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dimanche, 06 novembre 2022

Leçons italiennes (II)

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Leçons italiennes (II)

par Georges FELTIN-TRACOL

La semaine dernière, la 48e chronique de votre vigie préférée traitait des élections parlementaires italiennes. Il faut y revenir tant la Péninsule apparaît plus que jamais comme un exceptionnel laboratoire socio-politique.

Force est d’abord de constater l’incroyable et vivace diversité des populismes italiens. Coexistent le populisme télévisuel berlusconien précurseur, le populisme « ethno-fiscal » de la Ligue du Nord, le populisme de la gauche radicale, surtout visible sur le terrain contre la ligne à grande vitesse Lyon – Turin, ainsi que le populisme tribunicien du Mouvement 5 Étoiles (M5S). Son nouveau chef politique, Giuseppe Conte, a mené une campagne schizophrénique puisqu’il a condamné la politique de Mario Draghi dont le gouvernement comptait des élus du M5S.

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Outre une défense vibrante du revenu de citoyenneté, Giuseppe Conte (photo) s’est aussi réclamé de l’action politique d’Emmanuel Macron ! Or, quelques mois auparavant, il refusait publiquement de choisir entre le président français sortant et Marine Le Pen. Penchant vers la Russie et, surtout, vers la Chine, le M5S souhaite la levée des sanctions économiques contre Moscou et milite en faveur de la paix et du désarmement en Europe orientale.

La proximité, théorique ou non, d’une formation politique avec une puissance étrangère n’est pas propre au non-parti de Beppe Grillo. C’est plutôt une constante de la vie politique italienne depuis la nuit du 25 juillet 1943. L’atlantisme dominant fait de l’Italie un État à la souveraineté limitée. Le 13 septembre dernier, le renseignement yankee lâchait une bombe médiatique en pleine campagne électorale. L’officine étatsunienne publiait son rapport sur les financements russes aux partis politiques d’une vingtaine d’États depuis 2014. Le M5S et la Lega qui a signé un partenariat avec Russie unie, auraient perçu la bagatelle de 300 millions d’euros de la part du Kremlin. Bien sûr, ce document contestable ne mentionne jamais – et pour cause ! - les montants mille fois supérieurs à cette somme distribuées à tous les partis politiques cosmopolites inféodés à Wall Street, à la City et à Hollywood. L’Europe est depuis 1945 une colonie étatsunienne qui s’est étendue vers l’Est à partir de 1991.

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Cette incroyable ingérence se double, le 16 septembre suivant, d’une longue conversation téléphonique entre le secrétaire d’État Anthony Blinken et Mario Draghi. Bien que confidentielle, la discussion s’est retrouvée dans la presse transalpine. On y apprend que Blinken prévient Draghi que la Maison Blanche pose son veto à la présence de Matteo Salvini (photo) dans un prochain gouvernement pour cause de « russolâtrie » supposée. Biden et sa clique auraient parfaitement pu voter à la place des Italiens… Proche des milieux conservateurs trumpistes et post-trumpistes, Giorgia Meloni n’a pas pris en compte l’avis des démocrates puisque Matteo Salvini est nommé vice-président du Conseil et ministre des Infrastructures tandis que son ancien chef de cabinet, Matteo Piantedosi, prend l’Intérieur. 

Ursula von der Leyen a menacé, pour sa part, les électeurs de représailles s’ils osaient mal voter. L’invasion sino-russe des instances d’un État italien évanescent relève d’un fantasme propre aux campagnes électorales. En revanche, les principaux partis agissent en vassaux de Bruxelles, de Berlin, de Londres et de Washington.

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Cent ans plus tard, l’histoire ne se répète pas. Le système médiatique occidental d’occupation mentale insiste par exemple sur le passé militant de Giorgia Meloni. Elle adhéra à 15 ans au Front de Jeunesse du MSI et, à 19 ans, continua à saluer l’action de Benito Mussolini. Entre-temps, elle devint une parlementaire reconnue, une ministre aguerrie et, depuis 2020, la présidente des Conservateurs et réformistes européens, cofondé par les tories britanniques avant le Brexit, et les Polonais de Droit et Justice. La charte fondatrice de ce groupe assume son engagement atlantiste et anti-fédéraliste au niveau continental. Fin août 2022, l’Allemand Manfred Weber, le président du PPE (Parti populaire européen), inféodé à la CDU et qui compte dans ses rangs Forza Italia, adoubait le programme de la coalition de droite italienne. Par ailleurs, en tant que principal parti d’opposition au gouvernement Draghi, les Frères d’Italie ont désigné l’un des leurs, Adolfo Urso, pour présider la COPASIR (Commission parlementaire pour la sécurité de la République) qui supervise les services secrets. Par sa fonction, Adolfo Urso (photo), désormais ministre des Entreprises et du « Made in Italy » (sic !), a ainsi rencontré maints responsables des cénacles de renseignement occidentaux.

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Il ne faut pas oublier que Giorgia Meloni a suivi son mentor, Gianfranco Fini, dans la transformation du MSI en Alliance nationale, puis dans la fusion de cette dernière dans le grand parti libéral-berlusconien Peuple de la Liberté. Les reniements successifs de Gianfranco Fini ont finalement incité Giorgia Meloni à quitter avec d’autres anciens missinistes la formation fourre-tout de Silvio Berlusconi pour fonder Fratelli d’Italia. Dans la « Chronique hebdomadaire du Village planétaire » du 10 juin 2020 présente dans L’Actualité à la hache. Se déconfiner du prêt-à-penser (Éditions du Lore, octobre 2021, 28 €), votre serviteur écrivait déjà à propos de la « grande sœur des Italiens » que « contrairement à Salvini qui navigue à vue entre l’illibéralisme pro-russe et un populisme pro-israélien, Giorgia Meloni campe sur des positions atlantistes et occidentalistes claires et tranchées. Dans la foire d’empoigne qui oppose le démocrate Nicola Zingaretti, Renzi, les grillinistes Di Maio et Conte, et Salvini, elle se contente d’avancer, tranquillement et patiemment, vers le palais Chigi. Il est donc possible que, dans les prochaines années, Giorgia Meloni soit la première femme nommée à la présidence du Conseil des ministres de la République italienne (pp. 393 – 394) ».

Outre un euratlantisme assumé, perceptible au sujet de l’aide militaire occidentale apportée à l’Ukraine, Giorgia Meloni affiche un centralisme certain. L’excellent blogue de Lionel Baland rapporte, à la date du 12 août 2022, ses propos critiquant la minorité germanophone du Tyrol du Sud – Trentin – Haut-Adige. « Si les Sud-Tyroliens ne veulent pas se sentir italiens, qu’ils émigrent en Autriche; s’ils n’aiment pas le tricolore italien, alors ils n’ont pas besoin des milliards d’euros avec lesquels l’État italien finance l’autonomie. » À l’instar des Démocrates de Suède dont les députés européens siègent dans le même groupe que Fratelli d’Italia à Strasbourg - Bruxelles, et qui insultent les Sami, l’ultime peuple indigène d’Europe installé en Laponie depuis quelques millénaires, Giorgia Meloni semble ne pas apprécier les petites communautés ethniques natives sur leurs terres ancestrales. Un Tyrolien du Sud est évidemment chez lui dans la région autonome du Trentin – Haut-Adige – Tyrol du Sud. Le système d’autonomie qui s’y applique est l’un des plus remarquables qui puisse exister en Europe.

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Faut-il craindre pour la pérennité des peuples francophone, welsche et ladin du Val d’Aoste ? Par sa tradition subsidiariste, la Ligue du Nord est plus apte à accepter cette diversité ethno-culturelle inhérente à l’esprit européen qui contredit le mirage uniformisateur mortifère de l’État-nation. Porteuse d’une certaine idée de l’Empire, l’Italie se doit de composer avec la pluralité originelle des composantes populaires albo-européennes enracinées sur son sol depuis tant de générations.

Enfin, Giorgia Meloni doit prendre en compte les demandes de ses alliés berlusconiens et liguistes désavoués dans les urnes, ce qui les rend guère gérables à moyen terme. Derrière les sourires photographiques, les tensions sont déjà vives entre Meloni, Salvini et Berlusconi, furieux et dépités de ne plus gouverner. De nombreux désaccords conjoncturels et programmatiques traversent l’alliance de centre-droit. Le 13 octobre dernier, lors de la session inaugurale du Sénat, les sénateurs Forza Italia ne votent pas en faveur du candidat de la coalition, Ignazio La Russa (photo), le premier président de Fratelli d’Italia. L’ancien ministre de la Défense, connu pour ses collections autour du Duce, devient le deuxième personnage de l’État, en tant que président du Sénat, grâce à dix-sept voix venues des oppositions. Les soupçons se portent aussitôt vers Italia viva de Matteo Renzi.

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La majorité obtenue tant à la Chambre des députés qu’au Sénat ne signifie pas la fin de l’instabilité gouvernementale. Il est envisageable que le gouvernement de Giorgia Meloni ne soit que le premier de cette nouvelle législature. Les jeux politiciens contribuent à l’effacement structurelle de la puissance régalienne italienne. 

GF-T

  • « Vigie d’un monde en ébullition », n° 49, mise en ligne le 1er novembre 2022 sur Radio Méridien Zéro.

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