Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

samedi, 19 février 2022

Henry David Thoreau et la difficile désobéissance civile

838_benjamin_d._maxham_-_henry_david_thoreau_-_restored.jpg

Henry David Thoreau et la difficile désobéissance civile

par Nicolas Bonnal

Attention, texte différent de celui-ci, du même auteur: http://euro-synergies.hautetfort.com/archive/2021/05/14/thoreau-et-la-difficile-desobeissance-civile-face-a-la-dicta-6315969.html#more

Break the law. Let your life be a counter friction to stop the machine

Nous sommes gouvernés par des monstres et des imbéciles en Occident : guerre, pénurie et contrôle numérique sont les mamelles de leur politique apocalyptique  effarée. Mais le peuple se réveille après deux années de soumission inepte et de léthargie apeurée. Moment donc de passer de La Boétie à Thoreau, de la servitude volontaire (voyez mon recueil) à la désobéissance civile. On va voir qu’elle n’est pas si facile, comme le montre Thoreau (souvent mis à toutes les sauces, surtout par des liberticides) en luttant contre la guerre contre le Mexique et l’esclavage pratiqués par les USA (mon Dieu, ces patries des droits de l’Homme…).

On sait que le vieillard Joe Biden est un dément criminel qui veut détruire et le monde et son pays. Il y a bientôt deux cents ans donc Henry David Thoreau écrit déjà :

« Quelle attitude doit adopter aujourd’hui un homme face au gouvernement américain? Je répondrai qu’il ne peut sans déchoir s’y associer. »

Thoreau n’est ni anarchiste ni libertarien ; mais il écrit quand même :

« De grand cœur, j’accepte la devise : « Le gouvernement le meilleur est celui qui gouverne le moins » et j’aimerais la voir suivie de manière plus rapide et plus systématique. Poussée à fond, elle se ramène à ceci auquel je crois également : « que le gouvernement le meilleur est celui qui ne gouverne pas du tout » et lorsque les hommes y seront préparés, ce sera le genre de gouvernement qu’ils auront. »

1271875-gf.jpg

C’est que tout gouvernement est vite perverti par les minorités et oligarques qui le contrôlent :

« Le gouvernement lui-même — simple intermédiaire choisi par les gens pour exécuter leur volonté —, est également susceptible d’être abusé et perverti avant que les gens puissent agir par lui. Témoin en ce moment la guerre du Mexique, œuvre d’un groupe relativement restreint d’individus qui se servent du gouvernement permanent comme d’un outil ; car au départ, jamais les gens n’auraient consenti à cette entreprise. »

Thoreau ne se fait d’illusion sur aucun gouvernement :

« Le gouvernement américain — qu’est-ce donc sinon une tradition, toute récente, qui tente de se transmettre intacte à la postérité, mais perd à chaque instant de son intégrité? Il n’a ni vitalité ni l’énergie d’un seul homme en vie, car un seul homme peut le plier à sa volonté. »

Le génie du peuple devrait suffire face aux volontés de contrôle et sabotage du pouvoir :

« Pourtant, ce gouvernement n’a jamais de lui-même encouragé aucune entreprise, si ce n’est par sa promptitude à s’esquiver. Ce n’est pas lui qui garde au pays sa liberté, ni lui qui met l’Ouest en valeur, ni lui qui instruit. C’est le caractère inhérent au peuple américain qui accomplit tout cela et il en et il en aurait fait un peu plus si le gouvernement ne lui avait souvent mis des bâtons dans les roues. »

Le politicien aux ordres devient vite un malfaiteur ou un saboteur :

« Et s’il fallait juger ces derniers en bloc sur les conséquences de leurs actes, et non sur leurs intentions, ils mériteraient d’être classés et punis au rang des malfaiteurs qui sèment des obstacles sur les voies ferrées. »

Mais en bas cela ne s’agite guère mieux ; comme dans le cas de notre crise sanitaire les fonctionnaires ont servi l’Etat sans réagir (ou presque) :

« La masse des hommes sert ainsi l’État, non point en humains, mais en machines avec leur corps.

51SgT8fM2fL.jpg

C’est eux l’armée permanente, et la milice, les geôliers, les gendarmes, la force publique, etc. La plupart du temps sans exercer du tout leur libre jugement ou leur sens moral ; au contraire, ils se ravalent au niveau du bois, de la terre et des pierres et on doit pouvoir fabriquer de ces automates qui rendront le même service ».

Custine dans son pamphlet dégueulasse et grotesque contre la Russie traite les Russes d’automates (voyez mon étude) ; il est bon que Thoreau remette nos preux démocrates à leur place :

« Ils ont la même valeur marchande que des chevaux et des chiens. Et pourtant on les tient généralement pour de bons citoyens. D’autres, comme la plupart des législateurs, des politiciens, des juristes, des ministres et des fonctionnaires, servent surtout l’État avec leur intellect et, comme ils font rarement de distinctions morales, il arrive que sans le vouloir, ils servent le Démon aussi bien que Dieu. »

Une minorité se dégage alors contre cet autoritarisme déviant qui risque la persécution :

« Une élite, les héros, les patriotes, les martyrs, les réformateurs au sens noble du terme, et des hommes, mettent aussi leur conscience au service de l’État et en viennent forcément, pour la plupart à lui résister. Ils sont couramment traités par lui en ennemis. »

Walden-ou-la-vie-dans-les-bois.jpg

Thoreau se révolte contre l’esclavage des noirs dans un pays présumé libre :

« …lorsqu’un sixième de la population d’une nation qui se prétend le havre de la liberté est composé d’esclaves, et que tout un pays est injustement envahi et conquis par une armée étrangère et soumis à la loi martiale, je pense qu’il n’est pas trop tôt pour les honnêtes gens de se soulever et de passer à la révolte. Ce devoir est d’autant plus impérieux que ce n’est pas notre pays qui est envahi, mais que c’est nous l’envahisseur. »

Thoreau remarque que les bons citoyens des USA se sont révoltés contre les impôts anglais et ils acceptent l’esclavage (ils portent une marque distinctive, un code QR, et dans la savante tradition égyptienne on leur perçait le nez pour les contrôler et les diminuer) :

« Si l’on venait me dire que le gouvernement d’alors était mauvais, parce qu’il taxait certaines denrées étrangères entrant dans ses ports, il y aurait gros à parier que je m’en soucierais comme d’une guigne, car je peux me passer de ces produits-là. »

L’esclavage ne sert qu’une minorité, comme le terrorisme médical sert une minorité pleine à craquer :

« En langage clair, ce n’est pas la kyrielle de politiciens du Sud qui s’oppose à une réforme au

Massachusetts, mais la kyrielle de marchands et de fermiers qui s’intéressent davantage au commerce et à l’agriculture qu’à l’humanité et qui ne sont nullement prêts à rendre justice à l’esclave et au Mexique, à tout prix. »

Le problème donc c’est la réaction – et elle est difficile. Trop souvent on se paie de clics ou de mots :

« Le plus important n’est pas que vous soyez au nombre des bonnes gens mais qu’il existe quelque part une bonté absolue, car cela fera lever toute la pâte. Il y a des milliers de gens qui par principe s’opposent à l’esclavage et à la guerre mais qui en pratique ne font rien pour y mettre un terme ; qui se proclamant héritiers de Washington ou de Franklin, restent plantés les mains dans les poches à dire qu’ils ne savent que faire et ne font rien ; qui même subordonnent la question de la liberté à celle du libre-échange et lisent, après dîner, les nouvelles de la guerre du Mexique avec la même placidité que les cours de la Bourse et peut-être, s’endorment sur les deux. »

9782253163800-001-T.jpegThoreau alors prévoit le sinistre futur américain : les noirs en voudront toujours aux blancs de n’avoir pas voté pour l’abolition de l’esclavage.

« Lorsqu’à la longue la majorité votera pour l’abolition de l’esclavage, ce sera soit par indifférence à l’égard de l’esclavage, soit pour la raison qu’il ne restera plus d’esclavage à abolir par le vote. Ce seront eux, alors, les véritables esclaves. Seul peut hâter l’abolition de l’esclavage, celui qui, par son vote, affirme sa propre liberté. »

On rougit, et puis on s’habitue : 

« Ainsi, sous le nom d’Ordre et de Gouvernement Civique, nous sommes tous amenés à rendre hommage et allégeance à notre propre médiocrité. On rougit d’abord de son crime et puis on s’y habitue ; et le voilà qui d’immoral devient amoral et non sans usage dans la vie que nous nous sommes fabriquée. »

Comment résister ? Refus de l’impôt par exemple :

« Si un millier d’hommes devaient s’abstenir de payer leurs impôts cette année, ce ne serait pas une initiative aussi brutale et sanglante que celle qui consisterait à les régler, et à permettre ainsi à l’État de commettre des violences et de verser le sang innocent. Cela définit, en fait, une révolution pacifique, dans la mesure où pareille chose est possible. »

Thoreau invite le fonctionnaire à démissionner (tu parles !) :

« Si le percepteur ou quelque autre fonctionnaire me demande, comme ce fut le cas : « Mais que dois-je faire? », je lui réponds : « Si vous voulez vraiment faire quelque chose, démissionnez ! » Quand le sujet a refusé obéissance et que le fonctionnaire démissionne, alors la révolution est accomplie. »

Il ne faut rien attendre du riche (on le savait depuis la parabole du l’aiguille et le chameau) :

« Car le riche — sans que l’envie me dicte aucune comparaison — est toujours vendu à l’institution qui l’enrichit. »

La clé de l’obéissance civile c’est la PEUR (avec une bonne épidémie alors…) :

« En m’entretenant avec les plus affranchis de mes concitoyens, je m’aperçois qu’en dépit de tous leurs propos concernant l’importance et la gravité de la question, et leur souci de la tranquillité publique, le fort et le fin de l’affaire c’est qu’ils ne peuvent se passer de la protection du gouvernement en place et qu’ils redoutent les effets de leur désobéissance sur leurs biens ou leur famille. »

Thoreau qui est on le sait très bricoleur évoque l’autarcie et l’isolement – chose facile à une époque où les USA comptent DIX FOIS MOINS d’habitants :

imahdthges.jpg« Il faut louer quelques arpents, bien s’y installer et ne produire qu’une petite récolte pour la consommation immédiate. On doit vivre en soi, ne dépendre que de soi, et, toujours à pied d’œuvre et prêt à repartir, ne pas s’encombrer de multiples affaires. »

Comme l’Etat peut (et va, chez nous, pour obéir à Klaus Schwab et aux oligarques de Davos) tout prendre, il vaut mieux louer en effet ; mais rappelons que les prix de la location ont doublé en cinq ans en Floride par exemple…

Lors de cet épisode totalitaire, premier d’une longue série, on a tous vu la soumission incroyable des églises et clergés, tous plus vendus les uns que les autres. Or Thoreau est allé en prison pour cette raison :

« Voici quelques années, l’État vint me requérir au nom de l’Église de payer une certaine somme pour l’entretien d’un pasteur dont, au contraire de mon père, je ne suivais jamais les sermons. « Payez, disait-il, ou vous êtes sous les verrous. » Je refusai de payer. »

Thoreau déteste l’Etat et le méprise :

« Je vis que l’État était un nigaud, aussi apeuré qu’une femme seule avec ses couverts d’argent, qu’il ne distinguait pas ses amis d’avec ses ennemis, et perdant tout le respect qu’il m’inspirait encore, j’eus pitié de lui. »

Il écrit presque optimiste :

« Ainsi l’État n’affronte jamais délibérément le sens intellectuel et moral d’un homme, mais uniquement son être physique, ses sens. Il ne dispose contre nous ni d’un esprit ni d’une dignité supérieurs, mais de la seule supériorité physique. »

Il se trompe. L’Etat va changer de tactique pour nous soumettre. A la même époque Tocqueville écrit plus justement :

« Sous le gouvernement absolu d’un seul, le despotisme, pour arriver à l’âme, frappait grossièrement le corps ; et l’âme, échappant à ces coups, s’élevait glorieuse au-dessus de lui ; mais dans les républiques démocratiques, ce n’est point ainsi que procède la tyrannie ; elle laisse le corps et va droit à l’âme. »

Et c’était avant les bombardements médiatiques.

Mais Thoreau reste Thoreau. Gardez pour conclure cette formule magnifique :

« Enfreignez la loi. Que votre vie soit un contre-frottement pour stopper la machine. »

Sources principales :

https://www.institutcoppet.org/wp-content/uploads/2012/01...

http://www.bouquineux.com/index.php?telecharger=2786&...

https://reseauinternational.net/pourquoi-les-usa-nauraien...

https://www.dedefensa.org/article/comment-les-russes-sont...

https://www.amazon.fr/THOREAU-WALDEN-CRISE-MODERNE-LOGEME...

https://www.amazon.fr/Chroniques-sur-lHistoire-Nicolas-Bo...

 

Restaurer ce qui a été perdu il y a longtemps en Suède

AdobeStock_141116210.jpeg

Clemens Cavallin, Johan Sundeen, Lars Eklund : Restaurer ce qui a été perdu il y a longtemps en Suède

Source: https://3droga.pl/felietony/clemens-cavallin-johan-sundeen-lars-eklund-by-przywrocic-to-co-zostalo-utracone-dawno-temu-szwecja/


Pour le développement du conservatisme suédois, un retour profond aux racines culturelles fournies par le catholicisme et à la société civile dynamique créée par les églises protestantes libres est essentiel. Une approche relativiste ou laïque ne suffit pas.

Le conservatisme, dans ses différentes formes, attache une grande importance à la continuité, à l'histoire, à l'organicisme, à la spécificité d'une nation et de sa culture. Une approche conservatrice et prudente du changement - résistant aux projets accélérationnistes et utopiques de transformation révolutionnaire - n'est possible que si les traditions qui lient la génération actuelle à ses ancêtres sont encore vivantes. Mais que signifie le conservatisme lorsqu'une nation a été complètement "modernisée" ? Que peut-on préserver lorsque l'État paternaliste a sapé les institutions naturelles à un point tel que l'enthousiasme pour le changement radical - en d'autres termes, le progressisme - a été intériorisé comme une identité humaine fondamentale ?

Dans une telle situation, le conservatisme devient inévitablement un projet visant à restaurer ce qui a été perdu - et à récupérer ce qui a une valeur durable. Mais quels sont les critères de sélection des traditions et des valeurs à restaurer lorsque ces traditions ne sont plus ancrées dans l'expérience vécue ? Dans une telle situation, le conservatisme ne devient-il qu'une idéologie séculaire, promouvant, entre autres, un certain idéal de société, dépassé de surcroît ?

Ces questions inquiètent de plus en plus l'ensemble du monde occidental, qui radicalise les principes fondamentaux de la modernité, tels que l'autonomie individuelle, le relativisme et la laïcité. Cette intensification est particulièrement évidente en Suède, un pays caractérisé par une alliance entre l'atomisme individualiste, le matérialisme et un État-providence de type Léviathan. En Suède, le socialisme et le libéralisme se sont fondus en une seule mentalité qui valorise l'accélération du changement, tant technologique que moral, et qui recherche - de manière quelque peu contradictoire - une sécurité globale.

Les origines de la "situation suédoise"

La situation actuelle de la Suède est le résultat d'une évolution dans laquelle les institutions des débuts de la modernité ont été transformées de l'intérieur en marchandes d'idéologies radicales. Cela a commencé avec la Réforme protestante au XVIe siècle, lorsque le pouvoir séculier a transformé l'Église catholique supranationale de Suède en une institution nationale subordonnée au pouvoir politique. Bien que le gouvernement ait introduit la liberté religieuse dans les années 1950 et que le système de l'Église d'État ait changé de manière significative en 2000, l'Église luthérienne de Suède est toujours gouvernée par des partis politiques dans le cadre d'élections spéciales de l'Église et est réglementée même en termes de gouvernance, de vérités de la foi, de propriété et de présence géographique en vertu du droit séculier.

Le parti social-démocrate, qui a été au pouvoir presque sans interruption pendant quatre-vingt-dix ans, a décidé au début du vingtième siècle de ne pas poursuivre une séparation complète de l'Église et de l'État, mais plutôt de séculariser et de radicaliser la société par le biais de l'Église. Comme les rois protestants avant eux, les sociaux-démocrates ont comprisl'utilité de l'église nationale en tant qu'institution pour légitimer le pouvoir politique - mais pas en tant que témoin de Dieu et de sa loi éternelle qui pourrait juger l'ordre actuel.

68kyrkan_82081.jpg

À partir des années 1960, le radicalisme de gauche a transformé de manière décisive l'Église de Suède, comme l'a documenté Johan Sundeen dans son livre intitulé "L'Église de 1968" (68-kyrkan : Svensk kristen vänsters möten med marxismen 1965-1989). Les principaux intellectuels protestants ont cherché une synthèse entre le marxisme et le christianisme. Ils ont présenté la révolution culturelle en Chine, la situation au Nicaragua sous le régime sandiniste, et même la dictature communiste en Corée du Nord comme "le Royaume de Dieu sur terre". Bien que cet enthousiasme soit retombé dans les années 1980, l'Église en Suède reste extrêmement politisée.

refv.jpgDans son livre récemment publié, The Way of Reformism : On Social Democracy and the Church (La voie du réformisme : sur la social-démocratie et l'Eglise) (Reformismens väg - om socialdemokratin och kyrkan) le social-démocrate Jesper Bengtsson note avec une certaine satisfaction qu'il n'y a probablement aucune autre institution dans la société occidentale qui ait été transformée dans la même mesure que l'Église de Suède.

Avec la transformation idéologique de l'église nationale dans les années 1960, une approche de gauche a conquis le débat culturel suédois, touchant toutes les sphères de la société. Par conséquent, le débat public ne s'est pas concentré sur le bien-fondé de l'idéologie socialiste, mais sur sa meilleure forme et sur la manière de la mettre en œuvre.

Bien qu'il y ait eu une certaine opposition au socialisme en tant qu'idéal économique, les idées gauchistes ont rapidement laissé leur empreinte sur la politique des partis conservateurs. En 1969, l'ancien parti Högern, la droite, s'est rebaptisé le parti modéré (Moderaterna). Au cours de cette période, ils ont cessé de souligner l'importance des petites communautés et de l'identité nationale, ainsi que le rôle social du christianisme et l'inviolabilité de la vie humaine. Les autres points de rattachement au conservatisme plus conventionnel sont, selon le politologue Jan Hylén, des anomalies dans un parti désormais caractérisé par le libéralisme et l'individualisme.

La vague de socialisme des années 1960, menée par la génération du baby-boom, est importante pour expliquer pourquoi la Suède a souffert pendant des décennies de l'absence d'une opposition conservatrice influente et confiante. En fait, un changement important avait déjà eu lieu au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Des intellectuels et des politiciens de premier plan ont pris leurs distances par rapport aux opinions conservatrices, chrétiennes et néohumanistes, les considérant comme entachées par leur association avec le national-socialisme.

La Suède n'a pas participé à la guerre et n'a donc pas eu à subir le même projet de reconstruction morale et physique que les autres pays après 1945. Ce fait, combiné à l'absence d'une Église jouant un rôle indépendant dans la vie publique, explique en partie pourquoi le christianisme et son projet civilisateur n'ont pas été au cœur du développement politique de l'après-guerre, comme en Allemagne de l'Ouest ou en Italie. Au lieu de cela, le parti social-démocrate a orchestré la "modernisation" rapide de la Suède.

3902345214_6fe3093ae9_b-1.jpg

En outre, après que le long règne de la social-démocratie (qui a commencé en 1932) a finalement - mais seulement temporairement - été brisé en 1976, et lorsque l'empire communiste soviétique s'est effondré une décennie plus tard, le libéralisme plutôt que le conservatisme ou la démocratie chrétienne a triomphé. L'État suédois socialiste fermé s'est desserré, et les monopoles d'État dans les domaines de la télévision, de la radio, des services téléphoniques, de la distribution postale, du transport ferroviaire, des pharmacies et des casinos ont été supprimés. Ainsi, la présence du libéralisme a augmenté dans le mélange libéral-socialiste, mais les principes de base n'ont pas changé.

La dernière version (2020) de la carte de la culture mondiale Inglehart-Welzel, qui repose sur une enquête approfondie des valeurs mondiales, montre clairement que la mentalité suédoise est restée intacte. Sur la carte des valeurs, la Suède occupe toujours le coin supérieur droit, combinant des niveaux élevés de valeurs laïques-rationnelles et d'expression personnelle. Ces valeurs s'opposent aux valeurs traditionnelles et de survie qui caractérisent le coin inférieur gauche opposé, la zone de nombreux pays à majorité musulmane comme l'Égypte, le Yémen et la Jordanie. Au centre, on trouve un mélange de pays européens catholiques comme la Croatie et la Hongrie, ainsi que des pays d'Asie et d'Amérique du Sud comme la Thaïlande, Singapour et le Chili. Le trait le plus frappant est l'extrême mentalité des Suédois en comparaison mondiale, ce qui contraste fortement avec l'auto-évaluation omniprésente des Suédois comme occupant une position idéologique intermédiaire raisonnable.

Néanmoins, un changement de mentalité a été lent à s'opérer en Suède au cours des dix dernières années, lorsque les effets de la persistance de niveaux élevés d'immigration ont fini par provoquer une crise morale nationale. Le caractère inexorable de la modernisation, fondé sur le déclin de la religion et l'affaiblissement des liens familiaux, ne pouvait plus être considéré comme acquis. Dans une telle situation, certains (comme en France) ont naturellement insisté sur une application plus stricte des valeurs modernes. Ironiquement, cela a rendu le libéralisme de plus en plus intolérant. L'adhésion à l'individualisme et à l'idée moderniste de la liberté est obligatoire et doit être imposée. Dans le même temps, une fenêtre d'opportunité s'est ouverte pour les attitudes et les idées conservatrices mettant l'accent sur des liens culturels et historiques plus profonds.

Il y a vingt ans, Svante Nordin, professeur d'histoire des idées, écrivait dans le journal national Svenska Dagbladet que "le conservatisme intellectuel, qui... a joué un rôle si important dans le débat aux États-Unis et en Grande-Bretagne, mais aussi en France et en Allemagne, n'a pratiquement aucun équivalent en Suède". Même des introductions souvent utilisées dans des disciplines telles que l'histoire des idées et la science politique ont traité avec parcimonie - et condescendance - la tradition qui a émergé après l'attaque d'Edmund Burke contre la Révolution française.

Le réveil de la droite

9789177654971.jpgCependant, il y a maintenant des signes d'un réveil intellectuel conservateur. Après des décennies de sommeil, une littérature de qualité est publiée. Par exemple, Modern konservatism : filosofi, bärande idéer och inriktningar i Burkes efterföljd (Modern Conservatism : Philosophy, Main Ideas and Directions in the Wake of Burke) de Jakob E:son Söderbaum, la première vue d'ensemble complète de ce type en suédois, a été publiée en 2020. Il s'agit de l'ouvrage le plus complet d'une vague de publications, dont plusieurs anthologies et recueils d'essais présentant les traditions conservatrices suédoises et continentales.

Malgré cela, le devoir de prudence demeure. Le conservatisme en Suède doit être un projet constructif, qui n'est pas nécessaire là où existent encore des institutions et des coutumes incarnant les principes naturels et transcendants de la moralité et de la vie humaine que suppose l'approche conservatrice. Aujourd'hui, cependant, l'instinct de survie ethnique irréfléchi considère comme acquises - étrangement - précisément des traditions qui ne sont plus vivantes.

Le conservatisme, s'il ne doit pas être une simple défense du "mode de vie suédois" et de "nos valeurs", a besoin de ce que Russell Kirk a exigé - une "base solide". Le premier principe du conservatisme de Kirk est crucial - à savoir que "le conservateur croit qu'il existe un ordre moral durable. Cet ordre est fait pour l'homme, et l'homme est fait pour l'homme : la nature humaine est immuable, et les vérités morales sont permanentes". La reconnaissance d'un tel "ordre moral durable" est un principe fondamental de la civilisation, qui soumet toutes les prétentions et ambitions du pouvoir humain au jugement de ce qui transcende les ambitions et décisions politiques, même celles prises par des majorités absolues. L'alternative est la barbarie, pour laquelle "la force a raison", même si elle est élégamment formulée. Mais comment peut-il y avoir un ordre pour l'homme s'il n'y a pas de Dieu pour le donner ?

kirk-820x550-1.jpg

71oEsSAFMBL.jpg

D'autres principes formulés par Kirk caractérisent la nature prudente de la réforme conservatrice : prudence, précepte, diversité, imperfection, liberté et propriété, communauté volontaire et retenue. Mais ces principes sont moins utiles lorsque (comme dans le cas de la Suède) la modernisation des conversations intellectuelles, des institutions sociales et de la vie familiale a été complète et systématique - à un degré que même la plupart des dictatures communistes européennes n'ont pas réussi à atteindre.

Une raison importante de la situation actuelle de la Suède est la faiblesse des croyances et pratiques religieuses traditionnelles. Selon le World Value Survey, seuls 10% de la population suédoise considèrent que la religion est importante dans leur vie, et moins de 5% pensent qu'il est important que les enfants apprennent leur foi religieuse à la maison.

Dans le premier principe de Kirk - un ordre moral durable - la religion est irremplaçable. L'autorité transcendante de Dieu est le point d'ancrage surnaturel de la prudence conservatrice. Lorsque les institutions religieuses et leurs représentants choisissent de défendre la moralité sans base absolue, mais plutôt comme de simples croyances qui changent avec les méandres de la société moderne tardive - ou, comme en Suède, lorsque les croyances sont en fait le moteur de cette fluidité normative - alors le projet conservateur devient simplement une banale préférence qui peut changer à un rythme plus lent.

Ainsi, si le conservatisme doit être plus qu'une autre forme de politique identitaire, il doit se soucier de principes qui transcendent les cultures particulières. C'est particulièrement le cas lorsque ces valeurs éternelles ne font pas partie de formes de patrimoine développées organiquement, mais doivent être restaurées ou introduites pour la première fois. Affirmer - comme le fait Jakob E:son Söderbaum dans Modern Conservatism - que les conservateurs bien informés s'accordent généralement à dire que le conservatisme est laïque, que le christianisme n'est donc qu'un des nombreux fondements de la civilisation occidentale et que les principes moraux chrétiens n'ont pas plus de prétention à l'universalité que ceux d'autres religions comme l'hindouisme, l'islam ou le shintoïsme, c'est embrasser le relativisme et ignorer la question fondamentale de la "vérité". Selon cette position, le conservatisme ne fait que réformer avec respect la culture et la civilisation dominantes dans une certaine partie du monde. Dans ce cas, la religion ne peut être utile pour défendre un ordre moral permanent créé par l'homme, mais ne fait qu'affirmer les différents ordres moraux qu'elle a établis.

Il est naturel qu'un renouveau conservateur en Suède cherche le soutien de l'Église de Suède, puisque cela signifierait une continuité culturelle reliant plusieurs siècles. Mais il est important de rappeler que la Réforme - qui était une révolution - l'a nationalisée, coupant ainsi ses liens avec l'Église universelle et en faisant un instrument de contrôle politique. Cette séparation de l'Église de Suède de la communauté ecclésiastique au sens large a été poursuivie par le parti social-démocrate au 20e siècle et a finalement été radicalisée par les mouvements révolutionnaires des années 1960.

La situation de l'église nationale suédoise souligne notre thèse principale, à savoir que la Suède illustre de manière unique le problème de l'idéal culturel conservateur d'"enracinement" et de continuité. La modernisation des institutions suédoises - et de la culture inférieure et supérieure - a été si profonde que le renouveau conservateur devra être largement reconstruit. Il est certes plus facile de démolir, mais beaucoup plus difficile de reconstruire. Par conséquent, le conservatisme en Suède, de manière quelque peu perverse, doit se concentrer sur la création de nouvelles institutions : écoles, groupes de réflexion, revues et éditeurs. Et les penseurs conservateurs devront étudier l'histoire de la Suède pour s'en inspirer, de la même manière qu'un universitaire fouille dans des archives poussiéreuses pour trouver de nouvelles idées.

GettyImages_836231844.0.jpg

42776.l.jpg

Dans ce processus de "renouveau conservateur", la religion doit jouer un rôle important, notamment l'héritage catholique de la pré-réforme et la piété des églises protestantes libres. Toutes deux représentent des formes de religion détachées du pouvoir politique et toutes deux ont été réprimées jusqu'à la fin du XIXe siècle. Le retour du catholicisme en Suède, en particulier, a le potentiel de fournir un élément important d'une histoire plus vaste - la récupération de ce qui a été perdu. Dans ce contexte, l'architecture des églises pré-réformées joue un rôle symbolique important, même lorsqu'il ne reste que des ruines suggestives.

L'intérêt actuel pour le conservatisme est largement alimenté par les effets socialement déstabilisants de l'immigration à grande échelle. En 2020. 19,7 % des personnes vivant en Suède sont nées à l'étranger, et dans certaines municipalités, le pourcentage atteint 50 à 60 %. Cela complique évidemment l'idée d'une continuité culturelle locale et souligne le rôle des religions transnationales en tant que porteuses de normes incarnées et de coutumes anciennes. Par exemple, selon un récent sondage du Pew Research Center, seuls 9% des Suédois pensaient qu'il était nécessaire de croire en Dieu pour être moral, alors qu'au Kenya, 95% pensaient que c'était nécessaire ; en Italie, 30% et en Allemagne, 37%. Une fois de plus, cela montre que la Suède est un cas extrême.

4671955709_65cacb8474_c.jpg

L'histoire du retour du catholicisme suédois et de la redécouverte de son héritage perdu est associée à l'émergence d'un nombre stupéfiant d'identités linguistiques et ethniques du monde entier. En revanche, l'Église de Suède est fondée sur une rupture protestante, combinée à une affirmation du changement moderniste et à une idée de l'homogénéité culturelle suédoise qui se désintègre rapidement. Ainsi, le plus grand potentiel d'émergence d'une dynamique religieuse - adaptée au développement du conservatisme suédois - réside dans le dialogue de la société civile formée par les églises libres protestantes avec les profondes racines culturelles et l'universalité de l'Église catholique.

Notes sur les auteurs :

Clemens Cavallin est professeur de religion, de philosophie de la vie et d'éthique.

Johan Sundeen est maître de conférences en histoire des idées.

Lars F. Eklund est titulaire d'une licence en études classiques. Il a été conseiller politique au sein du cabinet du Premier ministre (1991-94) et maire adjoint de la ville de Göteborg, en Suède (1999-2003).

Source : europeanconservative.com

Guerre en mosaïque et opérations à tous les niveaux

dn2aaugjd4l41.jpg

Guerre en mosaïque et opérations à tous les niveaux

Leonid Savin

Source: https://www.geopolitica.ru/article/mozaichnaya-voyna-i-operacii-vo-vseh-sferah

Les doctrines militaires et les méthodes de guerre changent constamment et s'adaptent aux conditions actuelles et aux conflits futurs anticipés. Les États-Unis modernisent constamment leurs documents doctrinaux à cet égard.

Dans le présent document, nous mettons en lumière plusieurs concepts étroitement liés qui ont constitué des doctrines de travail dans l'armée américaine ces dernières années et qui visent à restructurer les capacités du Pentagone et des alliés.

Opérations multi-domaines

La première étape de l'examen sera le concept d'opérations multi-domaines (c'est-à-dire dans plusieurs domaines). Il est détaillé dans un document d'une centaine de pages publié en décembre 2018, intitulé U.S. Army Training and Doctrine Command [i]. L'avant-propos, rédigé par Mark Milley, président des chefs d'état-major interarmées des forces armées américaines, indique explicitement que "les concurrents stratégiques tels que la Russie et la Chine font la synthèse des nouvelles technologies avec leur analyse de la doctrine et des opérations militaires.

Ils déploient des capacités pour combattre les États-Unis à travers de multiples couches de confrontation dans tous les domaines - espace, cyber, air, mer et terre. "Le défi militaire auquel nous sommes confrontés, dit-il, consiste à surmonter les multiples couches de confrontation dans tous les domaines afin de maintenir la cohérence de nos opérations".

En fait, le Pentagone a identifié ses adversaires comme étant la Russie et la Chine. Alors que la Russie modernise ses forces armées à des fins défensives, les États-Unis l'envisagent avec leur propre logique et y voient la préparation d'un conflit militaire dans un avenir proche. D'où également les déclarations actuelles sur l'invasion imminente de l'Ukraine par Moscou.

Naturellement, la Russie ne va attaquer personne, mais les États-Unis se préparent déjà à briser la capacité de défense de notre pays par des moyens militaires, ce qui est l'un des objectifs pour lesquels cette charte a été émise. Il est souligné à plusieurs reprises que "en fin du présent document, la Russie est la menace principale" [ii].

RestoringAmerica.jpg

Alors, que représente en théorie la conduite d'opérations multi-domaines ?

L'idée centrale est la suivante: c'est l'armée américaine, en tant qu'élément de la force interarmées, qui mène des opérations multi-domaines pour gagner la compétition ; si nécessaire, les unités de l'armée pénètrent et désactivent les systèmes anti-accès/déni de zone (A2/AD) de l'ennemi et utilisent la liberté de manœuvre qui en résulte pour atteindre les objectifs stratégiques (victoire) et ensuite forcer un retour à la compétition à des conditions plus favorables.

En d'autres termes, ils parlent de mener des opérations spéciales et de sabotage réellement derrière les lignes de l'ennemi ou dans un territoire sous son contrôle. Les États-Unis disposent d'un Commandement des opérations spéciales distinct, il est donc quelque peu étrange de voir leurs tâches prioritaires transférées à des unités de l'armée.

Le document indique que les principes des opérations multi-domaines reposent sur le principe selon lequel l'armée relève les défis posés par les opérations chinoises et russes dans le cadre de la concurrence et des conflits en appliquant trois principes interdépendants : la posture de force alignée, les formations multi-domaines et la convergence.

La posture de force alignée est une combinaison de la posture et de la capacité à manœuvrer sur des distances stratégiques. Les formations multi-domaines ont la capacité, l'aptitude et l'endurance nécessaires pour opérer dans plusieurs domaines dans des espaces contestés contre un adversaire presque égal.

La convergence est l'intégration rapide et continue des capacités à travers les domaines, le spectre électromagnétique et l'environnement d'information, qui optimise les effets pour une supériorité sur l'ennemi par une synergie inter-domaines et des formes d'attaque multiples, le tout rendu possible par un commandement de mission et une initiative disciplinée. Les trois principes de solution sont complémentaires et communs à toutes les opérations multi-domaines, même si la façon dont ils sont mis en œuvre varie d'un niveau à l'autre et dépend de la situation opérationnelle spécifique.

0mw.jpg

Les forces combinées, telles que conçues par les auteurs, sont destinées à vaincre les adversaires et à atteindre les objectifs stratégiques dans le cadre d'une compétition, d'un conflit armé et lors du retour à la compétition. Ce passage rappelle un ancien manuel de campagne de l'armée américaine, selon lequel la guerre n'est pas seulement menée pendant un conflit armé, mais aussi avant, en temps de paix et après le retour à la paix. Cela ne s'applique pas seulement aux ennemis, mais aussi aux alliés et aux forces neutres. Dans le nouveau document, l'état de paix est changé en état de concurrence.

La Russie est mentionnée 159 fois dans le document, tandis que la Chine est mentionnée 82 fois, c'est-à-dire deux fois moins. Pendant ce temps, d'autres pays que les analystes américains aiment lier à la présence ou aux intérêts russes, comme la Syrie et la Géorgie, sont utilisés une fois chacun, tandis que l'Ukraine l'est trois fois. Taiwan n'est pas du tout mentionné.

Cela suggère implicitement que la défense de l'Ukraine ou de la Géorgie (ainsi que de Taïwan) n'intéresse pas les États-Unis en tant que partenaires à aider. Le véritable objectif est de créer une force militaire si performante qu'elle puisse briser les défenses de la Russie et/ou de la Chine.

On y décrit de manière assez détaillée ce que la Russie fait et pourrait faire en cas de conflit armé. Il est noté que "le centre de gravité opérationnel des actions de la Russie dans une lutte concurrentielle est l'intégration étroite de la guerre de l'information, de la guerre non conventionnelle et des forces armées conventionnelles. La capacité d'utiliser tous les éléments de manière coordonnée offre à la Russie un avantage en matière d'escalade, dans lequel toute réponse amicale s'accompagne d'une réponse plus puissante.

0qqqssffd.jpg

Dans le cadre de la compétition, l'escalade la plus extrême est une transition vers un conflit armé qui favorise un adversaire ayant la capacité de mener une attaque devant le fait accompli avec ses forces armées conventionnelles. La capacité démontrée de mettre en œuvre le fait accompli donne de la crédibilité aux récits d'information russes.

La combinaison de la guerre de l'information, de la guerre non conventionnelle et des forces conventionnelles et nucléaires offre à la Russie une confrontation politique et militaire dans laquelle elle peut obtenir des objectifs stratégiques qui n'impliquent pas un conflit armé avec les États-Unis.

La guerre de l'information et la guerre non conventionnelle contribuent à déstabiliser la sécurité régionale, mais sont insuffisantes à elles seules pour atteindre tous les objectifs stratégiques de la Russie. Cet avantage dans l'escalade fourni par les forces conventionnelles complète la guerre de l'information et la guerre non conventionnelle, permettant à la Russie de conserver l'initiative dans la compétition" [iii].

La référence au fait accompli fait clairement référence aux événements de 2014 et au retour de la Crimée à la Russie. Et l'utilisation du terme "centre de gravité" suggère une continuation du discours caractéristique de la pensée stratégique militaire américaine des années 1990. Dans l'ensemble, la Russie a fait l'objet de nombreuses pages décrivant les capacités techniques, militaires et politiques du point de vue de l'armée américaine. Outre la Russie et la Chine, la Corée du Nord et l'Iran sont mentionnés comme des menaces.

Cependant, que suggèrent les concepteurs d'opérations multi-domaines pour un scénario de guerre hypothétique avec la Russie et la Chine ?

Tout d'abord, le besoin de manœuvrer de manière indépendante, tout en poursuivant les opérations dans un environnement de campagne de théâtre contesté. "Une manœuvre indépendante indique une formation ayant l'aptitude, la capacité et l'initiative d'opérer dans les contraintes de l'environnement opérationnel".

Les formations multi-domaines ont la capacité organique de se soutenir et de se défendre jusqu'à ce qu'elles reprennent contact avec les unités voisines et de soutien. Ils sont soutenus par des capacités telles que des signatures visuelles et électromagnétiques réduites, des canaux de communication redondants protégés du brouillage ennemi, des exigences logistiques réduites, un soutien médical amélioré, des réseaux de soutien multiples, des capacités robustes d'appui aux manœuvres et un camouflage multi-domaines.

Les brigades, les divisions et les corps d'armée, en particulier, ont besoin d'un commandement de mission organique, de reconnaissance et de reconnaissance ainsi que de la capacité de soutenir des opérations offensives sur plusieurs jours malgré des lignes de communication hautement contestées"  (iv].

Le deuxième est le feu de combat inter-domaines. "La capacité de tir inter-domaines offre des options aux commandants et augmente la résilience au sein de la force interarmées pour surmonter la séparation fonctionnelle temporaire imposée par les systèmes de déni et de refus de zone de l'ennemi.

dkch.jpg

En plus des défenses aériennes et antimissiles modernisées et des capacités de tir au sol à longue portée, les formations multi-domaines fournissent des capacités de tir inter-domaines grâce à des systèmes aériens, des systèmes de défense avancés, une défense aérienne et une reconnaissance multicouches, des dispositifs EOD, des munitions multi-spectrales guidées par capteurs, des capacités liées à la cybernétique, à l'espace et à l'information.

Les tirs inter-domaines comprennent les capacités de renseignement et de reconnaissance nécessaires pour les exploiter, ce qui peut inclure une combinaison de capacités organiques et d'accès à des ressources externes. Les tirs interdomaines sont combinés aux progrès nécessaires en matière de mobilité et de létalité dans les futures plates-formes aériennes et terrestres, les réseaux de communication et le traitement des données (vitesse et volume) pour fournir une capacité de manœuvre interdomaines"[v].

Il est également question d'améliorer la qualité du personnel. Ici, il y a un parti pris clair en faveur des nouvelles technologies et un accent sur l'expertise requise dans la main-d'œuvre. "Les capteurs biotechniques qui surveillent la condition humaine et les changements de performance améliorent la compréhension que les commandants ont de leurs unités, éclairent les décisions concernant le rythme et l'intensité des opérations et aident les unités à maintenir et à rétablir leur force physique et psychologique.

Les interfaces homme-machine soutenues par l'intelligence artificielle et le traitement des données à grande vitesse augmentent la vitesse et la précision de la prise de décision humaine. L'utilisation de capacités multi-domaines exige de l'armée qu'elle attire, forme, retienne et recrute des chefs et des soldats qui possèdent collectivement une quantité et une profondeur importantes de connaissances techniques et professionnelles"[vi].

Le document s'appuie sur la convergence et les synergies inter-domaines, reflétant les stratégies de combat antérieures du département de la Défense des États-Unis.

"Le concept d'accès aux opérations interarmées (JOAC) repose sur la thèse de la synergie interdomaines - l'utilisation complémentaire ou simplement additive de capacités dans différents domaines de telle sorte que chacune renforce l'efficacité et compense les vulnérabilités des autres pour établir une supériorité dans une certaine combinaison de domaines qui fournira la liberté d'action nécessaire à l'exécution de la mission"[vii].

Le concept d'accès pour les opérations unifiées implique plus d'intégration entre les domaines et à des niveaux inférieurs que jamais auparavant.

L'utilisation de la synergie inter-domaines à des niveaux de plus en plus bas sera essentielle pour créer le tempo, qui est souvent crucial pour exploiter les capacités locales fugaces afin de perturber un système ennemi. Le JOAC envisage également une intégration plus poussée et plus souple que jamais des opérations dans l'espace et le cyberespace dans les espaces traditionnels de combat aérien, maritime et terrestre.

Ce concept, à son tour, s'appuie sur le précédent concept de pierre angulaire des opérations interarmées (CCJO)[viii].

Il décrit un futur environnement opérationnel caractérisé par l'incertitude, la complexité et le changement rapide. Comme solution à ces conditions, le CCJO propose un processus d'adaptation opérationnelle impliquant une combinaison dynamique de quatre grandes catégories d'activités militaires : le combat, la sécurité, l'engagement et les secours, et la récupération.

Les opérations de combat immédiat reposent sur la neutralisation des systèmes de combat à longue portée de l'ennemi (défenses aériennes, installations de missiles balistiques), le suivi des manœuvres des troupes, la collecte et le traitement rapides de données provenant de différentes zones, la frappe des capacités de renseignement de l'autre camp et l'attaque des cibles à partir de différentes sphères (c'est-à-dire l'utilisation synchrone de différents types de troupes et d'armes).

9788413523569.gifLe général de l'armée de terre à la retraite David Perkins, qui était à la tête du Training and Doctrine Command, a déclaré dans une interview que le concept de bataille multi-domaine était autrefois appelé "du vieux vin dans une nouvelle bouteille" ou "une bataille air-sol sur des stéroïdes".

Une doctrine assez proche est le Joint All-Domain Command and Control (JADC2), un concept du ministère américain de la Défense visant à connecter les capteurs de tous les services militaires - Air Force, Army, Marine Corps, Navy et Space Force - en un seul réseau. Traditionnellement, chacun des services militaires développait son propre réseau tactique qui était incompatible avec les réseaux des autres services (c'est-à-dire que les réseaux de l'armée de terre ne pouvaient pas communiquer avec les réseaux de la marine ou de l'armée de l'air).

Les responsables du DOD ont fait valoir que les conflits futurs pourraient exiger que les décisions soient prises en quelques heures, minutes ou potentiellement secondes, par rapport au processus actuel de plusieurs jours d'analyse de l'environnement opérationnel et d'émission de commandements. Ils ont également fait valoir que l'architecture actuelle de commandement et de contrôle du ministère est insuffisante pour répondre aux exigences de la stratégie de défense nationale.

L'étude du Congrès américain sur le sujet a cité la technologie du service de covoiturage d'Uber comme analogie. "Uber combine deux applications différentes - une pour les passagers et une pour les conducteurs. À partir de la position des utilisateurs respectifs, l'algorithme d'Uber détermine la meilleure correspondance en fonction de la distance, du temps de trajet et des passagers (entre autres variables).

L'application fournit ensuite facilement au conducteur les indications à suivre, conduisant le passager à sa destination. Uber s'appuie sur les réseaux cellulaires et Wi-Fi pour la transmission de données afin de faire correspondre les conducteurs et de fournir des instructions de conduite. "[ix]

Et les opérations unifiées tous domaines (JADO) sont une évolution du concept des opérations multi-domaines (MDO). Il est dit que "JADO incorpore l'énorme potentiel d'une force véritablement intégrée (le point central de MDO) et met à jour le concept pour inclure plusieurs aspects critiques de la façon dont l'OTAN cherche à conduire les opérations futures. Le JADO déplace le centre d'intérêt du "multi-domaine", dans lequel les services individuels ont opéré pendant des décennies, et le ramène à la résolution des défis des opérations interarmées.

CNY_PR26773_LMAPS_16x9_v2.jpg

En outre, étant donné la complexité des systèmes et des capacités interconnectées couvrant plusieurs domaines dans les forces armées d'aujourd'hui, on pourrait faire valoir que la structuration traditionnelle des services basée sur leur domaine opérationnel principal pourrait ne pas s'avérer très utile dans de nombreux scénarios futurs.

Il est probable que le vainqueur sera une force capable de manœuvrer facilement dans tous les domaines et de s'y déplacer de manière synchronisée à une vitesse que l'adversaire ne pourra pas égaler. Compte tenu de ces considérations, il est facile de conclure que le fait d'accorder trop d'importance au domaine réduit l'attention portée à la tâche conjointe de plusieurs services travaillant ensemble de manière transparente dans plusieurs domaines. "[x]

La guerre des mosaïques

En 2017, un nouveau concept de "guerre en mosaïque" a été annoncé aux États-Unis. Le terme a été inventé par Thomas J. Burns, ancien directeur de la Direction de la technologie stratégique de la DARPA, et son ancien adjoint Dan Patt.

Cette théorie est fondamentalement différente du modèle traditionnel des "systèmes de systèmes", que Burns et Patt considèrent comme défectueux car il limite souvent de manière inhérente l'adaptabilité, l'évolutivité et l'interopérabilité.

faparicj1.jpg

Dans une interview, Patt a déclaré : "Le terme "système de systèmes" est souvent utilisé pour décrire des capacités qui ont été conçues dès le départ pour travailler ensemble et fonctionner comme un tout, même s'il y a de nombreux composants - un peu comme le concept d'un puzzle, où de nombreuses pièces spécialement conçues s'emboîtent de manière unique pour former une image cohérente.

L'application des processus classiques de conception et de validation à un "système de systèmes" peut entraîner l'impossibilité d'apporter des modifications futures au système, car chaque pièce est conçue et intégrée de manière unique pour remplir un rôle particulier, et les longs délais de développement nécessaires pour examiner comment chaque modification affecte l'ensemble du système.

La guerre des mosaïques envisage la possibilité d'une composition ascendante, où des éléments individuels (systèmes existants ou nouveaux), comme les carreaux individuels d'une mosaïque, s'assemblent pour créer un effet d'une manière non envisagée auparavant, potentiellement de façon dynamique. Ce concept est conçu pour révolutionner les cycles temporels et l'adaptabilité des capacités militaires"[xi].

La clé sera de combiner les unités avec et sans équipage, de partager les capacités et de permettre aux commandants d'appeler à l'action de manière transparente depuis la mer, la terre ou les airs, selon la situation et quelle que soit la force armée qui fournit la capacité.

Un exemple dans l'aviation serait une série de drones accompagnant une formation de combat typique de quatre chasseurs. L'un des robots ailés pourrait être là uniquement pour brouiller les radars ou utiliser d'autres équipements de guerre électronique.

Un autre peut avoir une charge utile d'armes. Un troisième peut avoir un ensemble de capteurs et un quatrième peut agir comme un leurre. Au lieu de quatre points sur le radar, l'ennemi en voit huit, et il n'a aucune idée des capacités offertes par chacun d'eux[xii].

Dans un autre exemple, le groupe d'opérations spéciales A, derrière les lignes ennemies, découvre un lanceur de missiles sol-air inconnu jusqu'alors. Il a communiqué sa position par radio et le système de commande et de contrôle a automatiquement recherché le meilleur moyen de détruire la cible. Il peut s'agir d'une brigade de l'armée voisine, d'un sous-marin ou d'un avion de patrouille de chasse. Un ordre est envoyé et la meilleure plate-forme pour la mission est appelée à frapper.

Mosaic-picture-with-missing-tiles-but-still-understandable-content_Q320.jpg

Le problème est que chacune de ces plateformes est actuellement conçue pour sa propre mission spécifique. Un autre problème consiste à faire travailler ensemble un grand nombre d'éléments divers et flexibles.

Le concept lui-même semble être né des problèmes d'incompatibilité de certains équipements de combat aux États-Unis. Par exemple, le F-22 Raptor et le F-35 Joint Strike produits par la même société Lockheed Martin avaient des liaisons de données incompatibles.

Dans l'ensemble, la guerre mosaïque est similaire dans sa conception à d'autres concepts de guerre en vogue, tels que les "systèmes de systèmes" ou les opérations multi-domaines conjointes.

La voie de la confrontation

Dans l'ensemble, nous voyons des modèles assez similaires qui diffèrent dans certains détails. Comme l'indique une étude récente, "les concepts de guerre future tels que la mosaïque, le commandement et le contrôle unifiés tous domaines (JADC2) et le système avancé de gestion de la bataille (ABMS) reposeront sur des réseaux d'information et des programmes d'intégration avancés basés sur des logiciels comme base opérationnelle.

Le succès dans les conflits de demain dépendra largement de la façon dont les combattants seront capables d'utiliser et d'adapter tout, des systèmes de contrôle des avions aux ensembles de capteurs, en passant par les réseaux et les aides à la décision. Pour gagner dans un espace de combat dynamique et contesté, les combattants doivent être capables de reprogrammer et de reconfigurer leurs systèmes d'armes, leurs capteurs et leurs réseaux" [xiii].

Il est possible que ces doctrines et concepts soient transformés en quelque chose de nouveau dans un avenir proche. Le travail à ce sujet est déjà en cours. Une étude du Conseil atlantique (une organisation indésirable dans la Fédération de Russie), préparée en tant que projet pour une future stratégie de défense nationale américaine et publiée en décembre 2021, identifie quatre points clés qui, selon les auteurs, devraient être adoptés comme un impératif pour les États-Unis et les partenaires de l'OTAN.

"Le département de la défense doit désormais être compétitif et s'engager dans une guerre hybride offensive. Les États-Unis doivent réagir là où il y a une concurrence avec la Chine et la Russie aujourd'hui, principalement en jouant un rôle plus actif dans la concurrence en zone grise. En conséquence, le Pentagone devrait adopter le paradigme de la concurrence comme un continuum allant de la coopération au conflit armé en passant par la concurrence.

Mais embrasser le continuum n'est pas suffisant ; le ministère de la Défense, en collaboration avec des partenaires interagences le cas échéant, doit se défendre plus agressivement et prendre des mesures offensives dans la zone grise conformément aux valeurs américaines. Taking Advantage articule le concept du continuum de la concurrence et formule des recommandations à l'intention du ministère de la Défense pour façonner l'environnement informationnel et la concurrence dans le cyberespace.

- Les hostilités futures doivent être coopératives, combinées et englober tous les domaines. Les conflits futurs devraient exiger une meilleure intégration de tous les services militaires américains et se dérouleront sur terre, en mer, dans les airs, dans l'espace et le cyberespace, ainsi que sur l'ensemble du spectre électromagnétique.

Elle sera également menée en étroite coordination avec les alliés et les partenaires, qui constituent collectivement l'un des plus grands avantages des États-Unis par rapport à leurs principaux concurrents. Un nouveau concept opérationnel couvrant ce futur champ de bataille est nécessaire.

Tirer parti de l'avantage introduit le "concept de guerre combinée". Il s'agit d'un concept de guerre global, interarmées et combiné, qui englobe dès le départ le rôle, les capacités, ainsi que ceux des alliés et des partenaires.

- Le ministère de la Défense doit créer une force capable de dominer les conflits armés de l'avenir. Le futur champ de bataille sera axé sur les données, mis en réseau et évoluera rapidement. Tant les États-Unis que leurs concurrents stratégiques investissent activement dans des armes cinétiques et non cinétiques révolutionnaires, notamment les vecteurs hypersoniques, les systèmes de combat autonomes, l'énergie dirigée et les outils cybernétiques.

imossaaages.jpg

Si ces armes permettront de neutraliser ou de détruire plus facilement des cibles, trouver ces cibles sera un défi plus immédiat. Par conséquent, les guerres de l'avenir seront probablement remportées par le camp qui saura le mieux exploiter les données disponibles dans tous les domaines et priver un adversaire de la possibilité de faire de même. Saisir l'avantage articule des priorités d'investissement claires pour construire cette force - et des priorités d'aliénation pour se la permettre.

- Le ministère de la Défense doit équilibrer sa structure de forces en passant d'un commandement centralisé à un modèle plus orienté vers le monde. Alors que les États-Unis modifient leur orientation générale, passant du contre-terrorisme à la compétition stratégique, la structure de leurs forces mondiales doit changer en conséquence. L'ère des déploiements multiples et longs par rotation dans la zone de responsabilité du Commandement central est révolue.

Une autre solution consiste à tirer parti de l'introduction d'un modèle de posture équilibré, différencié et en "treillis" qui déplacerait les types d'actifs nécessaires vers l'Indo-Pacifique et l'Europe et s'appuierait sur une structure de défense plus étroitement alignée avec les alliés et les partenaires, réduisant ainsi les risques associés au rééquilibrage américain."[xiv]

En somme, si le réoutillage technique de l'armée américaine est une question de capacité de défense de routine qui dépend de nouveaux types d'armes, les accents géopolitiques sur le théâtre de guerre possible et les futurs adversaires sont un choix politique. Et les doctrines actuelles suggèrent que Washington s'est engagé sur la voie de la confrontation.

Notes:

 

[i]               The U.S. Army in Multi-Domain Operations 2028. TRADOC Pamphlet 525-3-1. U.S. Army Training and Doctrine Command, December 6, 2018.

[ii]              Ididem. Р. vi.

[iii]            Ididem. Р. 11.

[iv]            Ididem. Р. 19.

[v]             Ididem.

[vi]            Ididem. Р. 20.

[vii]           Joint Operational Access Concept (JOAC). Departament of Defense, 17 January 2012. https://dod.defense.gov/Portals/1/Documents/pubs/JOAC_Jan...

[viii]          Department of Defense, Capstone Concept for Joint Operations, v3.0, 15 Jan 2009.

[ix]            Joint All-Domain Command and Control(JADC2). Congressional Research Service, July 1, 2021.

                https://sgp.fas.org/crs/natsec/IF11493.pdf

[x]          All-Domain Operations in a Combined Environment.

                https://www.japcc.org/portfolio/all-domain-operations-in-...

[xi]            Stew Magnuson. DARPA Pushes ‘Mosaic Warfare’ Concept // National Defense, 11/16/2018.

                https://www.nationaldefensemagazine.org/articles/2018/11/...

[xii]          Brad D. Williams. DARPA’s ‘mosaic warfare’ concept turns complexity into asymmetric advantage // Fifth Domain, August 14, 2017.

                https://www.fifthdomain.com/dod/2017/08/14/darpas-mosaic-...

[xiii]          David A. Deptula, Heather Penney. Speed is Life: Accelerating the Air Force’s Ability to Adapt and Win. Policy Paper, Vol. 28, July 2021. Р. 1.

[xiv]          Clementine G. Starling, Lt Col Tyson K. Wetzel, and Christian S. Trotti. SEIZING THE ADVANTAGE: A Vision for the Next US National Defense Strategy. Washington: Atlantic Council. December 2021. Р. 21.

Pour une Europe de l'Atlantique au Pacifique

maxrespemmthodefault.jpg

Pour une Europe de l'Atlantique au Pacifique

Pierre-Emmanuel Thomann

 
Une tribune de Vladimir Poutine, plaidant pour une «Europe de l’Atlantique au Pacifique» a été publiée en 2021 dans le journal Die Zeit, à l’occasion de l’anniversaire de l’offensive allemande contre l’URSS en 1941, il y a 80 ans.
 
Cette tribune démontre que la stratégie géopolitique de la « Grande Eurasie » de la Russie (qui est aussi associée à un pivot vers l’Asie), n’est pas dirigée contre l’Europe, mais offre une réinitialisation des relations entre l’UE et la Russie, pour promouvoir un meilleur équilibre entre la vision euro-atlantiste exclusive d’un grand Occident (sous le slogan d’une « alliance des démocraties » avec les Etats-Unis comme chefs de file) et une « Grande Asie » avec pour centre de gravité la Chine et de son projet des routes de la soie.
 
Vladimir Poutine s'est référé dans sa tribune au général de Gaulle :
« Nous espérions que la fin de la guerre froide serait synonyme de victoire pour l’ensemble de l’Europe. Dans peu de temps, semble-t-il, le rêve de Charles de Gaulle d’un continent uni deviendra une réalité, non pas tant sur le plan géographique, de l’Atlantique à l’Oural, que sur le plan culturel et civilisationnel, de Lisbonne à Vladivostok. »
 
Le général de Gaulle avait promu et anticipé dès les années 60 une Europe de l’Atlantique à l’Oural lorsque la Russie serait sortie du communisme tandis que le chancelier allemand Willy Brandt avait promu l’Ostpolitik pour opérer un rapprochement entre l’Allemagne de l’Ouest et l’URSS et les membres du pacte de Varsovie. L’objectif était de faire baisser les tensions dans le cadre de la guerre froide mais aussi, avec en ligne de mire, l’Allemagne de l’Est pour créer les conditions d’une future réunification.
 

542x840.jpg

L’Ostpolitik a contribué à la chute de l’URSS selon les Allemands. Après la guerre froide, l’Allemagne avait proposé un partenariat économique avec la Russie en 2007 dans le cadre de sa vision d’une « Europe de Lisbonne à Vladivostok ». Plus récemment, Dimitri Medvedev a remis sur la table l’idée d’un traité de sécurité entre l’Europe et la Russie au lendemain de la guerre Russie-Géorgie en 2008 et avait obtenu le soutien (déclamatoire) de Nicolas Sarkozy. Enfin Emmanuel Macron a proposé une nouvelle architecture européenne de sécurité avec la Russie en 2018 .
 
Ces initiatives pour une entente continentale après la guerre froide n’ont pas débouché sur une nouvelle configuration géopolitique européenne, car la vision euro-atlantiste est restée la boussole géopolitique principale des Etats membres de l’OTAN et l’UE. La rivalité géopolitique franco-allemande a aussi empêché de construire une synergie géopolitique franco-allemande. L’Allemagne s’est toujours méfiée jusqu’à présent de la vision du général de Gaulle susceptible de remettre en cause l’ancrage à l’ouest de l’Allemagne et son lien privilégié avec les Etats-Unis. La France s’est aussi inquiétée d’une déplacement du centre de gravité géopolitique européen vers l’Allemagne à l’occasion d’un rapprochement germano-russe.
 
Comment surmonter cet obstacle ? Il y aurait aujourd’hui des avantages géopolitiques tant pour la France que pour l’Allemagne, mais aussi pour leurs partenaires européen à négocier un pivot vers la Russie, afin de ne pas rester enfermés dans la rivalité croissante entre les Etats-Unis et la Chine, mais aussi pour la Russie, d’autant plus que la Russie propose une réinitialisation des relations avec l’Europe de l’Ouest. Un rapprochement franco-russe sur les questions géostratégiques et un rapprochement germano-russe sur les questions économiques, pourraient contribuer à surmonter la fracture en plein cœur de l’Europe avec la Russie. et surmonter la crise ukrainienne, qui est devenue l'otage de la rivalité américano-russe.
 
La réaction de la Russie, qui cherche à desserrer l’étau des crises volontairement provoquées et instrumentalisées par les Etats-Unis et leurs alliées proches de l’OTAN, s’explique aisément par l’angle géopolitique.
 
Les bases de l’OTAN avec des soldats américains et les éléments du bouclier anti-missile sont installées aux frontières de la Russie, tandis que les soldats russes restent cantonnés au territoire de la Russie. Cette asymétrie territoriale est à la base de la perception russe d’encerclement. La position de principe des membres de l’OTAN sur le libre choix des alliances ne contribue en rien à la sécurité européenne, car l’adhésion à l’OTAN, notamment de l’Ukraine et de la Géorgie, servirait précisément à poursuivre le refoulement territorial de la Russie, et parachever son encerclement progressif. Si les Etats-Unis ne veulent pas de traité contraignant sur cette question, c’est bien la preuve qu’ils estiment que cet élargissement pourrait avoir lieu à l’avenir dans des circonstances plus favorables, idéalement après un changement de régime en Russie, par exemple.
 

Black-Sea-copie-FR.png

Pour inciter les membres de l’OTAN et les Etats-Unis à engager des négociations sérieuses et faire émerger une nouvelle architecture de sécurité qui prenne en compte ses intérêts, la Russie a fait des propositions adressées aux Etats-Unis et l’OTAN. La Russie estime qu’elle a été suffisamment patiente, et qu’il était temps de tracer ses lignes rouges face au refus des Etats atlantistes d’engager des négociations substantielles. Ces propositions, l’arrêt de l’élargissement de l’OTAN à l’Ukraine et la Géorgie, mais aussi la limitation des systèmes d’armement en Europe, missiles tactiques et stratégiques sont des propositions de bon sens et correspondent aux intérêts de la France, pour un meilleur équilibre géopolitique européen et mondial. Il s’agit aussi de stopper la dérive qui consiste à faire du projet européen incarné par une Union européenne atlantiste, un instrument contre la Russie sans projet géopolitique propre, d’autant plus que la Russie ne menace pas les Européens. La vraie menace, c'est le djihadisme dans l'arc de crise au sud de l'Europe, qui nécessite la coopération de la Russie.
 
La configuration géopolitique actuelle, si l'on regarde une carte géopolitique démontre la pression que les Etats-Unis et leurs alliés proches de l’OTAN exercent sur la Russie. Cela fait plusieurs décennies, depuis la disparition de l’URSS que les Etats-Unis et l’OTAN cherchent à repousser la Russie dans ses terres continentales avec l’élargissement continu de l’OTAN, et la poursuite de l’encerclement de l’Eurasie (front européen contre la Russie et front Indo-Pacifique contre la Chine), enjeu géopolitique principal pour atteindre les objectifs suivants : afin de maintenir la suprématie des Etats-Unis dans le monde comme chefs de file d’un grand Occident, il s’agit de diminuer le rôle de la Russie et fragmenter l’Europe et l’Eurasie pour torpiller un rapprochement continental.
 
En effet, même si la Chine émerge comme l’adversaire majeur des Etats-Unis, la Russie reste une cible car elle persiste à promouvoir un monde multipolaire et justifie la suprématie des Etats-Unis en Europe. Un arc d’instabilité, avec le concours des Etats fronts et pivots qui servent de base arrière pour la conflictualité hybride (ingérence, soutien aux révolutions de couleur, guerre de communication, installation de bases militaires et livraisons d’armements…) est maintenu au frontières de la Russie d’où les crises en Ukraine, en Géorgie, en Biélorussie et dans le Caucase avec le soutien de la Turquie et jusque sur le territoire russe avec l’affaire Navalny. Les évènements au Kazakhstan en Asie centrale n’ont pas pu être instrumentalisés par les gouvernements atlantistes grâce à l’intervention rapide de l’OTSC.
 
Ni les Etats-Unis, ni les Etats-membres de l’OTAN ne souhaitent de conflit frontal avec la Russie à propos de l’Ukraine, qui n’est pas membre de l’OTAN. De plus, la Russie aurait non seulement une position géographique avantageuse lors d’un tel conflit, mais possède aussi des systèmes d’armes, dont l’arme nucléaire, qui la rend invulnérable sur son territoire et ses approches. Les Etats membres de l’OTAN sont aussi divisés et la France et l’Allemagne, au delà des déclarations d’allégeance à l’OTAN ne sont absolument pas prêtes à s’engager à un conflit avec la Russie. C’est donc la conflictualité indirecte qui est privilégiée, avec l’Ukraine comme proxy, la guerre de communication et les menaces de sanctions économiques et financières.
 
Cette situation ne correspond pas aux intérêts géopolitiques des Européens, qui ont besoin d'une stabilité continentale.
 

TSI-and-Germany-geopolitical-objectives.ppm.png

Sans construire leur propre stratégie géopolitique de manière indépendante des Etats-Unis, les Européens ne pourront pas peser dans le monde et ne seront pas perçus comme des partenaires fiables pour la Russie, qui considère avec raison qu'ils sont alignés sur les priorités géopolitiques des Etats-Unis. L'Union européenne se considérait jusqu'à présent comme complémentaire de l'OTAN et cette doctrine est obsolète.
 
La priorité est aujourd’hui d’éviter une rivalité territoriale dans l’espace géopolitique entre la Russie et l’Union européenne. Au lieu de se focaliser exclusivement sur l’idéologie multilatéraliste, la doctrine du principe de l’équilibre des pouvoirs est plus susceptible d’instaurer la confiance entre les États membres de l’UE et la Russie afin de réaliser des projets communs et d’identifier des normes et des valeurs communes. Les Européens devraient construire leur stratégie d'équilibre à partie de leur propre géographie, c'est à dire un meilleur équilibre entre l'espace euro-atlantique, l'espace eurasien, l'espace eurafricain et espace euro-arctique.
 
Résoudre la tension avec la Russie n’est pas envisageable par des actions au cas par cas, mais par une démarche d’ensemble visant à offrir une place adéquate à la Russie dans le projet européen, à l’inverse du projet euro-atlantiste qui vise à élargir l’Union européenne et l’OTAN à tous les ex-États de l’URSS sauf la Russie et orienter l’Europe de manière exclusive vers les États-Unis.
 
Cette réforme nécessaire de l'Union européenne, se baserait sur le modèle de l’Europe des nations, Il s’agirait d’atteindre un meilleur équilibre géopolitique dans le monde, au niveau pan-européen, mais aussi entre la France et l’Allemagne au sein d’un nouveau noyau franco-germano-russe.
 
A l'occasion de la crise à propos de, la question ukrainienne il y a une occasion formidable à saisir pour reprendre les négociations avec la Russie à propos d’une nouvelle architecture de sécurité européenne, un enjeu essentiel pour les intérêts des européens, dans le prolongement de la vision gaulliste d’une Europe continentale.
 
L’Allemagne et la France et leurs partenaires européens sauront-ils saisir à l'avenir le sens de l'histoire ?