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vendredi, 10 juin 2011

1940: l'autre uchronie

1940 : l’autre uchronie

par Noël RIVIÈRE

L’uchronie est l’histoire fictive de possibilités historiques non advenues. Elle aide à comprendre ce qui a réellement eu lieu en poussant les logiques des autres scénarios envisageables tout en respectant une certaine vraisemblance. Les uchronies sont de plus en plus l’objet de travaux. L’un des derniers en date est celui de Jacques Sapir sur le thème « Et si la France n’avait pas signé l’armistice de 1940 et avait continué la guerre ? » C’est le What if : que se serait-il passé si… Les uchronies nécessitent de tenir compte des informations dont disposaient les protagonistes au moment des faits.

Il est en ce moment à la mode de dérouler un scénario à propos de la guerre de 39-45 : Et si la France avait continué la guerre ? (Jacques Sapir et aa, Taillandier, 2010).

Pierre Clostermann lui-même avait défendu l’idée que les forces français en Afrique du nord, en 1940 auraient permis de continuer la guerre. Reste à savoir pour quel résultat. Un résultat qui aurait peut-être au final été particulièrement favorable à l’Allemagne. Explications.

Supposons donc une absence d’armistice le 22 juin 1940.

Fin juin, les Allemands sont à Marseille, Nice, Perpignan et sur la côte basque. Compte tenu de leur maîtrise de l’air, ils investissent la Corse sans grande difficulté et obligent bien avant cela la flotte française à se replier en Algérie, sauf destruction totale ou partielle comme celle qu’a connue la flotte italienne face aux Anglais dans le golfe de Tarente, en 1940, voire au cap Matapan, en 1941, toujours face à l’aviation anglaise. À partir de là, les Français continuant la guerre, les Allemands n’eussent eu d’autres choix que de les poursuivre en Afrique du Nord. On lit parfois le propos comme quoi les Allemands n’ont même pas pu franchir la Manche ou le Pas de Calais et que donc ils auraient été bien en peine de franchir la Méditerranée. Cela n’a rien à voir. Derrière la Manche, il y a avait une nation industrielle de cinquante millions d’habitants. En Algérie – l’A.F.N., c’était essentiellement l’Algérie – il y avait sept millions d’habitants dont moins d’un million de Pieds-Noirs. Peu d’industrie et presque pas de pièces de rechanges pour les armes. Autant dire que les Allemands auraient pu débarquer sans se heurter à une résistance comparable à celle de la Royal Air Force au-dessus de la côte anglaise en août-septembre 1940.

Mais surtout ils avaient l’alliance italienne. Un débarquement à Tunis aurait été à une extrême proximité de la Sicile – et les Allemands ont réussi ce débarquement alors qu’étaient proches les flottes américaines et anglaises, en novembre 1942, et alors qu’ils avaient d’autres priorités sur le front de l’Est. Quand bien même ce débarquement eut présenté des difficultés qu’ils eussent voulu contourner, il leur suffisait de faire, dès juillet 1940, ce qu’ils ont fait en février 41 pour soutenir l’Italie, à savoir débarquer quelques divisions à Tripoli. De là, ils pouvaient rapidement gagner la Tunisie et la conquérir (elle aurait fait l’objet d’un « don » à l’Italie qui n’avait cessé de la revendiquer depuis 1936). La question du ravitaillement de leurs troupes aurait été considérablement simplifiée, puisque Malte tenue par les Anglais se trouvait sur la route Sicile – Libye mais pas sur la route Sicile – Tunisie.

En outre le contrôle de la Tunisie et de la Libye aurait tellement isolé Malte que sa conquête serait devenue possible, bien que sans doute coûteuse. Avec cinq ou six divisions, les Allemands auraient pu, de Tunis conquérir l’Algérie jusqu’à la frontière du Maroc espagnol sans grandes difficultés. La flotte française n’aurait eu comme possibilité d’échapper à la destruction, compte tenu de l’impossibilité pour les forces aériennes françaises en A.F.N. de la protéger, que de se replier vers Dakar. Compte tenu de l’étirement des lignes de communication des Allemands, il est bien possible que le Maroc aurait représenté le point ultime de leur expansion à l’Ouest de l’Afrique. L’A.O.F. et l’A.E.F. serait restés à la France résistante, avec l’appui de la flotte britannique, d’une partie de son aviation, et aussi sans doute avec un gros appui matériel américain, sinon un appui directement militaire impliquant la belligérance. Mais cet appui n’aurait pas été instantané compte tenu des délais de la montée en charge de l’industrie américaine (plutôt 1941 que 1940).

À partir de la conquête du Maroc français, la position britannique de Gibraltar aurait été isolée. Elle serait restée tenable si l’Espagne était restée neutre mais facilement neutralisée par l’aviation allemande. Quant à l’Espagne justement, qu’aurait-elle fait ? Franco était très prudent mais l’Allemagne installée militairement au Maroc, grande aurait été sa tentation d’entrer en guerre du côté de l’Axe, avec comme condition l’acquisition par l’Espagne du Maroc français. En tout cas, même restée neutre, l’Espagne aurait dû (comment les refuser sans le risque que l’Allemagne fomente un coup d’État à Madrid, appuyé sur les plus pro-allemands des phalangistes ?) accorder des facilités militaires à l’Allemagne et peut-être le passage vers Gibraltar (via Perpignan ou tout simplement via le Maroc espagnol) pour son démantèlement comme base anglaise. En tout état de cause, l’Allemagne aurait pu disposer de bases navales utiles pour ses sous-marins sur la côte Atlantique du Maroc.

Et pendant ce temps-là en Égypte ? Il n’y a pas de raison de changer quelque chose à l’histoire réelle ici, à savoir que les Anglais, supérieurs aux Italiens en organisation, en matériel, voire en moral des troupes auraient mis en difficulté les troupes de Mussolini, d’autant plus que une fois les Allemands engagés contre la France en Afrique du Nord, l’enjeu de celle-ci aurait été plus fort encore et que les Anglais auraient été sans doute offensifs en Libye et d’abord en Cyrénaïque pour soulager le mieux possible les Français face à l’attaque allemande en Tunisie et en Algérie. Mais là encore, il eut suffit de quelques divisions (l’Africa Korps n’en avait que trois début 41) pour arrêter les Anglais, voire pour les rejeter sur le canal de Suez. Et dans la réalité, rappelons que la contre-offensive anglaise face aux Italiens n’intervient qu’en décembre 1940. Mettons que six divisions eussent été nécessaires pour, dès le dernier trimestre 1940, conquérir l’Égypte et lui donner une indépendance confiée bien sûr à des pro-allemands. Nous sommes à six divisions allemandes donc en Afrique du Nord à l’Est, et autant à l’Ouest, voire dix divisions à l’Ouest (face aux Français). Ce n’était pas au-dessus des moyens des Allemands.

Dans ces conditions, que pouvait-il advenir de Malte ?

Malte, loin de toute position alliée après une poussée allemande sauvant la Cyrénaïque des Anglais – au minimum – voire conquérant l’Égypte, et à l’Ouest, après la conquête allemande de la Tunisie et de l’Algérie, Malte, bien que solidement défendue, pouvait être conquise, comme l’a été la Crête dans des conditions plus difficiles, car la Crête était à proximité de l’Égypte où se trouvait les forces aériennes et navales britanniques. Une fois l’Égypte conquise et là encore quelles que soient les qualités militaires des Anglais, ils n’étaient pas en position de faire face à six divisions allemandes et à une forte aviation (qui bien entendu n’aurait pas été engagée dans une inutile bataille d’Angleterre), les Allemands pouvaient avancer vers la Palestine et conquérir la Syrie. Ils se trouvaient alors à proximité de l’Irak et de ses activistes indépendantistes et pro-allemands (voir la tentative de Rachid Ali en avril 1941) et pouvaient les soutenir. En complément, ils isolaient Chypre et pouvaient y débarquer (là encore peut-on douter de leur capacité à ce genre d’opération quand on voit, dans un contexte très dégradé pour eux, leur conquête-éclair du Dodécanèse en octobre-novembre 43 ?). C’est alors toute la Méditerranée orientale qui eut été entre les  mains des Allemands ainsi que la Méditerranée occidentale si l’Algérie avait aussi été conquise (et comment aurait elle pu ne pas l’être compte tenu de la faiblesse des Français en A.F.N., non ravitaillés par la Métropole ?)

Les Allemands pouvaient aussi, après ou en même temps,  avec trois ou quatre divisions supplémentaires (il faut tenir compte des forces d’occupation et de contrôle des territoires déjà occupés même si les populations y auraient été plutôt pro-allemandes) descendre la vallée du Nil, prendre Khartoum et Port-Soudan et ainsi, en établissant la liaison avec l’Afrique orientale italienne, empêcher sa conquête par les Britanniques qui a commencé en mars 1941. Le premier problème des Allemands aurait été le manque de camions, mais ils auraient pu réquisitionner tous les camions français sans entraves en l’absence d’armistice.

Une chronologie uchronienne

• 30 juin 1940 : fin de l’occupation de toute la France métropolitaine.

• 7 juillet : occupation de la Corse à partir de l’Italie et de Nice.

• 1er août : débarquement à Tunis (à partir du sud de l’Italie) avec l’appui des Italiens ou débarquement à Tripoli de cinq ou six divisions allemandes marchant vers Tunis.

• 10 août : jonction avec les Italiens de Tripolitaine dans l’hypothèse de débarquement direct à Tunis ou prise de Tunis dans l’autre cas.

• 15 août : prise du port de Bône.

• 20 août : prise d’Alger.

• 25 août : prise d’Oran et de Mers El-Kebir.

• 27 août : arrivée à la frontière du Maroc espagnol.

• 1er septembre : prise de Fès au Maroc.

• 5 septembre : prise de Rabat et de Casablanca.

On peut supposer au mieux que les Français réussissent à résister au sud du Maroc, vers Marrakech. L’armée et surtout l’aviation allemande atteint ses limites logistiques, pour l’instant les Allemands ne poussent pas plus loin.

• 6 septembre : début de l’offensive allemande pour la conquête de l’Égypte.

• 20 septembre : prise du Caire.

• 30 septembre : achèvement de la conquête de l’Égypte.

• 30 octobre : attaque du Soudan.

• 25 novembre : jonction avec les Italiens d’Érythrée et d’Éthiopie. Installation de bases de sous-marins dans l’océan Indien, notamment en Somalie.

Un tel scénario eut nécessité quelques vingt-cinq divisions engagées hors d’Europe. L’effort n’impliquait donc nullement de dégarnir le continent européen. Mais, par contre, il eut amené un changement complet de vision et eut nécessité même ce changement de vision. Il s’agissait alors de rompre avec les ambitions néo-coloniales en Europe même : espace vital au détriment des Russes et des Ukrainiens, réduction des Slaves en esclavage. À l’inverse, cela eut été l’adoption d’une véritable politique mondiale. Objectif : non pas la conquête totale du monde, mais un contrepoids réel aux puissances thalassocratiques. Non pas s’enfermer dans une forteresse Europe mais lui donner de l’air par des débouchés vers les grands océans (Maroc pour l’Atlantique, Somalie pour l’océan Indien, voire Madagascar plus tard…), liaisons avec le Japon, contrôle complet de la Méditerranée et éviction de la Grande-Bretagne de ce grand lac où elle n’a rien à faire du point de vue continental européen, politique pro-arabe et post-coloniale de transition des peuples vers l’indépendance dans la coopération avec l’Europe.

Au-delà des perspectives ouvertes par cette histoire virtuelle, il reste une quasi-certitude : l’Allemagne a beaucoup perdu à l’Armistice de juin 40, elle s’est enfermée dans une victoire strictement continentale en s’interdisant une politique réellement mondiale, anticipant sur les risques futurs d’entrée en guerre des États-Unis en prenant des gages en Afrique du Nord, au Moyen-Orient, vers la Mésopotamie, et jusqu’au Soudan et l’océan Indien. Quelle chance pour l’Allemagne si… la France avait voulu continuer la guerre en 1940 !

Noël Rivière


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Commentaires

La prise de l'Afrique du Nord et du Moyen-Orient assure à l'Axe l'accès au pétrole du Golfe, d'Irak et d'Iran. Par ailleurs, la mer Méditerranée devenant un lac de l'Axe, les navires anglais qui ramènent les marchandises d'Inde ou d’Extrême-Orient doivent faire le tour de l'Afrique (long, couteux et périlleux avec possibilité d'installer des sous-marins allemands au Maroc et en somalie).

Pas de coup d’État en Yougoslavie et de soutient britannique en Grèce. Et donc, pas de retard dans le déclenchement de l'opération Barbarossa. Toute l'industrie française est aux mains des allemands et peut soutenir l'effort de guerre.

Bref, avec une ou deux erreurs de moins de la part des allemands (proclamer une guerre de libération en Russie contre le communisme et la création d'une armée russe libre, obtenir des japonnais qu'ils fassent des manœuvres et des gesticulations en Extrême-Orient pour fixer les divisons soviétiques qui s'y trouvaient,...) la victoire est garantie.

Écrit par : Le fol estudiant | mercredi, 15 juin 2011

ganz klar wie immer!

Écrit par : markus wolf | dimanche, 03 juillet 2011

pertinent et lucide!

Écrit par : luis figera | dimanche, 03 juillet 2011

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