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vendredi, 17 octobre 2014

François Gibault, notable hors norme

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François Gibault, notable hors norme

par Marc Laudelout

 

Né, comme Céline, sous le signe des Gémeaux, François Gibault est, par définition, un être paradoxal : réfractaire aux idées convenues, il rêve de consécration académique et se targue d’être Commandeur de la Légion d’honneur. Alerte octogénaire, il met en pratique les préceptes du docteur Destouches : une saine hygiène de vie  gouvernée  par la condamnation absolue de l’alcool et du tabac. S’il partage avec lui l’amour des voyages et de la danse, il n’apprécie pas, en revanche, la compagnie des chats et des chiens « qui ne savent dire que miaou et wouah wouah ».

 

gibault-L-x.jpgSous le titre Libera me, il signe un livre testamentaire sous la forme d’un dictionnaire émaillé de remarques acides et spirituelles.  Il y passe en revue les personnages appréciés (ils sont légion) et détestés (une poignée), mais aussi les lieux et les choses immatérielles qui comptent pour lui (justice, liberté, tolérance, vérité, volupté,...).

 

La fin des années 70 vit la naissance du célinisme. Essentiellement dû à des universitaires de gauche, il permit la consécration, au sein des facultés de lettres, d’un écrivain réprouvé. Dans ce milieu partagé entre une vive admiration pour le styliste et une franche détestation de l’individu, Gibault, libéral assumé, se singularisa. Lors d’une émission télévisée consacrée à Sartre et Céline, ne fut-il pas le seul à rappeler les complaisances de l’auteur des Chemins de la liberté envers le communisme moscoutaire ?  Lequel  aboutit  au goulag,  asséna-t-il  face  à une sartrienne pithiatique. L’hommage rendu au cimetière de Meudon, le 1er juillet 2011, défrisa certains esprits obtus. De même que cette préface où il affirme que Céline n’a jamais voulu le massacre des juifs. Le président de la SEC n’en a cure. Ce bourgeois ordinaire a du caractère. D’un bout à l’autre de cet ouvrage plane la présence du contemporain capital. Éditeur de Rigodon, biographe de l’écrivain, conseil de Lucette et président de la Société d’Études céliniennes,  François Gibault est  tout sauf un inconnu pour les lecteurs du BC. On ne s’étonnera pas que l’univers célinien se retrouve dans de nombreuses entrées de ce dictionnaire. Celle consacrée à Lucette Destouches bien entendu (« l’intelligence du cœur, le refus de toutes les fatalités, de la bêtise et de la méchanceté »), mais aussi à Marie Bell (« amoureuse de Céline, amour qu’il ne lui a sans doute jamais rendu »), Arno Breker (et son « buste raté » de Céline, réalisé post mortem), Lucien Combelle (« qui jetait sur son passé un regard critique très rare chez les anciens collaborateurs »), Robert Debré (disant de Céline que « c’était un médecin qui avait le feu sacré »), Gen Paul (« rapin alcoolique, Iago, un peu Vidocq »), Guy de Girard de Charbonnières (qu’il vit « vêtu d’une pelisse ornée d’un col de fourrure à poil long »), Karen Marie Jensen (« intelligente et de bonne éducation »),  André Lwoff, deuxième président de la SEC (« un Nobel à notre tête, membre de l’Académie des sciences et de la Française, grand-croix de la Légion d’honneur, nous avions de quoi clouer quelques becs »), Lucien Rebatet (qui « éprouvait pour Céline une admiration teintée de jalousie »), etc. Le portrait de Jeanne Loviton est le plus pittoresque. Introduit dans sa bonbonnière de l’avenue Montaigne par un maître d’hôtel en livrée, Gibault observera que « Madame était de bonne humeur, convaincue de [l’] avoir roulé dans la farine, embobiné comme elle avait embobiné tant d’autres, mis dans sa poche, anesthésié. ».

 

Marc LAUDELOUT

 

François GIBAULT, Libera me, Gallimard, 2014, 421 p. (23,90 €). Voir aussi son livre précédent, Singe (Éditions Léo Scheer, 2011), autobiographie débridée, dont la presse a salué « la prose altière, émue et rigolarde à la fois » (J. Garcin) et « une leçon de littérature dont l’auteur maîtrise tous les registres » (É. Naulleau).

 

 

 

 

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