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vendredi, 05 juin 2020

Vocabulaire préfabriqué

Le billet de Daniel Pollett

Ex: https://liguedumidi.com

Nous observons tous que depuis bien longtemps, les gauchistes utilisent et instillent l’utilisation d’un vocabulaire préfabriqué, dont l’indigence référentielle n’a d’égal que son inadaptation historique, en plus d’être une insulte permanente à l’usage du français littéraire et à l’objectivité du plus élémentaire bon sens.

Tout y passe : Histoire, politique, économie, actualité et, bien sûr, les fondements de notre société civilisée, organisée et consciente que sont le patriotisme, l’écologie et même la République. Pourtant, ces fondamentaux sont l’affaire de tous et ne devraient pas être dénaturés par l’utilisation d’un vocabulaire aussi inadapté que méprisant ou par des utilisations partisanes. On peut citer par exemple l’utilisation grandissante du verbe « porter » remplaçant le verbe adéquat qu’une paresse intellectuelle à la mode fait éviter de puiser dans la richesse de notre langue nationale -par exemple dire de tel député qu’il « porte » un projet alors qu’il serait plus juste d’utiliser les verbes « soutenir » ou  « présenter »-. Pour ce qui concerne nous autres patriotes ou identitaires, nous connaissons par cœur le vocabulaire vomi en permanence à notre endroit, aussi bien par les gauchistes revendiqués que par les médias déversant la propagande gouvernementale au lieu de faire de l’information.

91xDnLZUPBL.jpgTerminant la lecture de deux livres sur le commandant Hélie Denoix de Saint-Marc, sa biographie écrite par Laurent Beccaria et l’un de ses propres ouvrages Les Champs de braises, des souvenirs d’enfance reviennent à propos éclairer les mots injustes utilisés volontairement par ceux qui ne supportent pas que l’on ne pense pas comme eux.

J’avais dix ans lorsque, le 21 Avril 1961, une partie de l’armée française prit le contrôle du pouvoir civil et militaire à Alger, en réaction à la trahison dont elle-même, les harkis, les musulmans fidèles à la France et les Pieds-Noirs étaient les victimes. Les politiciens de tous bords, ceux-là même qui avaient demandé à l’armée de rétablir l’ordre « par tous les moyens » en Algérie tout en négociant secrètement et toujours à la baisse avec le FLN condamnèrent sévèrement cette courte révolte, tout comme plus tard ils le firent pour l’utilisation de « tous les moyens » qu’ils avaient pourtant préconisés. Résultat connu : l’armée française a gagné la guerre mais les politiciens ont abandonné l’Algérie, non pas au peuple algérien mais au FLN. Alors il y a eu les massacres de civils, la corruption et le délaissement de l’héritage colonial, puis encore la guerre civile et une caricature de démocratie amenant l’Algérie à son état actuel, ou nombre d’Algériens veulent venir habiter le pays des colonisateurs honnis.

Je me souviens bien de mes lectures de ce temps-là et des années suivantes, où les militaires putschistes étaient insultés en permanence par l’ensemble de la presse, beaucoup s’accordant pour affirmer qu’ils avaient déstabilisé l’ordre républicain et menacé la sécurité de l’État. L’opinion publique, lassée de cette guerre qui mit si longtemps à dire son vrai nom et à laquelle participait le contingent, était restée marquée par l’appel pathétique lancé à la radio par le Premier ministre Michel Debré, celui-là même qui quelques années plus tôt justifiait par avance toute forme de défense de l’Algérie française. Les putschistes d’Alger étaient donc des « fascistes » dont l’hypothèse de l’arrivée par la voie des airs avait fait trembler le peuple et la République. Habitant alors Montreuil-sous-Bois dans le département de la Seine, devenu Montreuil dans le 9-3, fief communiste de longue date qui était mon environnement, je fus imprégné moi-même de ces mots injustes qui restèrent gravés dans mon esprit d’enfant comme autant de références historiques. C’est ainsi que l’on fabrique les préjugés.

Certes, il y a longtemps que ma passion pour l’Histoire a fort heureusement fait changer mon regard sur ces hommes et ces événements, et j’ai voulu comprendre les motivations des uns et des autres. C’est pourquoi la lecture successive de ces deux livres n’a pas été une révélation me faisant changer d’opinion, mais elle m’a amené à réfléchir encore plus longuement sur la nature humaine, les relations entre les individus, les mouvements de masse et ce qui peut décider du destin d’un homme. Le commandant Hélie Denoix de Saint-Marc était un personnage spirituel, émouvant et attachant que j’aimerais avoir rencontré.

C’est pourquoi lorsque j’observe le vocabulaire utilisé envers nous, patriotes, identitaires, défenseurs de notre patrimoine historique et culturel, que ce soit par les gauchistes, les journalistes et les politiciens, je me dis que ce phénomène n’est pas nouveau, mais qu’il est bien volontaire, calculé et offensif. Il est dégradant, injuste et mensonger. Il entretient l’idée que les réflexes naturels de défense de ce qui est à soi sont intrinsèquement mauvais et condamnables.

Il participe à la haine de soi avec laquelle, comme l’a écrit Hélie Denoix de Saint-Marc, on ne fait rien de bien. Il dénigre notre Patrie, nos ancêtres et notre Histoire. Il prépare une humanité sans racines, sans passé et sans avenir.

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Staline recommandait à ses complices, lors de polémiques, de commencer par traiter leur adversaire de fasciste, arguant que le temps et l’énergie qu’il emploierait à expliquer que ce n’était pas vrai seraient perdus pour sa propre argumentation. Le procédé a depuis fait école sans discontinuer et se pratique encore sous nos yeux. De plus, ces gauchistes qui investissent le plus possible de rouages sociaux n’hésitent pas à en exclure les patriotes -je l’ai constaté personnellement récemment- tout en prétendant que c’est nous qui sommes des mouvements d’exclusion… Ce sont eux qui ont pris le contrôle du mouvement des Gilets Jaunes tout en le laissant discréditer par les exactions de leurs complices Blacks Blocs et on voit où cela a mené : rien de ce qui a motivé et provoqué le mouvement des Gilets Jaunes n’est résolu. Le pouvoir a laissé les Blacks Blocs commettre des destructions sans que sa police ne fasse parmi eux le moindre blessé, alors que l’on sait comment elle a mutilé, éborgné, matraqué les Gilets Jaunes pacifiques. Une fois de plus, on peut constater la complicité de fait entre ces gauchistes et le pouvoir dictatorial macronien et mondialiste. Amis patriotes, identitaires, défenseurs de notre patrimoine historique, ne laissons pas tous ces ennemis de la France nous dénigrer avec leur vocabulaire aussi médiocre que mensonger !

En Italie, Facebook condamné pour censure et atteinte à la liberté d’expression

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En Italie, Facebook condamné pour censure et atteinte à la liberté d’expression

Secolo d’Italia (Italie) 

Ex: http://www.zejournal.mobi

Fin de l’impunité pour Facebook ? Ce qui vient de se passer en Italie revêt une importance considérable : un État européen fait prévaloir ses lois sur l’arbitraire des « standards de la communauté ». Nous reprenons un article publié sur le site de la fondation Polémia le 30 mai 2020. Cette victoire italienne pourrait être la première d’une série en Europe au moment où la loi Avia va rentrer en vigueur en France.

C’est un revers historique pour Facebook en Europe. La justice italienne a en effet confirmé la supériorité de la loi nationale sur l’arbitraire des règles privées de Facebook dans le cadre d’un litige entre l’entreprise américaine et le mouvement politique CasaPound. Laurent Solly, l’ancien préfet hors-cadre nommé directeur de Facebook pour la zone Europe du Sud — comprenant l’Italie et la France — voit la censure de Facebook fragilisée par cette décision judiciaire de première importance. Nous proposons aux lecteurs de Polémia la traduction d’un article du site Secolo d’Italia : Casapound gagne encore en justice. Facebook condamné à garder leur page ouverte.

Le Tribunal civil de Rome a rejeté le recours déposé par le réseau social contre l’ordonnance [à effet immédiat] qui ordonnait la réactivation de la page principale de CasaPound Italia.

Une réponse est arrivée après plus de trois mois. L’audience au cours de laquelle Facebook a déposé la plainte s’est tenue le 14 février.

C’est le site du Primato Nazionale qui révèle le dernier épisode du bras de fer.

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Davide di Stefano.

« Nous savons donc aujourd’hui que cette plainte a été rejetée. Et que les dispositions de la juge Stefania Garrisi ont été confirmées. Cela signifie que la page CasaPound et le profil de Davide Di Stefano, défendus par les avocats Augusto Sinagra et Guido Colaiacovo, restent actifs. Facebook est également condamné à payer des frais de justice pour 12 000 euros. »

Dans une intervention signée par lui, Davide Di Stefano explique que les attendus de la sentence confirment la supériorité hiérarchique des principes constitutionnels et du droit italien par rapport aux « normes de la communauté » du géant social et aux contrats privés.

Dans la disposition du collège composé des juges Claudia Pedrelli, Fausto Basile et Vittorio Carlomagno, est indiquée « l’impossibilité de reconnaître à une entité privée, telle que Facebook Ireland, sur la base de dispositions marchandes et donc en raison de la disparité de la force contractuelle, des pouvoirs ayant substantiellement incidence sur la liberté d’expression de pensée et d’association, et qui dépasseraient ainsi les limites que le législateur lui-même s’est fixées en droit pénal ».

« L’arrêt — explique la Cour – se trouve conforté dans le fait que, comme indiqué dans l’ordonnance attaquée, CasaPound est ouvertement présent dans le paysage politique depuis de nombreuses années ».

« L’exclusion de CasaPound de la plateforme — écrivent les magistrats — doit donc être considérée comme injustifiée sous tous les profils mentionnés par Facebook Ireland ».

« Le periculum in mora [danger/dommage causé par le retard, NdT] doit être considéré comme subsistant sur la base des considérations formulées dans l’ordonnance contre laquelle il a été fait recours, qui méritent d’être pleinement partagées, sur le rôle prééminent et relevant joué par Facebook dans les réseaux sociaux. Et, donc, objectivement aussi dans la participation au débat politique ».

N’appartient donc pas à Facebook « la fonction d’attribuer de manière générale à une association une “licence” établissant le caractère licite d’une association. Étant donné que la condition et la limite de l’activité de toute association est le respect de la loi. Dont la vérification est laissée au contrôle juridictionnel général ».

Dans l’ordonnance des juges du Tribunal civil de Rome, il est fait référence aux articles 18 et 21 de la Constitution, sur la liberté d’association et la liberté de pensée. Par conséquent, et peu importe que CasaPound soit un parti ou non, la priorité de la primauté nationale, la liberté d’association et de pensée doit être garantie.

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« Il n’a pas trouvé que CasaPound relève de la définition d’une organisation incitant à la haine telle que prévue par les Standards de la Communauté [Facebook], c’est-à-dire “engagée dans la violence” par des actions de ”haine organisée” et ”de violence organisée ou d’activité criminelle” », peut-on toujours lire dans l’ordonnance.

Qui conclut en expliquant comment, « en l’absence de violations constatées et de ne pas pouvoir apprécier le caractère préventif des objectifs de l’association au regard des principes constitutionnels, la désactivation de la page Facebook est injustifiée. Elle est à l’origine d’un préjudice non susceptible de réparation en contrepartie, relatif à la participation de CasaPound au débat politique, ayant incidence sur des biens protégés par la Constitution ».

Traduction Polémia

Lire aussi:

Italie – Qui sont ces

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et « corona-sceptiques » ?

La musique de la Bête, déconstruction artistique à travers une certaine histoire

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La musique de la Bête, déconstruction artistique à travers une certaine histoire

par Francis P. Ubertelli

Compositeur, professeur et écrivain, Francis P. Ubertelli a étudié aux Conservatoires de Québec et de Rome, puis à Toronto. Il a su travailler avec les derniers représentants de l’avant-garde (Berio, Boesmans, Donatoni) avant l’irruption d’une profonde crise spirituelle et les attaques des Tours à New York qui changèrent sa vie. Dans la musique, si les sons eux-mêmes se présentent au sein d’une hiérarchie de l’importance, ils illustrent pourtant la petitesse imperceptible des âmes moyennes coincées dans cet étau insensé de la séclusion forcée où elles chantent maintenant les souvenirs d’une liberté abandonnée.

utopia.jpgEn 1516, dans l’Utopia, satire socio-politique de Thomas More, toute forme de gouvernement ne constitue qu’une « conspiration des riches » [1], lesquels, fortunés et prétendant à la tutelle administrative de la gestion publique, n’en ont que pour leurs propres privilèges. Henri VIII allait d’ailleurs lui donner raison lors de la coupure d’avec la papauté par l’Acte de suprématie de 1534,[2] coup d’orgueil insensé pour le cœur d’Anne Boleyn. Puis l’Église lui appartint.

Toute conspiration naît d’un contexte en faveur d’une cause. En cela, il est une déclaration politique. Que dire des Apôtres dans le quatrième chapitre du livre des Actes où chacun d’entre eux n’appelait rien de ce qu’ils possédaient comme leur appartenant ? Ne s’agissait-il pas de gestes qui rappelaient un certain collectivisme platonicien ? [3] C’était plutôt la négation de soi-même au profit du bien d’autrui, la « charité », la meilleure définition que la liberté n’ait jamais connue, qui triompha. Or, si le maître que l’un cherche à servir est l’homme — une femme dans le cas d’Henri VIII —, pourquoi la grandeur qui nous échut dès la conception, celle de l’Image de Dieu, s’abaisserait-elle ainsi alors qu’elle nourrit, insatiable, un goût naturel pour l’infini de l’au-delà ? Selon la morale issue de la Tradition de l’Église, c’est donc Dieu que l’homme rejette pour ainsi embrasser une fausse liberté (nécessairement), la plus éloignée possible de Celui « qu’on ne peut même pas penser qu’Il n’est pas ».[4]

En 1848, toujours en Angleterre, Karl Marx publie son Manifeste du Parti communiste et y observe que la société de son temps, le Manchester et les cantons du South Lancashire des années 1830-40, à travers la critique du capitalisme, n’est qu’une « histoire de luttes de classes ».[5] Dans le Manifeste, la bourgeoisie amena la révolution industrielle, bouleversa les instruments de production, créa d’énormes villes, des marchés mondiaux et la classe ouvrière prolétarienne, utile, quant à elle, aussi longtemps que « son travail accroît le capital ».[6] Un tel abus — la détérioration de la condition prolétarienne face à l’accroissement du capitalisme — pousse l’auteur à s’en prendre à la bourgeoisie, coupable de tous les maux, à la pointer du doigt, elle, inapte à gouverner la société. Il recommande ainsi l’abolition de la propriété privée et du droit d’héritage au profit d’une centralisation du crédit aux mains de l’État, en plus d’une éducation publique gratuite pour les enfants, pour glorifier le seul État-providence, nouvelle conspiration. Le cri de guerre pour la libération du prolétariat, suite à l’adoption du Poor Law Amendment Act de 1834,[7] devint alors le fer de lance contre « le meurtre social » [8] perpétré par la bourgeoisie ; une autre conspiration.

Ce désir de liberté devant la tyrannie industrielle (et bourgeoise ?) était naturellement justifiée mais amena la fièvre du syndicalisme (ce n’était pas l’Église qui pouvait procurer la liberté, Henri VIII l’avait chassée d’Angleterre trois cents ans auparavant), c’est-à-dire « l’unionisme » comme moyen de gestion collective des agences matérielles de production, alors que le communisme athée, son bras politique, n’était rien d’autre qu’une lutte contre la civilisation occidentale dans son désir de « déraciner les fondements de la société civile dans son ensemble ».[9]

Les événements historiques de cet article sont déterminés par les idées que ces derniers ont mis de l’avant, et non par la cogitation des rapports sociaux, comme si on voulait définir l’histoire de la Troisième République par l’affaire Dreyfus. Ils s’opposent ainsi au matérialisme historique de la conception de l’histoire qu’un certain Marx et Engels avaient justement proposé en 1845.

Ce communisme athée, avec ses idées anarcho-syndicalistes, n’était qu’une « fausse idée messianique, un pseudo-idéal de justice, d’égalité et de fraternité »,[10] car il ne considérait la société humaine qu’à travers une forme matérielle en évolution vers un univers sans classe populaire précise et, surtout, sans Dieu, le Dieu des Apôtres du livre des Actes, puisque le communisme promeut l’uniformité entre l’esprit et la matière, entre l’âme et le corps, un univers en faveur du « progrès » de l’humanité (matérialisme évolutionniste appelant Darwin à la rescousse). Il faut libérer la nouvelle société du dogme de Dieu, clamait-on, car Dieu est insupportable. Dieu est l’homme, oui, il faut que Dieu soit l’homme ! Le Dieu chrétien doit mourir.

En 1882, Nietzsche, ayant tenté de diriger l’humanité de la foi à la volonté (la force nihiliste contre la force destructrice de Marx), ayant conçu l’art comme fusion des pulsions artistiques apollinienne et dionysiaque, conclura par l’énoncé cosmique « Dieu est mort » [11] et scellera l’avènement dès lors possible d’un homme issu d’une humanité nouvelle, l’Übermensch, métaphore physique qui succédera à la réalité luthérienne et protestante de l’Amérique, nouvel eldorado communiste après la Russie. Mais l’Amérique sera néo-marxiste, quoique beaucoup plus tard (ou ne sera pas ?).

220px-Arnold_Schoenberg_la_1948.jpgLa musique, dans sa représentation des valeurs sociales et du changement qu’elle incarne chez l’homme, aura déjà réagi à ces bouleversements et se concertera autour du phénomène Schoenberg, financé par la nouvelle CIA de l’ère Truman,[12] pour se disloquer par la suite en de multiples tours d’ivoire académiques suivant divers courants esthético et politico-philosophiques. Elle apprivoisera un vaste public d’après-guerre en faveur des idées communistes sans le savoir, c’est-à-dire sans en manifester une connaissance parfaite, croyant que l’abandon de l’harmonie classique servirait les visées d’une expression enfin nouvelle, l’Übermensch, là-encore sans en être parfaitement conscient. Entre temps, la mise en avant excessive de la musique atonale avait été regrettée,[13] mais il était trop tard car le virus de l’avant-garde avait gagné autant les cœurs que les mœurs.

La musique atonale est la mise en sons des idées marxistes

En 1908, le compositeur Arnold Schoenberg avait écrit le quatrième mouvement de son second quatuor à cordes, la première musique atonale jamais écrite. Une telle œuvre, en raison de la prodigieuse technique d’écriture de l’auteur et d’une certaine reconnaissance qui l’accompagnait, suscita un déluge de questions et d’embarras. Pour les uns, c’était comme s’il fallait prêter une attention soudaine à un nouveau-né qui tapait sur le clavier d’un piano devant un public ahuri forcé d’applaudir ; pour les autres, un génie parfaitement incompréhensible qu’il fallait pourtant écouter.

Les idées et les principes philosophiques derrière l’œuvre — à moins qu’il ne s’agisse toujours d’un faux témoignage — proviennent d’une conception communiste de l’humanité (Marx) et d’une guerre syntaxique contre le sens commun, contre le « signifiant », c’est-à-dire contre tout ce qui est porteur de signification (Derrida pressenti). Puisque les membres du prolétariat ne connaissent pas la propriété privée, ils en effaceront toute appartenance pour que les classes elles-mêmes disparaissent.[14] L’individualisme se dissoudra au profit du collectif (il n’y aura plus de distinction, plus d’individualité permise). Pour la musique, les douze demi-tons de l’échelle chromatique tempérée (les demi-tons au sein de la gamme) deviendront un même équivalent sans aucune différence entre eux, sans aucune appartenance à quelque accord privé que ce soit, sans prévalence fonctionnelle harmonique. Inouï !

1 oGtJQ6pcuEZMo9A1SEUAJA.jpegUne clé d’écoute populaire fut 2001, A Space Odyssey de Stanley Kubrick en 1968. Kubrick fabriqua des images hallucinogènes avec une précision fanatique, utilisant constamment la musique de György Ligeti comme commentaires planétaires sur « les états élémentaires de l’indifférenciation (le vide primordial) », [15] pour mettre à l’écran les idées cosmiques de Nietzsche, rendant justice, à cette époque, à la dissolution historique de l’Église lors du Concile Œcuménique Vatican II. Il mit au monde un nouveau messie nietzschéen avec un message ambigu d’espoir distordu, une allégeance dystopique aux machines et au Nouvel Ordre mondial à venir. Ce fut semble-t-il la voie où la musique atonale se prêtait le mieux : la peur, l’inconnu, l’horreur, la fascination morbide, le chant des damnés.

Iconoclasme sonore

La musique n’est qu’une collection de fréquences qui sympathisent les unes par rapport aux autres et suscite des mouvements dans l’âme. Depuis la Renaissance, une fois achevée l’émancipation du chant grégorien, elle s’articula de plus en plus autour du pôle tonal dominante-tonique (la dominante est naturellement attirée par la tonique où elle trouve son repos) jusqu’à la prédominance généralisée de l’harmonie classique au XVIIIe siècle. Cette prévalence historiquement informée a cessé avec Schoenberg en 1908. Il y eu alors ce métamorphisme cryptique d’une harmonie tonale vers une harmonie atonale. Cet effort graduel, dirais-je, dura 63 ans, jusqu’à la déclaration incendiaire de Boulez. La primauté du pôle tonal dominante-tonique perdit son influence aux mains de compositeurs maintenant désireux de reconstruire la musique, une nouvelle musique « libérée de la tyrannie de la tonalité classique » [16].

Les douze sons de la gamme devinrent soudainement égaux, sans différence entre eux. Par le truchement d’une structure syntactique algébrisée, chaque note cessa d’être compatible avec les forces de développement des pôles attractifs de l’harmonie classique et allait détruire toute appartenance aux propriétés harmoniques avant de se dissoudre au sein d’un collectif anonyme. Seul l’agogique, les couleurs et les dynamiques assureront une compréhension quelconque.

Le demi-ton sera le champ de vision du prolétaire, c’est-à-dire des autres demi-tons érigés en structures imperceptibles mais identiques, devenus inaccessibles à l’oreille moyenne. La conspiration la plus macabre ayant existé sera toujours celle de la réalité atonale élevée au rang de musique savante. Elle est le rideau de fer entre la beauté classique et l’abstraction de la laideur esthétique, l’héritage chrétien et sa destruction hypnotique.

44a9e08b-b2f5-4df3-b66f-a61435df6afc.jpg!PinterestLarge.jpgJohn Cage et Pierre Boulez

La sécurité de la musique atonale est son déterminisme et la prédictibilité du matériau qui la constitue. Alors que la musique tonale suit la quête de la mélodie, de la micro-mélodie, du leitmotiv, de l’aria, de la variation harmonique ou de l’harmonie qui les accompagne, la musique atonale épouse une idéologie du désordre où la beauté classique est vue comme une opinion discordante, un anachronisme.

En 1952, avec 4’33’’, Cage pose les fondements dadaïstes d’une musique sans musiciens, reprenant en cela la destruction de l’homme par l’homme (la musique par l’absence codifiée de musiciens et du son noté), le même nihilisme infernal d’Auschwitz-Birkenau dix ans auparavant. Boulez déclarera dix-neuf ans plus tard que tout l’art du passé doit être détruit, « coupant la corde ombilicale rattachant le public au passé. »[17] Il n’y aura jamais de conventions artistiques construites autour du silence à moins que la musique ne soit faite d’une matière autre que le son. De même, il n’y aura jamais de conventions sociales construites autour de l’homme à moins que la société ne soit faite d’une matière autre que l’homme. L’anéantissement de la musique occidentale précède celui de la civilisation occidentale. C’est l’avant-dernière conspiration.

Le virus « chinois » et l’Occident néo-marxiste

Comme du chaos construit, l’actuelle pandémie a amené l’interdiction du travail et l’isolement forcé, la peur, l’inconnu, l’endettement, la faim ; soit la réduction de l’individualisme à la similitude… à un son abandonné et sans encadrement où l’absence de tout contexte forme une architecture supposément compréhensible. C’est la musique de la ruine de tous les droits, des institutions, des propriétés et de la société humaine elle-même, un silence cagéien où tous les musiciens ont été brutalement étranglés et ne peuvent plus produire de son, et dont les corps pourrissent depuis des mois sur une scène abandonnée en susurrant la musique misophone des nécrophores qui les grignotent.

Chaque individu est un demi-ton sans intérêt au sein du collectif, quoiqu’individuellement surveillé. Mais dès qu’il se démarque, on l’anéantit. Paradoxe effrayant ! C’est la Bête qui chante la nouvelle servitude de l’homme moderne, encore inconscient des libertés sensationnelles dont il jouit depuis la Seconde Guerre et qui maintenant s’estompent au point de se dissoudre dans un nouveau collectif sous écoute, l’ultime conspiration.

L’individualité est donc nécessaire pour combattre le collectivisme, pour contredire la Bête.


[1] Thomas More, L’Utopie. Traduit par J. Le Blond (Paris, Gallimard, 2012): 380.

[2] Bernard Bourdin, La genèse théologico-politique de l’État moderne. Paris, Presses universitaires de France, 2004: 21.

[3] Dans la République, Platon décrit un idéal du partage des richesses, le Commonwealth, où il y aurait une communauté de propriétés, de repas et de femmes. L’État contrôlerait l’éducation, le mariage, les naissances, l’occupation des citoyens et la distribution des biens. Cet idéal respecterait la parfaite égalité des conditions et des carrières de tout citoyen des deux sexes. Or, le but de Platon était le bien-être individuel, pas l’agrandissement de l’État. En 1822, Charles Fourier, dans son Traité de l’association domestique-agricole, ira jusqu’à proposer un salaire minimal garanti en lien avec des moyens d’existence confortable.

[4] Anselme de Cantorbéry, Proslogion. Chapitre III, Qu’on ne peut penser qu’Il n’est pas. Traduit par B. Pautrat, Paris, GF Flammarion, 1993: 43.

[5] Dès la toute première phrase du premier chapitre, Les bourgeois et les prolétaires.

[6] Au deuxième chapitre, Les prolétaires et les communistes.

[7] George R. Boyer, « Poor Relief, Informal Assistance, and Short Time during the Lancashire Cotton Famine ». Explorations in Economic History № 34 (1997): 56.

[8] Expression choc de Friedrich Engels dans son ouvrage La Situation de la classe ouvrière en Angleterre de 1844. Traduit par G. Badia et J. Frédéric (Paris: Éditions sociales, 1960): 101. L’idéologie communiste n’aurait pas été possible sans lui.

[9] Pape Léon XIII, Lettre encyclique Quod. Apostolici muneris du 28 décembre 1878 (Acta Leonis XIII, vol. I): 46, poursuivant en cela la condamnation de Pie IX dans Qui pluribus, où « une telle doctrine serait la ruine complète de tous les droits, des institutions, des propriétés et de la société humaine elle-même ».

[10] Pie XI, Encyclique Divini redemptoris § 8, 19 mars 1937.

[11] Friedrich Nietzsche, Le Gai savoir. Livre III, Aphorisme 108, Luttes nouvelles. Traduit par A. Vialatte (Paris: Gallimard, 1950): 152. Dans le livre V, l’Aphorisme 343, Notre gaieté, confirme que la foi dans le Dieu chrétien a été amputée de sa plausibilité. La “Mort de Dieu” signifie la mort du suprasensible et le rejet unilatéral des idées sur lesquelles la civilisation chrétienne a vécu. La mort de Dieu est la condition de la libération de l’homme. Une telle mort marqua le début du nihilisme. Le signe de l’homme nouveau, le surhomme qui sera en mesure d’établir de nouvelles valeurs remplaçant « les vieilles », est inséparable de la Mort de Dieu.

[12] Amy Beal, “Negotiating Cultural Allies: American Music in Darmstadt, 1946-1956,” Journal of the American Musicological Society 53, № 1 (Printemps 2000): 105-39.

[13] Microfilm 1949, Records of the Monuments, Fine Arts, and Archives Section (MFAA) of the Reparations and Restitution Branch, OMGUS, 1945–1951 [RG 260, 43 rolls]. National Archives and Records Administration, Washington DC, 2008.

[14] Philippe Chenaux, Humanisme intégral (1936) de Jacques Maritain (Paris: Éditions du Cerf, 2006): 44.

[15] David W. Patterson, “Music, Structure and Metaphor in Stanley Kubrick’s 2001: A Space Odyssey,” American Music 22, № 3 (Automne 2004): 449. La musique de Ligeti consiste en successions de contrepoints atonaux superposés.

[16] Pierre Boulez et ses propos incendiaires, in Jean-Jacques Nattiez, éd., Orientations. Écrits, Pierre Boulez. Traduit par Martin Cooper (Cambridge: Harvard University Press, 1986): 481.

[17] En 1971, in Jean-Jacques Nattiez, éd., Orientations. Écrits, Pierre Boulez, ibid.

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Le Pays d’Henri Bosco

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Luc-Olivier d’Algange:

Le Pays d’Henri Bosco

Le Pays d’Henri Bosco appartient à quiconque se souvient de son enfance, à ces temps d’avant le temps, in illo tempore, antérieurs à l’expropriation, à l’adultération, à l’exil. La phrase d’Henri Bosco ne dit pas seulement les êtres et les choses, elle les convoque, elle œuvre, en exorciste, en sourcier, à l’éveil de puissances impondérables, c’est à dire livrées à l’éveil de l’air,  à « l’air de l’air » dont parle l’Epître d’Aristée, «  ces grandes odeurs sauvages qu’exhalent les arbres dans leur solitude », cet éther qui est au cœur des éléments comme leur source vive, leur intensité la plus subtile. Si le monde moderne désaltère notre soif cruelle par la source du Léthé, au point de nous laisser oublieux de notre oubli même, artificieusement protégés du ressac des réminiscences (c’est-à-dire du bonheur et du malheur, de la tragédie et de la joie) les romans d’Henri Bosco s’abreuvent et nous abreuvent de la source de Mnémosyne qui éveille en nous les résonances de ces divinités du dehors, de ces dieux qui adviennent avec une torrentueuse fraîcheur de la profondeur des temps.

         le-mas-theotime-4159343-264-432.jpgToute œuvre romanesque qui ne se réduit pas à l’anecdote ou à de vaines complications psychologiques instaure un autre rapport au temps, s’inscrit dans une météorologie et une chronologie légendaires où l’homme cesse d’être à lui-même la seule réalité. Voici le ciel, la terre, et cette mémoire seconde, qui affleure, et qui porte les phrases ; voici cette rhétorique profonde, sur laquelle les phrases reposent comme sur une houle et vont porter jusqu’à nous, jusqu’aux rives de notre entendement, des mondes chiffrés, que notre intelligence déchiffre comme des énigmes, sans pour autant les expliquer. Ainsi les romans d’Henri Bosco nous laissent dans le suspens, dans une aporie, une attente, une attention extrêmes aux variations d’ombre et de lumière, aux états d’âme qui n’appartiennent pas seulement aux sentiments humains mais au monde lui-même, à ce Pays qui n’est pas seulement une réalité administrative ou départementale mais un don, une civilité, un commerce entre le visible et l’invisible, - le don d’une autre temporalité qui nous fait à jamais insolvables des bienfaits reçus.

         Ni roman psychologique, ni roman formaliste, ni roman engagé, ni roman naturaliste, le roman d’Henri Bosco échappe  à ces dissociations nihilistes qui posent l’intelligence humaine face aux mondes comme expérimentatrice. Ce temps dans lequel nous entrons, ce temps du Pays, cette « rondeur des jours » comme l’eût dit Giono, n’est pas une expérience, mais une relation, une alliance ; non plus une subjectivité face aux autres et aux choses, y cherchant une explication, mais une implication, un échange, une porosité : mise en relation de l’âme humaine et de l’Ame du monde. Discrète, l’œuvre échappe à cette arrogance qui n’est jamais que l’envers d’un grief à l’égard de ce qui est, mais dans cette humilité même, dans ce consentement à recevoir débute une aventure prodigieuse qui nous fait revivre l’ontogenèse et la phylogenèse, jusqu’à cette fine pointe, ce moment de la conscience extrême où la conscience s’abolit, où nous devenons, selon la formule de Rimbaud, le « lieu et la formule ». L’œuvre chemine ainsi sur la beauté de la terre vers un doux resplendissement de phrases qui disent plus qu’elles en décrivent, qui nomment, mais en laissant aux noms la chance de refermer sur eux une part de nos propres songes et de nous rendre comme hors d’atteinte de nous-mêmes. Rien d’insolite cependant dans ces récits, puisque tout y est relié, en résonance, en échos ; les personnages approchent par détours, chemins de traverses, non pas vers la résolution d’une intrigue, vers une victoire sur des forces adverses humainement définies, mais vers un moment, une heure, qui est une victoire sur l’insignifiance et sur l’oubli.

         CVT_Un-rameau-de-la-nuit_9710.jpegL’œuvre d’Henri Bosco est, comme toutes les grandes œuvres de notre littérature, une pensée en action, mais en accord avec l’étymologie même du mot pensée, qui évoque la juste pesée, ces rapports et ces proportions où la part de l’inconnu n’est pas moins grande que la part connue ; où la part de la nuit détient les secrets de la lumière provençale. Œuvre nocturne mais non point ténébreuse ou opaque, louange des nuits lumineuses, des ombres qui sauvegardent, du haut jour qui tient sa vérité comme le secret d’une plus haute clarté encore, l’œuvre d’Henri Bosco sauve les phénomènes de la représentation abstraite que nous nous en faisons, et nous sauve nous-mêmes de nos identités trop certaines qui nous enferment dans une humanité irreliée à l’ordre du monde, détachée de la sagesse profonde de la nuit foisonnante de toutes les choses vivantes qui tendent vers la lumière ou en reçoivent les éclats. «  Je pus ainsi, écrit Henri Bosco, me replacer sans peine devant le décor intérieur où j’avais regardé ma propre nuit en train de descendre sur moi cependant qu’au-dessus de moi dans le ciel s’avançait la nuit sidérale ».

         Le Pays d’Henri Bosco nous est d’autant plus proche, plus intime, qu’il se trouve loin des clichés folkloriques, régionalistes ou touristiques. Il n’y a là rien à visiter, à photographier, à revendiquer ou à vendre. Par le récit, qui est une légende, autrement dit, par ce qui se donne à lire sur la page et qui n’est que la réverbération de ce qui se donne à lire dans le paysage (de cette écriture du monde, en striures d’écorces, en tumultes fluviaux, en nervures, en corolles, en nuées), au Pays est restitué son règne, cette autorité douce et impérieuse, empreinte visible d’un sceau invisible. Si le Pays règne, s’il est une royauté des arbres, une royauté du feu et de la pierre, s’il est une souveraineté des hommes, c’est-à-dire une liberté d’allure, un « privilège immémorial de la franchise » comme on le disait naguère des hommes de France, c’est dans la vive intelligence qui se trouve, comme soudain se lèvent une nuée d’oiseaux, après s’être longtemps cherchée, enracinée en même temps dans la terre et dans le ciel, dans un « être là », une présence qui existe, qui rayonne dans son existence, et témoigne d’un privilège insigne : celui qui revient à préférer ce qui est à ce qui n’est pas.

On s’aperçoit alors que les grands songes d’Henri Bosco sont exactement le contraire des utopies qui dédaignent l’être au profit du néant et prétendent échapper au tragique par le désenchantement.  Or le règne de la technique globalisée, commence à nous apprendre, et assez brutalement, que les désenchanteurs sont les pires sorciers, - de même que les puritains sont les plus radicaux ennemis de la pureté, c’est à dire du feu, pyros, qui arde et transfigure. La réalité, même la plus réduite, n’est jamais aussi plate, aussi planifiable que le voudraient les idéalistes du tiers-état, et leurs idéologues, vigilants « désenchanteurs » qui crurent que le désenchantement du monde était nécessaire à la raison humaine. Grossière erreur que nous continuons à payer par la dissolution progressive du monde réel en monde virtuel, mais d’une virtualité pour ainsi dire nulle, c’est-à-dire offerte, par son vide, au démon de la défiguration. D’où l’importance de ces personnages qui, dans les romans d’Henri Bosco, adviennent comme à l’impourvue, et dont il nous parle comme si nous les connaissions déjà car ils sont précisément des figures que le récit transfigure.

51Q3U58tpaL._SX333_BO1,204,203,200_.jpgRien de muséologique dans ce Pays  qui est une réalité antérieure autant qu’un « vœu de l’esprit », selon la formule de René Char. Rien qui soit de l’ordre d’une représentation, d’une identité recluse sur elle-même, mais la pure et simple présence réelle qui ne s’éprouve que par la brusque flambée portée dans la rumeur du vent et dans l’amitié qui nous unit au monde, dans ces affinités dont nous sommes les élus bien plus que nous ne les choisissons. Ce qui nous est conté est un recours au cours de la tradition, de sa solennité légère, et non plus un discours ; une conversation et non pas une discussion, si bien que l’intelligence se laisse empreindre par les lieux qu’elle fréquente dans le temps infiniment recommencé de la promenade. C’est dans la connivence des éléments, de l’air, de l’eau, du feu et de la terre, en leurs inépuisables métamorphoses, que le temps se renouvelle et s’enchante au lieu de n’être que le signe de l’usure, d’une finalité malapprise, insultante au regard du libre cours qui conduit à elle.

Les romans d’Henri Bosco sauvegardent, mais comme par inadvertance ou irrécusable évidence, cette teneur du temps, ce palimpseste léger où le grand-large de l’âme s’ouvre à chaque instant. Le Pays est cette évidence et ce mystère d’un temps qui est à l’intérieur du temps comme l’amande vive sous son écorce, un Pays où l’on renaît à soi-même : un Pays tellurique et sidéral, un Pays littéralement inconnu et dont la gloire est d’emporter dans son torrent ce que nous imaginions connaître.

Le Pays d’Henri Bosco devient ainsi le lieu d’une conversion du regard, d’une réconciliation du Mythe et du Logos. L’espace-temps du roman oscille, en vases communicants, entre la réalité et le rêve, comme l’est le Pays lui-même avec celui qui en est l’hôte au double sens du mot, celui qui reçoit et celui qui est reçu. Nous comprenons alors que le Pays nous habite, et qu’en voyageant en lui, nous voyageons en nous-mêmes,- voyage intérieur qui est un voyage vers l’intérieur, c’est à dire vers « l’extériorité véritable », comme l’écrivait Novalis, vers la source du Temps. Nous voyageons vers ce qui est déjà là, vers ce que nous sommes, sans pleinement le savoir. La nuit des romans d’Henri Bosco, est la source d’un jour qui rêve. « D’ordinaire, je rêve peu, écrit Henri Bosco, du moins la nuit. C’est dans la journée que me viennent mes songes, et ils disparaissent plutôt vers le soir. Aussi, cette nuit là n’eus-je pas d’autre rêve que ce sentiment. Je l’éprouvais sans qu’il s’y glissât le rappel des personnages, des événements pourtant singuliers, dont j’avais fait depuis le matin la rencontre. Je ne fus plus qu’un état d’âme ».

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Or cette flottaison, cette indétermination, n’est autre que le Réel dans ses possibilités infinies, l’enfance, ce silence d’avant le langage que le poète traduit, l’enfance qui perdure, toute-possibilité accordée au ciel, au fleuve, à la pierre de nous faire signe, d’entrer, ou, plutôt de nous laisser entrer dans une conversation dont nous eussions été exclus si, par malheur, nous avions cédés à la misérable fiction du temps linéaire, d’un temps voulu entièrement vers un but précis, et dont nous eussions récusé l’hospitalité.

L’œuvre répond ainsi à la décisive mise en demeure hölderlinienne, « habiter en poète ». Le numineux, puissance sacrée à la fois inquiétante et enchanteresse ordonne chaque roman d’Henri Bosco. La réalité ne suffit pas au Réel, il y faut le songe qui est la réverbération, le halo de la réalité telle qu’elle se prolonge, musicienne, ou s’éploie dans ce « logos intérieur » qui se révèle à nous par étapes ou par « stations » successives, comme le savaient les mystiques soufis, ces Fidèles d’Amour, dont Henri Bosco, mais ce serait l’occasion d’une autre approche, fut proche à maints égards.

        Le_jardin_d_Hyacinthe.jpg Le temps qualifié, la géographie sacrée, les ressources secrètes des êtres et des choses singuliers, qui vont s’accordant avec les forces impersonnelles, ouvrent un espace, celui du roman, où le monde intérieur et le monde extérieur cessent d’être séparés par d’irréfragables frontières. Le soleil, le fleuve, les arbres, le vent, la nuit sont des présences sacrées car leur réalité symbolise avec une réalité plus haute, hors d’atteinte, que les phrases mélodieuses, selon la formule héraclitéenne, « voilent et dévoilent en même temps ». Entre le sensible et l’intelligible, entre la nuit profonde et l’éblouissante clarté, toutes les gradations s’emparent des songes, des effrois, des attentes ardentes des personnages devenus, par le génie romanesque, fabuleux instruments de perception des variations météorologiques. La vérité humaine est d’autant plus profonde et nuancée qu’elle est située, qu’elle cesse, par un suspens, de se référer exclusivement à elle-même. Les hommes ne sont humblement et souverainement présents que par ce partage de leur règne qu’ils consentent avec la terre et le ciel.

Le Pays d’Henri Bosco n’est ainsi pas seulement une géographie, une histoire il est une autre dimension du temps, et c’est bien pourquoi l’auteur est d’abord romancier, exerçant au plus haut l’art du romancier qui est de créer une autre temporalité, ou, dans les  cas les plus heureux, de révéler une temporalité plus réelle que celle à laquelle nous contraint une idéologie, devenue par cela même l’ennemie de la civilisation, fondée sur l’utilitarisme, c’est à dire sur le nihilisme. A ce nihilisme qui fige les êtres et les choses, sous éclairage artificiel, dans des identités plates dans relief ni ombrages, sans voiles ni révélations, Henri Bosco oppose, comme un recours, le frémissement immanent de l’eau auquel s’accorde le mouvement de ses phrases. Celles-ci ne disent pas seulement ce mouvement, cette incertitude fabuleuse, elles s’y accordent, mieux encore, elles en renouvellent la vérité dans le creuset de la réalité elle-même, dans son inscription héraldique. La tradition d’un Pays, le tradere est une rivière : «  Les eaux, écrit Henri Bosco, m’inquiètent et m’attirent. Tout ce qui se passe dans leur voisinage prend fatalement à mes yeux je ne sais quoi d’irréel, un corps imaginaire. Les personnages, les événements les plus incontestables ne le sont que dans cette troublante lueur. »

sylvius.jpgContre la clarté monocorde, ennemie des ombres, Henri Bosco invoque non seulement le frémissement de l’eau, mais aussi le feu, là même où s’opère la coalescence de l’Eros et du Logos : «  J’étais fasciné par le feu. Il pénétrait en moi, immobilisait mon cerveau sur une seule idée. Cette idée n’était qu’une braise… Terrible, mais si vive, si envahissante qu’elle ne soulevait aucune épouvante. J’étais devenu feu, corps de feu, cœur de feu, esprit-feu, et toute la forêt en flammes. Si l’incendie se fut propagé jusqu’à moi, je n’aurais pas fui, j’aurai attendu, embrassé le feu, et pris feu pour disparaître dans mon propre feu au milieu d’une gerbe d’étincelles. »

Nul lecteur, plus que celui d’Henri Bosco (sinon peut-être celui de Gérard de Nerval) ne se trouve proche, en suivant le chemin de ses personnages, de cette beauté numineuse où la réalité s’inscrit et dont elle reçoit les puissances fécondantes. Les êtres et les choses ne sont pas ce qu’ils semblent être dans leurs représentations sécularisées, mais ce qu’ils sont, dans leurs toute-possibilité augurale… Mondes aux orées tremblantes comme des flammes où les circonstances, en apparence banales, deviennent emblématiques, chargées de ce magnétisme onirique qui rapproche ou éloigne les personnages les uns des autres, les laissant parfois dans une haute solitude, comme avant les marées, et leur intime l’ordre de consentir à ce qu’ils ne peuvent comprendre, mais sans y succomber.

         Comment « habiter en poète », selon la formule d’Hölderlin, être là où nous sommes, exister dans le secret qui est l’immédiate évidence sensible elle-même ? De livre en livre, de chapitre en chapitre, de phrase en phrases, Henri Bosco nous rapproche  du point à partir duquel les variations des états de conscience et d’être se recomposent avec les sollicitations du Pays, avec ce temps redevenu espace où l’âme s’éprouve et se disperse, s’enhardit à s’associer aux forces telluriques, aux rameaux de la nuit, - et de ces forces qu’elle reçoit retourne en son propre règne, en sa propre clarté d’entendement dont témoigne, au demeurant, le style d’une si belle, si naturelle, mesure classique d’Henri Bosco.

         003614327.jpgTel est peut-être un des secrets le mieux gardés de la littérature française, de sa tant et si mal vantée « clarté classique », de n’être, en sa beauté ordonnatrice, qu’un surgeon d’intuitions plus profondes et plus sauvages, où l’art du sourcier, l’oniromancie, viennent irriguer la plénitude des formes du jour. Ce qui distingue l’art romanesque d’Henri Bosco, son poiein, sa pensée en action, n’est peut-être rien d’autre le sens des contiguïtés, et l’on pourrait presque dire de la consanguinité, du monde du rêve et du monde de la réalité. Ce qui unit les personnages et leurs ombres, qui parfois semblent leur échapper, n’est pas de l’ordre de la nécessité ou du déterminisme, disposé en discours, mais bien de celui d’une recouvrance. Si , comme dans l’œuvre de Gérard de Nerval, le songe et la réalité en sont pas séparés ce n’est point par artifice littéraire, mais parce que dans la vision et la pensée d’Henri Bosco, ils ne se distinguent qu’en se graduant. Le rêve est la réalité d’un autre rêve, et notre songe humain des songes du Pays reçoit ses messages. Nous ne commençons à habiter véritablement les lieux, c’est-à-dire que nous n’en devenons les hôtes que si hôtes à notre tour, nous recevons les légendes qui sont dans l’arbre des mots, comme l’envers argenté des feuilles.

         Cette grande part nocturne des romans d’Henri Bosco est une quête lumineuse qui semble se souvenir que, selon la formule de la théologie médiévale, « la lumière est l’ombre de Dieu », lux umbra dei. Un monde, dans son Pays, nous accueille, que nous recueillons en le nommant.

Luc-Olivier d’Algange