mercredi, 17 septembre 2025
Fin de l’empire américain et leçons pour l’Inde - Stratégies géopolitiques pour l’Inde dans un monde multipolaire
Fin de l’empire américain et leçons pour l’Inde
Stratégies géopolitiques pour l’Inde dans un monde multipolaire
S. L. Kanthan
(20 mars 2025)
Source: https://slkanthan.substack.com/p/end-of-the-american-empi...
« Être un ennemi de l’Amérique peut s’avérer dangereux, mais en être un ami est fatal. » Ce seraient là les mots d’Henry Kissinger, criminel de guerre et lauréat du prix Nobel de la paix, qui a profondément influencé la politique étrangère américaine. L’Inde ne doit pas oublier ce côté sombre de l’establishment américain, même si Biden a déclaré que les relations américano-indiennes étaient les plus importantes du siècle et que Trump a rencontré à plusieurs reprises Modi, le qualifiant de grand dirigeant. Le recentrage américain sur l’Inde repose sur trois faisceaux d'intérêts: la volonté de contenir la Chine, l’accès à une main-d’œuvre bon marché et un vaste marché de consommateurs. Les États-Unis n’ont pas de véritables alliés, seulement des intérêts narcissiques et impérialistes.
Modi a été l’un des rares dirigeants étrangers invités à la Maison Blanche au cours du premier mois du mandat de Trump. De façon générale, les Indiens ont aussi une opinion très positive de Trump et des États-Unis en général. Il y a de nombreuses raisons pour lesquelles les États-Unis jouissent d’un fort pouvoir d’influence en Inde: immigration, emplois dans la tech, succès des Américains d’origine indienne, popularité de la langue anglaise, financement occidental des think tanks indiens, investisseurs américains dans les médias indiens, tensions avec la Chine, etc. Cependant, l’Inde doit veiller à ne pas devenir « l’Ukraine de l’Asie » – un pion géopolitique sacrifiable de l’Empire américain.
Soyons clairs: les États-Unis veulent contrôler toutes les dimensions de l’Inde. Il y a quelques mois, l’ambassadeur américain en Inde a affirmé devant un public indien que l’autonomie stratégique n’existait pas. De façon inquiétante, cet avertissement est intervenu juste avant que les États-Unis ne mettent en scène une révolution de couleur au Bangladesh et ne renversent la Première ministre Hasina, qui n’était pas parfaite mais avait fait un travail remarquable pour relancer l’économie. La raison en était simple: la Première ministre Hasina (photo) avait refusé d’autoriser l'installation d'une base militaire américaine dans son pays.
De même, tout analyste géopolitique objectif peut voir comment les États-Unis ont orchestré des coups d’État au Pakistan et au Sri Lanka au cours de ces dernières années. Le Premier ministre Imran Khan a été évincé par un coup d’État « doux » après une pression manifeste des États-Unis, son parti a été interdit et il a été emprisonné. Voilà la liberté et la démocratie à l’américaine ! Son crime? Être trop proche de la Russie. Quant au Sri Lanka, le parti au pouvoir était jugé trop pro-chinois. Bien entendu, les États-Unis ne pouvaient tolérer une telle indépendance.
L’histoire montre aussi que les États-Unis n’ont jamais été un véritable allié de l’Inde.
Alors que le ministère indien des Affaires étrangères se méfie de l’influence de la Chine dans le voisinage de l’Inde, il n’y a pratiquement aucune protestation contre l’ingérence américaine dans la sphère d’influence indienne. Les Indiens sont trop indulgents et oublient un fait: en 1966, les États-Unis/la CIA auraient probablement poussé à assassiner le Premier ministre Lal Bahadur Shastri et le scientifique nucléaire Homi Bhabha.
Pendant toute la guerre froide, les États-Unis ont saboté l’Inde en guise de punition pour sa politique de non-alignement et ses relations amicales avec l’URSS. Les États-Unis ont également encouragé l’Inde à entrer en guerre contre la Chine au sujet du Tibet, mais le président JFK a ensuite refusé toute aide militaire au moment crucial. Plus tard, lorsque le Bangladesh a cherché à devenir indépendant, les États-Unis ont envoyé des navires de guerre dans la baie du Bengale pour menacer l’Inde, qui n’a pu repousser les Américains qu’avec l’aide de l’Union soviétique.
Aujourd’hui, l’Inde n’a pas vraiment tiré profit de ses relations étroites avec l’Amérique.
À la fin de la guerre froide, les entreprises américaines se frottaient les mains à l’idée d’exploiter la Chine et l’Inde pour leur main-d’œuvre bon marché, dans l’industrie et les services respectivement. Cependant, la différence entre ces deux pays est frappante. Tandis que la Chine s’est concentrée sur la maîtrise des technologies et la création d'atouts nationaux, les élites indiennes se sont contentées d’utiliser des produits américains. Le résultat se voit dans les géants technologiques chinois comme Huawei, BYD, ByteDance (maison-mère de TikTok) et 135 autres entreprises figurant dans le classement Fortune 500, contre seulement 9 pour l’Inde.
Dans le domaine de l’IA, la technologie la plus perturbatrice du siècle, la Chine détient 60% des brevets, contre moins de 1% pour l’Inde. Dans de nombreux autres secteurs – voitures électriques, panneaux solaires, batteries, smartphones, semi-conducteurs, robotique, cloud computing, biotechnologie, exploration spatiale, avions de chasse, navires de guerre, etc. – la Chine a largement dépassé l’Inde.
Pourquoi l’Inde a-t-elle pris du retard ? Parce que nous suivons le modèle économique américain du capitalisme financiarisé, et nous nous sentons en sécurité dans la dépendance au dollar américain, à la technologie américaine, aux médias américains, à la médecine américaine, aux investissements américains, etc.
L’Inde laisse également sa politique étrangère être dictée par les États-Unis plus que de raison. Par exemple, nous pourrions acheter du pétrole et du gaz bon marché à l’Iran, et nous aurions pu commencer à réaliser le projet du port de Chabahar depuis longtemps. Mais l’Inde fait trop preuve de déférence envers les sanctions américaines. De même, le fait que l’Inde rejoigne le QUAD et d’autres accords « indo-pacifiques » pour contenir la Chine, ou refuse de rejoindre la Belt and Road Initiative, ne fait que servir les manœuvres géopolitiques américaines de division et de domination.
Actuellement, les États-Unis tirent bénéfice de l’Inde de multiples façons: main-d’œuvre indienne relativement peu chère dans l’industrie du logiciel, main-d’œuvre de fabrication ultra-bon marché pour des entreprises comme Apple, immense marché de consommateurs issus de la classe moyenne croissante, startups indiennes ouvertes aux investisseurs américains, achats d’armes américaines par le gouvernement indien, et l’Inde en tant qu’outil géopolitique potentiel pour contenir la Chine diplomatiquement, économiquement et militairement.
Cependant, le soft power américain ne durera pas longtemps en Inde. D’abord, les États-Unis vont bientôt restreindre l’immigration en provenance de l’Inde, en particulier pour les travailleurs technologiques H1-B. L’« alt-right » américaine raciste a déjà commencé à diaboliser les Indiens. Ensuite, les États-Unis vont commencer à contenir l’Inde à mesure que celle-ci continue de croître et de devenir plus indépendante. Les États-Unis peuvent autoriser des Indiens à devenir PDG de Google ou de Microsoft, mais ils ne toléreront pas des entreprises indiennes qui concurrencent Google ou Microsoft. Les États-Unis maintiennent leur hégémonie mondiale non pas grâce à des partenaires égaux, mais via un réseau de vassaux.
Même les Européens commencent enfin à sortir de leur sommeil hypnotique. Le nouveau chancelier allemand, Merz, a déclaré que l’Europe devait œuvrer à son indépendance vis-à-vis des États-Unis.
Dans l’ensemble, nous assistons au cycle inexorable de l’histoire, dans lequel un nouvel empire est au bord de l’effondrement. Cependant, contrairement aux derniers siècles, les États-Unis ne seront pas remplacés par un autre empire. Un monde multipolaire émerge pour démocratiser la géopolitique et la géoéconomie. Des organisations comme les BRICS offriront un nouveau paradigme de coopération et de développement aux nations du Sud global. Le privilège extraordinaire du dollar américain, qui sous-tend la tyrannie américaine des sanctions et des guerres sans fin, disparaîtra également.
Cinq siècles de domination occidentale sur le monde touchent à leur fin. Ce sera le siècle de l’Asie, de l’Eurasie et de l’Afrique. L’Inde doit donc élaborer sa stratégie en conséquence.
S.L. Kanthan
18:24 Publié dans Actualité | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actualité, inde, asie, affaires asiatiques, politique internationale | |
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