lundi, 21 décembre 2020
Boris Nad : préface à son livre The Reawakening of Myth
Boris Nad : préface à son livre The Reawakening of Myth
(Éditions PRAV, 2020)
https://pravpublishing.com/the-reawakening-of-myth/
Le livre qui vous est présenté, The Reawakening of Myth, est la suite de deux ouvrages : The Return of Myth et The Awakening of Myth. Le premier, The Return of Myth, a été publié en Serbie en 2010. Le livre initialement intitulé The Awakening of Myth a été, pour diverses raisons, intitulé par l'éditeur Towards the Post-History of the World et publié à Belgrade en 2013. The Return of Myth était un ouvrage assez volumineux, comptant plus de trois cents pages, composé de plusieurs livres de différents genres littéraires, comprenant aussi un recueil de poésie. Le deuxième livre était une sélection d'essais explorant et abordant divers topoi mythiques. Au risque de se donner un satisfecit, on pourrait dire que, dans ces derniers livres, l'auteur a exploré des domaines très divers : de la géographie et de l'histoire sacrée à l'histoire de l'art, de la géopolitique à la mythologie, de la "théorie hyperboréenne" à la technocratie, de "l'idée du centre" et de la notion que ce centre représente réellement quelque chose qui est maintenant perdu, à l'opposition moderne entre l'Orient et l'Occident. Towards the Post-History of the World se termine par un survol de l'Apocalypse chrétienne.
L'idée fondamentale Boris Nad à travers ces travaux, c’est qu'aujourd'hui (contrairement à la préhistoire ou à la post-histoire) nous vivons dans un monde historique, un monde dont les forces mythiques se sont retirées - mais jamais entièrement. D'une manière mystérieuse, le mythe se répète dans l'histoire, que nous en soyons conscients ou non. Max Weber a discerné que nous vivons dans un "monde désenchanté" et que nous sommes condamnés à vivre dans une "cage de fer". Ce "mode de vie", qui est un signe d'éloignement du sacré et de négation de l'existence même du sacré, dont le mythe lui-même est une expression, est ce qui constitue le fondement même de l'ère moderne. Pourtant, ce constat n'est que partiellement vrai : les forces mythiques se retirent et se sont effectivement retirées, mais elles reviennent aussi et reviennent dans le monde historique, et toujours de manière inattendue. La "démythologisation" et la "re-mythologisation" sont des processus qui se produisent constamment, parfois en même temps : certains mythes disparaissent pour être remplacés par de "nouveaux" (parfois sous la forme des "anti-mythes" de l'ère moderne). Ceux-ci peuvent être "nouveaux" dans leur forme mais pas dans leur contenu, qui appartient toujours au monde des archétypes profondément enracinés. Un exemple en est le début de l'ère chrétienne, lorsque les anciens mythes ont été remplacés par de "nouveaux" mythes sur le Sauveur, dans lesquels les théologiens et les Pères de l'Église ne voyaient pas le mythe mais l'histoire littérale et véritable et, en fait, l'événement central de l'histoire (tel qu'il est enregistré et décrit dans les Evangiles).
Une nouvelle vague de démythologisation a commencé avec le siècle des Lumières, mais ce "nouvel âge de la raison", dans lequel l'homme, pour le moins, revendique et semble avoir assumé pour lui-même l'autorité et le statut divins, n'était lui-même "qu'un mythe" - le mythe de "l'homme éclairé", peut-être celui de Prométhée, "celui qui pense vite", ou plus sinistrement, le mythe des Titans qui assaillent l'Olympe (le Ciel), le monde des dieux, et même le "père des dieux et des hommes" (Zeus).
Dans tous les cas de figure, parler de "retour du mythe" à l'époque moderne peut sembler anachronique. En effet, à l'"âge de la raison", le mythe est relégué à une place très modeste : il peut être l'objet d'études (marginales), un objet de ridicule, de mépris ou de moquerie comme s’il relevait de la "superstition" des "sauvages", comme s’il était une tentative simpliste d'"explication du monde", ou simplement une histoire amusante des temps passés qui, bien que non dépourvue d'imagination et de poésie, n'est au fond que du "délire de primitifs". La raison est censée éclairer le mythe de sa lumière froide. L'essence du mythe, cependant, échappe à la raison. Le mythe n'est ni l'histoire ni une superstition, mais une réalité intemporelle, une réalité qui n'est peut-être "jamais arrivée du tout ou nulle part", mais qui se répète constamment dans l'histoire et, de plus, est une réalité qui détermine et définit l'histoire. Un mythe n'a pas besoin d'avoir eu lieu de la manière dont il est décrit, et il n'a en fait jamais eu lieu de cette manière, mais il aurait pu avoir lieu et il a eu lieu dans une certaine mesure. Comme l'a fait remarquer Novalis dans son oeuvre : "Seul ce qui n'est jamais arrivé nulle part est vrai."
Le XXe siècle n'a pas manqué d'érudits lucides et pénétrants du mythe. Il suffit de mentionner ici deux d'entre eux : le penseur et écrivain roumain Mircea Eliade, qui a surmonté le faux dualisme du sacré opposé au profane, car "il n'y a pas d'existence profane", et l'écrivain allemand Ernst Jünger, qui réfléchissait constamment au rapport entre les mondes mythique et historique. Rappelons quelques points de référence importants d’Eliade. Selon Eliade, les images, les symboles et les mythes qui ont été oubliés ou supprimés en Occident depuis le XIXe siècle nous révèlent les modalités les plus cachées de l'être humain. Le rôle spirituel des œuvres littéraires à l'époque moderne ? Elles ont préservé et transmis de nombreux mythes, bien que parfois sous une forme dégradée. Eliade a également souligné le fait que le regain d'intérêt pour le symbolisme et le mythe en Europe occidentale a coïncidé temporellement avec l'entrée des peuples asiatiques sur la scène historique, à commencer par la révolution de Sun Yat-sen. Par ailleurs, nous devons également au XXe siècle la découverte que toute connaissance "objective", "scientifique" n'est, en réalité, pour citer Alexandre Douguine, qu'"une variation particulière de la mythologie", et que "le développement et le progrès ont un caractère cyclique". En d'autres termes, le progrès - cette invention des modernes - n'est qu'illusoire. L'humanité, malgré tous les changements qu'elle a subis, reste essentiellement "telle qu'elle a toujours été". L'ère du positivisme et du matérialisme optimistes est terminée pour l’essentiel : "À sa place est venue une nouvelle compréhension des constructions mythologiques" et "la réhabilitation de ces diverses disciplines et sciences qui ont été trop hâtivement classées comme dépassées et primitives". Cette prise de conscience fait également s'effondrer le sentiment de suprématie ou de scepticisme à l'égard del’antique héritage de l'humanité et des civilisations du passé lointain (la soi-disant préhistoire). Notre époque n'est pas privilégiée par rapport aux autres époques de l'histoire humaine qui l'ont précédée. Ce serait plutôt l'inverse : nous sommes en présence d'une involution et d'un déclin spirituel patent.
Après tout, nous ne connaissons pas le passé ancien de l'humanité, ou nous ne le connaissons pas suffisamment, car "l'histoire officielle", comme l'a noté René Guénon, ne va nulle part au-delà des six mille dernières années, une période qui est négligeable par rapport à la durée totale de l'existence de l'homme sur Terre. Une obscurité dense s'abat sur tout le reste. Devant toutes nos tentatives de connaître le passé lointain, un mur mystérieux et impénétrable émerge. Il n'est pas accessible à la "raison" (à la connaissance scientifique), car la portée de la "raison" (les connaissance et recherche rationnelles) est tout à fait modeste ; la raison a ses limites évidentes. Cela ne signifie pas pour autant que la "raison" doive être bannie, tout comme l'ère positiviste a tenté de se débarrasser de toutes ces forces qu'elle qualifiait d'"irrationnelles" et de "choses relevant du passé mort". L'écrivain allemand Jünger a proposé une approche différente et probablement beaucoup plus difficile et exigeante : l'utilisation simultanée des deux optiques, de deux angles d'observation, des méthodes de connaissance "rationnelles" et "irrationnelles". La lune, par exemple, est à la fois un corps physique et cosmique qui fait l'objet d'observations et de mesures scientifiques, ainsi qu'un fait mythologique ou même une entité métaphysique ; la lune n'est pas simplement un objet mort pour la connaissance scientifique, "objective", qu'un scientifique peut aborder "froidement" et sans préjugés.
Boris Nad n'est pas un scientifique ou un érudit, mais seulement un écrivain. Cela lui donne une plus grande liberté, une plus grande accessibilité, tout en le libérant de l'obligation de suivre la méticulosité scientifique. Le mythe, cependant, est un topos auquel, en tant qu'écrivain, il est souvent revenu. Sa première œuvre littéraire, publiée dans son pays natal, a été un court roman "épique-fantastique" intitulé The Feast of the Victor (2005). En gros, cette histoire mythique se déroule à un moment où différentes perspectives temporelles et spatiales se croisent. En fait, cette histoire, bien que suscitée par des événements immédiats (la guerre dans le pays qui s’appelait la Yougoslavie), se déroule dans un lieu intemporel ou "uchronie". Cette approche présente des similitudes avec celle employée par Jünger dans sa nouvelle Sur les falaises de marbre (1939). Cette comparaison ne concerne bien sûr que l'approche, et non la valeur de l'œuvre littéraire. Son livre The Silent Gods (2008), qui est un recueil de nouvelles, de notes et de prose, et le recueil de récits fantastiques intitulé The Invisible Kingdom (2016) étaient centrés sur des thèmes mythiques et sur mes propres variations d'intrigues mythiques bien connues.
Le livre qui s’offre maintenant aux lecteurs est une sorte de sélection d'écrits par le biais de laquelle Boris Nad se présente au public anglophone de manière plus complète que jamais. En fait, ce livre se compose de trois ouvrages, dont le premier est l'édition anglaise abrégée de The Return of Myth, publié à l'origine en 2016 à Melbourne, en Australie, par Manticore Press. Ce texte a été réédité et partiellement retraduit pour l'occasion et annexé à un texte non traduit auparavant, The Golden Fleece. La deuxième partie est un court roman, A Tale of Agartha, c'est-à-dire un récit du royaume souterrain qui a, pendant des milliers d'années, influencé de manière invisible et mystérieuse les événements à la surface de la Terre, l'histoire et le monde des nations. C'est l'un des grands mythes de l'Orient que l'auteur aborde de la manière caractéristique d'un écrivain : sous la forme d'un conte fantastique. La troisième partie de ce livre, Sacred History and the End of the World, complète les deux premières, comprenant des textes qui ont été laissés de côté dans l'édition anglaise précédente de Return of Myth ainsi que d'autres textes, non traduits et non publiés auparavant, dans lesquels il aborde des sujets connexes d'une manière extrêmement libre, à la façon d’un essayiste. Ces sujets comprennent, entre autres, la notion d'histoire sacrée, l'apparition de l'Antéchrist et la seconde venue du Christ (qui est d'une importance particulière pour le christianisme oriental), et les relations entre l'Orient et l'Occident. Cette dernière partie ne concerne pas seulement la crise de l'Occident, mais aussi la crise dans laquelle les sociétés (et civilisations) orientales sont de plus en plus impliquée dans une phase descendante - des crises qui, sans aucun doute, ont essentiellement la même racine spirituelle. Aujourd'hui plus que jamais, il est nécessaire que l'Est et l'Ouest se rapprochent plutôt que, comme cela a été le cas au cours de l'ère moderne (contrairement à certaines périodes historiques antérieures), de s'éloigner davantage l'un de l'autre et de se diviser. La première et nécessaire condition pour cela est que l'Est et l'Ouest se connaissent mieux et engagent enfin le dialogue (sinon, ils ne cesseront d’être en guerre).
Pourtant, ici, dans les pages de ce livre, ce n'est pas l'Est et l'Ouest qui se rencontrent, mais surtout le lecteur et l'écrivain. L'ambition de l'écrivain n'est pas d'expliquer ou d'interpréter quoi que ce soit ; il ne cherche pas à persuader, mais plutôt à poser des questions, à parler simplement de ce qui est important pour lui avec sa propre voix et en suivant le flux de ses propres pensées. Il n'est pas nécessaire que le lecteur et l'écrivain soient toujours d'accord sur tout, mais il est nécessaire qu'il y ait une certaine affinité entre eux. Ce sont les désaccords et les disputes qui rendent le dialogue souhaitable et possible. Le rôle du lecteur n'est pas moins exigeant que celui de l'écrivain, car c'est au lecteur de faire revivre l'œuvre de l'écrivain. Si ce livre facilite cela, ne serait-ce qu'au niveau symbolique, alors il aura atteint son but. Après tout, tout ce qui est important se passe d'abord au niveau des symboles, dans le domaine où l'esprit règne souverainement, et ne provoque qu'ensuite des conséquences dans le monde que nous appelons si maladroitement "matériel".
Boris Nad,
Serbie, août 2020.
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