jeudi, 09 juillet 2020
Le travail, c'est la liberté ! Exégèse des nouveaux lieux-communs - Jacques Ellul
Le travail, c'est la liberté !
Exégèse des nouveaux lieux-communs
Jacques Ellul
« Le travail c’est la liberté. C’est bien la formule idéale de ce lieu commun. Ce qu’il faut qu’il y tienne quand même à la liberté, le bonhomme, pour formuler de si évidentes contre-vérités, pour avaler de si parfaites absurdités, et qu’il y ait de profonds philosophes pour l’expliquer « phénoménologiquement », et qu’il ait d’immenses politiciens pour l’appliquer juridiquement ! Mais bien sûr, c’est exactement dans la mesure même où le bonhomme est encaserné dans les blocs, lié à la machine, enserré dans les règlements administratifs, submergé de papiers officiels, tenu sous l’œil vigilant des polices, percé à jour par la perspicacité des psychologues, trituré par les implacables tentacules des Mass Media, figé dans le faisceau lumineux des microscopes sociaux et politiques, dépossédé de lui-même par toute la vie qu’on lui apprête pour son plus grand bonheur, confort, hygiène, santé, longévité, c’est dans la mesure même où le travail est son plus implacable destin, qu’il faut bien (qu’il faut bien sans quoi ce serait intolérable et porterait immédiatement au suicide) qu’il faut bien croire à ce lieu commun, se l’approprier avec rage, l’enfouir au plus profond de son cœur, et credo quia absurdum, le transformer en une raison de vivre. Ce que les gardiens vigilants espéraient précisément. » (158)
« L’expérience concrète de l’homme dans le monde technicisé est celle de la nécessité, d’une contrainte qui n’est pas seulement celle du travail ; mais de chaque relation et de chaque instant. Mais il faut sauver les apparences. Il faut convaincre cet homme qu’il est plus libre que jamais, et que la nécessité où il se trouve, c’est la vertu même ; le bien en soi, que jamais l’humanité n’a été si heureuse, si pacifique, si équilibrée, si vertueuse, si intelligente ; que la technique qui le contraint, c’est exactement ce qui le libère ! » (174)
« J’admets fort bien que l’on suive la nécessité. La corde au cou et le pied au cul. Vous ne pouvez faire autrement. Soit ; c’est la simple condition humaine, et la première expérience véritable est celle de l’obstacle auquel je me heurte, de la limite de ma force et de ma résistance, du sommeil invincible, de la peur du lendemain ou du gendarme. Je suis contraint par l’État, par le travail ; je suis conditionné par mon corps et par le corps social : telle est ma faiblesse, telle est ma lâcheté. Il n’y a pas à en faire de drames ni de complexes : elles nous sont communes. Mais ce qui devient inadmissible, c’est, dans cette situation-là, de lancer un glorieux cocorico : voyez comme j’ai vaincu et voyez comme je suis libre ! ou de faire un clin d’œil à la ronde : voyez comme je suis malin, et combien j’ai joué cette nécessité ! Car ici commence le règne du Menteur. » (177)
« Il ne leur suffit pas d’avoir l’avenir à eux, et à eux seuls, que la partie soit gagnée et que le seul avenir prévisible soit « davantage de technique, toujours davantage de technique ; davantage de pouvoirs aux techniciens, toujours davantage de pouvoirs aux techniciens » [...] Il leur faut encore une chose : la palme du martyre et la consécration de la Vertu triomphant du dragon tout-puissant et venimeux. Voyons, vous ne le savez pas ? [...] Il y a toujours des imbéciles de philosophes qui prétendent mettre des bâtons dans les roues du progrès avec des déclamations de sophistes et des arguments aussi vicieux qu’inexacts, en vertu d’une conception de l’homme radicalement périmée. » (233)
16:54 Publié dans Philosophie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : jacques ellul, lieux communs, philosophie, travail | |
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lundi, 06 juillet 2020
Nous ne sommes pas de ceux qui estiment qu’on peut se désintéresser des atteintes portées à une tradition quelconque...

Maintenant, il est encore un point qu’il nous faut bien préciser pour éviter tout malentendu : il ne faudrait certes pas penser que celui qui entend se maintenir dans une attitude rigoureusement traditionnelle doit dès lors s’interdire de jamais parler des théories de la science profane ; il peut et doit au contraire, quand il y a lieu, en dénoncer les erreurs et les dangers, et cela surtout lorsqu’il s’y trouve des affirmations allant nettement à l’encontre des données de la tradition ; mais il devra le faire toujours de telle façon que cela ne constitue aucunement une discussion « d’égal à égal », qui n’est possible qu’à la condition de se placer soi-même sur le terrain profane. En effet, ce dont il s’agit réellement en pareil cas, c’est un jugement formulé au nom d’un autorité supérieure, celle de la doctrine traditionnelle, car il est bien entendu que c’est cette doctrine seule qui compte ici et que les individualités qui l’expriment n’ont pas la moindre importance en elles-mêmes ; or on n’a jamais osé prétendre, autant que nous sachions, qu’un jugement pouvait être assimilé à une discussion ou à une « polémique ». Si, par un parti pris dû à l’incompréhension et dont la mauvaise foi n’est malheureusement pas toujours absente, ceux qui méconnaissent l’autorité de la tradition prétendent voir de la « polémique » là où il n’y en a pas l’ombre, il n’y a évidemment aucun moyen de les en empêcher, pas plus qu’on ne peut empêcher un ignorant ou un sot de prendre les doctrines traditionnelles pour de la « philosophie », mais cela ne vaut même pas qu’on y prête la moindre attention ; du moins tous ceux qui comprennent ce qu’est la tradition, et qui sont les seuls dont l’avis importe, sauront-ils parfaitement à quoi s’en tenir ; et, quant à nous, s’il est des profanes qui voudraient nous entraîner à discuter avec eux, nous les avertissons une fois pour toutes que, comme nous ne saurions consentir à descendre à leur niveau ni à nous placer à leur point de vue, leurs efforts tomberont toujours dans le vide.
08:30 Publié dans Traditions | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : tradition, traditionalisme | |
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