vendredi, 01 novembre 2024
L'impératif? La puissance russe!
Portrait de Dimitri Donskoï par le peintre Victor Matourine.
L'impératif? La puissance russe!
Alexandre Douguine
Source: https://www.geopolitika.ru/article/imperativ-russkoy-vlasti
Le huitième congrès de Tsargrad, qui s'est tenu dans la cathédrale du Christ-Sauveur, a été d'une incroyable pertinence. Voici, en substance, ce qui s'y est dit.
Il est évident que nous vivons dans une société où l'idéologie est en train de changer - elle passe du libéralisme à la russéité. Et ce processus ne peut être arrêté. Il ne s'agit pas d'une décision ponctuelle des autorités, mais de la logique du temps, d'un ultimatum fixé par l'histoire elle-même.
L'Opération militaire spéciale a radicalement changé le paysage idéologique de la Russie. L'ère des technocrates idéologiquement neutres est révolue, celle des patriotes idéologiquement motivés a commencé.
Un nouveau type de fonctionnaire apparaît - qu'il soit gouverneur, ministre, dirigeant. Désormais, les représentants de l'État sont constamment confrontés à la mort, à la douleur, à l'horreur, à l'âme des gens. Ils ne peuvent se contenter d'instructions, de remplir des conditions formelles et de se corrompre tranquillement sur cette toile de fond. Ils sont impliqués dans l'histoire, et l'histoire exige de la subjectivité, un choix volontaire, une décision prise avec le cœur. Par conséquent, les personnes au pouvoir doivent faire un choix: soit elles sont du côté de la caste, soit du côté du peuple. Soit ils sont du côté de la guerre, ils y prennent une part active, soit leur cause demeure en marge (de l'histoire qui se fait). Être technocrate, c'est désormais choisir le camp de ma cause. Sinon, il faut changer sa vision du monde ou admettre ouvertement les opinions russes qui ont été formées auparavant et passer ouvertement du côté de la cause russe.
Là encore, chacun doit déterminer sa propre position. Il s'agit d'un tournant idéologique. Le libéralisme est complètement épuisé, même s'il existe encore par inertie. Mais aujourd'hui, la technocratie exécutive ne suffit plus. Face à la guerre, face aux ennemis intérieurs des cinquième et sixième colonnes, face aux migrations destructrices et à la démographie catastrophique, face aux valeurs traditionnelles et non traditionnelles, chacun doit faire un choix. Un choix clair et net. Non pas en chuchotant sotto voce, mais en parlant haut et fort. Et nous devrons répondre de ce choix et le mener jusqu'au bout. Peut-être jusqu'à notre propre fin, car nous sommes en guerre. Aujourd'hui, être russe ne signifie pas déposer une marque. Être russe, c'est rejoindre les rangs de la cause russe, c'est se réaliser en tant que nation, c'est tout sacrifier - y compris sa vie - pour le bien du pouvoir.
Le temps des compromis et des demi-mesures touche à sa fin. Le choix,qui est posé maintenant, aura une signification irréversible.
L'Évangile parle des ouvriers de la dernière heure. Ils se sont engagés plus tard que tous les autres, mais ils se sont engagés. Et on leur promet une part du Royaume des cieux. Mais après cette dernière heure, il sera vraiment trop tard.
C'est maintenant la dernière heure pour la cause russe. Il est temps d'apporter à la Patrie, à la Foi, au Pouvoir et au Peuple notre dernier serment.
Oui, depuis les années 80, la trahison est devenue une norme sociale, idéologique et psychologique. Chacun vivait pour soiet pour soi seul. Mais cette époque est révolue.
L'époque est foncièrement différente aujourd'hui. Elle n'est pas seulement illibérale, elle est incompatible avec la technocratiesans âme, sans épaisseur. C'est le temps de l'Idée qui est advenu. De l'idée russe (de l'idée ancrée dans notre réalité vivante). Il est enfin arrivé, ce temps de la décision ultime.
Pas un seul problème de la Russie contemporaine ne peut être considéré comme purement technique. Tous les problèmes, au contraire, ont une dimension idéologique. Ils sont apparus pour des raisons idéologiques et leur solution se trouve dans le domaine idéologique.
Pourquoi l'Opération militaire spéciale a-t-elle été déclenchée ? Parce que les libéraux et les Occidentaux de Russie ont pris la décision idéologique, en 1991, d'effondrer l'Empire (l'URSS). Et nous serons en guerre tant que nous n'aurons pas inversé les résultats de cette trahison.
D'où viennent les migrations ? Du fait que l'idéologie libérale nie, même en théorie, les facteurs ethnique et culturel-religieux. Et le principe capitaliste d'optimisation du profit exige la main-d'œuvre la moins chère et socialement la moins protégée possible. Et c'est cela l'idéologie libérale.
D'où vient le déclin démographique ? Du principe de l'individualisme et de l'engorgement des villes. Et aussi de la destruction systémique des valeurs familiales et du démantèlement du patriarcat classique. Il s'agit d'attitudes idéologiques qui ne peuvent être éliminées par des moyens techniques.
D'où vient la corruption ? De l'égoïsme dogmatique et du cynisme obligatoire, massivement retransmis par la culture: ils conduisent inévitablement à l'érosion de la responsabilité envers la société et à l'opportunisme juridique.
Et puisqu'il en est ainsi, nous avons besoin d'un organe idéologique. Qu'il s'agisse d'un système de contrôle de l'exécution et de la mise en œuvre des décrets présidentiels 809 et 314 et du concept de sécurité nationale. Ou de quelque chose d'autre. Et naturellement, l'idéologie patriotique russe devrait être introduite en douceur dans la société et gérée par des patriotes russes.
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Nerval et la fin de la France druidique
Nerval et la fin de la France druidique
Nicolas Bonnal
Sylvie a émerveillé des générations de lectrices et de lecteurs de sensibilité médiévale et romantique. C’est que ce bref roman conte la fin de la France initiatique et irréelle. Ce qui avait pu rester va être détruit (cf. Balzac qui décrit le processus dans toute son œuvre, du passage de cette France des druides et des chevaliers à celle des Macron) ou réduit à l’état de spectacle ou d’illusion (cf. cette fascination pour le théâtre ou les actrices qui caractérise Nerval).
L’arrivée du chemin de fer, machine apocalyptique dont Dostoïevski a si bien parlé dans l’Idiot (voyez mon livre) va tout modifier ; c’est la fin des distances, c’est la fin du mystère et du pèlerinage de la vie :
« Senlis est une ville isolée de ce grand mouvement du chemin de fer du Nord qui entraîne les populations vers l’Allemagne.
– Je n’ai jamais su pourquoi le chemin de fer du Nord ne passait pas par nos pays, – et faisait un coude énorme qui encadre en partie Montmorency, Luzarches, Gonesse et autres localités, privées du privilège qui leur aurait assuré un trajet direct. Il est probable que les personnes qui ont institué ce chemin auront tenu à le faire passer par leurs propriétés. – Il suffit de consulter la carte pour apprécier la justesse de cette observation. »
Citons cet extrait de Gautier que nous avions repris déjà :
« C'est un spectacle douloureux pour le poète, l'artiste et le philosophe, de voir les formes et les couleurs disparaître du monde, les lignes se troubler, les teintes se confondre et l'uniformité la plus désespérante envahir l'univers sous je ne sais quel prétexte de progrès. Quand tout sera pareil, les voyages deviendront complètement inutiles, et c'est précisément alors, heureuse coïncidence, que les chemins de fer seront en pleine activité. »
Chez Nerval le rêve est comme dans film Brazil (tourné à Marne-la-Vallée…) le seul moyen (avec le théâtre, et on aurait invoqué encore la cinéphilie dans les années soixante) de fuir la réalité et de retourner vers les lieux de la Source :
« Je me représentais un château du temps de Henri IV avec ses toits pointus couverts d’ardoises et sa face rougeâtre aux encoignures dentelées de pierres jaunies, une grande place verte encadrée d’ormes et de tilleuls, dont le soleil couchant perçait le feuillage de ses traits enflammés. Des jeunes filles dansaient en rond sur la pelouse en chantant de vieux airs transmis par leurs mères, et d’un français si naturellement pur, que l’on se sentait bien exister dans ce vieux pays du Valois, où, pendant plus de mille ans, a battu le cœur de la France… ».
Puis vient l’apparition mi-théâtrale mi religieuse d’Adrienne :
« Tout d’un coup, suivant les règles de la danse, Adrienne se trouva placée seule avec moi au milieu du cercle. Nos tailles étaient pareilles. On nous dit de nous embrasser, et la danse et le chœur tournaient plus vivement que jamais. En lui donnant ce baiser, je ne pus m’empêcher de lui presser la main. Les longs anneaux roulés de ses cheveux d’or effleuraient mes joues. De ce moment, un trouble inconnu s’empara de moi. – La belle devait chanter pour avoir le droit de rentrer dans la danse. On s’assit autour d’elle, et aussitôt, d’une voix fraîche et pénétrante, légèrement voilée, comme celles des filles de ce pays brumeux, elle chanta une de ces anciennes romances pleines de mélancolie et d’amour, qui racontent toujours les malheurs d’une princesse enfermée dans sa tour par la volonté d’un père qui la punit d’avoir aimé. La mélodie se terminait à chaque stance par ces trilles chevrotants que font valoir si bien les voix jeunes, quand elles imitent par un frisson modulé la voix tremblante des aïeules. »
On a toute la symbolique des récits du Graal que j’ai décryptée dans mon livre (anneau, blondeur, danse, baiser, brumes, tour…) grâce à des auteurs consacrés comme Guénon, Fulcanelli ou Coomaraswamy (oh, cet essai sur le fier baiser…) ; on a la référence à Dante et à l’origine avec le chant :
« À mesure qu’elle chantait, l’ombre descendait des grands arbres, et le clair de lune naissant tombait sur elle seule, isolée de notre cercle attentif. Elle se tut, et personne n’osa rompre le silence. La pelouse était couverte de faibles vapeurs condensées, qui déroulaient leurs blancs flocons sur les pointes des herbes. Nous pensions être en paradis. – Je me levai enfin, courant au parterre du château, où se trouvaient des lauriers, plantés dans de grands vases de faïence peints en camaïeu. Je rapportai deux branches, qui furent tressées en couronne et nouées d’un ruban. Je posai sur la tête d’Adrienne cet ornement, dont les feuilles lustrées éclataient sur ses cheveux blonds aux rayons pâles de la lune. Elle ressemblait à la Béatrice de Dante qui sourit au poète errant sur la lisière des saintes demeures. »
L’apparition est brève et promise au couvent (que de merveilles perdues ou sacrifiées dans ces couvents – Michelet en a bien parlé) :
« Adrienne se leva. Développant sa taille élancée, elle nous fit un salut gracieux, et rentra en courant dans le château. – C’était, nous dit-on, la petite-fille de l’un des descendants d’une famille alliée aux anciens rois de France ; le sang des Valois coulait dans ses veines. Pour ce jour de fête, on lui avait permis de se mêler à nos jeux ; nous ne devions plus la revoir, car le lendemain elle repartit pour un couvent où elle était pensionnaire… »
Sylvie la brune (ou la grecque, l’autre étant blonde et nordique) est de ce monde et souffre de l’égoïsme poétique du narrateur :
« Quand je revins près de Sylvie, je m’aperçus qu’elle pleurait. La couronne donnée par mes mains à la belle chanteuse était le sujet de ses larmes. Je lui offris d’en aller cueillir une autre, mais elle dit qu’elle n’y tenait nullement, ne la méritant pas. Je voulus en vain me défendre, elle ne me dit plus un seul mot pendant que je la reconduisais chez ses parents… »
Mais les bons parents vont nous priver d’Adrienne :
« La figure d’Adrienne resta seule triomphante, – mirage de la gloire et de la beauté, adoucissant ou partageant les heures des sévères études. Aux vacances de l’année suivante, j’appris que cette belle à peine entrevue était consacrée par sa famille à la vie religieuse. »
Il n’en reste qu’une figure.
Remontons le temps. On est sans doute dans les années 1820, sous Charles X, roi dont Stendhal pensa le plus grand bien. La France aristocrate et traditionnelle a de beaux restes :
« Quelques années s’étaient écoulées : l’époque où j’avais rencontré Adrienne devant le château n’était plus déjà qu’un souvenir d’enfance. Je me retrouvai à Loisy au moment de la fête patronale. J’allai de nouveau me joindre aux chevaliers de l’arc, prenant place dans la compagnie dont j’avais fait partie déjà. Des jeunes gens appartenant aux vieilles familles qui possèdent encore là plusieurs de ces châteaux perdus dans les forêts, qui ont plus souffert du temps que des révolutions, avaient organisé la fête. De Chantilly, de Compiègne et de Senlis accouraient de joyeuses cavalcades qui prenaient place dans le cortège rustique des compagnies de l’arc… ».
Le narrateur ne pouvait rien avec Adrienne, mais il a perdu l’amour de Sylvie (promise à l’industrie et au grand frisé) :
« Je m’excusai sur mes études, qui me retenaient à Paris, et l’assurai que j’étais venu dans cette intention. « Non, c’est moi qu’il a oubliée, dit Sylvie. Nous sommes des gens de village, et Paris est si au-dessus ! ». Je voulus l’embrasser pour lui fermer la bouche ; mais elle me boudait encore, et il fallut que son frère intervînt pour qu’elle m’offrît sa joue d’un air indifférent. Je n’eus aucune joie de ce baiser dont bien d’autres obtenaient la faveur, car dans ce pays patriarcal où l’on salue tout homme qui passe, un baiser n’est autre chose qu’une politesse entre bonnes gens… »
Pourtant la belle grecque a mûri :
« Je l’admirai cette fois sans partage, elle était devenue si belle ! Ce n’était plus cette petite fille de village que j’avais dédaignée pour une plus grande et plus faite aux grâces du monde. Tout en elle avait gagné : le charme de ses yeux noirs, si séduisants dès son enfance, était devenu irrésistible ; sous l’orbite arquée de ses sourcils, son sourire, éclairant tout à coup des traits réguliers et placides, avait quelque chose d’athénien. J’admirais cette physionomie digne de l’art antique au milieu des minois chiffonnés de ses compagnes… »
C’est Nietzsche qui évoque cette observation du voyageur Cicéron sur la beauté athénienne…
Vient la grande scène : on rend visite à la tante et on va remonter dans le Temps, dans le vrai Temps, celui d’avant 89 (époque sur laquelle il ne faut pas trop se faire d’illusions, voir Taine) :
« Je la suivis, montant rapidement l’escalier de bois qui conduisait à la chambre. – Ô jeunesse, ô vieillesse saintes ! – qui donc eût songé à ternir la pureté d’un premier amour dans ce sanctuaire des souvenirs fidèles ? Le portrait d’un jeune homme du bon vieux temps souriait avec ses yeux noirs et sa bouche rose, dans un ovale au cadre doré, suspendu à la tête du lit rustique. Il portait l’uniforme des gardes-chasse de la maison de Condé ; son attitude à demi martiale, sa figure rose et bienveillante, son front pur sous ses cheveux poudrés, relevaient ce pastel, médiocre peut-être, des grâces de la jeunesse et de la simplicité. »
La vieille tante s’émeut et nous aussi car on atteint le sommet de la prose française (comme disait Jean Richer, père de mon ami et préfacier Nicolas, l’œuvre de Nerval ne compte pas par sa quantité mais par sa magie) :
« La tante poussa un cri en se retournant : « Ô mes enfants ! » dit-elle, et elle se mit à pleurer, puis sourit à travers ses larmes. – C’était l’image de sa jeunesse, – cruelle et charmante apparition ! Nous nous assîmes auprès d’elle, attendris et presque graves, puis la gaieté nous revint bientôt, car, le premier moment passé, la bonne vieille ne songea plus qu’à se rappeler les fêtes pompeuses de sa noce. Elle retrouva même dans sa mémoire les chants alternés, d’usage alors, qui se répondaient d’un bout à l’autre de la table nuptiale, et le naïf épithalame qui accompagnait les mariés rentrant après la danse. Nous répétions ces strophes si simplement rythmées, avec les hiatus et les assonances du temps ; amoureuses et fleuries comme le cantique de l’Ecclésiaste ; – nous étions l’époux et l’épouse pour tout un beau matin d’été. »
La fin du livre est plus sombre et Nerval compte ses ruines avec une émouvante référence à Byzance, qui accueillit les Saxons en fuite après 1066 :
« Cette vieille retraite des empereurs n’offre plus à l’admiration que les ruines de son cloître aux arcades byzantines, dont la dernière rangée se découpe encore sur les étangs, – reste oublié des fondations pieuses comprises parmi ces domaines qu’on appelait autrefois les métairies de Charlemagne… »
Le narrateur revoit Adrienne, mais comme actrice :
« La scène se passait entre les anges, sur les débris du monde détruit. Chaque voix chantait une des splendeurs de ce globe éteint, et l’ange de la mort définissait les causes de sa destruction. Un esprit montait de l’abîme, tenant en main l’épée flamboyante, et convoquait les autres à venir admirer la gloire du Christ vainqueur des enfers. Cet esprit, c’était Adrienne transfigurée par son costume, comme elle l’était déjà par sa vocation. »
Il revoit Sylvie qui va se jeter dans les bras du « grand frisé » (un suspect, ce Nerval ?) et s’adonne à l’industrie des gants :
« Elle soupirait et pleurait, si bien que je ne pus lui demander par quelle circonstance elle était allée à un bal masqué ; mais, grâce à ses talents d’ouvrière, je comprenais assez que Sylvie n’était plus une paysanne. Ses parents seuls étaient restés dans leur condition, et elle vivait au milieu d’eux comme une fée industrieuse, répandant l’abondance autour d’elle. »
On est loin de la Fiancée du Cantique des cantiques :
« Mon frère de lait parut embarrassé. J’avais tout compris. – C’est une fatalité qui m’était réservée d’avoir un frère de lait dans un pays illustré par Rousseau, – qui voulait supprimer les nourrices ! – Le père Dodu m’apprit qu’il était fort question du mariage de Sylvie avec le grand frisé, qui voulait aller former un établissement de pâtisserie à Dammartin. Je n’en demandai pas plus. La voiture de Nanteuil-le-Haudoin me ramena le lendemain à Paris. »
Balzac a parlé très prosaïquement des illusions perdues ; et ici :
« Telles sont les chimères qui charment et égarent au matin de la vie. J’ai essayé de les fixer sans beaucoup d’ordre, mais bien des cœurs me comprendront. Les illusions tombent l’une après l’autre, comme les écorces d’un fruit, et le fruit, c’est l’expérience. Sa saveur est amère ; elle a pourtant quelque chose d’âcre qui fortifie, – qu’on me pardonne ce style vieilli. »
La fin arrive sur un ricanement :
« J’oubliais de dire que le jour où la troupe dont faisait partie Aurélie a donné une représentation à Dammartin, j’ai conduit Sylvie au spectacle, et je lui ai demandé si elle ne trouvait pas que l’actrice ressemblait à une personne qu’elle avait connue déjà. – À qui donc ? – Vous souvenez-vous d’Adrienne ? Elle partit d’un grand éclat de rire en disant : « Quelle idée ! » Puis, comme se le reprochant, elle reprit en soupirant : « Pauvre Adrienne ! elle est morte au couvent de Saint-S…, vers 1832. »
La France des origines c’est terminé. La suite est chez Flaubert ou chez Céline.
Sources:
https://www.sos-grannygeek.com/wp-content/uploads/2020/03...
https://www.vousnousils.fr/casden/pdf/id00180.pdf
https://www.amazon.fr/Perceval-reine-%C3%A9tudes-litt%C3%...
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Delivrance ou la mort du grand Pan
Delivrance ou la mort du grand Pan
André Waroch
Le gauchisme n’a pas que du mauvais. Ainsi le mouvement soixante-huitard américain nous débarrassa-t-il du carcan puritain qui obligeait jusque là Hollywood à mettre en scène des héros au cœur pur défenseurs de la veuve et de l’orphelin. Les années soixante-dix vont réinventer le cinéma dans tous les domaines, avant qu’un nouveau puritanisme, le politiquement correct, ne prenne le pouvoir dans les années quatre-vingt. Entre les deux bien-pensances, dix ou quinze ans de films d’une audace incroyable, financés par des producteurs fous.
Mais cette révolution n’a pas libéré que les « progressistes ». Ainsi verra-t-on surgir bon nombre de films réactionnaires, répressifs, héroïques, qui n’ont absolument rien à faire avec la morale de gauche, mais qui n’avaient pas non plus le droit d’exister sous l’ère John Wayne. Les films de Clint Eastwood ou ceux de Charles Bronson en sont un bon exemple, en particulier Un justicier dans la ville, où un bourgeois excédé se promène dans New-York, Magnum 357 dans la poche, et se met à flinguer à vue la racaille, dont une bonne moitié de Noirs.
Où situer Délivrance ? Déjà, resituer le film dans l’œuvre de John Boorman, Nietszchéen par excellence, conservateur par essence, comme il le prouva ultérieurement avec La forêt d’émeraude, film-plaidoyer dénonçant la destruction de l’habitat naturel des indiens d’Amazonie (l’éradication de la nature, due à une conception desséchée du monde qui met l’humain et la rationalité au centre de tout, est de gauche par essence) ou la mise en scène des mythes arthuriens dans son fameux Excalibur.
Délivrance met en scène quatre citadins voulant descendre le cours d’une rivière sauvage, alors que l’ensevelissement de ladite rivière et de l’ensemble de la vallée qui l’entoure par un lac artificiel est déjà programmée. Ces hommes vont rencontrer une population de rednecks oubliée, immensément arriérée, en sursis comme le pays qu’elle habite.
L’incontestable leader du groupe, c'est Lewis, Nietszchéen en acte, qui méprise la mollesse de son époque. Sûr de lui, bras musculeux en avant, il cherche l’authenticité et la vérité en voulant redevenir un homme des bois. Inversant le sens du « retour à la terre » prôné par les hippies pacifistes, il prône le recours aux forêts, en appelle à la violence rédemptrice, à la chasse et à la guerre à l’arme blanche, au combat régénérateur pour la survie dans une nature sauvage et indomptée.
Il y a Bobby, sorte d’antithèse de Ed, gras, méprisant, jugeant et mesurant tout ce qu’il voit à l’aune de la seule chose qu’il connaisse, la vie moderne. La nature n’est pour lui qu’un objet de consommation parmi d’autres, à part peut-être quand elle existe par elle-même, qu’elle n’est pas prévue pour le confort des humains, quand par exemple il s’agit d’une forêt primaire comme celle au milieu de laquelle ils vont naviguer. Dans ce cas très précis, la nature lui apparaît comme une anomalie à éradiquer, comme les Amérindiens encore païens sont apparus à ces authentiques fanatiques religieux qu'étaient les conquistadors. Bobby épouse totalement leur héritier, le fanatisme moderniste évangélisateur. Mais aucun mysticisme chez lui. Il vit, travaille et mange sans se poser aucune question, parfaitement à l’aise dans le monde urbain qu’il habite, et trouvant parfaitement normal que le monde se bétonnise peu à peu totalement.
Drew est une sorte de scout, macroniste avant la lettre, jouant de la guitare, portant sur tout ce qu'il voit un regard candide. Un peu comme Bobby, mais dans un autre style, il croit à la démocratie, à la civilisation.
Quant à Ed, il est finalement le plus subtil, le moins caricatural des quatre, trimbalant sa pipe en promenant sur toute chose un regard songeur et contemplatif. Les trois autres, en réalité, représentent les trois tendances de son esprit indécis. Ed est tiraillé entre l’appel de la forêt et le confort de sa petite vie. Il n’est pas fixé. Il se cherche.
L’opposition la plus frontale, sur le plan philosophique et humain, a lieu entre Lewis et Bobby. Comme à l'occasion de ce mini-dialogue entre les deux personnages après une descente de rapides particulièrement musclée :
- On l’a vaincu, Lewis ! On a vaincu cette rivière !
- Non, répond Lewis, elle est invincible.
Dans l’euphorie de ce qu’il considère comme une victoire sur une nature encore vierge et non domestiquée, Bobby cherche à créer une camaraderie de vainqueurs entre lui et son co-pilote de canoé. Lewis, en une réponse définitive, lui signifie là où vont ses allégeances, établissant ainsi entre eux deux une séparation et une hostilité difficilement surmontables.
Puis, lors d’une scène qui appartient à l’histoire du cinéma, Ed et Bobby, ayant fait halte sur les berges en pleine forêt vierge, se font agresser par deux autochtones menaçants et armés, surgis d’on ne sait où. L’un deux finit par violer le gros Bobby sous les yeux de son ami, avant de se faire tuer d’une flèche par Lewis arrivé à la rescousse, pendant que l’autre parvient à s’enfuir.
Ces deux autochtones, bien que revêtant le même aspect pouilleux, brutal et dégénéré que les autres habitants de la vallée rencontrés par le groupe avant de commencer la descente de la rivière, n’apparaissent pas une seule fois avant cette scène et disparaissent totalement par la suite. Personne ne saura jamais qui ils sont, d’où ils viennent, ni s’ils avaient prémédité leur crime.
Rien de moins anecdotique, en réalité, que cette histoire racontée par Boorman. Tout y est message, tout y est symbole, tout y est de l’ordre du subliminal. Et rien de moins gratuit que ce viol ignoble commis par deux êtres surgis du néant.
Boorman, rompant avec toute la tradition chrétienne et occidentale, met en scène, de la manière la plus délibérément radicale, la vengeance de la nature, de la nature qui s’apprête à être souillée une fois de plus. Elle envoie pour cela deux fantasmagoriques hommes des bois, représentants d’une population ancienne, présentée comme primitive et consanguine, mais qui aura pourtant réussi à vivre pendant plusieurs siècles au coeur d’une gigantesque étendue sauvage sans jamais avoir l’idée d’y construire des hôtels, des banques et des supermarchés. Et cette vengeance s’exerce sur le plus parfait représentant de la bonne conscience éradicatrice occidentale.
Après ce viol, les quatre hommes ont une âpre discussion, et, sous l'impulsion de Lewis, décident de ne pas prévenir la police et d'enterrer le corps, sachant que la vallée est sur le point d'être inondé et que personne ne le retrouvera jamais.
S'ensuit une scène qui, si on s'en tient à la simple rationalité du récit, n'a absolument aucun sens : les quatre hommes, de manière totalement absurde, sans aucun motif, déplacent le corps à plusieurs dizaines de mètres de là, ahanant et trébuchant, alors qu'ils auraient très bien pu l'enterrer sur place.
Boorman veut tourner cette scène parce que, consciemment ou inconsciemment, il veut filmer cet incroyable tableau qui montre Ed, Lewis, Bobby et Drew transporter leur victime suppliciée, les bras en croix.
C'est en réalité, à un véritable rituel auquel on assiste. Et, comme chacun le sait, ou comme le savent ceux qui ont déjà assisté à des cérémonies funèbres, quatre est le nombre règlementaire des proches chargés de porter le cercueil du mot.
Mais qui est celui qu'on on enterre ? Qui est-il réellement ?
Voilà, à mon sens, l'ultime vérité de ce film : cet homme n'est pas un homme. Il est la personnification de la nature sauvage et indomptée. Cet homme, c'est Pan, le dieu de la nature chez les grecs, d'une laideur inouïe, obsédé sexuel, qui rôdait par les campagnes et les bois, Pan qui poursuivait ses victimes pour les violer. Pan, le seul dieu de la mythologie grecque qui soit mort, sous la plume de Plutarque.
C'est donc en 1972, sous l'oeil de la caméra de John Boorman, que que le grand Pan fut assassiné une seconde fois par des citadins en week-end, dans une des dernières forêts primaires des Etats-Unis, qu'il y fut enterré, que sa tombe fut ensuite recouverte par d'infinies trombes d'eau, et que la nature sauvage disparut définitivement. Ad maiorem Dei gloriam.
14:56 Publié dans Cinéma, Film | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : john boorman, film, cinéma | | del.icio.us | | Digg | Facebook