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samedi, 22 janvier 2022

L'ère hyperindustrielle et la misère du symbolique

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L'ère hyperindustrielle et la misère du symbolique

Sur la parution en Italie d'un livre de Bernard Stiegler, qui s'est donné la mort en août 2020

par Giovanni Sessa 

Source : Barbadillo & https://www.ariannaeditrice.it/articoli/l-era-iperindustriale-e-la-miseria-del-simbolico

0-11581.jpgDepuis quelque temps, nous soutenons qu'il serait nécessaire de se débarrasser de l'idée néfaste de la fin de l'histoire. La société contemporaine n'est pas le "meilleur des mondes possibles", elle est surmontable et amendable. Nous avons été confortés dans cette position par la lecture d'un récent ouvrage du philosophe français Bernard Stiegler, La miseria symbolica. L'epoca iperindustriale, publié par Meltemi (pour les commandes : redazione@meltemieditore.it ; 02/22471892, pp. 164, euro 16.00). Le volume comprend une introduction de Rossella Corda, une postface de Giuseppe Allegri et un essai du Gruppo di ricerca Ippolita, qui édite les œuvres de Stiegler en Italie.

Le lecteur doit savoir que le penseur français ne se limite pas à élaborer un diagnostic des causes qui ont produit l'ère hyperindustrielle, mais propose une thérapie pour le malaise individuel et communautaire qui caractérise les relations humaines en son sein. En premier lieu, il se débarrasse du cliché de la post-modernité lyotardienne et baumanienne, qui porte implicitement en soi la référence à un prétendu post-industrialisme, trompeur pour l'exégèse du présent. Il serait plutôt approprié d'utiliser l'expression d'âge hyper-industriel pour désigner notre époque: elle permet de comprendre l'ingérabilité de la tèchne et, surtout, le lien qui unit l'esthétique et le politique en un seul. Notre époque est celle de la misère du symbolique.

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Ce paupérisme ne conduit pas à la définition "du je et du nous, à partir de la pauvreté d'un imaginaire colonisé ou surexploité par les technologies hyper-médiatiques [...] qui invalident la prolifération d'un narcissisme primaire physiologique" (p.9). Conscient de la leçon de Deleuze, Post-scriptum sur les sociétés de contrôle et, en ce qui concerne les processus d'individuation, de celle de Simondon, Stiegler présente une analyse de la pensée symbolique comme pharmakon, poison et antidote à la fois: "dans le sillage de cette longue tradition qui part de Platon" (p. 10), conclut Corda.

Certes, ni les guerres conventionnelles ni les conflits sociaux n'ont disparu, mais le monde contemporain connaît une guerre plus envahissante, celle qui se déroule dans la sphère "esthétique", où la con-sistance symbolique est en jeu. Pour Stiegler, le terme "esthétique" désigne le "sentiment" en général. Le politique vise la construction d'un pathos commun "qui intègre notre partialité-singularité réciproque [...] en vue d'un devenir-un" (p. 11), par l'établissement de relations de sympathie, fondées aristotéliciennement sur la philia. On peut en déduire que la politique est un acte esthétique basé sur "la participation e-motive-créative" (p. 11), visant à la construction du corps social. Elle peut induire la réalisation du nous ou ouvrir des échappatoires dissolvantes. La seconde hypothèse se produit lorsque les "affects" sont pris au piège de l'exploitation menée par la Forme-Capital qui, colonisant l'imaginaire par le marketing, dirige la dimension désirante de l'homme et marchandise la vie.

9782081217843.jpgLe capitalisme cognitif et la société de contrôle, son corrélat historique, vivent de cet abus esthétique, si subtilement puissant qu'il détermine la mise à zéro de la honte prométhéenne qui, selon Anders, aurait accompagné, en tant que trait "affectif", l'âge de la technologie. Il est nécessaire, souligne passionnément le penseur, d'échapper à l'emprise de l'hétéro-direction socio-existentielle et "de remettre en mouvement les processus de désir actif " (p. 11). La guerre esthétique peut être gagnée à condition de connaître les substrats complexes de rétentions sur lesquels se structure la production imaginale. Il ne suffit pas de s'arrêter aux rétentions primaires et secondaires analysées par Husserl. Les premières se constituent sur le présent de la perception (l'écoute d'une symphonie), les secondes sur les processus d'image (le souvenir de cette écoute), mais les plus pertinentes, dans la phase actuelle, sont les rétentions tertiaires, produites par la mémoire externalisée que nous fournit la technologie. Dans ce contexte, nous avons affaire à des "objets temporels industriels", qui donnent lieu à la répétition infinie des expériences et des perceptions et qui influencent la définition du moi et du nous: "ils se déposent dans une sorte d'archive de base, à la fois physique [...] et abstraite" (p. 13). De cette façon, nous atteignons le point d'écouter sans plus entendre, nous écoutons mécaniquement, comme des magnétophones humains.

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Cette situation, et son possible renversement, peut être déduite, selon Stiegler, du film de Resnais, On connaît la chanson. La rétention tertiaire a ici le visage de la répétition du refrain des chansons, devenues "mémoire collective", non pas d'un "nous consolidé", mais du "on social inauthentique", dont Heidegger a parlé magistralement. En même temps, les protagonistes de ce film visent à transvaloriser, à transformer leur "souffrance" symbolique en une action symbolique. C'est la possibilité esthético-politique cachée dans la misère imaginaire. Le penseur stimule le trait poïétique des hommes, afin qu'ils adhèrent à "une autre capacité d'imaginer" (p. 15), qui ne peut se fonder sur un retour à un passé donné, non touché par le système technique, mais qui doit en découler. Le Gestell doit être considéré comme un lieu de décision : on peut y procéder à la mise à l'écart définitive du je et du nous (l'état actuel des choses) ou à leur re-constitution, au-delà de la marchandisation universelle en cours (cette position ne semble pas différente de celle du Travailleur de Jünger).

9782081217829-475x500-1.jpgSeule l'adhésion à une philosophie imaginaire, a-logique, comme l'idéalisme magique évolutif, peut permettre au poietes de se sentir perpétuellement exposé au novum, aux rythmes de la physis et au fondement qui la constitue : la liberté.

Nous avons trouvé la lecture du livre stimulante. Nous ne pouvons pas être d'accord avec l'auteur lorsqu'il affirme que la misère symbolique du présent s'est manifestée clairement dans le succès électoral des Lepénistes le 21 avril 2002. Peut-être pouvons-nous lire dans ce vote une réponse "instinctive" à la misère symbolique, qui nous semble au contraire incarnée de manière paradigmatique par le mouvement "En marche" d'Emmmanuel Macron, dans lequel les certitudes "solides" de la gauche se sont dissoutes.

Une dernière considération : il est paradoxal que des auteurs, issus de mondes intellectuels très éloignés de celui de Bernard Stiegler, partagent certaines de ses analyses. Sur ce sujet, nous attendons des contributions des représentants de la pensée de la Tradition, trop souvent engagés dans la répétition de vieilles leçons.

Le peuple des vétérans des guerres américaines

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Le peuple des vétérans des guerres américaines

Marco Valle

Source: https://it.insideover.com/guerra/il-popolo-dei-veterani-delle-guerre-americane.html?fbclid=IwAR0GpBmbMzA7tnaT4vaZB2P_4BI7vgsVMuknHOwPfoSqRrANIlJ6o01XMu4

Dix-neuf millions d'hommes (89 %) et de femmes (11 %) se sont dispersés dans les États et les territoires associés, une "longue ligne grise" s'étendant entre le Maine et l'Alaska, la Virginie et Porto Rico, le Texas et Hawaï. Il s'agit des vétérans des nombreuses guerres américaines, des anciens combattants de la Seconde Guerre mondiale (en 2021, ils seront encore 220.000, soit 1 %) et de la Corée (5 %), des survivants du Vietnam (31 %) et de ceux, nombreux, qui ont combattu ces trente dernières années sur les différents fronts - Irak, Somalie, Afghanistan, etc. - mal ouverts et mal fermés par les différents présidents de Washington. Ils sont les plus jeunes et les plus nombreux (63%).

pic3.jpgUn fait intéressant est la composition ethnique de la galaxie des anciens combattants, des chiffres qui reflètent les changements en cours aux États-Unis. Les Blancs représentent toujours 74% du total, tandis que les Noirs comptent pour 13%, les Hispaniques pour 8% et les Asiatiques pour 2%. Cet équilibre va changer au cours des vingt prochaines années, lorsque les Blancs tomberont à 62 %, les Hispaniques monteront à 16 % et les Afro-Américains à 15 %.

Le ministère américain des Anciens combattants, qui coordonne une série de services - pensions, soins, assurances, placement, formation - gère 1500 hôpitaux et s'occupe de 151 cimetières (dans le pays et à l'étranger). Une machine énorme et très coûteuse: 387.000 employés (dont un tiers sont des vétérans) avec un budget annuel de 243 milliards de dollars. Des engagements et des chiffres significatifs qui ne gênent heureusement pas les contribuables très patriotes, au contraire. En effet, une enquête du Pew Research Centre a révélé que 72 % des Américains estiment que l'aide aux vieux soldats est une priorité nationale et que les investissements en leur faveur devraient être encore renforcés.

C'est un sentiment largement répandu et bien perçu en politique, notamment grâce au puissant lobby des vétérans dans les palais du pouvoir : 91 des 538 sénateurs et membres du Congrès élus à Washington ont porté le camouflage dans leur jeunesse (ou, dans certains cas, jusqu'à leur retraite) et 991 des 7559 élus dans les parlements des États fédéraux revendiquent fièrement un passé militaire. Évidemment, la grande majorité d'entre eux appartiennent au parti républicain et bénéficient du soutien d'associations très respectées et très populaires telles que VoteVets ou l'American Legion. C'est pourquoi le gouvernement soutient des programmes qui facilitent l'entrée des anciens combattants dans l'administration publique et la police (19% de la force réelle) ou dans la sécurité privée.

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Une somme de mesures qui a permis (à l'inverse de la tendance américaine) de faire baisser le taux de chômage à 3,8 % et de réduire le nombre de vétérans sans abri (de 74.000 en 2010 à 37.000 en 2019) en neuf ans. Un fléau qui a toujours son épicentre en Virginie occidentale et qui s'étend de l'Indiana au Missouri, du Nouveau-Mexique au Montana et à l'Oregon.

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La question de la santé est tout aussi problématique. En 2020, le rapport du ministère américain des Anciens combattants dénombrait un taux de 41 % d'amputés parmi les vétérans d'Irak et d'Afghanistan - les volontaires de l'après-11 septembre 2001 -, des personnes encore jeunes mais désormais incapables ou presque de travailler, et un nombre tout aussi élevé (44 %) de vétérans traumatisés par les combats. Un segment de désespoir qui oscille dans la dépression quotidienne avec des chutes dans l'alcoolisme, la drogue ou pire. Chaque année, plus de six mille anciens militaires, tenaillés par leurs fantômes, choisissent de se suicider. La guerre, toute guerre, est un monstre hideux.

13:41 Publié dans Actualité | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : guerres, vétérans, états-unis | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Des tsars aux héros nationaux : la "Russie éternelle" dans la politique culturelle de Poutine

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Des tsars aux héros nationaux : la "Russie éternelle" dans la politique culturelle de Poutine

Par Tommaso Minotti

Source: https://osservatorioglobalizzazione.it/osservatorio/dagli-zar-agli-eroi-nazionali-la-russia-eterna-nella-politica-culturale-di-putin/

L'une des pierres angulaires d'un État-nation est sa conscience historique. Celle-ci se construit en partie à travers l'étude, la reconstruction et, surtout, la célébration du passé. Cela nécessite une politique culturelle. C'est essentiel si la nation ne veut pas perdre l'idée de l'histoire. Vladimir Poutine et ses collaborateurs ont développé au fil des ans une politique culturelle très intéressante. Le Moscou contemporain s'inscrit en fait dans une très longue tradition d'attention à la culture de la part des autorités qui ont gouverné l'immense territoire eurasien. Malgré l'oppression des tsars, la grande littérature russe s'est épanouie, incarnée par Alexandre Pouchkine parmi de nombreuses autres figures illustres. Après la révolution de 1917, l'Union soviétique a accordé une attention particulière au monde de la culture et, malgré des désaccords avec certains intellectuels, a essayé de faire connaître ce dernier au peuple.

Poutine et la stratégie culturelle du Kremlin

Poutine, qui est arrivé au pouvoir à la fin de la période confuse d'Eltsine, a ravivé l'intérêt de l'État pour cette question cruciale. Le leader de la Russie unie a agi ainsi en sachant que sa nation ne devait pas s'effondrer sous l'effet des forces centrifuges. Il était donc crucial de renforcer le patriotisme des citoyens russes grâce également à des choix de mémoire historique et culturelle. Poutine poursuit ses initiatives en mettant l'accent sur les musées et le cinéma. Mais sa politique culturelle comprend également un travail monumental intensif, notamment la construction de statues. 

Aux États-Unis, la destruction de monuments célébrant des esclavagistes, des explorateurs et des personnages clés de l'histoire américaine a suscité une vive controverse. Il s'agit également d'une politique culturelle grossière, menée directement par une partie du peuple. Le but est de cacher un certain type de passé. En Turquie, de plus en plus d'églises ou de musées sont transformés en mosquées, un cas célèbre étant celui de Sainte-Sophie. Ce ne sont là que quelques exemples de politiques culturelles. La Russie a vu à la fois des monuments détruits par des foules en colère et, surtout au cours de la dernière période, une nouvelle politique culturelle plus constructive. Poutine est parmi ceux qui accordent le plus d'attention à cet aspect fondamental et le font de manière raffinée. 

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Financement et musées 

Lors de son discours du 21 avril 2021, M. Poutine a affirmé sa volonté d'allouer des fonds aux musées et aux lieux de culture de la Russie rurale. On peut dire qu'il s'agit de la dernière étape d'un processus de longue haleine visant à mettre en œuvre une politique culturelle minutieuse. L'ancien officier du KGB a voulu aborder la question différemment de ses prédécesseurs immédiats. Jusque dans les années 1970, l'intelligentsia soviétique considérait la culture comme un moyen d'ennoblir la vie sociale. Au cours de la décennie susmentionnée, la conception a changé et les processus de démocratisation ont pris le dessus. Poutine, quant à lui, considère la culture comme un soutien aux programmes politiques et un moyen de développement social. Et c'est précisément dans le sillage de cette réflexion que se greffe le document publié en 2014 intitulé "Les fondamentaux de la politique culturelle de l'État".

Les idées principales embrassent la thèse très correcte que l'industrie de la culture est centrale à la société moderne. Par conséquent, le développement humanitaire et culturel est perçu comme la base de la prospérité économique et de la souveraineté de l'État, le fondement de l'identité civile et de l'unité nationale. Pour mieux comprendre ce que cela signifie, il y a les propres mots de Poutine: "Préserver notre identité est extrêmement important dans l'ère turbulente du changement technologique, il est impossible de surestimer le rôle de la culture, qui est notre code de civilisation nationale qui débloque le potentiel créatif humain". La dernière partie est un héritage clair de la volonté soviétique de déployer pleinement les capacités de l'individu. Poutine déclare à nouveau: "dans le but de consolider les efforts de l'État et de la société civile pour créer les conditions permettant d'encourager les gens à réaliser leur potentiel créatif, de préserver les valeurs culturelles, d'assurer la diffusion de la culture russe et de contribuer au développement du potentiel culturel des régions russes".

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Mais les manifestes idéologiques ne suffisent pas à soutenir la culture, il faut aussi des fonds. En plus des investissements susmentionnés dans les musées et les sites culturels ruraux, Poutine a créé en 2016 un fonds destiné à soutenir des activités, des initiatives et des projets dans divers domaines. De nombreux documents officiels circulant au sein du ministère russe de la culture et du gouvernement lui-même expriment la volonté d'augmenter les fonds alloués à la culture. L'objectif est de porter les dépenses culturelles à 1,4 % du PIB d'ici à 2030. Toutefois, l'augmentation des fonds alloués à ce domaine n'est pas la seule manœuvre prévue par le gouvernement russe. Poutine prévoit des réductions d'impôts, des budgets et des capitaux dédiés à toutes les activités culturelles : cinéma, théâtre, musées et expositions. 

Statues et monuments 

Ces dernières années, la Russie a connu une vague de nouvelles statues et de nouveaux monuments. Et grâce à eux, nous pouvons voir qui Poutine choisit pour façonner une nouvelle identité pour son pays, vieux et jeune à la fois. Le choix des héros nationaux n'est en rien anodin et, à travers l'analyse de leur vie et de leurs actions, on peut déterminer l'orientation de la Russie elle-même. Poutine porte une attention particulière au tsar Alexandre III, qui est considéré par beaucoup comme une sorte d'exemple dont l'ancien membre du KGB s'inspire souvent. Alexandre III a été tsar de 1881 à l'année de sa mort en 1894. Il a succédé à son père, Alexandre II, qui avait été tué par les populistes du mouvement Narodjana Volja. Alexandre III abroge toutes les timides ouvertures de son prédécesseur. Surnommé "le pacificateur", il poursuit des projets de russification de vastes territoires non russes et est un fervent partisan de la religion orthodoxe. Alexandre III a des vues panslaves et exploite la faiblesse de l'Empire ottoman pour protéger, ou influencer, les populations orthodoxes vivant dans la grande maladie de l'Europe. En politique étrangère, il est très proche de la France de la Troisième République. Sous son règne, le gigantesque projet de chemin de fer transsibérien a également été achevé.

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La figure d'Alexandre III fait l'objet d'un processus de réévaluation depuis le début des années 1990, notamment grâce à l'opinion favorable de Poutine. Poutine l'a décrit comme un exemple de combinaison harmonieuse entre la modernisation du système de production et la fidélité à la tradition. Poutine a inauguré pas moins de deux monuments dédiés au Tsar. Le premier a été dévoilé en novembre 2017 en Crimée, ce qui n'est pas un hasard, et le second en juin 2021 à Gatchina, au sud de Saint-Pétersbourg. 

Un autre épisode significatif s'est produit le 4 novembre 2021, jour de l'unité nationale. À cette date, M. Poutine a déposé des fleurs devant le monument à la fin de la guerre civile construit à Sébastopol, en Crimée. Un autre choix mûrement réfléchi. Pour Poutine, les morts des affrontements entre Blancs et Rouges sont parfaitement égaux, car ce sont des Russes. L'intention est de donner une interprétation unifiée de l'histoire russe, sans divisions considérées comme des accidents de l'histoire et sans l'influence néfaste de l'idéologie. 

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Un autre monument dédié aux soldats russes tombés au combat est celui inauguré à Vladivostok le 27 avril 2021. Les protagonistes de l'œuvre, financée par l'appareil d'État, sont les soldats morts dans le conflit contre la Chine sur l'île Damansky en 1969 (photo, ci-dessus). Il y a quelques années encore, on ne parlait pas de ces affrontements, mais on les redécouvre aujourd'hui sur un ton patriotique. De même, le monument d'Archangelsk dédié aux courageux géologues qui ont exploré le nord-ouest inhospitalier de la Russie est inspiré par le désir d'insuffler un sentiment d'unité à la population. L'URSS l'avait mis "entre parenthèses".

Une unité qui semble se briser lorsque les citoyens russes sont confrontés à leur passé soviétique. Selon un sondage Levada, 48% des habitants de la Russie sont favorables à un monument à Staline. Ce chiffre est le plus élevé depuis que la Russie contemporaine existe.  Pas moins de 60 % des personnes interrogées souhaitent la création d'un musée consacré à Koba. À Bor, près de Nijni Novgorod, un centre de loisirs a été dédié à Staline, à l'incrédulité de quelques-uns et à la satisfaction de beaucoup de ceux qui se souviennent de la lutte titanesque de la Grande Guerre patriotique. Les habitants de Moscou sont beaucoup plus divisés, puisqu'ils ont été invités ces derniers mois à décider quelle statue placer sur la place centrale de la Loubianka. Le choix était entre un nouveau monument à Nevksy ou la reconstruction de celui démoli en 1991 représentant Feliks Dzerzinsky. Il est le fondateur de la Tcheka, surnommé "Feliks de fer" pour son honnêteté ou "Jacobin prolétarien" pour sa célèbre incorruptibilité, ce qui le rapproche de Robespierre. Le référendum a donné 55% des voix au héros russe, mais Dzerzinsky a obtenu un solide 45%. Cela a conduit le maire de Moscou, M. Sobjanin, à déclarer la consultation nulle et non avenue, l'incertitude étant trop grande parmi les Moscovites. La place de la Loubianka reste sans monument alors que les Russes sont divisés sur ce qu'il faut sauver, et qui, de leur encombrant passé soviétique.

Le panthéon de Poutine

Mais de nombreuses autres statues ont été dédiées à des personnages cruciaux de l'histoire russe, Nevsky en tête. Le dernier monument a été inauguré le 11 septembre 2021 sur le lac Chudskoe par M. Poutine et le patriarche Kirill. Nevsky était prince de Novgorod et de Vladimir. Il a porté ses principautés à leur plus grande splendeur. En 1240, il a vaincu les catholiques suédois, en infériorité numérique. Puis il s'est exilé pour avoir été trop puissant. Fervent défenseur de l'orthodoxie russe, Nevsky retourne à Novgorod. Il a été rappelé de son buen retiro, un peu comme Cincinnatus, pour sauver son peuple. Il a réussi à vaincre les chevaliers teutoniques lors de la légendaire bataille du lac gelé en 1242. Grâce à son succès décisif, Nevsky a préservé la religion orthodoxe, qui avait été mise en danger par la volonté de conversion des Allemands. Sa mémoire a été utilisée par Pierre le Grand et Staline comme un symbole de la Russie. Le cas de l'Ordre Nevsky est particulier. C'est un honneur conçu par les tsars, aboli par Lénine et recréé par Koba. Poutine l'a conservé, en le rapprochant du symbolisme tsariste. Le président russe considère Nevsky comme l'un des plus grands exemples de patriotisme et de dévouement à la patrie. 

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Un autre personnage auquel un monument a été dédié en octobre 2016 est Ivan IV, le Terrible. Sa statue se dresse au sud de Moscou. Il est le premier à se faire appeler "tsar" et prône une politique très centralisée. Ivan IV réorganise l'économie, l'administration publique et l'armée. Il a vaincu et subjugué les Tatars à plusieurs reprises et a conquis Kazan. Un mois après la statue du Terrible, une statue de Vladimir Ier le Grand a également été dévoilée. Le monument se trouve près du Kremlin et célèbre un prince de Kiev. Le signal est clair : l'Ukraine et la Russie ont une même origine. Vladimir a porté sa principauté au plus haut niveau et a même réussi à convertir son peuple au christianisme en 988. Son mariage avec la princesse byzantine Anna, sœur de Constantin VIII et de Basile III, est un grand succès. Grâce à cette démarche, la Russie s'est rapprochée de la religion orthodoxe et a revendiqué, sur le plan idéologique, d'être reconnue comme la "troisième Rome". 

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Conclusion

Ce n'est pas une coïncidence si le personnage historique qui inspire le plus Poutine est Alexandre III. Empereur autocratique mais modernisateur, il a pu diriger ses vastes territoires avec confiance, en laissant de côté les influences extérieures. Le leitmotiv qui lie toute la politique culturelle de Poutine est la volonté de souligner l'importance cruciale de l'unité, du patriotisme, du sens de la continuité historique et de la religion orthodoxe. L'unité est cruciale car la Russie a subi, et subit toujours, des pressions centrifuges. Le patriotisme, quant à lui, adopte l'héritage du marxisme-léninisme comme idéologie directrice de l'État. La continuité historique légitime le nouvel ordre, lui donne une solidité et le place en lien direct avec les grandes figures du passé. La nécessité, dans ce cas, est de faire comprendre aux Russes que leur nation a une histoire millénaire derrière elle, et non trente ans. Enfin, la religion orthodoxe est perçue comme l'instrumentum regni par excellence, une sorte d'allié indispensable de l'État. La relation symbiotique entre "le trône et l'autel" est un héritage partiel du césaropapisme tsariste, lui-même issu d'influences byzantines déterminantes. En ce sens, la période soviétique est une parenthèse. Le travail que Poutine mène avec beaucoup d'attention est en fait une re-nationalisation des masses qui se sont égarées après les turbulences des années 1990. Le fait est que la complexité du défi auquel la classe dirigeante russe est confrontée est énorme.

Le platonisme numérique : théorie de l'information et philosophie

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Le platonisme numérique : théorie de l'information et philosophie

Michael Kumpmann

Source: https://www.geopolitica.ru/de/article/digitalplatonismus-informationstheorie-und-philosophie

L'espace calculant : Konrad Zuse

Konrad Zuse n'était pas seulement un ingénieur qui a construit le premier ordinateur complet de Turing et a donc inventé un appareil qui peut théoriquement résoudre n'importe quelle énigme mathématique soluble. Dans son livre Der Rechnende Raum de 1969, Zuse s'est également penché sur des questions philosophiques. Sa thèse principale est que la physique se trouve dans une impasse et ne peut pas résoudre de nombreuses questions parce qu'elle est soumise à une interprétation fondamentalement erronée du monde : on voit le monde de manière matérialiste. Pourtant, de nombreux phénomènes de la physique montrent que le matérialisme est probablement une erreur et que toute la matière n'est qu'une illusion. Selon Zuse, la réalité vraiment "réelle" est plutôt l'information.

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Grâce à l'informatique, Zuse est ainsi arrivé à la même conclusion que Platon, Hegel et la plupart des religions. Dans son œuvre philosophique majeure Tractates Cryptica Scriptura, l'auteur de science-fiction Philip Kindred Dick est parvenu à une idée similaire d'association idéaliste de la religion et des mathématiques, sauf que sa déduction n'était pas les mathématiques et la physique, mais l'analyse comparative des écrits religieux. Des auteurs ultérieurs comme Rizwan Virk ont développé ces thèses et décrit que, grâce au concept de réseaux neuronaux, on devrait voir l'univers comme le produit d'un immense "esprit du monde" hégélien.

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Philipp K. Dick & Rizwan Virk

Loin des questions abstraites sur la cosmologie, la question se pose maintenant de savoir si l'on peut appliquer ces idées et ces modes de pensée à d'autres domaines de la philosophie. Et c'est possible. Et avec des résultats intéressants.

Le premier point intéressant est une question de prévisibilité. La prédictibilité décrit en gros les questions qu'un système donné peut "résoudre". La plupart du temps, il s'agit de machines concrètes. Mais les langues en font également partie. L'exhaustivité de Turing, déjà mentionnée au début, est ici particulièrement pertinente. Une machine de Turing est un appareil hypothétique composé d'un programme, d'une bande de mémoire et d'une "unité de lecture/écriture" mobile, qui peut calculer tous les problèmes calculables. En mathématiques, on considère qu'une question peut recevoir une réponse si on peut la formuler de manière à ce que cette machine fictive puisse la traiter. Ensuite, il y a la thèse de Church Turing, qui dit que du point de vue de la calculabilité, deux systèmes sont équivalents l'un à l'autre s'ils peuvent simuler mutuellement leur fonctionnement. (Pour illustrer cela de manière très simplifiée. Tout le monde ici peut télécharger la version des années 80 de Donkey Kong et la faire fonctionner sur son ordinateur portable normal, car la machine d'arcade sur laquelle fonctionnait Donkey Kong à l'époque et l'ordinateur portable actuel, sont fondamentalement tous deux des ordinateurs).

Et maintenant, le "point passionnant". Les hypothèses de simulation affirment que, parce que les ordinateurs peuvent simuler de mieux en mieux notre monde, il devient plus probable que le monde réel soit également une simulation calculée. Mais il y a encore un point qui a été négligé dans ces réflexions. Nous, les humains, avons d'abord conçu cette machine de Turing. Par conséquent, notre esprit est également soumis à ces lois. Nous sommes aussi Turing, voire plus puissants. Et nous comprenons de mieux en mieux l'univers et pouvons faire des prédictions et des calculs de plus en plus précis. Il existe donc un trait fondamental d'équivalence entre l'esprit créateur du monde et l'intellect humain. L'Esprit universel a créé l'homme à son image.

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Il est toutefois évident qu'un seul esprit humain et un seul ordinateur ne peuvent pas résoudre toutes les questions de ce monde. C'est là qu'un autre élément entre en jeu. Il existe deux variantes de machines de Turing. Les machines universelles, qui peuvent tout calculer parce qu'elles ont une bande de mémoire infinie, et les machines de Turing limitées, qui sont limitées de manière finie. Et c'est la principale différence avec le "créateur". L'homme est fini (limité) et ne peut pas absorber toutes les informations.

Une bonne question est maintenant de savoir ce que signifie la technique pour l'homme. La technique est aussi souvent un moyen de stockage qui externalise l'information et la dissocie de l'esprit. Ce que l'homme ne peut pas mémoriser éternellement, il l'écrit afin de pouvoir le lire plus tard. Ainsi, la technique sert avant tout à élargir les capacités de mémoire de l'homme et à réduire la différence entre la machine de Turing limitée et la machine de Turing universelle. On pourrait ici utiliser la métaphore de Spengler sur "l'homme faustien" et dire que l'homme tente de se faire Dieu à l'aide de la technologie, en prenant le "fruit de l'arbre de la connaissance".

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Un concept très similaire est l'idée de l'entropie de l'information et le concept associé du démon de Maxwell. L'entropie de l'information est, en gros, la valeur qui dit dans quelle mesure il est possible de reconstruire les infos manquantes à partir des informations existantes. Et quelle quantité peut manquer pour que quelque chose reste "lisible". Par exemple, on peut voir qu'il manque un S dans "Da ein". Là, l'entropie est faible. Mais pour "D n", l'entropie est si grande qu'il est difficile de deviner ce que l'on veut dire. L'entropie est donc aussi le degré d'incapacité à déduire ce qui vient ensuite à partir des connaissances existantes. L'entropie thermodynamique est considérée comme une conséquence de l'entropie de l'information. Dans un gaz chaud, tous les composants volent de manière chaotique. C'est pourquoi, à partir d'une image où tous les composants du gaz se trouvaient il y a 10 minutes, on ne peut pas vraiment déduire où ils se trouvent maintenant. Mais dans un cristal, c'est tout à fait possible, car tout y est rigide, immobile et ordonné. On pourrait dire ici que l'entropie est une valeur du chaos.

Selon l'entropie de l'information, il est également vrai que dans chaque système, l'entropie augmente inévitablement, l'information existante diminue et tout ordre est donc contraint de s'effondrer. Mais en même temps, le potentiel du type d'information qui pourrait exister augmente également [1] & [2]. Ce point est intéressant, car il correspond exactement à ce que Douguine a évoqué dans son texte La métaphysique du chaos: l'ordre est basé sur l'extinction ou l'exclusion du chaos. Or, le chaos permet l'émergence en son sein de différents ordres [3].

La théorie du démon de Maxwell est à son tour liée à l'entropie. Le démon de Maxwell est une machine hypothétique qui est placée sur un système chaotique (un gaz) et qui doit ordonner et trier les composants de ce système. Il est prouvé qu'un tel système ne peut pas fonctionner à long terme. Et cela parce que, entre autres, ce problème d'information potentielle fait que cette machine atteindrait ses limites de stockage. Le chaos ne pourrait être contrôlé durablement que si la machine disposait d'une mémoire infinie (voir les considérations ci-dessus à ce sujet).  Comme la machine ne dispose pas d'une telle chose, le chaos devient à un moment donné si grand qu'il débouche sur une situation paradoxale où la machine doit elle-même créer le chaos et s'autodétruire lentement pour pouvoir se maintenir.

Ce démon de Maxwell se prête étonnamment bien à l'analyse de la modernité et du "cadre".

Chaque État moderne est en effet de facto un démon de Maxwell qui veut mettre fin à l'entropie et imposer l'ordre parfait. A commencer par les économies planifiées communistes, qui voulaient planifier les besoins des gens d'en haut. (Le sommet de cette évolution a été le Cybersyn de Salvador Allende - illustration ci-dessous-, où l'on voulait donner le contrôle d'une grande partie de l'État et de l'économie à un ordinateur central).

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Le comportement de la troisième théorie politique et en particulier de l'Allemagne nazie avec l'eugénisme, les passeports généalogiques, les camps d'extermination, etc. peut être très fortement décrit comme une grande opération visant à éliminer le chaos, les impuretés et l'entropie, au détriment de la liberté, de l'humanité et de la vie humaine.

Les partisans de Popper vont maintenant prétendre que les sociétés libérales sont la protection contre de tels développements, mais cette propagande est une énorme tromperie. Voir le Patriot Act, les atrocités, l'oppression, l'expulsion et la rééducation des peuples indigènes au nom du colonialisme et du "fardeau de l'homme blanc", les guerres des néocons au nom de la démocratie, l'"État thérapeutique" envahissant qui veut éduquer les gens à la santé et contrôler sans cesse le citoyen dès l'enfance pour détecter les troubles de la santé, la Cancel Culture, la Political Correctness et d'autres formes de police de la pensée progressiste et antifasciste et de censure des réseaux, la surréglementation de l'UE, ainsi que de nombreux autres exemples. D'une certaine manière, les États libéraux poursuivent également l'eugénisme sous une forme privatisée grâce au Planned Parenthood et à d'autres initiatives. Et dans la crise du coronavirus, il existe désormais des certificats obligatoires de pureté biologique, même dans l'Occident libéral, et le thème des "camps pour impurs biologiques" revient régulièrement sous cette nouvelle forme. Voir l'Australie. (La principale différence entre le démon dans le libéralisme (2.0) et d'autres systèmes est qu'ici le démon est érigé comme un système qui inclut tout le monde et auquel personne ne doit refuser ou échapper, alors que d'autres systèmes étaient plutôt conçus pour refouler ou détruire les éléments chaotiques).

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Camp Covid en Australie.

Quelle que soit la forme. Chaque théorie politique de la modernité et chaque État moderne est un démon maxwellien qui doit combattre toujours plus le chaos, au détriment de ses propres citoyens. D'une certaine manière, le démon maxwellien est aussi le noyau de la modernité, qui a été saisi par presque toutes les théories antimodernes. Qu'on l'appelle "Gestell" comme Heidegger, "Raison instrumentale" comme Adorno, "Société unidimensionnelle" comme Herbert Marcuse, "Règne de la quantité" comme René Guénon, "Intelligence solide" comme John C. Lilly ou autre. De Ted Kaczinsky à Rudolf Steiner en passant par Terence McKenna, tout concourt à démontrer que la modernité est un processus de mise en place d'une machine totale visant à éradiquer le chaos et menaçant d'éradiquer l'humanité. Et cela est presque perfectionné par des méthodes telles que les réseaux de neurones artificiels, la manipulation génétique, le transhumanisme, etc.

Seulement, comme nous l'avons déjà décrit, comme il n'existe pas de mémoire infinie, aucun démon maxwellien ne peut fonctionner à long terme. Tout ordre reste, pour le dire de manière bouddhiste, "annica", c'est-à-dire non durable, et menacé d'un effondrement permanent. L'entropie et le chaos ne sont pas éradiqués, mais seulement balayés sous le tapis à plus ou moins long terme. Et derrière les murs du monde ordonné de la modernité et dans son sous-sol, le chaos s'accumule jusqu'à ce qu'il fasse tomber les barrages. Le meilleur exemple en est le fait qu'en 2021, un bateau a eu un accident dans le canal de Suez, ce qui a failli déclencher une crise économique mondiale.

Seulement, selon le démon maxwellien, toute intervention des États modernes pour remédier au chaos ne fait qu'entraîner automatiquement plus de chaos et la nécessité d'autres interventions. (On pourrait appeler cela, avec Ludwig von Mises, la "spirale interventionniste").

Comment échapper à ce démon ? Probablement en regardant vers l'Orient et vers des enseignements comme le bouddhisme et le taoïsme, ainsi que l'école de Kyoto. Ces enseignements montrent très bien que tout finit par se désintégrer et que le but final de toute existence signifie à un moment donné le chaos, la désintégration et le néant absolu. Mais aussi que nous, les humains, ne pouvons pas vraiment lutter contre l'entropie, et que souvent une telle tentative ne fait qu'aggraver l'entropie. La seule solution est de prendre du recul par rapport à la matière et de se tourner vers des principes divins éternels et immuables.  Comme l'éternel ne peut pas changer, l'entropie reste à zéro et ne peut pas se multiplier, car le double de zéro, par exemple, serait toujours zéro.

Notes:

[1] Voir https://www.uni-ulm.de/fileadmin/website_uni_ulm/archiv/haegele//Vorlesung/Grundlagen_II/_information.pdf page 6

[2] Un effet de l'entropie est également la dissolution de catégories strictement séparées et la fusion, vers une valeur moyenne. C'est le cas de la postmodernité.

[3] Voir également à ce sujet la citation suivante tirée de La métaphysique du chaos :

"Pour résoudre cette difficulté, nous devrions aborder le chaos non pas à partir de la position du logos, mais à partir de celle du chaos lui-même. Il peut être comparé à la vision féminine, à la compréhension féminine de l'autre, qui n'est pas exclue, mais au contraire incluse dans l'égalité.

Le logos se considère comme ce qui est et comme ce qui lui est égal. Il peut accepter les différences en lui parce qu'il exclut l'autre qui est à l'extérieur. C'est donc la volonté de puissance qui fonctionne, la loi de la souveraineté. Derrière le logos, affirme le logos, il n'y a rien, pas quelque chose. Les logos qui excluent tout autre qu'eux-mêmes excluent donc le chaos. Le chaos utilise une autre stratégie. Il inclut en lui tout ce qu'il est, mais en même temps aussi tout ce qu'il n'est pas. Le chaos englobant comprend donc également ce qui n'est pas inclus, à savoir ce qui exclut le chaos. Le logos ne perçoit donc pas le chaos comme l'autre, mais comme lui-même ou comme quelque chose de non-existant. Le logos, en tant que premier principe d'exclusion, est inclus dans le chaos, y est présent, enveloppé par lui et y a accordé une place, comme la mère qui porte le bébé porte en elle ce qui fait partie d'elle et ce qui n'est pas d'elle en même temps. L'homme conçoit la femme comme un être extérieur et tente de la pénétrer. La femme considère l'homme comme quelque chose d'intérieur et tente de le faire naître et de lui donner naissance.

Le chaos est l'éternelle genèse de l'Autre, c'est-à-dire du logos.

En résumé, la philosophie chaotique est possible parce que le chaos lui-même contient le logos comme une possibilité intérieure. Il peut l'identifier librement, l'apprécier et reconnaître son exclusivité, contenue dans sa vie éternelle. Nous arrivons ainsi à la figure du logos chaotique très particulier, c'est-à-dire d'un logos totalement et absolument frais, éternellement animé par les eaux du chaos. Ce logo chaotique est à la fois exclusif (c'est pourquoi ce sont en fait des logos) et inclusif (chaotique). Il traite différemment l'égalité et l'altérité".

11:58 Publié dans Philosophie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : chaos, physique, entropie, machine de turing, philosophie | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook