Cet article s’intéresse à cette fraction particulière de l’écologie politique qu’on appelle « collapsologie ». Cette dernière fait florès un peu partout en Occident depuis quelques décennies. On peut la définir sommairement comme un courant intellectuel et politique, né à la fin du XXe siècle en Occident, annonciateur de catastrophes diverses menant à l’effondrement programmé, inéluctable et proche de la civilisation industrielle. Plus précisément, l’Institut Momentum (de gauche) le définit comme « le processus à l’issue duquel les besoins de base (eau, alimentation, logement, habillement, énergie, etc.) ne sont plus fournis (à un coût raisonnable) à une majorité de la population par des services encadrés par la loi ». C’est une définition acceptable.
Le phénomène n’est pas en lui-même surprenant, car il n’est pas dépourvu de bases rationnelles et survient à une époque de grands changements créateurs d’angoisse dans de vastes portions de la population, mais son ampleur et sa distribution politique le sont. Ses conséquences politiques sont potentiellement considérables. Revenons brièvement sur chacun de ces trois points.
1/ Le phénomène n’est nullement surprenant. Les grandes peurs ont jalonné la vie des hommes en société depuis toujours. La forme actuelle remonte en gros à la fin des trente glorieuses (1945 – 1973), avec la borne remarquable du célèbre Rapport Meadows sur les limites de la croissance (un rapport qui a d’emblée passionné le résolu droitard que j’étais déjà !), dont la date de sortie (1972) coïncide presque avec celle du premier choc pétrolier (1973), qui fut aussi le premier coup de semonce sérieux à l’encontre de l’univers libéral, optimiste, expansif, à grosses bagnoles, léger et stupide des sixties. La naissance de ce mouvement sera confirmée en France lors de l’élection présidentielle de 1974 avec la candidature, qui sera peu comprise sur le coup, de René Dumont, un précurseur. Au niveau international le GIEC est créé en 1988.
Depuis, le phénomène a beaucoup prospéré, surtout (voire seulement) dans le monde développé, notamment dans le monde anglo-saxon et en Europe. À la base, on trouve des constats objectifs de limites de ressources difficilement contournables, dont un Jean-Marc Jancovici est le très brillant et cassant dénonciateur dans l’espace francophone. Les grandes divergences apparaissent avec les préconisations : la gauche vient avec son néo-malthusianisme sous le bras, la droite qui titille le GIEC sur l’origine anthropique du réchauffement climatique apporte ses prévisions de guerre civile. Chacun son univers, mais les conclusions sont convergentes : ça va barder !
Tous ces mouvements tirent la sonnette d’alarme. L’écologie est mariée de naissance à une vision anti-humaniste et pessimiste du futur. Il s’agit d’une innovation, mieux, d’une rupture, pas seulement politique. Elle touche à tout, économie, politique, société, morale, anthropologie. Elle a des causes profondes : en toile de fond, ce qu’on appelle post-modernité (une modernité qui doute d’elle-même, mais continue de plus belle sur sa lancée) est marqué par une agitation vibrionnaire qui met à tout instant en péril tous les équilibres précaires d’un monde de plus en plus mobile, changeant, interdépendant et interconnecté. Le cœur battant de ce monde agité est la science et sa fille la technique, qui foncent droit devant elles sans regarder autour, libres de toute barrière politique ou morale, fofolles et inconscientes. Ces trublions dynamiques se soucient comme d’une guigne des bouleversements économiques, sociaux, politiques, idéologiques, démographiques, anthropologiques qu’elles charrient derrière eux : bouleversement des techniques et rapports de production, mondialisation de la production et des échanges, financiarisation de l’économie, monétisation des rapports humains, instantanéité et universalité de l’information, fragilisation de toutes les barrières et frontières, transhumances humaines transfrontières, transcontinentales et transculturelles, insécurité, évolution profonde des conceptions du monde, des désirs et de la morale, concurrence inter-religieuse, extension au monde entier du mode de vie occidental, recul au moins relatif de la puissance démographique, politique, économique, militaire, intellectuelle, artistique, religieuse des puissances occidentales dont le cœur historique est la vieille Europe. Simple résumé de quelque chose de très gros, très vivant, très divers, très bénéfique en surface et très dangereux en profondeur.
Le contexte humain d’aujourd’hui, chargé d’angoisse, est favorable aux révolutions mentales et à terme politiques. Ce bouleversement sans queue ni tête s’abat sur des hommes décérébrés et perdus, des individus paumés, des nostalgiques sans impact, ou des groupes rustiques et dangereux porteurs de solutions pires que le mal. Tout tourneboule, surtout les têtes, qui le plus souvent n’aiment pas le changement ou, croyant l’aimer, s’y perdent. La combinaison de la technique et du déracinement multiplie ruptures, désaccords et risques. Le risque est partout. La planète est devenue un grand volcan actif. À tout instant, une bombe nucléaire, la fusion du cœur d’une centrale nucléaire, des actes terroristes de grande ampleur, la pénurie d’énergie ou de matières premières, la montée des océans, les pénuries alimentaires, les épidémies, l’explosion de la zone euro, l’écroulement du dollar et la fuite devant toutes les grandes monnaies, les famines et émeutes, la guerre civile, la guerre ethnique, le délitement des services publics de base et de la sécurité civile peuvent survenir, presque n’importe où, presque n’importe quand, pour une infinité de motifs, suite à une infinité d’occasions, d’incidents même minuscules. Ces risques nouveaux s’ajoutent aux anciens, politiques, géopolitiques, bien connus et pas forcément mieux maîtrisés qu’au moment de la guerre du Péloponnèse ou de l’été 1914. À tes souhaits, cher lecteur !
2/ Sa distribution politique est paradoxale. Un certain Olivier Rey, mathématicien et philosophe, a récemment publié un article très fin et convaincant sur ce sujet, en s’appuyant sur l’exemple américain. J’en reprends ici certains thèmes.
Le premier gros accès de pessimisme des années 1970 n’était à l’époque pas franchement connoté politiquement, quoique sa nature profonde fût évidemment conservatrice. C’était un thème nouveau, disruptif, planétaire et potentiellement culpabilisant, donc mécaniquement connoté à gauche, mais c’était aussi un rappel du réel, du bon sens et de la mesure, du temps long, du tragique de la vie, donc par nature très collé au réel et conservateur. Depuis cette époque, la dynamique de la Gauche étant partout incomparablement plus forte que celle de sa concurrente de l’autre bord depuis 1945, la Gauche a fini par s’approprier un thème de pure droite. Les collapsologues les plus connus appartiennent à la Gauche, à commencer en France par Yves Cochet, déclinologue intelligent mais masochiste, et Pablo Servigne, gendre idéal, esprit brillant, et gentil Bisounours qui nous annonce que nous fonçons dans le mur en souriant.
On connaît la Gauche, ou du moins une certaine Gauche, car il ne faut pas mettre tous les hommes de Gauche ou qui se définissent comme tels dans le même panier, sa tendance à salir tout ce qu’elle touche, à mettre de l’envie et de la hargne partout, à utiliser la démagogie, à distribuer des richesses dont elle pénalise la production, à faire preuve de générosité avec l’argent des autres, à fabriquer des moulins à vent, à rêver, à nier le réel, à bousculer le bon sens, à moraliser à contre-sens, à foutre la pagaille de façon irresponsable puis à se défausser. Ces tendances, elle les a tout naturellement mises au service de l’écologie à sa manière. Au fil des ans la Gauche a tourné Savonarole. Elle s’est penchée sans le savoir sur la gnose et le millénarisme, bouillons anciens toujours sur le feu, toujours prêts à accueillir de nouveaux ingrédients sulfureux : la vengeance de Gaïa, l’antispécisme, la haine du réel, toutes les déclinaisons possibles de la haine de soi. Pour corser la potion, elle a ajouté quelques grosses louches d’autres ingrédients qui n’ont rien à voir, comme la théorie du genre, le féminisme ou l’antiracisme. Elle a jeté sur le breuvage quelques gros grains de sel, type trou dans la couche d’ozone, miraculeusement disparu le jour où j’ai changé mon frigo. Bref, elle a fait de l’écologie une annexe très moche de la pensée libertaire la plus caricaturale, individualiste, petit-bourgeoise, souvent bisounours, parfois agressive, toujours irréaliste, hypocrite et malsaine.
3/ Quelles conséquences en tirer pour un homme de droite ? J’en ai des tas, mais une prioritaire : travailler sérieusement à une alternative de droite de l’écologie.
La Droite a bien de la chance, car l’Histoire, rusée et friande en hétérotélies de toutes sortes, pourrait bien lui donner un coup de main. La Gauche qui a réussi l’exploit de s’approprier une cause et des mots d’ordre qui, en définitive et en profondeur, la nient, s’est collé sur le dos une maladie honteuse dont elle a des chances de crever : d’une part, le dieu de gauche Progrès en prend un vilain coup sur le museau, d’autre part elle renie avec clarté et véhémence les conséquences de tout ce qu’elle adore par ailleurs depuis toujours : le culte de la science et de la technique, les lendemains qui chantent, le bonheur pour tous tout de suite sur la terre plutôt qu’au ciel, la fraternité universelle, la négation des frontières, la société multiculturelle. Elle essaie désespérément de faire une salade du tout, mais l’art de la vinaigrette n’est pas donné à tout le monde, et la perspective finale de l’austérité pour tous n’enchante ni les gros bataillons gauchards bien de chez nous, ni les aspirants au bonheur du monde entier qui migrent en masse vers le Nirvana consommatoire. La Gauche est tombée amoureuse du malheur, elle fricote avec le tragique ! Le rose vire au violet ! Avec la collapsologie, la Gauche s’est foutu dans le pied une écharde qui risque fort de s’infecter !
Il existe bien entendu une pensée écologique de droite, très variée. Malgré l’optimisme vissé au corps de la droite BFM, façon Luc Ferry ou Nicolas Bouzou, les thèmes de la prolifération des risques et de la coupable hubris vont comme un gant à la pensée de droite la plus pure. Depuis Nietzsche, la Droite s’est fait un principe d’aimer le réel et le tragique de l’existence. Ce fait reste solide, même si la Droite s’est fait piquer le pessimisme dont elle avait longtemps (et sans effort, pour cause de dédain du camp opposé) gardé le monopole. Nous ouvrons là un très gros dossier à nombreux sous-titres : risques politiques et géopolitiques, nucléaires, militaires, sanitaires, démographiques, économiques, monétaires, climatiques, écologiques, etc., etc. Les raisons de s’inquiéter pour de bon ne manquent pas !
L’écologie est en recherche d’un local politique durable, qui l’obligera à quitter le fond instable de la scène à gauche pour une avant-scène solide à droite. Elle y sera accueillie par une assemblée de têtes bien faites et de glorieux prédécesseurs, par exemple, pour l’ensemble francophone, Antoine Waechter, Laurent Ozon, Alain de Benoist, Piero San Giorgio, et dans un genre différent Guillaume Faye.
Le programme est vaste. La première priorité consistera à dépolluer l’écologie des corps étrangers et malsains que la Gauche y a artificiellement accrochés (égalitarisme, lutte contre les discriminations, antiracisme, féminisme, métaux lourds idéologiques divers). Son public aussi est à renouveler en profondeur, par l’appel sans complexe à tout ce qui est réellement traditionnel et identitaire, à commencer par les agriculteurs, les ruraux et les chasseurs (les « bons chasseurs » des Inconnus). Sa doctrine est à reprendre de façon très diverse et inclusive autour d’un cœur franchement conservateur axé sur le temps long, d’une certaine écologie profonde néo-païenne façon Alain de Benoist à une dose raisonnable d’écologie verte non subventionnée à la sauce libérale façon Laurent Alexandre. L’écologie de droite sera pure, profonde, diverse, lucide et active.
Quel programme ! Divers et contradictoire comme la vie !
Jacques Georges
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