mercredi, 03 novembre 2021
L'histoire de "Révolte contre le monde moderne", le livre-culte de Julius Evola
L'histoire de "Révolte contre le monde moderne", le livre-culte de Julius Evola
Karel Veliký
Ex: https://deliandiver.org/2020/04/pribeh-vzpoury-proti-modernimu-svetu.html
Lorsque Révolte contre le monde moderne (Rivolta contro il mondo moderno) a été publiée pour la première fois en Italie en 1934, le livre est passé presque inaperçu. Non pas qu'il n'ait pas trouvé ses lecteurs, car son auteur, le baron Julius Evola (1898-1974), alors âgé de trente-cinq ans, était déjà suffisamment célèbre dans certains cercles (artistiques, hermétiques, philosophiques et politiques), mais il a été écarté par les autorités locales. Six ans plus tôt, en 1928, au moment même du rapprochement de l'État italien avec l'Église catholique, qui aboutira bien vite à la conclusion des accords du Latran, le baron doit faire face à des attaques indiscriminées tant du côté catholique que du côté du régime - fasciste -, après avoir publié un recueil de ses essais sous le titre Imperialismo pagano (Impérialisme païen). Cela n'a cependant fait que contribuer à la notoriété du titre et de l'auteur. Cette fois, donc, les adversaires d'Evola ont décidé de passer son œuvre plutôt sous silence...
En Allemagne, la situation était différente. Là, Impérialisme païen (Heidnischer Imperialismus. Armanen, Leipzig 1933) avait déjà reçu un accueil favorable de la part de nombreux milieux, que nous résumons aujourd'hui, par souci de concision, sous le terme de "révolution conservatrice". Pour l'édition allemande de la "révolte" (Erhebung wider die moderne Welt. Deutsche Verlags-Anstalt, Stuttgart 1935), le baron a donc remanié le texte, a ajouté unnouvel appareil d'annotation, alors que celui-ci était déjà très complet, et a demandé au poète Gottfried Benn, qu'il pouvait compter parmi ses lecteurs les plus assidus depuis le "paganisme", de veiller à la langue dans la traduction.
Benn, qui partageait une maison d'édition avec Evola, a ensuite également écrit une longue critique enthousiaste, dans laquelle on peut lire, entre autres choses :
"Il s'agit d'un livre dont l'idée repense presque tous les problèmes des Européens, y compris la justification de leurs horizons, et les amène dans quelque chose d'inconnu et inédit jusqu'ici ; ceux qui ont lu le livre verront l'Europe différemment. C'est, en outre, le premier exposé très complet de la force motrice spirituelle fondamentale à l'œuvre dans l'Europe d'aujourd'hui, et 'à l'œuvre' signifie: une force définissant les époques, détruisant le monde dans son ensemble, renversant et orientant, c'est la force motrice fondamentale contre l'histoire. Pour cette seule raison, ce livre est éminemment important pour l'Allemagne, car l'histoire est un problème spécifiquement allemand, l'histoire de la philosophie explique le mode germanique d'autoréflexion".
Le livre a fait l'objet de critiques enthousiastes dans Die Literarische Welt, Deutsches Adelsblatt (le journal de la noblesse allemande), ainsi que dans Völkische Kultur et Der Hammer de Fritsch. Un certain nombre d'autres critiques ont émis des commentaires positifs, bien qu'avec des réserves. En privé, cependant, comme en témoigne la correspondance privée qui subsiste, des voix s'élèvent pour lancer des avertissements et des critiques. Le nom qui a le plus de poids aujourd'hui est celui de Hermann Hesse, qui, dans une lettre d'avril 1935 adressée à l'éditeur Peter Suhrkamp, décrit Evola comme un auteur "éblouissant, intéressant, mais dangereux" :
"Je partage en grande partie sa conception ésotérique de base: depuis près de vingt ans, je vois l'histoire du monde non pas comme une sorte de "progrès" mais, précisément avec les anciens Chinois, comme le déclin graduel d'un ancien ordre divin. Mais la façon dont Evola s'y prend, ici avec la "vraie" histoire, là avec l'occultisme fanfaron, est tout simplement dangereuse. En Italie, presque personne ne s'y est laissé prendre, en Allemagne, c'est différent (voir G. Benn, etc.)".
L'influent penseur que fut le Comte Keyserling, auteur de Das Reisetagebuch eines Philosophen (Le voyage d'un philosophe, 1919), s'attendait au succès de Révolte, car "la glorification par Evola du monde sacré de l'homme solaire ...". et son affirmation que seule la renaissance de ce monde peut sauver l'humanité de l'extinction, représente le meilleur, voire le seul point de départ possible pour la tendance païenne des nationaux-socialistes à spiritualiser leur vision du monde".
Mais cela n'est jamais arrivé. La lecture de la Révolte contre le monde moderne restait une affaire très privée, même dans le Reich, même si les auteurs du Matin des magiciens caractérisaient rétrospectivement le régime par le raccourci "Guénon + Panzerdivisionen". Il faut également souligner que l'année 1935 appartient encore à la "période de transition" post-révolutionnaire. Alors que le régime commence à orienter (Gleichschaltung) sa politique culturelle, visant à attirer ou à rejeter tous les courants centrifuges, il n'y a pas de place dans le lit du fleuve de la pensée nationale-socialiste pour les piliers de la Tradition, dépouillés des couches de l'histoire par Evola. Ainsi, les éditions ultérieures du texte de la conférence romaine d'Evola La doctrine aryenne de la lutte et de la victoire à Vienne (1941) et la traduction du Grundriß der faschistischen Rassenlehre (Berlin 1943) ne sont encore une fois que le résultat d'une initiative individuelle ou la manifestation d'un échange culturel avec l'Italie.
En effet, dans l'environnement diffus de ces premières années, Evola est devenu proche non seulement par sa position mais aussi par sa personne de plusieurs autres "parias" ultérieurs (volontaires et involontaires), tels que, outre Benn, Edgar Julius Jung, auteur du farouchement antidémocratique Die Herrschaft der Minderwertigen1930, visant la désintégration du monde politique des hommes sans valeur et son remplacement par un "nouveau Reich"), qui fut abattu pendant la nuit des longs couteaux ; Raphael Spann, fils d'Othmar Spann, le théoricien du "véritable Etat" (Der wahre Staat), dont la doctrine est qualifiée par Alfred Rosenberg dans Mythos de "nouvelle scolastique" ; Walter Heinrich, l'un des principaux disciples de Spann et organisateur du "Kameradschaftbund" sudète, déshumanisé par les partisans de Henlein : "ils voudraient diriger le peuple national depuis la table verte comme les francs-maçons" ; Karl Anton Rohan, fondateur de l'influente Europäische Revue, alors fustigée par Goebbels ; et Heinrich von Gleichen, figure de proue du Deutschen Herrenklub, dont le visionnaire du "Troisième Reich" Arthur Moeller van den Bruck était initialement proche. C'est-à-dire exclusivement avec les personnalités classées par Armin Mohler dans la nébuleuse de la "révolution conservatrice" (Die Konservative Revolution in Deutschland 1918-1932, première édition 1950), avec des personnes qui incarnaient précisément ces forces centrifuges (de droite), alternatives, désirant et ayant l'intention de dévier la dynamique de la Nouvelle Allemagne dans un sens ou dans l'autre. Toutefois, comme l'affirme avec justesse Giorgio Locchi, "Si nous supprimions Hitler et le national-socialisme, le camp de la révolution conservatrice, tel que nous le présente Armin Mohler, aurait certes des ailes, mais il lui manquerait un centre... (voir L'essence du fascisme, 2e édition, p. 56).
Le lecteur attentif le plus influent de Erhebung wider die moderne Welt était donc sans aucun doute Heinrich Himmler, dont les fonds privés ont permis à l'auteur de continuer à opérer occasionnellement dans le Reich dans un domaine étroitement défini et étroitement contrôlé. Plus révélateurs que la propre biographie d'Evola (où il mentionne, entre autres, d'autres "révolutionnaires conservateurs" tels que Hans Blüher, Ernst von Salomon et Ernst Jünger) et ses Notes sur le Troisième Reich sont les documents survivants réimprimés par Hans Werner Neulen et Nicola Cospito dans Julius Evola nei documenti segreti del Terzo Reich (1986 ; sur ce point, voir au moins E. Gugenberger, Hitler's Visionaries, Gateway 2002). On raconte que le baron n'hésitait pas à discuter bruyamment avec le Reichsführer de la SS de ses connaissances acquises non seulement par l'étude mais aussi par la méthode de la perspicacité intérieure (in-tu-eri). Le fait que Himmler lui confie la rédaction de son article, qu'Evola publie dans le supplément culturel ("Diorama") de Il Regime fascista du 15 juin 1939, témoigne peut-être du respect du second pour le premier. Ou à une époque où le non-conformiste Hermann Wirth avait depuis longtemps été remplacé à la direction de l'Ahnenerbe par Walter Wüst, doyen de la faculté de philosophie de Munich. La réticence avec laquelle la "vision polaire" de Wirth (voir Der Aufgang der Menschheit, 1928), bien que projetée sur le fond de divers "faits prouvables" partiels, a été traitée par des chercheurs plus académiques, a déjà été constatée par Evola, lui aussi non-conformiste, en tant qu'invité à la deuxième Nordische Thing, organisée par L. Roselli à Brême en 1934. En effet, parmi les invités italiens, la réponse la plus chaleureuse, au grand dam d'Evola, a été donnée à Giulio Cogni, qui a établi un lien entre l'actualisme de Gentile, élevé au rang de philosophie fasciste officielle, et la doctrine raciale scientifique populaire de Günther, avec laquelle les cadets de la NS ont grandi dans les années 1920...
Julius Evola est resté inconnu en Tchécoslovaquie et dans le Protectorat de Bohème et Moravie. La première et, pendant longtemps, la dernière mention de lui se trouve dans le livre Fascism. A la page 346, seul un extrait de l'article d'Evola pour la Critica Fascista de Bottai d'octobre 1926 est cité en rapport avec le "fascisme aristocratique" ou "superfascisme" (superfascismo).
A propos de la réception d'après-guerre du livre, je reviendrai à vous "une autre fois"...
18:59 Publié dans Livre, Livre, Traditions | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : tradition, traditionalisme, julius evola, livre | | del.icio.us | | Digg | Facebook
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