conférence sur Céline

Le bilan de l’accueil et l’évolution de Céline de L’Église à Mort à crédit.

Mépris

par Marc Laudelout

BCfev19.jpgTout a été dit sur l’indigeste pavé du tandem Taguieff-Duraffour paru au début de l’année passée ¹. En attendant la version en collection de poche, agrémentée d’une préface sur la réception critique (!), on peut maintenant y revenir avec quelque recul même si d’aucuns penseront qu’on lui accorde trop d’importance.

Fallait-il que les deux auteurs aient jadis éprouvé pour Céline « une admiration sans bornes » (expression employée dans l’introduction) pour en arriver là ! Peu suspect de complaisance envers l’écrivain, Émile Brami, dans l’un des premiers comptes rendus du livre, a magistralement montré l’inanité de certaines accusations (agent actif du SD, notamment) dépourvues de la moindre preuve ². Accusations basées sur une méthodologie contestable qui tient à la formation des auteurs : l’une vouée aux études littéraires, l’autre à la philosophie et à l’histoire des idées. Mais pas la moindre formation d’historien s’étant frotté à la critique interne et externe des documents. Si tel avait été le cas, plusieurs bourdes eussent été évitées.  Le fait que Céline, véritable électron libre avant et pendant la guerre, ait souhaité la victoire de l’Axe et qu’il ait, à ce titre, fréquenté des officiels (allemands et français) n’est pas douteux. Ne l’est pas moins le fait qu’il n’ait pas mis une sourdine à son racisme (englobant son antisémitisme) pendant les années noires. Mais cela ne fait pas de lui un agent (stipendié ou pas) de la police allemande. D’autant qu’il est avéré qu’il fréquentait le plus souvent ces personnalités à des fins personnelles (récupération de son or saisi en Hollande, possibilité de séjourner sur la côte bretonne, etc.). Pour le reste, « était-il nécessaire de vouloir à toute force rendre Céline plus noir  qu’il ne l’a été ? » ³.  Oui s’il s’agit de faire en sorte que l’Université le boycotte tant et plus. Les auteurs auront alors beau jeu de constater qu’aucun « grand spécialiste universitaire » ne se penche décidément sur son œuvre. Mais, ce qui frappe le plus à la lecture du livre, c’est ce mépris d’acier qu’affichent les auteurs. Mépris envers l’écrivain qui a cessé d’être pour eux un classique, tout au plus un styliste de talent 4.  Mépris envers ses exégètes, tel Henri Godard, déconsidéré car n’ayant pas les connaissances (philosophiques, ethnographiques, anthropologiques et génétiques) requises à leurs yeux pour pouvoir traiter valablement du sujet 5. Mépris envers les chercheurs, tel Éric Mazet ou Jean-Paul Louis, perçus comme des dévots du « culte célinien ». Mépris envers la plupart des autres célinistes, « érudits aussi passionnés que limités dans leurs perspectives ». Mépris enfin envers les admirateurs de son œuvre. Tous étiquetés célinophiles, célinomanes ou célinolâtres. De Kaminski à Peillon en passant par Vanino, Kirschen, Gosselin, Martin, Bounan et Bonneton, la liste des livres hostiles à Céline est déjà longue. Nul doute que celui-ci a décroché la palme.

  1. 1.Annick Duraffour & Pierre-André Taguieff, Céline, la race, le Juif (Légende littéraire et vérité historique), Fayard, 2017. À paraître au printemps prochain dans la collection « Pluriel » des éditions Fayard.
  2. 2.Avis partagé par Pierre Assouline : « Ils ont épluché tout ce qui a été publié sur le sujet afin de prouver que Louis-Ferdinand Destouches était un être vénal, que les Allemands l’avaient payé, qu’il travaillait pour leurs services, qu’il était au courant de l’existence des chambres à gaz et qu’il mouchardait à tour de bras mais ils n’avancent guère de preuve. » (La République des livres, 19 mars 2017) ; Émile Brami, « Le chapeau, l’éléphant et le boa » in Études céliniennes, n° 10, hiver 2017. Voir aussi David Alliot & Éric Mazet, Avez-vous lu Céline ?, Pierre-Guillaume de Roux, 2018 & Marc Laudelout, « Feu sur Céline et les céliniens », Le Bulletin célinien, n° 394, mars 2017.
  3. 3.Émile Brami, op. cit.
  4. 4.Ainsi ne voient-ils dans les derniers romans qu’un « simple jeu de formes langagières plus ou moins inédites » (!).
  5. 5.Il est par ailleurs traité de « célinologue officiel de la République des lettres», ce qui est proprement grotesque.

samedi, 12 janvier 2019

Bulletin célinien Janvier 2019

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Bulletin célinien

Janvier 2019

BC-Cover.jpgSommaire :

Réhabilitation littéraire 

Aux céliniens d’en bas 

Céline à Drouot 

Le choc de Breugel 

Le Prix Renaudot et la participation du lauréat 

Quand Jacques Ovadia écrivait à Céline et à Pauvert

 

 

Réhabilitation littéraire

Intolérable « réhabilitation littéraire » de Céline ! C’est le sens implicite d’un article de Philippe Roussin * (qui se trouve être, comme Taguieff et comme Anne Simonin, directeur de recherche au CNRS). Selon lui, cette réhabilitation s’est faite au prix du refoulement de son antisémitisme. Paradoxal car, depuis une trentaine d’années, on ne peut plus lire un article sur Céline sans que ne soit inévitablement rappelé son passé de “collabo”  et  son antisémitisme patenté. Affirmer que cela a été mis sous le boisseau apparaît ébouriffant. C’est à croire que cet universitaire ne lit pas les journaux et ne regarde pas la télévision. Chaque commentateur se fait un devoir de rappeler cette composante de l’œuvre. Par ailleurs, ces vingt dernières années, les essais, opuscules et articles sur l’idéologie célinienne se sont multipliés.

Retour en arrière : dans un entretien paru il y a quelques années ¹, Roussin confiait que lorsqu’il était étudiant, il lisait avec passion la revue Tel quel de Sollers, « alors la seule université digne de ce nom ». C’était l’époque où ce trimestriel, très impliqué en politique, célébrait la “réussite” de la révolution culturelle chinoise. Aujourd’hui, Roussin déplore le virage que cette publication prit ensuite, lorsqu’elle « se détourna de la politique et hissa la littérature française au rang d’un absolu ». Sollers et ses amis redécouvrirent alors puis revendiquèrent Céline « comme leur champion incontesté ». Et proclamèrent qu’on ne peut pas juger un écrivain sur des critères moraux. C’était prendre le contre-pied des thèses sartriennes qui ont, on l’aura compris, l’aval de Roussin. Pour celui-ci, la littérature doit nécessairement se soumettre au jugement politique. Bien entendu il est résolument contre une réédition scientifique des pamphlets car ce serait leur donner « une caution exagérée ». Et d’ajouter (il se refuse naturellement à détenir ces textes chez lui) : « Ceux qui veulent les lire n’ont qu’à faire comme moi, aller en bibliothèque. ».

Sur deux pages, il passe douloureusement en revue les nombreux aspects de la gloire posthume de Céline : le fait qu’il soit reconnu à l’égal de Proust, sa consécration éditoriale dans la Pléiade, l’inscription (1993) de Voyage au bout de la nuit  au  programme de l’agrégation de littérature française,  l’achat du manuscrit par la B.N.F, la dizaine de biographies à lui consacrée, le succès des adaptations théâtrales, etc. Heureusement, « la réhabilitation littéraire a ses limites » : retrait en 2011 du “Recueil des célébrations nationales” et suspension l’année passée du projet de réédition des pamphlets par Gallimard face aux protestations qu’il a suscitées. Roussin considère que l’actualité célinienne n’est plus seulement d’ordre littéraire mais aussi  d’ordre politique en raison notamment du climat « xénophobe » en France et en Europe. Claire allusion au souhait des peuples de vouloir à la fois restreindre l’immigration de masse et l’accueil des migrants. De là à évoquer une “révolte des indigènes”…

• Philippe Roussin, « Réhabiliter Céline » in L’Histoire, n° 453, novembre 2018, pp. 62-64.

  1. Propos recueillis par Philippe Lançon, Libération, 14 avril 2005.
    Sur le thème de la censure, voir Emmanuel Pierrat, Nouvelles morales, nouvelles censures (Gallimard, 2018, 160 p.). Il y est notamment question de Céline à propos du cinquantenaire de sa naissance et de la réédition des pamphlets.

jeudi, 13 décembre 2018

Céline et Gramsci face à la France à Macron

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Céline et Gramsci face à la France à Macron

par Nicolas Bonnal
Ex: https://echelledejacob.blogspot.com 
 
Les gilets jaunes calmés, Marrakech signé, Macron réélu ou sa successeuse déjà choisie par Attali-Rothschild-BHL, il faut faire le point. Relisons Karl Marx et son dix-huit Brumaire: 

« Chaque intérêt commun fut immédiatement détaché de la société, opposé à elle à titre d’intérêt supérieur, général, enlevé à l’initiative des membres de la société, transformé en objet de l’activité gouvernementale, depuis le pont, la maison d’école et la propriété communale du plus petit hameau jusqu’aux chemins de fer, aux biens nationaux et aux universités. La république parlementaire, enfin, se vit contrainte, dans sa lutte contre la révolution, de renforcer par ses mesures de répression les moyens d’action et la centralisation du pouvoir gouvernemental. Toutes les révolutions politiques n’ont fait que perfectionner cette machine, au lieu de la briser. Les partis qui luttèrent à tour de rôle pour le pouvoir considérèrent la conquête de cet immense édifice d’État comme la principale proie du vainqueur. » 

On nous casse tout le temps les pieds avec le néo-libéralisme. En réalité ce sont les libertariens qui ont raison et on est plutôt victimes de l’ultra-socialisme et de l’ultra-parasitisme, en ces temps de fin médiocre, digne de la Rome de Juvénal. Nos dettes et nos prélèvements de 48% montrent que l’on est tout sauf libéraux. On est dans le sozial et le tartufe prolétaire qui gavait Céline, et dans rien d’autre. Sauf que certains, les Macron, les défiscalisés et les hauts fonctionnaires, en profitent mieux que d’autres. Mais ce n’est pas nouveau. 

Découvrez les œuvres d’Antonio Gramsci. Lui envoyait déjà promener les fadaises sur le libre capitalisme entrepreneur, et voici ce qu’il écrit en 1920 : 

« Le capitaine d’industrie est devenu chevalier d’industrie, il se niche dans les banques, dans les salons, dans les couloirs des ministères et des parlements, dans les bourses. Le propriétaire du capital est devenu une branche morte de la production. » 

Comme on était lucide, au PC, avant d’appeler à voter Rothschild. 

Gramsci voyait donc le problème de la désindustrialisation apparaître, le règne de la finance arriver avec les coups en bourse (remarquez, Sorel, déjà…). Un siècle plus tard, il n’y a plus d’usines en Amérique mais Wall Street n’a jamais été si élevé, avec un Dow Jones à 24.000 en attendant 30 ou 40. C’est pourtant simple à comprendre : on a siphonné via les taux abaissés la richesse américaine comme la richesse européenne, sauf peut-être l’allemande plus maligne et plus industrielle. A Londres et Bruxelles, la politique et la finance se disputent comme à New York le cadavre de l’industrie. Et on demande aux banques centrales de continuer de faire « bonne impression » pour continuer de soutenir les marchés. 

Gramsci vit comme Tocqueville l’intrusion de l’Etat produire une dégénérescence anthropologique (découvrez le libertarien allemand Hoppe qui parle lui de dé-civilisation). La part de prélèvement est passée de 8 à 20% en France entre 1914 et 1920. Aujourd’hui on est à 48. 

Louis-Ferdinand Céline aussi tout compris, et j’ai invité à redécouvrir ses pamphlets : 

« … un million de fonctionnaires avec les rejetons, les houris, les mendigots, les hommes de main, les derviches, leurs lèpres, leurs tranchomes, les marchands d'haschisch, tout le caravansérail grêlé des hordes asiatiques. » 

Antonio Gramsci, moins lyrique que Céline, mais tout aussi efficace : 

« L’Etat devient ainsi l’unique propriétaire de l’instrument de travail, il assume toutes les fonctions traditionnelles de l’entrepreneur, il devient la machine impersonnelle qui achète et distribue les matières premières, qui impose un plan de production, qui achète les produits et les distribue : l’Etat bourgeois, celui des bureaucrates incompétents et inamovibles ; l’Etat des politiciens, des aventuriers, des coquins. Conséquences : accroissement de la force armée policière, accroissement chaotique de la bureaucratie incompétente, tentative pour absorber tous les mécontents de la petite-bourgeoisie avide d’oisiveté, et création à cet effet d’organismes parasitaires à l’infini. » 


Gramsci raisonne comme les futurs libertariens qui en ont marre de cette pléthorique gent sécuritaire. 

Gramsci décrivait la dégénérescence dans ces lignes. Le nombre de fonctionnaires avait décuplé en France en un siècle (observation déjà faite par Marx dans son Dix-huit Brumaire de Louis Bonaparte) : 

« Le nombre des non-producteurs augmente de façon malsaine, dépasse toute limite tolérable pour le potentiel de l’appareil productif. On travaille et on ne produit pas, on travaille durement et la production ne cesse de décroître. C’est qu’il s’est formé un gouffre béant, un gosier immense qui engloutit et anéantit le travail, anéantit la productivité ». 
Les heures non payées du travail ouvrier ne servent plus à augmenter la richesse des capitalistes : elles servent à nourrir l’avidité de l’énorme multitude des agents, des fonctionnaires, des oisifs, elles servent à nourrir ceux qui travaillent directement pour cette foule de parasites inutiles. » 


La fonction publique pléthorique recommandée par les adeptes de la dette immonde est une foutaise petite-bourgeoise qui n’avait rien à voir avec le marxisme ou même la gauche traditionnelle. Gramsci encore : 

« Et personne n’est responsable, personne ne peut être frappé : toujours, partout, l’Etat bourgeois avec sa force armée, l’Etat bourgeois qui est devenu le gérant de l’instrument de travail qui se décompose, qui tombe en morceaux, qui est hypothéqué et sera vendu à l’encan sur le marché international des ferrailles dégradées et inutiles... » 

La société des Attali-Juppé-Macron n’est pas moderne du tout, comme le populisme façon Mélenchon-Le Pen, ou la manif’ qui permet au populo de se défouler avant de retourner au chenil. 

Sur les personnages humanitaires et les programmes interminables et délétères, Céline aussi nous avait prévenus en vain : 

« le monde est encore plein de martyrs qui crèvent du désir de nous libérer puis d’être titularisés par la même aubaine dans des fonctions pas fatigantes, d’un ministère ou d’un autre, avec une retraite. » 

Il ne s’agit pas d’insulter les Français, mais de comprendre le rôle eschatologique de l’Etat dans notre histoire. On y reviendra avec Bernanos. 

Sources 

Antonio Gramsci dans le texte, I, II - Classiques.uqac.ca 

Nicolas Bonnal – Louis-Ferdinand Céline, le pacifiste enragé (Kindle-Amazon) – Le coq hérétique, autopsie de l’exception françaises (Les Belles Lettres, 1997)

jeudi, 06 décembre 2018

Bulletin célinien n°413 (décembre 2018)

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Bulletin célinien n°413 (décembre 2018)

Sommaire :

L’énigme de l’assassinat de Denoël enfin résolue ?

Le lancement de Voyage et la querelle du Prix Goncourt

Esther Rhodes (1905-1955)

Le procès Céline

BCDEC18.jpgJusqu’à ce jour, tout le monde (Céline lui-même, ses biographes, le monde judiciaire) considérait qu’en 1950 la justice française avait été bonne fille avec l’auteur des Beaux draps. Anne Simonin, directrice de recherche au CNRS, estime, elle, que le jugement fut d’une « sévérité extrême » ¹. Mais il y a mieux : on sait que l’année précédente, en novembre 1949, le commissaire du gouvernement Jean Seltensperger fut dessaisi du dossier, sa hiérarchie estimant son réquisitoire magnanime. Il se concluait, en effet, par le renvoi de Céline devant une Chambre civique (au lieu de la Cour de justice), ce qui eût entraîné une peine sensiblement moins lourde. L’historienne considère qu’il s’agit en réalité d’une « apparente complaisance », le magistrat ayant, au contraire, fait preuve d’une rare duplicité : « Imaginer renvoyer Céline en chambre civique était une façon habile de l’inciter à rentrer en France et à se produire en justice. Une fois Céline devant une chambre civique et condamné à la dégradation nationale, rien n’interdisait au commissaire du gouvernement de considérer que Céline avait aussi commis des actes de nature à nuire à la défense nationale (art. 83-4 du Code pénal). Le mandat d’arrêt, ordonné en 1945, autoriserait alors à renvoyer Céline en prison avant de le déférer en Cour de justice. Et le tour serait joué. » C’est perdre de vue que, dans son réquisitoire, Seltensperger avait requis la mainlevée du mandat d’arrêt. Et c’est surtout ne pas connaître les arcanes de cette histoire judiciaire. Coïncidence : il se trouve que le père (magistrat, lui aussi) d’un de nos célinistes les plus pointus, Éric Mazet, fut le meilleur ami de Jean Seltensperger. Au mitan des années soixante, les confidences que celui-ci fit au jeune Mazet attestent qu’il n’a jamais voulu piéger Céline, bien au contraire. Le réquisitoire modéré qu’il prononça en atteste et ce n’est pas pour rien que le dossier fut confié à un autre magistrat.

Ce n’est pas tout. En février 1951, les Cours de justice, juridiction d’exception chargé des affaires de Collaboration, furent dissoutes : celles-ci relevaient désormais de juridictions militaires. En avril, le Tribunal militaire de Paris fit bénéficier Louis Destouches d’une ordonnance d’amnistie applicable aux anciens combattants blessés de guerre. Ici aussi, l’historienne s’insurge, estimant que cette amnistie découle d’un faux en écriture publique (!). Explication, photo du document à l’appui : c’est un paragraphe ajouté à la main qui amnistia Céline « à l’insu » [sic] du Tribunal militaire. En tant que biographe de Céline, l’avocat François Gibault a étudié le dossier et connaît intimement cette matière. Il estime l’hypothèse pour le moins fantaisiste : « Si le Tribunal militaire n’avait pas délibéré sur la question de l’amnistie, le Président l’aurait fait savoir quand tout le monde lui est tombé sur le dos. Idem pour les juges du Tribunal militaire. La photo qui figure en marge de l’article est un jugement-type remis par le greffier au président pour gagner du temps. Il est d’usage que le président du tribunal supprime les passages inutiles, remplisse les blancs et ajoute à la main ce qui doit l’être. »  Il paraît qu’Anne Simonin veut entreprendre des recherches pour savoir s’il s’agit bien de l’écriture de Jean Roynard, le magistrat qui présidait le Tribunal militaire.  Notre historienne  se doute-t-elle que cette écriture peut tout aussi bien être celle du greffier, du juge-rapporteur ou d’un autre juge qui tenait la plume ? Et connaît-elle le rôle déterminant qu’eut le colonel André Camadau, en charge de l’accusation, dans cette affaire ? ²  Rien n’est moins sûr…

  1. Anne Simonin, « Céline a-t-il été bien jugé ? », L’Histoire, n° 453, novembre 2018, pp. 36-49.
  2. « André Camadau et l’amnistie » in É. Mazet & Pierre Pécastaing, Images d’exil, Du Lérot & La Sirène, 2004.