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vendredi, 02 mai 2025

A propos de la mort de Bergoglio

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A propos de la mort de Bergoglio

par Andrea Zhok

Source: https://www.sinistrainrete.info/articoli-brevi/30343-andr...

Les vingt dernières années de pontificat ont, je crois, brossé un tableau dans lequel le déclin de l'influence internationale de la papauté de Rome s'est révélé une évidence.

Les deux derniers pontifes ont tenté des voies complémentaires, en partie opposées, pour redonner une place centrale à l'Église catholique.

Le pape Benoît XVI, au cours de son pontificat de huit ans (2005-2013), a tenté de suivre une voie de consolidation doctrinale avec la restauration de certains facteurs traditionnels. Sur cette voie « traditionaliste », il s'est heurté à une telle résistance dans l'entourage du Vatican qu'il a pris la décision sans précédent d'abandonner le trône papal à vie. Le geste de Benoît XVI s'est voulu emblématique, admonitif.

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La référence au fondateur du principal ordre monastique, saint Benoît, a été conçue par Ratzinger comme un souhait et une inspiration pour une « renaissance » du monde occidental, tout comme les monastères bénédictins en avaient été la matrice après l'effondrement de l'empire romain (la déposition du dernier empereur occidental, Romulus Augustulus, a eu lieu en 473 après J.-C., la composition de la règle bénédictine a eu lieu en 525 après J.-C.). Cet espoir et cette inspiration de Benoit XVI ont échoué. Les papes, comme les souverains du passé, ne règnent jamais seuls, mais ont besoin d'un environnement fonctionnel, d'une « cour », d'un « appareil » efficace adhérant à la « mission », pour pouvoir traduire leur magistère dans les coutumes et les institutions. Et cet environnement s'est avéré inadéquat pour traduire le magistère de Ratzinger.

Le pape Bergoglio était monté sur le trône papal en se référant à une autre figure emblématique, moins décisive sur le plan institutionnel, mais puissante sur le plan idéel : Saint François d'Assise.

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La figure de François, ascétique, mystique, avec des traits presque panthéistes, exprimait un souhait et une inspiration différents de ceux de Benoît, mais connotait également un renouveau radical. L'orientation idéale du pape François visait à soutenir les humbles, les « perdants » du monde moderne, il voulait critiquer l'exploitation de l'homme sur l'homme et de l'homme sur la nature.

L'encyclique « Laudato Si » reste un texte exemplaire, une encyclique d'une grande puissance d'analyse et d'une rare profondeur de message. On cite souvent Laudato Si en la qualifiant d'« encyclique écologique », comme s'il s'agissait d'une des nombreuses manifestations de « greenwashing » qui entachent le discours public actuel. Mais celui qui prend la peine de le lire y trouve une extraordinaire richesse analytique, une intégration du thème de l'environnement dans celui de l'exploitation économique générale, une critique des mécanismes du capital, de la domination de l'économie financière sur l'économie réelle, de la domination technocratique, une critique des prétendues « solutions de marché » à la dégradation écologique (telles que les « crédits carbone »), et bien d'autres choses encore.

Mais au-delà des espoirs initiaux, les douze années de pontificat de Bergoglio ont à nouveau montré l'énorme difficulté qu'éprouve la papauté d'aujourd'hui à proposer avec succès un message autonome.

Les traits du magistère de Bergoglio qui ont été repris et promus sont tous et seulement ces quelques traits de « libéralisation des mœurs “ (ex : les ouvertures LGBT avec la lettre au Père Martin) et d'amplification du récit courant (ex : l'adhésion à la lecture dominante sur le Co vid) qui correspondaient à une image de ” modernisme » stéréotypé. Les nombreuses autres positions inconfortables sur le capitalisme financier ou les questions internationales, d'Israël à la Libye, de l'Iran à la Russie, ont été mises en sourdine, parfois même censurées.

L'impression générale est que les deux derniers pontificats ont montré deux tentatives - intellectuellement solides et spirituellement élevées - de redonner une place centrale au catholicisme romain et à son message historique.

La première tentative, aux connotations plus « conservatrices », s'est rapidement heurtée à la paralysie.

La seconde tentative, à connotation plus « progressiste », a été réduite à une impuissance substantielle dans tous les domaines où elle ne ramait pas dans le sens du courant - où « courant » désigne les modes idéologiques favorisées par les oligarchies financières anglo-américaines.

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On peut tout dire de Ratzinger et de Bergoglio, mais certainement pas qu'ils ont été des papes manquant d'inspiration, de préparation ou de caractère. Loin de là.

Pourtant, il est difficile de dire que, deux décennies plus tard, le statut, idéal et opérationnel, du christianisme catholique a gagné en centralité ou en autorité.

Personne ne sait ce que nous réserve la prochaine fumée blanche du conclave, mais je pense qu'il est sage de ne pas trop attendre.

Les conditions historiques ne semblent pas être telles qu'elles permettent à un nouveau pontife, quelles que soient ses éventuelles qualités préclariques, d'inverser une tendance stagnante. Et le problème n'est pas que « le pape n'a pas de divisions militaires », comme l'a dit Staline à Jalta : les « leviers spirituels » peuvent faire des choses extraordinaires.

Mais les leviers spirituels sont cette « force faible » qui ne fonctionne que lorsqu'elle repose sur un point d'appui spirituel à l'intérieur des personnes. Et aujourd'hui, je ne parierais pas sur la diffusion d'un tel point d'appui, même parmi ceux qui habitent les salles des palais du Vatican....

 

mardi, 22 avril 2025

L'évaporation du christianisme

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L'évaporation du christianisme

par Diego Fusaro

Source : Diego Fusaro & https://www.ariannaeditrice.it/articoli/la-evaporazione-del-cristianesimo

Bergoglio nous a quittés hier à l'âge de 88 ans. Cette perte douloureuse nous offre tout de même l'occasion de faire quelques considérations générales sur sa figure et sur la manière dont il a géré l'Église de Rome ces dernières années. La première précision nécessaire concerne le fait que Bergoglio, techniquement, n'a jamais été Pape : comme nous l'avons montré largement dans notre livre "La fin du christianisme", Benoît XVI n'a jamais renoncé au munus petrinum, mais a seulement renoncé au ministerium : expliqué en termes très simples, Ratzinger a renoncé à exercer le rôle de Pape sans jamais renoncer à ce rôle. Avec la conséquence évidente qu'il est resté jusqu'à la fin Pape : pour cette raison, l'élection de Bergoglio en 2013 a été un acte nul plutôt qu'invalide. Comme chacun le sait, il ne peut y avoir qu'un seul Pape, et l'on ne fait pas de nouveau Pape tant que celui en fonction n'est pas mort ou n'a pas renoncé au munus, pas au ministerium. Ainsi, en fin de compte, le siège papal est vacant depuis le 31 décembre 2022.

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En ce qui concerne la manière dont Bergoglio a administré l'Église, nous nous contenterons ici également de résumer ce que nous avons écrit dans notre livre mentionné précédemment, nous pouvons dire qu'il a favorisé de toutes les manières les processus en cours d'évaporation du christianisme, promouvant une néo-église intelligente et liquide, post-chrétienne et ouverte à l'immanence, tout en se fermant intégralement à la transcendance. La religion de Bergoglio a été une religion du néant, sous la forme d'un nihilisme post-chrétien qui a de fait contribué à vider complètement le christianisme, le réduisant à une simple couverture idéologique de la globalisation libérale-progressiste.

Si Ratzinger avait héroïquement résisté à l'évaporation du christianisme, mettant au centre la tradition, la philosophie et la théologie, et pour cela étant continuellement combattu par l'ordre dominant, Bergoglio a agi de manière diamétralement opposée et c'est pour cette raison qu'il a été dès le départ le favori de l'ordre hégémonique : au lieu de résister à l'évaporation du christianisme, il l'a favorisée de toutes les manières. Dans les années soixante-dix, Pasolini notait que le christianisme était à un carrefour fondamental, le cristallisant ainsi : soit le christianisme repartira des origines et de l'opposition à un monde qui ne le veut plus, soit il se suicidera et se dissolvera dans la civilisation de la consommation. Avec Ratzinger, nous avons assisté à la tentative de donner vie à la première hypothèse de Pasolini. Avec Bergoglio, au contraire, nous avons constaté le triomphe de la seconde.

jeudi, 31 octobre 2024

Evola et le catholicisme

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Evola et le catholicisme

Troy Southgate

Source: https://troysouthgate.substack.com/p/evola-and-catholicis...

Une lettre écrite en mai 1945 par Julius Evola à un ami catholique, le père Clemente Rebora (1885-1957) (portrait, ci-dessous), donne un aperçu fascinant de l'état d'esprit du philosophe traditionaliste au lendemain des blessures qu'il avait subies lors d'un bombardement à Vienne.

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Bien que le prêtre rosminien et ancien poète athée ait rendu visite à Evola à l'hôpital quatre jours auparavant, pour lui demander s'il souhaitait l'accompagner en train à Lourdes - ce qui a donné lieu plus tard à la spéculation erronée selon laquelle Evola était sur le point de se convertir au catholicisme - ce dernier a écrit pour dire que, bien qu'il soit reconnaissant de l'offre qui lui était fairte d'entreprendre un tel voyage, cela impliquerait ipso facto que tout ce qui l'intéressait était d'obtenir la grâce qui ne mènerait à rien de plus que la possibilité de guérison de ses blessures physiques. Bien que, pour de nombreuses personnes, cela semble être une raison parfaitement compréhensible de visiter le célèbre sanctuaire pyrénéen, il poursuit en expliquant que

"S'il fallait demander une grâce, ce serait plutôt de comprendre le sens spirituel de ce qui s'est passé, que cela reste ainsi ou non, et plus encore de comprendre la raison pour laquelle il faut continuer à vivre".

Après tout, la raison précise pour laquelle Evola s'était exposé à toute l'horreur d'une attaque aérienne soutenue des Alliés était précisément de répondre à cette question. Le résultat, bien sûr, suggère qu'en dépit du fait qu'il ait été confiné dans un fauteuil roulant pendant les vingt-neuf années suivantes, un rôle crucial l'attendait encore. Comme il l'expliquera plus tard dans les pages de son autobiographie, Il cammino del cinabro (1963):

« Rien n'a changé, tout s'est réduit à un empêchement purement physique qui, en dehors des soucis pratiques et de certaines limitations de la vie profane, ne m'a pas du tout affecté, mon activité spirituelle et intellectuelle n'étant en aucune façon altérée ou ébranlée ».

La guérison d'Evola était donc bien moins importante que sa capacité à poursuivre le Grand Œuvre.

samedi, 01 juin 2024

Bruckberger et l’abdication de l’Eglise

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Bruckberger et l’abdication de l’Eglise

par Nicolas Bonnal

J’ai déjà écrit sur son livre-brulot, sa Lettre à Jean-Paul II (pape dont il attendait beaucoup, et qui a masqué plus que ralenti l’effondrement terminal de la bâtisse), et je vais encore insister et compléter. Bruckberger tape lourd et il l’a fait en dépassant Guénon: il voit le mal se glisser dans l’Eglise depuis le treizième siècle. Remarquez, Guénon a parlé de l’affaire des Templiers (mais sans trop viser l’Eglise) dans son Autorité spirituelle, et Huysmans avait écrit que tout dégénérait depuis ce treizième siècle dit des cathédrales. Les plus lucides reliront Dante.

Bruckberger attaque d’abord le Concile de Vatican II – sans qu’on puisse le suspecter de traditionalisme ou autre.

«Commettez allégrement tous les crimes ou laissez allégrement commettre tous les crimes contre la foi, contre les sacrements, contre les commandements de Dieu, ne vous laissez surtout pas intimider ! Invoquez publiquement le concile, l'esprit conciliaire, les réformes soi-disant issues du concile, et vous voilà aussitôt, non seulement justifié, mais hors de toute atteinte, hors de cause, au-dessus de tout Soupçon; vous échappez automatiquement à toute juridiction, rien ne peut vous être reproché.»

images.jpgPuis notre courageux auteur (scénariste du Dialogue des carmélites qui résonne comme une Fin initiatique de la France médiévale – façon Adrienne-Sylvie de Nerval) s’est rendu compte que tout allait déjà mal depuis un certain temps tout de même :

« Je pense souvent à l’Angleterre au XVIème siècle, au moment où, sous la pression de la monarchie, l'Eglise d'Angleterre s'est séparée de Rome, sans que l'ensemble du peuple catholique anglais s'en aperçoive. Il y a eu le chancelier Thomas More qui a versé son sang. Mais il n'y a eu qu'un évêque, un seul, l'évêque Fischer de Rochester (tableau, ci-dessous), qui a osé dénoncer l'imposture du changement de religion. Lui aussi est mort martyr. Combien y avait-il d'évêques en Angleterre en ce temps-là ? »

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Depuis combien de siècles en fait le roi est-il nu ?

On se rend compte que déjà il n’y avait pas trop de héros. Le christianisme était depuis Innocent III au moins affaire d’organisation, de surveillance et de répression, pas de grands élans.

Mais restons-en au Concile :

« De quoi s'agissait-il, sinon de changer la substance de la religion catholique, de rejeter l'autorité du pape, mais encore plus de transformer le sacrifice de la messe en un service de communion ? Je pense que beaucoup de ces évêques étaient de braves gens. Malheureusement en certaines circonstances, et quand on a des responsabilités de commandement, être un brave homme ne suffit pas. Quant au bon peuple, il a tendance à suivre ses chefs immédiats… »

Le vernis craquait déjà (Bayle, Fontenelle…) sous Louis XIV. C’est La Bruyère qui parlant du dévot écrit dans les Caractères que c’est un homme qui sous un roi athée serait athée. Et Feuerbach qui parle du masque de la religion qui a remplacé la religion. Macluhan explique cela avec son homme typographique. On reprogramme l’occidental typographique depuis Gutenberg, c’est tout.

Bruckberger compare l’Eglise à une entreprise qui a mal tourné et masque son bilan ou décide de faire autre chose. Entreprise qui écrirait pince-sans-rire :

« MESURES A LONG TERME

REMPLACER DISCRETEMENT LE PRODUIT ACTUEL PAR UN PRODUIT NOUVEAU, QUI ASSURERA LA RECONVERSION ET L'AVENIR DE L'ENTREPRISE. »

Ensuite Bruckberger parle de complot des technocrates à l’intérieur de l’Eglise (technocrate me semblerait presque un compliment, mais bon…) :

« La leçon de la parabole est claire. Quelle qu'ait été l'intention de Jean XXIII et de Paul VI - et cette intention n'a aucune espèce d'importance en regard de ce qui s'est passé dans la réalité il y a eu complot de technocrates à l'intérieur de l'Eglise pour, à l'occasion et sous le couvert du dernier concile, purement et simplement changer la religion catholique, en changer discrètement mais sûrement la substance. C'est ce complot que nous dénonçons sans relâche… »

Il cite même un journaliste plus conscient du problème que le bourgeois catho de base (le seul à « pratiquer » - mot atroce -, le reste ayant disparu, je veux dire le peuple, notamment paysan, de Farrebique) :

« Alain Woodrow est un autre chroniqueur religieux du Monde. Il a publié un livre intitulé : l’Eglise déchirée. Dès la première page, il écrit : « Le christianisme est en miettes, morcelé à la suite de schismes religieux et politiques qui ont jalonné son histoire; il est en train de se dissoudre sous l'action corrosive des sciences humaines, de se transformer en un folklore de la société actuelle. » Humainement, c'est très bien vu et c'est incontestable. »

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Sauf que le folklore suppose des costumes, du savoir-faire, des danses, des efforts et des sacrifices physiques, tout ce qui a disparu...

Bien entendu, tout va bien. Tout va toujours très bien:

« Bien entendu, les évêques français, qui l'ont menée au point d'exténuation où elle se trouve, ne l'admettront jamais. Ils vous affirmeront dur comme fer que l'Eglise de France ne s'est jamais mieux portée. Ils vous joueront l'envers du Malade imaginaire. L'Eglise de France en est au dernier état d'un cancer généralisé, ils vous jureront la main sur le cœur qu'elle va très, très bien. »

C’est le raisonnement des Shadocks de notre jeunesse : il n’y a pas de solution car il n’y a pas de problème.

Bruckberger va citer « le grand savant laïc » (entièrement d’accord, voyez mes textes) Lévi-Strauss qui remarque timidement dans une interview:

« C. LÉVI-STRAUSS. C'est l'appauvrissement du rituel qui me frappe. Un ethnologue a toujours le plus grand respect pour le rituel. Et un respect d'autant plus grand que ce rituel plonge ses racines dans un lointain passé. Il y verra le moyen de rendre immédiatement perceptibles un certain nombre de valeurs qui toucheraient moins directement l’« âme » si l'on s'efforçait de les faire pénétrer par des moyens uniquement rationnels. Louis XIV a dit, dans son testament, en s'efforçant de justifier le cérémonial de la Cour, des choses assez profondes : qu'on ne peut pas demander à tout le monde d'aller au fond des choses. Il faut qu'il y ait des expressions sensibles. »

Lévi-Strauss ajoute plus loin (car le journaliste est bouché…) :

« J’entends bien que tout rituel doit évoluer. Une société religieusement vivante serait une société capable d'enrichir son rituel. Mais les tentatives de renouvellement - du moins ce que vois quand j'assiste à des messes d'enterrement ou de mariage ne paraissent pas très convaincantes. »

Ce pas très convaincant, le bourgeois en fait son ordinaire quand il célèbre des mariages à 100.000 ou 200.000 euros. Bruckberger ajoute :

« On ne peut dire plus clairement, ni avec plus de prudence et de gentillesse, qu'en France, la réforme liturgique issue du dernier concile est un fiasco. Un grand savant agnostique s'en dit troublé. Nos évêques, eux, n'en sont nullement troublés : même si elle devait entraîner la mort du patient, ils nous forceraient à tenir la bouche ouverte jusqu'à ce que toute la potion soit avalée. Un grand savant explique ce qu'Aristote nous avait depuis longtemps appris : qu'il n'est rien dans l'intelligence qui ne soit d'abord tombé sous le sens, et que tout ce qui touche la sensibilité, surtout si ça vient de loin, doit être modifié avec la plus grande prudence. Les évêques n’en ont cure… »

Les évêques n’ont cure de rien. Remarquez, c’est ce que dit Léon Bloy dans tout son journal, et nous sommes toujours là, alors pourquoi paniquer ?

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Puis il y a plus grave. Bruckberger remonte dans le Temps pour constater comme je le fais souvent que les choses étaient pourries depuis longtemps ; les jésuites, les temps baroques ? Non, non, le siècle de Saint-Louis avec son Inquisition et ses croisades antichrétiennes dévastatrices :

« Bernanos avait coutume de remarquer qu'une civilisation tombe en décadence quand la fin y justifie les moyens. En ce sens il y a longtemps que la civilisation chrétienne est en décadence. La décadence a commencé au XIIIème siècle avec l'Inquisition, elle a atteint son zénith avec la casuistique jésuite aux XVIème et XVIIème siècles. Mais nous avons dépassé ce stade, nous l'avons dépassé de très loin. »

Et de parler de Himmler et de Lénine avec l’Inquisition :

«Aujourd'hui, on sait de manière certaine que Himmler, chef et organisateur de la Gestapo, Lénine lui-même, ont lu et étudié le Manuel des inquisiteurs. Le système était là tout entier : ils n'ont eu qu'à l'utiliser sur une immense échelle et à l'industrialiser. Mais le système était là, ce n'est pas eux qui l'ont inventé, il était là, complet, exprimé dans une langue juridique admirable: avec l'usage de la torture physique pour arracher des aveux, le conseil de dire le faux pour savoir le vrai ; l'instigation à la délation et la récompense du délateur. Ce n'est pas parce que les ennemis de l'Eglise ont maintenant utilisé ce système sur une très grande échelle, à l'échelle de la « mass production » et de la « mass distribution », ce n'est pas parce que, en notre siècle, ils ont industrialisé la torture et la délation, industrialisé dans les camps de concentration et dans l'archipel du Goulag le mensonge et la violence, que l'origine de ce système en est moins souillée. Et l'origine de ce système, c'est l’Inquisition officiellement patronnée par les papes… »

Michelet avait tout dit. Je me cite :

« Tout finit au douzième siècle ; le livre se ferme… », termine Michelet qui remarque qu’un système périclitant comme celui de l’Eglise – ou de la démocratie bourgeoise à notre époque -  a tendance à devenir totalitaire et dangereux :

« Les anciens conciles sont généralement d’institutions, de législation. Ceux qui suivent, à partir du grand concile de Latran, sont de menaces et de terreurs, de farouches pénalités. Ils organisent une police. Le terrorisme entre dans l’Église, et la fécondité en sort. »

La dure ou molle réalité c’est qu’on se fout de tout (à une époque où le vaccin Bourla devient un acte d’amour…) :

« Désormais tous les crimes sont possibles : on les trouvera aussi naturels que de voir l'eau couler sous les ponts. La civilisation chrétienne est morte. Les évêques français l'ont portée en terre collégialement. Ils ne savent plus ce qu'ils font. Car on ne voit pas ce qui peut remplacer la civilisation chrétienne. Quand elle est morte, c'est aussi l'humanité qui meurt en l’homme. »

Le terme (sic) qui résonne le mieux alors, c’est celui d’abdication :

« Vous apprendrez à connaître nos évêques de France, nos chefs spirituels. Vous ne serez pas long à voir qu'ils ont pratiquement abdiqué cette mission essentielle de l’Eglise, de donner aux hommes des raisons de vivre, et éventuellement de mourir. Bernanos disait d'un clergé devenu socialiste qu'il fait ainsi la preuve qu'il ne sait plus parler qu'aux ventres. Voilà pourquoi la voix de ce clergé est si confuse, elle n'a aucune raison d'être distinguée, dans le concert cacophonique de toutes ces voix qui ne s'adressent jamais en l'homme qu'à Son ventre : ses puissances digestives et sexuelles. Comme si l’homme n'était rien d'autre. »

Abdication c’est peut-être trop noble, cela fait penser à Charles X. Parlons de retraite alors.

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Un autre bon chrétien, mort comme tant d’autres en quatorze, écrivait avant la Grande Guerre:

 « C’est toujours le système de la retraite. C’est toujours le même système de repos, de tranquillité, de consolidation finale et mortuaire. Ils ne pensent qu’à leur retraite, c’est-à-dire à cette pension qu’ils toucheront de l’État non plus pour faire, mais pour avoir fait. Leur idéal, s’il est permis de parler ainsi, est un idéal d’État, un idéal d’hôpital d’État, une immense maison finale et mortuaire, sans soucis, sans pensée, sans race. Un immense asile de
vieillards. Une maison de retraite. Toute leur vie n’est pour eux qu’un acheminement à cette retraite, une préparation de cette retraite, une justification devant cette retraite. Comme le chrétien se prépare à la mort, le moderne se prépare à cette retraite. Mais c’est pour en jouir, comme ils disent. »

Sources principales :

Charles Péguy, « Note conjointe sur M. Descartes et la philosophie cartésienne » (1914, posthume), dans Œuvres complètes de Charles Péguy, éd. La Nouvelle Revue française, 1916-1955, t. 9, p. 250

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mercredi, 31 janvier 2024

Léon Bloy contre-attaque

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Léon Bloy contre-attaque

Par Eugenia Arpesella  

@eugeniarpe

Source: https://revistapaco.com/leon-bloy-contraataca/

Pour sa prose extemporanée, pour son catholicisme extrême, pour être antimoderne et réactionnaire, pour être un saint, un prophète et un égaré, Léon Bloy (1846-1917) a été jeté, avec son œuvre, dans l'oubli littéraire. Il est possible qu'il s'agisse d'un oubli un peu forcé, produit d'une opération de censure largement consensuelle. En tant que critique littéraire, Bloy a descendu presque tous les écrivains et intellectuels français de son époque. Aujourd'hui, pourtant, Bloy pourrait être le saint patron des annulés. Mais le drap du fantôme du politiquement incorrect serait trop court pour lui, et s'il voyait de ses yeux le pétrin dans lequel nous nous sommes fourrés, il s'en servirait volontiers pour se pendre.

Il y a dix ans, à la stupéfaction des cardinaux, le Pape François l'a sorti des catacombes dans sa première homélie en tant que pape, dans la chapelle Sixtine : "Quand on ne confesse pas Jésus-Christ, je me souviens de la phrase de Léon Bloy : "Celui qui ne prie pas le Seigneur, prie le diable"". En Argentine, entre-temps, il est difficile de trouver ses livres, les Journaux sont épuisés et ses romans et essais peuvent, avec un peu de chance, être consultés sur le web, et pas nécessairement parce qu'ils ont si mal ou si peu vieilli. La bonne nouvelle est que la maison d'édition de Bucarest vient de publier Sobre la tumba de Huysmans, traduit pour la première fois en espagnol par Nicolás Caresano, qui est également chargé des notes et du prologue de l'édition. Il s'agit de l'un des derniers livres publiés par Bloy de son vivant, qui rassemble les comptes rendus critiques qu'il a rédigés sur les romans de Joris Karl Huysmans, un auteur contemporain avec lequel il entretenait une amitié compliquée.

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Après la mort de Huysmans, en 1913, Bloy, dans un geste lapidaire, publie ce livre. "Les pages qui suivent marquent deux époques", explique Bloy. "Les premières ont été écrites avant la conversion de Huysmans, lorsque, plein d'espoir et sans prévoir les atroces tribulations qu'il me réservait, je le choyais avec délicatesse. Les autres expriment l'amer désenchantement qui a suivi. A la fin de cette préface à la première édition, Bloy se justifie : "On me reprochera peut-être de manquer de respect à un défunt. La mort, disait Jules Vallés, n'est pas une excuse. Les notes du traducteur donnent des indications intéressantes sur le tempérament de Bloy et sur son sens des relations publiques. Par exemple, Caresano précise que Jules Vallés avait publié les premiers articles socialistes et anticléricaux de Bloy dans son journal La Rue. Mais lorsque Bloy se convertit au catholicisme, il lui rendit la pareille en le qualifiant de "délinquant capable de jeter Homère dans les toilettes".

L'amitié entre Bloy et Huysmans semble avoir été intéressée, surtout de la part de Bloy, qui voyait en Huysmans un converti plutôt qu'une promesse littéraire. La publication du roman A rebours (que Michel Houellebecq évoque longuement dans Soumission) enthousiasme Bloy au point qu'il en fait l'éloge, à l'étonnement de beaucoup : "Je ne vois pas de roman qui déclare plus résolument cette alternative : ou bien nous nous muons en bêtes, ou bien nous contemplons la face de Dieu".

Disciple d'Émile Zola, que Bloy avait baptisé "le crétin des Pyrénées", Huysmans était comme la brebis égarée qu'il fallait récupérer et ramener au bercail. Plus tard, la dérive littéraire et spirituelle de Huysmans vers le satanisme a fait que l'amitié entre les deux, comme l'a expliqué Bloy plus haut, a littéralement sombré dans l'enfer. On ne peut comprendre son radicalisme vis-à-vis de Huysmans, et celui de toute son œuvre, sans considérer l'histoire de sa fervente conversion. Dans sa prime jeunesse, Léon Bloy avait été un athée et un anticlérical forcené jusqu'à ce qu'il rencontre Barbey D'Aurevilly, écrivain monarchiste et conservateur réputé, qui devint son mentor spirituel et littéraire et l'accompagna sur le chemin de l'initiation au catholicisme. Initiation qui, comme on le sait chez les croyants, est un chemin total, absolu. Mais la foi de Bloy est celle du Calvaire, celle du Vendredi saint, celle de la nuit noire. "Je ne ressens jamais la joie de la résurrection. Je vois toujours Jésus à l'agonie", écrit-il dans son Journal. L'amour du Christ est l'amour de la Vérité, et cette Vérité, dira Bloy, se trouve dans la souffrance. La souffrance du Christ crucifié entre deux voleurs, la pauvreté qu'il a lui-même endurée tout au long de sa vie. Bref, sa conversion n'a pas été une conversion de splendeur, de joie, de paix, de réconciliation.

c8a6965691df69d6575e8846b117ffb597d299d21a95192f45df41b2a81b67d0.jpgÉcrivain catholique, ou plutôt journaliste catholique, pamphlétaire et auteur de libelles, il s'est lancé dans l'écriture comme un prophète désespéré et malveillant : toute son œuvre est un grand défi aux valeurs de la modernité, cette déchirure de l'histoire dont les fruits ont été autant de poisons pour l'esprit. Le suffrage universel, la science, le progrès, la république, le matérialisme, l'immanentisme comme précurseur de l'individualisme récalcitrant, l'art, la littérature, le catholicisme mou et sentimental, sans parler de Luther et de la Réforme protestante ! Il s'est donc battu en duel contre tout ce qui, pour lui, éloignait irrémédiablement les hommes du mystère, de la transcendance, c'est-à-dire de Dieu. L'essayiste Roberto Calasso résume bien cette croisade morale et de principe : Bloy s'est attaché à fustiger les bourgeois hypocrites, les intellectuels éclairés et, surtout, les âmes tièdes et en paix avec elles-mêmes. "Qu'est-ce qu'avoir bonne conscience ? C'est être convaincu qu'on est une parfaite canaille", écrit-il dans son Journal. Terriblement pauvre, il se comportait lui-même comme un misérable et le savait mieux que quiconque : "Je mendie comme un voleur à la porte d'une ferme qu'il a l'intention d'incendier". Certains critiques suggèrent qu'il y a toujours quelque chose de sacré dans la colère de Bloy, rappelant le Christ contre les pharisiens et contre les marchands du temple.

En revanche, Franz Kafka l'admirait, tout comme Jorge Luis Borges. Le "Miroir des énigmes", publié dans Autres inquisitions, rend justice au Bloy non racheté. Mais l'un des meilleurs portraits de l'écrivain français est peut-être celui du père Leonardo Castellani, jésuite et écrivain argentin : "Il est facile de rire de Léon Bloy. Autrefois, je me moquais de lui, ce saint plus impatient que le mauvais larron ! La somme d'injures, d'imprécations et d'épithètes qui lui sont tombées dessus de son vivant est énorme et, à Dieu ne plaise, justifiée. Ah, le malheureux ! Mais la misère est une chose sérieuse. On ne peut pas rire de la misère. Jésus-Christ, dans sa passion, était littéralement misérable. Tout ce qui est suspendu à un arbre est maudit, dit la Loi. C'est ainsi que le monde d'aujourd'hui s'est moqué de Bloy et de Jésus-Christ.

Dans le prologue de Sur la tombe de Huysmans, Caresano pose la question que nous nous posons tous si nous sommes arrivés jusqu'ici : qu'est-ce que ce vieux sage et carcaman a à nous offrir aujourd'hui ? Quels abîmes de notre présent ce prophète du 19ème siècle peut-il éclairer ? Son héritage", dit Caresano, "nous enseigne encore qu'il n'est pas possible d'affirmer sans nier en même temps, d'admirer sans mépriser implicitement et que, parfois, la seule façon d'atteindre le centre profond d'une époque est de se déplacer vers les marges". L'une des qualités intemporelles de Bloy est peut-être son affront à l'exercice de la critique et à ses implications dans le monde de la culture, c'est-à-dire le coût que peu sont prêts à payer aux dépens d'un relativisme dépourvu de sainteté. Le "politiquement correct" ne cache-t-il pas des intérêts ? Affirmer simultanément l'un et l'autre et en tirer la conclusion qui intéresse le plus le pouvoir en place, n'est-ce pas une affaire détournée ? "Celui qui ne prie pas le Seigneur...".  En l'invoquant lors de la messe inaugurale de son pontificat, le pape François a renouvelé un affront au pharisaïsme de notre époque, plus courroucée et stridente que celle de Bloy, mais tout aussi déserte.

jeudi, 28 septembre 2023

Trois méditations sur Charles de Foucauld

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Trois méditations sur Charles de Foucauld

par André Murawski

Il est des hommes dont la vie édifie leurs contemporains et jusqu’aux générations suivantes. La vie et les gestes de ces hommes peuvent être légendaires. Ils peuvent être exemplaires. Ils sont toujours héroïques, suivant toutes les déclinaisons de l’héroïsme. On songe à Plutarque écrivant les Vies parallèles. On songe aux nombreux recueils intitulés DE VIRIS ILLUSTRIBUS, ces vies des hommes illustres où se sont essayés tant d’auteurs, de l’Antiquité au XIXe siècle, de Cornelius Nepos à Victor Espitallier, de Suétone à l’abbé Lhomond, de Jérôme de Stridon à Isidore de Séville. Il est des hommes dont la vie appelle la méditation.  

Charles de Foucauld est un de ces hommes-là. Né le 15 septembre 1858, il mourut assassiné le 1er décembre 1916, à l’âge de 58 ans. 58 années pendant lesquelles on peut affirmer qu’il vécut plusieurs vies. Sur le plan professionnel d’abord où il fut tour à tour officier de cavalerie, explorateur, puis religieux catholique. Sur le plan intellectuel ensuite où il fit œuvre de géographe avant de devenir linguiste. Sur le plan spirituel enfin où, croyant fervent dans l’enfance, il s’éloigna de la religion et devint agnostique, avant de suivre son chemin de Damas, se convertir à la foi catholique, devenir prêtre, puis ermite et mourir en martyr en terre d’islam.  

Cette vie extraordinaire suggère de nombreuses méditations. L’une d’elles pourrait porter sur la manifestation de la Grâce qui permit à cet homme égaré de revenir progressivement à Dieu. Une autre pourrait considérer les différences entre la doctrine sociale de l’Eglise et le volontarisme colonialiste en France sous la IIIe République. Une autre encore nous inviterait à réfléchir à la réalité du choc des civilisations, permanente et impitoyable.  

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PREMIERE MEDITATION : Touché par la Grâce, Charles de Foucauld donna une nouvelle dimension à sa vie.  

La famille de Foucauld était issue de vieille noblesse française, et pouvait s’enorgueillir de plusieurs ancêtres ayant participé aux Croisades, ainsi que d’un arrière-grand-oncle de Charles qui avait été parmi les victimes des massacres de septembre pendant la Révolution. A l’âge de 5 ans 1/2, l’enfant perdit sa mère, puis son père et, bientôt, sa grand-mère paternelle, et ce sont ses grands-parents maternels, ainsi que sa tante et des cousines qui prirent soin de sa sœur et de lui.  

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Cet orphelinat précoce pesa-t-il sur la santé physique et psychologique de Charles ? Bon élève, il commença à s’éloigner de la foi vers 15 ans, en 1873, et cette période dura près de 12 ans. Il s’en ouvrit à un ancien compagnon d’armes, Henry de Castries, dans une lettre du 14 août 1901 : « Je demeurais douze ans sans rien nier et sans rien croire, désespérant de la vérité et ne croyant même pas en Dieu. (…) Je vivais comme on peut vivre quand la dernière étincelle de foi est éteinte[1]. » Au cours de cette période, il mena une vie dissipée et, même, dissolue, bien qu’il réussît le concours de Saint-Cyr et devint officier de cavalerie. Cependant, Charles de Foucauld ayant multiplié les frasques, l’armée finit par le placer temporairement en position « hors cadre ».  

En ce temps-là, l’Eglise catholique définissait la Grâce comme « un don surnaturel que Dieu nous accorde, à cause des mérites de Jésus Christ, pour nous aider à faire notre salut[2]. » On distinguait la Grâce actuelle, secours passager envoyé par Dieu à l’âme pour l’aider à éviter le mal et à faire le bien, et la Grâce habituelle qui « demeure en notre âme et la rend juste et sainte aux yeux de Dieu[3]. »  

De multiples Grâces successives furent-elle envoyées à Charles de Foucauld ? Un premier changement intervint dans sa vie quand il apprit que son régiment avait été engagé pour réprimer une insurrection dans le Sud-Oranais. Réintégré à sa demande, il fit campagne pendant 6 mois au cours desquels il se révéla un bon officier, soucieux de ses hommes.  

Ayant ressenti l’appel du désert, il démissionna de l’armée pour explorer le Maroc, pays alors fort mal connu des chrétiens qui ne pouvaient s’y rendre sous peine de mort. Se faisant passer pour juif, Charles de Foucauld commença le 10 juin 1883 un périple qui dura onze mois à l’issue desquels il reçut la médaille d’or de la société de géographie de Paris pour la qualité de ses travaux. Il explora ensuite le Sahara en Algérie entre septembre 1885 et février 1886. Oscar Mac Carthy, conservateur de la bibliothèque d’Alger, fit l’éloge de ce travail dans une lettre au secrétaire de la Société de Géographie de Paris : « Faites à M. de Foucauld les honneurs de la Société de Géographie de Paris ; il les mérite sous tous les rapports ; on a rarement, bien rarement, aussi longtemps et aussi bien travaillé[4] ».  

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Rentré en France, il subit l’influence de sa cousine, Marie de Bondy, et rencontra l’abbé Huvelin, célèbre confesseur qui allait œuvrer à sa conversion. Charles de Foucauld entama alors un long chemin fait de mortifications et de recherche de perfection chrétienne. Lisant les Pères du désert, méditant les Evangiles et l’exemple du Christ, visitant les Ordres religieux et la Terre Sainte, il confessa à Henry de Castries, dans une lettre du 14 août 1901 : « Je me suis dit… Que peut-être cette religion n’était pas absurde ; en même temps, une grâce intérieure extrêmement forte me poussait ; je me mis à aller à l’église, sans croire, ne me trouvant bien que là et y passant de longues heures à répéter cette étrange prière : Mon dieu, si Vous existez, faîtes que je Vous connaisse[5]. »  

Ordonné prêtre le 9 juin 1901, il retourna en Algérie afin d’y mener finalement une vie érémitique à Tamanrasset à partir de 1905. Il s’en était expliqué auprès de son confesseur et directeur de conscience, l’abbé Huvelin, dans une lettre du 7 mai 1900 : « Je vous ai écrit d’Akbès ce que j’entrevoyais pour moi : mener avec quelques compagnons la vie de la Sainte Vierge dans les mystères de la Visitation : c’est-à-dire sanctifier les peuples infidèles des pays de mission en portant au milieu d’eux, en silence, sans prêcher, Jésus dans le Saint-Sacrement et la pratique des vertus évangéliques[6] ». Mais les conceptions du Père de Foucauld, qui étaient aussi celles de l’Eglise catholiques, allaient se heurter à la conception républicaine de la colonisation.  

DEUXIEME MEDITATION : Le progressisme républicain triomphant face à l’Eglise une, sainte, catholique et apostolique.  

Les gouvernements de l'époque du mercantilisme jusqu’à la Révolution française avaient ajouté à l’apostolat les besoins du commerce pour justifier le colonialisme du point de vue moral. Mais dans la France de la IIIe République, de nouvelles doctrines de nature impérialiste étaient apparues. Certains adaptèrent les théories de Darwin à l’expansionnisme qui devint alors un fait « naturel » : « il en est des nations comme des espèces et des individus ; l’élimination des peuples arriérés par les peuples évolués et à leur profit est en dernière analyse bénéfique à l’ensemble de l’humanité[7] ».  

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Une philosophie de la colonisation fut associée à des théories économiques. Par exemple, l’économiste Paul Leroy-Beaulieu écrivait que « les capitalistes courent (…) de moindres risques dans les colonies qui sont des prolongements de la métropole[8] ». Sur le plan politique, la plupart des républicains français cultivaient à l’égard des populations indigènes des sentiments tranchés. On sait l’engagement très fort de Jules Ferry en faveur de la colonisation, là où les conservateurs français, mais aussi la gauche de Clémenceau, y étaient hostiles. La considération dans laquelle Jules Ferry tenait les peuples colonisés était peu fraternelle, si l’on en juge par le célèbre discours qu’il prononça le 28 juillet 1885 devant la Chambre des députés, dont le compte rendu des débats indique notamment : « Monsieur Jules Ferry : Il faut dire ouvertement qu’en effet, les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures. » Et plus loin : « Monsieur Jules Ferry : Je répète qu’il y a pour les races supérieures un droit, parce qu’il y a un devoir pour elles. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures… (Marques d’approbation sur les mêmes bancs à gauche – Nouvelles interruptions à l’extrême-gauche et à droite). »  

Sur le plan religieux, l’évangélisation des indigènes qui s’est faite parallèlement à la colonisation a pu donner l’impression d’une collusion entre les missionnaires et les colonisateurs. C’est oublier qu’en France, la IIIe République a été fort peu favorable à l’Eglise catholique, et que les administrateurs coloniaux étaient le plus souvent francs-maçons[9]. Depuis l'avènement de la République en 1871, l’administration française était opposée à la conversion des musulmans, et Monseigneur Lavigerie, ardent partisan de la conquête des âmes, était regardé avec suspicion[10]. Dans une lettre du 22 novembre 1907 à l’abbé Hugelin, le Père de Foucauld déplorait la situation issue de cette politique : « Ce que voient les indigènes, de nous, chrétiens, professant une religion d’amour, ce qu’ils voient des Français incroyants criant sur les toits fraternité, c’est négligence, ou ambition, ou cupidité – et chez presque tous, hélas, indifférence, aversion et dureté[11] ».  

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Loin des considérations d’ordre économique, stratégique ou humanitaire, le Père de Foucauld défendait un point de vue catholique et fort différent : « Pour les musulmans, c’est affaire de longue haleine. Il faut faire d’eux intellectuellement et moralement nos égaux, ce qui est notre devoir[12]. » Il expliqua ses conceptions à sa cousine, Marie de Bondy, dans une lettre du 7 janvier 1902 : « Je veux habituer tous les habitants, chrétiens, musulmans, juifs et idolâtres, à me regarder comme leur frère universel. Ils commencent à appeler la maison « la fraternité » (la Khaoua, en arabe) et cela m’est doux[13] ».  

Ouverture chrétienne du cœur contre intérêts bien pensés. Toute la différence entre la doctrine sociale de l’Eglise et le colonialisme de la IIIe République apparaît quand on confronte les deux discours. Mais la doctrine sociale de l’Eglise pouvait-elle rencontrer un écho au sein de la civilisation de l’islam ? Peut-être le Père de Foucauld en doutait-il quand il exposa ses conceptions dans sa « Règle » de juin 1896 : « 1° Reproduire aussi fidèlement que possible la vie de Notre Seigneur Jésus Christ à Nazareth. 2° Mener cette vie en pays infidèles, musulmans ou autres, par amour pour Notre-Seigneur, dans l’espoir de donner notre sang pour son nom[14] ».  

TROISIEME MEDITATION : Le choc des civilisations ne distingue pas entre les individus.  

Le concept de choc des civilisations s’est imposé peu à peu après la parution, en 1996, de l’ouvrage éponyme de Samuel Huntington, professeur à l’université d’Harvard et expert auprès du Conseil national américain de sécurité sous l’administration Carter. Dans ce livre, Samuel Huntington considère que le monde bipolaire issu de la guerre froide et de l’affrontement Est-Ouest est devenu multipolaire, et que les oppositions idéologiques se sont effacées pour céder la place à des oppositions culturelles, c’est-à-dire principalement religieuses et, en partie, ethniques.  

Selon Huntington, au XIXe siècle, « les Européens ont déployé beaucoup d’énergie intellectuelle, diplomatique et politique à concevoir des critères servant à évaluer si les sociétés non occidentales étaient assez « civilisées » pour être acceptées comme membres du système international dominé par l’Europe[15] ». Huntington précise que « civilisation et culture se réfèrent à la manière de vivre en général[16] », et que « une civilisation représente l’entité culturelle la plus large[17] ». Mais qu’en est-il des chocs ? Evoquant la bataille de Lépante, Fernand Braudel les a décrits d’une façon imagée en notant « ces chocs sourds, violents, répétés, que se portent les bêtes puissantes que sont les civilisations[18] ». Et ce sont en effet des « chocs » que se sont portés dans l'histoire l’islam et la chrétienté, de la première conquête arabe à la bataille de Poitiers, des Croisades à la chute de Constantinople, de la Reconquista à l’occupation turque de la Hongrie, de la libération de Vienne par Jean III Sobieski à la colonisation de l’Algérie.  

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Le choc des civilisations se manifesta en Algérie dès le début de l’administration française. Une politique d’assimilation impliquait que les indigènes soient soumis au code civil français. Or, l’islam donnait aux musulmans « un statut personnel relavant des lois coraniques : pour devenir des citoyens français, il aurait fallu qu’ils consentissent à y renoncer[19] ». Bien peu se souviennent que la France de Napoléon III avait offert la nationalité française aux Algériens, dans un sénatus-consulte de 1865 dont l’article 1er était ainsi rédigé : « L’indigène musulman est Français ; néanmoins, il continuera d’être régi par la loi musulmane. Il peut être appelé à des fonctions et emplois en Algérie. Il peut sur sa demande être admis à jouir des droits de citoyen Français, en étant régi par les lois civiles et politiques de la France[20] ».  

« Mais les musulmans tinrent à rester eux-mêmes. En cinq ans il y eut seulement 250 demandes d’accession à la citoyenneté française ! Et, entre 1865 et 1899, il n’y eut que 1131 naturalisations, les demandes d’accession à la citoyenneté française émanant essentiellement de militaires de carrière[21] ». A titre de comparaison, quand, « en 1870, le décret Crémieux accorda la citoyenneté française aux Israélites, ceux-ci se conformant au code civil français, il y eut 37000 bénéficiaires[22] ». Et c’est parce que les musulmans choisirent de rester eux-mêmes que la généreuse initiative du Père de Foucault échoua finalement devant le choc des civilisations, entraînant la mort du bâtisseur de la Khaoua, de la Fraternité.  

41WYX451QRL._SX195_.jpgLe Père de Foucauld était lucide. Il connaissait la force de l’islam, comme il le narra à Henry de Castries le 8 juillet 1901 : « L’islam a produit en moi un profond bouleversement. La vue de cette foi, de ces hommes vivant dans la continuelle présence de Dieu, m’a fait entrevoir quelque chose de plus grand et de plus vrai que les occupations mondaines… Je me suis mis à étudier l’Islam, puis la Bible[23] ». Il pria sans doute souvent, ainsi qu’il l’écrivit dans son « Diaire », le 17 mai 1904 : « Je vous recommande de toute mon âme la conversion des Touaregs ; je vous offre ma vie pour eux, la conversion du Maroc, des peuples du Sahara, de tous les infidèles[24] ». Pourtant, il était sans illusions et le fit savoir à Marie de Bondy, le 7 septembre 1915 : « Il y aura demain dix ans que je dis la messe à Tamanrasset, et pas un seul converti ![25] »  

Peut-on rendre l’homme différent de ce que sa nature fait de lui ? Tout au long de son ermitage, le Père de Foucauld avait entretenu des relations de respect mutuel avec les populations locales, allant jusqu’à faire œuvre de linguiste notamment dans ses études sur la langue des Touaregs, et il jouissait de l’estime et de la considération des autochtones. Mais en juin 1916, une grande partie de la population du Sahara et du Sahel se souleva contre les Français. Le 1er décembre 1916, un Touareg connu du Père de Foucault trahit sa confiance et permit à des Senoussistes d’investir le fortin où il était réfugié. C’est pendant le pillage que le Père de Foucauld fut tué d’une balle dans la tête, sans que les circonstances de sa mort n’aient jamais été clairement établies. Le capitaine de la Roche laissa le récit de ce qu’il trouva à son arrivée à l’ermitage, le 21 décembre 1916 : « Les assassins avaient emporté tout ce qui avait pour eux quelque valeur. Par terre gisait dans un désordre indescriptible ce qu’ils avaient dédaigné – quelques livres, un chemin de croix fait de planchettes, le chapelet du Père et un petit ostensoir qui semblait encore contenir l’hostie[26]. »  

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Quand le choc des civilisations se réalise, les ennemis ne témoignent d’aucun respect ni pour les hommes, ni pour leur culture, ni pour les symboles de leur foi. Après la mort du Père de Foucault, ses amis Touaregs entrèrent en dissidence contre l’armée française. On peut être édifié par la vie de Charles de Foucault. On doit aussi tirer une leçon de sa mort.  

Notes:

 [1] Jean-François Six, Charles de Foucauld aujourd’hui, Editions du Seuil, 1966 

[2] Auguste Boulenger, La doctrine catholique, Clovis, 2021 

[3] Ibid 

[4] Jean-François Six, Charles de Foucauld aujourd’hui, Editions du Seuil, 1966 

[5] Ibid 

[6] Jean-François Six, Charles de Foucauld aujourd’hui, Editions du Seuil, 1966 

[7] Encyclopaedia universalis, Colonialisme et anticolonialisme, Editions Encyclopaedia Universalis, 1980 

[8] Ibid 

[9] https://fr.wikipedia.org/wiki/Missions_catholiques_aux_XIXe_et_XXe_si%C3%A8cles#Le_fait_colonial 

[10] https://fr.wikipedia.org/wiki/Missions_catholiques_aux_XIXe_et_XXe_si%C3%A8cles#Le_cardinal_Lavigerie_et_les_P%C3%A8res_blancs 

[11] Jean-François Six, Charles de Foucauld aujourd’hui, Editions du Seuil, 1966 

[12] André Castelot, L’Almanach de l’histoire, Perrin, 1962. 

[13] Jean-François Six, Charles de Foucauld aujourd’hui, Editions du Seuil, 1966 

[14] Ibid  

15] Samuel P. Huntington, Le choc des civilisations, Odile Jacob, 1997 

[16] Ibid 

[17] Ibid 

[18] Renaissance catholique, Le choc des civilisations, Contretemps, 2009 

[19] Claude Sicard, Le face-à-face islam-chrétienté, François-Xavier de Guibert, 2008 

[20] Ibid 

[21] Ibid 

[22] Idid 

[23] Jean-François Six, Charles de Foucauld aujourd’hui, Editions du Seuil, 1966 

[24] Ibid 

[25] Ibid 

[26] Ibid.  

vendredi, 21 juillet 2023

La théologie de Tolkien contre les idéologies

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La théologie de Tolkien contre les idéologies

par Roberto Presilla

Source : Avvenire & https://www.ariannaeditrice.it/articoli/la-teologia-di-tolkien-contro-le-ideologie

Nous anticipons l'éditorial du philosophe Roberto Presilla qui ouvre le numéro 2/2023 de Vita e Pensiero, le bimensuel culturel de l'Université catholique du Sacré-Cœur.

Cinquante ans après sa mort, l'œuvre de Tolkien reste l'un des grands chefs-d'œuvre de la littérature. Le nombre d'exemplaires vendus et de traductions place le vieux professeur d'Oxford sur un pied d'égalité avec un autre écrivain anglais au succès certain, ce William Shakespeare dont Tolkien a discuté les choix linguistiques. Par rapport au public, la critique a évolué assez lentement : il existe aujourd'hui quelques revues académiques consacrées aux études sur Tolkien. Comme toujours, des tendances opposées émergent dans le débat, à l'instar de ce qui s'est produit au cours des dernières décennies parmi les fans. Le pendule de l'histoire montre de grandes variations : il va des "camps hobbits" de certains partisans des mouvements de droite, il y a des décennies, à l'utilisation que les communautés hippies ont faite de Tolkien dans les années 1960, en l'interprétant comme un précurseur du "flower power". Dans ce sillage, on peut aussi lire, peut-être, le choix d'Amazon Prime Video, qui a proposé une dramatisation dans une clé inclusive (avec la série The Rings of Power). S'il est évident qu'une telle opération fait appel, au moins en partie, à la collaboration des héritiers, il est tout aussi clair que les grands classiques - Shakespeare docet - sont relus et réinterprétés, parfois avec des effets qui, à terme, peuvent s'avérer intéressants.

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Dans le cas de la série télévisée, cependant, on assiste à une simplification (excessive) de la profondeur philosophique et théologique de Tolkien, au nom de priorités "morales" qui sont étrangères à sa vision. On lit dans Tolkien ce que son propre cadre de référence idéologique suggère. Ainsi, la droite italienne a lu Tolkien à partir de la leçon d'Elémire Zolla et d'autres, tandis que les jeunes hippies américains l'ont inclus dans leur propre critique du capitalisme. Cependant, comme l'écrivait G.K. Chesterton dans The Banner of the Broken Sword, "quand les gens comprendront-ils qu'il est inutile de lire sa propre Bible si l'on ne lit pas aussi celle des autres ?": il est facile de lire un texte en y superposant son propre point de vue, en oubliant les mises en garde que la méthode philologique - certainement pratiquée par le professeur Tolkien - suggérerait.

Les érudits peuvent eux aussi tomber dans la même erreur : pensez à ceux qui discutent du "paganisme" de Tolkien et qui se demandent si le légendaire professeur est "catholique". Dans une lettre adressée au père Robert Murray en décembre 1953, Tolkien écrit que Le Seigneur des Anneaux est fondamentalement une œuvre religieuse et catholique ; je n'en étais pas conscient au début, je l'ai été pendant la correction" (Reality in Transparency. Letters 1914-1973, lecture 142). C'est pourquoi, ajoute l'écrivain, il a pratiquement effacé toute référence à quoi que ce soit de "religieux".

Si l'écrivain est catholique et considère son œuvre comme telle, comment résumer sa vision ? On peut esquisser une tentative à partir de l'essai sur les contes de fées (Sulle fiabe, in Albero e Foglia), qui présente le mécanisme narratif de l'eucatastrophe, qui dément la "défaite finale, et qui est donc évangile". L'eucatastrophe conjugue la vertu d'espérance et la vision providentielle, avec une saveur théologique certaine. Tolkien est parfaitement conscient du fait que les histoires - et l'Histoire - ne peuvent être optimistes, mais doivent plutôt s'accommoder du péché, du mal, de la corruption : le "happy end" de nombreux films est la version simpliste et quelque peu mensongère de l'eucatastrophe, le renversement espéré d'une situation qui s'ouvre sur une issue heureuse, sans pour autant effacer la souffrance et la destruction.

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L'arc narratif du Seigneur des Anneaux est structuré autour d'une eucatastrophe, à plusieurs niveaux. L'anneau unique n'est pas détruit par Frodon, qui ne peut finalement pas résister à la tentation: c'est Gollum qui s'en empare, se mord le doigt, puis plonge dans l'abîme et détruit l'anneau. Beaucoup d'épisodes sont donc de petites eucatastrophes [...] : de toute façon, ce n'est pas l'habileté stratégique ou la prévoyance qui garantit la victoire, qui est d'ailleurs rarement indolore. C'est le contraire qui se produit pour ceux qui sont perdus : Saroumane, par exemple, est un sage qui cherche à maîtriser le réel en exploitant les moyens à sa disposition. Grâce à un Palantír - une pierre capable de communiquer à distance - il a l'illusion d'étudier l'Ennemi, mais son esprit est corrompu par la vision répétée de la puissance de Sauron, qui insinue dans son esprit la soif de pouvoir et en même temps la peur, consumant peu à peu sa capacité à discerner les traces de l'œuvre d'un Autre dans les événements de l'histoire. La peur et la soif de pouvoir mènent au désespoir : la seule défense est l'espoir, l'humble conscience de la providence en action.

Tolkien, en conteur expert, sait traduire ce concept en histoires - chaque geste de miséricorde ou de bonté portera ses fruits - et cette attitude le rapproche d'autres écrivains catholiques, tels que Manzoni. Ainsi, Gollum, bien que dévoré par la passion de l'Anneau, est plus mesquin que méchant, et est sauvé à plusieurs reprises, même par Frodon, parce qu'il suscite la compassion. C'est cette pitié qui transforme providentiellement Gollum d'antagoniste en sauveur de la Terre du Milieu. Le combat s'inscrit également dans une tension spirituelle. Dans cette perspective, c'est Faramir, à bien des égards alter ego de Tolkien lui-même, qui donne voix aux convictions de l'écrivain en déclarant qu'il n'aime ni les armes ni la gloire, mais seulement les gens qui doivent se défendre contre un ennemi maléfique.

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Cette conception providentielle repose sur une vision proche de celle d'Augustin. Le mal n'est pas le contraire du bien, mais la négation du bien, sa diminution : c'est pourquoi le mal ne peut être combattu avec les armes que le mal lui-même a forgées. Ce concept, qui traverse toutes les histoires du corpus de Tolkien, est également explicité ailleurs : dans une lettre à son fils Christopher de septembre 1944 (Reality in Transparency, op. cit. 81), critiquant sévèrement la diabolisation des adversaires allemands, Tolkien commente : "You cannot fight the Enemy with his Ring without turning yourself into an Enemy too" (On ne peut pas combattre l'ennemi avec son anneau sans se transformer soi-même en ennemi). Et plus tard, écrivant à Rayner Unwin en octobre 1952 (Reality in Transparency, op. cit. 135), Tolkien commente ainsi le premier essai atomique effectué par le Royaume-Uni: "Le Mordor est au milieu de nous. Et je suis désolé de devoir souligner que le nuage bouffi récemment créé ne marque pas la chute de Baradur, mais a été produit par ses alliés - ou du moins par des gens qui ont décidé d'utiliser l'Anneau à leurs propres fins (bien sûr excellentes)".

On ne peut pas penser contrer les effets de la corruption en recourant à ce qui corrompt: l'Anneau ne peut pas réaliser le bien parce qu'il a été créé pour soumettre le bien à un dessein de pouvoir. Mais la création est belle, et le deuxième monde d'Arda l'est aussi : Tolkien contemple avec fascination la beauté de la création, la variété des arbres et des paysages. Et, obéissant à la même logique que celle qui gouverne ses personnages, le narrateur insère Tom Bombadil, la figure la plus énigmatique de l'œuvre, régulièrement oubliée dans les adaptations cinématographiques. C'est facile à faire, car Tom Bombadil ne sert apparemment pas l'histoire. Mais il chante toute la journée, il connaît et aime la nature sans prétention de domination. Ainsi, dans son lien avec la terre non corrompue, il ne peut être victime de la volonté de puissance que l'Anneau sait nourrir et canaliser. La meilleure façon de célébrer Tolkien est peut-être de se rappeler que Frodon et Gandalf, eux aussi, au milieu de leurs aventures, ont été divertis par Tom Bombadil.

samedi, 07 janvier 2023

Note sur le décès du Pape émérite Benoît XVI

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Note sur le décès du Pape émérite Benoît XVI

par Andrea Zhok

Source : Sfero & https://www.ariannaeditrice.it/articoli/nota-a-margine-alla-morte-del-papa-emerito-benedetto-xvi

Bien que l'auteur n'ait aucun titre pour parler d'une institution millénaire, dont il n'est même pas membre, l'histoire de la dyarchie entre Benoît et François, manifestement et ouvertement liée à des conflits de pouvoir au sein de l'Église catholique, signale un changement culturellement remarquable - et en tant que changement culturel, il nous concerne tous, catholiques et non-catholiques.

Dès le choix des noms, les orientations de Ratzinger et de Bergoglio étaient évidentes, et manifestement divergentes.

Se référer à Benoît de Norcia, fondateur de l'ordre monastique bénédictin, signifiait se référer à cette colonne vertébrale de la culture chrétienne et européenne qu'étaient les monastères en tant que lieux de prière et de travail ('ora et labora'). Ces monastères préservaient la culture des anciens et constituaient un modèle de communauté encore exemplaire aujourd'hui. L'étude, la contemplation, le travail, la spiritualité, la conservation et la communauté sont ici les références fondamentales.

Se référer à François d'Assise signifie plutôt se référer à un modèle d'Église anti-institutionnel, paupériste et révolutionnaire. Ce n'est pas un hasard si le choix de Bergoglio est isolé : c'est la première fois qu'un pape décide de prendre ce nom, car saint François était à l'origine un saint excentrique, à la limite de l'hérésie, mais finalement ramené dans le courant de la tradition et de l'Église. Se référer à François signifiait aller idéalement dans une direction innovante, se libérer des incrustations du passé, s'afficher "démocratique".

Bien sûr, les deux personnages historiques, Benoît de Norcia et François d'Assise, sont de grands exemples de vertu et de vision, et sont donc tous deux extraordinairement dignes d'un renouveau et d'une re-proposition de leur profond message. Nous ne sommes donc certainement pas ici pour organiser un "concours de beauté" entre les saints afin de déterminer qui est le "meilleur".

Cependant, cette dyarchie, qui a été une question éminemment politique, avec la démission de Benoît et l'avènement de François présente un aspect culturellement intéressant si nous la plaçons, comme nous devons le faire, dans le processus historique général actuel d'imposition de la raison libérale en Occident.

Le théologien Benoît représente d'une certaine manière le visage classique du rôle de l'Église: l'Église comme une ancre, un rocher auquel s'accrocher, comme une institution très ancienne enracinée dans l'histoire, capable d'intégrer diversement des instances et des cultures plurielles, mais sans jamais perdre de vue son propre sens de la continuité.

L'accusation de l'institution ecclésiastique d'être un "frein conservateur au progrès" est en quelque sorte un topos, une figure de l'esprit, et une thèse qui n'est pas sans raison: il ne fait aucun doute que l'Église n'a jamais été animée par un quelconque élan révolutionnaire (ayant une révolution spirituelle à ses origines) et, au contraire, qu'elle a toujours fait place avec effort, prudence et précaution à chaque innovation, de la doctrine sociale de l'Église, au modernisme, au Concile Vatican II.

Mais, comme toujours, le rôle d'une vision ou d'une institution change fondamentalement en fonction du contexte dans lequel elle opère.

Et quel est le contexte d'aujourd'hui, dans lequel l'Église du 21ème siècle opère?

Il s'agit, du moins en Occident, d'un contexte d'accélération technologique, technocratique, subjectiviste, scientiste frénétique, un processus de dissolution systématique des liens, de déracinement, d'effacement du passé, de dissolution de l'identité. Cette tendance est étroitement liée à ce processus séculaire qu'a été l'évolution du capitalisme anglo-américain, qui, au cours du dernier demi-siècle, a acquis une connotation d'impérialisme culturel dans tout l'Occident (et dans les parties occidentalisées du reste du monde, comme le Japon urbain).

En soi, le fait de s'inspirer autant de la tradition de François que de celle de Benoît XVI aurait pu, en principe, constituer un éloignement des tendances contemporaines. Après tout, François est le saint "anticapitaliste" par excellence, par son message et son exemple, et de plus, le Bergoglio sud-américain aurait pu bénéficier des leçons de l'Amérique latine, où la perception populaire de l'Empire américain comme une menace persistante est une caractéristique fondamentale.

Le pape, il ne faut jamais l'oublier, est certes un souverain absolu, mais il n'est ni omniscient ni omnipotent: comme tout souverain, il doit agir en s'appuyant sur une structure de conseillers et d'informateurs. Ce qui est devenu de plus en plus clair avec le temps, c'est que l'entourage du Vatican qui avait mis Ratzinger en grande difficulté était maintenant en mesure d'orienter de plus en plus les positions et les déclarations du nouveau pape, qui, en tant que disposition et formation "progressiste", était prêt à écouter les orientations "actuelles". Des dérapages dignes de la Repubblica, comme la stigmatisation de la "cruauté des Tchétchènes et des Bouriates" parmi les troupes russes, sont le signe que l'entourage papal ne s'appuie plus sur des sources autonomes, mais est manifestement à l'écoute de la publicité des agences de presse dominantes (les américaines Associated Press et United Press International et la britannique Reuters).

L'apparente perte d'autonomie culturelle de l'Église, le fait qu'elle soit de plus en plus entraînée par l'opinionnisme à la mode, qu'elle cherche à plaire aux mœurs changeantes, que son agenda culturel soit dicté par la soi-disant "communauté internationale" est un signe des temps, un signe inquiétant.

En ces temps de déménagement, de dissolution et d'effacement généralisé, le caractère conservateur de l'institution ecclésiastique aurait un grand rôle à jouer. Ce rôle ne dépend pas, soyons clairs, de la question de savoir si la tradition thomiste et les élaborations ultérieures du Vatican sont "toujours justes", ou si elles ont toujours une réponse adéquate aux défis actuels. L'intérêt réside dans le fait qu'une institution millénaire, profondément enracinée, capable de maintenir en vie un patchwork de traditions, serait en soi, de par son existence même, un bastion fondamental d'opposition à une tendance historique actuelle qui se caractérise par une accélération effrénée et un "progressisme" chaotique.

La perte de cette autonomie fondamentale, de cette extranéité aux exigences de la modernité, est un grave dommage culturel, non seulement pour les catholiques, mais pour l'ensemble du monde occidental. 

mercredi, 30 novembre 2022

Le révérend Bruckberger et «l’obsession suicidaire de la race blanche»

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Le révérend Bruckberger et «l’obsession suicidaire de la race blanche»

Nicolas Bonnal

Ami de Bernanos, le révérend Bruckberger (sympathique défenseur du cinéma aussi et scénariste des Carmélites, plus grand film français oublié) publie chez Stock en 1979 une Lettre ouverte au pape polonais dont on faisait alors grand cas. Il y avait chez Jean-Paul II un aspect vedette de showbiz en effet qui en rebutait certains; il fut immédiatement une star planétaire incontestée et jamais détrônée; mais le bon Bruckberger, ancien résistant comme on dit et répète, voyait dans ce pape d’un pays persécuté par la Russie et par le communisme l’occasion d’une renaissance (vieille antienne dans les milieux catholiques) et d’un réveil spirituel. On sait ce que tout cela a donné.

 Aujourd’hui, avec Bergoglio, l’Eglise a touché le fond et creuse encore – d’ailleurs Bruckberger tape très bien sur les jésuites comme un certain Baudrillard à la même époque (le jésuitisme ou le catholicisme comme simulacre). Le troupeau catho, plus gérontocrate, écolo, résigné, woke et vacciné que jamais, n’a pas répondu aux attentes du trop isolé Mgr Vigano (parfois la résistance est tellement isolée qu’on se demande en effet si elle n’est pas contrôlée – mais pour cette seule raison) ou du bon ami de Bernanos. Ce dernier, dont j’ai tant de fois médité et cité les textes, oscillait aussi entre une tendance optimiste et une tendance réaliste (ne me dites pas qu’elle est pessimiste à l’heure de l’engloutissement de la France), qui voyait l’Eglise ranger sous la bannière répugnante du G20 et de sa tyrannie vaccinale et sanitaire présente et à venir (certains nous font le coup des BRICS qui vont tout sauver, ben voyons). Certes on a un seul Vigano mais c’est bien peu. Bruckberger rappelle que les évêques ont tous ou presque fichu le camp en 1940 comme en… 1789 : le catho (bourgeois qui se prend pour un chrétien) était en route.

Pas de vocation au martyre déjà donc en ces époques obscures (ô mon jardin des oliviers, ô mon gentil reniement, ô mon coq qui chantera trois fois…) ; et de rappeler que Thomas More fut bien seul quand il plut au Barbe-Bleue anglais de fonder sa religion sur mesure. Dès 1707 ensuite, Jonathan Swift se demande par quoi on va remplacer le christianisme; j’ai bien traité le sujet tout comme j’ai expliqué que pour le grand penseur athée Feuerbach la religion est déjà remplacée par son masque en plein dix-neuvième siècle bourgeois.

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Et Bernanos écrit dans son livre-hommage à Drumont :

« Les puissantes démocraties capitalistes de demain, organisées pour l’exploitation rationnelle de l’homme au profit de l’espèce, avec leur étatisme forcené, l’inextricable réseau des institutions de prévoyance et d’assurances, finiront par élever entre l’individu et l’Église une barrière administrative qu’aucun Vincent de Paul n’essaiera même plus de franchir. Dès lors, il pourra bien subsister quelque part un pape, une hiérarchie, ce qu’il faut enfin pour que la parole donnée par Dieu soit gardée jusqu’à la fin, on pourra même y joindre, à la rigueur, quelques fonctionnaires ecclésiastiques tolérés ou même entretenus par l’État, au titre d’auxiliaires du médecin psychiatre, et qui n’ambitionneront rien tant que d’être traités un jour de « cher maître » par cet imposant confrère… Seulement, la chrétienté sera morte. Peut-être n’est-elle plus déjà qu’un rêve ? »

Dans sa partie critique qui n’a pas vieilli, Bruckberger doute comme nous en l’an 1979 du clergé français et du troupeau catho qui n’a plus rien à dire ou à affirmer. Il attaque le fétichisme conciliaire (Vatican II donc pour les distraits) qui a servi à accélérer la déchristianisation du pays: revoyez le début du Gendarme à Saint-Tropez; on va encore à la messe, on filme en noir et blanc, on porte foulard (le platok de ma femme), et ensuite on passe à la société yéyé avec la charmante Geneviève Grad. Ce film incompris est un modèle.

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Bruckberger comprendrait aussi le besoin de suicide assisté que le vaccin, le Reset, la guerre et le Grand Remplacement fournissent à la vieille race blanche (voir mon livre publié en 2009). Et cela donne dans son ouvrage lumineux, à découvrir ou redécouvrir incessamment : « Pour tout détruire invoquez allègrement le concile !... Le fond de l’affaire est que la race blanche traverse une crise d’obsession suicidaire, et désormais la science lui donne la possibilité d’en finir avec elle-même, en douceur, et presque sans le vouloir, à la manière dont se commettent les suicides les plus lâches. C’est cela qu’il fallait dire (Lettre à Jean-Paul II pape de l’an 2000). »

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Il me semble que cette phrase explique tout ce qui nous arrive : wokisme, vaccin, chasse au carbone..

Mais Bruckberger ne cesse d’encenser la Pologne. La Pologne déniaisée et déchristianisée, enragée par la guerre et sa russophobie exterminatrice, commence à crever de sa guerre sinon. 25% d’inflation et on verra dans quelques années. Pour ce qui est de la Russie communiste on sait ce qu’il en advint. Je ne fais pas de la Russie le Katechon qu’en font certains (il y a des limites au blasphème surtout quand on est chrétien amateur) mais c’est certainement le pays le moins hostile au christianisme en ce moment. Tout cela est conforme aux prédictions de Dostoïevski (voyez mon livre Dostoïevski et la modernité occidentale, qui vient d’être traduit en roumain, comme celui sur Tolkien – le premier-  avait été traduit en russe en 2002), qui voyait dans la Russie le peuple « déifère «  (peuple porteur de Dieu, voyez les Possédés p. 307). Bruckberger également cite Soljenitsyne, qui ne se rend pas compte que c’est grâce à ce dernier grand écrivain européen que l’on doit les plus belles des DERNIERES lignes contre le monde moderne déchristianisé. Depuis plus personne ne râle et tout le monde nage dans le bonheur.

A quarante ans de là rien n’a changé: nous étions dans le monde obscur et luciférien décrit par le sympathique Maurice Clavel que "Bruck" cite aussi beaucoup. On est plus vieux, plus fatigués plus soumis et on ne croit plus au carbone. Nous sommes sur le point de disparaître et je citerai une belle phrase de mon regretté ami Volkoff : « votre disparition ne sera pas seulement scientifique, elle sera juste ».

J’ai dit ce que j’avais à dire. Lisez son livre.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Raymond_L%C3%A9opold_Bruckb...

https://www.dedefensa.org/article/bernanos-et-drumont-fac...

http://www.dedefensa.org/article/feuerbach-et-la-copie-de...

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https://livre.fnac.com/a72513/Pere-Raymond-Leopold-Bruckb...

 

samedi, 19 février 2022

Restaurer ce qui a été perdu il y a longtemps en Suède

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Clemens Cavallin, Johan Sundeen, Lars Eklund : Restaurer ce qui a été perdu il y a longtemps en Suède

Source: https://3droga.pl/felietony/clemens-cavallin-johan-sundeen-lars-eklund-by-przywrocic-to-co-zostalo-utracone-dawno-temu-szwecja/


Pour le développement du conservatisme suédois, un retour profond aux racines culturelles fournies par le catholicisme et à la société civile dynamique créée par les églises protestantes libres est essentiel. Une approche relativiste ou laïque ne suffit pas.

Le conservatisme, dans ses différentes formes, attache une grande importance à la continuité, à l'histoire, à l'organicisme, à la spécificité d'une nation et de sa culture. Une approche conservatrice et prudente du changement - résistant aux projets accélérationnistes et utopiques de transformation révolutionnaire - n'est possible que si les traditions qui lient la génération actuelle à ses ancêtres sont encore vivantes. Mais que signifie le conservatisme lorsqu'une nation a été complètement "modernisée" ? Que peut-on préserver lorsque l'État paternaliste a sapé les institutions naturelles à un point tel que l'enthousiasme pour le changement radical - en d'autres termes, le progressisme - a été intériorisé comme une identité humaine fondamentale ?

Dans une telle situation, le conservatisme devient inévitablement un projet visant à restaurer ce qui a été perdu - et à récupérer ce qui a une valeur durable. Mais quels sont les critères de sélection des traditions et des valeurs à restaurer lorsque ces traditions ne sont plus ancrées dans l'expérience vécue ? Dans une telle situation, le conservatisme ne devient-il qu'une idéologie séculaire, promouvant, entre autres, un certain idéal de société, dépassé de surcroît ?

Ces questions inquiètent de plus en plus l'ensemble du monde occidental, qui radicalise les principes fondamentaux de la modernité, tels que l'autonomie individuelle, le relativisme et la laïcité. Cette intensification est particulièrement évidente en Suède, un pays caractérisé par une alliance entre l'atomisme individualiste, le matérialisme et un État-providence de type Léviathan. En Suède, le socialisme et le libéralisme se sont fondus en une seule mentalité qui valorise l'accélération du changement, tant technologique que moral, et qui recherche - de manière quelque peu contradictoire - une sécurité globale.

Les origines de la "situation suédoise"

La situation actuelle de la Suède est le résultat d'une évolution dans laquelle les institutions des débuts de la modernité ont été transformées de l'intérieur en marchandes d'idéologies radicales. Cela a commencé avec la Réforme protestante au XVIe siècle, lorsque le pouvoir séculier a transformé l'Église catholique supranationale de Suède en une institution nationale subordonnée au pouvoir politique. Bien que le gouvernement ait introduit la liberté religieuse dans les années 1950 et que le système de l'Église d'État ait changé de manière significative en 2000, l'Église luthérienne de Suède est toujours gouvernée par des partis politiques dans le cadre d'élections spéciales de l'Église et est réglementée même en termes de gouvernance, de vérités de la foi, de propriété et de présence géographique en vertu du droit séculier.

Le parti social-démocrate, qui a été au pouvoir presque sans interruption pendant quatre-vingt-dix ans, a décidé au début du vingtième siècle de ne pas poursuivre une séparation complète de l'Église et de l'État, mais plutôt de séculariser et de radicaliser la société par le biais de l'Église. Comme les rois protestants avant eux, les sociaux-démocrates ont comprisl'utilité de l'église nationale en tant qu'institution pour légitimer le pouvoir politique - mais pas en tant que témoin de Dieu et de sa loi éternelle qui pourrait juger l'ordre actuel.

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À partir des années 1960, le radicalisme de gauche a transformé de manière décisive l'Église de Suède, comme l'a documenté Johan Sundeen dans son livre intitulé "L'Église de 1968" (68-kyrkan : Svensk kristen vänsters möten med marxismen 1965-1989). Les principaux intellectuels protestants ont cherché une synthèse entre le marxisme et le christianisme. Ils ont présenté la révolution culturelle en Chine, la situation au Nicaragua sous le régime sandiniste, et même la dictature communiste en Corée du Nord comme "le Royaume de Dieu sur terre". Bien que cet enthousiasme soit retombé dans les années 1980, l'Église en Suède reste extrêmement politisée.

refv.jpgDans son livre récemment publié, The Way of Reformism : On Social Democracy and the Church (La voie du réformisme : sur la social-démocratie et l'Eglise) (Reformismens väg - om socialdemokratin och kyrkan) le social-démocrate Jesper Bengtsson note avec une certaine satisfaction qu'il n'y a probablement aucune autre institution dans la société occidentale qui ait été transformée dans la même mesure que l'Église de Suède.

Avec la transformation idéologique de l'église nationale dans les années 1960, une approche de gauche a conquis le débat culturel suédois, touchant toutes les sphères de la société. Par conséquent, le débat public ne s'est pas concentré sur le bien-fondé de l'idéologie socialiste, mais sur sa meilleure forme et sur la manière de la mettre en œuvre.

Bien qu'il y ait eu une certaine opposition au socialisme en tant qu'idéal économique, les idées gauchistes ont rapidement laissé leur empreinte sur la politique des partis conservateurs. En 1969, l'ancien parti Högern, la droite, s'est rebaptisé le parti modéré (Moderaterna). Au cours de cette période, ils ont cessé de souligner l'importance des petites communautés et de l'identité nationale, ainsi que le rôle social du christianisme et l'inviolabilité de la vie humaine. Les autres points de rattachement au conservatisme plus conventionnel sont, selon le politologue Jan Hylén, des anomalies dans un parti désormais caractérisé par le libéralisme et l'individualisme.

La vague de socialisme des années 1960, menée par la génération du baby-boom, est importante pour expliquer pourquoi la Suède a souffert pendant des décennies de l'absence d'une opposition conservatrice influente et confiante. En fait, un changement important avait déjà eu lieu au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Des intellectuels et des politiciens de premier plan ont pris leurs distances par rapport aux opinions conservatrices, chrétiennes et néohumanistes, les considérant comme entachées par leur association avec le national-socialisme.

La Suède n'a pas participé à la guerre et n'a donc pas eu à subir le même projet de reconstruction morale et physique que les autres pays après 1945. Ce fait, combiné à l'absence d'une Église jouant un rôle indépendant dans la vie publique, explique en partie pourquoi le christianisme et son projet civilisateur n'ont pas été au cœur du développement politique de l'après-guerre, comme en Allemagne de l'Ouest ou en Italie. Au lieu de cela, le parti social-démocrate a orchestré la "modernisation" rapide de la Suède.

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En outre, après que le long règne de la social-démocratie (qui a commencé en 1932) a finalement - mais seulement temporairement - été brisé en 1976, et lorsque l'empire communiste soviétique s'est effondré une décennie plus tard, le libéralisme plutôt que le conservatisme ou la démocratie chrétienne a triomphé. L'État suédois socialiste fermé s'est desserré, et les monopoles d'État dans les domaines de la télévision, de la radio, des services téléphoniques, de la distribution postale, du transport ferroviaire, des pharmacies et des casinos ont été supprimés. Ainsi, la présence du libéralisme a augmenté dans le mélange libéral-socialiste, mais les principes de base n'ont pas changé.

La dernière version (2020) de la carte de la culture mondiale Inglehart-Welzel, qui repose sur une enquête approfondie des valeurs mondiales, montre clairement que la mentalité suédoise est restée intacte. Sur la carte des valeurs, la Suède occupe toujours le coin supérieur droit, combinant des niveaux élevés de valeurs laïques-rationnelles et d'expression personnelle. Ces valeurs s'opposent aux valeurs traditionnelles et de survie qui caractérisent le coin inférieur gauche opposé, la zone de nombreux pays à majorité musulmane comme l'Égypte, le Yémen et la Jordanie. Au centre, on trouve un mélange de pays européens catholiques comme la Croatie et la Hongrie, ainsi que des pays d'Asie et d'Amérique du Sud comme la Thaïlande, Singapour et le Chili. Le trait le plus frappant est l'extrême mentalité des Suédois en comparaison mondiale, ce qui contraste fortement avec l'auto-évaluation omniprésente des Suédois comme occupant une position idéologique intermédiaire raisonnable.

Néanmoins, un changement de mentalité a été lent à s'opérer en Suède au cours des dix dernières années, lorsque les effets de la persistance de niveaux élevés d'immigration ont fini par provoquer une crise morale nationale. Le caractère inexorable de la modernisation, fondé sur le déclin de la religion et l'affaiblissement des liens familiaux, ne pouvait plus être considéré comme acquis. Dans une telle situation, certains (comme en France) ont naturellement insisté sur une application plus stricte des valeurs modernes. Ironiquement, cela a rendu le libéralisme de plus en plus intolérant. L'adhésion à l'individualisme et à l'idée moderniste de la liberté est obligatoire et doit être imposée. Dans le même temps, une fenêtre d'opportunité s'est ouverte pour les attitudes et les idées conservatrices mettant l'accent sur des liens culturels et historiques plus profonds.

Il y a vingt ans, Svante Nordin, professeur d'histoire des idées, écrivait dans le journal national Svenska Dagbladet que "le conservatisme intellectuel, qui... a joué un rôle si important dans le débat aux États-Unis et en Grande-Bretagne, mais aussi en France et en Allemagne, n'a pratiquement aucun équivalent en Suède". Même des introductions souvent utilisées dans des disciplines telles que l'histoire des idées et la science politique ont traité avec parcimonie - et condescendance - la tradition qui a émergé après l'attaque d'Edmund Burke contre la Révolution française.

Le réveil de la droite

9789177654971.jpgCependant, il y a maintenant des signes d'un réveil intellectuel conservateur. Après des décennies de sommeil, une littérature de qualité est publiée. Par exemple, Modern konservatism : filosofi, bärande idéer och inriktningar i Burkes efterföljd (Modern Conservatism : Philosophy, Main Ideas and Directions in the Wake of Burke) de Jakob E:son Söderbaum, la première vue d'ensemble complète de ce type en suédois, a été publiée en 2020. Il s'agit de l'ouvrage le plus complet d'une vague de publications, dont plusieurs anthologies et recueils d'essais présentant les traditions conservatrices suédoises et continentales.

Malgré cela, le devoir de prudence demeure. Le conservatisme en Suède doit être un projet constructif, qui n'est pas nécessaire là où existent encore des institutions et des coutumes incarnant les principes naturels et transcendants de la moralité et de la vie humaine que suppose l'approche conservatrice. Aujourd'hui, cependant, l'instinct de survie ethnique irréfléchi considère comme acquises - étrangement - précisément des traditions qui ne sont plus vivantes.

Le conservatisme, s'il ne doit pas être une simple défense du "mode de vie suédois" et de "nos valeurs", a besoin de ce que Russell Kirk a exigé - une "base solide". Le premier principe du conservatisme de Kirk est crucial - à savoir que "le conservateur croit qu'il existe un ordre moral durable. Cet ordre est fait pour l'homme, et l'homme est fait pour l'homme : la nature humaine est immuable, et les vérités morales sont permanentes". La reconnaissance d'un tel "ordre moral durable" est un principe fondamental de la civilisation, qui soumet toutes les prétentions et ambitions du pouvoir humain au jugement de ce qui transcende les ambitions et décisions politiques, même celles prises par des majorités absolues. L'alternative est la barbarie, pour laquelle "la force a raison", même si elle est élégamment formulée. Mais comment peut-il y avoir un ordre pour l'homme s'il n'y a pas de Dieu pour le donner ?

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D'autres principes formulés par Kirk caractérisent la nature prudente de la réforme conservatrice : prudence, précepte, diversité, imperfection, liberté et propriété, communauté volontaire et retenue. Mais ces principes sont moins utiles lorsque (comme dans le cas de la Suède) la modernisation des conversations intellectuelles, des institutions sociales et de la vie familiale a été complète et systématique - à un degré que même la plupart des dictatures communistes européennes n'ont pas réussi à atteindre.

Une raison importante de la situation actuelle de la Suède est la faiblesse des croyances et pratiques religieuses traditionnelles. Selon le World Value Survey, seuls 10% de la population suédoise considèrent que la religion est importante dans leur vie, et moins de 5% pensent qu'il est important que les enfants apprennent leur foi religieuse à la maison.

Dans le premier principe de Kirk - un ordre moral durable - la religion est irremplaçable. L'autorité transcendante de Dieu est le point d'ancrage surnaturel de la prudence conservatrice. Lorsque les institutions religieuses et leurs représentants choisissent de défendre la moralité sans base absolue, mais plutôt comme de simples croyances qui changent avec les méandres de la société moderne tardive - ou, comme en Suède, lorsque les croyances sont en fait le moteur de cette fluidité normative - alors le projet conservateur devient simplement une banale préférence qui peut changer à un rythme plus lent.

Ainsi, si le conservatisme doit être plus qu'une autre forme de politique identitaire, il doit se soucier de principes qui transcendent les cultures particulières. C'est particulièrement le cas lorsque ces valeurs éternelles ne font pas partie de formes de patrimoine développées organiquement, mais doivent être restaurées ou introduites pour la première fois. Affirmer - comme le fait Jakob E:son Söderbaum dans Modern Conservatism - que les conservateurs bien informés s'accordent généralement à dire que le conservatisme est laïque, que le christianisme n'est donc qu'un des nombreux fondements de la civilisation occidentale et que les principes moraux chrétiens n'ont pas plus de prétention à l'universalité que ceux d'autres religions comme l'hindouisme, l'islam ou le shintoïsme, c'est embrasser le relativisme et ignorer la question fondamentale de la "vérité". Selon cette position, le conservatisme ne fait que réformer avec respect la culture et la civilisation dominantes dans une certaine partie du monde. Dans ce cas, la religion ne peut être utile pour défendre un ordre moral permanent créé par l'homme, mais ne fait qu'affirmer les différents ordres moraux qu'elle a établis.

Il est naturel qu'un renouveau conservateur en Suède cherche le soutien de l'Église de Suède, puisque cela signifierait une continuité culturelle reliant plusieurs siècles. Mais il est important de rappeler que la Réforme - qui était une révolution - l'a nationalisée, coupant ainsi ses liens avec l'Église universelle et en faisant un instrument de contrôle politique. Cette séparation de l'Église de Suède de la communauté ecclésiastique au sens large a été poursuivie par le parti social-démocrate au 20e siècle et a finalement été radicalisée par les mouvements révolutionnaires des années 1960.

La situation de l'église nationale suédoise souligne notre thèse principale, à savoir que la Suède illustre de manière unique le problème de l'idéal culturel conservateur d'"enracinement" et de continuité. La modernisation des institutions suédoises - et de la culture inférieure et supérieure - a été si profonde que le renouveau conservateur devra être largement reconstruit. Il est certes plus facile de démolir, mais beaucoup plus difficile de reconstruire. Par conséquent, le conservatisme en Suède, de manière quelque peu perverse, doit se concentrer sur la création de nouvelles institutions : écoles, groupes de réflexion, revues et éditeurs. Et les penseurs conservateurs devront étudier l'histoire de la Suède pour s'en inspirer, de la même manière qu'un universitaire fouille dans des archives poussiéreuses pour trouver de nouvelles idées.

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Dans ce processus de "renouveau conservateur", la religion doit jouer un rôle important, notamment l'héritage catholique de la pré-réforme et la piété des églises protestantes libres. Toutes deux représentent des formes de religion détachées du pouvoir politique et toutes deux ont été réprimées jusqu'à la fin du XIXe siècle. Le retour du catholicisme en Suède, en particulier, a le potentiel de fournir un élément important d'une histoire plus vaste - la récupération de ce qui a été perdu. Dans ce contexte, l'architecture des églises pré-réformées joue un rôle symbolique important, même lorsqu'il ne reste que des ruines suggestives.

L'intérêt actuel pour le conservatisme est largement alimenté par les effets socialement déstabilisants de l'immigration à grande échelle. En 2020. 19,7 % des personnes vivant en Suède sont nées à l'étranger, et dans certaines municipalités, le pourcentage atteint 50 à 60 %. Cela complique évidemment l'idée d'une continuité culturelle locale et souligne le rôle des religions transnationales en tant que porteuses de normes incarnées et de coutumes anciennes. Par exemple, selon un récent sondage du Pew Research Center, seuls 9% des Suédois pensaient qu'il était nécessaire de croire en Dieu pour être moral, alors qu'au Kenya, 95% pensaient que c'était nécessaire ; en Italie, 30% et en Allemagne, 37%. Une fois de plus, cela montre que la Suède est un cas extrême.

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L'histoire du retour du catholicisme suédois et de la redécouverte de son héritage perdu est associée à l'émergence d'un nombre stupéfiant d'identités linguistiques et ethniques du monde entier. En revanche, l'Église de Suède est fondée sur une rupture protestante, combinée à une affirmation du changement moderniste et à une idée de l'homogénéité culturelle suédoise qui se désintègre rapidement. Ainsi, le plus grand potentiel d'émergence d'une dynamique religieuse - adaptée au développement du conservatisme suédois - réside dans le dialogue de la société civile formée par les églises libres protestantes avec les profondes racines culturelles et l'universalité de l'Église catholique.

Notes sur les auteurs :

Clemens Cavallin est professeur de religion, de philosophie de la vie et d'éthique.

Johan Sundeen est maître de conférences en histoire des idées.

Lars F. Eklund est titulaire d'une licence en études classiques. Il a été conseiller politique au sein du cabinet du Premier ministre (1991-94) et maire adjoint de la ville de Göteborg, en Suède (1999-2003).

Source : europeanconservative.com

jeudi, 13 janvier 2022

La présidence Macron et la catastrophe catholique

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La présidence Macron et la catastrophe catholique

Nicolas Bonnal

Macron-Medef, comme dit Laurent Joffrin, triomphe aux européennes et serait déjà réélu- lui ou quelqu’une de pire que lui. Or la base de l’électorat Macron c’est le catho devenu si bourgeois depuis la disparition du peuple paysan (revoyez le documentaire Farrebique)… J’ai évoqué ces renégats à coups de Balzac, Bernanos, Céline, Bloy. Ces apprentis Mauriac sont increvables car ils ont du pognon et font assez d’enfants et expriment comme ça une identité même s’ils ont tout ingéré de la modernité et de son abjection. Le bourgeois avale tout, même la merde, dit Bloy qui s’y connaissait, dans son exégèse des lieux communs.

Et notre Bloy rajoutait dans ses belluaires :

« Et ce cortège est contemplé par un peuple immense, mais si prodigieusement imbécile qu’on peut lui casser les dents à coups de maillet et l’émasculer avec des tenailles de forgeur de fer, avant qu’il s’aperçoive seulement qu’il a des maîtres, — les épouvantables maîtres qu’il tolère et qu’il s’est choisis. »

Voici ce que dit le site catholique traditionnel, le salon beige, récemment repris par mon efficace ami Guillaume de Thieulloy :

« Un sondage Ifop pour La Croix, dont les résultats sont détaillés dans le numéro de ce jour, nous apprend que 37% des catholiques pratiquants (78% de participation), et même 43% des pratiquants réguliers (84% de participation) ont voté pour la liste LREM. Le RN arrive 3è, derrière LR, sauf pour les non pratiquants où il est premier.

Nous avons donc 43% des catholiques qui votent pour une liste ayant comme substrat idéologique, pêle-mêle : la dissolution des nations dans le gloubiboulga globaliste, la dilution des protections sociales au profit de la grande finance, la transformation des concupiscences de tous ordres de chaque individu en droits inaliénables, une vision autiste des relations internationales où prime l’interprétation progressiste de l’histoire humaine, quitte à pratiquer sans barguigner des opérations meurtrières de “regime change”, l’avènement d’une humanité nouvelle en totale rupture avec la loi naturelle, et donc le corollaire de tout ceci, la négation (pour les athées), et le reniement (pour les chrétiens), du règne de Notre Seigneur Jésus Christ sur les âmes et les sociétés ! »

Certes, mais tout ça motive, comme l’incendie de Notre-Dame relookée. Une semaine plus tard, le salon beige ajoute :

« 37% des catholiques pratiquants et même 43% des pratiquants réguliers “auraient voté” pour la liste LREM. C’est assez terrifiant lorsque l’on sait le projet de société que porte LReM (mariage homo, PMA, GPA, affaire Vincent Lambert…). C’est pour cela que l’on peut parler d’apostasie (voir ici). »

Et d’expliquer :

« Il serait d’ailleurs intéressant de connaître le taux d’adhésion au Credo de ceux que les instituts de sondage désignent comme catholiques pratiquants. Aller à la messe le dimanche est malheureusement devenu aussi un acte social. Parmi eux, nous serions surpris du nombre de catholiques pratiquants ne croyant pas à la Présence réelle ou n’ayant pas de problème avec l’avortement… »

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L’important c’est que Macron rassure le clan des siciliens du pognon. Laurent Joffrin bien inspiré sur cette question (et parfois sur d’autres) écrit : 

« Le peuple ne se met pas en transe quand on lui parle «racines chrétiennes» et famille tradi ; la bourgeoisie pense moins en lisant des livres qu’en tâtant son portefeuille. Macron-Medef qui abolit l’ISF, allège les impôts sur les revenus du capital, libéralise le code du travail, réforme la SNCF au forceps, lui convient somme toute mieux que les Cassandre souverainistes de la décadence occidentale. Au bout du compte, les classes dirigeantes aiment plus les costumes tuyau de poêle du Président que les vestes de chasse Arnys de Fillon. La droite classique, désormais, ce n’est plus Wauquiez tendance Valeurs Actuelles. C’est Macron. »

Puis le salon beige tend la perche à Eric Zemmour, ce juif hérétique plus catholique que ces cathos de base et de bazar (idem pour Alain Finkielkraut d’ailleurs) :

« Et Eric Zemmour ne dit pas le contraire en accusant la “droite bourgeoise et même catholique” qui a voté Macron d’être anti-française et antinationale :

“Il faut non seulement une union des droites. Mais, au-delà de l’union des droites, il faut le Rassemblement national, il faut la droite patriote qui préfère ses convictions et la Patrie à ses intérêts. Et je vous accorde que c’est mal barré quand on voit le vote de la droite bourgeoise et même catholique à ces européennes qui a préféré En Marche à Bellamy (…) Le général De Gaulle disait nous avons combattu les Allemands, nous avons empêché que les communistes aillent au pouvoir, nous avons affronté les Américains mais nous n’avons jamais réussi à faire que la bourgeoisie soit nationale. C’est le vrai problème. Ce n’est pas qu’aujourd’hui. Ce sont des gens qui se sentent plus proches des New-yorkais que des gens qui habitent Limoges (…) C’est surtout le parti de l’ordre et le parti de ses intérêts. C’était le mot de François Mitterrand qui disait la droite n’a pas d’idée, elle n’a que des intérêts. C’est le parti de l’ordre parce qu’ils ont eu peur des gilets jaunes et c’est les intérêts parce que c’est la mondialisation qui favorise cette classe sociale et qui lui permet de s’enrichir et de protéger ses intérêts”

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En janvier dernier, Eric Zemmour écrivait : “Les héritiers de la Manif pour tous doivent choisir leur camp. Rejoindre l’alliance des bourgeoisies, nouveau « parti de l’ordre »,  ou suivre la révolte des classes populaires.” 

On a compris qui ces partisans du pognon ont rejoint.

Tout cela n’étonnera pas mes lecteurs. Ils savent que pour moi ce catholicisme est mort il y a longtemps et qu’il se survit à lui-même à peu près comme l’américanisme. Le problème comme disait Michelet c’est qu’on ne peut tuer ce qui est mort, ou qui survit en hystérésis depuis quatre bons siècles au moins (lisez mon texte sur Jonathan Swift et sa fin du christianisme – qui date de 1708). On ne construit plus les chapelles et cathédrales, on les visite ; on ne compose plus de sonates et d’oratorios, on va au concert ; on prend a break in the rush dans un ex-monastère. Les abbayes sont vides,  les moines partis, vive le patrimoine, quand il ne crame pas (bof dit-on, on le retapera en le débaptisant avec la cagnotte boursière de LVMH)… Le bourgeois écolo-libéral se sent même catho avec le pape en place qui brasse du migrant et des rodomontades branchées !

Et je citerai donc de nouveau mon athée préféré, Feuerbach, si mal exploité par Onfray :

« Pour ce temps-ci, il est vrai, qui préfère l’image à la chose, la copie à l’original, la représentation à la réalité, l’apparence à l’être, cette transformation est une ruine absolue ou du moins une profanation impie, parce qu’elle enlève toute illusion. Sainte est pour lui l’illusion et profane la vérité. On peut même dire qu’à ses yeux la sainteté grandit à mesure que la vérité diminue et que l’illusion augmente ; de sorte que le plus haut degré de l’illusion est pour lui le plus haut degré de la sainteté. »

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Vers 1850 le maître de l’athéisme allemand remarque l’essentiel avant Nietzsche ; que le catho ou le protestant n’est plus un chrétien mais un bourgeois masqué avec un culte identitaire, qui lui est venu avec la trouille de la révolution et des rouges partageurs de son siècle de rebelles :

« Depuis longtemps la religion a disparu et sa place est occupée par son apparence, son masque, c’est-à-dire par l’Eglise, même chez les protestants, pour faire croire au moins à la foule ignorante et incapable de juger que la foi chrétienne existe encore, parce qu’aujourd’hui comme il y a mille ans les temples son encore debout, parce qu’aujourd’hui comme autrefois les signes extérieurs de la croyance sont encore en honneur et en vogue. »

Nota : les temples on les brûle et le catho s’en fout. Ils étaient vingt mômes à prier pour Notre-Dame-chef-d’œuvre-gothique enflammée, excusez du trop !

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Tout cela se maintient catho-droitier-centriste malgré Giscard et la loi Veil, malgré LGBTQ et ses excès, malgré la télévision et notre américanisation/islamisation. Tout cela se maintient car c’est  mort. Et cela était ainsi vu déjà par Michelet :

« Mais n’est-elle pas naturelle, dira-t-on, une chose qui, ébranlée, arrachée, revient toujours ? La féodalité, voyez comme elle tient dans la terre. Elle semble mourir au treizième siècle, pour refleurir au quatorzième. Même au seizième siècle encore, la Ligue nous en refait une ombre, que continuera la noblesse jusqu’à la Révolution. Et le clergé, c’est bien pis. Nul coup n’y sert, nulle attaque ne peut en venir à bout. Frappé par le temps, la critique et le progrès des idées, il repousse toujours en dessous par la force de l’éducation et des habitudes. Ainsi dure le Moyen-âge, d’autant plus difficile à tuer qu’il est mort depuis longtemps. Pour être tué, il faut vivre. »

Ah, l’éducation et les habitudes et la famille nombreuse (symbole de richesse disait un jour mon science-poseur catho droitier préféré) et la tartuferie moliéresque… C’est pourquoi Macron n’a pas de souci à se faire. Macron est le résident d’un pays zombi adoubé par un électorat de chrétiens-zombis (Todd). Le christianisme des paysans git dans les cimetières. Ce peuple paysan tué par notre monde techno-moderne, par notre révolution bourgeoise et les hécatombes républicaines-humanitaires n’avait pas la vitalité démographique du gros – ou efflanqué – bourgeois mondialisé qui émerveilla/affola tous nos génies.

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Et comme on citait Grandet-Balzac :

– Mon père, bénissez-moi.

– Aie bien soin de tout. Tu me rendras compte de ça là-bas, dit-il en prouvant par cette dernière parole que le christianisme doit être la religion des avares.

Comment ce répugnant Volpone a pu prendre la place du chrétien en France et ailleurs ? La réponse par Fukuyama :

«The bourgeois was an entirely deliberate creation of early modern thought, an effort at social engineering that sought to create social peace by changing human nature itself.”

Sources :

Nicolas Bonnal – Chroniques sur la fin de l’histoire ; Guénon, Bernanos et les gilets jaunes (Amazon.fr)

Honoré de Balzac – Eugénie Grandet

Ludwig Feuerbach – L’essence du christianisme (préface de la deuxième édition)

Jules Michelet – la Renaissance

Léon Bloy – Exégèse des lieux communs ; belluaires et porchers.

Francis Fukuyama – The End of History

Georges Rouquier – Farrebique (film, 1946)

 

dimanche, 20 décembre 2020

Léon Bloy l'Intempestif 

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Luc-Olivier d’Algange:

Léon Bloy l'Intempestif 

« Il est indispensable que la Vérité soit dans la Gloire. »

Léon Bloy

A mesure que les années passent, avec une feinte ressemblance dans leur cours de plus en plus désastreux depuis la première parution du Journal de Léon Bloy, l'écart n'a cessé de se creuser entre ceux qui entendent cette parole furibonde et ceux qui n'y entendent rien. Certes, on ne saurait s'attendre à ce que les rééditions des œuvres de Léon Bloy fussent accueillies comme des événements ou des révélations par un milieu « culturel » qui ne cesse de donner les preuves de sa soumission à l'Opinion majoritaire, de son aveuglement et de son mépris pour toute forme de pensée originale. Une sourde hostilité est la règle et je lisais encore des jours-ci un folliculaire récriminant contre « le douloureux labyrinthe narcissique » que serait à ses yeux le Journal de Léon Bloy. Certes, labyrinthiques et préoccupés de l'Auteur, tous les journaux le sont par définition, mais au contraire du fastidieux et potinier Journal de Léautaud, devant lequel maints critiques modernes pratiquèrent une ostensible génuflexion, le Journal de Bloy est d'une vivacité électrique. L'humour ravageur, les flambées de colère, les fulgurantes intuitions mystiques, un style d'une densité et d'une musicalité prodigieuse font de ce Journal un chef d'œuvre de la forme brève, aphoristique ou illuminative. Que lui vaut donc cette disgrâce où nous le voyons ? Sans doute la pensée qui s'y affirme et s'y précise sous la forme d'une critique radicale du monde moderne, dans la lignée de Barbey d'Aurevilly et de Villiers de L'Isle-Adam.

516ZkvOCboL._SX333_BO1,204,203,200_.jpg« Tout ce qui est moderne est du démon », écrit Léon Bloy, le 7 Août 1910. C'était, il nous semble, bien avant les guerres mondiales, les bombes atomiques et les catastrophes nucléaires, les camps de concentration, les manipulations génétiques et le totalitarisme cybernétique. En 1910, Léon Bloy pouvait passer pour un extravagant; désormais ses aperçus, comme ceux du génial Villiers de L’Isle-Adam des Contes Cruels, sont d'une pertinence troublante. L'écart se creuse, et il se creuse bien, entre ceux qui somnolent à côté de leur temps et ne comprennent rien à ses épreuves et à ses horreurs, et ceux-là qui, à l'exemple de Léon Bloy vivent au cœur de leur temps si exactement qu'ils touchent ce point de non-retour où le temps est compris, jugé et dépassé. Léon Bloy écrit dans l'attente de l'Apocalypse. Tous ces événements, singuliers ou caractéristiques qui adviennent dans une temporalité en apparence profane, Léon Bloy les analyse dans une perspective sacrée. L'histoire visible, que Léon Bloy est loin de méconnaître, n'est pour lui que l'écho d'une histoire invisible.  « Tout n'est qu'apparence, tout n'est que symbole, écrit Léon Bloy. Nous sommes des dormants qui crient dans leur sommeil. Nous ne pouvons jamais savoir si telle chose qui nous afflige n'est pas le principe de notre joie ultérieure. »

Cette perspective symbolique est la plus étrangère qui soit à la mentalité moderne. Pour le Moderne, le temps et l'histoire se réduisent à ce qu'ils paraissent être. Pour Bloy, le temps n'est, comme pour Platon et la Théologie médiévale, que « l'image mobile de l'éternité » et l'histoire délivre un message qu'il appartient à l'écrivain-prophète de déchiffrer et de divulguer à ses semblables. Pour Léon Bloy, le Journal, loin de se borner à la description psychologique de son auteur a pour dessein de consigner les « signes » et les  « intersignes » de l'histoire visible et invisible afin de favoriser le retour du temps dans la structure souveraine de l'éternité.

005788180.jpgPour Léon Bloy, qui se définit lui-même comme « un esprit intuitif et d'aperception lointaine, par conséquent toujours aspiré en deçà ou au-delà du temps », la fonction de l'auteur écrivant son journal n'est pas de se soumettre à l'aléa de la temporalité, du passager ou du fugitif, mais tout au contraire « d'envelopper d'un regard unique la multitude infinie des gestes concomitants de la Providence ». Le Journal, - tout en marquant le pas, en laissant retentir en soi, et dans l'âme du lecteur ami, la souffrance ou la joie, plus rare, de chaque jour, les « nouveautés » menues ou grandioses du monde, ne s'inscrit pas moins dans une rébellion contre le fragmentaire, le relatif ou l'éphémère. Ce Journal, et c'est en quoi il décontenance un lecteur moderne, n'a d'autre dessein que de déchiffrer la grammaire de Dieu.

Là où le Moderne ne distingue que des vocables sans suite, de purs signes arbitraires, Léon Bloy devine une cohérence éblouissante, et, par certains égards, vertigineuse et terrifiante. Léon Bloy n'est pas de ces dévots qui trouvent dans la foi et dans l'Eglise de quoi se rassurer. Ces dévots modernes, bourgeois au sens flaubertien, Léon Bloy les fustige ainsi que la « société sans grandeur ni force » dont ils sont les défenseurs. Il est fort improbable, quoiqu'en disent les journaleux peu informés qui voient en Bloy un « intégriste », que l'auteur du Désespéré et de La Femme Pauvre se fût retrouvé du côté de nos actuels, trop actuels « défenseurs des valeurs », moralisateurs sans envergure ni générosité,- et par voie de conséquence, sans le moindre sens de la rébellion. Or s'il est un mot qui qualifie avec précision la tournure d'esprit de cet homme de Tradition, c'est rebelle !

Pour Léon Bloy, quel que soit par moment son harassement, le combat n'est pas fini, il y retourne, chaque jour est le moment décisif d'une guerre sainte. Léon Bloy est un moine-soldat qui va son chemin d'écrivain, non sans donner ici et là quelques coups de massue, pour reprendre la formule évolienne. Ainsi le sport, objet, depuis peu, d'un nouveau culte national est-il, pour Léon Bloy « le moyen le plus sûr de produire une génération d'infirmes et de crétins malfaisants ». Quant à la Démocratie, bien vantée, elle lui suggère cette réflexion : « Un des inconvénients les moins observés du suffrage universel, c'est de contraindre des citoyens en putréfaction à sortir de leurs sépulcres pour élire ou pour être élus. » Cette outrance verbale dissimule souvent une intuition. Tout, dans ce monde planifié, ne conjure-t-il pas à faire de nous une race de morts-vivants, réduits à la survie, dans une radicale dépossession spirituelle. Que sont les Modernes devant leurs écrans ? Quel songe de mort les hante ? Les rêveries du Moderne ne sont-elles pas avant tout macabres ? Non, la religion de Léon Bloy n'est pas faite pour les « tièdes ». C'est une religion pour ceux qui ressentent les grandes froidures et qui attendent l'embrasement des âmes et des esprits. Le modèle littéraire de Léon Bloy ce sont les langues de feu de la Pentecôte.

bc05f72b52822ad0e244d1b50009eee2.jpgLéon Bloy s'est nommé lui-même « Le Pèlerin de l'Absolu ». Chaque jour qui advient, et que l'auteur traverse comme une nouvelle épreuve où se forge son courage et son style, le rapproche du moment crucial où apparaîtront dans une lumière parfaite la concordance de l'histoire visible et de l'histoire invisible. Cette quête que Léon Bloy partage avec Joseph de Maistre et Balzac le conduit à une vision du monde littéralement liturgique. L'histoire de l'univers, comme celle de l'auteur esseulé dans son malheur et dans son combat, est « un immense  Texte liturgique. » Les Symboles, ces « hiéroglyphes divins », corroborent la réalité où ils s'inscrivent, de même que les actes humains sont « la syntaxe infinie d'un livre insoupçonné et plein de mystères. »

Cette vision symbolique et théologique du monde en tant que Mystère limpide, c'est à dire offert à l'illumination (« l'illumination, lieu d'embarquement de tout enseignement théologique et mystique ») est à la fois la cause majeure de l'éloignement de l'œuvre de Léon Bloy et le principe de sa proximité extrême. Pour le moderne, la « folie » de Léon Bloy n'est pas dans sa véhémence, ni dans son lyrisme polémique, mais bien dans cette vision métaphysique et surnaturelle des destinées humaines et universelles. Pour Léon Bloy, qui n'est point hégélien, et qui va jusqu'à taquiner Villiers pour son hégélianisme « magique », les contraires s'embrassent et s'étreignent avec fougue. La nature porte la marque de la Surnature, mais par un vide qui serait l'empreinte du Sceau. De même, l'extrême pauvreté engendre le style le plus fastueux. C'est précisément car l'écrivain est pauvre que son style doit témoigner de la plus exubérante richesse. La pauvreté matérielle est ce vide qui laisse sa place à la dispendieuse nature poétique. Car la pauvreté, pour Bloy, n'est pas le fait du hasard, elle est la preuve d'une élection, elle est le signe visible d'un privilège invisible qu'il appartient à l'Auteur de célébrer somptueusement. La richesse verbale de Léon Bloy est toute entière un hommage à la pauvreté, à sa profondeur lumineuse, à la grâce qu'elle fait à la générosité de se manifester. Celui qui donne se sauve. Le mendiant peut donc, à bon droit être « ingrat ». Son ingratitude rédime celui qui pourrait s'en offenser. Mais qu'est-ce qu'un pauvre, dans la perspective métaphysique ? C'est avant tout celui qui récuse par avance toute vénalité. Or qu'est-ce que le monde moderne si ce n'est un monde qui fait de la vénalité même un principe moral, une cause efficiente du Bien et « des biens » ? Pour le Moderne, celui qui parvient à se vendre prouve son utilité dans la société et donc sa valeur morale. Celui qui ne parvient pas, ou, pire, qui ne veut pas se vendre est immoral.

9782081330221.jpgContre ce sinistre état de fait, qui pervertit l'esprit humain, l'œuvre de Léon Bloy dresse un grandiose et intarissable réquisitoire. Or, c'est bien ce réquisitoire que les Modernes ne veulent pas entendre et qu'ils cherchent à minimiser en le réduisant à la « singularité » de l'auteur. Certes Léon Bloy est singulier, mais c'est d'abord parce qu'il se veut religieusement « un Unique pour un Unique ». La situation dans laquelle il se trouve enchaîné n'en est pas moins réelle et la description qu'il en donne particulièrement pertinente en ces temps où face à la marchandise mondiale le Pauvre est devenu encore beaucoup plus radicalement pauvre qu'il ne l'était au dix-neuvième siècle. La morale désormais se confond avec le Marché, et l'on pourrait presque dire que, pour le Moderne libéral, la notion d'immoralité et celle de non-rentabilité ne font plus qu'une. Refuser ce règne de l'économie, c'est à coup sûr être ou devenir pauvre et accueillir en soi les gloires du Saint-Esprit, dont la nature dispensatrice, effusive et lumineuse ne connaît point de limite.

Contre le monde moderne, Léon Bloy ne convoque point des utopies sociales, ni même un retour au « religieux » ou à quelque manifestation « révolutionnaire » ou « contre-révolutionnaire » de la puissance temporelle. Contre ce monde, « qui est du démon », Léon Bloy évoque le Saint-Esprit, au point que certains critiques ont cru voir en lui un de ces mystiques du « troisième Règne », qui prophétisent après le règne du Père, et le règne du Fils, la venue d'un règne du Saint-Esprit coïncidant avec un retour de l'Age d'Or. Lorsqu'un véritable écrivain s'empare d'une vision dont la justesse foudroie, peu importent les terminologies. Sa vision le précède, elle n'en précède que mieux les interprétations historiographiques. « Aussi longtemps que le Surnaturel n'apparaîtra pas manifestement, incontestablement, délicieusement, il n'y aura rien de fait. »

Luc-Olivier d’Algange

jeudi, 17 décembre 2020

Lessons from the Collapse of Catholicism in France

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The Postwar Triumph of Social Liberalism
Lessons from the Collapse of Catholicism in France

Ex: https://www.unz.com

Jérôme Fourquet’s The French Archipelago provides a kind of dynamic radioscopy of the French nation as she has developed in recent decades. The picture, as detailed in my review of the book, is one of the fading away of the old sociological left and right, leaving behind a fragmented subcultural and political landscape, divided in multiple ways along educational/economic, ethnic, and religious lines.

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As part of this, Fourquet meticulously documents the decline of Catholicism and the triumph socially liberal values in postwar France. The pollster identifies a number of patterns which are instructive both for France and other Western nations, which are virtually all experiencing similar changes.

The decline of Catholicism in France is overwhelming and apparent in innumerable areas:

  • Baptism: once overwhelming, down to around 30% of newborns in 2015 (p. 25)
  • Regular mass-going: from 35% in 1961 to 6% today.
  • Divorce: taboo until the 1960s, then steadily rising.
  • Marriage: once a “hegemonic social norm,” declining since the 1973 Oil Shock (p. 37). Out-of-wedlock births have steadily risen from 5.9% in 1965 to 59.9% in 2017. A caveat: this figure is not synonymous with broken homes and single mothers, as many unwed couples live together, typically within a civil union (PACS, p. 42).
  • Abortion: 48% of French supported in 1974 (moreso among the young), with hegemonic 75% support across generations in 2014 (p. 44).
  • Gay marriage: steady support of over 60%, though only around half of French support adoption by gay couples, with some fluctuation (p. 48). Older people’s opinion on the matter is rapidly converging with the young, with little class divide.
  • Gay children: There is a marked male-female divide on the acceptance of homosexuality among one’s children. In 2000-03, two thirds of women said they would be perfectly happy with their child being gay, but only half of men said the same (p. 52).
  • Medically-assisted procreation: half of French support allowing lesbians and single mothers to conceive children through in vitro fertilization, with the mention that “fatherless children” would be born. Two thirds of young people support the measure (p. 55).

Catholicism’s decline to marginality and even oblivion in France is evident from the number of Catholic priests. In 1950, there were about as many priests and monks in France as during the French Revolution in 1789 (around 170,000, bearing in mind the general population had more than doubled). Today, they number only 51,500 and the authors predict that Catholic parish priests will be a virtually extinct breed within 30 years (p. 28).

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Number of Catholic diocesan priests in France

At the end of the nineteenth and in the early twentieth centuries, France provided three quarters of the Catholic missionaries proselytizing in Africa and Asia. Today, in a dramatic reversal, the bulk of new Catholic priests comes from the Third World. Some African prelates, such as Cardinal Robert Sarah, have themselves expressed grave alarm at Europe’s godlessness, infertility and invasion by Muslim immigration.

Catholicism has gone from forming the core of one of France’s two primary subcultures to merely one subculture for the 6-12% of French who remain practicing Catholics (6% being the ones who go to mass, 12% those who claim to be practicing). Even these have embraced many aspects of social liberalism (e.g. acceptance of sex before marriage). Practicing Catholics tend to be older than the general population.

Fourquet also documents other social changes. Only Muslims and practicing Catholics still prefer the traditional funerary practice of burial, with a majority of French now wishing to be incinerated after death (p. 57). Fourquet links this to the fact that most people no longer live in their old villages near to their ancestors’ graves and thus no longer feel the importance of lineage.

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Tattooing used to be a very marginal practice (sailors, soldiers . . .) but has steadily risen and now stabilized, with a quarter of young people having tattoos (p. 59). Tattoos and the adoption of rare names represent “a major phenomenon of today’s societies: mass narcissism” (60). There has also been a steady growth in the number of young people who have engaged in oral sex.

The attitude of the French towards animals is also changing. In the mold of the Old Testament, the French used to consider animals as essentially humans’ slaves, to be used however they saw fit. Today, two thirds of French oppose the use of circus animals or the stuffing of geese to make famous French delicacy of foie gras. “Anti-specism” is a new fashion among academics and talking heads.

The evolutionary meaning of traditional culture

Many see in the decline of Catholic practice and customs a triumph over the irrational superstitions inherited from the ignorant past. Even a secularist should ask however: How did these values come to predominate and what do they represent?

In The Descent of Man, Charles Darwin himself had stressed that traditional cultures tend in a crude and primitive way to be guided by what is good for the community: “The judgment of the community will generally be guided by some rude experience of what is best in the long run for all the members; but this judgment will not rarely err from ignorance and weak powers of reasonings.”

Many traditional cultures, including those of the West, emphasize patriarchy, the specialization of gender norms, child-rearing, and familial responsibilities. It’s easy to conceive how nations and families adhering to such norms would naturally outcompete those who did not.[1] This is especially so if we recall the conditions of premodern life: a fairly high fatality risk for pregnant mothers, high infant mortality, and constant struggle – undertaken especially by men – in the physical and social world to secure the one’s security and livelihood.

After the Second World War, the emergence of an affluent society meant that the egalitarian and individualist tendencies of liberalism, which had always been present since at least the eighteenth century, would dramatically radicalize and upturn the social order.

Human beings have always chafed against the apparently, and often actually, arbitrary rigors and constraints of their particular culture. As the sophist Hippias is supposed to have said some 2400 years ago: “I regard you all as relatives and family and fellow citizens – by nature, not by custom. For by nature like is akin to like, but convention is a tyrant over mankind and often constrains people to act contrary to nature” (Plato, Protagoras, 337c-d).

Put simply, young people increasingly could no longer accept the traditional familial and religious constraints of the past and no other coherent value system could rise to replace them – besides, precisely, an ethos of individual entitlement. What’s more rising prosperity and the welfare state actually meant that people could, more and more, get by materially with looser family ties. The father and husband’s economic responsibilities to the household were increasingly substituted by the corporation and the State.

Patterns of cultural change: deep generational shifts, not events

Fourquet identifies a recurring pattern to these trends: the new values first emerge among French youth and the secularizing geographical core (the greater Parisian basin in particular), then gradually spread to the whole population and territory. He does not discuss whether the media and educational systems shape these youthful attitudes, or whether these arise more spontaneously.

It is easy to underestimate the scale and speed of social changes because of a generational lag effect: even as the youth overwhelmingly adopt a new practice, one may have the impression the country has not changed much because the older generations representing the bulk of the population have not adopted them. The effect has gotten more marked as the French population has aged, the average now being over 41 years old.

When the population is evenly split on a new social practice, Fourquet describes this as like a chemical “unstable equilibrium” which can rapidly shift as the old generation dies out and the new norm becomes hegemonic. Indeed, eventually the old adopt the new norms, sometimes even before dying out. All these trends remind us of the importance of the young, as against the peculiar obsessions and taboos of older generations.

On all these issues, Fourquet shows that events tend to have a marginal impact on the overall trend. Neither the infamous May ’68 protests nor Pope Paul VI’s July 1968 encyclical Humanae vitae recalling of the ban on contraception seem to have had much impact. The decline of mass attendance did see a bump when it became no longer mandatory to attend systematically to receive communion, but this was only an accelerant.

France’s spectacular 2012 anti-gay-marriage protests, with hundreds of thousands of people marching across the country, may have a served as a moment of organization and consolidation for French conservatism, but appears to have had little impact on opinion. There appears to be a fait accompli effect whereby a portion of population switches to supporting a measure once it is passed into law.

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French public support for gay marriage (in blue) and adoption by gay couples (in red)

The appeal of liberal nihilism

The basic human drive beneath these changes seems quite straightforward: a rejection of traditional constraints in favor of new norms concerned primarily with maximizing personal choice and economic security.

It is unclear what are the limits, if any, to the disintegration of traditional norms, roles, and identities. The French have disconnected sex from procreation (contraceptives, abortion), mother-father complementarity in parenting (divorce, gay marriage), and the idea of the individual as part of a lasting family, lineage, or nation.

Fourquet highlights as an example of the reigning moral relativism the comments of Jean-François Delfraissy, President of the National Consultative Council on Ethics (CCNE), who said in 2018 that “The refusal to establish a framework or to give reference points is seen at all levels of society,” that “everyone has their own vision of ethics,” and that he did know what “good and evil” are (p. 56). Ultimately for Fourquet, what matters is demographics: “You [the losing side of culture wars] are philosophically wrong because you are sociologically and demographically in the minority” (p. 64).

The biotechnologies of enhancement . . . and disintegration

We can go much further on the road of identitarian disintegration. Will the youth accept transgenderism – that is to say the rejection of biological sex as such, letting people “choose” their sex, whatever their chromosomes or genitalia, through genital self-mutilation and hormonal manipulation? There is currently little pushback across the West, with the partial exception of the irreversible mutilation of children by transgender activists (see the recent court ruling in England requiring children under 16 to get court approval to access puberty blockers).

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With new biotechnologies, disintegration of traditional identities can go much further. Currently, enhanced reproductive techniques (procréation médicalement assistée or PMA, including notably in vitro fertilization or IVF) are only legal in France for heterosexual couples. However, there are efforts underway, which will likely be successful and widely accepted, to broaden access to PMA to single mothers and lesbian couples. After all, many ask, why shouldn’t such women be able to have children? The effect will be to have new generations of children willingly deprived of their biological father. The fatherless child may well become a normality. Such practices are already legal in France’s neighbor Belgium.

Single women and lesbians with access to IVF can of course choose from a wide variety of sperm without having to seduce the father. This is likely having eugenic and Nordicist effects as women disproportionately choose sperm from well-educated, healthy, and attractive White fathers. The demand seems to be strongest precisely where northern features are scarce. Serbian women, including Gypsies it seems, are fertilizing their eggs with Danish sperm. Indeed, Danish sperm is perhaps the most popular in the world. In multiracial Brazil, White Americans’ sperm is extraordinarily popular. Such practices further loosen the ties between fatherhood, family, and race.

Then there is the practice of surrogacy or gestation pour autrui (GPA), in which a woman carries to term another person’s embryo. Women who can’t or don’t want to face the hardships and risks of pregnancy could pay another woman to carry their child for them. Homosexual males, who obviously cannot become pregnant, could do the same. This could become a particularly profitable business in which Third-World women in particular could carry wealthy couples’ children. Pierre Bergé, the wealthy homosexual owner of the fashion label Yves Saint Laurent, once notoriously defended the marketization of surrogacy on television saying: “I am for all freedoms. Whether you rent your belly to make a child or rent your arms to work in a factory, what’s the difference? It’s the distinction which is shocking.”

Another technique is artificial gametogenesis. Scientists are learning how to create sperm or ovules from an organisms’ other cells. The most obvious application is in allowing infertile heterosexual couples to create working sperm or ovules and thus conceive. However, there are more radical possibilities: such techniques could enable you to create sperm from a woman or an ovule from a man. Lesbian couples could then have biological children as a couple as such. (Try to wrap your head around the implications for “motherhood” and “fatherhood.”)

The most promising techniques for eugenicists are embryo selection and CRISPR gene editing. The former already takes place in a certain sense: it is common practice in many countries for a woman to abort her fetus if it is found to have severe congenital defects such as Down’s syndrome. Wider embryo selection would allow parents to choose to a child with more genes predisposing to certain traits, such as intelligence or good health, without genetic modification. CRISPR could enable almost unlimited possibilities, including the creation of monstrosities.

Such biotechnologies, which are in principle neither good nor bad and anyway are probably inevitable in the long run, become dangerous in a nihilistic context like ours.

Catholic embers

Still, we should not write off traditional values yet. Fourquet also highlights another trend: the more economically backward, farmer-heavy, and religious regions of France in 1960 – especially concentrated in the western regions – are today among the most economically dynamic and socially cohesive. Demographers Hervé Le Bras and Emmanuel Todd have attributed this to what they call “Zombie Catholicism,” though it might be fairer to speak of residual Catholic traditional values. Fourquet “completely agrees with their analysis when they describe, for example, the higher educational performance and greater social cohesion reigning in the Grand Ouest as being the shadow of Catholicism, whose flame has since gone out” (p. 14).

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Percentage of farmers as a share of the active population in 1968

By contrast, the precociously dechristianized and industrialized regions of northern and eastern France are now economically depressed and culturally alienated. The Whites there often in a bad state. This may be because of the collapse of traditional values which imposed some structure on lower class Whites’ lives. This is an intriguing hypothesis. Then again, the reversal of economic fortunes between western and northeastern France may also be part of a cycle of difficult economic reconversion for regions heavily invested in now-obsolete industries.

In any case, religious minorities often have high fertility while liberal nihilists, understandably, do not. For those who see no particular importance for lineage, nation, or God, who consider that all human beings are basically equal atoms in an empty universe, raising children naturally seems a meaningless chore or, at best, a mere lifestyle choice. Enhanced or modified reproduction, at this is stage, make up a very small minority of births.

In France, Catholic religiosity is not synonymous with being a hick. Rather, provincial bourgeois Catholic families are famous for being high-functioning, educated, and high-fertility, providing the cadres for the country’s anti-gay-marriage movement in past years. A friend of mine from my university days is such a Catholic, an engineer, apologist of Marshal Philippe Pétain (finding “Work, Family, Fatherland” a much more constructive slogan than “Liberty, Equality, Fraternity”), and is currently expecting his fifth child.

But how significant are high-functioning Catholics actually? This is difficult to say, as there is a lack of data. It is noteworthy that today’s practicing French Catholics are much more likely to be religious out of sincere individual zeal rather than socially conformist pressure. If we look a century or two ahead, assuming humans are still ruling the roost, it seems probable the Earth will naturally fall to believers.

Notes

[1] Of course, traditional norms are not uniformly adaptive in an evolutionary sense. In Catholic Europe, the specific expression of these norms was partially determined in a top-down fashion by the particular doctrines of the Church. Several important Catholic doctrines may be considered maladaptive or dysgenic, notably the the sacralization of fetuses (retarding the development of medical technologies), the ban on abortion, and the drive to convert all human beings to the faith regardless of ethnicity.

dimanche, 04 octobre 2020

CHESTERTON, un catholique social anglais

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CHESTERTON, un catholique social anglais

Ex: https://anti-mythes.blogspot.com

Rencontre avec Philippe Maxence, auteur de L'Univers de G.K. Chesterton

M & V : A maints égards, la pensée de Gilbert Keith Chesterton semble être le pendant anglais de celle des catholiques sociaux français : la guilde anglaise, par exemple, partage plus d'un point commun avec la corporation. Comment cette parenté s'exprime-t-elle ?

Philippe Maxence : Comme les catholiques sociaux français, Chesterton a été profondément touché par l'encyclique de Léon XIII, Rerum novarum. Il y a toutefois deux différences entre les Français et Chesterton. La première est que les Français voient dans l’encyclique de Léon XIII une confirmation : de leurs propres vues. Pour Chesterton, Rerum novarum est véritablement un point de départ. La seconde différence tient aux situations particulières en Angleterre et en France. Les Français, et singulièrement les catholiques, vont vite se diviser sur la question du meilleur régime : monarchie ou république. Ce n’est pas le cas des Anglais.

D'autre part, la France reste majoritairement agricole et artisanale. La propriété privée y est plus abondamment répandue. En revanche, en Angleterre, les terres appartiennent principalement à des grandes familles aristocratiques ou aux grands capitaines d'industrie. Le paysan y est d'abord un ouvrier, de même que l’artisan. L'industrialisation y est plus développée que dans notre pays, et y produit des effets dramatiques. En fonction de ces différences, les catholiques sociaux français vont insister sur l’organisation sociale dans son ensemble, par le biais d'un système corporatiste, tandis que Chesterton et ses amis vont mettre l'accent sur la large distribution de la propriété privée.

M & V : En pourfendant la ploutocratie ou le grand magasin, c'est la famille que défend Chesterton. Il la définit à la fois comme la « base » et la « cellule mère » de la société, mais aussi comme « l'institution anarchiste par excellence ». Comment expliquer ce paradoxe ?

PM.: Chesterton place en effet la famille à la base et même au cœur de la société. Lorsqu'il utilise l'expression d'institution anarchiste, il entend affirmer que la liberté ne s'apprend et ne s éduque véritablement qu'au sein de la famille. C'est l'un des sens du paradoxe chestertonien. L'autre, c'est que la loi qui régit la famille est l’amour et que cette loi distingue radicalement l'institution familiale de toute autre institution humaine.

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M & V : « Pour sauver la famille, il nous faut révolutionner la nation », écrit Chesterton. Par de nombreux côtés, cet écrivain catholique, qui reproche au socialisme, non pas « de vouloir révolutionner notre vie commerciale », mais « de vouloir la conserver si horriblement pareille », est en effet un révolutionnaire, par exemple lorsqu'il prône le « distributisme ». Qu'entend-il par là ?

PM. : Avant d'être une théorie économique, le distributisme est une vision du monde qui refuse de réduire l'homme à son aspect économique tel qu'il découle de la révolution anthropologique des Lumières. Il s'affirme en premier lieu, pour la liberté de l'homme et de sa famille, pour qu'il soit maître de son destin qu'il soit concrètement propriétaire de sa maison et des moyens de production deuxièmement, pour un monde fondé sur l'acceptation des limites et qui de ce fait respecte les petites nations et s'organise donc de façon décentralisée. Plus de société et moins d'État enfin pour des économies plus locales, s'appuyant sur l'artisanat et l’agriculture, sur des groupements professionnels autogérés et des mutuelles coopératives.

M & V : Plus généralement, la critique et les conceptions sociales de Chesterton vous paraissent-elles encore d'actualité ?

PM.: S'il manque peut-être à Chesterton une réflexion sur le cadre institutionnel, il n'en reste pas moins que ses conceptions rencontrent de plein fouet la réalité de notre monde contemporain, qui repose sur une mondialisation dépossédant les nations et les familles, et qui veut faire exploser toute notion de limites par la course en avant de la consommation et de la technologie. Le renouveau d'intérêt que connaissent ses idées dans le monde anglo-saxon témoigne de sa pertinence face aux problèmes actuels.

Monde&Vie 13 décembre 2008 n°804 

dimanche, 27 septembre 2020

Montherlant et l'écrivain Banine (1905-1992) convertie au catholicisme

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Montherlant et l'écrivain Banine (1905-1992) convertie au catholicisme

par Henri de Meeûs

Ex: htpp://www.montherlant.be

1. Qui est Banine ?

Umm-El-Banine Assadoulaeff (Umm El-Banu Äsâdullayeva) (1905-1992) est une remarquable écrivain français d’ascendance azérie, née au Caucase, petite-fille de deux Azéris millionnaires, Shamsi Asadullayev et Musa Nagiyev. Elle a écrit sous le pseudonyme de Banine.

Après la Révolution, Banine a émigré en France à Paris en 1924 pour rejoindre sa famille dont son père avait été ancien ministre du gouvernement de la première et éphémère République d’Azerbaïdjan (déc. 1918 - avril 1920). Elle avait fui l’Azerbaïdjan soviétique en passant par Istanbul, où elle abandonna son mari avec lequel elle avait été mariée de force à l’âge de quinze ans. C’est dans cette ville qu’après des années de relation avec le milieu littéraire de l’époque, Montherlant, Kazantzákis et Malraux, entre autres, l’ont poussée à publier ses écrits.

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Banine a consacré la fin de sa vie à faire découvrir la culture et l’histoire de l’Azerbaïdjan en France et en Europe. Ses livres les plus connus sont Jours caucasiens et Jours parisiens.

Banine était l’amie et l’“ambassadrice de Jünger en France”, écrivain auquel elle a consacré trois livres], rencontré au cours de la Seconde Guerre mondiale à Paris, et du russe Ivan Bounine.

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Réfugiée à Paris, elle a fait tous les métiers, a été païenne et athée. Avant sa conversion au catholicisme, il ne s’agit que d’une femme de plus de quarante ans, gelée jusqu’à l’âme par une passion humaine et qui semble avoir épuisé toutes les raisons de vivre.

2. Sa conversion au catholicisme

Dans les années 1950, complètement démolie par une passion amoureuse qui avait duré plus de dix ans pour un homme remarquable mais insensible à ses appels et à ses cris, - (Qui fut cet homme tant aimé ? Un inconnu ? Montherlant ? Aucune preuve ! Aucune certitude, même s’il y eut en fait une correspondance entre Banine et Montherlant durant plusieurs années) -, et après avoir vécu de grandes souffrances, elle renoncera à cet amour sans réponse, et entreprit une longue et tâtonnante démarche intérieure de quelques années vers une conversion totale au catholicisme. Elle abjura la religion musulmane et se fit baptiser dans la religion catholique en 1956.

Son livre “J’ai choisi l’Opium”, aux éditions Stock, 1959 ("Opium" pour “l’opium du peuple” = christianisme, ndlr), livre très remarquable, est le Journal de cette conversion religieuse traversée de doutes, d’hésitations, et qui finit par la purifier et la transporter dans l’amour du Christ.

Banine est une femme d’une grande intelligence, à l’esprit délié, très lucide. Elle connaissait bien le milieu littéraire, et notamment Montherlant, Malraux, Junger, Ivan Bounine. Elle est aussi une amie et une correspondante de Jeanne Sandelion, la poétesse qui durant plus de trente ans exprima à Montherlant un amour infatigable.

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3. Voici quelques extraits du Journal de Banine, (édité en 1959 chez Stock), décrivant le processus passionnant de sa conversion

“J’étais trop torturée par un amour qui ne laissait en moi de place pour rien d’autre : absurde, impossible, il me tenait lieu de mythe, de religion, de vie. Je n’avais de pensée, de sentiment, de larmes que pour lui.(…) Plutôt qu’aimer, j’idolâtrais. Mais les idoles ne font pas souffrir leurs adorateurs, alors que la mienne était mon bourreau (…) Je suis gelée jusqu’à l’âme. Je me débats dans cet amour comme un poisson pris dans un filet. Je cherche une échappée, et ne la trouve pas (…)Je m’assomme à hurler." (page 13)

“Je ne savais pas encore que quand on est épris d’absolu, il faut le chercher ailleurs que dans la créature : la meilleure du monde ne saurait vous combler. (…) Saturée de souffrance, je pris prétexte un jour d’une nouvelle preuve d’indifférence de l’idole pour rompre. Cet homme lointain, froid, inaccessible, n’avait à m’offrir que des lettres, et celles-ci à peine amicales. Je savais depuis longtemps déjà que je me consumais pour une chimère montée de toutes pièces et qu’il me fallait abattre pour retrouver une vie normale. Je me savais arrivée au bout de ma résistance nerveuse. (…) Toujours portée à l’ l’insomnie, je ne dormais presque plus.” (…)

“Je savais de tout mon instinct que si je ne réagissais pas brutalement contre cette maladie qui me dévorait l’âme comme un cancer, je me perdrais. (…) J’écrivis donc une lettre de rupture - et je continuai à souffrir.” (pages 14 et 15)

“Voici neuf ans, il est venu en ce jour (2 mai) pour la première fois. Journée fatidique et comique. Dès son départ, après une heure passée avec moi, la passion a commencé à me grignoter - elle le fait encore. (…) Je ne regrette pas mes lettres de rupture : aimer un fantôme à quoi bon ? Tant qu’à se vouer à un esprit, il serait préférable d’entrer au couvent et se fiancer à Jésus ?” (page 17)

Henry-de-Montherlant.jpg“Aujourd’hui, Jeanne Sandelion a déjeuné chez moi. Depuis qu’elle donne dans la piété, l’âge critique aidant (le Dieu du retour d’âge), elle a beaucoup gagné. Au lieu de parler de robinets détraqués ou de poêles qui se distinguent par leur mauvais tirage, elle m’entretient de la vie de son âme - qui est belle. (…) Cette conversation avec J. S m’a fait du bien. Elle prétend être passée par les mêmes tourments pour ensuite redevenir heureuse par une sorte de grâce survenue un jour, à l’improviste.” (page 29 et 30).

“Montherlant me fait la surprise de m’envoyer ses Textes sous une Occupation avec une dédicace (aimable) (…) Comme la dernière lettre (voir ci-dessous “Lettre de Montherlant à Banine”) du cher Maître respirait la rage et le mépris (j’avais osé lui dire que la foi seule semble donner ici-bas un semblant de sérénité, je ne comptais plus sur ses bontés. (…)” (page 30)

“Je pense à cette lettre invraisemblable (lire infra) que Montherlant m’a écrite un jour et où il crachait son mépris pour les croyants. Et pourtant leur attitude (celle des vrais croyants) prouve la valeur immense de la foi, celle-ci ne fût-elle qu’un leurre. Ce qui ne l’est pas c’est leur comportement, et le bien qu’ils savent faire. Alors que le sourire sardonique d’un Montherlant ne peut faire que du mal, à lui-même et aux autres.” (page 37)

“J’ai 48 ans. L’année ne m’a apporté aucune joie, mais elle m’a accordé mieux qu’une joie, une victoire. Je crois avoir extirpé de mon cœur l’obsession X. Pourtant depuis ce dîner où l’on n’a parlé que de lui, retour de flamme qu’il m’a fallu éteindre dans des torrents de larmes. Tout cela est grotesque. La chasteté me pèse de moins en moins.” (page 42)

Le 1er janvier 1954, elle écrit superbement : “Indifférence, résignation sans douceur en ce début d’année qui ne m’apportera rien de bon, j’en suis certaine. "On peut compter les minutes où il vous arrive quelque chose”, dit Simone de Beauvoir au début de son livre sur l’Amérique. Ou il vous arrive des accidents désagréables ; des feuilles d’impôt, des maladies, des ruptures. Il ne vous arrive presque jamais rien d’agréable. Rien ne vient jamais changer en bien le cours d’une existence dont on finit par en avoir "par dessus la tête”, pour s’exprimer noblement. On n’écrit jamais le livre décisif, on ne fait jamais une rencontre fulgurante, on ne trouve jamais un travail qui fait basculer l’existence. On attend, on attend, et l’on attend encore, et l’on finit par se trouver un gros cheveu blanc, puis un autre qui fait école, jusqu’à ce que la situation s’inverse et qu’au lieu de chercher ses cheveux blancs, on en cherche qui soient noirs. Ensuite on remarque qu’en lisant il faut repousser le livre de plus en plus loin : allongement de la vue. Mais on continue d’attendre puisque l’attente a la vie aussi dure que vous-même. On attend toujours avec patience, puis avec impatience, avec tristesse, avec rage. (…) On meurt par fragments, en attendant cette fois-ci la mort grandeur nature. On renonce au combat, au bonheur, donc à se sentir vivre. On se ratatine, on dépérit, et vous voilà une vieille dame ou un vieux monsieur, les cheveux tout blancs (teints ou non), les dents fausses en pagaïe dans la bouche, des rides visibles sur la figure et d’autres, invisibles qui vous plissent le cœur.” (page 44)

“La solitude devrait m’aider à me rapprocher de Dieu.” (page 45)

“Depuis quelques jours, bonheur intérieur. La passion humaine m’avait enveloppée de ténèbres. Maintenant qu’elles semblent se dissiper, la lumière se lève dans mon âme. (…). D’un homme j’avais fait un dieu et de cette idolâtrie j’attendais le bonheur. Quelle dérision. Elle m’a valu des années de souffrances et le travail meurtrier de la neurasthénie m’a menée au bord de l’anéantissement - et ce n’est que justice. (…) je crois renaître.” (page 48)

“Ce sentiment outrancier et trop dramatique que j’avais porté en moi pendant près de dix ans, destiné à un homme qui ne m’aimait pas, était-ce de l’amour ? Je commence à en douter : il y entrait tellement plus d’exaspération que de générosité ; et peut-être aussi le désir spectaculaire “de vivre un grand amour”. Mais d’autre part, comment l’amour contrarié n’irait-il pas en s’exaspérant et pourquoi le désir d’aimer ne serait-il pas l’amour ?” (page 49)

51WEq7wHqPL._SX195_.jpgLe 12 avril 1954, elle écrit : “Non seulement je n’ai pas été heureuse, mais, surtout, je n’ai pu rendre heureux personne. Si un au-delà existe et si on doit un jour comparaître devant une instance supérieure, quelle sera ma justification ? Un énorme zéro.” (page 54).

Le 19 avril 1954 : “Cet amour absurde qui m’étouffait au point que physiquement je respirais mal, s’est-il enfin dissipé comme un cauchemar ? Puis-je vraiment me sentir enfin libre,libre, libre ?


Banine va poursuivre son chemin de conversion en fréquentant à Paris la chapelle Cortambert, où elle écoute la messe, où elle prie. Elle demande de l’aide à des prêtres pour essayer de mieux comprendre son attirance pour le Christ, fascination qui ne fera qu’augmenter. Elle est suivie avec patience et délicatesse par un moine bénédictin, elle sollicite le baptème, mais celui-ci, saint homme, veut d’abord qu’elle creuse davantage, qu’elle reconnaisse la divinité du Christ ce qui prendra des mois avant qu’elle ne l’accepte. Il soumet la patience de Banine à rude épreuve car elle a un caractère de feu qui veut tout et tout de suite. Elle est devenue une amoureuse du Christ, elle vit avec intensité les messes quotidiennes (où elle ne peut communier vu qu’elle n’est pas encore baptisée), elle prie beaucoup, pleure aussi, en un mot elle passe par le processus de purification des convertis.

Elle écrit le 23 avril 1955 : “La manière dont les incroyants sont amenés à Dieu varie à l’infini, mais la capture des forts m’intéresse le plus. Dieu les prend dans ses filets malgré leur intelligence, leur puissance, leur orgueil, et ils ne se débattent même pas toujours plus que les faibles. C’est le plus souvent par le sentiment de la vanité du monde qu’Il les touche (…) J’ignore si Dieu existe, mais mon besoin de lui est aussi réel que mon besoin de boire ou de dormir.” (page 120)

Et le 22 décembre 1956 : “Le bonheur et la joie se démènent en moi - je finirai par éclater si ça continue - demain je serai baptisée.(…) J’ai voulu être libertine et une passion (stupide ou sublime, je ne sais plus) m’a consumée.(…) Ce lent mûrissement intérieur qui, à travers les obstacles et par-delà les chutes, m’a menée aux pieds du Christ… J’étais saisie d’émerveillement (…) Je me sens heureuse du bonheur que seul, lui, le Christ - Dieu - peut donner. " Je chante à l’ombre de tes ailes" clamait le psalmiste - et je chante avec lui. Demain, le 23 décembre, jour de la Sainte Victoire, je serai baptisée. J’ai choisi l’opium (du peuple, ndlr) - et le Christ m’a ressuscitée des morts.” (pages 217 à 219)

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4. La lettre de Montherlant à Banine

Source : “Le Funambule, livres anciens et modernes, Deutsch-französische Antiquariatsbuchandlung, catalogue n°6 de la vente publique, novembre 1995”

Paris, le 24 juillet 1952

Madame Banine
40 Rue Lauriston
Paris(16ème)

Chère Madame,

Je puis difficilement exprimer la profondeur du mépris que j’ai pour ceux ou celles (celles, plus nombreuses) qui, au déclin de leur âge, lèvent les yeux vers le ciel, - et en qui le prêtre se glisse dans la brèche faite par la peur. Ceux qui, toute leur vie, ont vécu avec une foi religieuse sont ou des esprits débiles, ou de bons esprits, mais avec un coin véreux : ce coin véreux où se loge "Dieu”. Pour eux, il me semble qu’on peut avoir l’indulgence que mérite la faiblesse humaine. Mais ceux qui, ayant, toute leur vie, "su raison garder”, se décomposent et " trouvent Dieu" dans la peur finale, non sans vous faire la leçon, car cela se passe toujours avec un comble de prétention et de prosélytisme, pour ceux-là, je le répète, j’ai un mépris dont je ne puis mesurer le fond.

Tout cela ne touche en rien ma phrase sur le bonheur des croyants. La seule question est : le bonheur doit-il être payé au prix de la lâcheté et de l’imbécillité ?

En dictant cette lettre, voici que je me rappelle l’impression que me faisait sur moi, quand j’avais douze ans, la phrase de Pétrone dans le roman Quo Vadis, où, songeant aux chrétiens, il dit "que les païens eux aussi savent mourir".

Je n’ai pas lu le livre de Mme Yourcenar. L’histoire romancée est pour moi de la ratatouille, quand la vie est si belle, et si belle l’histoire honnête, qui ne prétend qu’à la reconstituer. Et tous ces gens qui ont besoin de Mme Yourcenar pour découvrir les Grecs et les Romains, et que ces Grecs et ces Romains après tout n’étaient pas si bêtes, me semblent porter surtout un triste témoignage sur l’inculture et l’ignorance de notre époque.

Vous m’avez envoyé un livre de Jünger. Je vous ai répondu, il me semble, que je le lirais cet été, ce qui est toujours dans mes intentions. Merci pour ce que vous me dites de mes pages de la Table Ronde. Et croyez,chère Madame, à l’assurance de mes meilleurs souvenirs.

                                                                                                                   Montherlant.

Ndlr : Cette lettre de Montherlant n’empêcha pas la conversion de Banine !

5. Le cœur de Banine bat pour Montherlant et pas pour Jünger

Il y a une lettre très révélatrice de Banine à Montherlant. Elle est datée du 30 décembre 1953. Voici ce qu’elle écrit à Montherlant :  “ Ce que j’aime le plus décidément en vous, c’est votre attitude devant la vie, votre personnage. Que de résonnance il éveille en moi, ce qui m’étonne car enfin comment peut-on être attiré à la fois par Tolstoï et par Montherlant  ? Aux antipodes l’un de l’autre…Et si j’aime moins votre mépris pour l’humanité, je ne le comprends que trop, étant littéralement ravagée de mépris et m’en défendant en vain… “ Il faut toujours combattre la tentation de mépriser ”, dit Junger dernière manière. Je suis de raison avec lui, de cœur avec vous : l’humanité est beaucoup plus méprisable qu’admirable. Mais là devrait intervenir cette charité dont vous parlez aussi beaucoup. ”

NDLR : sauf preuve contraire, Banine fut une grande amoureuse de Montherlant ; cela semble évident  !

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6. Œuvres de Banine

  • Nami, Gallimard, 1942
  • Jours caucasiens, Julliard, 1946
  • Rencontres avec Ernst Jünger, Paris, Julliard, 1951
  • J’ai choisi l’opium, Paris, Stock, 1960
  • Après, Stock, 1962
  • Jünger, ce méridonal, Antaios, 1965
  • Portrait d’Ernst Jünger : lettres, textes, rencontres, Paris, La Table Ronde, 1971.
  • L’Homme des Complémentaires, La Table Ronde, 1977
  • Ernst Jünger aux faces multiples, Lausanne, éditions L’Âge d’Homme, 1989
  • Jours parisiens, Gris Banal, 2003

mercredi, 02 octobre 2019

«Bergoglio part en guerre contre le souverainisme»

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«Bergoglio part en guerre contre le souverainisme»

par Marcello Veneziani

Article paru initialement sur le site de l’auteur

Ex: https://cerclearistote.com

En condamnant sans appel le souverainisme et en l’associant à la guerre et au nazisme, le pape Bergoglio a fait, dans le climat agité du mois d’août, une déclaration de guerre mondiale au nom de la paix et des migrants. Non seulement il a excommunié[1] Salvini et béni la sainte alliance entre 5 étoiles et PD, comme beaucoup l’ont souligné, mais il a attaqué tous les souverainistes du monde, de Trump à Poutine, du nationaliste indien Modi au catholique Orban et au Brésilien Bolsonaro qui dirige le pays catholique le plus peuplé au monde. Je ne me souviens pas d’une accusation politique aussi radicale et explicite de la part d’un Pape, du moins au cours des soixante-dix dernières années, avec une comparaison aussi infâme avec le nazisme et la guerre. Pour trouver un vague précédent, il faut remonter à l’excommunication du pape Pie XII, à l’été 1949, contre les communistes. Mais le communisme était un régime totalitaire et athée en action, il persécutait croyants et dissidents, il étouffait la liberté dans le sang et dans le goulag. Nous en sommes ici a priori à l’excommunication de dirigeants et de mouvements populaires, démocratiques et librement élus qui n’ont commis aucun crime et n’ont fait aucune action ou déclaration hostile à la foi, à l’Église et aux croyants. En les excommuniant, Bergoglio s’est lancé dans une comparaison imprudente tirée de la propagande actuelle, entre le souverainisme d’aujourd’hui et le nazisme et la guerre d’hier et de demain. Ce serait comme accuser de communisme anti-occidental ou de complicité avec le fanatisme islamique quiconque veut faire débarquer les immigrants illégaux et imposer leur accueil. Un procès d’intentions sans fondement.

Du reste, combien de guerres récentes ont été menées au nom de la paix et du Bien contre les puissances du mal; combien de guerres pacifistes, combien d’exterminations humanitaires, combien de bombes progressistes larguées sur les populations, combien d’invasions pour le bien, combien de mauvais traitements et de refus démocratiques des immigrants illégaux. C’est le démocratique et pacifiste Kennedy qui a mené la guerre au Vietnam et qui a frôlé la guerre avec l’URSS à Cuba; et c’est le « méchant conservateur » Nixon qui a mis fin à la malheureuse guerre au Vietnam et a dialogué avec le communisme chinois.

En déclarant la guerre au souverainisme, Bergoglio a commis trois actes hostiles en un: il a offensé les catholiques qui votent librement pour les « souverainistes » en les réduisant à des disciples potentiels d’Hitler et à des ennemis de l’humanité et du christianisme, érigeant ainsi un mur de haine et de mépris contre eux; justement lui, qui a dit vouloir abattre tous les murs, en a érigé un, gigantesque, insurmontable. Il a ensuite placé l’Eglise sur un front politique aux côtés de mouvements, gouvernements et organes laïcistes, athées, maçonniques, radicaux de gauche ou pro-islamiques, en tout cas opposés au christianisme et à ses valeurs, à la civilisation catholique et à la famille chrétienne. Et il s’est rangé du côté de l’Europe anti-chrétienne des eurocrates, de l’establishment laïciste et du pire capitalisme financier, contredisant également son populisme christiano-tiersmondiste. Par ailleurs, Bergoglio doit encore nous raconter quelle fut sa relation avec la dictature argentine lorsqu’il était un prélat influent dans son pays.

Les catho-bergogliens se sont insurgés avec colère et mépris (mais toujours au nom de la charité) contre ceux qui soulèvent ces objections auprès du Pape, les accusant d’insolence. Il est ridicule que ces catholiques progressistes recourent au dogme de l’infaillibilité du Pape et se réfugient derrière le principe d’autorité qu’ils ont piétiné jusqu’à hier, disons jusqu’au pape Ratzinger.

Le problème est l’opposé: ce ne sont pas ceux qui critiquent les déclarations politiques de Bergoglio qui se placent au-dessus du Pape, mais c’est Bergoglio qui descend en dessous de son rôle de Pape, au point d’utiliser des instruments de propagande politique et médiatique de la gauche qui accusent de nazisme quiconque ne pense pas comme eux. Un vrai Pontife devrait construire des ponts et non des clôtures, il devrait se placer au-dessus des parties et des idéologies, exhorter à trouver un point de synthèse, s’efforçant de sauver un noyau de vérité dans chacune des parties sur le terrain.

Pour les catho-bergogliens, la vérité de l’Évangile et du christianisme n’est pas celle transmise par deux mille ans de tradition chrétienne, de foi, de doctrine, d’exemple de saints et théologiens, de papes et de martyrs. Mais elle est seulement dans la lecture qu’en fait aujourd’hui Bergoglio, dans un vol fantasmé du début du christianisme au Concile Vatican II, avec une brève escale franciscaine. Le reste est effacé.

Cette représentation manichéenne du Bien et du Mal est puérile et réductrice. Les maux dont la société est infestée sont multiples, évidents et loin du souverainisme: la drogue et la criminalité qui en découle, le terrorisme et le fanatisme, la persécution des chrétiens dans le monde, la délinquance généralisée et le trafic d’enfants, d’utérus, d’organes, de femmes, de migrants, pour n’en citer que quelques-uns. Des maux dont le souverainisme est considéré par beaucoup comme un rempart et un antidote. En élevant le souverainisme au rang de mal souverain de l’époque, ces maux mondiaux, avec leurs agents et alliés, sont passés sous silence.

Dans un monde dominé par l’athéisme et menacé par l’islamisme, Bergoglio désigne le souverainisme comme son principal ennemi et exhiber un chapelet est sa marque. Pendant ce temps, la civilisation chrétienne et la foi chrétienne sont effacées de la vie publique et privée, les églises, les fidèles et les vocations sont en chute libre, le sens religieux disparaît à l’horizon des gens, mais ce qui compte c’est la mobilisation humanitaire en faveur des migrants et la résistance contre un prétendu danger nazi. Et entre-temps, les catholiques pratiquants en Europe, une fois exclus les souverainistes, sont réduits à huit pour mille de la population….

Marcello Veneziani


[1] Marcello Veneziani utilise le terme « excommunié » au sens figuré ou imagé.  Stricto sensu,  il n’y a que deux  types d’excommunication : l’excommunication ferendæ sententiæ (en vertu d’une décision judiciaire ou administrative) etl’excommuniction latæ sententiæ (lorsque le droit canonique le prévoit expressément). Mais ce n’est n’est pas (encore ?) le cas de Salvini.

mardi, 24 septembre 2019

TERRE & PEUPLE Magazine n°80

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Communiqué de "Terre & Peuple-Wallonie"

TERRE & PEUPLE Magazine n°80

Le numéro 80 de Terre & Peuple Magazine est centré autour du thème ‘L’Eglise de Bergoglio – le naufrage’.

Pierre Vial, brocardant la Macronie dans son éditorial, épingle la porte-parole du gouvernement, une Sénégalaise, française depuis 2016, qui revendique sereinement de « mentir pour protéger le président ».  Se flattant d’être diplômée en philosophie, elle avertit : « Je ne crois que ce que je vois, » mais confond ensuite Saint Thomas d’Aquin et l’apôtre Thomas !

Thodinor interviewe Jean-Marie Le Pen au sujet de ses mémoires, épuisées en librairie dès avant de paraître !  Plus rebelle que révolutionnaire, le Menhir confie n’avoir jamais consenti à obéir qu’aux Jésuites et à la Légion, deux organismes dont les cadres s’imposent de donner l’exemple.  Il se dit pagano-chrétien.  Né le jour du solstice d’été, il est sensible aux influences telluriques, poétisées par une religion révélée qu’il ne pratique pas, sans pour autant la renier.  Pour lui, le poujadisme était déjà une réaction de l’aristocratie populaire à la trahison des élites.  Le communisme a été écrasé, mais ce n’est qu’une victoire à la Pyrrhus, car le virus perdure à travers les médias et l’enseignement.  Seule est efficace la résistance nationale pour les racines et les traditions.  Il ne croit pas à une fédération européenne : les nationalismes doivent rester forts, mais se conjuguer.  Dissoudre l’UE serait ouvrir une béance, sans doute mortelle.  Il faut révéler les réalités, ouvrir les yeux.

Introduisant le dossier central, Pierre Vial rappelle que, dans son combat contre l’identité européenne, le Pape a adressé, lors de sa visite au Maroc, un discours aux migrants envahisseurs. Appelant à l’exécution rapide du Pacte de Marrakech, au moyen notamment des « visas humanitaires », il promet : « Les sociétés d’accueil s’enrichiront si elles savent valoriser la contribution des migrants. »  Il recommande de créer en Europe une société interculturelle.  Entre-temps, elle se déchristianise comme jamais.

Pierre Vial se réfère au volumineux ouvrage (632 pages) ‘Sodoma, enquête au cœur du Vatican’ (Laffont 2019) du journaliste écrivain Frédéric Martel.  Correspondant à France-Culture, celui-ci était déjà l’auteur de ‘Le rose et le noir, les homosexuels en France depuis 1968’ (Le Seuil 1996) et de ‘Global Gay, Comment la révolution gay change le monde’ (Flammarion 2013).  Homosexuel ostensible, Frédéric Martel a mené l’enquête auprès de 1.500 personnalités, dont 41 cardinaux qui ont presque tous accepté que soit révélée leur identité.  De son étude, il conclut: « Le sacerdoce a longtemps été une échappatoire pour des jeunes homosexuels.  L’homosexualité est une des clés de leur vocation. »  Selon lui, il y aurait, lorsqu’on monte dans la hiérarchie ecclésiastique, de plus en plus d’homosexuels au point que, au Vatican, l’hétérosexualité serait l’exception !  Cette situation ne serait pas de l’ordre de la dérive, mais du système, lequel prend soin de se masquer, affectant d’être homophobe !  Frédéric Martel s’en prend aux Légionnaires du Christ, l’empire éducatif et humanitaire du prêtre Mexicain Marcial Maciel, plus que suspect, mais finalement innocenté et rétabli par Paul VI et Jean-Paul II, en reconnaissance de l’ampleur de ses réalisations : 15 universités, 50 séminaires, 177 collèges, 34 écoles, 125 maisons religieuses, etc !  Frédéric Martel n’est pas un martyr de la vérité historique, loin s’en faut.  Toutefois, que son registre soit peu ragoûtant, voire dégoûtant (il pousse jusqu’à faire flèche de « rumeurs récurrentes » sur les mœurs du Pape Pie XII !) n’efface pas la réalité que révèle son énorme contribution : le pourrissement avancé de l’Eglise de Bergoglio.

Remarquant que Benoît XVI, le pape démis, a attribué récemment à l’esprit de Mai ’68 les déviances dans l’Eglise, Robert Dragan rappelle que celle-ci se présente en détentrice de la vérité par la Révélation.  Pour elle, toutes les autres religions sont fausses et, partant, d’origine satanique.  Il en est ainsi de la Gnose, voie ésotérique de la connaissance intuitive des choses divines, qui a séduit, après le néo-platonicien Plotin, le dominicain Maître Eckhart et, plus près de nous, le jésuite Teilhard de Chardin.  Après s’être incarnée dans les Rose-Croix, la Gnose se cristallisera, en 1717, dans la franc-maçonnerie, que la papauté excommuniera aussitôt.  Avec la restauration de la monarchie, les idées modernistes ne progressent plus dans l’Eglise que masquées.  Pour faire face à leur diffusion, celle-ci les condamne et le Concile de Vatican I proclame le dogme de l’infaillibilité pontificale en matière de foi et de morale.  Pie X (qui sera canonisé par Pie XII) imposera aux prêtres le serment anti-moderniste.  Le cardinal Mariano Rampolla, franc-maçon de la Haute Loge OTO, n’en parvient pas moins à devenir le secrétaire de Léon XIII et, à la mort de celui-ci, à être élu par le Sacré-Collège.  Saisi, l’Empereur François-Joseph, exerce alors son droit de veto (droit déjà appliqué au premier Jean XXIII déposé en 1414) et c’est le cardinal Sarto qui est élu au second tour sous le nom de Pie X.  Mais le cardinal Rampolla demeure en place et continue de placer ses protégés (dont l’un devint le pape Benoît XV) et il prend comme secrétaire Eugenio Pacelli (qui deviendra Pie XII).  Durant la première moitié du XXe siècle, une abondante littérature dénonce l’infiltration moderniste.  La Seconde Guerre Mondiale discrédite les conservateurs, qu’on amalgame à la droite autoritaire, voire à la collaboration avec les perdants.  Au même moment, les démocrates chrétiens créent la Communauté européenne.  Le communisme a cessé d’être considéré comme intrinsèquement pervers depuis que, l’Allemagne, renversant en 1941 son alliance avec l’URSS, celle-ci s’est retrouvée dans le camp du Bien.  Sous le pseudonyme Maurice Pinay, les traditionnalistes s’activent alors à la rédaction d’un ouvrage collectif ‘2000 ans de complot contre l’Eglise’.  Y contribuent le cardinal Ottaviani, Mgr Lefebvre et Léon de Poncins.  Jean XXIII se refuse à révéler, comme promis par ses prédécesseurs, le troisième secret de la Vierge de Fatima : l’apostasie de la hiérarchie. 

Paul-VI-VM.jpgA sa mort, lui succède sous le nom de Paul VI le cardinal Montini, compromis dans l’affaire du Russicum (dénonciation au KGB des prêtres et évêques clandestins derrière le rideau de fer).  Pour le cardinal Traglia : « Le diable est au Vatican. »  Padre Pio le dénonce de même.  Mais le concile consacre le triomphe des modernistes.  L’encyclique Nostra Aetate reconnaît le judaïsme comme religion-mère.  Le Sanhédrin n’est plus responsable du déicide.  L’Eglise s’est trompée durant 1965 ans !  Pour le cardinal Suenens, lui aussi franc-maçon : « Vatican II, c’est 1789 dans l’Eglise. »  Les francs-maçons étant excommuniés de facto, tous les papes depuis 1958 sont des anti-papes !  De nouveaux rituels d’ordination et de sacre sont promulgués, sans être théologiquement motivés, ce qui pose la question de leur validité.  Le rituel de la messe est profondément modifié, écourté et simplifié.  Les traditionnalistes se replient derrière Mgr Lefebvre, lequel ordonne plusieurs évêques, ou derrière d’autres dissidents, dont les Sédévacantistes qui considèrent que le siège de Pierre est inoccupé.  Les premiers se divisent entre la Fraternité Saint Pierre et la Fraternité Saint Pie X.  Celle-ci se divise à nouveau entre ceux qui acceptent la main tendue par Benoît XVI à son supérieur Mgr Fellay et ceux qui jugent que c’est un piège.

Jean-Patrick Arteault adresse une lettre ouverte à ses amis chrétiens, en particulier les catholiques romains.  Incroyant, il est prêt, pour la survie de son peuple albo-européen autochtone, à servir le christianisme pour le message culturel qu’il a encore.  La Manif pour Tous a permis aux catholiques conservateurs de se compter.  La compétition religieuse avec un islam agressif ouvre la perspective d’une résistance et d’un retour aux racines chrétiennes.  L’obstacle est le Pape François qui, prônant l’ouverture, va jusqu’à pratiquer l’auto-humiliation, donc la soumission.  A l’objection que c’est la subversion moderniste qui est parvenue à faire élire un antipape, il remarque que les catholiques reconnaissent son magistère, sauf une infime minorité.  Le christianisme que cette minorité place aux racines de l’Europe n’est qu’un greffon, dont les racines propres sont moyen-orientales.  L’Ancien Testament, que les Juifs appellent La Loi, n’a -quel que soit son charme- rien à voir avec l’imaginaire européen, dont les vraies racines sont un mixte des peuples néolithiques fécondé par la vision et la culture des Indo-Européens, holistes et profondément polythéistes. Alors que le christianisme, dépossédant le judaïsme de son élection divine en se proclamant ‘verus Israël’, a développé sa propre trame idéologique : un Dieu unique et universel, créateur d’hommes égaux vouant leur vie à leur salut individuel, soit les trois valeurs premières de l’Occident : individualisme-égalitarisme-universalisme.  Selon l’auteur, les Pères de l’Eglise ont subverti le judaïsme (en proclamant que le christianisme donne leur vrai sens à Platon et Aristote) et la religion romaine et ensuite celles des Germains, des Celtes, des Scandinaves, des Slaves, des Baltes, soit les sentiments profonds de ces peuples.  On ne peut implanter des valeurs étrangères dans une psychologie collective sans une passerelle mentale : les missionnaires ont récupéré certains mythes des païens à convertir, se laissant ainsi contaminer.  Notamment la triade des trois ordres, ceux qui prient, ceux qui combattent et ceux qui travaillent, en paraphrase de la trinité du Père, du Fils et de l’Esprit assortie d’une divinité Mère et de génies bienfaisants (voire malfaisants).  Les clercs ont refusé cet enracinement, une première fois par la Réforme Grégorienne, qui rompt avec la pratique indo-européenne de l’association du spirituel et du politique.  Elle ne sera plus coopérative et coordonnée, mais ordonnée par le spirituel, auquel est soumis le temporel.  C’est cette prétention dominatrice qui suscitera, avec la séparation de l’Etat d’avec l’Eglise, la marginalisation progressive de celle-ci.  Les élites ne se faisaient qu’un souci mineur de la religiosité populaire, alors d’un paganisme flamboyant.  La réforme protestante, par contre, avec la traduction des textes sacrés en langue vernaculaire et l’introduction de l’imprimerie, oppose doctrine et pratiques ‘superstitieuses’, dont elle ne considère pas les racines culturelles.  La contre-réforme catholique toilettera les superstitions et se distanciera des protestants par ses fastes.  Communautaires, les églises protestantes ont lassé moins vite que l’église romaine hiérarchique et bureaucratique.  L’alphabétisation et l’urbanisation ont étranglé le paganisme campagnard.  Le bon Pape François ne manque de rappeler que son église n’est européenne qu’accidentellement.  Universaliste, elle n’a plus intérêt à se cramponner à l’Europe.  Entre son message cosmopolite et nos racines ethniques, il faut choisir.

clovis_bapteme.jpgAlain Cagnat rappelle les liens intimes de la France avec l’Eglise : Clovis (496), les carolingiens avec Charles Martel et Charlemagne (800), le roi Saint-Louis (1239), Jeanne d’Arc (1431), Louis XIII qui consacre la France à la Vierge-Marie.  Au moyen-âge, les paysans se groupent autour de leur curé, loin de la richesse, parfois scandaleuse, des prélats.  La contestation ne touche que les plus instruits.  Les humanistes placent l’homme au centre du jeu et l’irréligion introduit le libertinage.  Par la lecture littérale des textes, la Réforme écarte les clercs, intermédiaires entre le croyant et Dieu.  L’esprit des Lumières prétend fonder le monde sur la raison, plutôt que sur une révélation contre laquelle se liguent des sociétés de pensée.  La désaffection des fidèles touche d’abord les villes.  La Révolution, avec la constitution civile du clergé (les prêtres, élus, doivent prêter serment et les réfractaires sont persécutés), provoque une réaction.  Des provinces se soulèvent, dont la Vendée.  Deux Frances s’opposent, deux universalismes, et l’Eglise se scinde en progressistes et traditionnalistes.  Le Concordat entre Bonaparte et Pie VII apaise les esprits, mais le catholicisme n’est plus la religion officielle, mais celle d’une majorité.  Il va récupérer une partie du terrain avec la restauration et avec la Loi Guizot sur la liberté de l’enseignement primaire.  Les apparitions de la Vierge (Lourdes 1858) rapprochent l’Eglise d’une partie, surtout féminine, de la population.  Sont négatifs, par contre, le développement de l’évolutionnisme de Charles Darwin  et l’emprise de la pensée d’Ernest Renan, qui s’attache à concilier sentiment religieux et analyse scientifique.  Le fossé se creuse entre villes et campagnes.  Le prolétariat ouvrier échappe à l’Eglise.  La loi de 1901 contraint les congrégations religieuses à se faire agréer.  Le président du Conseil Emile Combes, défroqué devenu anticlérical, bloque les demandes : trois mille établissements scolaires sont fermés ; des milliers de religieux sont expulsés.  Les biens de l’Eglise sont étatisés et 70.000 édifices doivent être inventoriés.  La colère des fidèles (qui ont financé la réparation des saccages des révolutionnaires) dégénère en émeutes qui font des morts. Cinq mille inventaires ne seront jamais exécutés.  L’Action Française, puissante, organise malgré l’interdiction des manifestations qui rassemblent des foules (en commémoration à Jeanne d’Arc ou au génocide vendéen).  Monarchiste, nationaliste, antisémite, elle fait peur aux démocrates chrétiens qui l’accusent de se servir de l’Eglise sans la servir.  Pie XI met Maurras à l’index et excommunie les membres et sympathisants du mouvement.  Les clercs suspectés font l’objet d’une chasse aux sorcières par les futurs activistes de Vatican II.  Dans le marxisme, certains prêtres catholiques perçoivent des échos d’un message évangélique égalitariste et universaliste.  Pour rechristianiser le monde ouvrier, certains s’engagent à l’usine, adhèrent à la CGT, voire au parti communiste.  Ils soutiennent le Vietminh.  Pie XII, qui a excommunié les communistes dès 1949, met fin en 1954 à l’expérience des prêtres ouvriers (que Jean XXIII rétablira dès 1965).  En Indochine, bien que les viets assassinent les prêtres locaux, la sympathie de la hiérarchie va au Vietminh, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes primant pour l’Eglise !  Pour la question algérienne, le bas clergé épouse la cause française, mais les congrégations, associations, dont l’Action Catholique, et la presse choisissent l’Algérie algérienne.  De nombreux religieux cachent, soignent, approvisionnent (y compris en explosifs) les terroristes du FLN et acheminent ou exfiltrent des déserteurs.  L’Eglise ferme les yeux.  Ben Bella remerciera ceux qu’il qualifie de ‘vrais chrétiens’ : « Certains nous ont aidés concrètement, n’hésitant pas à se trouver à nos côtés. »  Dès le début du XXe siècle, les paysans, fascinés par les lumières de la ville, quittaient la terre des ancêtres, qui ne les nourrit plus.  A la place de leur communauté, qu’ils rencontraient chaque dimanche, ils ne trouvent plus que l’aliénation d’une société universelle de consommation ordonnée à les endetter.  Avec Vatican II, l’Eglise veille à prendre ce virage universaliste, condamnant toute discrimination, même des ennemis déclarés, « en tout premier lieu les musulmans qui adorent avec nous le Dieu unique. »  Jean XXIII corrige la condamnation par Pie XI du communisme ‘intrinsèquement pervers’ : « Nous avons autre chose à faire qu’à lui jeter des pierres. »  Dans le même temps, les rites sont dépouillés.  Le latin est remplacé par les langues vulgaires.  La musique est réduite à l’élémentaire.  On tutoie Dieu dans les prières.  On tourne le dos à son tabernacle.  On se passe l’hostie de main en main.  Les prêtres quittent leur soutane.  Les fidèles désertent les églises.  Mgr Lefebvre se retranche dans sa Fraternité.  Paul VI dénonce le fumées de Satan dans l’Eglise !  Bâtard des matérialismes capitaliste et communiste, Mai ’68 consacre le triomphe de l’individualisme et du nihilisme.  Interdit d’interdire, un aréopage d’intellectuels en vogue réclame la dépénalisation de la pédophilie avec des enfants ‘consentants’ quel que soit leur âge !  Naît alors, en Amérique latine, la théologie de la libération, qui engage des religieux dans l’activisme révolutionnaire.  Pour Paul VI, dans Evangelii nuntiandi, « La libération totale n’est pas étrangère à l’évangélisation. »  Mais en 1984, après que Mitterand ait promis de faire de l’Education nationale un service laïc unifié, deux millions de manifestants lui expriment à Paris leur refus. C’est la dernière victoire du peuple.  Contre le mariage homosexuel, la Manif pour Tous réalisera une mobilisation égale, mais molle, à laquelle Hollande opposera sans dommage un bras d’honneur.  Pour achever la famille, il ne reste plus que la GPA et la PMA.  L’Eglise est désertée.  Il n’y a plus que 60% de catholiques déclarés dont 5%, vieillissants, se disent pratiquants.  La  prêtrise est en voie de disparition par manque de vocations.  L’islam sera sous peu la première religion de France, avec la complicité de l’Eglise.

pie12.jpgAlain Cagnat remarque que Pie XII n’invitait les pays riches à accueillir des immigrants qu’en cas de nécessité et à condition de renoncer à leur propre culture.  Jean XXIII reconnaît, moyennant des motifs valables, le droit de se fixer à l’étranger, déplorant la séparation de la famille.  Paul VI attend « un vaste élan d’unification de tous les peuples et de l’univers. »  Il contredit Pie XII en prônant le droit de conserver sa langue maternelle et son patrimoine spirituel.  Pour Jean-Paul II, l’immigration enrichit la culture d’accueil et les immigrants n’ont pas à se laisser assimiler : « Dieu a choisi la migration pour signifier son plan de rédemption.»  Incitant les fidèles à la désobéissance civile, il confirme l’orientation politique de l’Eglise.  Pour Benoît XVI, « L’émigration est la préfiguration de la cité sans frontières de Dieu. »  Le peuple d’accueil doit se soumettre au message du Christ.  Mais il évoque ce que l’Eglise doit à l’Europe, à ses racines tant grecques et romaines que chrétiennes.  Au contraire, le Pape François ne manque pas de rappeler qu’il est fils d’immigré et que l’Europe lui est étrangère.  Il néglige les motifs d’émigration et parle d’itinéraires qui renouvellent l’humanité entière.  Il invite les pays d’accueil à « créer de nouvelles synthèses culturelles ».  A la Journée de l’Accueil du migrant, il recommande de faire passer la sécurité personnelle de celui-ci avant la sécurité nationale et de lui ouvrir sans limite le régime national d’assistance sanitaire et de retraite.  Il réclame pour lui la liberté religieuse, le regroupement familial et la protection de l’identité culturelle, interdisant au pays d’accueil d’imposer sa langue.  En avril 2019, il invitait : « Rendons grâce à Dieu pour une société multiethnique et multiculturelle. »  Le 8 juillet 2013, il s’adressait aux « chers immigrés musulmans » pour l’ouverture du Ramadan.  Le 16 avril 2016, il embarquait dans son avion des familles de réfugiés syriens musulmans, ignorant le martyre des Syriens chrétiens.  Après l’assassinat du Père Hamel, il ose objecter : « Si je parlais de violence islamique, je devrais également parler de violence catholique. »  Ce qui fait dire à Michel Onfray : « L’amour est une évidente promesse de victoire pour ceux qui ont choisi la haine. »  Le cardinal guinéen Robert Sarah écrit : « J’ai peur que l’Occident ne meure. »

Tomislav Sunic titre ‘La décadence finale ?’  Se référant à Montesquieu et à la notion allemande d’entartung, ou dénaturation, il démontre que l’amour indifférencié qui élargit l’amour pour la patrie est en fait de l’indifférence .  Depuis celle de l’empire romain, l’Europe a survécu à plusieurs décadences, mais celle-ci pourrait être finale.  Il cite Oswald Spengler, pour qui le déclin de l’occident résulte du vieillissement biologique, et Arthur de Gobineau qui, avec son ‘Essai sur l’inégalité des races’, démontre que la décadence est la conséquence de la dégénérescence de la conscience ethnique.  Il cite l’écrivain romain Salluste, pour qui c’est la metus hostilis, l’inquiétude de la menace hostile, qui est la base de la virtus, de la virilité, au contraire de la richesse, qui incite à la composition et au déni de soi.  Le poète satirique Juvenal a dénoncé les étrangers venus d’orient et d’Afrique, qui introduisaient la mode de la zoophilie et de la pédophilie.  Le plus grand nombre d’esclaves venait d’orient, d’Egypte et d’Afrique.  Les européens étaient de plus grand service à l’empire en tant que soldats, moins en tant que domestiques.  Les esclaves orientaux étaient méprisés dans la conscience romaine, à cause de leur méchanceté !

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Pour Jean Haudry, la notion de décadence exclusive est au centre de la conception indo-européenne des âges du monde, présente en Inde, en Grèce en Scandinavie et en Irlande, mais elle est récente.  Il a existé une conception antérieure d’alternance de phases de progrès et de décadence.  Dans la conception indienne, l’histoire du monde se répartit en quatre âges, nommés à partir de coups du jeu de dés.  Dans le parallèle grec des races d’Hésiode, aux âges d’or, d’argent, de fer, les héros justes et pieux d’un âge de bronze sont précédés par des hommes injustes et impies. Le poème eddique Voluspa présente l’histoire du monde en trois parties, qui correspondent aux trois fonctions. Elle commence par la première guerre du monde entre les Ases et les Vanes, provoquée par l’ivresse de l’or, à rapprocher des Lois de Manou qui attribuent la décadence au gain mal acquis.  La mort de Baldr annonce le Crépuscule où dieux et géants s’entretueront.  Cyclique, le monde détruit renaît par son âge d’or.  La quatrième attestation, celtique, est la prédiction de la Bodb, celle du monde qui ne plaira pas.  Ces quatre documents, concordants, suffisent pour conclure à un héritage de la période commune.  La tradition se partage en trois périodes : celle de la religion cosmique, celle de la société lignagère des quatre cercles et des trois fonctions et la société héroïque qui précède les dernières migrations.  L’absence de correspondant iranien est un indice du caractère récent de cette conception pessimiste de l’histoire.

Jean Haudry livre une recension du numéro 68, particulièrement substantiel, de Nouvelle Ecole.   La paléo-génétique du foyer d’origine des Indo-Européens, analyse biologique de fossiles d’os et de dents, confirme la théorie scythique des auteurs du XVIIe siècle qui rejetaient la légende biblique.  On lui avait entre-temps préféré l’Asie centrale, la Scandinavie, voire les régions circumpolaires (Tilak).  Elle avait été confirmée par la théorie des Kourganes de Marija Gimbutas.  La raciologie actuelle permet de distinguer trois ensembles à la base des Européens : les chasseurs-cueilleurs occidentaux, les néolithiques du Levant et d’Anatolie et la population des Kourganes.

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Haplogroupe R1b

Robert Dragan complète cette recension en évoquant les progrès de la paléo-génétique, qui permettent de rattacher sans risque d’erreur des restes à un ‘haplogroupe’ apte à transmettre de manière homogène une mutation, d’identifier les migrations et de mesurer les mélanges.  On distingue ainsi les EHG (Eastern Hunters Gatherers) des ANE (Ancient North Asians) et des CHG (chasseurs-cueilleurs du Caucase).  Les Européens appartiennent en majorité à l’haplogroupe R1 lui-même divisible en R1a et R1b.  Le matériel archéologique permet de dater les mutations et dès lors l’haplogroupe qui s’y rattache.  Si une population envahie accepte de se métisser, elle ne transmettra à ses descendants qu’une part de son héritage.  Quand un séquençage révèle un tel changement, on tient la preuve d’une invasion.  On peut en mesurer les proportions et donc raconter l’histoire.  Au paléolithique, la population EHG qui occupe la Sibérie a pour ancêtres les ANE, présents dans la région depuis au moins 24.000 ans et dont une branche a traversé le détroit de Behring.  Il est établi que l’occupation humaine de la Sibérie n’a jamais connu d’interruption ni de rétractation dans les périodes glaciaires. Une population génétiquement homogène occupe un couloir entre la Volga et le Pacifique.  Le blondisme semble répandu.  Selon le linguiste David Anthony, un parler proto-indo-européen, avec des affinités avec le proto-ouralien et le proto-kartvelien, ancêtre du géorgien, du tchétchène et de l’avar, se serait fixé dans les steppes ponto-caspiennes entre 4500 et 2500, genèse de culture héroïque des Indo-européens, semi-nomades conduits par des chefs guerriers et cavaliers.  Le peuple indo-européen semble issu du mélange de Sibériens et de Caucasiens  dans la basse Volga.

zevi.jpgPierre Vial poursuit son analyse de l’identité juive par le Sabbatianisme, mouvement mystique fondé en Palestine en 1665 par l’ascète Sabbataï Tsevi.  Menacé de mort par le sultan s’il ne se convertit pas à l’islam, il choisit de préserver l’étincelle de sainteté qu’il porte en lui.  Détenu dans une forteresse, il promulgue un Mystère de la vraie foi.  La plupart de ses disciples, en ayant en apparence adopté l’islam, conservent ses rites et demeurent juifs.  Ils sont persécutés par les rabbins.  Jacob Frank (1726-1791) métamorphose le sabbatianisme, qui trouve alors refuge dans le monde chrétien.  S’intégrant à la noblesse polonaise et autrichienne et devenant francs-maçons, ses disciples établissent le nouvel ordre maçonnique des Frères d’Asie, mêlant la Kabbale juive à des éléments chrétiens.  A la même époque, le mouvement social et religieux hassidiste se répand en Europe de l’Est.  Se fondant, au contraire de l’ascèse, sur l’expérience émotionnelle, l’intention, la ferveur et la joie, ils pratiquent la danse, volontiers débridée, qui peut amener le tzadik à la justesse et à devenir médiateur entre les croyants et Dieu.  C’est dans le contexte des violences épouvantables qu’ont eu à subir les communautés juives de la part des cosaques et des brigands qu’apparait le tzadik Ba’al ShemTov (1700-1760), pour qui la mystique importe plus que la connaissance : il a des visions et perd connaissance.  Ses disciples, les hassidim (les pieux) lui font une confiance absolue.  Il accomplit des miracles, guérit les malades tant par ses invocations que par ses simples.  Conteur, il enseigne par des fables.  Ses successeurs étendent le hassidisme vers la Pologne et la Russie Blanche.  Les Hassidim trouvent des opposants dans les Mitnagdim, lesquels les accusent de frivolité.  Au XIXe siècle, tous les pays d’Europe reconnaissent aux juifs l’égalité des droits, à l’exception de la Russie, qui les avait interdits jusqu’au milieu du XVIIIe siècle, lorsqu’elle a annexé de vastes territoires ottomans et polonais.  Elle ne les tolère que dans la zone frontière occidentale.  Alexandre Ier les incite à travailler la terre.  Nicolas Ier leur impose un service militaire, espérant leur conversion.  Dès qu’Alexandre II lève les restrictions, d’importantes communautés s’installent à Saint-Petersbourg et à Moscou.  De nombreux jeunes juifs, qui croient que leur émancipation viendra d’un changement de régime, militent pour la révolution.  La tentative d’intégration est un échec.  L’assassinat du tsar Alexandre II déclenche une vague de pogroms et une vague d’émigrations vers l’Europe de l’ouest et le Nouveau Monde.

Pierre Vial rend hommage à notre ami Guillaume Faye récemment disparu.  C’est un témoignage de reconnaissance, dans les deux sens du terme, d’aveu féal et de gratitude.

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samedi, 12 janvier 2019

Uit het arsenaal van Hefaistos

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Uit het arsenaal van Hefaistos (1)

Uit het arsenaal van Hephaistos

Tien Traditionalistische perspectieven op de ideologie van de vijandelijke elite

aan de hand van Robert Steuckers’

Sur et autour de Carl Schmitt. Un monument revisité

(Les Edition du Lore, 2018)

door Alexander Wolfheze

Voorwoord: de anatomische les van Carl Schmitt en Robert Steuckers

Zonder macht kan rechtvaardigheid niet bloeien,

zonder rechtvaardigheid vergaat de wereld tot as en stof.

– vrij naar Goeroe Gobind Singh

Eerder is hier al zijdelings aandacht besteed aan bepaalde aspecten van het gedachtegoed van Duits staatsrecht specialist en rechtsfilosoof Carl Schmitt (1888-1985)i – dit essay zal Schmitt’s wetenschappelijke nalatenschap in meer detail bekijken. Aanleiding hiertoe is het recent verschijnen van het nieuwste boek van Belgisch Traditionalistisch publicist Robert Steuckers. Met Sur et autour de Carl Schmitt bijt Steuckers in de Lage Landen de spits af met een eerste substantiële monografie die past bij de recente internationale rehabilitatie van Schmitt’s hoogst originele – en hoogst actuele – gedachtegoed.ii Lange tijd was Schmitt’s gedachtewereld en levenswerk nagenoeg ‘taboe’ door zijn – complexe en daarom gemakkelijk vulgariseerbare – associatie met het Naziregime. Inderdaad werd Schmitt in mei 1933, kort na Hitler’s machtsovername, lid van de NSDAP en ondersteunde hij de autoritaire amputatie van de in zijn ogen – en die van bijna alle Duitsers – ongeneeslijk verrotte Weimar instituties. Inderdaad werd hij na de ondergang van het Derde Rijk door de Amerikaanse bezettingsautoriteiten geïnterneerdiii en weigerde hij consistent zich te onderwerpen aan de politiekcorrecte ‘wederdoop’ van semiverplichte Entnazifizierung: zijn principiële verzet tegen de bezetter kostte hem zijn academische carrière en zijn maatschappelijke aanzien. Die houding werd echter niet ingegeven door groot enthousiasme voor het Naziregime: in Schmitt’s visie schoot dat regime volledig tekort in termen van hogere legitimiteit en historische authenticiteit.iv Schmitt’s weigerde zich na Stunde Null simpelweg in te laten met de nieuwe ideologische Gleichschaltung – en met collaboratie met de bezetter. Ongeacht de exacte mate van Schmitt’s inhoudelijke ‘besmetting’ met de meer virulente uitwassen van het Nationaalsocialisme, blijft het een feit dat Schmitt’s denken en werken in dezelfde naoorlogse ‘quarantaine’ belandde waarin ook het denken en werken van vele andere Europese grote namen werd ‘weggezet’. Zo eindigde hij – net als Julius Evola in Italië, Louis-Ferdinand Céline in Frankrijk, Mircea Eliade in Roemenië, Knut Hamsun in Noorwegen en Ezra Pound in Amerika – in het rariteiten kabinet van de geschiedenis.

LORE-CS-Steuckers_site.jpgMaar zeventig jaar later blijkt dat de na de Tweede Wereld Oorlog tot standaarddoctrine verheven historisch-materialistische mythologie van ‘vooruitgang’ en ‘maakbaarheid’ – de socialistische variant in het ‘Oostblok’ en de liberale variant in het ‘Westblok’ – de Westerse beschaving aan de rand van de ondergang heeft gebracht. Na de val van het Realsozialmus in het Oostblok valt de hele Westerse wereld ten prooi aan wat men het ‘Cultuur Nihilisme’ kan noemen: een giftige cocktail van neoliberaal ‘kapitalisme voor de armen en socialisme voor de rijken’ en cultuurmarxistische ‘identiteitspolitiek’ (de nieuwe ‘klassenstrijd’ van oud tegen jong, vrouw tegen man en zwart tegen blank). Dit Cultuur Nihilisme kenmerkt zich door militant secularisme (vernietiging levensbeschouwelijke structuur), gemonetariseerd sociaaldarwinisme (vernietiging sociaaleconomische structuur), totalitair matriarchaat (vernietiging familiestructuur) en doctrinaire oikofobie (vernietiging etnische structuur) en vindt zijn praxis in de Macht durch Nivellierung mechanismen van de totalitair-collectivistische Gleichheitsstaat.v Dit Cultuur Nihilisme wordt nog steeds in eerste plaats gedragen door de forever young ‘baby boom’ generatie van rebels without a cause, maar zij plant zich nu voort als shape-shifting ‘vijandelijke elite’ die zichzelf voedt uit steeds weer nieuw uitgevonden ‘onderdrukte minderheden’ (rancuneuze beroeps-feministen, ambitieuze beroeps-allochtonen, psychotische beroeps-LBTG-ers). De macht van deze vijandelijke elite berust op twee onlosmakelijk met elkaar verbonden krachtenvelden: (1) de globalistische institutionele machinerie (de ‘letterinstituties’ – VN, IMF, WTO, WEF, EU, ECB, NAVO) waarmee zij zich onttrekt aan staatssoevereiniteit en electorale correctie en (2) het universalistisch-humanistische discours van ‘mensenrechten’, ‘democratie’ en ‘vrijheid’ waarmee zij zich de ideologische moral high ground toe-eigent. Deze dubbel trans-nationale en meta-politieke machtspositie stelt de vijandelijke elite in staat zich systematisch te onttrekken aan elke verantwoordelijkheid voor de enorme schade die zij toebrengt aan de Westerse beschaving. De door de vijandelijke elite begane misdaden – industriële ecocide (antropogene klimaatverandering, gewetenloze milieuverontreiniging, hemeltergende bio-industrie), hyper-kapitalistische uitbuiting (‘marktwerking’, ‘privatisering’, social return), sociale implosie (matriarchaat, feminisatie, transgenderisme) en etnische vervanging (‘vluchtelingenopvang’, ‘arbeidsmigratie’, ‘gezinshereniging’) – blijven ongestraft binnen een institutioneel en ideologisch kader dat letterlijk ‘boven de wet’ opereert. Het is alleen met een geheel nieuw juridisch kader dat deze straffeloosheid kan eindigen. Carl Schmitt’s rechtsfilosofie levert dat frame: zij biedt een herbezinning op de verloren verbinding tussen institutioneel recht en authentieke autoriteit en op wat daar tussenin hoort te liggen – maatschappelijke rechtvaardigheid. Voor het herstel van deze verbinding benut Schmitt het begrip ‘politieke theologie’: de aanname dat alle politieke filosofie direct of indirect voortvloeit uit al dan niet expliciet ‘geseculariseerde’ theologische stellingnamen. De politieke verplichting om een op immanente rechtvaardigheid gericht institutioneel recht te bevorderen ligt dan in het verlengde van een transcendent – theologisch – onderbouwde autoriteit.

Het is tijd het achterhaalde politiekcorrecte en niet langer houdbare ‘taboe’ op Carl Schmitt’s gedachtegoed te corrigeren en te onderzoeken welke relevantie het kan hebben voor het hier en nu overwinnen van de Crisis van het Postmoderne Westen.vi Robert Steuckers’ Sur et autour de Carl Schmitt laat ons daarbij niet alleen een monumentaal verleden bezoeken – het laat ons ook actuele inspiratie putten uit het machtige ‘Arsenaal van Hephaistos’vii

(*) Net zoals bij zijn voorafgaande bespreking van Steuckers’ werk Europa IIviii kiest de schrijver hier voor een de dubbele weergave van zowel Steuckers’ oorspronkelijke – wederom haarscherpe en azijnzure – Franse tekst als een Nederlandse vertaling. Zoals ook daar gezegd, deelt de schrijver de mening van patriottisch publicist Alfred Vierling dat de Franse taalcultuur essentieel afwijkt van de mondiaal hegemoniale Angelsaksische taalcultuur die in toenemende mate de Nederlandse taalcultuur domineert – en daarmee uit haar oorspronkelijke balans brengt. Toegang tot de Franse taal is feitelijk onontbeerlijk voor elke evenwichtig belezen Nederlandse lezer, maar het gebrek aan Franse taalkennis kan niet zonder meer de jonge Nederlandse lezer in de schoenen worden geschoven. Dit gebrek – een echte handicap bij elke serieuze studia humanitatis – komt grotendeels voor rekening van het opzettelijk idiocratische onderwijsbeleid van de Nederlandse vijandelijke elite. Eerder is in dat verband al gewezen op het dumbing down beleid dat veel verder terug dan het slash and burn staatssecretarisschap van onderwijs crimineel Mark R., namelijk op de cultuur-marxistische Mammoet Wet. De schrijver komt de lezer hier daarom tegemoet door hem zowel Steuckers’ originele Frans als zijn eigen ietwat (contextueel) vrije Nederlandse vertaling voor te leggen – vanzelfsprekend houdt hij de verantwoordelijkheid voor minder geslaagde pogingen om de Belgisch-Franse ‘bijtertjes’ van Steuckers weer te geven in het Nederlands. Een glossarium van essentiële Steuckeriaanse neo-logismen is bijgevoegd.

(**) Naar opzet is dit essay niet alleen bedoeld als recensie, maar ook als metapolitieke analyse – een bijdrage tot de patriottisch-identitaire deconstructie van de Postmoderne Westerse vijandelijke elite. Het is belangrijk te weten wie deze vijand is, wat hij wil en hoe hij denkt. Carl Schmitt’s gedachtegoed levert een rechtsfilosofische ‘anatomische’ ontleding van de vijandelijke elite – het trekt in die zin definitief de schuif weg onder die elite. Robert Steuckers levert een briljante actualisatie van dat gedachtegoed – de patriottisch-identitaire beweging van de Lage Landen is hem een dankwoord en felicitatie verschuldigd.

(***) Enerzijds wordt de ouderwets gedegen geschoolde lezer hier om geduld gevraagd met het ‘betuttelende’ apparaat van verklarende noten: dit is bedoeld voor de vele – met name jongere – lezers die door decennialange onderwijskaalslag zijn beroofd van basaal intellectueel erfgoed. Anderzijds wordt de niet in ouderwetse scholing opgevoede – en wellicht daardoor afgestoten – lezer hier om uithoudingsvermogen gevraagd: hij moet bedenken dat tekst die ‘pretentieus’ kan overkomen (point taken) niet anders is dan een reflectie van zijn eigen erfgoed, namelijk dat van de Westerse beschaving. Als de patriottisch-identitaire beweging ergens voor staat is het voor die beschaving – ΜΟΛΩΝ ΛΑΒΕ.ix

1. De wereld van het Normativisme als wil en voorstellingx

auctoritas non veritas facit legem

[macht, niet waarheid, maakt wet]

Steuckers begint zijn bespreking van het leven en werk van Carl Schmitt met een reconstructie van de cultuurhistorische wortels van de naoorlogse Westerse rechtsfilosofie. Hij herleidt de historisch-materialistische reductie – men zou kunnen zeggen ‘secularisatie’ – van de Westerse rechtsfilosofie tot de Reformatie en de Verlichting.xi De godsdienstoorlogen van de 16e en 17e eeuw resulteerden in een tijdelijke terugval van de Westerse beschaving tot een ‘natuurlijke staat’ die slechts gedeeltelijk kon worden gecompenseerd door de noodgreep van het klassieke Absolutisme (tweede helft 17e en eerste helft 18e eeuw).xii Dit ‘noodrem’ Absolutisme wordt gekenmerkt door de hooggestileerde personificatie van totaal soevereine monarchistische macht als laatste beschermer van de traditionalistische samenleving tegen de demonische krachten van modernistische chaos: na het wegvallen van de oude zekerheden van de sacrale en feodale orde grijpen ‘absolute’ monarchen in om de ontwrichtende dynamiek van het vroeg mercantiel kapitalisme, de ontluikende burgerrechten beweging en de escalerende tendens naar religieuze decentralisatie te kanaliseren. Cultuurhistorisch kan deze terugval op ‘persoonsgebonden’ auctoritas worden opgevat als een tijdelijke ‘noodmaatregel’: …en cas de normalité, l’autorité peut ne pas jouer, mais en cas d’exception, elle doit décider d’agir, de sévir ou de légiférer. ‘…onder normale omstandigheden speelt [zulk een absolute] autoriteit geen rol, maar in het uitzonderingsgeval moet zij besluiten handelend, overheersend en wetgevend op te treden.’ (p.4) Deze absolutistische ‘noodmaatregel’ is echter slechts lokaal en tijdelijk effectief: de pionierstaten van de moderniteit, zoals Groot-Brittannië en de Republiek der Zeven Verenigde Nederlanden, blijven ervan gevrijwaard – ‘semi-absolutistische’ episodes als de Stuart Restauratie en het stadhouderschap van Willem III ten spijt. Zelfs in zijn hartland overschrijdt het Absolutisme al binnen een eeuw zijn houdbaarheidsdatum – de Amerikaanse en Franse Revolutie markeren het einde van het Absolutisme en de definitieve Machtergreifung van de bourgeoisie als nieuwe dominante kracht in de Westerse politieke arena.

De burgerlijk-kapitalistische Wille zur Macht wordt abstract uitgedrukt in een politieke doctrine die gebaseerd op de effectieve omkering van de voorafgaande Traditionalistische rechtsfilosofie (dat wil zeggen van de klerikaal-feodale ‘politieke theologie’): dit nieuwe Normativisme, geconstrueerd rond burgerlijk-kapitalistisch belangen, abstraheert en depersonaliseert de staatsmacht – Thomas Hobbes beschreef haar al als een mythisch-onzichtbare ‘Leviathan’.xiii Abstractie vindt plaats door ideologisering en depersonalisering door institutionalisering: beide processen zijn gericht op het bevestigen en bestendigen van de nieuwe burgerlijk-kapitalistische hegemonie in de politieke sfeer. Rigide routines en mechanische procedures (‘bureaucratie’, ‘administratie’, ‘rechtstaat’) vervangen de menselijke maat en de persoonlijke dimensie van de macht: concrete macht verandert in abstract ‘bestuur’. L’idéologie républicaine ou bourgeoise a voulu dépersonnaliser les mécanismes de la politique. La norme a avancé, au détriment de l‘incarnation du pouvoir. ‘De republikeinse en burgerlijke ideologie wil het politieke mechanisme depersonaliseren. Zij bevordert normatieve macht ten koste van belichaamde macht.’ (p.4) Het eerste consistente experiment met het Normativisme als Realpolitik eindigt in de Grote Terreur van de Eerste Franse Republiek: het illustreert de totalitaire realiteit die noodzakelijkerwijs voortvloeit uit de consequente toepassing van het do-or-die motto dat het burgerlijk-kapitalistisch machtsproject in zowel formele (republikeinse) als informele (vrijmetselaars) vorm dekt: liberté, égalité, et fraternité ou la mort. De ethische discrepantie tussen de utopische ideologie en praktische applicatie van dat machtsproject wordt pas ideologisch afgedekt – en tot norm verheven – in het 19e eeuwse Liberalisme: het Liberalisme wordt de politieke ‘fabrieksstand’ van de moderniteit. Onder de propagandistische oppervlakte van het Liberalisme – de utopie van ‘humanisme’, ‘individualisme’ en ‘vooruitgang’ – ligt zijn diepere substantie: de met (sociaaldarwinistische) pseudowetenschap gerechtvaardigde economische uitbuiting (‘monetarisatie’, ‘vrije markt’, ‘concurrentie’) en sociale deconstructie (‘individuele verantwoordelijkheid’, ‘arbeidsmarkt participatie’, ‘calculerend burgerschap’) die met wiskundige zekerheid eindigen in sociale implosie (door Karl Marx geanalyseerd als Entfremdung en door Emile Durkheim als anomie). De op lange termijn door het Liberalisme bewerkstelligde ‘superstructuur’ berust op een zeer puristische – en daarmee zeer bestendige – vorm van Normativisme: het Liberalisme heeft daarmee tegelijk de hoogste totalitaire capaciteit van alle modernistische (historisch-materialistische) ideologieën. Zo wijst Aleksandr Doegin in zijn historische analyse, naar het Engels vertaald als The Fourth Political Theory, op deze intrinsieke – logisch-consistente en existentieel-adaptieve – superioriteit van het Liberalisme. …[L]e libéralisme-normativisme est néanmoins coercitif, voire plus coercitif que la coercition exercée par une personne mortelle, car il ne tolère justement aucune forme d’indépendance personnalisée à l’égard de la norme, du discours conventionnel, de l’idéologie établie, etc., qui seraient des principes immortels, impassables, appelés à régner en dépit des vicissitudes du réel. ‘…[H]et liberaal-normativisme werkt desalniettemin afpersend, het is zelfs veel dwingender dan de dwang die wordt uitgeoefend door een sterfelijk heerser, want het tolereert geen enkele vorm van gepersonifieerde onafhankelijkheid ten opzichte van zijn eigen ‘norm’ (conventionele consensus, standaard ideologie, politieke correctheid), verheven tot een eeuwig en ongenaakbaar principe dat zich permanent onttrekt aan de wisselvalligheden van de werkelijkheid.’ (p.5) Sociologisch kan de totalitaire superstructuur van het Liberaal-Normativisme worden beschreven als ‘hyper-moraliteit’.xiv

De vraag dringt zich op naar de rechtsfilosofische ‘bewegelijkheid’ en de ideologische relativeerbaarheid van deze schijnbaar onwrikbaar in de psychosociale Postmoderniteit verankerde monoliet. Het antwoord op deze vraag ligt in een doorbreken van de event horizon, de ‘waarnemingshorizon’ van de Liberaal-Normativistische Postmoderniteit. Een doorbraak van de ‘tijdloze’ dimensie van het Liberaal-Normativisme is mogelijk via een ‘Archeo-Futuristische’ formule: de gelijktijdige mobilisatie van hervonden oude kennis en nieuw ontdekte kracht levert de benodigde combinatie van voorstellingsvermogen en wilsbeschikking.

ii Alain de Benoist’s korte en geactualiseerde introductie Carl Schmitt actuel (2007) is inmiddels in het Engels vertaald en uitgegeven door Arktos, voor een bespreking zie https://www.counter-currents.com/carl-schmitt-today/ .

iii Op Hitler’s sterfdag werd Schmitt in Berlijn door het Rode Leger gearresteerd maar na een kort verhoor werd hij meteen weer vrijgelaten. Hij werd later als potentieel verdachte bij het Neurenberger Tribunaal alsnog opgepakt en geïnterneerd door de Amerikaanse bezetter. Plettenberg, Schmitt’s geboorte-, woon- en sterfplaats, ligt in Westfalen en dus in de toenmalige Amerikaanse bezettingszone.

iv De volgende aantekening in zijn dagboek schetst Schmitt’s diep kritische houding tegenover de subrationeel-collectivistische (‘volksdemocratische’) wortels van het Naziregime: Wer ist der wahre Verbrecher, der wahre Urheber des Hitlerismus? Wer hat diese Figur erfunden? Wer hat die Greuelepisode in die Welt gesetzt? Wem verdanken wir die 12 Mio. [sic] toten Juden? Ich kann es euch sehr genau sagen: Hitler hat sich nicht selbst erfunden. Wir verdanken ihn dem echt demokratischen Gehirn, das die mythische Figur des unbekannten Soldaten des Ersten Weltkriegs ausgeheckt hat.

v Uit de titel van een werk van de Duitse rechtsfilosoof Walter Leisner.

vi Hier wordt het ‘Westen’ gemakshalve gedefinieerd als het agglomeraat van de Europese natiestaten die hun oorsprong vinden in de West-Romeinse/Katholieke Traditie in plaats van de Oost-Romeins/Orthodoxe Traditie, kortweg West-Europa plus de overzeese Anglosfeer.

vii In de Klassieke Oudheid was (Grieks:) Hephaistos (Latijn: Vulcanus) de smid van de goden en beschermgod van de smeedkunst – dit dus in verwijzing naar ‘Schmitt’.

ix De ‘laconische’ spreuk van de Spartaanse koning Leonidas voor de Slag bij Thermopylae (480 v. Chr.) in reactie op de Perzische oproep om de wapens neer te leggen en de hopeloze strijd te staken – de strekking ervan is zoiets ‘Kom ze maar halen’, maar dan korter en krachtiger.

x Een ‘schuine’ verwijzing naar de titel (en inhoud) van het hoofdwerk van de Duitse filosoof Arthur Schopenhauer (1788-1860), Die Welt als Wille und Vorstellung.

xi Verg. Alexander Wolfheze, The Sunset of Tradition and the Origin of the Great War (2018) 53ff en 367ff (voorwoord vrij toegankelijk via de knop View Extract op https://www.cambridgescholars.com/the-sunset-of-tradition-and-the-origin-of-the-great-war en recensie vrij toegankelijk via https://www.counter-currents.com/tag/alexander-wolfheze/ ).

xii Een belangrijke cultuurhistorische reflectie van deze regressie is te vinden in Thomas Hobbes’ midden-17e eeuwse visie van een universeel geprojecteerde (proto-sociaal-darwinistische) bellum omnium contra omnes.

xiii Voor een literaire deelanalyse van de cultuurhistorische uitwerking van het Normativisme gedurende de 20e eeuw verg. Tom Zwitzer, Permafrost: een filosofisch essay over de westerse geopolitiek van 1914 tot heden (2017).

xiv Verg. Jost Bauch’s Abschied von Deutschland: Eine politische Grabschrift (2018).

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Uit het arsenaal van Hefaistos (2)

Uit het arsenaal van Hephaistos, deel 2

2. Door het glazen plafond van het Postmodernisme

ΔΩΣ ΜΟΙ ΠΑ ΣΤΩ ΚΑΙ ΤΑΝ ΓΑΝ ΚΙΝΑΣΩ

[geef me een plaats om op te staan, en ik zal de aarde bewegen]

– Archimedes

Een van de gevaarlijkste ‘kinderziekten’ van de recentelijk in de hele Westerse wereld opkomende patriottisch-identitaire verzetsbeweging tegen de globalistische Nieuwe Wereld Orde is haar onvermogen tot een correcte inschatting van de aard en kracht van de vijandelijke elite. De wijdverspreide (‘populistische’) volkswoede en beginnende (‘alt-right’) intellectuele kritiek die deze verzetsbeweging voeden worden deels gekenmerkt door oppervlakkig pragmatisme (politiek opportunisme) en emotionele regressie (extremistische samenzweringstheorieën). Beide kunnen worden begrepen als politieke en ideologische weerslag van een natuurlijk zelfbehoudsinstinct: in confrontatie met existentiële bedreigingen zoals de doelbewuste etnische vervanging van de Westerse volkeren en de escalerende psychosociale deconstructie van de Westerse beschaving hebben politiek purisme en intellectuele integriteit simpelweg geen prioriteit. Toch is het belangrijk dat de patriottisch-identitaire beweging deze kinderziekten – met name quick fix politieke ‘islamofobie’ en short cut ideologisch ‘anti-semitisme’ – zo snel mogelijk ontgroeit.i Een ‘preventieve zelfcensuur’ met betrekking tot de legitieme cultuurhistorische vraagstukken die vervlochten zijn in de ‘islamofobische’ en ‘antisemitische’ discoursen, zoals afgedwongen door het huidige politiekcorrecte journalistieke en academische establishment, is daarbij uitdrukkelijk niet aan de orde. De patriottisch-identitaire beweging geeft uitdrukkelijk prioriteit aan authentieke (dus niet slechts legalistische) vrijheid van meningsuiting: zij stelt zich op het standpunt dat politiekcorrecte (zelf)censuur en repressief mediabeleid averechts (letterlijk: ‘extreemrechts’ bevorderend) werken doordat ze het publiek wantrouwen vergroten. Door de flagrante partijdigheid van de systeempers (stigmatiseren van elke rationele kosten-baten analyse van de massa-immigratie, negeren van etnisch-geprofileerde grooming gangs, ‘herinterpreteren’ van islamistische terreur incidenten) en door het shoot the messenger overheidsbeleid ten aanzien van systeemkritische media (fake news projecties, Russian involvement verdachtmakingen, digitale deplatforming) haken mensen massaal af uit de mediale en politieke mainstream. De teloorgang van de klassieke (papieren en televisie) media en de versplintering van het politieke speelveld zijn hiervan slechts de meest oppervlakkige symptomen. De patriottisch-identitaire beweging, daarentegen, werpt zich nu op als verdediger van door de vijandelijke elite verraden – want voor haar nu overbodige en gevaarlijke – oude vrijheden van pers en meninguiting.ii De patriottisch-identitaire beweging valt nu de taak toe de door de vijandelijke elite prijsgegeven – neoliberaal verkochte en cultuurmarxistische verraden – Westerse beschaving te beschermen: dat houdt in dat ze een hoge intellectuele en ethische standaard te verdedigen heeft. Een correcte inschatting van de aard en kracht van de vijandelijke elite is daarbij een prioritaire – zelfs voorliggende – opgave: de ‘vijand’ kortweg afdoen als ‘de Islam’ of ‘het Joodse wereldcomplot’ (of beide tegelijk) doet simpelweg geen recht aan deze opgave.

Het correct benoemen van de vijandelijke elite vergt meer dan een simpele – religieus, ethisch en existentieel op zich correcte – verwijzing naar haar ontegenzeggelijk ‘duivelse’ kwaliteit: het absolute kwaad dat resulteert uit industriële ecocide, bloeddorstige bio-industrie, etnocidale ‘omvolking’, neoliberale schuldslavernij en matriarchale sociale deconstructie spreekt voor zich.iii Er is meer nodig: het is nodig te komen tot een juridisch-kaderende en politiek-actioneerbare identificatie van de vijandelijke elite. Robert Steuckers analyse van Carl Schmitt’s ‘politieke theologie’ is in dit opzicht van grote toegevoegde waarde: zij levert het intellectuele instrumentarium dat nodig is voor deze – wellicht grootste – opgave van de Westerse patriottisch-identitaire beweging.

3. Het Liberalisme als totalitair nihilisme

le libéralisme est le mal, le mal à l’état pur, le mal essentiel et substantiel

[…het liberalisme is een absoluut kwaad: het kwaad in pure vorm,

het kwaad als essentie en substantie…] (p.37)

Steuckers analyseert het Liberaal-Normativisme als de default ideology van de vijandelijke elite – de ideologie die haar machtsstatus staatsrechterlijk legitimeert: Le libéralisme… monopolise le droit (et le droit de dire le droit) pour lui exclusivement, en le figeant et en n’autorisant plus aucune modification et, simultanément, en le soumettant aux coups dissolvants de l’économie et de l’éthique (elle-même détachée de la religion et livrée à la philosophie laïque) ; exactement comme, en niant et en combattant toutes les autres formes de représentation populaire et de redistribution qui s’effectuait au nom de la caritas, il avait monopolisé à son unique profit les idéaux et pratiques de la liberté et de l’égalité/équité : en opérant cette triple monopolisation, la libéralisme et son instrument, l’Etat dit ‘de droit’, prétendant à l’universalité. A ses propres yeux, l’Etat libéral représente dorénavant la seule voie possible vers le droit, la liberté et l’égalité : il n’y a donc plus qu’une seule formule politique qui soit encore tolérable, la sienne et la sienne seule. ‘Het liberalisme… monopoliseert (1) het recht (en het recht om recht te spreken) door het [voor eens en altijd] vast te leggen, door geen enkele aanpassing meer toe te laten en door het prijs te geven aan de ‘oplossende’ inwerking van [een ongebreidelde] economie en [een losgeslagen] ethiek (een ethiek die ontsnapt aan een godsdienstig kader en die wordt gekaapt door ‘seculiere filosofie’). Door ten bate van het exclusieve eigen profijt tegelijkertijd alle andere vormen van (2) [niet partij-politieke] volksvertegenwoordiging en (3) [niet-monetaire economische] redistributie te ontkennen en te saboteren, monopoliseert het liberalisme uiteindelijk ook het [volledige] ideële en praktische [discours] van vrijheid, gelijk[waardig]heid [en] billijkheid. Met deze drievoudige monopolie positie kan het liberalisme – via zijn instrument genaamd ‘rechtstaat’ – een claim leggen op universele geldigheid. In zijn eigen ogen vertegenwoordigt de liberale staat aldus de enig mogelijk [en alleenzaligmakende] weg naar recht, vrijheid en gelijkheid. Daarmee blijft er maar één enkele acceptabele politieke formule over: de liberale – en alleen de liberale.’ (p.38) Dit is de achtergrond van door het neoliberale globalisme als universalistisch-absoluut afgespiegelde ‘waarden’ als good governance en human rights. Vanuit Traditionalistisch perspectief vertegenwoordigt het door Steuckers gedefinieerde Liberaal-Normativisme de tastbare politiek-ideologische ‘infrastructuur’ die hoort bij een erboven liggende maar ontastbare cultuur- en psychohistorische ‘superstructuur’ die hier eerder werd aangeduid met het begrip ‘Cultuur Nihilisme’: de geconditioneerde belevingswereld van sociaaleconomische Entfremdung, psychosociale anomie, urbaan-hedonistische stasis en collectief-functioneel malignant narcisme.iv Dit Traditionalistisch perspectief sluit naadloos aan bij Steuckers’ analyse van de tastbare cultuurhistorische inwerking van het Liberaal-Normativisme, dat hij expliciet benoemt als ….[le] principe dissolvant et déliquescent au sein de civilisation occidentale et européenne. …[L]e libéralisme est l’idéologie et la pratique qui affaiblissent les sociétés et dissolvent les valeurs porteuses d’Etat ou d’empire telles l’amour de la patrie, la raison politique, les mœurs traditionnelles et la notion de honneur‘…[h]et principe van ‘oplosmiddel’ en ‘verrotting’ in het hart van de Westerse en Europese beschaving. …[H]et liberalisme is bij uitstek de ideologie en de praktijk die gemeenschappen verzwakt en die de dragende waarden van de staat of het imperium, zoals vaderlandsliefde, staatsmanschap, traditietrouw en eerbesef, ‘oplost.’ (p.36-7)v

Vanuit Traditionalistisch perspectief wordt de cultuurhistorische inwerking van het Liberaal-Normativisme bepaald door een groter metahistorisch krachtenveld (de neerwaartse tijdspiraal die door de Hindoeïstische Traditie wordt benoemd als Kali Yuga en door de Christelijke Traditie als ‘Laatste Dagen’). Het historische agency van het Liberaal-Normativisme als drager van een contextueel functionele Wertblindheit komt expliciet tot uitdrukking in Steuckers’ prognose: …une ‘révolution’ plus diabolique encore que celle de 1789 remplacera forcément, un jour, les vides béants laissés par la déliquescence libérale ‘…[het is] onvermijdelijk dat op een zekere dag een nog duivelser revolutie dan die van 1789 de gapende leegte zal opvullen die de liberale verrotting heeft achtergelaten.’ (p.37) Een eerste indicatie van die nog achter het Liberaal-Normativisme verscholen liggende diepere leegte kan worden gevonden in het recente monsterverbond tussen het neoliberalisme en het cultuurmarxisme (in de Nederlandse politieke context is dit verbond al zichtbaar in de tegelijk graai-kapitalistische en diep-nihilistische programma’s van VVD en D66). Steuckers laat zien hoe Schmitt de cultuurhistorisch neerwaarts-regressieve aard van het Liberaal-Normativisme dubbel filosofisch en religieus duidt. Schmitt benoemt de consistente Liberaal-Normativistische begunstiging van pre-Indo-Europees primitivisme (Etruskisch moederrecht, Pelagiaanse ‘katagogische’ theologie) ten koste van de Indo-Europese beschaving (Romeins vaderrecht, Augustiaanse ‘anagogische’ theologie).vi Het Traditionalisme ziet in deze begunstiging een meta-historische beweging richting ‘neo-matriarchaat’: dit verklaart de chronologische samenhang tussen de Postmoderne hegemonie van het Liberaal-Normativisme en typisch Postmoderne symptomen als feminisatie, xenofilie en oikofobie.vii Sociologisch wordt deze fenomenologie zeer treffend beschreven als passend in de ontwikkeling van een ‘dissociatieve samenleving’.viii Het spookbeeld van een absoluut nihilistisch vacuüm werpt zijn schaduw al vooruit in Postmoderne discoursen als ‘open grenzen’ (genocide-op-bestelling), ‘transgenderisme’ (depersonalisatie-op-bestelling), ‘reproductieve vrijheid (abortie-op-bestelling) en ‘voltooid leven’ (dood-op-bestelling) – discoursen die als regelrecht ‘duivels’ zijn te begrijpen vanuit elke authentieke Traditie.ix

Afgezien van de natuurlijke interetnische (feitelijk ‘neo-tribale’) conflicten van de hedendaagse ‘multiculturele samenleving’ (bio-evolutionaire spanningsvelden, interraciale drifttrajecten, postkoloniale minderwaardigheidscomplexen) is het vooral de in toenemende mate diabolische leefwereld van de Liberaal-Normativistische Westerse ‘samenleving’ die het existentiële conflict tussen Westerse autochtonen en niet-Westerse allochtonen voedt. Voor elke traditionele Moslim uit het Midden-Oosten, voor elke traditionele Hindoe uit Zuid-Azië en voor elke traditionele Christen uit Afrika is de Liberaal-Normativistische open society van het Postmoderne Westen niet slechts een abstract (theologisch) kwaad, maar een geleefde (existentiële) gruwel. De gewapende terreur van de islamistische jihad is weliswaar naar (getolereerde) vorm een offensief onderdeel van de ‘verdeel en heers’ strategie van de globalistische vijandelijke elite, maar naar (geleefde) inhoud is hij beter te begrijpen als een defensief mechanisme tegen de godslasterlijke en mensonterende leefrealiteit van het Liberaal-Normativisme. Vanuit Traditionalistisch perspectief zou men kunnen stellen dat een Islamitisch Kalifaat inderdaad een (zeer relatief) ‘beter’ alternatief is voor de Westerse volkeren dan de bestiale ontmenselijking van de zich in het Postmoderne Liberaal-Normativisme aftekenende hellegang.

Hiermee is de grootste vijand van de Westerse volkeren – en tegelijk de gemeenschappelijke vijand van alle volkeren die nog leven naar authentieke Tradities – politiek benoemd: het totalitair nihilistische Liberalisme. Het Liberaal-Normativisme wordt politiek verwezenlijkt door het Liberalisme: het programma van de vijandelijke elite wordt vormgegeven door het Liberalisme. Daarbij moet worden aangetekend dat het Liberalisme sinds de Tweede Wereld Oorlog in de Westerse wereld gestaag de status heeft verworven van ‘standaard politiek discours’. Het Liberalisme doordringt, vervormt en ontregelt alle aanvankelijk concurrerende politieke stromingen – Christen Democratie (CDA, CU), Sociaal Democratie (PVDA, SP), Civiel Nationalisme (PVV, FVD) – nu zozeer dat elk spoor van authentieke democratisch-parlementaire oppositie richting een alternatieve maatschappijvorm ontbreekt. Steuckers benoemt dit ‘politicide’ proces als een functie van het ‘ideologische sterilisatie’ vermogen van het Liberalisme. Ook buiten het klassieke partijkartel (in Nederland te definiëren als de standaard bestuurspartijen – VVD, D66, CDA, CU en PVDA) is het Liberalisme nu zozeer tot politieke habitusx geworden, dat alle overige partijen – grotendeels onwillekeurig, onbewust, onbedoeld – in de rol vallen van controlled opposition. De resulterende ‘consensuspolitiek’ – in Nederland geassocieerd met het letterlijk nivellerende ‘poldermodel’ – wordt in de Westerse wereld conventioneel benoemd als ‘Neoliberalisme’ (datering: Thatcher-Reagan-Lubbers).

4. Het Liberalisme als politicide

Het ‘democratisch gekozen’ parlement is nooit de plaats voor authentiek debat:

het is altijd de plaats waar het collectivistisch absolutisme zijn decreten uitvaardigt.

– Nicolás Gómez Dávila

De vorming van Liberalistisch-geleide partijkartels en Liberalistisch-gestuurde consensuspolitiek is grotendeels te wijten aan de simpele praktijk van het parlementarisme: door de techniek van het hyper-democratisch genivelleerde en van de realiteit losgekoppeld ‘debat’ reduceert het parlementarisme alle ‘meningen’ en ‘standpunten’ grosso modo tot hun laagste gemene deler: die van het grotesk materialistische en totaal amorele Liberalisme. In het totaal nivellerend debat vervangt kwantiteit (‘democratie’) kwaliteit, vervangt gevoel (‘humaniteit’) verstand, vervangt abstract ‘bestuur’ (regelgeving, bureaucratie, protocol) concrete rechtvaardigheid en vervangt infantiele impulsiviteit (‘behoefte bevrediging’) het collectieve toekomstperspectief. De ‘koopkracht’ gaat altijd voor nalatenschap, de life style gaat altijd voor duurzaamheid en het relationele experiment gaat altijd voor gezinsbescherming. Het parlementarisme is de politiek-institutionele reflectie van de door het Liberalisme bevorderde collectivistische nivellering: het is de reductio ad absurdum van het politieke bedrijf – politiek als talkshow entertainment.[L]’essence du parlementarisme, c’est le débat, la discussion et la publicité. Ce parlementarisme peut s’avérer valable dans les aréopages d’hommes rationnels et lucides, mais plus quand s’y affrontent des partis à idéologies rigides qui prétendent tous détenir la vérité ultime. Le débat n’est alors plus loyal, la finalité des protagonistes n’est plus de découvrir par la discussion, par la confrontation d’opinions et d’expériences diverses, un ‘bien commun’. C’est cela la crise du parlementarisme. La rationalité du système parlementaire est mise en échec par l’irrationalité fondamentale des parties. ‘[D]e essentie van het parlementarisme ligt in debat, discussie en publiciteit. Zulk parlementarisme kan zichzelf als waardevol bewijzen in Areopagenxi met rationeel en helder denkende mannen, maar dat is niet langer het geval wanneer daarin rigide ideologische partijen tegenover elkaar staan die beweren de ultieme waarheid in pacht te hebben. Dan is het debat niet langer loyaal: het einddoel van de deelnemers is dan niet langer om door een discussie en een confrontatie van meningen en ervaringen het ‘hogere belang’ te ontdekken. Hierin ligt de crisis van het [huidige] parlementarisme. De rationaliteit van het [huidige] parlementaire systeem faalt door de fundamentele irrationaliteit van de partijen.’ (p.18-9)

Het is onvermijdelijk dat deze zelfversterkende crisis in toenemende mate wordt gevoed door voorheen in de politiek ‘onzichtbare’ maatschappelijke groepen. Het escalerende proces van politieke nivellering voedt zich met de individuele ambities en rancunes van de zelfbenoemde ‘voorvechters’ van zogenaamd ‘gediscrimineerde’ groepen. Wie zoekt zal vinden: er zijn altijd nieuwe ‘ondergepriviligeerde’ groepen (uit) te vinden: jongeren, ouderen, vrouwen, allochtonen, homoseksuelen, transgenders. Het totalitair nihilistische Liberalisme is het uit dit proces resulterende diepste (meest ‘gedeconstrueerde’ en meest ‘gedesubstantialiseerde’) politieke sediment – en sentiment: het is de politieke ‘nul-stand’ die overblijft na het totaal nivellerend ‘debat’, dat wil zeggen na de neutralisatie van alle pogingen tot politiek idealisme, politieke intelligentie en politieke wilsbeschikking.

Het Liberalisme realiseert de politieke (parlementaire, partitocratische) dialectiek van het Liberaal-Normativistische ideologie. In Schmitt’s visie is de dialectische vicieuze cirkel die voortvloeit uit deze ideologie alleen te doorbreken door een fundamenteel herstel van het politiek primaat. Steuckers formuleert dit als volgt: Dans [cette idéologie], aucun ennemi n’existe : évoquer son éventuelle existence relève d’une mentalité paranoïaque ou obsidionale (assimilée à un ‘fascisme’ irréel et fantasmagorique) – …il n’y a que des partenaires de discussion. Avec qui on organisera des débats, suite auxquels on trouvera immanquablement une solution. Mais si ce partenaire, toujours idéal, venait un jour à refuser tout débat, cessant du même coup d’être idéal. Le choc est alors inévitable. L’élite dominante, constituée de disciples conscients ou inconscients de [cette] idéologie naïve et puérile…, se retrouve sans réponse au défi, comme l’eurocratisme néoliberal ou social-libéral aujourd’hui face à l’[islamisme politique]… De telles élites n’ont plus leur place au-devant de la scène. Elles doivent être remplacées. ‘In [deze ideologie] kan een [echte] vijand niet bestaan: zelfs maar het mogelijke bestaan van zulk een [vijand] te suggereren is al ‘bewijs’ van een paranoïde of obsessieve mentaliteit (vast geassocieerd met een irreëel en ingebeeld ‘fascisme’) – …er bestaan alleen maar ‘discussie partners’. Daarmee organiseert men debatten die altijd onveranderlijk eindigen in een oplossing. Maar als die altijd in ideaal [vorm gedachte discussie] ‘partner’ op een dag elk debat weigert, dan vervalt ook meteen dat ideale [‘discussie model’]. Een [existentiële] shock toestand is dan onvermijdelijk. De heersende elite, die bestaat uit bewuste of onbewuste discipelen van [deze] naïeve en kinderlijke ideologie…, zal [dan] geen antwoord op deze uitdaging hebben – net zoals de neoliberale en sociaaldemocratische eurocratie [geen antwoord heeft] op het [politiek islamisme]… Voor zulke elites is geen plaats meer op het [politieke] toneel – zij moeten worden vervangen.’ (p.245)

i Voor een analyse van ‘islamofobie’ en ‘antisemitisme’ in de context van de Nederlandse patriottisch-identitaire beweging verg., resp., http://www.identitair.nl/2018/08/laat-de-islam-met-rust.html en http://www.identitair.nl/2018/12/van-jq-naar-iq.html .

iii Voor een cultuur- en psychohistorische plaatsbepaling van de vijandelijke elite verg. https://www.erkenbrand.eu/artikelen/de-levende-doden-1/ .

iv Voor een opsomming van de belangrijkste in deze ‘superstructuur’ samenvallende cultuurhistorische fenomenen verg. Alexander Wolfheze, The Sunset of Tradition and the Origin of the Great War (2018) 9-12.

v Een bio- en psychosociale analyse van de cultuurhistorische inwerking van het Liberaal-Normativisme is te vinden in het werk van de Duitse socioloog Arnold Gehlen (1904-76). Zijn structurele oppositie tussen (anagogische) Zucht en (katagogische) Entartung laat een objectief meetbare analyse toe van het Liberaal-Normativistische de-socialisatie proces (sociale ‘deconstructie’).

vi De theologische verwijzing betreft een vroeg-Christelijke doctrinaire controverse die in de Westerse context werd beslecht ten voordele van de erfzonde-erkennende leer van Augustinus (354-430) en ten nadele van de erfzonde-ontkennende leer van Pelagius (360-418).

vii Voor de cultuurhistorische ontwikkeling van het neo-matriarchaat verg. https://www.erkenbrand.eu/artikelen/de-levende-doden-1/ – voor een actueel inkijkje in de neo-matriarchale belevingsrealiteit verg. https://www.counter-currents.com/2018/12/against-escapism/ .

viii Verg. Jost Bauch’s Abschied von Deutschland: Eine politische Grabschrift (2018).

ix Het spookbeeld van de ultieme totalitaire staat, d.w.z. een leefwereld waarin de hele sociale en individuele sfeer is overwoekerd door de staat, vormt al het thema van vroeg 20ste eeuwse dystopische literaire klassieken zoals Jevgeni Zamjatin’s My (1924), Aldous Huxley’s Brave New World (1932) en George Orwell’s Nineteen Eighty-Four (1949).

x De sociologische omschrijving van sociaal-psychologische conditionering (hexis, mimesis) van Pierre Bourdieu.

xi Een verwijzing naar de heuvel nabij de Acropolis waar in de Klassieke Oudheid de Atheense senatoren bijeen plachten te komen.

lundi, 17 décembre 2018

Christianity & Nationalism: A Cautionary Tale

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Christianity & Nationalism: 
A Cautionary Tale

The arguments over identitarians should embrace or abandon Christianity is a question that still remains unresolved within the broader movement.

Last week, Quintilian entered the fray [2] and offered a reasoned argument for why white nationalists should embrace Christianity. The writer believes that white nationalists have fallen prey to the corrupted image of modern Christianity and fail to see the glory of the traditional faith. 

According to Quintilian, Christianity is essential to the creation of an ethnostate and nationalists must strive to restore it to its traditional state. But identitarians should be wary of the possibility that a restored and conservative Christianity would be amenable to our cause.

In fact, this resurgent Christianity may be more inclined to fight against our movement, regardless of however much we profess our devotion to the faith. Quintilian deplores Vatican II as the event that destroyed the historical religion, but the Church was hostile to our beliefs many long before the bishops met in Rome in 1962. Take for instance the tragic tale of the Action Française.[1] [3]

Charles Maurras’s reactionary nationalist movement wanted to restore the monarchy, end the separation of church and state, and uphold France’s traditional Catholic identity. It was firmly opposed to liberalism and many of its economic and political beliefs were firmly in line with Catholic social teaching. Maurras himself was an agnostic, but he argued for the necessity of the Catholic faith and was extremely careful in allaying clerical fears about his irreligion. This should have been a movement the Church fully supported, and in its early years, many clerics did. The movement provided most of the militant activists in Catholic battles against the forces of secularism and liberalism in the first decades of the 20th century.

Yet, many Church intellectuals began to suspect the Action Française of being too militant, too political, too nationalist, and too, hilariously enough, pagan. Clerics began to suspect the nationalists were drawing young Catholics to an ideology not controlled by the Church. Church leaders preferred a safer political outlet that directed the youth to follow the instructions of priests, not pro-Catholic agnostics.

In 1926, the Vatican issued a formal condemnation against the Action Française, put their publications on the index liborum prohibitorum, denied communion to anyone associated with the movement, and purged sympathizers from the clergy.

This was the pre-Vatican II church led by a conservative pope. Unlike any Right-wing movement today, Action Française had plenty of bishops who were willing to vouch for the proper Christianity of Maurras’s newspaper and politics. Right before the condemnation, the movement’s leaders pleaded with Catholic authorities that they were true to the faith. All of this was for naught as the Church happily kneecapped an allied movement that it could not control.

This condemnation was not enacted by liberal modernists who wanted the Church to be more tolerant and heterodox. Maurras was attacked for failing to adhere to traditional dogma and his lack of genuine piety. His movement was seen as dangerous because it made the youth too nationalist and too enamored with classical ideals. Catholic leaders did not oppose the movement because of its anti-liberalism–it was simply because Action wasn’t directly controlled by the Church and its unorthodox ideas were more popular than Church-sanctioned ones.

The Church was also hostile to the Falange for the same reasons it condemned the Action Française, along with the accusation [4] José Antonio Primo de Rivera was a “Bolshevik” for wanting sensible social reforms. Even though the Falange was firmly opposed to liberalism, defended the Church from Left-wing attacks, and emphasized Spain’s traditional Catholic identity, Church authorities did not like the movement because of its ultra-nationalism, alleged crypto-paganism, and masculine values.[2] [5]

This hostility was par for the course for the conservative Pope Pius XI, who served as the vicar of Christ for much of this time period. Pius XI is considered a man who upheld traditional church teachings against the modernists Pope Pius X despised and is altogether a representative of the era Quintilian wishes the West to return to. However, Pius XI’s Christianity was strongly opposed [6] to racialism and nationalism. He spoke out several times against racial thinking, emphasizing that “catholic meant universal” and to divide the world by nationality and race is “contrary to the faith of Christ.” He ordered the drafting of an encyclical that would aggressively condemn racialism and anti-Semitism shortly before he died in 1939. The encyclical was never published, but many of its ideas found their way in the first encyclical of Pius XI’s successor, Pius XII. That work, Summi Pontifactus, [7]claimed there were no real racial differences as we are all part of one human race.

Quintilian blames modernism for the ultimate corruption of the Church, and this may be true when it comes to the god-awful liturgy of modern masses. But modernism is not what made the Church racially egalitarian and hostile toward nationalist movements. It is a feature that has been found in Christianity since the beginning and has only been tempered by the needs of secular society.

We can see this secular temperance in Poland and Hungary, the two exemplars of the Christian nationalism Quintilian envisions. The relationship between the Church and Eastern European nationalists isn’t as harmonious as one would imagine, but the Church restrains itself on their disagreements due to the demands of secular society. Poland’s leading Catholic bishops have long urged [8] the country to take in non-white migrants and to cease its efforts to purge communists from the judiciary. Some Catholic leaders in the country have gone as far as to deride [9] the immigration policies of the ruling government as “un-Christian.”

The Church hierarchy in Hungary is slightly better as they have argued [10] with Pope Francis over the pontiff’s aggressively pro-migrant stance. But even there, prominent Church leaders still urge [11] for more liberal immigration policies, albeit in more mild tones than that of their western colleagues.

The reason the Church is more muted in its criticism of nationalism in Poland and Hungary has less to do with them finding identitarian arguments in Thomas Aquinas than in their fear of alienating the flock. The vast majority of Poles and Hungarians want to keep their countries white, regardless of whether that desire comports to church teaching. Throughout the centuries, the Church has adapted its teachings and tone to reach the widest audience. Secular liberalism’s domination of Western Europe and America makes the Church try to sound nicer on LGBT issues and pitch God as your personal therapist.

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In a society where nationalists control the discourse, the Church would similarly adapt to those circumstances, as Greg Johnson has pointed out [12]. But you first must gain power and dramatically change the culture to see this effect. A white nationalist-driven “restoration” of Christianity outside of a seizure of power is not going to happen. Institutional Christianity will continue to oppose us until that day comes, regardless of how Christian we appear today. Just ask Italy’s Lega, which seeks to put crucifixes back in classrooms and claims the Gospel as its foundation. The nationalist party receives only hostility [13] from the Church.

The resurgence of a more traditionalist Christianity wouldn’t necessarily help our cause. It would see us as an enemy and likely be as hostile to us as the corrupt institutions we face right now. As seen in the example of the Action Française, when you define yourself as a Christian movement, you become beholden to the opinions of priests and pastors. The clergy would want strict adherence to Christian dogma and would not broker “innovative” racialist readings of scripture and tradition. It would prefer we focus on side issues like banning contraceptives rather than protecting our people from demographic replacement. It would tells us African and Latin American Christians are our brothers and that there is no good reason to bar them from our countries.

To oppose these measures would risk condemnation and the deflation of our movement.

Identitarians must appeal to Christians in order to gain victory, but we mustn’t let ourselves be defined by Christianity. Our best arguments are secular and should appeal to Europeans regardless of whether they are Christian, pagan, or atheist. There is only so much energy and political capital we have and we must choose our battles wisely. To waste our limited energy on restoring Christianity to its pre-20th century state would be a serious error with no real rewards.

Notes

[1] [14] Eugen Weber, Action Francaise: Royalism and Reaction in Twentieth Century France.

[2] [15] Stanley G. Payne, Fascism in Spain: 1923-1977.

Article printed from Counter-Currents Publishing: https://www.counter-currents.com

URL to article: https://www.counter-currents.com/2018/12/christianity-and-nationalism-a-cautionary-tale/

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[1] Image: https://www.counter-currents.com/wp-content/uploads/2015/10/Charles_Maurras.jpg

[2] entered the fray: https://www.counter-currents.com/2018/11/christianity-white-nationalism/

[3] [1]#_ftn1

[4] accusation: https://www.newenglishreview.org/Norman_Berdichevsky/Franco,_Fascism_and_the_Falange_-_Not_One_and_the_Same_Thing/

[5] [2]#_ftn2

[6] strongly opposed: https://www.ewtn.com/library/CHISTORY/racialaws.htm

[7] Summi Pontifactus,: http://w2.vatican.va/content/pius-xii/en/encyclicals/documents/hf_p-xii_enc_20101939_summi-pontificatus.html

[8] urged: https://cruxnow.com/global-church/2017/09/15/catholic-leaders-trying-correct-sins-polands-leaders/

[9] deride: https://www.ncronline.org/news/world/polands-catholic-church-takes-its-critics

[10] argued: http://hungarianspectrum.org/2017/12/27/they-dont-see-eye-to-eye-pope-francis-and-the-hungarian-bishops/

[11] urge: https://www.reuters.com/article/europe-migrants-hungary-bishop/catholic-bishop-gives-shelter-to-migrants-in-rare-voice-of-support-in-hungary-idUSKBN16L1MX

[12] as Greg Johnson has pointed out: https://www.counter-currents.com/2017/12/the-christian-question-in-white-nationalism-2/

[13] receives only hostility: https://www.theguardian.com/world/2018/jul/09/italian-catholic-priests-go-to-war-with-salvini-over-immigration

[14] [1]#_ftnref1

[15] [2]#_ftnref2

 

dimanche, 01 juillet 2018

De Carl Schmitt et du combat tellurique contre le système technétronique

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De Carl Schmitt et du combat tellurique contre le système technétronique

Il y a déjà cinq ans, pendant les fortes manifs des jeunes chrétiens contre les lois socialistes sur la famille (lois depuis soutenues et bénies par la hiérarchie et par l’ONG du Vatican mondialisé, mais c’est une autre histoire), j’écrivais ces lignes :

« Deux éléments m’ont frappé dans les combats qui nous occupent, et qui opposent notre jeune élite catholique au gouvernement mondialiste aux abois : d’une part la Foi, car nous avons là une jeunesse insolente et Fidèle, audacieuse et tourmentée à la fois par l’Ennemi et la cause qu’elle défend ; la condition physique d’autre part, qui ne correspond en rien avec ce que la démocratie-marché, du sexe drogue et rock’n’roll, des centres commerciaux et des jeux vidéo, attend de la jeunesse.»

L’important est la terre que nous laisserons à nos enfants ne cesse-ton de nous dire avec des citations truquées ; mais l’avenir c’est surtout les enfants que nous laisserons à la terre ! Cela les soixante-huitards et leurs accompagnateurs des multinationales l’auront mémorisé. On a ainsi vu des dizaines milliers de jeunes Français – qui pourraient demain être des millions, car il n’y a pas de raison pour que cette jeunesse ne fasse pas des petits agents de résistance ! Affronter la nuit, le froid, la pluie, les gaz, l’attente, la taule, l’insulte, la grosse carcasse du CRS casqué nourri aux amphétamines, aux RTT et aux farines fonctionnaires. Et ici encore le système tombe sur une élite physique qu’il n’avait pas prévue. Une élite qui occupe le terrain, pas les réseaux.

Cette mondialisation ne veut pas d’enfants. Elle abrutit et inhibe physiquement – vous pouvez le voir vraiment partout – des millions si ce n’est des milliards de jeunes par la malbouffe, la pollution, la destruction psychique, la techno-addiction et la distraction, le reniement de la famille, de la nation, des traditions, toutes choses très bien analysées par Tocqueville à propos des pauvres Indiens :

« En affaiblissant parmi les Indiens de l’Amérique du Nord le sentiment de la patrie, en dispersant leurs familles, en obscurcissant leurs traditions, en interrompant la chaîne des souvenirs, en changeant toutes leurs habitudes, et en accroissant outre mesure leurs besoins, la tyrannie européenne les a rendus plus désordonnés et moins civilisés qu’ils n’étaient déjà. »

Et bien les Indiens c’est nous maintenant, quelle que soit notre race ou notre religion, perclus de besoins, de faux messages, de bouffes mortes, de promotions. Et je remarquais qu’il n’y a rien de pire pour le système que d’avoir des jeunes dans la rue (on peut en payer et en promouvoir, les drôles de Nuit debout). Rien de mieux que d’avoir des feints-esprits qui s’agitent sur les réseaux sociaux.

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J’ajoutais :

« Et voici qu’une jeunesse montre des qualités que l’on croyait perdues jusqu’alors, et surtout dans la France anticléricale et libertine à souhait ; des qualités telluriques, écrirai-je en attendant d’expliquer ce terme. Ce sont des qualités glanées au cours des pèlerinages avec les parents ; aux cours des longues messes traditionnelles et des nuits de prières ; au cours de longues marches diurnes et des veillées nocturnes ; de la vie naturelle et de la foi épanouie sous la neige et la pluie. On fait alors montre de résistance, de capacité physique, sans qu’il y rentre de la dégoutante obsession contemporaine du sport qui débouche sur la brutalité, sur l’oisiveté, l’obésité via l’addiction à la bière. On est face aux éléments que l’on croyait oubliés. »

Enfin je citais un grand marxiste, ce qui a souvent le don d’exaspérer les sites mondialistes et d’intriquer les sites gauchistes qui reprennent mes textes. C’est pourtant simple à comprendre : je reprends ce qui est bon (quod verum est meum est, dit Sénèque) :

« Je relis un écrivain marxiste émouvant et oublié, Henri Lefebvre, dénonciateur de la vie quotidienne dans le monde moderne. Lefebvre est un bon marxiste antichrétien mais il sent cette force. D’une part l’URSS crée par manque d’ambition politique le même modèle de citoyen petit-bourgeois passif attendant son match et son embouteillage ; d’autre part la société de consommation crée des temps pseudo-cycliques, comme dira Debord et elle fait aussi semblant de réunir, mais dans le séparé, ce qui était jadis la communauté. Lefebvre rend alors un curieux hommage du vice à la vertu ; et il s’efforce alors à plus d’objectivité sur un ton grinçant.

Le catholicisme se montre dans sa vérité historique un mouvement plutôt qu’une doctrine, un mouvement très vaste, très assimilateur, qui ne crée rien, mais en qui rien ne se perd, avec une certaine prédominance des mythes les plus anciens, les plus tenaces, qui restent pour des raisons multiples acceptés ou acceptables par l’immense majorité des hommes (mythes agraires).

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Le Christ s’exprime par images agraires, il ne faut jamais l’oublier. Il est lié au sol et nous sommes liés à son sang. Ce n’est pas un hasard si Lefebvre en pleine puissance communiste s’interroge sur la résilience absolue de l’Eglise et de notre message :

Eglise, Saint Eglise, après avoir échappé à ton emprise, pendant longtemps je me suis demandé d’où te venait ta puissance.

Oui, le village chrétien qui subsiste avec sa paroisse et son curé, cinquante ans après Carrefour et l’autoroute, deux mille ans après le Christ et deux cents ans après la Révolution industrielle et l’Autre, tout cela tient vraiment du miracle.

Le monde postmoderne est celui du vrai Grand Remplacement : la fin des villages de Cantenac, pour parler comme Guitry. Il a pris une forme radicale sous le gaullisme : voyez le cinéma de Bresson (Balthazar), de Godard (Week-end, Deux ou trois choses), d’Audiard (les Tontons, etc.). Le phénomène était global : voyez les Monstres de Dino Risi qui montraient l’émergence du citoyen mondialisé déraciné et décérébré en Italie. L’ahuri devant sa télé…

Il prône ce monde une absence de nature, une vie de banlieue, une cuisine de fastfood, une distraction technicisée. Enfermé dans un studio à mille euros et connecté dans l’espace virtuel du sexe, du jeu, de l’info. Et cela donne l’évangélisme, cette mouture de contrôle mental qui a pris la place du christianisme dans pas le mal de paroisses, surtout hélas en Amérique du Sud. Ce désastre est lié bien sûr à l’abandon par une classe paysanne de ses racines telluriques. Je me souviens aux bords du lac Titicaca de la puissance et de la présence catholique au magnifique sanctuaire de Copacabana (rien à voir avec la plage, mais rien) ; et de son abandon à la Paz, où justement on vit déjà dans la matrice et le conditionnement. Mais cette reprogrammation par l’évangélisme avait été décidée en haut lieu, comme me le confessa un jour le jeune curé de Guamini dans la Pampa argentine, qui évoquait Kissinger.

J’en viens au sulfureux penseur Carl Schmitt, qui cherchait à expliquer dans son Partisan, le comportement et les raisons de la force des partisans qui résistèrent à Napoléon, à Hitler, aux puissances coloniales qui essayèrent d’en finir avec des résistances éprouvées ; et ne le purent. Schmitt relève quatre critères : l’irrégularité, la mobilité, le combat actif, l’intensité de l’engagement politique. En allemand cela donne : Solche Kriterien sind: Irregularität, gesteigerte Mobilität des aktiven Kampfes und gesteigerte Intensität des politischen Engagements.

Tout son lexique a des racines latines, ce qui n’est pas fortuit, toutes qualités de ces jeunes qui refusèrent de baisser les bras ou d’aller dormir : car on a bien lu l’Evangile dans ces paroisses et l’on sait ce qu’il en coûte de trop dormir !

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Schmitt reconnaît en fait la force paysanne et nationale des résistances communistes ; et il rend hommage à des peuples comme le peuple russe et le peuple espagnol : deux peuples telluriques, enracinés dans leur foi, encadrés par leur clergé, et accoutumés à une vie naturelle et dure de paysan. Ce sont ceux-là et pas les petit-bourgeois protestants qui ont donné du fil à retordre aux armées des Lumières ! Notre auteur souligne à la suite du théoricien espagnol Zamora (comme disait Jankélévitch il faudra un jour réhabiliter la philosophie espagnole) le caractère tellurique de ces bandes de partisans, prêts à tous les sacrifices, et il rappelle la force ces partisans issus d’un monde autochtone et préindustriel. Il souligne qu’une motorisation entraîne une perte de ce caractère tellurique (Ein solcher motorisierter Partisan verliert seinen tellurischen Charakter), même si bien sûr le partisan – ici notre jeune militant catholique – est entraîné à s’adapter et maîtrise mieux que tous les branchés la technologie contemporaine (mais pas moderne, il n’y a de moderne que la conviction) pour mener à bien son ouvrage.

Schmitt reconnaît en tant qu’Allemand vaincu lui aussi en Russie que le partisan est un des derniers soldats – ou sentinelles – de la terre (einer der letzten Posten der Erde ; qu’il signifie toujours une part de notre sol (ein Stück echten Bodens), ajoutant qu’il faut espérer dans le futur que tout ne soit pas dissous par le melting-pot du progrès technique et industriel (Schmelztiegel des industrielltechnischen Fortschritts). En ce qui concerne le catholicisme, qui grâce à Dieu n’est pas le marxisme, on voit bien que le but de réification et de destruction du monde par l’économie devenue follen’a pas atteint son but. Et qu’il en faut encore pour en venir à bout de la vieille foi, dont on découvre que par sa démographie, son courage et son énergie spirituelle et tellurique, elle n’a pas fini de surprendre l’adversaire.

Gardons une condition, dit le maître : den tellurischen Charakter. On comprend que le système ait vidé les campagnes et rempli les cités de tous les déracinés possibles. Le reste s’enferme dans son smartphone, et le tour est joué.

Bibliographie:

Carl Schmitt – Du Partisan

Tocqueville – De la démocratie I, Deuxième partie, Chapitre X

Guy Debord – La Société du Spectacle

Henri Lefebvre – Critique de la vie quotidienne (Editions de l’Arche)

lundi, 19 mars 2018

L'oeuvre de Carl Schmitt, une théologie politique

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L'oeuvre de Carl Schmitt, une théologie politique

L’auteur examine en quatre chapitres l’impact de celle-ci.

hm-lcs.jpgLa leçon de Carl Schmitt

Heinrich Meier

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L’auteur examine en quatre chapitres l’œuvre de Carl Schmitt, en montrant que ce qui l’unifie, c’est qu’elle constitue une «théologie politique». Toutefois, il faut se reporter à la fin de l’ouvrage pour comprendre ce qu’il faut entendre par ce terme. Dans la dernière partie du livre, l’auteur propose une rétrospective sur «la querelle de la théologie politique», qui permet de mieux comprendre le sens de cette expression utilisée dans le reste de l’ouvrage. Il y montre que si l’on interprète souvent l’expression de «théologie politique», à partir des textes mêmes de l’œuvre de Schmitt, comme «une affirmation relevant de l’histoire des concepts ou plutôt une hypothèse de la sociologie de la connaissance qui traite des «analogies de structures» entre des disciplines et des «transpositions» historiques» (p256), on restreint la portée et l’importance de ce concept que l’auteur estime central dans la pensée de Schmitt. Certes, C. Schmitt, évoquant une «théologie politique» a bien l’idée que des juristes ont transféré les concepts théologiques, comme celui de la toute-puissance de Dieu, sur le souverain temporel, dans les Temps modernes. Mais pour lui, la «théologie politique» désigne aussi, derrière cette opération de transfert, la volonté de ces juristes de répondre en chrétien à l’appel de l’histoire en «montrant le chemin à suivre pour sortir de la guerre civile confessionnelle.» Leur entreprise de sécularisation n’était pas portée par des intentions antichrétiennes, mais, bien au contraire, inspirée chrétiennement. Jean Bodin et Thomas Hobbes par exemple, que Schmitt désigne comme «ses amis», se tinrent, dans l’interprétation qu’il en donne, «solidement à la foi de leurs pères, et cela pas seulement de manière extérieure» (p261). Autrement dit, plus qu’un transfert de fait et historiquement repérable, la théologie politique désignerait pour Schmitt une attitude dans laquelle c’est à la politique de remplir une mission héritée de la religion, dans un monde qui se sécularise ou qui s’est sécularisé. La sécularisation, qui advient de fait, doit être gérée dans une intention qui demeure animée par la foi chrétienne. De là résulte entre autre que le critère du politique manifesté par la distinction entre ami et ennemi renvoie, pour l’auteur, en dernière analyse à l’opposition entre Dieu et Satan.

Chapitre 1: la réflexion schmittienne sur la morale

Dans le premier chapitre, centré sur la réflexion schmittienne sur la morale, l’auteur commence par montrer quel tableau –qui l’indigne– Schmitt dresse de son époque: un monde vivant aux pulsations de l’entreprise commerciale, rongé progressivement par la sécularisation et l’abandon de la foi, la démesure des hommes qui en «substituant à la providence les plans échafaudés par leur volonté et les calculs de leurs intérêts, pensent pouvoir créer de force un paradis terrestre dans lequel ils seraient dispensés d’avoir à décider entre le Bien et le Mal, et duquel l’épreuve décisive serait définitivement bannie.» (p15). La science elle-même n’est pour Schmitt que «l’auto-divination contre Dieu». Et Schmitt rejette ces formes d’auto-habilitation, par lesquelles l’homme prétend s’émanciper du Dieu transcendant.

Or, ce que souligne l’auteur, c’est que c’est chez Bakounine que Schmitt trouve en quelque sorte le paradigme de cette rébellion et de cette défense de la désobéissance, contre le souverain et contre Dieu. Bakounine en effet «conteste l’objet de la conviction la plus intime de Schmitt. Il attaque la révélation et nie l’existence de Dieu; il veut supprimer l’Etat et nie l’universalité revendiquée par le catholicisme romain.» (p19) ( «Dieu étant tout, le monde réel et l’homme ne sont rien. Dieu étant la vérité, la justice, le bien, le beau, la puissance et la vie, l’homme est le mensonge, l’iniquité, le mal, la laideur, l’impuissance et la mort. Dieu étant le maître, l’homme est l’esclave. Incapable de trouver par lui-même la justice, la vérité et la vie éternelle, il ne peut y arriver qu’au moyen d’une révélation divine. Mais qui dit révélation, dit révélateur, messies, prophètes, prêtres et législateurs inspirés par Dieu même; et ceux-là une fois reconnus comme les représentants de la divinité sur terre, comme les saints instituteurs de l’humanité, élus par Dieu même pour la diriger dans la voie du salut, ils doivent nécessairement exercer un pouvoir absolu. Tous les hommes leur doivent une obéissance illimitée et passive, car contre la Raison Divine il n’y a point de raison humaine, et contre la Justice de Dieu, point de justice terrestre qui tienne. Esclaves de Dieu, les hommes doivent l’être aussi de l’Eglise et de l’Etat, en tant que ce dernier est consacré par l’Eglise.» Mikhaïl Bakounine, Dieu et l’Etat). La devise «Ni Dieu ni maître» affiche le rejet de toute forme d’obéissance et détruit les fondements classiques de l’obéissance dans la culture européenne d’après Schmitt. Pour Bakounine, la croyance en Dieu est la cause de l’autorité de l’Etat et de tout le mal politique qui en procède. D’ailleurs Schmitt reprend à Bakounine l’expression de «théologie politique» que ce dernier emploie contre Mazzini. Pour Bakounine, le mal vient des forces religieuses et politiques affirmant la nécessité de l’obéissance et de la soumission de l’homme; alors que pour Schmitt – et dans une certaine tradition chrétienne – le mal provient du refus de l’obéissance et de la revendication de l’autonomie humaine.

cs-car.jpgChez ces deux auteurs, politique et religion sont mises ensemble, dans un même camp, dans une lutte opposant le bien au mal, même si ce qui représente le bien chez l’un représente le mal chez l’autre. Pour Schmitt, dans ce combat, le bourgeois est celui qui ne pense qu’à sa sécurité et qui veut retarder le plus possible son engagement dans ce combat entre bien et mal. Ce que le bourgeois considère comme le plus important, c’est sa sécurité, sécurité physique, sécurité de ses biens, comme de ses actions, «protection contre toute ce qui pourrait perturber l’accumulation et la jouissance de ses possessions» (p22). Il relègue ainsi dans la sphère privée la religion, et se centre ainsi sur lui-même. Or contre cette illusoire sécurité, Schmitt, et c’est là une thèse importante défendue par l’auteur, met au centre de l’existence la certitude de la foi («Seule une certitude qui réduit à néant toutes les sécurités humaines peut satisfaire le besoin de sécurité de Schmitt; seule la certitude d’un pouvoir qui surpasse radicalement tous les pouvoirs dont dispose l’homme peut garantir le centre de gravité morale sans lequel on ne peut mettre un terme à l’arbitraire: la certitude du Dieu qui exige l’obéissance, qui gouverne sans restriction et qui juge en accord avec son propre droit. (…) La source unique à laquelle s’alimentent l’indignation et la polémique de Schmitt est sa résolution à défendre le sérieux de la décision morale. Pour Schmitt, cette résolution est la conséquence et l’expression de sa théologie politique» (p24).). Et c’est dans cette foi que s’origine l’exigence d’obéissance et de décision morale. Schmitt croit aussi, comme il l’affirme dans sa Théologie politique, que «la négation du péché originel détruit tout ordre social».
Chez Schmitt, derrière ce terme de «péché originel», il faut lire la nécessité pour l’homme d’avoir toujours à choisir son camp, de s’efforcer de distinguer le bien du mal («Seule une certitude qui réduit à néant toutes les sécurités humaines peut satisfaire le besoin de sécurité de Schmitt; seule la certitude d’un pouvoir qui surpasse radicalement tous les pouvoirs dont dispose l’homme peut garantir le centre de gravité morale sans lequel on ne peut mettre un terme à l’arbitraire: la certitude du Dieu qui exige l’obéissance, qui gouverne sans restriction et qui juge en accord avec son propre droit. (…) La source unique à laquelle s’alimentent l’indignation et la polémique de Schmitt est sa résolution à défendre le sérieux de la décision morale. Pour Schmitt, cette résolution est la conséquence et l’expression de sa théologie politique» (p24).). L’homme est sommé d’agir dans l’histoire en obéissant à la foi («la théologie politique place au centre cette vertu d’obéissance qui, selon le mot d’un de ses plus illustres représentants, «est dans la créature raisonnable la mère et la gardienne de toutes les vertus» (Augustin, Cité de Dieu XII, 14). Par leur ancrage dans l’obéissance absolue, les vertus morales reçoivent un caractère qui leur manquerait autrement.» (p31-32).), et il doit pour cela avant faire preuve de courage et d’humilité. L’auteur montre ainsi que loin de se réduire à la «politique pure», la pensée schmittienne investit la morale en en proposant un modèle aux contours relativement précis.

Chapitre 2: Réflexion sur la conception politique de Schmitt

Dans chapitre II, H. Meier montre que la conception politique de C. Schmitt ne peut être entièrement détachée d’une réflexion sur la vérité et la connaissance. En effet, Schmitt écrit, dans La notion de politique, que le politique «se trouve dans un comportement commandé par l’éventualité effective d’une guerre, dans le clair discernement de la situation propre qu’elle détermine et dans la tâche de distinguer correctement l’ami et l’ennemi». Cela implique que le politique désigne un comportement, une tâche et une connaissance, comme le met en évidence l’auteur. Pour mener à bien l’exigence d’obéissance mise au jour dans le chapitre précédent, il faut une certaine connaissance. Cela semble relativement clair, mais l’auteur va plus loin et défend la thèse selon laquelle non seulement le politique exige la connaissance, mais il veut montrer que l’appréhension du politique pour Schmitt est «essentiellement connaissance de soi» (p46).

La distinction entre l’ami et l’ennemi s’appuie sur une notion existentielle de l’ennemi. L’ennemi présupposé par le concept de politique est une réalité publique et collective, et non un individu sur lequel on s’acharnerait, mu par une haine personnelle. Comme le précise H. Meier, «il n’est déterminé par aucune «abstraction normative» mais renvoie à une donnée de la «réalité existentielle» (…). Il est l’ennemi qui «doit être repoussé» dans le combat existentiel.» (p49). La figure de l’ennemi sert le critère du politique, mais chez Schmitt, selon l’auteur, elle n’est pas le fruit d’une élaboration théorique, voire idéologique, mais elle est ce en face de quoi je suis toujours amené existentiellement à prendre position et elle sert aussi à me déterminer et à me connaître moi-même, sur la base du postulat que c’est en connaissant son ennemi qu’on se connaît soi-même. Grâce à la distinction entre l’agonal et le politique, qui tous deux mettent en jeu la possibilité de ma mort et celle de l’adversaire ou de l’ennemi, mais qui s’opposent sur le sens de la guerre et la destination de l’homme ( Dans une compréhension politique du monde, l’homme ne peut réaliser pleinement sa destinée et sa vocation qu’en s’engageant entièrement et existentiellement pour l’avènement de la domination, de l’ordre et de la paix, tandis que dans la pensée agonale, ce qui compte, c’est moins le but pour lequel on combat que la façon de combattre et d’inscrire ainsi son existence dans le monde. E. Jünger, qui défend une pensée agonale écrit ainsi: «l’essentiel n’est pas ce pour quoi nous nous battons, c’est notre façon de nous battre. (…) L’esprit combattif, l’engagement de la personne, et quand ce serait pour l’idée la plus infime, pèse plus lourd que toute ratiocination sur le bien et le mal» (La guerre comme expérience intérieure).), Schmitt montre qu’il ne s’agit pas de se battre par principe et pour trouver un sens à vie, mais de lutter pour défendre une cause juste, ou mieux la Justice. Et c’est à ce titre que le politique est ce par quoi l’homme apprend à se connaître, à savoir ce qu’il veut être, ce qu’il est et ce qu’il doit être ( H. Meier développe ainsi un commentaire long et précis sur le sens d’une phrase de Theodor Däubler qui revient souvent chez Schmitt: «l’ennemi est la figure de notre propre question». Nous nous connaissons en connaissant notre ennemi et en même temps nous reconnaissons notre ennemi en celui qui nous met en question. L’ennemi, en quelque sorte, est aussi le garant de notre identité. Notre réponse à la question que l’ennemi nous pose est notre engagement existentiel-par un acte de décision – concret dans l’histoire.).

cs-pol.pngLa confrontation politique apparaît comme constitutive de notre identité. A ce titre, elle ne peut pas être seulement spirituelle ou symbolique. Cette confrontation politique trouve son origine dans la foi, qui nous appelle à la décision («La foi selon laquelle le maître de l’histoire nous a assigné notre place historique et notre tâche historique, et selon laquelle nous participons à une histoire providentielle que nos seules forces humaines ne peuvent pas sonder, une telle foi confère à chacun en particulier un poids qui ne lui est accordé dans aucun autre système: l’affirmation ou la réalisation du «propre» est en elle-même élevée au rang d’une mission métaphysique. Etant donné que le plus important est «toujours déjà accompli» et ancré dans le «propre», nous nous insérons dans la totalité compréhensive qui transcende le Je précisément dans la mesure où nous retournons au «propre» et y persévérons. Nous nous souvenons de l’appel qui nous est lancé lorsque nous nous souvenons de «notre propre question»; nous nous montrons prêts à faire notre part lorsque nous engageons ma confrontation avec «l’autre, l’étranger» sur «le même plan que nous» et ce «pour conquérir notre propre mesure, notre propre limite, notre propre forme.»« (p77-78).).

Aussi les «grands sommets» de la politique sont atteints quand l’ennemi providentiel est reconnu. La politique n’atteint son intensité absolue que lorsqu’elle est combat pour la foi, et pas simple combat, guerre limitée et encadrée par le droit des gens moderne (Les croisades sont ainsi l’exemple pour C. Schmitt d’une hostilité particulièrement profonde, c’est-à-dire pour lui authentiquement politique.). C’est pour une communauté de foi, et plus particulièrement pour une communauté de croyants qui se réclame d’une vérité absolue et dernière, au-delà de la raison, que la politique peut être authentique. C’est d’abord pour défendre la foi qu’on tient pour vraie, une foi existentiellement partagée – et qui éventuellement pourrait être une foi non religieuse – que la politique authentique peut exister. C’est ainsi que Schmitt pense défendre la vraie foi catholique contre ces fausses fois qui la mettent en danger et qui sont le libéralisme et le marxisme. Ce qu’on appelle ordinairement ou quotidiennement la politique n’atteint pas l’intensité décisive des «grands sommets», mais n’en est que le reflet.

Chapitre 3: théologie politique, foi et révélation

Dans le troisième chapitre, H. Meier établit l’inextricable connexion entre théologie politique, foi et révélation. Aussi la théologie politique combat-elle l’incroyance comme son ennemi existentiel. Comme le résume l’auteur: «l’hostilité est posée avec la foi en la révélation. (…) la discrimination entre l’ami et l’ennemi trouverait dans la foi en la révélation non seulement sa justification théorique, mais encore son inévitabilité pratique» (p102). Obéir sérieusement à la foi exige, pour Schmitt, d’agir dans l’histoire, ce qui suppose de choisir son camp, c’est-à-dire de distinguer l’ami de l’ennemi. Politique et théologique ont en commun la distinction entre l’ami et l’ennemi; aussi, note l’auteur, «quand le politique est caractérisé grâce à la distinction ami-ennemi comme étant «le degré extrême d’union ou de désunion» (…), alors il n’y a plus d’obstacle au passage sans heurt du politique à la théologie de la révélation. La nécessité politique de distinguer entre l’ami et l’ennemi permet désormais de remonter jusqu’à la constellation ami-ennemi de la Chute, tandis que se révèle le caractère politique de la décision théologique essentielle entre l’obéissance et la désobéissance, entre l’attachement à Dieu et la perte de la foi.» (p104). L’histoire a à voir avec l’avènement du Salut, les fins politiques et théologiques sont indissociables pour Schmitt. La décision entre Dieu et Satan est aussi bien théologique que politique, et lorsque l’ennemi providentiel est identifié comme tel, le théologique et le politique coïncident dans leur définition de l’unique ennemi. Le reste du temps, politique et théologique peuvent ne pas coïncider, dans la mesure où toute confrontation politique ne met pas en jeu la foi en la révélation et où toute décision théologique ne débouche pas nécessairement sur un conflit politique. Et si Schmitt développe une théologie politique, c’est parce que ce qui est fondamental est le théologique (qui toujours requiert la décision et l’engagement de l’homme («la foi met fin à l’incertitude. Pour la foi, seule la source de la certitude, l’origine de la vérité est décisive. La révélation promet une protection si inébranlable contre l’arbitraire humain que, face à elle, l’ignorance semble être d’une importance secondaire.» (p138).)) qui prend parfois, mais pas toujours nécessairement, la forme du politique pour sommer l’homme de se décider.

Puis l’auteur examine la critique de la conception de l’Etat dans la doctrine de Hobbes (dans Le Léviathan dans la doctrine de l’Etat de Thomas Hobbes. Sens et échec d’un symbolisme politique) qu’il étudie en trois points.

Thomas_Hobbes_(portrait).jpgD’une part, Schmitt reproche à Hobbes d’artificialiser l’Etat, d’en faire un Léviathan, un dieu mortel à partir de postulats individualistes. En effet, ce qui donne la force au Léviathan de Hobbes, c’est une somme d’individualités, ce n’est pas quelque chose de transcendant, ou plus précisément, transcendant d’un point de vue juridique, mais pas métaphysique. A cette critique, il faut ajouter que, créé par l’homme, l’Etat n’a aucune caution divine: créateur et créature sont de même nature, ce sont des hommes. Or ces hommes, véritables individus prométhéens, font croire à l’illusion d’un nouveau dieu, né des hommes, et mortels, dont l’engendrement provient du contrat social. Et cette création à partir d’individus et non d’une communauté au sein d’un ordre voulu par Dieu, comme c’était, selon Hobbes, le cas au moyen-âge, perd par là-même sa légitimité aux yeux d’une théologie politique ( C. Schmitt écrit ainsi que: «ce contrat ne s’applique pas à une communauté déjà existante, créée par Dieu, à un ordre préexistant et naturel, comme le veut la conception médiévale, mais que l’Etat, comme ordre et communauté, est le résultat de l’intelligence humaine et de son pouvoir créateur, et qu’il ne peut naître que par le contrat en général.»).

D’autre part, Schmitt critique le geste par lequel l’Etat hobbesien est à lui-même sa propre fin. Autrement dit, cette œuvre que produisent les hommes par le contrat n’est plus au service d’une fin religieuse, d’une vérité révélée, mais, au contraire, est rendu habilité à définir quelles sont les croyances religieuses que doivent avoir les citoyens, qu’est-ce qui doit être considéré comme vrai. Enfin, Schmitt désapprouve le symbole choisi par Hobbes pour figurer l’Etat, le Léviathan.

Comme le note l’auteur, Schmitt pointe la faiblesse et la fragilité de la construction de Hobbes: «C’est un dieu qui promet aux hommes tranquillité, sécurité et ordre pour leur «existence physique ici-bas», mais qui ne sait pas atteindre leurs âmes et qui laisse insatisfaite leur aspiration la plus profonde; un homme dont l’âme artificielle repose sur une transcendance juridique et non métaphysique; un animal dont le pouvoir terrestre incomparable serait en mesure de tenir en lisière «les enfants de l’orgueil» par la peur, mais qui ne pourrait rien contre cette peur qui vient de l’au-delà et qui est inhérente à l’invisible.» (p167). Autrement dit, chez Hobbes, l’Etat peut se faire obéir par la peur de la mort, ce qui rend l’obéissance des hommes relatives à cette vie terrestre, alors que pour Schmitt, ce qui rend décisif et définitif l’engagement politique, c’est qu’il a à voir avec la fin dernière, le salut. Aussi peut-on être prêt ou décidé à mourir pour lutter contre l’ennemi, ce que nous craignons alors le plus est moins la mort violente que l’enfer post mortem. Et on comprend ainsi bien comment le libéralisme est ce qui veut éviter cet engagement, en niant la dimension proprement politique de l’existence humaine.

Chapitre 4: l'histoire comme lieu de discernement

Dans le dernier chapitre, centré sur l’histoire comme lieu de discernement dans lequel doit toujours se décider l’homme, l’auteur montre comment morale, politique et révélation sont liées à l’histoire pour permettre une orientation concrète («Pour la théologie politique, l’histoire est le lieu de la mise à l’épreuve du jugement. C’est dans l’histoire qu’il faut distinguer entre Dieu et Satan, l’ami et l’ennemi, le Christ et l’Antéchrist. C’est en elle que l’obéissance, le courage et l’espérance doivent faire leurs preuves. Mais c’est en elle aussi qu’est porté le jugement sur la théologie politique qui se conçoit elle-même à partir de l’obéissance comme action dans l’histoire.» (p177).). L’exemple privilégié par Schmitt pour mesurer un penseur qui se décide à l’histoire dans laquelle il se fait condamné à naviguer est celui de Hobbes. En effet, pour Schmitt, Hobbes prend position, avec piété pour l’Etat moderne, dans un cadre historique précis, celui des luttes confessionnelles, et sa décision en faveur de l’Etat qui neutralise les oppositions religieuses et sécularise la vie est liée à ce contexte historique. Si pour Schmitt, l’Etat n’est plus au XXème siècle une bonne réponse politique à la situation historique, au temps de Hobbes, se déterminer en faveur de cet Etat était la bonne réponse, puisque l’Etat «trancha effectivement à un moment historique donné la querelle au sujet du droit, de la vérité et de la finalité en établissant le «calme, la sécurité et l’ordre» quand rien ne semblait plus urgent que l’établissement du «calme, de la sécurité et de l’ordre»« (p183). En revanche, une fois conçu, l’Etat comme machine ou comme appareil à garantir la sécurité, il peut tomber entre les mains du libéralisme, du bolchévisme ou du nazisme qui peuvent s’en servir pour parvenir à leur fin, d’où sa critique de l’Etat au XXème siècle.

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La question que pose alors l’auteur est celle de l’engagement de Schmitt. Il montre que Schmitt dans les années 1920 et au début des années 1930 commence par soutenir le fascisme mussolinien dans lequel il voit le modèle d’un Etat qui s’efforce de maintenir l’unité nationale et la dignité de l’Etat contre le pluralisme des intérêts économiques. Il oppose ce type d’Etat au libéralisme qu’il considère comme un «système ingénieux de méthodes visant à affaiblir l’Etat» et qui tend à dissoudre en son sein le proprement politique. Il critique l’Etat de droit bourgeois et en particulier le parlementarisme ( Il écrit ainsi dans l’article «l’Etat de droit bourgeois»: «les deux principes de l’Etat de droit bourgeois que sont la liberté de l’individu et la séparation des pouvoirs, sont l’un et l’autre apolitiques. Ils ne contiennent aucune forme d’Etat, mais des méthodes pour mettre en place des entraves à l’Etat.»). Il démasque l’imposture des prétendues démocraties qui n’intègrent pas le peuple, qui ne lui permettent pas d’agir en tant que peuple ( Pour Schmitt, le peuple ne peut être que réuni et homogène (c’est-à-dire non scindé en classes distinctes ou divisé culturellement, religieusement, socialement ou «racialement»). Il estime également que seule l’acclamation permet d’exprimer la volonté du peuple, à l’opposé des méthodes libérales qu’il accuse de falsifier la volonté du peuple.) mais l’atomisent, ne serait-ce que parce qu’au moment de la décision politique, les hommes sont isolés pour voter, alors qu’ils devraient être unis: «ils décident en tant qu’individus et en secret, ils ne décident pas en tant que peuple et publiquement.» (p204). Ce qui fait que les démocraties libérales sont pour lui des démocraties sans démos, sans peuple. Schmitt veut fonder la politique sur un mythe puissant et efficace, et dans cette optique, il estime que le mythe national sur lequel se fonde le fascisme est celui qui donne le plus d’intensité à la foi et au courage (plus, par exemple, que le mythe de la lutte des classes). Ce que souligne l’auteur cependant, c’est que pour Schmitt, tout mythe est à placer sur un plan inférieur à la vérité révélée. Il s’agit donc pour le théologien politique de ne pas croire ce mythe, national ou autre, parce qu’il est éloigné de la vraie foi, mais de l’utiliser pour intensifier la dimension politique de l’existence que tend à effacer le libéralisme européen de son époque.

Comment concilier la décision de Schmitt en faveur du nazisme au printemps 1933? Pour Heinrich Meier, il faut considérer avant tout que cet engagement est fait en tant que théologien politique et non en tant que nationaliste. Il faudrait la lire comme l’essai pour sortir de deux positions antagonistes et qu’il rejette toutes les deux: le libéralisme et le communisme, tous deux adversaires du catholicisme et animés par une commune tradition visant un objectif antipolitique (L’auteur écrit ainsi: «Pendant les dix années, de 1923 à 1933, durant lesquelles Schmitt, empli d’admiration, suivit le parcours de Mussolini, sa conviction que le libéralisme et le marxisme s’accordaient sur l’essentiel ou en ce qui concerne leur «métaphysique» ne fit que se renforcer: l’héritage libéral était toujours déterminant pour le marxisme, qui «n’était qu’une mise en pratique de la pensée libérale du XIXème siècle». La réunion du libéralisme et du marxisme dans la «nouvelle croyance» du temps présent (…) disposant d’un fonds de dogmes communs et poursuivant le même objectif final antipolitique, devait faire apparaître le fascisme et le national socialisme comme les antagonismes les plus résolus.» (p212-213).). A cela s’ajoute, selon l’auteur, l’idée que le nazisme s’appuie sur la croyance au destin et à l’importance d’agir dans l’histoire. Mais peu après cette explication des raisons de l’adhésion de Schmitt au national-socialisme, l’auteur s’attache à montrer que des critiques du régime apparaissent dans ses écrits. On peut ainsi selon l’auteur lire de nombreux passages du livre sur Hobbes comme des critiques indirectes du régime nazi qui ne pouvaient pas ne pas être prises comme telles à l’époque (par exemple, des passages dans lesquels il explique que si l’Etat ne protège pas efficacement les citoyens, le devoir d’obéissance disparaît, ou des passages exposant que si un régime relègue la foi à l’intériorité, le «contre-pouvoir du mutisme et du silence croît».) Cependant, l’auteur prend également soin de distinguer d’un côté l’éloignement de Schmitt du pouvoir nazi en place et de l’autre la persistance de son antisémitisme. Ainsi le livre sur Hobbes est foncièrement antisémite – l’antisémitisme de ce livre ne serait pas qu’un fond, un langage destiné à répondre aux critères de l’époque – comme, du reste, dans de nombreux ouvrages. Et pour l’auteur cet antisémitisme a son origine dans la tradition de l’antijudaïsme chrétien, ce qui n’a pas détaché Schmitt de l’antisémitisme nazi. Au contraire, comme le souligne H. Meier, «on est bien obligé de dire que c’est l’hostilité aux «juifs» qui lie le plus durablement Schmitt au national-socialisme (…) Et il restera fidèle, même après l’effondrement du Troisième Reich, à l’antisémitisme» (p220).

Puis l’auteur s’intéresse à l’interprétation que Schmitt fait de l’histoire en mettant au cœur de cette interprétation le katechon, qu’on trouve dans la seconde lettre de Paul aux Thessaloniciens, et qu’il définit comme «la représentation d’une force qui retarde la fin et qui réprime le mal» ( Schmitt écrit ainsi dans Terre et Mer: «Je crois au katéchon; il représente pour moi la seule possibilité, en tant que chrétien, de comprendre l’histoire et de lui trouver un sens.»). Schmitt expose une vision chrétienne de l’histoire (notamment exposée dans une critique de Meaning in History de Karl Löwith) qu’il entend opposer à celle du progrès défendue par les Lumières, le libéralisme et le marxisme. La Providence ne peut être assimilée aux planifications prométhéennes humaines. La notion de katechon permet d’une part de rendre compte du retard de la parousie – et donc de l’existence perse de l’histoire ( C’est d’ailleurs dans cette perspective que Paul en parle.); d’autre part, elle «protège l’action dans l’histoire contre le découragement et le désespoir face à un processus historique, en apparence tout-puissant, qui progresse vers la fin. Enfin, elle arme à l’inverse l’action dans l’histoire contre le mépris de la politique et de l’histoire en l’assurant de la victoire promise.» (p231-232). En effet, sans le katechon, on est conduit à penser que la fin de l’histoire est imminente et que l’histoire n’a qu’une valeur négligeable.

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Ainsi, l’auteur parvient à montrer efficacement comment morale, politique, vérité révélée et histoire sont liées dans la pensée schmittienne, pensée ayant son centre dans la foi catholique de Schmitt. On ne peut comprendre la genèse des concepts schmittiens et leur portée véritable qu’en ayant à l’esprit cette foi expliquant sa pensée est moins une philosophie politique – si la philosophie doit être pensée comme indépendante de la foi en la révélation – qu’une théologie politique, pour ainsi dire totale en ce qu’elle informe tous les aspects de l’existence. La tentative d’H. Meier d’expliquer et de rendre compte et de l’engagement de Schmitt dans le nazisme –sans évidemment l’excuser ou n’en faire qu’une erreur malencontreuse– par l’antagonisme que ce régime pouvait manifester à l’encontre des autres régimes (libéralisme, marxisme) qui luttaient contre le catholicisme est pertinente, d’autant qu’elle ne le disculpe pas et qu’elle prend soin de souligner son indéfendable antisémitisme. Il faut aussi reconnaître à l’auteur une connaissance extrêmement précise des textes de Schmitt, de leur contexte et des adversaires que vise ce dernier même lorsqu’ils ne sont pas nommés, ce qui contribue à la clarification de maintes argumentations de Schmitt parfois équivoques ou elliptiques.

lundi, 12 mars 2018

Qui se souvient de Juan Donoso Cortès?

« Qui se souvient de Juan Donoso Cortès ? » : c’est sur cette interrogation que Christophe Boutin introduit l’entrée « Donoso Cortès » dans l’excellent Dictionnaire du conservatisme dont il est à l’origine avec Frédéric Rouvillois et Olivier Dard.

Qui se souvient en effet de cet espagnol éclectique qui a partagé sa vie entre l’Espagne où il est né et la France où il est mort après quelques tribulations européennes ?

Juriste de formation, historien par passion, homme politique par devoir, diplomate autant par nature que par vocation (ambassadeur d’Espagne à Berlin puis à Paris), il restera auprès des érudits comme un formidable ciseleur de formules et un orateur au souffle puissant. Ne lui en faut-il pas d’ailleurs, pour énoncer son identité complète : Juan Francisco Maria de la Salud Donoso Cortès y Fernandez Canedo, marquis de Valdegamas. Ouf !

Tout au long d’une vie trépidante, il observe ses contemporains et les institutions qui les gouvernent. Certaines de ses observations sont des plus pertinentes, notamment lorsqu’il pose un regard aigu sur la société française : « Chez les peuples qui sont ingouvernables, le gouvernement prend nécessairement les formes républicaines ; c’est pourquoi la république subsiste et subsistera en France. »

Il souligne ce qui pour lui en est la cause : « Le grand crime du libéralisme, c’est d’avoir tellement détruit le tempérament de la société qu’elle ne peut rien supporter, ni le bien, ni le mal. »

Voilà qui en 2018 et entre deux grèves des services publics, rassurera les hommes politiques inquiets sur l’avenir de nos institutions. Encore que, à en croire Donoso, le président et ses ministres devraient s’interroger sur la réalité des pouvoirs qu’ils croient détenir : « Un des caractères de l’époque actuelle, c’est l’absence de toute légitimité. Les races gouvernantes ont perdu la faculté de gouverner ; les peuples la faculté d’être gouverné. Il y a donc dans la société absence forcée de gouvernement. »

Donoso souligne l’évolution perverse de la classe dirigeante devenue « une classe discutante » qui répugne à assumer son vrai rôle et de ce fait devient incapable de décider : « Il est de l’essence du libéralisme bourgeois de ne pas décider […], mais d’essayer, à la place de cette décision, d’entamer une discussion. »

N’est-ce pas ce qui pousse nos gouvernements, lorsqu’ils craignent de trancher, à créer ces commissions Théodule moquées par De Gaulle.

Il dénonce la complicité entre le pouvoir et la presse d’information accusée de dégoupiller ces grenades fumigènes destinées justement à enfumer l’opinion : « Le journalisme c’est le moyen le plus efficace inventé par les hommes pour cacher ce que tout le monde doit savoir… »

Et c’est ainsi que, pour Donoso Cortès, s’ouvre la voie à cette dérive des institutions qui conduit à faire entrer « l’esprit révolutionnaire dans le Parlement. »

Ce noble espagnol qui connaît l’Europe pour l’avoir sillonnée en différentes circonstances, devine les risques qui la guettent : « Je représente la tradition, par laquelle les nations demeurent dans toute l’étendue des siècles. Si ma voix à une quelconque autorité, Messieurs, ce n’est pas parce que c’est la mienne : c’est parce que c’est la voix de nos pères. »

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Donoso Cortès traverse des temps troublés dans lesquels révolutions, révoltes et pronunciamientos alimentent les chroniques et ne laissent guère d’options aux populations qui les subissent. Il en vient à considérer qu’en période de crise il ne reste plus qu’à choisir entre la dictature du poignard et celle du sabre. D’où sa conclusion « je choisis la dictature du sabre parce qu’elle est plus noble. » Et n’est-ce pas cette dictature du poignard que nous vivons quand, en ce début de troisième millénaire, nous assistons à ces morts politiques qui relèvent davantage d’une embuscade de ruffians que d’un duel entre gentilshommes.

Il perçoit dans les tendances politiques qui semblent se dégager les signes avant-coureurs « dun nouveau paganisme (qui) tombera dans un abîme plus profond et plus horrible encore. Celui qui doit lui river sur la tête le joug de ses impudiques et féroces insolences, s’agite déjà dans la fange des cloaques sociaux. »

Ne trouvez-vous pas quelque actualité à ces propos ?

Mais je vous prie d’excuser ma distraction. J’ai omis de vous préciser que ce monsieur est né en 1809 et mort en 1853.

Décidément comme l’affirmait le roi Salomon, il y a quelques années déjà, rien de nouveau sous le soleil.

jeudi, 01 mars 2018

Notre vision du monde - Petit bréviaire pour étudiant militant

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Notre vision du monde

Petit bréviaire pour étudiant militant

La vision du monde chrétienne-conservatrice vient d'être mise en ligne par le site "Orages d'acier" - A lire !
 
Ex: http://oragesdacier.info
 
A. Ce qui ne va pas dans notre monde
 
a. Prendre du recul sur notre époque :
 
Il est difficile d’avoir du recul sur son époque. Comment qualifier notre monde et notre société alors que nous sommes entièrement partie prenante de celle-ci ? Sommes-nous capables de nous extraire suffisamment de ce monde pour y jeter un regard critique ? L’adage « nihil nove sub solle » nous avertit contre les jugements hâtifs qui consisteraient à voir notre époque comme la pire de toutes. À chaque époque, des esprits, parfois qualifiés, à juste titre ou non, de réactionnaires ont décrit leur époque comme celle du déclin et de la fin de la civilisation. Il faut donc se prémunir des comparaisons trop simples avec le passé. On a facilement tendance à idéaliser le passé et à en oublier la complexité pour n’en retenir que des éléments figés. Un certain nombre de problèmes sociaux que sont la prostitution, la drogue, l’alcoolisme, les guerres de religion, la violence de rue, le racisme… se sont déjà posés à d’autres époques. L’histoire est faite par les hommes, et la nature humaine garde en elle quelques invariants quelles que soient les époques. « Partout où il y a de l’homme, il y a de l’hommerie ». Une société où tous ces problèmes seraient évacués est une société imaginaire et utopique. Partout où l’homme a voulu réaliser la société idéale, il n’a fait qu’établir l’enfer sur terre. 
 
b. Faut-il pour autant en conclure que notre époque n’a rien de particulier ? 
 
Notre société est une société technique !
 
Monde de flux : Le chemin de fer, les avions, les compagnies low-coast l’automobile, les autoroutes, les transports en commun, le T.G.V…. ont considérablement augmenté nos capacités de déplacement et réduit l’espace temps. À l’époque de nos grands-parents il fallait compter au moins une demi-journée pour se rendre à Paris. Lorsque les compagnies comme easy-jet n’existaient pas, les voyages à l’étranger étaient très exceptionnels. On pouvait visiter une fois dans sa vie un pays du Maghreb, la Hollande, l’Italie et la Pologne… En 2015 une campagne de publicité proposait aux consommateurs d’acheter leurs billets d’avion dans des distributeurs de nourriture pour illustrer la banalité de l’avion. Notre époque est donc celle de la mobilité et des flux comme jamais aucune autre époque n’a connu.
 

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Hyper communication : Le téléphone, la télévision, les chaînes d’information continue, la télé réalité, internet, les réseaux sociaux, le smartphone, ont considérablement modifié notre rapport au monde et à la communication. Grâce à nos smartphones nous sommes en permanence connectés au monde, nous pouvons savoir à la minute près ce qui se passe à n’importe quel endroit de la planète, nous pouvons voir nos proches à l’autre bout du monde grâce à une connexion 4G, nous pouvons échanger des photos en moins d’une seconde. Notre quotidien est bercé par les images diffusées par les médias de masse à tel point que celles-ci façonnent notre représentation du monde. Nous éprouvons facilement plus de compassion pour les malheureux qui nous sont présentés sur nos écrans que pour notre voisin dont nous ne connaissons pas les soucis quotidiens. Grâce aux réseaux sociaux nous avons accès librement à la vie privée de nos contacts qui peuvent partager tous les détails de leur existence. Mais si nous sommes aussi de plus en plus connectés à nos smartphones nous sommes de moins en moins connectés au monde physique qui nous entoure. Encore une fois notre époque est une époque non seulement des flux de transport, mais aussi celle des flux de communication et d’images virtuelles.
 
Santé et humain augmenté : Grâce à la génétique, aux I.R.M., au don du sang, au transfert d’organe, au clonage, et aux progrès de la chirurgie, nous pouvons vivre plus longtemps, et guérir de maladies dont on mourait autrefois. La mort est donc constamment repoussée à plus tard. L’homme a gagné une maîtrise quasi parfaite du vivant : il est désormais question de transhumanisme. Non seulement nous voulons, mais aussi, nous devons repousser toujours plus loin nos limites naturelles pour vivre plus longtemps, pour faire plus de choses, pour ne plus payer le prix de la fatigue et de la vieillesse. Ces progrès de la médecine ont complètement chamboulé notre rapport à la mort qui devient de moins en moins acceptable dans nos sociétés. La mort qui était autrefois une réalité quotidienne (on veillait les morts chez eux, on assumait le caractère macabre de la mort par un culte des morts très présent dans la société) est devenue une réalité avec laquelle nous sommes de plus en plus mal à l’aise. La mort est devenue une réalité aseptisée, on meurt à l’hôpital et on fait semblant de ne pas être triste aux enterrements.
 
Sexe et technique : Notre époque a aussi un rapport très particulier au sexe, aujourd’hui la pornographie est accessible gratuitement à partir de n’importe quel appareil disposant d’une connexion internet. En 2004 une enquête du CSA révélait que 80 % des garçons entre 14 et 18 ans et 45 % des filles du même âge avaient vu au moins une fois un film X durant l’année. C’était il y a treize ans… L’imaginaire pornographique précède l’accès des jeunes à la sexualité, à tel point que c’est la sexualité telle qu’elle est mise en scène dans la pornographie qui dicte ses codes dans les premiers rapports sexuels des jeunes. Notre époque est aussi celle de l’accès à la contraception : préservatifs distribués gratuitement à l’école dès le collège, pilules du lendemain en accès libre et gratuit, avortements remboursés par la sécurité sociale… Nous vivons pour la première fois à une époque où la possibilité technique de déconnecter l’acte sexuel de la procréation est rendue non seulement possible mais nécessaire.
 

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Technico-capitalisme : Notre époque est encore davantage celle d’un nouveau capitalisme, renouvelé et amplifié par la technique. La condition ouvrière n’a pas disparue, elle s’est transformée. Le capitalisme du XXIème siècle fonctionne d’une part sur la dématérialisation des capitaux, la création monétaire sans limite et la spéculation infinie sur les dettes. D’autre part elle vise des gains de productivité qui poussent les multinationales à délocaliser sans cesse leurs usines de production là où la main d’œuvre est la moins chère tout en la remplaçant petit à petit par des robots. La publicité vise à créer des besoins permanents chez la population afin d’écouler une marchandise inutile produite en quantité croissante.
 
Notre monde a construit des structures de péché !
 
Vivre pour consommer : Nous vivons dans un monde où l’enrichissement est devenu un modèle de société qui justifie tous les sacrifices. Nos sociétés sont arrivées à un stade paradoxal de la modernité où nous inventons et produisons des objets sensés nous affranchir de la domination de la nature mais qui nous aliènent à un nouveau système : celui du cycle de la production et de la consommation. Jusqu’où sommes nous prêts à aller pour nous payer le confort moderne ? Vivre dans un petit appartement étriqué entouré d’autres cages à lapin, respirer la pollution des voitures lorsque l’on sort dans la rue, prendre deux fois par jour un bus ou un métro bondé, subir les avanies d’un chef de service, de collègues ou de clients revêches, passer ses journées devant un écran pour produire des salaires qu’on est priés de dépenser illico en fringues jetables entretenant ainsi le très rentable et inutile mécanisme du gaspillage, partir en vacances en même temps que tout le monde, pour parcourir des circuits prédéfinis par l’industrie du tourisme. Nous sommes devenus des handicapés bardés de diplômes : incapable d’enfoncer un clou, de planter des roses ou des radis, d’éduquer un enfant ou de faire la cuisine et c’est tout bénéfice pour le système marchand.
 

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Démesure : L’homme moderne a perdu le sens de la mesure, il veut toujours plus et ne supporte aucune limite à son désir. La crise de société que nous vivons consiste principalement dans le fait qu’il est devenu légitime aux yeux de la société de n’accepter aucune limite à son désir. Le besoin d’aménager son environnement pour le rendre plus habitable est un besoin naturel de l’homme, mais tout besoin peut se changer en folie et en démesure comme le besoin de se nourrir peut mener à l’orgie.
La société occidentale a développé des modèles ou des voies qui conduisent l’homme à s’éloigner des limites imposées par la nature, de la loi divine… ce sont ce que le Pape Jean-Paul II appelait des structures de péché.
 
Libéralisme : Le libéralisme fait de la liberté un absolu. Rien ne peut s’imposer à elle que ce soit la morale, la vérité ou le bien. La rentabilité économique s’impose comme l’ultime raison des décisions politiques et économiques. Pour « lutter contre le chômage » on est donc prêt à perdre les acquis sociaux obtenus par des siècles de lutte.  Il est devenu légitime qu’un grand patron qui gagne dix fois le salaire de ses employés puisse les licencier quand il juge que son entreprise court un « risque ».
 
Divinisation de l’argent : Le capitalisme fait de l’argent une fin. L’argent est un bon serviteur mais un mauvais maître. Dans notre société il est devenu normal de vivre pour produire de l’argent. L’argent ne sert plus simplement de valeur d’échange qui permet aux hommes de se procurer ce dont ils ont besoin pour vivre, l’accumulation de l’argent devient un objectif. L’homme, la morale, la beauté, tout est subordonné à l’argent.
 
Notre univers culturel a été remplacé !
 
Américanisation : Depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, les États Unis sont devenus les maîtres de l’occident. L’Europe a consenti à cette domination militaire et économique en pensant ainsi se préserver du péril soviétique. Le soft power américain nous impose désormais un mode de vie, un univers culturel et une vision du monde. On peut résumer ce nouvel ordre culturel américain par trois idées : sex, fun and money.
 
Art moderne : L’art moderne a imposé une nouvelle définition de l’art. La rupture et la créativité pure constituent l’essence de l’art. La beauté est désormais considérée comme un sentiment primaire. Ainsi on a vu les pires horreurs comme un sextoy ou un vagin géant être reconnus par nos gouvernants comme des œuvres d’art officielles, sans oublier les différentes pièces de théâtre comme Golgotha piquenique…. La laideur sponsorisée, érigée en art officiel est imposée aux peuples européens. C’est le règne de la laideur qui envahit nos vies. Le beau est systématiquement tourné en dérision.
 

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Culture populaire et standardisation : Derrière cet art qui sert également à blanchir de l’argent on subit l’influence plus diffuse de la société du spectacle hollywoodienne. De Marvel à Games Of Throne en passant par Disney et Cyril Hanouna… il s’agit d’un imaginaire destiné à remplacer nos traditions qui étaient foncièrement hostiles au marchandage. La culture du hipster et du rappeur ont remplacé nos traditions populaires. La culture populaire est devenue totalement artificielle et marchande puisqu’elle devient un produit dont le rôle est de produire de l’argent. Sa part spirituelle est réduite à minima quand elle ne diffuse pas des valeurs mondialistes ou anti-française. La standardisation des objets du quotidien illustrée par la bibliothèque Ikéa et le pavillon d’habitation manifeste une immense perte anthropologique. Depuis toujours les hommes ont éprouvé le besoin d’inscrire leur propre marque dans les objets du quotidien, les outils, les meubles et les maisons étaient peints, sculptés ou gravés. L’homme exprimait ainsi son besoin de spiritualiser la matière. Quelle spiritualité dans l’objet industriel standardisé si ce n’est celle du vide ? L’homme moderne est dans l’incompréhension devant ceux qui préfèrent encore le beau au confort et à la praticité.
 
Les poisons intellectuels qu'on nous injecte depuis l'enfance !
En plus d’un univers esthétique dominé par le rap et les séries américaines, c’est notre intelligence elle-même qui est contaminée par des idées qui nous paralysent totalement.
 
Idéologie du progrès : Le mythe du progrès consiste à croire que ce qui vient après est nécessairement supérieur à ce qui était avant. Depuis les Lumières les partisans du progrès essayent d’imposer l’idée que toute critique des idées modernes libérales ou égalitaristes, de la technique, sont des tentatives de retour en arrière. L’idéologie du progrès consiste à croire que le progrès est continu et infini : que l’histoire du monde est une histoire du progrès. Le progrès n’est pas univoque, il ne va pas dans un seul sens, il est aussi synonyme de disparitions et de destructions : l’électricité a fait disparaître les allumeurs de réverbères à gaz, les organes servant aux greffes qui peuvent sauver nos vies, sont les organes de personnes décédées d’un accident de la route… Les objets fabriqués à la chaîne au Bangladesh que nous achetons représentent autant d’objets qu’un artisan normand n’arrivera pas à vendre… Les autoroutes construites sont aussi des paysages défigurés… L’invention du micro-onde et des plats surgelés mène petit à petit à la raréfaction de la gastronomie française, à la désacralisation du repas… Les heures passées devant un écran sont des heures en moins passées à discuter entre amis… etc… etc…
 
Culture de la repentance : Nous croyons que les européens sont responsables de la colonisation et de l’esclavage et que nous portons tous la responsabilité collective des crimes commis en cette période. La culture de la repentance c’est la culture de l’excuse qui nous fait systématiquement baisser la tête, avoir honte de notre histoire et nous fait voir nos ancêtres comme des criminels. La repentance empêche notre peuple d’être fier de son passé et le force à s’incliner devant l’étranger.
 

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Antiracisme : Le corollaire de cette culture de la repentance c’est l’antiracisme qui s’impose comme un dogme et une idéologie. L’autre nom de l’antiracisme c’est le racisme anti-blanc. Toutes les races peuvent se plaindre des discriminations subies au nom de leur différence à l’exception des blancs qui ont le devoir de culpabiliser de ce qu’ils sont.
 
Antifascisme : L’intelligentsia de gauche a développée une puissante arme qui s’appelle l’antifascisme. Celle-ci permet de diaboliser systématiquement son adversaire de droite en l’accusant de fascisme ce qui équivaut à le rapprocher du nazisme et donc du mal absolu. Le fascisme partageant la quasi-totalité de ses fondamentaux avec la tradition de droite, il est donc impossible d’échapper à l’anathème sans se conformer à l’idéologie de gauche. C’est tout le drame de La Manif pour tous ou du Front National qui se sont persuadés qu’ils rencontreront le succès à l’unique condition qu’ils arrivent à éviter d’être qualifiés de fascistes, malheureusement ces tentatives ont été vaines.
 
Féminisme : La femme serait dominée et exploitée par l’homme depuis la préhistoire. Le féminisme serait la prise de conscience de cette domination et la lutte des femmes pour redresser l’inégalité.  Mais le féminisme qui voulait faire de la femme l’égale de l’homme lui a souvent ôté les privilèges de sa condition d’épouse et de mère dont le rôle était de faire renaître la vie dans le foyer à travers les tâches sacrées du quotidien :  travaux de la maison, soin aux enfants, préparation des repas, attention à la toilette, autant de tâches par lesquelles un foyer existe ou non et par lesquelles la transmission de la tradition s’effectue; les femmes doivent faire un métier pour devenir autonomes et entrer dans la logique de production qui les fait sortir de leur fonction sacrée. La nature tend vers l’harmonie à partir des contraires. L’égalitarisme remplace l’harmonie par l’unisson, détruit les différences pour uniformiser les conditions.
 
Universalisme : Les déterminismes que sont la culture, le sexe, la langue, la religion doivent être gommés afin que chacun puisse choisir ce qu’il veut être. On doit pouvoir choisir sa nationalité, son sexe et être accepté ainsi par tous. Rien ne doit dicter aux hommes qui ils sont et donc on doit abolir tout ce qui détermine les hommes dans une identité car cela enferme les hommes dans des cases et génère des discriminations. L’individu roi impose sa dictature au détriment des communautés naturelles. Tout devient interchangeable et finalement tout tend vers l’uniformité. On pourrait imaginer dans cette logique un jour où à force de métissage il n’y aurait plus qu’une seule race, plus qu’un seul sexe, qu’une seule langue et qu’une seule culture.
 

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Relativisme : Depuis l’Antiquité les hommes se disputent pour démontrer et argumenter en faveur de visions du bien différentes. Les chrétiens prétendent avoir démontré l’existence de Dieu, les athées auraient prouvé son inexistence. La raison et les arguments sont des mirages. Il n’y a pas de vérité, tous les comportements et toutes les croyances se valent. L’homosexualité est aussi légitime que le mariage, l’urinoir de Duchamp est aussi digne d’être dans un musée que la Joconde… Ce qui est naturel et évident au Nord ne l’étant plus au Sud, tout se vaut. Le relativisme est lui aussi un dogme qui mériterait d’être relativisé.
 
Des dangers pour l’avenir :
 
Absence de sursaut électoral : L’avenir semble encore plus sombre car les signes du réveil tant attendu peinent à se montrer et les hommes politiques élus se font les serviteurs du mondialisme libéral le plus extrême. La vague populiste que beaucoup annonçaient il y a encore quelques mois semblent s’être changée en flaque ou avoir montré son vrai visage : celui de la démagogie. Trump n’est pas le héros de droite dont certains rêvaient, Alexis Tsipras en Grèce, le mouvement 5 étoiles en Italie tombent dans les mêmes travers que la caste politique corrompue et se soumettent au diktat de Bruxelles.
 
Surveillance généralisée : La vague d’attentats qui s’est abattue sur l’Occident aurait pu réveiller nos compatriotes mais au lieu de cela elle est un prétexte à la mise en place d’une société du contrôle permanent. La police et les services de renseignements ont accès à nos messageries, plus besoin de mandat pour nous espionner. Les marchands de caméras de surveillances voient leurs ventes exploser. Les renseignements intérieurs ont même décidé de débloquer un budget pour surveiller les mouvements nationalistes. Autrement dit la lutte contre le terrorisme islamique légitime une surveillance accrue des militants patriotes.
 

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Perte de contrôle du système technicien : Dans un autre domaine nous pouvons légitimement craindre du côté des technologies : nous avons mis au point un univers technologique que nous ne maîtrisons plus. Les accidents nucléaires sont des événements qui nous guettent en permanence, chaque année de nouvelles épidémies et de nouveaux virus dont nous pouvons suspecter une origine humaine, liée à des expérimentations, font leur apparition, notre alimentation est de plus en plus toxique (O.G.M; pesticides, engrais chimiques…) la vie est de plus en plus menacée par nos inventions techniques : ondes wifi, pollution, produits toxiques présents dans les savons, les produits d’entretien…  Le plus grand drame étant la perte de contrôle et de maîtrise de nos propres inventions.
 
Développement d’une nouvelle humanité :  On voit également apparaitre un véritable marché de l’eugénisme avec la possibilité de passer par des banques de sperme et d’ovules, entreprises qui permettent de choisir le sexe, la couleur des yeux, le caractère de son enfant. L’avortement nous permet d’éliminer les trisomiques et autres handicapés, la PMA nous permet de fabriquer l’homme idéal. Pour couronner le tout, le transhumanisme financé par Google et d’autres entreprises aux projets rassurants nous permettra d’augmenter nos facultés naturelles. Bien évidement cet eugénisme sera réservé à ceux qui en ont les moyens, les autres serviront de réservoir d’organes pour les privilégiés. Les pires cauchemars de la science fiction se réalisent sous nos yeux.
 
Invasion migratoire : Après avoir voulu imposer la démocratie par les bombes et la guerre, les Etats-Unis et leurs alliés ont totalement bouleversé les délicats équilibres du Moyen Orient. L’Afrique et les pays du Moyen-Orient sont dans un état de tension permanente, les mafias locales de passeurs organisent main dans la main avec les ONG soutenues par l’Open Society de Georges Soros un énorme trafic d’êtres humains que cautionnent nos gouvernements européens. Une véritable vague migratoire déferle sur l’Europe, chaque week-end ce sont des milliers de clandestins qui débarquent sur les côtes italiennes et les îles grecques. Ce flux n’est pas prêt de se tarir et les pays européens font tout pour encourager ce trafic et cet immense exode du Sud vers le Nord. Cet immense phénomène migratoire pose des questions existentielles. En plus de voir les pays africains se vider de leur population, la présence d’une majorité d’hommes et de musulmans parmi les dits « migrants » peut légitimement nous inquiéter. Mais il ne s’agit pas simplement de cela : à quoi ressemblera l’Europe dans vingt ans si nous continuons à accueillir ces populations ? Les capitalistes y voient une main d’oeuvre bon marché et peu exigeante en terme de droit du travail. Si l’on peut assimiler des individus quand on est une civilisation sûre d’elle-même, on voit mal comment assimiler des peuples lorsque l’on est une civilisation décadente.  L’islam représente une véritable menace pour le continent européen qui risque de connaître de nouvelles guerres de religions s’il ne se soumet pas à l’islam.
 

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B. Notre vision de l’homme et du cosmos
 
Le cosmos est ordonné indépendamment de la volonté humaine :
Dieu a crée l’univers et il a disposé ses parties avec une sagesse infinie dont tous les efforts de compréhension des scientifiques ne viendront jamais à bout.  L’ordre du cosmos est beau et admirable. 
 
La place de l’homme dans la création :
L’homme n’est qu’une créature au milieu de cet immense univers. Mais Dieu a voulu que l’homme soit le gardien libre de sa création afin de le faire participer à cette magnifique oeuvre. Si l’homme a reçu l’intelligence en don pour aménager son habitat sur cette terre, il n’a pas le droit de la détruire ou de se faire l’égal de Dieu en la dénaturant. 
 
L’homme est un être sociable par nature :
il reçoit tout de la société, il nait infiniment redevable vis à vis de ses ancêtres. Pour grandir il s’enracine dans une culture et une communauté à laquelle il doit apporter sa contribution personnelle. « L’égoïsme rationnel » des penseurs libéraux est donc contre nature. La société est un fait de nature, ce n’est pas à l’État de créer artificiellement un ordre social rationnel et égalitaire coupé du dynamisme de la nature humaine. 
 
L’homme est fait pour la vertu :
d’un point de vue strictement naturel, l’homme devient véritablement homme (c'est à dire libre et non plus dominé par sa part d’animalité) en conquérant la liberté sur ses passions et en dominant ses instincts (tempérance), il acquiert les vertus par répétition d’actes bons qui lui permettront de faire le bien même lorsque cela est rendu difficile à cause de certaines situations (courage), d’être juste à l’égard de ses semblables (justice) avec intelligence et sagesse (prudence). Il y a un vrai bien objectif pour l’homme contrairement à ce que disent les modernes, un homme qui ne devient pas vertueux est une loque et il en souffre, un homme qui acquiert les vertus (prudence, tempérance, courage et justice) est un homme heureux car c’est là que réside la fin naturelle de l’homme.
 

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Le mystère du mal :
Puisque nous sommes chrétiens nous croyons que nos premiers ancêtres, Adam et Ève ont contracté par leur désobéissance et leur orgueil une blessure qui se transmettra à toute l’humanité. Cette blessure nous la connaissons tous, c’est ce qui nous empêche de faire le bien que nous voulons faire et ce qui fait que nous faisons le mal que nous ne voulons pas commettre. De là il est important de se souvenir qu’il n’y aura jamais de paradis sur terre et que toutes les institutions politiques, mêmes les mieux intentionnées, seront toujours imparfaites. Mais cela ne nous empêche pas de désirer le meilleur tout en sachant que cela restera imparfait. 
 
L’homme est fait pour s’élever vers Dieu :
la révélation chrétienne nous fait connaître la voix de Dieu et son dessein pour l’humanité. Nous savons que l’homme n’est pas fait pour vivre éternellement sur cette terre. La terre est le lieu du combat pour choisir l’alliance à laquelle Dieu nous invite et pour renoncer aux pièges du démon. Nous ne sommes pas fait pour durer, c’est pour cela que nous ne devons pas craindre la mort mais seulement le jugement de Dieu. 
 
La sainteté :
En tant que chrétien nous voulons aimer Dieu et vivre avec lui en le contemplant dans ce monde de béatitude qu’est le paradis qui nous attend après la mort sur cette terre. Mais en attendant la mort nous devons vivre sur cette terre car Dieu l’a voulu ainsi. Nous devons imiter Jésus Christ et particulièrement son sacrifice d’amour. Notre existence sur terre doit se résumer à un sacrifice d’amour en union avec le sacrifice de Jésus-Christ qui nous sauve du péché. L’amour parfait c’est l’amour de Dieu d’où découle celui pour ses créatures. L’amour pour les créatures doit être proportionné car l’amour excessif d’une créature peut nous éloigner de Dieu et c’est justement en cela que consiste le péché : préférer la créature au créateur. Dieu veut que nous fassions le bien et que nous luttions contre le mal, il veut que nous vivions conformément à la nature qu’il nous a donné sinon il nous aurait donné une autre nature.
 
Sainteté et politique : 
Le chrétien doit aimer son prochain mais cet amour s’incarne dans l’ordre naturel voulu par Dieu c'est à dire dans le cadre de la communauté puis de la société.
Ainsi il est normal d’aimer d’abord ses parents, ses enfants, les autres membres de sa famille, puis les membres de sa communauté, puis son peuple, puis les peuples plus proches de nous, puis l’homme en général, puis les animaux, les plantes, les rochers…
Aimer d’abord ne signifie pas détester les autres, mais cela signifie que nous sommes d’abord responsables du bien de ceux que Dieu à fait « nos proches » avant d’être responsable du bien de ceux qui sont plus éloignés de nous.
Dieu a fait l’homme de façon qu’il vive en communauté, et détruire la communauté est contraire à la volonté de Dieu. Un des devoirs du chrétien sur cette terre c’est donc la charité politique qui consiste à faire le bien de ceux qui partagent la même cité et de participer au bien de cette cité : c'est à dire de mettre en commun un certain nombre de biens, de veiller aux plus démunis et aux plus pauvres, et de défendre la cité contre les attaques ennemies. Car le monde est ainsi fait depuis le péché originel : oui il faut le dire, il y a des ennemis et des gens qui veulent faire du mal à nos proches. Individuellement, le chrétien peut et doit accepter les souffrances que la vie lui impose, mais il doit lutter contre celles qu’on impose à ses proches, c’est ainsi qu’il se sanctifie. La politique est le plus haut degré de la charité car il s’agit de militer pour le bien de la communauté.  C’est une responsabilité qui incombe à chacun (avec des degrés variés dans le mode d’action, mais avec un même degré dans la qualité de l’engagement). 

lundi, 23 octobre 2017

Le katechon selon Carl Schmitt: de Rome à la fin du monde

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Le katechon selon Carl Schmitt: de Rome à la fin du monde

Le retour du Christ sur Terre, la parousie, ne surviendra pas tant que le katechon​, cette figure « ​qui retient » le déchaînement du mal, agira efficacement. C’est ce qu’affirme l’apôtre Paul dans sa seconde épître aux Thessaloniciens. Si le texte biblique continue de faire débat chez les théologiens,​ ​certains​ ​pensent​ ​avoir​ ​identifié​ ​cette​ ​mystérieuse​ ​figure.

L’idée du katechon (κατέχων), que l’on pourrait traduire par « rétenteur » ou « retardateur », est largement ignorée des chrétiens eux-mêmes. Saint Paul s’adressant aux Thessaloniciens affirme pourtant, s’agissant de l’Antéchrist : « Maintenant vous savez ce qui le retient, de sorte qu’il ne se révélera qu’au temps fixé pour lui. Car le mystère d’iniquité est déjà à l’œuvre ; il suffit que soit écarté celui qui le retient à présent » (II Thessaloniciens 2, 6-7). Puissance qui empêche l’avènement du mal absolu et la fin du monde, le katechon atténue profondément l’eschatologie chrétienne dans son acception la plus fataliste, qui tend à considérer que le cours de l’histoire est tout entier entre les seules mains de la Providence.

Cette puissance qui retient semble devoir s’analyser en une entité théologico-politique. Vraisemblablement inspirée par Dieu pour la défense du bien chrétien, mais néanmoins libre des ses décisions comme l’est toute figure de la Création, elle réconcilie le déterminisme eschatologique avec une conception sphérique de l’histoire qui postule que l’homme, par l’action politique fondatrice de tout ordre, joue un rôle décisif dans le cours des événements et la lutte contre le règne du mal. C’est ce que notait Carl Schmitt, dernier grand penseur du katechon, lorsqu’il écrivait que « la foi en une force qui retient la fin du monde jette le seul pont qui mène de la paralysie eschatologique de tout devenir humain jusqu’à une puissance historique aussi imposante que celle de l’Empire chrétien des rois germaniques. » Cette conception schmittienne du katechon est issue du Nomos de la Terre, paru en 1950. Elle nous semble plus aboutie que celle utilisée en 1944 dans Terre et Mer, plus vague et générique, qui a pu conduire certains commentateurs à identifier le katechon à toute puissance étatique résistant à la marche forcée du monde vers une hypothétique anomie globale.

Le katechon est donc mû par une volonté propre et n’est pas la marionnette de Dieu sur terre. Il est une puissance décisive dont l’action concrète fonderait un ordre conforme à l’idée chrétienne du bien là où le désordre tendrait à s’insinuer. Chez Schmitt, le bien n’est pérenne que dans l’ordre, et la capacité à le conserver en décidant du cas d’exception est au souverain ce que le miracle est à Dieu. Cela suppose d’abord que la « vraie foi » soit établie et transmise, pour que l’idée chrétienne du bien contenue dans le décalogue et les « lois non écrites » puisse être poursuivie et défendue efficacement. L’institution de l’Église catholique romaine, vecteur et garante du dogme, est donc naturellement une composante du katechon selon Carl Schmitt, reprenant à son compte l’idée développée par nombre de théologiens et de Pères de l’Église. Mais parce que le katechon ne saurait se réduire à une autorité spirituelle, et suppose aussi la force d’action concrète du pouvoir politique, c’est plus précisément dans le Saint Empire romain germanique que le juriste en voyait une incarnation historique.

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Une​ ​figure​ ​duale

L’Église latine est une institution indéfiniment ancrée dans le sol romain, comme une garantie de sa permanence, pour fonder un ordre à vocation universelle. Et l’association au sein de l’Empire d’Occident des deux ordres distincts de l’imperium et du sacerdotium, dévolus respectivement à l’Empereur et au Pape, formait une authentique communauté dans la Respublica Christiana. Ordre éternellement chrétien, puisque bâti sur la pierre angulaire de l’Église (le tombeau de Pierre) et sur lequel le mal, se propageant dans le monde, finirait toujours par buter.

C’est donc véritablement une figure duale, à la fois théologique et politique, que celle du katechon. Et si elle apparaît clairement dans la Respublica christiana, c’est justement par la distinction formelle de ces deux ordres d’imperium et de sacerdotium, qui renvoie à la distinction entre un pouvoir (potestas) et une autorité qui le légitime et le transcende (auctoritas), là où les sociétés traditionnelles réunissaient pouvoir temporel et autorité spirituelle sous la figure unique du roi-prêtre. Cet imperium avait d’ailleurs acquis une dimension proprement chrétienne, se définissait comme le commandement utile à maintenir l’ordre chrétien, et s’ajoutait aux prérogatives des rois chaque fois qu’il était nécessaire. Un évènement historique important est situé au XIe siècle, date de la réforme grégorienne au cours de laquelle l’Église s’affirme, avec force, indépendante et supérieure aux pouvoirs temporels. Mais cette distinction n’a pas immédiatement provoqué une opposition frontale, ni même l’exclusion mutuelle des deux domaines. Il y avait au contraire, initialement, la recherche d’une synergie, d’une conciliation, que Carl Schmitt résume dans l’expression de « lutte pour Rome ». 

Or cette conception de la « puissance qui retient » ne pouvait valoir que dans un monde où tous les chemins menaient à Rome, où toute l’Europe chrétienne regardait vers le tombeau de Pierre comme vers le centre du monde et espérait la bénédiction de ses décisions politiques par les autorités romaines. L’autorité spirituelle ressemblait alors à un rempart au pouvoir politique, objet des passions potentiellement destructrices et contraires à l’ordre chrétien établi d’après Rome. Or, de ce romanisme médiéval concentrique, où le pouvoir cherchait à s’adjoindre l’autorité de l’Église, l’Europe a basculé vers un romanisme excentrique. C’est désormais à l’Église romaine de gagner le monde par ses propres moyens résiduels, d’imposer son bien par le bas, dépourvue de son autorité politique depuis l’émergence de la conception moderne et exclusive de la souveraineté. L’imperium et le sacerdotium, jusqu’alors distingués mais néanmoins liés, sont désormais deux ordres qui tendent à s’exclure mutuellement. L’État s’est divinisé.

L’Église se voit ainsi exclue des affaires politiques, contrainte à se plier aux exigences d’un monde où les États comptent sans elle. Si l’on peut certes reconnaître aux papes contemporains un rôle politique certain, celui-ci ne semble plus que ponctuel et exceptionnel et relève de l’influence bien plus que de la décision. On pense notamment à l’anticommunisme de Jean-Paul II et au soutien qu’il apporta à Solidarnosc en Pologne, peu avant l’implosion du bloc soviétique.

Symboliquement, la métamorphose de l’Église est acquise depuis le Concile « Vatican II », au cours duquel fut adopté l’usage des langues vernaculaires au détriment du latin dans les célébrations. L’Église qui s’adressait au monde entier dans un même langage s’est comme dissoute dans les particularismes. Elle est devenue une institution mondaine parmi d’autres, et sa lutte ne peut plus guère être menée en association avec les pouvoirs politiques en qui Carl Schmitt voyait les pierres fondatrices et les garanties de tout ordre. Non seulement les dimensions théologique et politique du katechon tendent à s’exclure, mais l’ordre romain du sacerdotium semble considérablement affaibli face à un imperium hypertrophié et dépourvu de sa dimension chrétienne ancienne. Pour bien des dépositaires du pouvoir politique, la parole de l’Église semble compter autant que celle d’une quelconque organisation non gouvernementale.

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Rome​ ​éternelle​ ​ou​ ​troisième​ ​Rome​ ​?

Certes, il convient de nuancer une approche trop européocentrique de la figure du katechon, le monde chrétien ne se limitant ni à Rome ni à l’Occident, et l’Église catholique latine n’étant pas la seule Église au monde. Cependant, sa forme historique sui generis lui a certainement confié une légitimité particulière. Et c’est l’Empire d’Occident qui conserva le lien géographique avec le tombeau de Pierre, assise tellurique déterminante aux yeux de Carl Schmitt et de nombreux théologiens occidentaux, car elle permettait un rayonnement universel puissant, une « juridiction universelle » partant d’un seul et unique centre de gravité. L’Église orthodoxe, en revanche, s’est développée dans une relation toute différente à la localité, témoignage d’un enracinement nécessairement moins imposant symboliquement, voyant le siège de Pierre en celui de chaque évêque.

L’idée que le katechon serait aujourd’hui incarné par la Russie orthodoxe fleurit pourtant ça et là depuis une dizaine d’années, notamment dans les courants eurasistes, comme une réminiscence de l’idéal d’une « troisième Rome » incarnée par Moscou. Le Patriarche Cyrille de Moscou, à la tête de l’Église orthodoxe russe, affirme régulièrement l’importance de la foi comme guide essentiel à la conduite des affaires politiques. Certes, il reproche aux sociétés d’Occident de s’estimer capables de fonder un ordre sain sur la négation de la chrétienté. De son côté, le gouvernement russe actuel manifeste ostensiblement son identité chrétienne. Il n’y a cependant là rien de comparable avec l’articulation historique de l’imperium et du sacerdotium, ni avec le rayonnement universel de l’Église romaine d’autrefois.

Ironie du sort, c’est peut-être aujourd’hui l’Organisation des Nations Unies qui constitue l’autorité la plus universelle et qui continue le mieux l’autorité autrefois dévolue au Pape ! Un exemple parmi tant d’autres : la colonisation des Amériques par l’Espagne était fondée juridiquement sur un mandat de mission pontificale, tout comme l’ONU délivre aujourd’hui des mandats fondant des opérations dites de « maintien de la paix ». L’arbitrage moral quant à l’emploi de la violence armée par les puissances dominantes se fait au sein de cette organisation, au nom de principes aussi généraux que généreux. On a longtemps justifié les conquêtes et les pillages par la nécessité de répandre le christianisme sur les terres inexplorées, puis par celle de « civiliser » les « sauvages ». Désormais, on apporte les Droits de l’Homme. Ce que l’on appelait le droit des gens, le droit international applicable aux étrangers non chrétiens, se retrouve aujourd’hui sous l’appellation pudique de « droit international humanitaire », autrement appelé droit de la guerre. Mais l’Évangile ne figurant pas parmi les références de l’Organisation, et l’ordre qu’elle fonde ne semblant pas inspiré par les exigences chrétiennes, elle ne serait qu’une sorte de katechon laïque, de toute façon dépendante des États souverains. Or, purement théologique, un katechon n’aurait pas le pouvoir de fonder un ordre social ; purement politique, il serait condamné à dévier.

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Le katechon sous sa forme historique, tel que Carl Schmitt l’a conçu, est-il alors une figure morte ? Elle semble éteinte, et les métamorphoses juridiques et politiques l’ont certainement mené à prendre une forme nouvelle qui peine à se dévoiler. Mais une menace plane : ne le voyant plus, l’Occident ne semble plus croire au katechon, et donc ne plus se penser capable, et encore moins destiné, à l’incarner. Il faut dire que les prophéties hégéliennes modernes de la « fin de l’Histoire » et de l’avènement d’un « État universel et homogène » (Kojève) idyllique vont encore bon train, privant l’idée du katechon de sa raison d’être. C’est d’abord de son urgente nécessité qu’il faudra se convaincre pour pouvoir l’incarner à nouveau. Suivant l’intuition schmittienne, c’est certainement dans la redécouverte de la doctrine chrétienne véritable et ordonnée que se trouve la vitalité du katechon, ce qui conforte aujourd’hui les conservateurs dans l’Église face à un Pape controversé et souvent décrit comme progressiste. Mais se pose encore la question de la portée politique de cette doctrine dans le monde contemporain. Il n’y a plus guère de pieux monarque qui règne, et les souverainetés déjà diluées dans les foules démocratiques se partagent désormais entre une infinité de monstres bureaucratiques. Si le diable est celui qui divise, le katechon ne peut sans doute se retrouver que dans une convergence théologico-politique, une tendance à la réunification des deux ordres en équilibre.

mercredi, 31 mai 2017

Renonciation de Benoît: arrière-plan géopolitique

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Renonciation de Benoît: arrière-plan géopolitique

 
Ex: http://zejournal.mobi 
 
Ce sont des hypothèses, évidemment, mais elles acquièrent une crédibilité à cause de la source, une prestigieuse revue italienne (24/5/2017).

La « prestigieuse » revue italienne de géopolitique revient sur les évènements du début 2013, qui ont en réalité commencé deux ans plus tôt.

Dans le n. 4 d’avril 2017, l’un des articles s’intitule « Pourquoi le Vatican nous sert ». Il est réservé aux abonnés, mais l’accroche annonce:

Tandis que l’Italie est une puissance régionale moyenne, la papauté déploie une influence mondiale. Quand les intérêts respectifs convergent, les politiques de Rome sont légitimées. Les problèmes surgissent si elles divergent, comme c’est le cas aujourd’hui pour la sécurité et l’accueil des migrants.

Et apparemment, comme ce fut le cas autour de 2013, où les intentions du Pape Benoît seraient entrées en conflit avec les intérêts de la faction la plus atlantiste du pouvoir italien (qui n’était pas celle représentée par le Premier ministre d’alors, Silvio Berlusconi, lui aussi contraint de démissionner par une campagne de scandales d’une violence inouïe).

Le sujet ne pouvait pas ne pas intéresser Antonio Socci, qui lui consacrait un article intéressant la semaine dernière.

Mais un peu plus tôt, le site Campari & de Maistre éclairait notre lanterne sur le contenu de l’article de Limes. Se gaussant de ce qu’il qualifie de « secret de Polichinelle ».

Campari & de Maistre

Démission de Benoît. Voici le secret … de Polichinelle

Nous vous invitons à lire tout l’article qui suit, non pas tant pour prendre acte de «ce qui» est révélé, mais de prendre acte de «qui» avalise ce point de vue.

«Les frictions entre l’Eglise et les Etats-Unis n’auraient pas disparu avec la disparition de Jean-Paul II. Elles auraient au contraire eu une suite dans le cours du pontificat du Pape Ratzinger, durant lequel elles n’auraient pas seulement été aiguisées par l’investissement de la part de Obama et de Hilary Clinton sur l’Islam politique des Frères Musulmans durant les dits « printemps arables », mais également par la ferme volonté de Benoît XVI de parvenir à une réconciliation politique avec le patriarche de Moscou, qui aurait été, dans ses intentions, le véritable couronnement religieux d’un projet géopolitique d’intégration euro-russe soutenu avec conviction par l’Allemagne et l’Italie de Silvio Berlusconi – mais pas de celle, plus pro-américaine, qui se reconnaissait en Giorgio Napolitano. Comment cela s’est terminé est connu de tous. Le gouvernement italien et la papauté auraient été frappés simultanément par une campagne de scandales, coordonnée, d’une rare violence et sans précédent, à laquelle se seraient associées des manœuvres plus ou moins opaques dans le domaine financier, avec l’effet final de précipiter en Novembre 2011 le retrait de Berlusconi du Palazzo Chigi, et le 10 Février 2013, l’abdication de Ratzinger. Au plus fort de la crise, l’Italie aurait vu progressivement se fermer les portes d’accès aux marchés financiers internationaux, tandis que l’Institut pour les œuvres de religion (IOR) serait coupé temporairement par le circuit Swift (4)».

Note

«(4) L’IOR aurait été exclu du système international des paiements du 1er Janvier au 11 Février 2013 sur la base de l’accusation de contribuer au blanchiment d’argent, avec l’effet d’induire la Deutsche Bank à bloquer le fonctionnement des distributeurs automatiques de billets dans tout le territoire de la Cité du Vatican. La nouvelle a été donnée en Italie par la Repubblica du 3 Janvier 2013, quand Fabio Tonacci publia un article intitulé: « Vatican, stop aux cartes et aux distributeurs automatiques de billets. Les services de paiement suspendus ». Le lendemain de l’annonce de l’abdication du pape Ratzinger, le Saint-Siège obtiendra d’une banque suisse le rétablissement des services interrompus».

Après cette longue citation, désignons-en la source. Maurizio Blondet? Antonio Socci? Les hackers russes? Eh bien non, les données bibliographiques sont les suivantes: « Germano Dottori, Pourquoi nous avons besoin du Vatican » , dans Limes – revue italienne de géopolitique, n° 4/2017 (Avril), pp. 151-158″.

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Bref, en lisant la dernière sortie du magazine italien qui fait autorité dans le domaine de la géopolitique, un journal auquel est attribué un rôle tel que chaque numéro est présenté, non sans une certaine solennité, par son directeur, à la télévision d’Etat, nous apprenons les informations suivantes:

1) Le succès politique des Frères musulmans (c’est-à-dire de l’islam fondamentaliste) à la suite des «printemps arabes» n’a pas été, comme beaucoup pourraient le penser, un effet non intentionnel du progressisme stupide de Obama mais quelque chose de voulu;

2) Benoît XVI a poursuivi avec «une ferme volonté» le plan de réconcilier l’Eglise catholique avec le Patriarcat de Moscou;

3) Ces deux facteurs ont aiguisé les frictions entre l’Eglise et les États-Unis, commencées dans la dernière phase du pontificat de saint Jean-Paul II;

4) Le gouvernement Berlusconi soutenait le dessein de Benoît XVI dans une optique pro-russe;

5) Il s’est ainsi aliéné les sympathies des Américains, dont l’homme, en Italie, n’était autre que le Président de la République Giorgio Napolitano;

6) Les campagnes à scandales simultanées subies durant ces années par Berlusconi et le pape Benoît XVI étaient coordonnées entre elles, destinées à frapper deux personnalités qui, dans l’optique des États-Unis, étaient ouvertement trop pro-russes et très peu obéissantes à la Maison Blanche;

7) Cette campagne de dénigrement s’est accompagnée de manoeuvres financières opaques à la fois contre l’Italie (vous vous souvenez du « spread »?), et contre le Vatican (confirmant ce qui avait déjà été laissé à entendre par d’autres sources);

8) Tout cela a conduit à la démission de Berlusconi (et jusque là, rien qui ne soit déjà notoire) et aussi, écoutez bien, à celle de Benoît XVI .

Enfin, last but not the least, « Limes » est depuis toujours publié par le même groupe d’édition que « la Repubblica », c’est-à-dire l’organe de presse qui a servi de « lanceur » à cette double campagne de scandales «coordonnée, d’une rare violence et sans précédent». 

Bref, eux, ils savent.

Que dire? Nous avons toujours voulu nous tenir à l’écart des polémiques de type «complot» à propos de ce qui est arrivé au cours des derniers moments du pontificat de Ratzinger et les explications complotistes sur sa démission. Nous ferons de même cette fois aussi. Nous nous limitons simplement à signaler ce que rapporte un magazine estimé et influent, qu’on ne peut certes pas accuser de proximité avec la «Kurie conservatrice» ou avec les «quatre chats» traditionalistes. Nous nous permettons de signaler le passage où il est dit: «Comment cela s’est terminé est connu de tous».

Autre chose qu’un «gomblot». Ici, il s’agit d’un secret de Polichinelle …

Paolo Maria Filipazzi

* * *

Commentaires d’Antonio Socci

Voilà que des experts géopolitique commencent à réfléchir à ce qui se cache derrière la mystérieuse «renonciation» de Benoît XVI

Dans le dernier numéro – qui vient de sortir – de Limes, la revue de géopolitique de référence du même groupe d’édition que la Repubblica et l’Espresso, est publié un essai par le professeur Germano Dottori, responsable des études stratégiques à la Luiss (Libera Università degli Studi Sociali), conseiller scientifique de Limes, membre d’autres importants centres d’études, et qui a été consultant auprès de commissions de la Chambre et du Sénat sur les affaires étrangères et la défense.

Donc, l’essai de Dottori – intitulé «Pourquoi nous avons besoin du Vatican» – retrace le lien étroit et décisif entre la politique étrangère de l’Etat italien et la présence à Rome de la papauté qui a une influence planétaire. Une relation conflictuelle.

CONFLIT

Aujourd’hui, par exemple, Dottori estime que «le gouvernement des flux migratoires» crée une grosse friction entre les intérêts de l’Etat italien et le Vatican du Pape Bergoglio .

Il est en effet bien connu que «François est un partisan des portes ouvertes», mais il y a une «difficulté structurelle destinée à peser sur l’Italie: si Rome ne tente pas de ralentir d’une façon quelconque le flux des désespérés qui atteignent notre pays, non seulement certains équilibres sociaux délicats seront sans doute compromis, comme on commence à le voir dans les banlieues … mais il est très probable que nos partenaires européens finiront par opter pour notre expulsion des accords sur l’espace européen unique, ce qui entraînera un préjudice pour les intérêts économiques considérables de nos exportateurs».

En décrivant les connexions complexe Italie / Vatican, Dottori s’est aussi arrêté sur les événements qui en 2011 ont conduit à la chute du gouvernement Berlusconi, et en 2013, à l’étrange et traumatique «renonciation» de Benoît XVI.

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LE CONTEXTE

Dottore écrit: «les frictions entre l’Eglise et les Etats-Unis (…)

[Suit la citation du paragraphe évoqué plus haut]

Ce qui frappe, ce n’est pas seulement l’évocation du contexte géopolitique dans lequel se situe le «renoncement» de Benoît XVI (et la chute du gouvernement Berlusconi), mais aussi le fait que cette analyse soit publiée dans la revue de Lucio Caracciolo, «Limes», du groupe Gedi, dont le président est Carlo De Benedetti (le groupe de la Repubblica et l’Espresso) .

Il y a quelques mois, Dottori a donné une interview à l’agence catholique Zenit dans laquelle, interrogé sur les documents de WikiLeaks, il faisait cette considération: «Bien que je n’ai aucune preuve, j’ai toujours pensé que Benoît XVI avait été conduit à l’abdication par une machination complexe, ourdie par ceux qui avaient intérêt à bloquer la réconciliation avec l’orthodoxie russe, pilier religieux d’un projet de convergence progressive entre l’Europe continentale et Moscou. Pour des raisons similaires, je pense qu’a également été arrêtée la course pour succéder au cardinal Scola, qui en tant que patriarche de Venise avait mené les négociations avec Moscou» [voir à ce sujet: benoit-et-moi.fr/2016/actualite/laumonier-dobama].

GUERRE US À LA RUSSIE

Dans ces colonnes, j’ai souligné à maintes reprises la profonde anomalie de la «renonciation» du Pape Benoît, des circonstances dans lesquelles elle s’est produite, et enfin de sa décision de rester «pape émérite», expliquée avec ces mots surprenants: «Ma décision de renoncer à l’exercice actif du ministère ne révoque pas cela».

Une anomalie colossale qui fait penser à une demie-renonciation, comme on le devine aussi à partir de la fameuse conférence à la Grégorienne de son secrétaire Mgr Georg Gänswein.

Une telle «renonciation» doit être reliée au contexte géopolitique – comme le fait Dottori – sur lequel il conviendrait de réfléchir pour comprendre si d’éventuelles forme de pression furent exercées, et lesquelles.

Cela ne signifie pas que cette « renonciation » de Benoît XVI ait été extorquée ou contrainte. Mais cela signifie qu’autour de ce «choix» étrange, il y a un mystère colossal qui doit être éclairci.

Les considérations de Dottori sur Benoît XVI (et aussi sur le gouvernement Berlusconi) portent à nouveau à notre attention ce qui est – à mon avis – la clé pour comprendre de nombreux événements de ces dernières années: la guerre (froide et chaude) déclarée par les Etats-Unis d’Obama et Clinton contre la Russie de Poutine, sur tous les théâtres du globe.

Le projet d’un monde unipolaire à hégémonie américaine – qui doit donc balayer une Russie redevenue indépendante et autonome – est la dernière folie idéologique de la modernité .

C’est un projet impérialiste suicidaire pour les États-Unis et extrêmement dangereux pour le monde, mais il imprègne si profondément l’establishment américain (tant dans la faction « neocon » que celle « liberal ») que même Donald Trump – qui a gagné contre eux – doit maintenant transiger et se trouve fortement conditionné par ce bloc de pouvoir, qui semble plus fort que le président élu.

Libero, 17 mai 2017