Parution du n°447 du Bulletin célinien
Sommaire :
Entretien avec Jean Guenot
Céline dans France-Soir (1946-47)
Entretien avec Oskar Hedemann
En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.
Parution du n°447 du Bulletin célinien
Sommaire :
Entretien avec Jean Guenot
Céline dans France-Soir (1946-47)
Entretien avec Oskar Hedemann
Suspicion et mauvaise foi. C’est ce qui caractérise l’article de Philippe Roussin sur l’affaire des manuscrits retrouvés. Il tance les ayants droit et loue le receleur. Selon lui, il n’y eut d’ailleurs pas de recel puisqu’il n’y eut pas de vol ! Explication : les manuscrits furent « abandonnés » [sic] par Céline. Spécieux. Tout juste si Roussin ne le suspecte pas d’avoir laissé ouverte la porte de son appartement lorsqu’il s’enfuit le 17 juin 1944. Peu importe que celui-ci ait écrit : « On ne va rien toucher à l’appartement on reviendra… l’on ne peut pas dire que l’on ne reviendra jamais. » Si Céline avait été propriétaire (et non locataire) de l’appartement rue Girardon, Roussin serait-il aussi péremptoire ? Ce qui l’insupporte, c’est que, dans cette affaire, l’écrivain soit considéré comme un volé, et donc une victime. Logique : si l’écrivain n’a pas été volé, les ayants droit n’avaient aucune raison d’ester en justice. Ce que Roussin omet soigneusement de préciser, c’est que si François Gibault et Véronique Chovin ont déposé plainte, c’est parce que Thibaudat refusait obstinément de restituer ces manuscrits qui leur appartiennent. Et entendait décider seul de leur sort : en l’occurrence, en faire don à l’Institut Mémoire de l’Édition (IMEC) dont il est proche. Par ailleurs, le fait que ce recel ait privé Lucette d’une joie certaine ne préoccupe nullement Roussin. Pas davantage le fait qu’à la fin de sa vie, elle avait un pressant besoin d’argent, ayant à rémunérer plusieurs personnes qui s’occupaient d’elle en permanence. Thibaudat, lui, se considérait comme le dépositaire des manuscrits, ce qui l’a autorisé à les garder par devers lui pendant des années. Le conseil des ayants droit, Jérémie Assous, n’a pas tort de dire que le journaliste de Libé est comparable à quelqu’un qui aurait gardé pendant des décennies dans son salon une toile de maître volée. Mais, de toute évidence, le droit moral et patrimonial des héritiers, Roussin n’en a cure. Mieux : il leur fait un procès d’intention en subodorant qu’ils pourraient garder sous le boisseau des textes compromettants, ce qui est saugrenu, connaissant l’objectivité du biographe qu’est Gibault. Roussin, auteur d’un livre sur Céline de 800 pages, a-t-il jamais éprouvé pour l’écrivain « une admiration sans bornes », à l’instar de Taguieff et Duraffour qui nous firent cette confidence dans leur livre obèse ? Sûrement pas. On comprend même, entre les lignes, que Céline ne mérite pas, selon lui, le statut de « plus grand écrivain français du XXe siècle » qu’on lui accorde généralement. Et de citer complaisamment l’appréciation de Houellebecq qui le considère comme « un auteur ridiculement surévalué ». Venant de la part de quelqu’un dont le style est aussi plat qu’une limande, cela prête à sourire. Quant à Roussin, il estime qu’il faut rendre grâce à ceux qui ont “recueilli” ces manuscrits pendant des décennies. Et qu’il faut, en revanche, juger âprement les ayants droit qui ont eu le front de déposer plainte. Il importe surtout de condamner, une fois encore et toujours, les fautes dont Céline s’est rendu coupable. Et de ressasser ad libitum les éléments du procès qui lui est intenté depuis près de 80 ans. C’est qu’il s’agit pour Roussin de conjurer « le mauvais vent d’hiver maurrassien de l’époque ». De la part d’un fonctionnaire, on pouvait s’attendre à davantage de réserve. L’ironie de l’histoire étant que cet article soit publié sur un site internet placé sous l’égide de Maurice Nadeau qui prit fait et cause pour Céline lorsqu’il était exilé.
• Philippe ROUSSIN, « Déshonneur et patrie : retour sur l’affaire Céline », En attendant Nadeau, 15 décembre 2021 [https://www.en-attendant-nadeau.fr/2021/12/15/deshonneur-patrie-affaire-celine].
Marc Laudelout
Céline à hue et à dia
Louis-Ferdinand Céline est un immense écrivain. Il fut aussi antisémite et souhaita la victoire des forces de l’Axe. Deux raisons pour lesquelles il est légitime pour beaucoup de le honnir. Mais ce n’est pas suffisant pour certains qui, ajoutant la diffamation à la détestation, l’accusent d’avoir été un vil délateur, un auxiliaire de la police allemande et un partisan du génocide. Sans apporter aucune preuve formelle et contredisant ainsi les spécialistes intègres de l’écrivain : « Ses pamphlets ne présentent pas d’appel au meurtre explicite » (R. Tettamanzi) ; « Céline n’avait pas voulu l’holocauste et n’en avait pas même été l’involontaire instrument » (F. Gibault) ; « Les mesures que Céline préconise contre les juifs se suffisent à elles-mêmes, sans qu’on aille jusqu’à lui prêter une idée ou un désir d’extermination » (H. Godard).
D’autres enfin, pour enfoncer le clou, affirment que c’est un écrivain surévalué. Dans cet ouvrage, Marc Laudelout, éditeur du Bulletin célinien depuis 40 ans, épingle ces anticéliniens rabiques. Il évoque aussi diverses interférences littéraires, dresse le portrait de quelques figures (dont les « céliniens historiques ») et explore quelques faits liés à la biographie ainsi qu’à la réception critique de l’œuvre.
Un volume broché de 412 pages, 25 € frais de port inclus.
Exemplaire dédicacé sur demande.
Mode de règlement : chèque (bancaire ou postal) à l’ordre de M. Laudelout. Ou par virement bancaire sur le compte LCL du Bulletin célinien à Lille : IBAN : FR59 3000 2082 3100 0019 5794 L60 (BIC : CRLYFRPP).
Dans ce cas, il est recommandé de nous adresser un courriel signalant ce virement.
Autre mode de paiement : virement sur le compte du BC à Bruxelles : BE 79 0637 1647 0933 (BIC : GKCCBEBB).
Commander à :
Marc Laudelout
139 rue Saint-Lambert
B. P. 77
BE 1200 Bruxelles
14:34 Publié dans Littérature, Livre, Livre, Revue | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : revue, louis-ferdinand céline, céline, marc laudelout, livre, littérature, lettres, lettres françaises, littérature française | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Bulletin Célinien n°419
Sommaire :
Sur un colloque oublié
Céline et Maurice Nadeau (suite)
Baryton et Parapine
Malraux (Alain) salue « le médecin des pauvres »
Un éditeur sous l’Occupation
Quand Dubuffet voulait aider Céline
Le doyen des célinistes se souvient.
Marc Laudelout.
De ces cahiers de prison se dégagent beaucoup d’émotion et de rage mêlées. On imagine ce que cette incarcération a représenté pour Céline qui, de bonne foi, se considérait injustement traité. Ils constituent à la fois un document littéraire de premier ordre et une part intimiste de l’œuvre aussi poignante que révélatrice d’un être victime de son tempérament d’écrivain de combat.
• Louis-Ferdinand Céline, Cahiers de prison (février-octobre 1946), Gallimard, coll. « Les Cahiers de la NRF » [Cahiers Céline n° 13], 2019, 240 p. (Diffusé par le BC, 25 € frais de port inclus).
11:06 Publié dans Littérature, Revue | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : céline, marc laudelout, revue, littérature, littérature française, lettres, lettres françaises | | del.icio.us | | Digg | Facebook
« Robert Denoël avait toutes les qualités d’un grand éditeur
et on peut rêver à ce qu’eût été son destin
si la guerre, suivie de cette mort tragique,
n’avait pas mis un terme à une vocation contrariée
par les vicissitudes du temps »
La carrière d’éditeur de Robert Denoël débute le 30 juin 1928 et s’achève le 2 décembre 1945. Durant ces dix-sept années d’activité, il a publié quelque 700 livres à différentes enseignes. Il fût l’éditeur de Louis-Ferdinand Céline et pour cela, assassiné à la fin de la IIe Guerre mondiale. Qui était vraiment Robert Denoël ? On trouvera des réponses à la question dans cette enquête ; Jean Jour s’est attaché à remonter aux sources, tout homme étant le fruit de ses origines et de son éducation. Pour cette figure secrète et sulfureuse de l’édition, il s’agissait de s’affranchir d’un milieu provincial figé : celui de la bourgeoisie catholique des années vingt : à travers son existence tumultueuse, ce sont tous les dessous terribles de l’édition, des années de guerre, des règlements de comptes politiques et financiers qui nous sont racontés avec talent par un auteur qui n’a cure du politiquement correct.
Préface de Marc Laudelout, directeur du Bulletin célinien, du livre de Jean Jour Robert Denoël, un destin, désormais disponible aux éditions Dualpha.
Alors que Bernard Grasset, Gaston Gallimard ou René Julliard ont depuis belle lurette leur biographe, aucune étude approfondie n’existe encore sur Robert Denoël. Le livre de l’Américaine Louise Staman, paru en 2002, s’attache surtout à éclaircir le mystère de son assassinat. C’est dire si Jean Jour s’aventure sur un terrain en friche et manifestement périlleux, compte tenu des circonstances de la disparition de cet éditeur.
Tragique destin que celui de ce jeune Liégeois qui n’aura pu exercer sa profession que durant une quinzaine d’années. Pour beaucoup, il demeure le découvreur de Céline auquel son nom demeure associé. Et pourtant nombreuses sont les œuvres importantes du XXe siècle qu’il aura publiées : L’Hôtel du Nord d’Eugène Dabit, Héliogabale d’Artaud, Tropismes de Nathalie Sarraute, Les Beaux Quartiers d’Aragon, Les Décombres de Rebatet, Le Bonheur des tristes de Luc Dietrich, Les Marais de Dominique Rolin, Notre-Dame des Fleurs de Jean Genet, pour ne citer que les plus connues.
On a parfois traité Denoël d’opportuniste. C’est ne pas voir qu’il fut viscéralement éditeur, très tôt soucieux de diversifier sa production, de publier des livres de qualité à une époque où la concurrence était rude, et d’assurer la pérennité de sa maison. Il réussit même à damer le pion à ses illustres confrères dans la course aux prix littéraires, récoltant sept Prix Renaudot – dont le fameux Voyage au bout de la nuit – en une décennie. Il fut aussi l’un des premiers éditeurs à publier des textes psychanalytiques, notamment ceux de René Allendy, Otto Rank et Marie Bonaparte.
Jean Jour a raison d’écrire que sa vie d’éditeur se caractérisa par une incessante course à l’argent. Toujours sur le fil du rasoir, Denoël n’eut jamais les moyens de ses ambitions. C’est sans doute ce qui le perdit, étant sans cesse contraint de faire des concessions. Ceci concerne tout aussi bien la diffusion de ses livres que la publication de titres plus ou moins imposés par les circonstances, ou, plus fâcheux encore, la cession de parts de sa société à des tiers qui se révéleront encombrants, voire dangereux.
Il dut également se colleter à Céline. On sait que son auteur vedette n’était guère accommodant, ne craignant pas de mettre en péril la survie même de la maison d’édition par une redoutable avidité pécuniaire. Lorsqu’en 1936, Céline adresse, par huissier, une assignation en bonne et due forme à son éditeur, celui-ci le met en garde : « Si vous persistez dans votre attitude, vous réussirez simplement à me jeter par terre, sans obtenir un franc. En effet, l’affaire Denoël & Steele est hypothéquée pour 200 000 frs et elle doit 50 000 frs au fisc. Quand on aura vendu aux enchères, il ne restera rien pour les autres créanciers. Les bouquins se vendront au camion à raison de 80 frs les 1 000 kilos et tout le bénéfice que vous en aurez tiré sera d’avoir ruiné un homme qui, peut-être, vous a fait quelque bien. »
Terrible aveu qui montre à quel point Denoël se trouve alors tenaillé entre une situation financière difficile et le manque de souplesse de Céline qui se vantera plus tard d’avoir été l’auteur le plus exigeant sur le marché. Mais s’il abreuvait volontiers son éditeur de sarcasmes, cela ne l’empêchera pas, plus tard, de lui rendre un juste hommage : « Un côté le sauvait… il était passionné des Lettres… il reconnaissait vraiment ce travail, il respectait les auteurs. »
Nul éloge comparable, sous la plume de Céline, à l’égard de Gaston Gallimard, faut-il le préciser ?
Qui était vraiment Robert Denoël ? On trouvera des réponses à la question dans cette enquête qui s’est attachée à remonter aux sources, tout homme étant le fruit de ses origines et de son éducation. Le fait que Jean Jour soit également natif de Liège lui aura permis de mieux appréhender cette figure secrète. Il s’agissait aussi de comprendre cette volonté farouche de s’affranchir d’un milieu provincial figé : celui de la bourgeoisie catholique des années vingt.
Et si Denoël a marqué l’histoire littéraire des années qui ont suivi, c’est grâce à une forte personnalité qui lui permit de vaincre bien d’obstacles : « Le physique de l’homme traduit le caractère. Tête romaine, figure romantique, mais empreinte d’énergie. Les yeux observateurs, sous les lunettes, pétillent d’esprit ». Ainsi le voit un compatriote venu lui rendre visite dans son bureau directorial, trois ans seulement avant sa disparition.
Robert Denoël avait toutes les qualités d’un grand éditeur et on peut rêver à ce qu’eût été son destin si la guerre, suivie de cette mort tragique, n’avait pas mis un terme à une vocation contrariée par les vicissitudes du temps.
Journaliste, Jean Jour (1937-2016) est né sur l’île d’Outremeuse, à Liège, patrie de Simenon, et en a retenu tout le côté pittoresque. Il est l’auteur d’une cinquantaine de livres très divers et a traduit plusieurs romans américains.
Robert Denoël, un destin de Jean Jour, éditions Dualpha, collection «Vérités pour l’Histoire», dirigée par Philippe Randa, 246 pages, 27 euros. Nombreuses illustrations. Pour commander ce livre, cliquez ici.
11:26 Publié dans Littérature, Livre, Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : livre, jean jour, robert denoël, louis-ferdinand céline, céline, france, littérature, littérature française, lettres, lettres françaises, marc laudelout | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Bulletin célinien n°415
Février 2019
Sommaire :
Rencontre avec Yves-Robert Viala
À l’agité du bocal (re)composé par Bernard Cavanna
La vérité sur Bessy
Une conférence sur Céline
Le bilan de l’accueil et l’évolution de Céline de L’Église à Mort à crédit.
par Marc Laudelout
Tout a été dit sur l’indigeste pavé du tandem Taguieff-Duraffour paru au début de l’année passée ¹. En attendant la version en collection de poche, agrémentée d’une préface sur la réception critique (!), on peut maintenant y revenir avec quelque recul même si d’aucuns penseront qu’on lui accorde trop d’importance.
Fallait-il que les deux auteurs aient jadis éprouvé pour Céline « une admiration sans bornes » (expression employée dans l’introduction) pour en arriver là ! Peu suspect de complaisance envers l’écrivain, Émile Brami, dans l’un des premiers comptes rendus du livre, a magistralement montré l’inanité de certaines accusations (agent actif du SD, notamment) dépourvues de la moindre preuve ². Accusations basées sur une méthodologie contestable qui tient à la formation des auteurs : l’une vouée aux études littéraires, l’autre à la philosophie et à l’histoire des idées. Mais pas la moindre formation d’historien s’étant frotté à la critique interne et externe des documents. Si tel avait été le cas, plusieurs bourdes eussent été évitées. Le fait que Céline, véritable électron libre avant et pendant la guerre, ait souhaité la victoire de l’Axe et qu’il ait, à ce titre, fréquenté des officiels (allemands et français) n’est pas douteux. Ne l’est pas moins le fait qu’il n’ait pas mis une sourdine à son racisme (englobant son antisémitisme) pendant les années noires. Mais cela ne fait pas de lui un agent (stipendié ou pas) de la police allemande. D’autant qu’il est avéré qu’il fréquentait le plus souvent ces personnalités à des fins personnelles (récupération de son or saisi en Hollande, possibilité de séjourner sur la côte bretonne, etc.). Pour le reste, « était-il nécessaire de vouloir à toute force rendre Céline plus noir qu’il ne l’a été ? » ³. Oui s’il s’agit de faire en sorte que l’Université le boycotte tant et plus. Les auteurs auront alors beau jeu de constater qu’aucun « grand spécialiste universitaire » ne se penche décidément sur son œuvre. Mais, ce qui frappe le plus à la lecture du livre, c’est ce mépris d’acier qu’affichent les auteurs. Mépris envers l’écrivain qui a cessé d’être pour eux un classique, tout au plus un styliste de talent 4. Mépris envers ses exégètes, tel Henri Godard, déconsidéré car n’ayant pas les connaissances (philosophiques, ethnographiques, anthropologiques et génétiques) requises à leurs yeux pour pouvoir traiter valablement du sujet 5. Mépris envers les chercheurs, tel Éric Mazet ou Jean-Paul Louis, perçus comme des dévots du « culte célinien ». Mépris envers la plupart des autres célinistes, « érudits aussi passionnés que limités dans leurs perspectives ». Mépris enfin envers les admirateurs de son œuvre. Tous étiquetés célinophiles, célinomanes ou célinolâtres. De Kaminski à Peillon en passant par Vanino, Kirschen, Gosselin, Martin, Bounan et Bonneton, la liste des livres hostiles à Céline est déjà longue. Nul doute que celui-ci a décroché la palme.
00:27 Publié dans Littérature, Revue | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : céline, marc laudelout, louis-ferdinand céline, littérature, littérature française, lettres, lettres françaises, france | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Bulletin célinien
Janvier 2019
Sommaire :
Réhabilitation littéraire
Aux céliniens d’en bas
Céline à Drouot
Le choc de Breugel
Le Prix Renaudot et la participation du lauréat
Quand Jacques Ovadia écrivait à Céline et à Pauvert
Intolérable « réhabilitation littéraire » de Céline ! C’est le sens implicite d’un article de Philippe Roussin * (qui se trouve être, comme Taguieff et comme Anne Simonin, directeur de recherche au CNRS). Selon lui, cette réhabilitation s’est faite au prix du refoulement de son antisémitisme. Paradoxal car, depuis une trentaine d’années, on ne peut plus lire un article sur Céline sans que ne soit inévitablement rappelé son passé de “collabo” et son antisémitisme patenté. Affirmer que cela a été mis sous le boisseau apparaît ébouriffant. C’est à croire que cet universitaire ne lit pas les journaux et ne regarde pas la télévision. Chaque commentateur se fait un devoir de rappeler cette composante de l’œuvre. Par ailleurs, ces vingt dernières années, les essais, opuscules et articles sur l’idéologie célinienne se sont multipliés.
Retour en arrière : dans un entretien paru il y a quelques années ¹, Roussin confiait que lorsqu’il était étudiant, il lisait avec passion la revue Tel quel de Sollers, « alors la seule université digne de ce nom ». C’était l’époque où ce trimestriel, très impliqué en politique, célébrait la “réussite” de la révolution culturelle chinoise. Aujourd’hui, Roussin déplore le virage que cette publication prit ensuite, lorsqu’elle « se détourna de la politique et hissa la littérature française au rang d’un absolu ». Sollers et ses amis redécouvrirent alors puis revendiquèrent Céline « comme leur champion incontesté ». Et proclamèrent qu’on ne peut pas juger un écrivain sur des critères moraux. C’était prendre le contre-pied des thèses sartriennes qui ont, on l’aura compris, l’aval de Roussin. Pour celui-ci, la littérature doit nécessairement se soumettre au jugement politique. Bien entendu il est résolument contre une réédition scientifique des pamphlets car ce serait leur donner « une caution exagérée ». Et d’ajouter (il se refuse naturellement à détenir ces textes chez lui) : « Ceux qui veulent les lire n’ont qu’à faire comme moi, aller en bibliothèque. ».
Sur deux pages, il passe douloureusement en revue les nombreux aspects de la gloire posthume de Céline : le fait qu’il soit reconnu à l’égal de Proust, sa consécration éditoriale dans la Pléiade, l’inscription (1993) de Voyage au bout de la nuit au programme de l’agrégation de littérature française, l’achat du manuscrit par la B.N.F, la dizaine de biographies à lui consacrée, le succès des adaptations théâtrales, etc. Heureusement, « la réhabilitation littéraire a ses limites » : retrait en 2011 du “Recueil des célébrations nationales” et suspension l’année passée du projet de réédition des pamphlets par Gallimard face aux protestations qu’il a suscitées. Roussin considère que l’actualité célinienne n’est plus seulement d’ordre littéraire mais aussi d’ordre politique en raison notamment du climat « xénophobe » en France et en Europe. Claire allusion au souhait des peuples de vouloir à la fois restreindre l’immigration de masse et l’accueil des migrants. De là à évoquer une “révolte des indigènes”…
• Philippe Roussin, « Réhabiliter Céline » in L’Histoire, n° 453, novembre 2018, pp. 62-64.
00:05 Publié dans Littérature, Revue | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : revue, céline, louis-ferdinand céline, marc laudelout, littérature, littérature française, lettres, lettres françaises | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Bulletin célinien n°413 (décembre 2018)
Sommaire :
L’énigme de l’assassinat de Denoël enfin résolue ?
Le lancement de Voyage et la querelle du Prix Goncourt
Esther Rhodes (1905-1955)
Jusqu’à ce jour, tout le monde (Céline lui-même, ses biographes, le monde judiciaire) considérait qu’en 1950 la justice française avait été bonne fille avec l’auteur des Beaux draps. Anne Simonin, directrice de recherche au CNRS, estime, elle, que le jugement fut d’une « sévérité extrême » ¹. Mais il y a mieux : on sait que l’année précédente, en novembre 1949, le commissaire du gouvernement Jean Seltensperger fut dessaisi du dossier, sa hiérarchie estimant son réquisitoire magnanime. Il se concluait, en effet, par le renvoi de Céline devant une Chambre civique (au lieu de la Cour de justice), ce qui eût entraîné une peine sensiblement moins lourde. L’historienne considère qu’il s’agit en réalité d’une « apparente complaisance », le magistrat ayant, au contraire, fait preuve d’une rare duplicité : « Imaginer renvoyer Céline en chambre civique était une façon habile de l’inciter à rentrer en France et à se produire en justice. Une fois Céline devant une chambre civique et condamné à la dégradation nationale, rien n’interdisait au commissaire du gouvernement de considérer que Céline avait aussi commis des actes de nature à nuire à la défense nationale (art. 83-4 du Code pénal). Le mandat d’arrêt, ordonné en 1945, autoriserait alors à renvoyer Céline en prison avant de le déférer en Cour de justice. Et le tour serait joué. » C’est perdre de vue que, dans son réquisitoire, Seltensperger avait requis la mainlevée du mandat d’arrêt. Et c’est surtout ne pas connaître les arcanes de cette histoire judiciaire. Coïncidence : il se trouve que le père (magistrat, lui aussi) d’un de nos célinistes les plus pointus, Éric Mazet, fut le meilleur ami de Jean Seltensperger. Au mitan des années soixante, les confidences que celui-ci fit au jeune Mazet attestent qu’il n’a jamais voulu piéger Céline, bien au contraire. Le réquisitoire modéré qu’il prononça en atteste et ce n’est pas pour rien que le dossier fut confié à un autre magistrat.
Ce n’est pas tout. En février 1951, les Cours de justice, juridiction d’exception chargé des affaires de Collaboration, furent dissoutes : celles-ci relevaient désormais de juridictions militaires. En avril, le Tribunal militaire de Paris fit bénéficier Louis Destouches d’une ordonnance d’amnistie applicable aux anciens combattants blessés de guerre. Ici aussi, l’historienne s’insurge, estimant que cette amnistie découle d’un faux en écriture publique (!). Explication, photo du document à l’appui : c’est un paragraphe ajouté à la main qui amnistia Céline « à l’insu » [sic] du Tribunal militaire. En tant que biographe de Céline, l’avocat François Gibault a étudié le dossier et connaît intimement cette matière. Il estime l’hypothèse pour le moins fantaisiste : « Si le Tribunal militaire n’avait pas délibéré sur la question de l’amnistie, le Président l’aurait fait savoir quand tout le monde lui est tombé sur le dos. Idem pour les juges du Tribunal militaire. La photo qui figure en marge de l’article est un jugement-type remis par le greffier au président pour gagner du temps. Il est d’usage que le président du tribunal supprime les passages inutiles, remplisse les blancs et ajoute à la main ce qui doit l’être. » Il paraît qu’Anne Simonin veut entreprendre des recherches pour savoir s’il s’agit bien de l’écriture de Jean Roynard, le magistrat qui présidait le Tribunal militaire. Notre historienne se doute-t-elle que cette écriture peut tout aussi bien être celle du greffier, du juge-rapporteur ou d’un autre juge qui tenait la plume ? Et connaît-elle le rôle déterminant qu’eut le colonel André Camadau, en charge de l’accusation, dans cette affaire ? ² Rien n’est moins sûr…
18:58 Publié dans Littérature, Revue | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : céline, louis-ferdinand céline, lettres, lettres françaises, littérature, littérature française, revue, bulletin célinien, marc laudelout | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Bulletin célinien, n°412
Sommaire :
Pierre Laval vu par Céline
Un guide du Paris “réac et facho”
Sillonner les transports céliniens à la recherche du style
Voyage à nouveau sur les planches
Céline au bout de la nuit africaine
par Marc Laudelout
Contre Céline tout est désormais permis. Dans un fort volume d’un millier de pages, on peut, sans susciter guère de contestations, le faire passer pour un vil délateur et un actif agent de l’Allemagne alors même qu’on n’apporte aucune preuve tangible. Tout ou presque n’y est que suppositions gratuites, insinuations malveillantes, déductions fallacieuses et hypothèses bancales. Le piège est redoutable car réfuter ces calomnies vous fait ipso facto passer pour un personnage suspect. Céline, il est vrai, n’est pas un écrivain facile à défendre tant il s’est mis lui-même dans un mauvais cas. Il ne s’agit d’ailleurs pas de le défendre (son procès se tint il y a plus d’un demi-siècle) mais d’établir les faits, uniquement les faits. On aurait envie de répondre à ses détracteurs que ce n’est pas la peine d’en rajouter même si l’envie démange certains de le mettre indéfiniment en accusation. Ils n’ont de cesse de faire encore et toujours son procès. L’année du cinquantenaire de sa mort, la chaîne franco-allemande Arte, puis la Télévision suisse romande, ont précisément diffusé un documentaire refaisant Le Procès de Céline, où intervenait déjà le tandem Taguieff-Duraffour. Aujourd’hui, la revue L’Histoire publie un dossier sur le même sujet ¹ et, au début de ce mois, le tribunal de la FFDE (Fédération Française de Débat et d’Éloquence) organise au Palais de Justice de Paris un nouveau “procès Céline” !C’est dire si le livre de David Alliot et Éric Mazet vient à point nommé pour remettre les pendules à l’heure. Le lecteur y verra que ni le docteur Joseph Hogarth (Bezons) ni le docteur Herminée Howyan (Clichy) ne furent victimes des propos de leur confrère Destouches. Et, comme l’a admis l’Association des Amis de Robert Desnos, Céline n’est strictement pour rien dans le sort tragique du poète. Les auteurs démontent aussi l’assertion venimeuse selon laquelle Helmut Knochen aurait désigné Céline comme agent du SD. C’est de la même farine que la mention de son nom sur une note d’Otto Abetz le pressentant pour diriger le Commissariat général aux questions juives. Le premier biographe de Céline évoquait déjà un « document sans aucune valeur de preuve » (Gibault III, p. 257). Tout le problème réside là, en effet : n’ayant ni l’un ni l’autre de formation historique, Taguieff et Duraffour ne procèdent à aucune critique interne et externe des documents qu’ils exhument. À partir de là, c’est la porte ouverte à toutes les allégations, surtout si elles vont dans leur sens.Le plus grotesque dans la démarche de Taguieff est sans doute ailleurs : dénier à Céline toute réelle valeur littéraire. « Son pavé est conçu comme une entreprise de démolition de l’écrivain. L’intention est bien d’écarter de Céline tout lecteur, tout directeur de thèse, tout acteur, comme autrefois les catholiques jetaient l’opprobre sur Voltaire, les républicains sur Chateaubriand, les féministes sur Sade et les sacristains sur Baudelaire. »
Gageons que la grande presse ne parlera guère de cet opuscule incisif et pugnace. Ce serait mettre en question les articles convenus qui rendirent compte du bouquin de Taguieff. Les céliniens, eux, savent ce qu’il leur reste à faire : lire et faire connaître autour d’eux cet ouvrage qui y répond de si magistrale façon.
• David ALLIOT & Éric MAZET, Avez-vous lu Céline ?, Pierre-Guillaume de Roux, 2018, 128 p. Diffusé par le BC (20 €, port inclus).
14:38 Publié dans Littérature, Revue | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : céline, louis-ferdinand céline, littérature, lettres, lettres françaises, littérature française, revue, marc laudelout | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Bulletin célinien n°411
octobre 2018
Sommaire :
- Céline en Italie:
Rencontre avec Valeria Ferretti
- Une « dénonciation oubliée »
- Actualité célinienne
- « Céline & Céline » de Michel Ruffin.
par Marc Laudelout
Jean-Luc Barré, qui dirige depuis une dizaine d’années la collection « Bouquins » chez Robert Laffont, accomplit une partie de la mission que n’assure plus Antoine Gallimard pour la « Bibliothèque de la Pléiade ». Celle-ci se targue d’être « un héritage augmenté des chefs-d’œuvre de notre temps ». Pour des raisons de toute évidence idéologiques, la maison Gallimard refuse une part de cet héritage. Ni Barrès, ni Bainville, ni Maurras n’y ont droit de cité. Tous trois réédités, en revanche, dans la collection « Bouquins ». On peut naturellement penser ce que l’on veut du maître de Martigues mais nier qu’il ait exercé, pendant près d’un demi-siècle, un magistère intellectuel sur ses contemporains serait grotesque. Dans un fort volume de plus d’un millier de pages, les éditions Robert Laffont rééditent donc ses grands textes, de L’Avenir de l’intelligence à Kiel et Tanger sans oublier ceux sur l’esthétique ainsi que sa poésie dont de superbes textes érotiques inédits.
Il est sans doute inutile de rappeler ici à quel point les tropismes céliniens diffèrent des tropismes maurrassiens. Attiré par la Méditerranée et l’Antiquité gréco-latine, Maurras eut une inclination pour le fascisme italien tout en vitupérant contre l’Allemagne dont il fut, tout au long de sa vie, un farouche adversaire. Alors même que Céline considérait cette germanophobie contre nature et porteuse de nouveaux périls. Dans un article paru en 1942, « La France de M. Maurras », son ami Lucien Combelle stigmatisait, lui aussi, cette germanophobie. Ce qui lui attira un commentaire acerbe de Céline lui reprochant de passer à côté de ce qui était pour lui l’essentiel : l’antiracisme de Maurras déjà tancé quatre ans auparavant dans L’École des cadavres. À la suite d’Urbain Gohier, Céline soupçonnait même des origines sémites au leader de l’Action Française.
À ce propos, signalons que l’unique livre consacré à Combelle vient d’être réédité dans cette même collection « Bouquins » avec d’autres livres de Pierre Assouline sur la période de l’Occupation : ses romans (La cliente, Lutetia, Sigmaringen), sa biographie de Jean Jardin et son essai sur l’épuration des intellectuels. C’est dire si cette période fascine depuis toujours Assouline qui s’en explique dans une préface inédite, « Apologie de la zone grise ». Il y évoque avec nuance sa relation à cette histoire complexe. Laquelle n’était pas faite que de héros et de salauds. Comment d’ailleurs qualifier un jeune Français d’une vingtaine d’années acceptant de risquer sa vie sur le front de l’Est pour des idées qu’il croit justes ? Le juif sépharade qu’est Assouline fut l’ami de Combelle qui, non seulement crut au fascisme, mais en fut un ardent militant jusqu’en juillet 1944. Cette amitié l’honore, cela va sans dire, mais ce qui le distingue encore davantage de la plupart de ses confrères, c’est le refus de tout manichéisme. Et le goût de comprendre avant de juger.
La correspondance de Céline à Combelle a été éditée par Éric Mazet dans L’Année Céline 1995 (Du Lérot, 1996, pp. 68-156). Signalons aussi l’émission télévisée de Bernard Pivot sur « Les intellectuels et la Collaboration » (Apostrophes, 1er décembre 1978) à laquelle Combelle participa [https://www.youtube.com/watch?v=IcgWGFwt7nQ] et la série d’entretiens que Pierre Assouline eut avec lui (À voix nue, France Culture, 25-29 juillet 1988) [https://www.youtube.com/watch?v=D6rWO3pEPdc].
00:37 Publié dans Littérature, Revue | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : céline, louis-ferdinand céline, revue, marc laudelout, littérature, littérature française, lettres, lettres françaises | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Bulletin célinien, n°410, septembre 2018
Sommaire :
Céline et Joyce
Un débat sur la réédition des pamphlets
Clément Rosset et Céline
Maurice Lemaître et l’ “Association israélite pour la réconciliation des Français”
Un grand livre sur Roger Nimier
En arrière-plan de ce colloque : la polémique suscitée par le projet de réédition des pamphlets par les éditions Gallimard. Une table ronde réunissant diverses personnalités fut organisée en ouverture du colloque. Nous en rendons compte dans ce numéro. À l’exception notable de Philippe Roussin, directeur de recherches au CNRS, il faut noter que tous les spécialistes de Céline sont favorables à cette réédition. Hormis François Gibault, qui s’est fait durant un demi-siècle le porte-parole de l’ayant droit ³, observons que cela a toujours été le cas. Il y a plus de trente ans déjà, nous avons publié ici leurs appréciations 4. Dont celle de Henri Godard qui, contrairement à ce qui fut sous-entendu lors de cette table ronde, s’exprima dès le début de manière claire : « Plus l’audience des textes disponibles en librairie s’accroît, plus il devient anormal que les mêmes lecteurs n’aient accès qu’en bibliothèque ou au prix du commerce spécialisé, aux écrits qu’ils trouvent cités, interprétés et jugés dans des travaux critiques. »
18:59 Publié dans Littérature, Revue | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : céline, littérature, littérature française, lettres, lettres françaises, revue, marc laudelout | | del.icio.us | | Digg | Facebook
00:15 Publié dans Cinéma, Film, Histoire, Littérature | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : anne brassié, cheyenne-marie caron, film, cinéma, cinéma français, marc laudelout, céline, littérature, littérature française, lettres, lettres françaises, aviation, martine gay, russie, seconde guerre mondiale, urss, armée rouge | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Bulltetin célinien n°403
Sommaire :
Une réédition sous surveillance
Klarsfeld réclame l’interdiction des pamphlets
Un poème d’Auguste Destouches
Le docteur Clément Camus (2e partie)
Théâtre : La Ballade du soldat Bardamu.
Cette édition collective fera-t-elle problème ? Déjà le Conseil représentatif des institutions juives de France s’est dit hostile à cette initiative, considérant que cette réédition n’est rien d’autre qu’une « réhabilitation des idées nauséabondes de l’auteur de Voyage au bout de la nuit. » Francis Kalifat, président du CRIF, ajoute que son organisation restera vigilante quant à la mise en perspective historique ajoutée à cette réédition, tout autant qu’à la qualité de l’appareil critique. Quant aux célinistes, on sait qu’ils sont quasi tous favorables à cette réédition. En 1984, le BC avait notamment cité l’avis de Philippe Alméras, premier président de la Société d’Études céliniennes : « D’une part on a bien tort de donner à tout un secteur du corpus célinien l’attrait de l’interdit, d’autre part si cette pensée est aussi “bête”, “aberrante”, “incohérente” qu’on le dit, pourquoi ne pas l’étaler et la laisser se détruire toute seule ? ». Quant à Henri Godard, il estimait que « plus l’audience des textes disponibles en librairie s’accroît, plus il devient anormal que les mêmes lecteurs n’aient accès qu’en bibliothèque ou au prix du commerce spécialisé, aux écrits qu’ils trouvent cités, interprétés et jugés dans des travaux critiques » ¹. Dans un livre plus récent, il observait que l’amateur de Céline, découvrant aujourd’hui ces écrits polémiques, a inévitablement deux types de réactions : « Tantôt : je n’imaginais pas qu’il puisse y avoir de telles horreurs. Tantôt : je n’imaginais pas qu’il y avait de si beaux passages, ou si drôles ². » Tout est dit.
Le Bulletin célinien a été fondé en 1981 par Marc Laudelout (n°0). D’abord trimestriel (1982, n° 1 à 4), il devient mensuel à partir de l’année suivante. Plus de 400 numéros ont paru depuis. Il s’agit du seul périodique mensuel consacré à un écrivain.
Écrire à Marc Laudelout
139 rue Saint-Lambert
B.P. 77
1200 Bruxelles
Belgique
bulletinlfc@gmail.com
16:59 Publié dans Littérature, Revue | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, littérature française, louis-ferdinand céline, céline, france, lettres, lettres françaises, pamphlets de céline, marc laudelout | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Le n°400 du Bulletin célinien
Sommaire : L’art de l’annonce chez Denoël – Bouquet pour le 400e – Un flâneur épicurien et lettré.
Tel quel, le Bulletin se veut un lien régulier avec ceux que l’on appelle les « céliniens ». Qui ne sont pas tous « célinistes », ce terme désignant en principe ceux qui travaillent sur le sujet qu’ils soient universitaires distingués ou amateurs éclairés. Que cela soit pour moi l’occasion de rendre hommage à la petite cohorte de pionniers : Nicole Debrie, Jean Guenot, Marc Hanrez, Dominique de Roux (†) et Pol Vandromme (†). Lesquels ont précédé la deuxième vague composée de Philippe Alméras, Jean-Pierre Dauphin (†), François Gibault, Henri Godard (fondateurs en 1976 de la Société d’Études céliniennes), Alphonse Juilland (†), Frédéric Vitoux, Henri Thyssens, Éric Mazet et quelques autres. Depuis lors, la vision que le public a de Céline s’est dégradée avec la parution d’ouvrages ayant pour but d’en faire un propagandiste stipendié. Si son importance littéraire n’est généralement pas remise en question, le portrait diffamant que l’on fait de l’écrivain n’est pas sans conséquence. Dans la bibliographie célinienne – devenue mythique à force de voir sa parution reportée – qu’Arina Istratova et moi finalisons, nous observons la baisse de travaux universitaires à lui consacrés. C’est qu’il devient périlleux de prendre Céline comme sujet de thèse (ou d’en assurer la direction) tant il apparaît aux yeux de certains comme éminemment sulfureux. Jean-Paul Louis, éditeur de la revue L’Année Céline, fustige à juste titre ceux qui veulent « mettre au pas le créateur coupable de déviances et d’expressions trop libres ». Le rêve inavoué étant de « l’exclure de l’histoire littéraire » ¹. Pour cela, certains détracteurs n’hésitent pas à minorer sa valeur. Et posent cette question insidieuse : « Pourquoi l’œuvre de Céline, contrairement à celles de Chateaubriand, de Balzac, de Flaubert ou de Proust, n’a-t-elle pas attiré de grands spécialistes universitaires, pourquoi a-t-elle été négligée par les critiques de haut vol ? ² » Poser la question c’est y répondre. Dans le sérail universitaire, se vouer à Céline suscite ipso facto la suspicion même si l’on affiche un brevet de civisme républicain. Henri Godard, pour ne citer que lui, en sait quelque chose ³.
N’en déplaise à ses contempteurs, l’œuvre de Céline est considérable. Assurée d’une postérité inaltérable – même si elle pourrait dans l’avenir être moins lue qu’aujourd’hui –, elle défie les siècles à l’égal de celle d’un Rabelais.
19:19 Publié dans Littérature, Revue | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : revue, littérature, littérature française, lettres, lettres françaises, france, céline, marc laudelout | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Ex: http://rebellion-sre.fr
Comme son nom l’indique, Le Bulletin célinien (fondé en 1981) est entièrement consacré à l’oeuvre de Louis-Ferdinand Céline. Chaque mois, il rend compte de tout ce qui constitue l’actualité célinienne. Cette revue indispensable est dirigée, avec la plus grande rigueur, par Marc Laudelout. Entretien publié dans Rébellion 29 – Mars/Avril 2008
Comment devient on célinien ? Qu’est ce qui vous touche le plus, personnellement, dans les écrits de l’auteur de Mort à crédit ?
Tout a commencé par la découverte du Voyage au bout de la nuit dans la bibliothèque paternelle alors que j’avais une quinzaine d’années. Ce fut un grand choc. La lecture des autres romans suivit, dont précisément Mort à crédit qui constitue, selon moi, son chef-d’oeuvre absolu. Ce qui me touche le plus, c’est l’harmonie entre l’univers célinien et le style à la fois si original et si prenant. J’apprécie beaucoup aussi ce mélange de comique et de tragique qui est, comme l’avait noté Céline lui-même à propos de Shakespeare (auquel il n’avait garde de se comparer !), la marque des grands écrivains. J’admire chez lui ses dons multiples qui en font à la fois un grand écrivain expressionniste et un polémiste étincelant qui, même lorsqu’il se fourvoie, ne perd pas son talent. J’ajoute que Céline n’est pas que le vociférateur qu’on dépeint souvent : c’est aussi un chantre lyrique de la danse, de certains paysages maritimes, de la beauté féminine,… Ajoutez à cela un grand talent d’épistolier (que La Pléiade célèbrera cette année), et vous aurez une vision presque complète de sa valeur en tant qu’écrivain.
Comment expliquer le regain d intérêt pour l’oeuvre de Céline depuis quelques années ? En rentrant dans les «classiques» de la littérature a-t-elle perdu de son aspect subversif ?
Je pense que, par son langage et sa façon de voir l’humanité, Céline est en phase avec son époque. Le fait qu’il soit devenu un classique n’a en rien entamé l’aspect subversif de son oeuvre, d’autant qu’une partie de celle-ci demeure sous le boisseau. Or, ses écrits de combat constituent aussi de grands moments de littérature, comme je l’ai indiqué. L’oeuvre célinienne est avant tout subversive dans la mesure où sa vision de l’homme est décapante et débarrassée des idéologies sclérosées. Ce qui est subversif chez lui, c’est une grande lucidité alliée à une sorte de mysticisme athée. C’est ce mélange qui est détonant.
Le pessimisme célinien ne laisse que peu de place à l’espoir. Dans cette vision extrêmement noire de la vie, n’y a t il donc rien au bout de la nuit ?
Céline a, en effet, une vision assez noire de l’humanité mais il y a des éclaircies dans son oeuvre personnalisées par des figures inoubliables, tel le sergent Alcide, dans Voyage au bout de la nuit, qui rachètent toutes les autres. Paradoxalement, c’est dans Les Beaux draps, publié en 1941, que Céline est le moins pessimiste puisqu’il y propose un véritable programme de régénération nationale qui passe notamment par une réforme radicale de l’enseignement ainsi que par l’organisation de la société française sur des bases communautaires.
Quel rôle joue l’humour si particulier qui émane tant de l’oeuvre que du personnage lui-même ? Serait-ce une catharsis de la misère humaine, une échappatoire ou bien l’ironie du désespoir ?
Un peu tout cela à la fois… C’est surtout, chez Céline, une arme redoutable. Lorsqu’il est en exil au Danemark, il menace ses épurateurs d’un pamphlet vengeur, sachant très bien combien sa vis comica est puissante et dévastatrice. À l’instar de Proust, Céline est un très grand auteur comique, ce qui n’exclut ni profondeur ni gravité.
Dans l’écriture de Céline on trouve un mélange de colère et de fureur. Quelle place tient la révolte dans ses écrits et dans sa vie ?
Céline est, en effet, un homme en colère, fustigeant la société matérialiste de son temps et ses contemporains qu’il trouve lourds, préoccupés par des frivolités et subissant des influences délétères. Cette colère est aussi liée à l’histoire : ancien combattant de la guerre 14-18, blessé dans sa chair suite à son attitude héroïque, il refuse avec force un nouveau conflit franco-allemand qu’il estime fratricide. Ce pacifisme extrême l’amènera, comme on sait, à préconiser une alliance avec l’Allemagne nationale-socialiste.
Beaucoup de ses amis relevaient la grande différence entre l’homme qu il était vraiment –fidèle en amitié, médecin généreux et ami des bêtes – et le personnage de clochard misanthrope qu’il jouait dans les dernières années de sa vie. N’est ce pas là le plus paradoxal dans sa personnalité?
Céline, né sous le signe des Gémeaux, était un être très ambivalent, tour à tour avare et généreux, sensible et dur, compatissant et misanthrope, altruiste et indifférent,… C’est, en effet, une personnalité très paradoxale. Cela étant, il faut distinguer le Céline des années 20-40 et l’altruiste profondément déçu revenant d’exil. Nul doute que quelque chose s’est brisé en lui durant les dix-huit mois de réclusion qu’il fit au Danemark. Ces épreuves n’ont fait qu’accentuer sa misanthropie foncière. S’il ne s’est jamais renié, il regrettait, à la fin de sa vie, de s’être occupé de politique, estimant, disait-il, que ces problèmes le dépassaient de beaucoup.
A quel niveau placer «l’engagement politique» de Céline ? Est il pour vous, comme Marc Crapez le décrit dans son livre La Gauche réactionnaire, le dernier représentant de l’esprit sans-culotte hébertiste ?
Il faut se méfier des étiquettes. On trouve, en effet, chez Céline des accents hébertistes mais on peut aussi le rattacher à d’autres courants proches de l’anarchisme de droite qui suppose un regard sans complaisance sur le peuple tel qu’il est et non tel qu’on l’exalte. Lui-même se disait communiste mais « communiste d’âme » et bien entendu antidémocrate, résolument hostile à la dictature de la majorité. « Les cons sont la majorité, disait-il, c’est donc bien forcé qu’ils gagnent ! ».
La filiation littéraire de Céline est glorieuse – François Villon, Rabelais, Jules Vallès, Proust – comment a-t-il intégré ses influences dans son travail ?
Céline a créé son propre langage en parfaite adéquation avec son univers baroque mais il est évident qu’il ne part pas de nulle part. Les influences qu’il a subies sont multiples. Il avait une grande admiration pour les classiques, dont Chateaubriand et La Fontaine mais aussi les écrivains que vous citez, y compris Proust, si éloigné de lui, auquel il reconnaissait un incontestable don de créateur. À la fin de sa vie, il disait son estime pour trois écrivains contemporains : Henri Barbusse, Charles-Ferdinand Ramuz et Paul Morand (première manière) dans la mesure où eux aussi étaient parvenus à introduire l’émotion du langage parlé dans leur écriture.
On a dit aussi que Céline avait lu et apprécié Nietzsche. Pourtant, Lui-même ne l’a jamais évoqué directement dans son oeuvre ?
Céline était très discret sur ses lectures. On sait que, durant sa période londonienne, il fut un grand lecteur de Nietzsche qu’il citera plus tard (parfois sous forme allusive) et dans son oeuvre et dans sa correspondance. À cet égard, je vous recommande la lecture du livre de Anne Henry, Céline écrivain (L’Harmattan, 1994) qui montre avec talent la proximité de la pensée de Céline avec celle de Nietzsche mais aussi de Schopenhauer.
Vous dirigez Le Bulletin célinien, pouvez nous vous présenter ses activités ?
Le Bulletin célinien, qui en est à sa 27ème année, a essentiellement pour vocation de rendre compte de l’actualité célinienne (publications, colloques, adaptations théâtrales, échos de presse, etc.) mais publie aussi des études, des témoignages et divers documents relatifs à l’homme et à l’oeuvre. Je me considère, sans fausse modestie, comme un publiciste célinien, pas davantage. Le seul titre de gloire de la revue que j’anime est d’être l’unique mensuel consacré à un écrivain. En marge de l’édition de ce périodique, j’édite aussi des disques consacrés à Céline (Robert Le Vigan, Arletty, Albert Paraz, etc.) et des livres. J’ai notamment publié des ouvrages d’Alain de Benoist, Pol Vandromme, André Parinaud et Henri Poulain traitant de l’écrivain. En septembre prochain sortira le 300ème numéro du Bulletin…
Le prix de l’abonnement est de 56 € (France et Belgique). Pour les pays extra-européens l’abonnement est de 76 €. L’abonnement comprend les onze numéros de l’année en cours.
Le Bulletin Célinien
c/o Marc Laudelout,
139 rue Saint-Lambert,
BP 77
B-1200 Bruxelles (Belgique)
00:05 Publié dans Entretiens, Littérature, Revue | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : entretien, céline, marc laudelout, revue, littérature, littérature française, lettres, lettres françaises | | del.icio.us | | Digg | Facebook
par Marc Laudelout
Ex: http://bulletincelinien.com
On a beaucoup commenté la manière dont Céline se comporta avec Robert Denoël, puis Gaston Gallimard. Au moins a-t-il toujours joué franc jeu : « J’étais l’auteur le plus cher de France ! Ayant toujours fait de la médecine gratuite je m’étais juré d’être l’écrivain le plus exigeant du marché – Et je l’étais ¹. »
Giono, c’est autre chose. Sa correspondance avec Gallimard, qui vient de paraître, nous montre un personnage d’une duplicité peu commune. Dès 1928, Gaston lui propose de devenir son éditeur exclusif dès qu’il sera libre de ses engagements avec Grasset. Grand écrivain mais sacré filou, Giono n’aura de cesse de jouer un double jeu, se flattant d’être « plus malin » que ses éditeurs. Rien à voir avec Céline, âpre au gain, mais qui se targuait d’être « loyal et carré ». Giono, lui, n’hésitait pas à signer en même temps un contrat avec Grasset et un autre avec Gallimard pour ses prochains ouvrages. Chacun des deux éditeurs ignorant naturellement l’existence du traité avec son concurrent. But de la manœuvre : toucher deux mensualités (!). La mèche sera vite éventée. Fureur de Bernard Grasset qui voulut porter plainte pour escroquerie et renvoyer l’auteur indélicat devant un tribunal correctionnel. L’idée de Giono était, en théorie, de réserver ses romans à Gallimard et ses essais à Grasset. L’affaire ira en s’apaisant mais Giono récidivera après la guerre en proposant un livre à La Table ronde, puis un autre encore aux éditions Plon. En termes mesurés, Gaston lui écrit : « Comprenez qu’il est légitime que je sois surpris désagréablement. » Et de lui rappeler, courtoisement mais fermement, ses engagements, ses promesses renouvelées et ses constantes confirmations du droit de préférence des éditions Gallimard. En retour, Giono se lamente : « Avec ce que je dois donner au percepteur, je suis réduit à la misère noire. » Et en profite naturellement pour négocier ses nouveaux contrats à la hausse. Ficelle, il conserve les droits des éditions de luxe et n’entend pas partager avec son éditeur les droits d’adaptation cinématographiques de ses œuvres. Tel était Giono qui, sur ce plan, ne le cédait en rien à Céline. On peut cependant préférer le style goguenard de celui-ci quand il s’adresse à Gaston : « Si j’étais comme vous multi-milliardaire (…), vous ne me verriez point si harcelant… diable ! que vous enverrais loin foutre ! ² ».
À l’instar de Céline ³, Giono souhaitait se voir édité de son vivant dans la Bibliothèque de la Pléiade. Dix ans plus tard, le même scénario se répète : l’auteur de Colline meurt en 1970 un an exactement avant la parution de ses Œuvres complètes sur papier bible.
• Jean GIONO, Lettres à la NRF, 1928-1970 (édition établie par Jacques Mény), Gallimard, 2016, 528 p. (26,50 €).
00:05 Publié dans Littérature, Livre, Livre, Revue | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : marc laudelout, céline, littérature, lettres, lettres françaises, littérature française, jean giono, gaston gallimard, revue, bulletin célinien | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Vient de paraître :
Le Bulletin célinien n°368 (novembre 2014)
Au sommaire :
- Marc Laudelout : Bloc-notes [Entretiens avec Paul Morand]
- M. L. : Le Journal de Christian Dedet
- M. L. : Florent Morési est mort
- David Desvérité : Djian — Céline
- François Lecomte : Régine Deforges
- Éric Mazet : Lucienne Delforge et Louis Destouches (II)
- Émeric Cian-Grangé : Entretien avec Nicole Debrie
Le Bulletin célinien, c/o Marc Laudelout, Bureau Saint-Lambert, B. P. 77, BE 1200 Bruxelles.
Abonnement annuel : 55 € (onze numéros).
Courriel : bulletinlfc@gmail.com
14:11 Publié dans Littérature, Revue | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : céline, littérature, littérature française, lettres, lettres françaises, marc laudelout, revue | | del.icio.us | | Digg | Facebook
François Gibault, notable hors norme
par Marc Laudelout
Né, comme Céline, sous le signe des Gémeaux, François Gibault est, par définition, un être paradoxal : réfractaire aux idées convenues, il rêve de consécration académique et se targue d’être Commandeur de la Légion d’honneur. Alerte octogénaire, il met en pratique les préceptes du docteur Destouches : une saine hygiène de vie gouvernée par la condamnation absolue de l’alcool et du tabac. S’il partage avec lui l’amour des voyages et de la danse, il n’apprécie pas, en revanche, la compagnie des chats et des chiens « qui ne savent dire que miaou et wouah wouah ».
Sous le titre Libera me, il signe un livre testamentaire sous la forme d’un dictionnaire émaillé de remarques acides et spirituelles. Il y passe en revue les personnages appréciés (ils sont légion) et détestés (une poignée), mais aussi les lieux et les choses immatérielles qui comptent pour lui (justice, liberté, tolérance, vérité, volupté,...).
La fin des années 70 vit la naissance du célinisme. Essentiellement dû à des universitaires de gauche, il permit la consécration, au sein des facultés de lettres, d’un écrivain réprouvé. Dans ce milieu partagé entre une vive admiration pour le styliste et une franche détestation de l’individu, Gibault, libéral assumé, se singularisa. Lors d’une émission télévisée consacrée à Sartre et Céline, ne fut-il pas le seul à rappeler les complaisances de l’auteur des Chemins de la liberté envers le communisme moscoutaire ? Lequel aboutit au goulag, asséna-t-il face à une sartrienne pithiatique. L’hommage rendu au cimetière de Meudon, le 1er juillet 2011, défrisa certains esprits obtus. De même que cette préface où il affirme que Céline n’a jamais voulu le massacre des juifs. Le président de la SEC n’en a cure. Ce bourgeois ordinaire a du caractère. D’un bout à l’autre de cet ouvrage plane la présence du contemporain capital. Éditeur de Rigodon, biographe de l’écrivain, conseil de Lucette et président de la Société d’Études céliniennes, François Gibault est tout sauf un inconnu pour les lecteurs du BC. On ne s’étonnera pas que l’univers célinien se retrouve dans de nombreuses entrées de ce dictionnaire. Celle consacrée à Lucette Destouches bien entendu (« l’intelligence du cœur, le refus de toutes les fatalités, de la bêtise et de la méchanceté »), mais aussi à Marie Bell (« amoureuse de Céline, amour qu’il ne lui a sans doute jamais rendu »), Arno Breker (et son « buste raté » de Céline, réalisé post mortem), Lucien Combelle (« qui jetait sur son passé un regard critique très rare chez les anciens collaborateurs »), Robert Debré (disant de Céline que « c’était un médecin qui avait le feu sacré »), Gen Paul (« rapin alcoolique, Iago, un peu Vidocq »), Guy de Girard de Charbonnières (qu’il vit « vêtu d’une pelisse ornée d’un col de fourrure à poil long »), Karen Marie Jensen (« intelligente et de bonne éducation »), André Lwoff, deuxième président de la SEC (« un Nobel à notre tête, membre de l’Académie des sciences et de la Française, grand-croix de la Légion d’honneur, nous avions de quoi clouer quelques becs »), Lucien Rebatet (qui « éprouvait pour Céline une admiration teintée de jalousie »), etc. Le portrait de Jeanne Loviton est le plus pittoresque. Introduit dans sa bonbonnière de l’avenue Montaigne par un maître d’hôtel en livrée, Gibault observera que « Madame était de bonne humeur, convaincue de [l’] avoir roulé dans la farine, embobiné comme elle avait embobiné tant d’autres, mis dans sa poche, anesthésié. ».
Marc LAUDELOUT
•François GIBAULT, Libera me, Gallimard, 2014, 421 p. (23,90 €). Voir aussi son livre précédent, Singe (Éditions Léo Scheer, 2011), autobiographie débridée, dont la presse a salué « la prose altière, émue et rigolarde à la fois » (J. Garcin) et « une leçon de littérature dont l’auteur maîtrise tous les registres » (É. Naulleau).
00:03 Publié dans Littérature, Livre, Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : marc laudelout, françois gibault, lettres, lettres françaises, littérature, littérature française, céline | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Célébration des maudits
Le trimestriel de la droite radicale, Réfléchir & agir, se présente comme une « revue autonome de désintoxication idéologique ». Pas moins. Cette publication militante offre à ses abonnés un « hors-série », bouquet d’hommages à une quinzaine d’écrivains ayant comme point commun d’avoir pris des risques conséquents pour leurs idées. Drieu La Rochelle, Brasillach, Saint-Loup, Bardèche, Venner, Evola, Rebatet et… Céline. Heureuse surprise : l’hommage rendu à celui-ci est signé par le professeur Jean Bastier, auteur du Cuirassier blessé (1999) que tout célinien se doit d’avoir dans sa bibliothèque. En consultant au Service historique de l’Armée de Terre le Journal [manuscrit] des marches et opérations du 12e Cuirassiers, on se souvient que Jean Bastier avait reconstitué avec précision la guerre de Louis Destouches et l’avait comparé avec ce qu’il en dit dans Voyage au bout de la nuit. Somme malheureusement épuisée qu’il conviendrait de rééditer à l’occasion du centenaire, d’autant que c’est précisément en 1914 que Céline fut grièvement blessé.
Intitulé « Le rire de Céline », cet hommage célèbre la vis comica de l’écrivain. Texte d’autant plus attachant qu’il est très personnel : « Avec mon père, nous nous récitions de mémoire des paragraphes, et c’étaient de grands rires qui ponctuaient nos phrases de Céline. Ma mère survenait pour clamer son indignation : “ Comment ! Rire en citant du Céline ! Cet écrivain grossier, absolument illisible, qui parle dans ses livres de la merde et du vomi ! ” Cette indignation nous faisait redoubler de rire, et d’évoquer la chasse d’eau bouchée au château de Sigmaringen. ». Il ajoute : « J’étais devenu un célinien inconditionnel, un dévot, et je faisais du prosélytisme. L’on m’avait pourtant mis en garde : si j’avais l’ambition de devenir professeur des facultés de Droit, je devais plutôt me comporter en bien pensant et éviter de dire que je lisais Céline et Drieu La Rochelle, Ernst Jünger et autres auteurs maudits par la société française. » Ayant vécu son enfance en Algérie auprès de familles juives traditionalistes, Jean Bastier confie, en revanche, n’avoir jamais compris l’antisémitisme de Céline tout en estimant qu’il ressemble à celui de Jouhandeau, ce qui peut paraître curieux car celui-ci s’apparente plutôt à l’antisémitisme d’État de l’Action Française dont l’auteur de Chaminadour était alors proche. Se référant à une réédition anastatique (et posthume) du Péril juif, Bastier ne précise pas que ce recueil parut en fait la même année que Bagatelles. Ses digressions sur l’onomastique célinienne sont davantage pertinentes. Ainsi que celles sur l’argot et l’oralité. On estimera, en revanche, superfétatoires ses observations moralisantes sur la personnalité de Céline, d’autant qu’elles se fondent parfois sur des interprétations abusives ou erronées. Il arrive qu’une morale confessionnelle fausse le jugement. Par ailleurs, s’il s’était moins fié à ses souvenirs de lecture, notre ami Bastier n’aurait pas confondu Yves et Yvon Morandat, Serge et Gilles Perrault, ou, ce qui est plus fâcheux, Doriot et Degrelle (à propos d’un discours prononcé à Sigmaringen). Vétilles. Son témoignage est précieux car il met l’accent, on l’a dit, sur le rire célinien, « au centre de la personnalité de Céline comme un noyau incandescent ».
Marc LAUDELOUT
• Réfléchir & Agir, hors-série n° 1, 2014, 74 p. (textes de Éric Delcroix, Daniel Leskens, Philippe d’Hugues, Pierre Gillieth, Jean Bastier, Bruno Favrit, Georges Feltin-Tracol, Patrick Canet, Eugène Krampon, Pierre Vial). Ce numéro n’est pas vendu séparément. Il est offert aux abonnés. Abonnement simple : 26 € ; abonnement de soutien : plus de 35 € ; abonnement étranger : 40 €). Chèque à adresser à CREA, B.P. 80432, 31004 Toulouse Cedex 6.
00:05 Publié dans Littérature, Revue | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, lettres, revue, marc laudelout | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Le festin des loups
par Marc Laudelout
Les forces de l’Axe ont perdu la bataille mais les personnalités qui l’illustrèrent la gagnent en librairie. Les biographies de Goering, Himmler et Goebbels « cartonnent » et les ouvrages sur la Collaboration s’arrachent. Dans son dernier livre, David Alliot esquisse le portrait de quelques-unes de ces figures. Hormis quelques détails, ceux qui connaissent cette période n’y apprendront strictement rien, mais il est vrai qu’il s’agit d’un ouvrage de vulgarisation. « Collabos, profiteurs et opportunistes sous l’Occupation », tel est le sous-titre du livre. On imagine ce qu’en aurait pensé un Lucien Combelle ou un Henri Poulain, amis de Céline que j’ai un peu connus. Si la Collaboration compta dans ses rangs des êtres sans scrupules et sans idéal, il y eut aussi des écrivains, des journalistes et des militants qui crurent de bonne foi à la justesse de leur combat. Après avoir lu cet ouvrage, la jeune génération risque de mettre tout ce monde dans un même sac guère ragoûtant. Sur cette période, on peut préférer relire Henri Amouroux qui, sans être historien de formation, nous a laissé un travail d’une rare équité.
On ne s’étonnera pas que, sous la plume de David Alliot, Céline constitue le fil rouge du livre. Il est naturellement présent dans les chapitres sur Olier Mordrel, Hermann Bickler et George Montandon qu’il fréquenta. Lui-même occupe un chapitre intitulé « D’un château l’hôte » (!). Alliot y retrace son parcours du 17 juin 1944, date de sa fuite, à sa mort, avec quelques retours en arrière pour expliquer les raisons de son antisémitisme. Occasion de citer, avec l’autorisation de l’ayant droit, quelques extraits de Bagatelles. Dont cette cruelle et drolatique métaphore sur la noblesse française qui « a sucé plus de foutre juif qu’il n’en faut pour noyer la plaine d’Azincourt ». Découvreur de pépites, David a même déniché le témoignage inédit d’un haut fonctionnaire de Vichy qui côtoya Céline à Sigmaringen.
Naïade au maillot et déhanchement provocants, Maud Sacquard (alors future baronne de Belleroche) est, comme on sait, passée à la postérité littéraire grâce à un passage fameux de Nord. L’auteur a recueilli les propos de l’intéressée : « Céline m’aimait beaucoup, mais là, il exagère un peu. C’était l’été, il faisait beau. Je prenais soin de mon corps, et comme j’ai toujours aimé nager… Mais de là à exciter les hommes... ». À propos du couple Sartre-Beauvoir, l’auteur synthétise ce que Gilbert Joseph nous a révélé de leur attitude sous l’Occupation, et rappelle opportunément un incident qui eut lieu en février 2011 lors du colloque sur Céline organisé à Beaubourg (j’y étais) : « Une petite universitaire de province provoqua l’hilarité du public en affirmant avec un aplomb stupéfiant que Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir avaient résisté pendant la Seconde Guerre mondiale. La sérénité ne revient dans la salle qu’après un péremptoire « Taisez-vous ! » lancé par l’intéressée. » Dans sa conclusion, David Alliot pose curieusement la question : « Fallait-il fusiller Robert Brasillach? ».
L’ancien avocat général Philippe Bilger a donné la réponse : « On peut tourner le problème dans tous les sens, accabler Brasillach autant qu’on le veut, avoir la nausée à la lecture de ses articles, le prendre pour un écrivain surestimé et un journaliste haineux, rien, jamais, ne parviendra à justifier cette froide résolution mise en œuvre par une cour d’exception et validée par un général de faire disparaître un esprit, une âme, une vie de la surface de la France ¹. »
Marc LAUDELOUT
•David ALLIOT, Le Festin des loups, Librairie Vuibert, 2014, 280 p. (19,90 €).
Note:
1. Philippe Bilger, 20 minutes pour la mort. Robert Brasillach : le procès expédié, Éd. du Rocher, 2011.
00:05 Publié dans Livre, Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : livre, marc laudelout, collaboration, seconde guerre mondiale, deuxième guerre mondiale | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Vient de paraître :
Le Bulletin célinien n°361.
Au sommaire :
- Marc Laudelout : Bloc-notes (« Le Festin des loups »)
- Robert Le Blanc : Céline et les hommes de Marianne. Berl, Malraux, Fernandez
- Éric Mazet : Embarquement pour l’apocalypse. Janvier – décembre 1929
Le Bulletin célinien, c/o Marc Laudelout, Bureau Saint-Lambert, B. P. 77, BE 1200 Bruxelles.
Courriel : celinebc@skynet.be. Abonnement annuel (11 numéros) : 55 €.
00:05 Publié dans Littérature, Revue | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : liitérature, lettres, lettres françaises, littérature française, céline, revue, marc laudelout | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Henri Mondor et Céline
par Marc Laudelout
C’est au printemps 2011, lors du colloque « Céline à l’épreuve », que Cécile Leblanc, agrégée de lettres classiques, nous présenta la correspondance Céline – Henri Mondor. Mise sous scellés à la bibliothèque Jacques Doucet pour la période légale de 50 ans après la mort du destinataire, elle fait enfin l’objet d’une édition soignée dans la collection « Blanche » de Gallimard ¹.
Multiacadémicien (Académie française, Académie de médecine et Académie des sciences) et grand officier de la Légion d’honneur, on imagine mal aujourd’hui le prestige dont jouissait le professeur Henri Mondor après la guerre. Raison pour laquelle Gaston Gallimard tenait beaucoup à ce qu’il rédigeât la préface à l’édition de Voyage au bout de la nuit et Mort à crédit dans la Pléiade. Ce fut chose faite, non sans quelques hésitations, et ce à la grande satisfaction de Céline. Lequel mourut malheureusement un an avant que le volume sorte des presses de l’imprimerie Darantière à Dijon, en avril 1962. Mondor, lui, trépassa précisément ce mois-là. C’est dès 1950 que Céline lui écrivit, l’académicien ayant accepté d’intervenir en sa faveur auprès de la Cour de justice. Eut-il quelque sympathie idéologique pour l’exilé ? Cécile Leblanc évoque ses « entrées dans les milieux de droite ou d’extrême droite » mais sans en dire davantage. Connivence avec l’Action Française ? Lorsque l’hebdomadaire Aspects de la France consacre un article à Normance, Céline écrit à Mondor : « Grâce à vous sans doute j’ai eu cet article de l’AF. » Quoiqu’il en soit, l’académicien ne ménagea pas sa peine pour soutenir l’écrivain, allant même jusqu’à présider un éphémère « Comité d’amateurs des écrits de Céline » imaginé par Dubuffet au début des années cinquante. Fidèle à sa légende, Céline accable son correspondant de plaintes, d’éloges, de remerciements éperdus et... d’indications biographiques fallacieuses. Celles-ci seront répercutées telles quelles dans la fameuse préface, Mondor y reproduisant de larges extraits de cette correspondance. Celle-ci vaut surtout, vous l’aurez deviné, pour sa qualité d’écriture. Les formules jaillissent sous la plume, telle celle-ci à propos de Gaston Gallimard : « Depuis qu’il m’a refusé le Voyage il ne peut s’empêcher de me refuser tout ! le pli est pris ! ». Ou celle-là : « Actuellement partout le national Sartrisme remplace avec quelle fougue le national Socialisme pendu ! » Drôle et lyrique. Ainsi, quand Mondor le compare à Hugo : « Crèvent les autres ! tous ! de jalousie, d’ulcères d’envie, de tout fétides néos [abréviation médicale pour « néoplasme », indique judicieusement l’éditrice] de rage ! L’Olympe à nous ! Mille reconnaissances pour ce plus qu’humain message, annonciateur des faveurs du Parnasse et de la confusion, écrabouillerie, compoterie de tous mes haineux ! »
Et, lorsqu’en janvier 1960 Henri Mondor lui adresse la préface tant attendue, l’érudition le dispute à l’ironie : « Si j’osais, je la ferais encadrer et la porterais en “attestation” sur la poitrine, selon la coutume des vétérans d’autrefois et aveugles du Pont des Arts ». Celui qui se désignait comme « minable pustuleux poëtasseux » aura contracté une dette incontestable envers le « grand savant, couvert de gloire ». Un demi-siècle plus tard, c’est Céline, glorieux et réprouvé, qui triomphe.
Marc LAUDELOUT
• Louis-Ferdinand CÉLINE, Lettres à Henri Mondor, Gallimard, 2013, 170 pages, 3 illustrations.
1. L’édition originale, réservée aux membres du Cercle de la Pléiade, est parue au printemps dernier. Tirage à 2000 exemplaires hors commerce sur Rives vergé. Relevons une petite erreur, page 59 : ce n’est pas un chapitre de Guignol’s band mais de Casse-pipe que Jean Paulhan publia en 1948 dans les Cahiers de la Pléiade.
→ Voir aussi Marc Laudelout, « Hommage à Henri Mondor », Le Bulletin célinien, n° 138, mars 1994, pp. 6-9.
00:05 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, lettres, lettres françaises, littérature française, henri mondor, céline, marc laudelout | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Proust et Céline
par Marc Laudelout
Opposer Proust à Céline aura été une constante de la critique depuis près d’un siècle. Dès 1932, Léon Daudet écrivait ceci : « Proust, avec toute sa puissance, que j’ai célébrée un des premiers, c’est aussi un recueil de toutes les observations et médisances salonnières dans une société en décomposition. Il est le Balzac du papotage. De là une certaine fatigue dont M. Céline va libérer sa génération ¹. » Céline lui-même s’est voulu en quelque sorte l’antithèse de celui qu’il considéra parfois comme un rival. Mais les auteurs d’un récent Dictionnaire amoureux de Proust ² ont tort de croire qu’il n’a jamais varié dans ses appréciations. Il fut un temps où Céline se devait de s’opposer à lui pour édifier une œuvre aussi émotive que celle de son illustre aîné mais assurément moins bavarde, ou à tout le moins ne se perdant pas dans les dédales d’une infinie introspection. À la fin de sa vie, Céline admettra que « Proust est le dernier, le grand écrivain de notre génération ³ », ce qui n’est tout de même pas rien. L’un des co-auteurs de ce dictionnaire note que les ressemblances entre les deux œuvres sont plus grandes qu’on ne le croit généralement. Et d’affirmer, par exemple, que la compassion de Bardamu à l’égard du sergent Alcide s’applique exactement à celle éprouvée par le baron de Charlus envers les soldats de la Grande Guerre. Et que le fameux aphorisme célinien, « La grande défaite, en tout, c’est d’oublier », est une phrase que Proust aurait pu signer, voulant dire par là que tous deux détestent l’oubli – ce qui n’est pas faux mais n’a rien d’original.
Voilà un rapprochement qui aurait le don d’exaspérer l’inénarrable Charles Dantzig, proustolâtre éperdu et anticélinien primaire. Anxieux, il imagine, dans un avenir proche, l’équivalent (anti)proustien du Contre Céline qui nous fut infligé il y a une quinzaine d’années : « J’ai été frappé au moment d’une querelle littéraire contre le réalisme, que j’ai eue il y a quelques mois, de voir qu’on s’en servait pour défendre Céline au détriment de Proust. Dans les temps haineux qui se sont réveillés, je ne serais pas surpris si, dans cinq ans, paraissait un pamphlet contre Proust, la mollesse et la décadence. Et on regrettera alors ce qui, rétrospectivement, sera devenue une époque. L’époque “Proust friendly” 4». Allusion, on l’aura compris, à l’expression « gay friendly » chère à l’auteur ; « les temps haineux » évoquant les manifestations contre « le mariage pour tous ». Cela étant, c’est méconnaître l’œuvre célinienne que de la réduire au « réalisme » ; hier au « populisme ». Déjà dans un de ses bouquins, ne faisait-il pas sien le commentaire navrant d’un Malraux vieillissant qui comparait la verve de Céline à celle d’un chauffeur de taxi ? Ailleurs il qualifie Céline et Beethoven de « génies des adolescents incultes 5» [sic]. Lorsque la bêtise culmine à ce point, on demeure sans voix.
Marc LAUDELOUT
1. Léon Daudet, « L.-F. Céline : “Voyage au bout de la nuit” », Candide, 22 décembre 1932.
2. Jean-Paul et Raphaël Enthoven, Dictionnaire amoureux de Proust, Plon / Grasset, 2013. Voir les propos du second [sur Proust et Céline] recueillis par Philippe Delaroche, « L’autre questionnaire de Proust », Lire, n° 419, octobre 2013, p. 8. Sur les deux auteurs, voir le portrait qu’en dresse Emmanuel Ratier dans Faits & Documents, n° 368, 15 décembre-15 janvier 2013 (B.P. 254-09, 75424 Paris Cedex 09).
3. Jean Guenot (éd.), Céline à Meudon (Transcription des entretiens avec Jacques d’Arribehaude et Jean Guenot), Éd. Guenot, 1995.
4. Charles Dantzig, Émission « Secret professionnel » (Du côté de chez Swann), France Culture, 6 octobre 2013. Cette émission peut actuellement être écoutée sur le site internet de France Culture.
5. Idem, Encyclopédie capricieuse du tout et du rien, Grasset, 2009.
00:05 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : lettres, lettres françaises, littérature française, marc laudelout, littérature, marcel proust, céline | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Marc Laudelout:
Nicole Debrie
Nicole Debrie signe en 1961 la première monographie sur Céline, battant sur le fil Marc Hanrez dont le livre paraît un peu plus tard. Comme lui, elle rencontre le reclus de Meudon qui l’accueille très cordialement. Mais, pétrifiée d’admiration, elle n’est guère loquace et se borne à répondre à ses questions. Elle lui fait part tout de même de son projet éditorial qui reçoit l’assentiment de l’écrivain.
Mes relations avec Nicole ne furent pas toujours empreintes de la plus grande sérénité. Mais quel célinien trouve grâce à ses yeux ? On a parfois l’impression en l’écoutant qu’elle seule détient la vérité. Au risque parfois de ne pas être d’accord avec elle-même. En 1987, je publie ici sa critique du livre de Bardèche, précédée d’un chapeau rédactionnel. Par retour de courrier, je reçois une lettre furibarde. Elle réfute avec force la teneur dudit chapeau, précisant qu’elle est tout à fait « opposée à la présentation d’un “Céline mystique” ». En guise de réponse, il m’est facile de reproduire une phrase de son livre : « À travers son œuvre que l’on a trop souvent accusée de naturalisme, Céline apparaît comme un mystique. » Pas de quoi lui en vouloir. D’autant que, grâce à elle, le Bulletin eut les honneurs d’Apostrophes : trop heureux de pimenter son émission, Bernard Pivot lut un passage de la critique acerbe de Nicole face à Maurice Bardèche. Lequel réagit, il faut le dire, avec une rare élégance.
Mieux que je ne pourrais le faire, Éric Mazet dit dans ce numéro l’intérêt des trois livres qu’elle a consacrés à son écrivain de prédilection. Marcel Aymé, excusez du peu, ne s’y était pas trompé : « Nicole Debrie a écrit sur l’œuvre de Céline une étude solide, intelligente qui, sans s’arrêter à chaque pas au détour de la pensée de l’écrivain, met très bien en lumière ce qu’elle a d’essentiel et qu’il n’est pas si aisé de découvrir dans un lyrisme étourdissant où elle se dissimule sous la magie des mots.
La dernière fois que j’ai vu Georges et Nicole, c’était à Paris, en novembre 2011, au colloque de la Fondation Singer-Polignac organisé à l’occasion du centenaire. Auparavant, elle m’avait fait l’amitié de venir aux « Journées de rencontres céliniennes » que Michel Mouls et moi organisâmes à Puget-sur-Argens. Elle y prononça une communication sur « Céline et l’individuation », thème abordé dans son livre sur les résonances psychanalytiques dans l’œuvre célinienne tiré de sa thèse de doctorat soutenue en 1988 ¹. Excessive tout autant qu’hyper émotive, Nicole Debrie est tout naturellement poète et polémiste. Ces deux facettes se rejoignent parfois dans un même livre. Ainsi, dans Cantilènes et grelots (1996) ², elle fustige avec une verve vengeresse « les universitaires qui désossent Céline » et les « poux, parasites et morpions » qui « s’agitent dans la superbe crinière d’un fauve qui n’en peut mais. » ² Sa conclusion : « Voici le temps des grotesques enturbannés, clochettes et colifichets… Rognures d’hommes qui agitent leur marotte : un Céline défiguré ! »
Comme on le voit, elle n’y va pas de main morte. Intempérance à la mesure de sa ferveur. Au moins faut-il lui reconnaître une vision inspirée de Céline, très éloignée des caricatures que lui-même contribua à donner de lui. Dès 1960, Nicole Debrie lui confia son intention d’analyser l’aspect poétique de son œuvre. Initiative guère répandue à l’époque. Depuis elle n’a cessé de mettre en valeur un écrivain trop fréquemment réduit à son antisémitisme ou à ses trouvailles langagières.
Marc LAUDELOUT
1. Nicole Debrie est titulaire d’une licence de philosophie, de psychologie, de psychanalyse et d’ethnologie.
2. Anecdote : le 14 mars 1996, Ernst Jünger lui accusa aimablement réception de ce recueil. Il avait alors 101 ans.
Le numéro de novembre du Bulletin célinien est consacré à Nicole Debrie.
Le Bulletin célinien, Bureau Saint-Lambert, B. P. 77, 1200 Bruxelles. Abonnement : 55 euros.
00:05 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, lettres, lettres fançaises, littérature française, nicole debrie, marc laudelout, céline | | del.icio.us | | Digg | Facebook
L.-F. Céline à Clichy
par Marc Laudelout
Le nom d’Aimée Paymal vous est parfaitement inconnu ? Si ce n’est pas le cas, vous pouvez vous targuer d’être un célinien pointu. Née en 1905, cette employée au dispensaire de Clichy dactylographia, nous dit-on, le manuscrit de Voyage au bout de la nuit. Figure destinée à sombrer dans l’oubli comme tant d’autres personnages secondaires ayant croisé la destinée de Louis Destouches.
Un jeune bibliothécaire vient de lui consacrer un (premier) roman, appliqué et sans relief, où l’on éprouve forcément quelque difficulté à discerner ce qui relève de la biographie ou du roman. Le hic c’est que pour traiter un pareil sujet, il est indispensable de bien connaître aussi la biographie de Céline. Sur la seule page 135 s’étalent deux erreurs. Ce n’est pas dans un café, en compagnie de deux collègues du dispensaire (!), que l’auteur du Voyage attendit le résultat du Goncourt : ce sont sa mère et sa fille qui étaient à ses côtés en cette matinée du 7 décembre 32. Plus ennuyeux : ce n’est pas le tapuscrit (corrigé de sa main) que Céline vendit à Étienne Bignou mais bien le manuscrit lui-même — celui qui atteignit un chiffre record (1,67 million d’euros, sans les frais) lors de la fameuse vente publique à Drouot. Un bon connaisseur de la biographie célinienne n’eût pas commis une telle erreur.
Tant qu’à évoquer Clichy (c’est le titre du roman), il eût été plus intéressant de mettre en scène une figure autrement complexe : le directeur du dispensaire, Grégoire Ichok. Ce n’est sans doute pas demain la veille qu’on disposera d’une biographie de ce médecin lituanien d’origine juive né en 1892 à Marijampolė. On sait que les relations entre Ichok et son subordonné Destouches furent exécrables. Rien d’étonnant à cela, d’autant que c’est la municipalité communiste qui nomma ce laudateur de la médecine soviétique ¹ à la tête du dispensaire flambant neuf. C’est dire si après la parution de Mea culpa, la situation devint intenable. Membre actif de la Ligue contre l’antisémitisme, Ichok était un ami personnel du député socialiste Salomon Grumbach, vice-président de la Commission des affaires étrangères. Lequel soutint sa demande de naturalisation. Naturalisé français en mars 1928, il est nommé directeur du dispensaire de Clichy six mois plus tard. Passionné de médecine sociale, Ichok est l’auteur de nombreuses études sur la question ². Le 10 janvier 1940, il se suicide en croquant une capsule de cyanure. L’homme était profondément dépressif. Dépression apparemment accentuée par le contexte international ³. Une destinée assurément plus captivante que celle de la modeste Aimée Paymal !
Marc LAUDELOUT
• Vincent Jolit, Clichy, Éditions de la Martinière, 2013, 144 pages (14,90 €)
1. Cf. (entre autres) Alexandre Roubakine et Georges [sic] Ichok, « L’accroissement naturel de la population en URSS », La Revue d’Hygiène et de Médecine préventive, n° 10, décembre 1937.
2. Ainsi, en février 1933, une journaliste se rend au dispensaire pour y rencontrer l’auteur de La Protection de l’enfance dans une commune de banlieue (Éd. G. Doin, 1933). Cf. Hélène Bory, « Dans un dispensaire avec L.-F. Céline et le Dr Ichok », Paris-Midi, 22 février 1933.
3. « Il est vraisemblable que les événements qui ont marqué la fin de l’année 1939 n’ont pas été sans amener sa disparition prématurée ainsi que le donnait à entendre M. Barrier, ancien président de l’Académie de Médecine, au cours de l’incinération au colombarium du Père-Lachaise, le 17 janvier 1940 » in Dr R[ené] Hazemann, « Nécrologie. Grégoire Ichok », Journal de la société statistique de Paris, tome 81 (1940), pp. 105-106. L’auteur de cette nécrologie était chef du cabinet technique de la Santé publique et de l’Éducation physique sous le Front populaire. Notons à ce propos que Grégoire Ichok était le conseiller de Jean Zay, ministre de la Santé publique dudit Front populaire.
© Extrait du Bulletin célinien, octobre 2013.
Abonnement : 55 €.
Le Bulletin célinien, c/o M. Laudelout, Bureau Saint-Lambert, B.P. 77, 1200 Bruxelles.
00:05 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, lettres, lettres françaises, littérature française, france, clichy, céline, marc laudelout | | del.icio.us | | Digg | Facebook
00:05 Publié dans Littérature, Livre, Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : livre, littérature, lettres, lettres françaises, littérature française, villon, céline, marc laudelout | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Hommage à Jean Guenot
Marc Laudelout
Il est notre vétéran du célinisme. Né en 1928 (quelques années avant Alméras, Gibault, Hanrez et Godard), Jean Guenot est l’un des derniers célinistes à avoir rencontré le grand fauve. Il n’avait alors qu’une trentaine d’années et, comme le releva Jean-Pierre Dauphin, il fut l’un de ceux qui, au cours de ces entretiens, renouvelèrent le ton de Céline. Lequel n’avait été approché jusqu’alors que par des journalistes aux questions convenues.
Une quinzaine d’années plus tard, il édita lui-même son Louis-Ferdinand Céline damné par l’écriture qui lui vaudra d’être invité par Chancel, Mourousi et Polac. L’année du centenaire de la naissance de l’écrivain, il récidiva avec Céline, écrivain arrivé, ouvrage allègre et iconoclaste. Professeur en Sorbonne, Jean Guenot a oublié d’être ennuyeux. Ses cours sur la création de textes en témoignent ¹.
Au cours de sa longue traversée, Guenot s’est révélé journaliste, essayiste, romancier, auteur de fictions radiophoniques, animateur et unique rédacteur d’une revue d’information technique pour écrivains pratiquants qui en est à sa 27ème année de parution. Infatigable promeneur dans les contre-allées de la littérature, tel que l’a récemment défini un hebdomadaire à fort tirage ².
Linguiste reconnu ³, c’est son attention au langage et à l’oralité qui fit de son premier livre sur Céline une approche originale à une époque où l’écrivain ne suscitait guère d’étude approfondie. Lorsqu’à l’aube des années soixante, Jean Guenot s’y intéresse, Céline est loin d’être considéré comme un classique. Trente ans plus tard, les choses ont bien changé. L’année du centenaire, Guenot établit ce constat : « Louis-Ferdinand Céline est un écrivain aussi incontesté parmi ceux qui ne lisent pas que parmi ceux qui lisent ; parmi les snobs que parmi les collectionneurs ; parmi les chercheurs de plus-values les plus ardents que parmi les demandeurs les plus aigus de leçons en écriture». Nul doute que lui, Guenot, se situe parmi ceux-ci. C’est qu’il est lui-même écrivain. Et c’est en écrivain qu’il campe cette figure révérée.
Un souvenir personnel. Si je ne l’ai rencontré qu’à deux ou trois reprises, comment ne pas évoquer cet après-midi du printemps 1999. Il était l’un des participants de la « Journée Céline » 4. Comme pour mes autres invités, je commençai par lui poser une question. Ce fut la seule car il se livra à une époustouflante improvisation pertinente et spirituelle à la fois. Des applaudissements nourris et prolongés saluèrent son intervention. C’est dire s’il compte parmi les bons souvenirs des réunions céliniennes que j’organisai alors à l’Institut de Gestion, quai de Grenelle.
On l’a longtemps confondu avec Jean Guéhenno. Sans doute la raison pour laquelle il abandonna l’accent aigu de son patronyme. Aujourd’hui l’académicien – qui d’ailleurs ne se prénommait pas Jean mais Marcel ! – n’est plus guère lu. Jean Guenot, lui, l’est toujours par les céliniens. Et s’ils sont amateurs d’écrits intimes, ils n’ignorent pas davantage l’écrivain de talent qu’il est 5.
Marc LAUDELOUT
1. Ce cours en vingt leçons, diffusé sur Radio Sorbonne, est disponible sous la forme de dix cassettes-audio diffusées par l’auteur. Prix : 80 €. Voir le site http://monsite.wanadoo.fr/editions.guenot.
2. Le Canard enchaîné, 5 juin 2013.
3. Clefs pour les langues vivantes, Éditions Seghers, coll. « Clefs », 1964.
4. Difficile de ne pas avoir la nostalgie de cette époque : outre Jean Guenot, mes invités étaient, ce 3 avril 1999, Éliane Bonabel, André Parinaud, Pierre Monnier, Paul Chambrillon, Anne Henry et Henri Thyssens, excusez du peu !
5. Le troisième tome de son autobiographie vient de paraître : Mornes saisons évoque ses souvenirs de l’occupation et fait suite à Sans intention et Ruine de Rome. Il y aura cinq tomes au total. Prix : 40 € chaque volume.
00:05 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : céline, jean guenot, france, littérature, lettres, lettres françaises, littérature française, marc laudelout | | del.icio.us | | Digg | Facebook