vendredi, 27 décembre 2024
La disparition de Dalmacio Negro Pavón
La disparition de Dalmacio Negro Pavón
Carlo Gambescia
Source: https://carlogambesciametapolitics2puntozero.blogspot.com/
Le décès de Dalmacio Negro Pavón, survenu le 23 décembre à Madrid, sa ville natale, des suites d'une maladie soudaine, à l'âge de 93 ans, est une grande perte pour la science politique européenne. Le destin a voulu qu'il s'éteigne le jour même de sa anniversaire.
Il s'agit d'un homme généreux, affable, cultivé, toujours capable d'autodérision, d'un grand professeur et d'un profond politologue, encore très lucide et en pleine activité. Parmi ses ouvrages les plus récents figure La ley de hierro de la oligarquía (Encuentro, 2015). Un examen dense de la question qui, en moins de cent pages, explore de manière convaincante ce qui peut être défini à la fois comme une régularité métapolitique et un outil pour illustrer la crise des classes dirigeantes européennes. Un petit chef-d'œuvre digne du savoir d'un Gaetano Mosca et de l'éthique politique de Benedetto Croce.
Enfin, il faut rappeler Tradición de la libertad (Unión Editorial, 2019), véritable concentré de sa pensée en la matière, dans lequel le cri d'alarme pour la liberté, prise entre l'énorme appétit fiscal de l'État welfariste et le conformisme des bureaucraties de la pensée, se fait à la fois pressant et lucide.
En Italie, j'ai eu le plaisir de publier Il Dio Mortale. Il mito dello stato tra crisi europea e crisi della politica (2014). Il est sorti pour la série Foglio que je dirige avec Jerónimo Molina, son élève, à la Complutense, où Negro a enseigné, ainsi que, ces dernières années, à la CEU San Pablo. L'étude a été traduite et éditée par l'excellent Aldo La Fata.
Une anecdote explique bien l'homme et le savant. Je lui écrivit, un jour, pour compléter quelques notes. Je l'ai immédiatement regretté, craignant d'en faire toute une histoire (déranger un professeur de cette importance...). Au contraire, Don Dalmacio m'a répondu en un éclair, me remerciant pour ma précision et m'envoyant toutes les données nécessaires. Un grand moment.
Sa position politique et historiographique peut être placée en toute sécurité dans la galerie très spéciale du "triste libéralisme". Autrement dit, le libéralisme réaliste, « non ridens ». Negro a d'ailleurs beaucoup apprécié mon livre sur le sujet et a fait tout son possible, avec son ami Molina, pour qu'il soit publié en castillan.
Pour une étude plus approfondie de sa pensée, nous recommandons, in primis (également parce qu'en Italie il n'a pas été traduit autant qu'il le méritait), le déjà mentionné Il dio mortale (Il Foglio 2014), in secundis, Historia de las formas de Estado (El Buey Mudo, 2010), ainsi que Gobierno y Estado (Marcial Pons, Ediciones Jurídicas y Sociales, 2002) et La tradición liberal y el estado (Unión Editorial, 1995).
Un triste libéralisme, disions-nous, qui, outre la grande leçon des penseurs libéraux européens tels que Tocqueville, a approfondi celle de Carl Schmitt. Sur ce point, voir Estudios sobre Carl Schmitt (Fundación Cánovas del Castillo, 1995). Sans oublier l'influence d'un christianisme réaliste, attentif aux œuvres plutôt qu'aux paroles de l'Église. Un sujet qu'il approfondit dans Lo que Europa debe al cristianismo (Unión Editorial, 2006).
Negro peut sans aucun doute être rattaché, même si ce n'est pas chronologiquement, à ce que Jerónimo Molina a appelé le « cuarto siglo de oro del pensamiento político español » (1935-1969*).
Cependant, il faut dire honnêtement qu'au niveau des définitions, même à titre posthume, le « siglo de oro », en tant que canon, était un peu étroit pour Negro. Dans le sens d'une plus grande ductilité à l'égard de la pensée politique européenne du courant libéral et moderne, transcendant ainsi la tragique confrontation séculaire entre les deux Espagnes, la traditionaliste et la moderne. La guerre civile de 1936-1939 en fut le point culminant.
Manifestement, Negro bouge « con juicio ». Il n'a jamais été un fanatique de la modernité, ni un défenseur d'une tradition enracinée dans un quelconque hyperuranium. Ce qui, pour ne pas être trop fin, exclut une interprétation de gauche de sa pensée (**).
Libéralisme, réalisme, christianisme sont les trois termes pour interpréter son œuvre. Le cercle vertueux de sa pensée. Sans oublier la rigueur scientifique et son regard désenchanté sur le monde.
Un désenchantement sain, disons, pas celui du pèlerin nihiliste et du snob de l'existence: le désenchantement de Negro est celui du réaliste sérieux, qui étudie le monde (où l'on ne se baigne jamais deux fois dans la même rivière) parce qu'il fait partie du monde et qu'il veut le comprendre.
Negro ne se tripote jamais le nombril, il veille sur les faits. Ce qui, mais c'est notre très humble avis (***), lui a permis, grâce aussi à sa forte constitution, d'atteindre et de dépasser les 93 ans.
Disons qu'il l'a bien mérité.
Notes:
(*) L'article de Molina se trouve ici : https://www.eldebate.com/cultura/20240316/francisco-javie... .
(**) Sur les différents points de la pensée de Negro, voir le recueil d'écrits pour son 90ème anniversaire édité par Jerónimo Molina, Pensar el estado. La política de los hechos y la política de la libertad, Los papeles del sitio, 2022.
(***) Pour ces aspects, voir “Presentancíon del Editor” in D. Negro, Liberalismo e iliberalismo. Articulos políticos (1989-2013), Edición de Molinagambescia, Los papeles del sitio, 2021).
19:29 Publié dans Hommages, Théorie politique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : dalmacio negro pavon, hommage, théorie politique, politologie, sciences politiques, philosophie politique | | del.icio.us | | Digg | Facebook
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