samedi, 01 mai 2021
Steiner et Goethe: intuition et expérience dans la science holistique
Steiner et Goethe: intuition et expérience dans la science holistique
Par Giovanni Sessa
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Goethe était, pour la culture européenne, un véritable aimant. Les intellectuels de premier rang des 19ème et 20ème siècles s'y sont confrontés. Pour n'en citer que quelques-uns: Hegel, Schelling, Nietzsche, George, Löwith. Même le père de l'anthroposophie, Rudolf Steiner, comme le reconnaît James Webb, avait dans le "génie de Weimar" un point de référence essentiel. De plus, un poète, un homme de lettres et un philosophe de sa stature ne pouvait être négligé par les vives curiosités qui animaient les recherches de Steiner. Chargé d'éditer les écrits scientifiques du penseur romantique, Steiner a traité ce domaine particulier mais très important de la recherche de Goethe dans un volume qui a été récemment porté à la connaissance des lecteurs par Iduna editrice (pour les commandes: associazione.iduna@gmail.com , pp. 248, euro 20,00). Il s'agit d'une reconstruction attentive et organique des intérêts naturalistes de Goethe, mais aussi de ses écrits sur le sujet, que l'auteur parcourt et discute avec compétence, animé d'un vif intérêt, motivé qu'il était par la tentative de dépasser les limites matérialistes et accumulatives de la science moderne. Steiner montre que ce champ de recherche était vivant chez Goethe depuis sa jeunesse. A ce moment historique, dans le domaine de la connaissance, une doctrine de simples principes, incarnée par la philosophie de Wolf, et une: "science sans principes [...] chacune était infructueuse pour l'autre" (p. 6). Les investigations de Werther étaient guidées, au contraire, par le concept de vie, à la lumière duquel il comprenait que les manifestations extérieures du monde naturel sont dominées par un principe intérieur et que, dans chaque partie, dans chaque organe d'une entité de la nature, le tout agit. D'où la connotation holistique évidente de l'approche de la physis par Goethe. Cela ne signifie pas que le savant dédaignait l'observation empirique, au contraire! Il la considérait comme centrale, mais pour dévoiler les profondeurs de la vie, elle devait être menée avec les yeux de l'esprit. En 1807, dans l'introduction à la Théorie de la métamorphose, l'Allemand écrit que le regard porté sur la nature montre, à un degré préliminaire, que les formes y sont ondulantes, transitoires. À cet égard, Steiner explique: "Il oppose cette ondulation, en tant qu'élément constant, à l'idée, c'est-à-dire à "un quid tenu ferme dans l'expérience seulement pour un moment" (p. 8).
Les romantiques étaient également parvenus à cette idée de vie cosmique grâce aux travaux d'alchimie, développés avec la collaboration de von Klettenberg et grâce à sa lecture de Paracelse. Il est resté lié pendant une courte période à cette relation mystique avec les forces de la nature: même s'il n'a jamais perdu l'idée de l'univers comme un immense organisme. Il a identifié le mécanicisme d'Holbach comme l'ennemi à battre dans ce domaine d'étude. Il se tourne vers la botanique, poussé par le travail qu'il fait dans le jardin que lui a offert le duc Charles-Auguste. Il passait des journées entières dans la forêt de Thuringe: il y a appris à aimer les mousses et les lichens. Il a lu Linné, dont la méthode de classification devait, selon lui, être complétée par la recherche de ce quid qui reste inchangé dans les nombreuses formes végétales différentes. Il a trouvé la confirmation de la "plante originelle" dans les observations faites au cours de ses voyages, notamment en Italie. Il reconnaît que dans cette "forme fondatrice": "réside la possibilité de variations infinies, de sorte que de l'unité naît la multiplicité" (p. 15).
Avec ce "type", la nature joue, donnant naissance à la multiplicité de la vie. Contrairement à Darwin, qui considérait que la dimension constante de la nature n'existait pas, étant donné la présence vérifiable de la variabilité des aspects extérieurs du monde végétal et animal, Goethe est parti à la recherche de cette dernière, découvrant: 1) le "type", c'est-à-dire la loi qui se manifeste dans les organismes (l'animalité de l'animal); 2) l'action réciproque d'interaction entre l'organisme et la nature inorganique (adaptation et lutte pour l'existence). Darwin ne s'était arrêté que sur ce dernier aspect. En 1790, Goethe expose sa théorie de la métamorphose: "Ce concept est celui d'une expansion et d'une contraction alternées" (p. 21) des entités. Dans la graine, la plante est contractée. Avec les feuilles, sa première expansion se produit. Dans le calice, les forces reviennent se contracter en un point axial, tandis que la corolle témoigne d'une nouvelle expansion. Étamines et pistil sont l'expression de la contraction suivante, fruit de la dernière expansion végétale, qui cache en elle la nouvelle graine. C'est un processus d'entéléchie cyclique. Quant aux différences entre le monde animal et le monde humain, la science de l'époque pensait que seuls les animaux possédaient, entre les deux parties symétriques de la mâchoire supérieure, l'os intermaxillaire. Goethe, en 1784, a montré l'inanité de cette thèse. Cela impliquait que les éléments: "répartis chez les animaux, se réunissent en harmonie dans la figure humaine" (p. 35). Goethe l'avait déjà compris dans ses études de physiognomonie, où la structure osseuse du corps humain renvoyait à la position proéminente de la tête, indiquant, d'un point de vue symbolique, le destin spirituel, et non chosal, de l'être humain. Bref, pour Goethe, dans les organismes: "Toutes les qualités sensibles apparaissent [...] comme les conséquences d'un état qui n'est plus perceptible par les sens" (p. 47). Le savant y parvenait grâce à ce que Spinoza avait défini comme une connaissance d'un troisième type, la scientia intuitiva. En effet, rappelle Steiner, le deus sive natura de Spinoza est le contenu idéal du monde, c'est Dieu qui se donne dans les entités, car quelque chose de la physis est vivifié de l'intérieur, par l'idée. Alors que le concept de l'intellect est une somme d'observation et d'analyse, l'idée est le résultat de l'expérience directe et non médiatisée de la raison. Il s'agit là, selon Steiner, d'un idéalisme empirique. Goethe, en dialogue avec les grands noms de l'idéalisme, reconnaît à la pensée la faculté d'aller au-delà du sensible, la capacité de saisir l'idée comme ‘’forme’’ de la nature: "La perception de l'idée dans la réalité est la véritable communion de l'homme " (p. 84). C'est un processus de ‘’cosmisation’’ de l'humain.
Goethe a appliqué cette recherche de l'idée à la multiplicité des perceptions de la couleur. Il a compris que la base de toute couleur est la lumière: les couleurs sont des modifications de la lumière. Ce qui modifiait la lumière en faisant percevoir des couleurs différentes était: "la matière privée de lumière, l'obscurité active [...] Ainsi chaque couleur devenait pour lui la lumière modifiée par l'obscurité" (p. 213). La lumière et les ténèbres sont des idées spirituelles. Goethe, reconnaît Steiner, a indiqué une autre science que la science newtonienne, centrée sur la vision mécaniste. Il s'agit d'une sorte de "physique spéculative" dont, après Schelling et Fechner, peu d'autres ont eu l'intrépidité intellectuelle de renforcer. Face à la dévastation de la nature que le Gestell met en scène, il est peut-être temps de regarder Goethe et sa Naturphilosophie avec plus d'attention.
Giovanni Sessa.
00:18 Publié dans Philosophie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : philosophie, naturphilosophie, goethe, rudolf steiner | | del.icio.us | | Digg | Facebook
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