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jeudi, 04 juin 2020

Titus Burckhardt et l'École Traditionaliste

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Titus Burckhardt et l'École Traditionaliste
 
(via Facebook)
 
Titus Burckhardt, Suisse allemand, est né à Florence en 1908 et décédé à Lausanne en 1984. Il a consacré toute sa vie à l'étude et à l'exposition des différents aspects de la Sagesse et de la Tradition.
 
A l'âge de la science moderne et de la technocratie, Titus Burckhardt fut l'un des plus subtils et puissants interprètes de la vérité universelle, dans le domaine de la métaphysique aussi bien que dans celui de la cosmologie et de l'art traditionnel. Dans un monde où règnent l’existentialisme, la psychanalyse et la sociologie, il fut l'un des plus grands porte-parole de la philosophia perennis, cette “sagesse incréée” qui s'exprime dans le Platonisme, le Vedanta, le Soufisme, le Taoïsme et d'autres authentiques enseignements ésotériques et sapientiels. En termes de littérature et de philosophie, il fut un membre éminent de l’ “école traditionaliste” du vingtième siècle.
 
9782850760198-fr.jpgLe grand précurseur et initiateur de l'école traditionaliste fut René Guénon (1886-1951). Celui-ci fit remonter l'origine de ce qu'il appelait la déviation moderne à la fin du Moyen-Age et au début de la Renaissance, cette grande irruption de la sécularisation qui vit le nominalisme l'emporter sur le réalisme, l'individualisme (ou l'humanisme) remplacer l'universalisme, et l'empirisme bannir la scolastique. Une partie importante de l'œuvre de Guénon fut donc constituée par sa critique du monde moderne d'un point de vue implacablement “platonicien” ou métaphysique. Ceci fut pleinement développé dans ses deux remarquables ouvrages La Crise du monde moderne et Le règne de la quantité et les signes des temps. La face positive de l'œuvre de Guénon fut son exposition des principes immuables de la métaphysique universelle et de l'orthodoxie traditionnelle. Sa source principale fut la doctrine de la “non-dualité” de Shankara (advaïta), et son maître livre à cet égard L'homme et son devenir selon le Vedanta. Cependant, il se tourna aussi volontiers vers d'autres sources traditionnelles puisqu'il considérait toutes les formes traditionnelles comme des expressions diverses de la Vérité une et supra-formelle. Un dernier aspect de l'œuvre de Guénon fut sa brillante exposition du contenu intellectuel des symboles traditionnels, quelque soit leur religion d'origine. Voir à cet égard son livre Symboles fondamentaux de la science sacrée.
 
Érudit de renom profondément influencé par Guénon fut Ananda K. Coomaraswamy (1877-1947), qui, parallèlement à ses éminentes qualités et à ses talents personnels, eut le mérite de découvrir, relativement tard dans sa vie, le point de vue traditionnel, tel qu'il avait été exposé, si amplement et si précisément, par les livres de Guénon, et de se laisser parfaitement convaincre de son bien-fondé et sa justesse.
 
Il est important de noter que les écrits de Guénon, bien que d'une importance décisive, furent de caractère purement théorique et n'eurent pas la prétention de traiter de la question de la “réalisation”. En d'autres termes, leur objet fut généralement l’ “intellectualité” (ou la doctrine) et non directement la “spiritualité” (ou la méthode).
 
fs.jpgLe soleil se leva pour l'école traditionaliste avec l'apparition de l'œuvre de Frithjof Schuon (né à Bâle en 1907). Il y a trente ans, un thomiste anglais écrivit à son sujet: “Son oeuvre a l'autorité intrinsèque d'une intelligence contemplative.”(1) Plus récemment, un illustre universitaire américain a déclaré: “En profondeur et en ampleur, c'est un parangon de notre temps. Je ne connais pas de penseur vivant qui lui soit de loin comparable.”(2) T. S. Eliot émit une opinion semblable, lorsqu'il écrivit en 1953 au sujet du premier livre de Schuon: “Je n’ai rencontré aucun livre plus impressionnant en fait d'étude comparative des religions d'Orient et d'Occident."
 
L'œuvre de Schuon fit son apparition pendant la deuxième partie de la vie de Guénon. Jusqu'à sa mort, Guénon désigna Schuon (par exemple dans les Études Traditionnelles) comme “notre éminent collaborateur”. Schuon continua d'une façon encore plus saisissante la critique pénétrante et irréfutable du monde moderne, et atteignit des sommets insurpassables dans son exposition de la vérité essentielle - illuminatrice et salvatrice - qui se trouve au cœur de toutes les formes révélées. Schuon a donné à cette vérité supra-formelle le nom de religio perennis. Ce terme, qui n'implique pas le rejet des termes similaires de philosophia perennis et sophia perennis, suggère néanmoins une dimension supplémentaire infailliblement présente dans les écrits de Schuon. C'est que la compréhension intellectuelle entraîne une responsabilité spirituelle, que l'intelligence requiert un complément de sincérité et de foi, et que le "voir" (en hauteur) implique le "croire" (en profondeur). En d'autres termes, plus vaste est notre perception de la vérité essentielle et salvatrice, plus grande est notre obligation d'un effort de "réalisation" intérieure ou spirituelle.
 
L'oeuvre de Schuon débute par une étude d'ensemble, dont le titre même sert à planter la scène: L'Unité transcendante des religions. La liste de ses ouvrages ultérieurs inclue Language of the Self (sur l'Hindouisme), Images de l'Esprit (contenant un précieux exposé sur le Bouddhisme), Comprendre l'Islam, Castes et Races, Logique et Transcendance, et un large "compendium" d'aperçus philosophiques et spirituels intitulé L'Ésotérisme comme Principe et comme Voie.
 
41MHbuFMIiL._SX319_BO1,204,203,200_.jpgNous pouvons à présent revenir à Titus Burckhardt. Bien qu'il ait vu le jour à Florence, Burckhardt était issu d'une famille patricienne de Bâle. Il était le petit-neveu du célèbre historien de l'art Jacob Burckhardt et le fils du sculpteur Carl Burckhardt. Titus Burckhardt était d'un an le cadet de Frithjof Schuon, et ils passèrent ensemble à Bâle leurs premières années d'école à l'époque de la première guerre mondiale. Ce fut le début d'une amitié intime et d'une union intellectuelle et spirituelle profondément harmonieuse qui devait durer toute une vie.
 
Le principal exposé métaphysique de Burckhardt, qui fournit un complément admirable à l'oeuvre de Schuon, est l'Introduction aux doctrines ésotériques de l'Islam. Ce livre analyse d'une façon compréhensive et concise la nature de l'ésotérisme comme tel. Par une série de définitions lucides et sobres, il précise ce qu'est l'ésotérisme et ce qu'il n'est pas, puis examine les fondements doctrinaux de l'ésotérisme islamique ou soufisme, et termine sur une description inspirée de l’ “alchimie spirituelle” ou de la voie contemplative qui mène à la réalisation intérieure. Cet ouvrage établit Burckhardt comme l'interprète par excellence, après Schuon, de la doctrine intellectuelle et de la méthode spirituelle.
 
Burckhardt a consacré une grande partie de ses écrits à la cosmologie traditionnelle qu'il a perçue plutôt comme la “servante (ancilla) de la métaphysique”. Il en a formulé les principes dans un article important: “Nature de la perspective cosmologique” publié dans les Études Traditionnelles en 1948. Bien plus tard, il a traité de façon particulièrement complète tout le champ de la cosmologie — avec des références détaillées aux principales branches de la science moderne — dans un traité exhaustif: “Cosmologie et science moderne” (Études Traditionnelles, 1965; repris dans Science moderne et Sagesse traditionnelle [Archè, Milan ; Dervy, Paris ; 1986).
 
Non sans rapport avec son intérêt pour la cosmologie, Burckhardt avait une affinité particulière avec l'art et l'artisanat traditionnels et il se montra profond interprète de l'architecture, de l'iconographie, et d'autres formes de l'art et de l'artisanat traditionnels. Il souligna en particulier la façon dont ces derniers avaient été — et peuvent être encore — mis en valeur spirituellement: en tant qu'activités (ou métiers) transmettant, en vertu leur symbolisme inhérent, un message doctrinal; et aussi en tant que supports de réalisation spirituelle — bref, en tant que moyens de grâce. Ars sine scientia nihil. Il s'agit ici de scientia sacra et d'ars sacra, deux faces d'une même réalité. C'est le domaine, au sein des différentes civilisations traditionnelles, des initiations artisanales — par exemple, en ce qui concerne le Moyen-Age, le domaine de la maçonnerie opérative et de l'alchimie. L'oeuvre principale de Burckhardt en matière de cosmologie fut son livre magistral Alchimie: sa signification et son image du monde, lumineuse présentation de l'alchimie comme expression d'une psychologie spirituelle et comme support intellectuel et symbolique de la contemplation et de la réalisation.
 
frontImagesLink.jpgDans le domaine de l'art, le principal ouvrage de Burckhardt fut son livre Principes et méthodes de l'art sacré qui contient maints remarquables chapitres sur la métaphysique et l'esthétique de l'Hindouisme, du Bouddhisme, du Taoïsme, du Christianisme et de l'Islam, et se termine par un aperçu concret et pratique sur la situation contemporaine intitulé "Décadence et renouveau de l'art chrétien". Un abrégé d'ensemble des éléments essentiels de ce livre doit paraître pour la première fois dans The Unanimous Tradition, recueil d'articles d'auteurs traditionalistes rédigé par Ranjit Fernando (Institute of Traditional Studies, Colombo, 1991).
 
Pendant les années cinquante et soixante, Burckhardt fut directeur artistique de la maison d'édition Urs Graf à Olten près de Bâle. Pendant ces années, sa principale activité fut la préparation et la publication de toute une série de fac-similés de beaux manuscrits enluminés du Moyen-Age, en particulier les premiers manuscrits celtiques de l'Évangile, tels que le Livre de Kells et le Livre de Durrow (du Trinity College à Dublin) et le Livre de Lindesfarne (de la British Library à Londres). Ce fut un travail de pionnier de la plus haute qualité en même temps qu'un exploit d'édition qui connut immédiatement un accueil favorable de la part des experts comme de la part du grand public.
 
Son édition du magnifique fac-similé du Livre de Kells valut à Burckhardt une rencontre inoubliable avec le Pape Pie XII. Les Editions Urs Graf souhaitaient présenter un exemplaire de l'oeuvre à la sainte et princière personne du Pape, et on décida que nul n'était mieux qualifié pour ce faire que le directeur artistique Burckhardt. Aux yeux du Pape, Burckhardt était apparemment un gentilhomme protestant de Bâle. Le Pape lui accorda une audience privée à sa résidence d'été de Castel Gandolfo. Quand, dans la salle d'audience, la silhouette vêtue de blanc du Pape apparut soudain, ce dernier s'approcha de son visiteur de manière accueillante et lui dit en allemand: Sie sind also Herr Burckhardt? (“Alors vous êtes Monsieur Burckhardt?”) Burckhardt s'inclina, et quand le Pape lui offrit sa main portant l'anneau du pêcheur, il la prit respectueusement dans la sienne. Toutefois, en non-catholique qu'il était, il baisa, non l'anneau (comme il est de coutume chez les catholiques), mais les doigts du Pape. “Ce que le Pape permit en souriant,” ajoute Burckhardt.
 
Durant un moment, les deux hommes s'entretinrent ensemble de l'Age des Ténèbres et des manuscrits insurpassables des Évangiles qui avaient été produits avec tant d'amour et tant d'art à cette époque. Au terme de l'audience, le Pape donna sa bénédiction: "Du fond du coeur, je vous bénis, vous-même, votre famille, vos collègues, et vos amis."
 
9782844545671-475x500-1.jpgC'est pendant les années passées chez les Editions Urs Graf que Burckhardt présida à la publication de la collection "Hauts lieux de l'Esprit" (Stätten des Geistes). Il s'agit d'études historiques et spirituelles ayant pour objet les manifestations du sacré dans les grandes civilisations, dont le Mont Athos, l'Irlande celtique, le Sinaï, Constantinople et autres lieux. Burckhardt y donna sa contribution personnelle avec les livres Sienne, ville de la Vierge, Chartres, genèse de la cathédrale, et Fès, haut lieu de l'Islam. Sienne est une description émouvante de la grandeur, et finalement de la décadence, d'une cité chrétienne qui, du point de vue architectural, demeure encore aujourd'hui une sorte de joyau gothique. La plus intéressante partie de l'ouvrage est toutefois l'histoire de ses saints. Burckhardt consacre bon nombre de pages à Sainte Catherine de Sienne (qui n'hésita jamais à reprendre le Pape de son temps quand elle le jugea nécessaire) et à Saint Bernardin de Sienne (qui fut l'un des catholiques les plus célèbres à pratiquer l'invocation du Saint Nom et à prêcher au peuple la doctrine de son pouvoir salvateur).
 
Chartres est l'histoire de l'"idéalisme" religieux (au meilleur sens du terme) qui soutint la conception et la réalisation pratique des cathédrales du Moyen-Age, témoins ineffaçables d'une époque de foi à travers les siècles humanistes ultérieurs. Dans Chartres, Burckhardt expose le contenu intellectuel et spirituel des différents styles architecturaux, faisant non seulement la distinction à cet égard entre le gothique et le roman, mais aussi entre les différentes expressions du seul roman. C'est un exemple parfait de ce qu'est le discernement intellectuel.
 
41zqYW7VfjL._SX369_BO1,204,203,200_.jpgL'un des chefs d'oeuvre de Burckhardt est sans aucun doute son livre Fès, haut lieu de l'Islam. Alors qu'il était jeune homme, dans les années trente, Burckhardt passa plusieurs années au Maroc, où il noua des liens d'amitié intime avec plusieurs remarquables représentants de l'héritage spirituel maghrébin jusque-là subsistant. Ce fut de toute évidence une période de formation dans la vie de Burckhardt, et une large part de son message et de son style ultérieurs a pour origine ces premières années. Dès cette époque, il mit par écrit une grande partie de son expérience, sans la publier alors, et c'est seulement à la fin des années cinquante que ces écrits et ces expériences vinrent à maturité dans un livre définitif et magistral. Dans Fès, haut lieu de l'Islam Burckhardt raconte l'histoire d'un peuple et de sa religion, histoire qui fut souvent violente, souvent héroïque, et parfois sainte. Tout au long de cette histoire court la trame de la piété et de la civilisation islamiques, que Burckhardt décrit d'une manière sûre et lumineuse, tout en relatant maints enseignements, paraboles et miracles des saints de nombreux siècles, et en exposant non seulement les arts et artisanats de la civilisation islamique, mais aussi ses sciences "aristotéliciennes" et ses méthodes administratives. On trouve beaucoup à apprendre en matière de gouvernement des hommes et des sociétés dans la présentation clairvoyante que donne Burckhardt des principes qui sous-tendent les vicissitudes dynastiques et tribales, avec leurs échecs et leurs succès.
 
Dans un esprit proche de Fès, une autre oeuvre de maturité de Burckhardt est son livre La culture maure en Espagne. Comme toujours, c'est un livre de vérité et de beauté, de science et d'art, de piété et de culture traditionnelle. Ici, comme dans plusieurs de ses livres, il est question du romanesque, du chevaleresque, du poétique et du véridique de la vie pré-moderne.
 
Pendant ses premières années au Maroc, Burckhardt se plongea dans la langue arabe et assimila les classiques du soufisme dans leur texte original. Lors des dernières années de sa vie, il devait partager ces trésors avec un large public par ses traductions d'Ibn `Arabî (3) et de Jîlî (4). L'un de ses plus importants travaux fut à cet égard sa traduction des lettres spirituelles du célèbre Sheikh marocain Moulay al-`Arabî ad-Darqâwî (5). Ces lettres, un précieux recueil de conseils pratiques, constituent un classique de la spiritualité.
 
Le dernier grand ouvrage de Burckhardt fut son importante monographie L’art de l’islam. Les principes intellectuels et la fonction spirituelle de la création artistique — illustrés ici surtout dans ses formes islamiques — nous y sont clairement et richement présentés. Avec ce noble volume, l'incomparable corpus littéraire burckhardtien se clôt.
 
Notes:
 
(1) Bernard Kelly, in Dominican Studies (Londres), Vol. 7, 1954.
(2) Professeur émérite Huston Smith, 1974.
(3) La Sagesse des Prophètes (Fusûs al-Hikam), Albin-Michel, Paris, 1955.
(4) De l'Homme Universel (Al-Insân al-Kâmil), Derain, Lyon, 1953.
(5) Lettres d'un Maître Soufi, Archè, Milan; Dervy, Paris; 1978.
 
Liens:
 
 

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Le Traditionalisme en Turquie

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Tibet DIKMEN:

Le Traditionalisme en Turquie

Il est difficile de dire que le traditionalisme a été suffisamment discuté et diffusé dans la sphère intellectuelle turque. Malgré le fait qu’une majorité des livres traditionalistes importants aient été traduits en turc, la conscience de ce courant philosophique est assez limitée à une «élite» particulière. Bien que la plupart des œuvres de René Guénon, Frithjof Schuon, Seyyed Hossein Nasr, Martin Lings, Titus Burckhardt et Julius Evola soient toujours publiées par 'İnsan Yayınları', de nombreux Turcs ignorent à quel point l'école traditionaliste est un mouvement politico-philosophique actif, comment les traditionalistes sont connectés les uns aux autres, jusqu’où s'étendent les grandes et petites veines qui les alimentent, et à quelle distance les vaisseaux qui en résultent se propagent.

Rene Guenon - Modern Dünyanın Bunalımı.jpgRené Guénon est naturellement le premier nom traditionaliste à atteindre la Turquie. Le plus ancien document portant son nom remonte à 1938, dans l'intitulé d'un article de journal affirmant: «René Guénon, le philosophe français perdu depuis sept ans a finalement été retrouvé à la célèbre université Al-Azhar au Caire. Tout le monde à Paris est étonné par l’aventure étrange et curieuse du philosophe. » Cependant, cet article s'avère peu pertinent. Les œuvres intellectuelles de Guénon n'atteindront les intellectuels turcs qu'au début des années 80. Cela a commencé par la publication de petits articles dans un magazine conservateur appelé «Résurrection», appartenant à un parti islamo-conservateur qui a ensuite été fermé pour avoir refusé de participer aux élections trois fois d'affilée. À la suite de cette introduction, la traduction de ses livres a été entamé par Nabi Avcı, chroniqueur aux journaux Yeni Şafak, conseiller principal du Premier ministre Erdogan en 2003, ministre de l'Éducation nationale entre 2013-2016, puis ministre de la Culture et Tourisme jusqu'en 2017. Nous constatons déjà que des universitaires et intellectuels particulièrement bien placés ont tenté d'être les «précurseurs» du Traditionalisme en Turquie.

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Nabi Avci.

Après les traductions d'Avcı, des deuxièmes éditions ont été publiées, toutes chez 'les éditions ‘Insan', sous la direction du Prof. Dr. Mahmut Erol Kılıç, également écrivain à Yeni Şafak et académicien célèbre pour son travail sur Ibn-Arabi et René Guénon, actuellement ambassadeur de Turquie en République d'Indonésie. Jusqu'à très récemment, on pouvait observer que le contenu traditionaliste ne se trouvait que dans les arènes islamo-conservatrices telles que les facultés de théologie. Cependant, le courant anti-moderne vit, à ce jour, son apogée en Turquie. De nombreuses nouvelles traductions s'additionnent et les idées gagnent chaque jour plus d'interlocuteurs.

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Mahmut Erol Kiliç.

Outre que le traditionalisme devient une énorme influence pour les ordres soufis actifs, certains conservateurs ont commencé à essayer d'utiliser le traditionalisme comme une philosophie rigide et forte contre l'opposition laïque.

Un effort accru peut également être remarqué pour introduire l'école de la pensée à la jeune génération. GZT (la section jeunesse du journal Yeni Şafak que nous avions abordé plus tôt, un quotidien conservateur connu pour son soutien intransigeant au président Erdogan, entretenant des relations étroites avec le régime de l'AKP et fréquemment accusé pour discours de haine excessif et antisémitisme) a écrit un article approfondi et bien documenté sur le Traditionalisme destiné à la jeune génération, et a même réalisé une vidéo YouTube de 20 minutes expliquant l'héritage de Guénon. Cette `` gazette de la jeunesse '' qui, avec Yeni Şafak, appartient à Albayrak Holding, un conglomérat d'un milliard de dollars impliqué dans les télécommunications, l'immobilier, la production de moteurs, le textile et le papier, a également organisé une diffusion en direct avec Ibrahim Kalin (l'actuel conseiller en chef du président Erdogan), où il a sévèrement critiqué la modernité et recommandé à la jeune population turque de lire «L'Homme et la Nature» de Seyyed Hossein Nasr. De nouveaux articles sur les écrivains traditionalistes paraissent très fréquemment dans les revues de jeunesse de nombreuses universités allant d'Istanbul à Erzurum. On peut donc constater que, contrairement à l'Europe où il apparaît comme un courant dissident, le traditionalisme en Turquie se retrouve entrelacé dans la classe dirigeante, l'endroit auquel on s'attendrait le moins.

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Compte tenu de tous les différents facteurs, même si elles s’avèrent inconscientes et imprévues, une renaissance se produit dans la branche conservatrice de la Turquie et cela est directement liée au point de vue traditionaliste. Alors que les soufis et les ordres religieux ont tendance à se concentrer sur la tangente ‘pérennialiste’ plus passive, la "Révolte contre le Monde moderne'' de Julius Evola gagne en popularité auprès des militaristes: ceux qui adhèrent fermement à la devise "la Turquie n'est pas un pays avec une armée, l'armée turque est une armée avec un pays".

La croissance de l'influence traditionaliste a atteint une telle ampleur que Abdul-Wahid Yahya Guénon, fils de René Guénon, a été invité à Istanbul en 2015 pour recevoir le prix d'honneur de “Ami spécial” (décerné à ceux qui auraient grandement servi et contribué l'Islam) par une fondation soufie aux racines profondes (Kerim Vakfı). Au cours de son discours, le fils de Guénon a partagé des faits inédits sur son père. Le plus étonnant d’entre eux est le fait qu'un élève d'Albert Einstein aurait écrit une lettre à René Guénon déclarant que «son professeur était fortement influencé par ses travaux sur la métaphysique» et «qu'il les recommandait à ses élèves». Le fils de Guénon a également déclaré que même s'il était heureux que les œuvres de son père soient louées en Turquie, seulement 13 de ses 28 livres ont été traduits à ce jour.

N'oublions pas non plus l'opposition. L’opposition la plus forte à Guénon est venue de Zübeyir Yetik (du Milli Görüş d’Erbakan) qui a consacré tout un livre sur la critique des positions ésotériques et «suprareligieuses» de Guénon, intitulé «La suprématie de l’homme et l’ésotérisme guénonien».

Yetik affirme avec force que «les résultats des efforts visant à faire revivre le« patrimoine commun de l'humanité »sous le nom de« tradition », qui est constamment porté à l'ordre du jour par René Guénon et ses disciples, comme moyen alternatif de salut, est une triche et une escroquerie à ce sujet, portant préjudice à l’individu et à la société ». A côté de ces critiques, on peut également constater que les francs-maçons turcs ne sont pas non plus satisfaits de sa popularité. Selon une recherche effectuée par Thierry Zarcone, bien que la bibliothèque de la Grande Loge d'Istanbul disposait de nombreux livres de Guénon, ils l'ont délibérément ignoré et ont même fait preuve de consternation envers sa philosophie.

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Nous pouvons facilement remarquer l'attention croissante envers le traditionalisme, en particulier avec l'arrivée d'Ernst Jünger sur les étagères turques. Jünger est le plus récent penseur qui est entré dans cette «renaissance intellectuelle» en cours et, curieusement, le premier livre traduit était «Gläserne Bienen» (Abeilles de verre) en 2019, suivi de «In Stahlgewittern» (Orages d’acier) plus tard cette année-là. Ainsi, il a fallu 99 ans à Ernst Jünger pour atteindre un public turc. Nous pouvons donc conclure que le traditionalisme s'installe et crée des changements intellectuels significatifs dans différentes parties du monde, chacun dans des contextes indépendants et que la Turquie n'embrasse que récemment mais complètement cette vision du monde éternelle.

Sources :

https://www.gzt.com/mecra/gelenekselci-ekol-3426042v

http://www.insanyayinlari.com/

https://www.youtube.com/watch?v=3nseIBrYVhY

https://www.youtube.com/watch?v=13K4--Hdup0

https://www.aa.com.tr/tr/kultur-sanat/einstein-babamdan-cok-etkilenmis/496404

https://en.wikipedia.org/wiki/Nabi_Avc%C4%B1

https://tr.wikipedia.org/wiki/Albayrak_Holding

https://www.yenisafak.com/hayat/rene-guenon-ve-krizdeki-dusunce-2532911

https://www.religion.info/2003/01/26/rene-guenon-influence-en-iran-et-en-turquie/

https://books.google.be/books?id=zesfgcT_xtUC&pg=PA131&lpg=PA131&dq=traditionalisme+turquie+gu%C3%A9non&source=...

MA JEUNESSE SE SOUVIENT (D'UNE SOIRÉE D'AVANT-GUERRE) : FAYE PARMI NOUS

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Pierre Robin:

MA JEUNESSE SE SOUVIENT (D'UNE SOIRÉE D'AVANT-GUERRE) :

FAYE PARMI NOUS (SAMEDI SOIR 9 AVRIL 1983)...

En fait il s'agit d'une soirée Jalons, bande et groupe donnant dans la parodie de tout d'un point de vue plutôt de droite, et dont j'étais alors une figure - souvent renfrognée. La soirée a lieu, comme souvent à l'époque, dans l'appartement du frère aîné de Basile de Koch, au rez-de chaussée d'un imposant immeuble haussmannoïde de la place Malesherbes-Catroux.

UNE MANIÈRE DE STAR BIZARRE...

C'est une soirée Jalons mais Guillaume Faye collabore de loin en loin à nos activités - il signera en mai 1984 une très amusante fausse interview de Simone Veil, dans la perspective des élections européennes, dans notre mensuel.

Avantguerre_21012002.jpgSinon, au printemps 83, Faye est une manière de star dans le petit milieu ex. dr. : c'est, au sommet de la "Nouvelle Droite", le bras droit, jeune et branché d'Alain de Benoist, auteur d'un essai assez remarqué, Le Système à tuer les peuples, clairement anti-libéral et anti-occidental (l'Occident de Jean-Paul II et de Ronald Reagan, pour préciser sa pensée).

Et puis, depuis peu ce 9 avril (ça a dû débuter en février), Faye est le colonel Olrik, la voix dominante et inquiétante d'une nouvelle émission qui ne ressemble certes à aucune autre : Avant-Guerre, qui se passe autour de minuit sur la radio plus ou moins libre Fréquence FFI, abritée par une prestigieuse école de commerce dans le XVIème. On y entend des bruits de missiles, des rumeurs d'orage et des récits de catastrophes aériennes affectant essentiellement les avions de ligne américains. On y entend Olivier Carré, brillant second et conseiller en musique moderne de Faye, se prendre pour un sous-marinier néo-soviétique et psalmodier des litanies militaristes et totalitaires, Odile - la soeur de Carré - réciter des poèmes pas cool.

Et puis donc on entend Faye condamner les droits de l'Homme et exalter la grandiose Fédération euro-sibérienne, dirigée par une caste militariste racée. De la même voix de savant fou, Faye dialogue aussi avec les auditeurs, c.a.d. qu'il les épure impitoyablement, leur coupant le micro s'ils ne sont pas "dans la ligne" (ce qui arrive assez souvent).

MODERNE ANTI-MODERNE, FUTURISTE ANTI-PRÉSENT..

Et tout ça avec les synthés sombres de Cousin Arnaud, et un peu de morceaux de cette new wave "européenne" encore un peu de saison au printemps 83. Faye se fout de la musique en général et de la new wave en particulier, mais il a du nez et a compris qu'il fallait jouer la carte d'un certain modernisme esthétique pour faire passer ses messages. Plus tard dans une interview, il dira que ceux qui veulent combattre les méfaits de la modernité avec une vieille culture traditionnelle commettent une "formidable erreur"...

Je ne sais pas si c'est à mettre au compte de son souci de modernité, mais Faye est aussi bon comédien, cynique, manipulateur - il est déjà connu pour ses canulars téléphoniques - et dragueur : à l'époque de la soirée, il est connu aussi pour avoir donné des cours de "sociologie de la sexualité" à l'université de Besançon (ce qui m'impressionnera un peu sur le moment).

2010-pixie-punk-haircut.jpgEt on le devine rien qu'à le voir sur cette photo, les yeux maquillés comme une star rock, pour un regard et un profil d'oiseau de proie... Derrière lui, de dos, la nuque droitiste de Bernard Lehoux, autre disparu de la photo. Juste à gauche de lui et de dos elle aussi, Odile, soeur d'Olivier Carré, dont on appréciera l'élégant tailleur noir et la coupe asymétrique new wave et blonde. Enfin, juste derrière Faye, votre serviteur arbore le spencer Kruger et l'air sombre réglementaires... On dansera, boira et papotera pas mal, et on regardera l'enregistrement vidéo d'un défilé de mode soviétique très réussi, organisé par Jalons, où Carré et moi-même avons un rôle... Faye, un peu éméché, me proposera de collaborer à une revue confidentielle, mais aussi au magazine de droite branchée que prépare Alain Lefebvre (Magazine Hebdo) : rien de tout ceci ne se réalisera (pour moi) mais j'aurai passé une bonne soirée, ne quittant les lieux qu'à 3 heures du matin... C'était le bon temps, le temps de l'Avant-Guerre !

Arnaud de Robert: L'effondrement : mythe incapacitant ou réalité dynamique ?

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L'effondrement : mythe incapacitant ou réalité dynamique ?

Conférence d'Arnaud de Robert

 
 
 
ArnaudDeRobert.jpg"L'effondrement : mythe incapacitant ou réalité dynamique" : conférence donnée par Arnaud de Robert lors de l'université d'été 2019 d'Academia Chistiana à Sées. 2020 : la civilisation européenne est en déclin, le christianisme semble en voie de disparition, notre jeunesse subit la crise de la transmission (spirituelle, morale, politique, culturelle). Sans armature intellectuelle solide, il est impossible d'avancer. Puisqu'il n'existe aucune formation traditionnelle, alliant spirituel et politique, donnant le minimum de principes nécessaires, Academia Christiana est née ! Des rendez-vous réguliers dans l'année et durant l'été pour créer de la cohésion et en finir avec l'individualisme. Une solide formation intellectuelle pour guider l'action et désintoxiquer les esprits. La mise en valeur d'un catholicisme authentique et viril pour lutter contre notre propre embourgeoisement. Le recours réguliers à des prêtres pour nourrir nos âmes et nous fortifier dans le combat. Participer au renouveau spirituel et moral de notre génération. Faire redécouvrir aux jeunes Français leur patrimoine intellectuel. Initier un mouvement puisant aux ressources du passé pour éclairer notre avenir. Donner un élan spirituel et éclairer les intelligences par la philosophie et une bonne formation politique. Promouvoir l'engagement dans la société, au service du bien commun et de la vérité. Former une génération de catholiques identitaires, autonomes et enracinés !