vendredi, 01 novembre 2024
L'impératif? La puissance russe!
Portrait de Dimitri Donskoï par le peintre Victor Matourine.
L'impératif? La puissance russe!
Alexandre Douguine
Source: https://www.geopolitika.ru/article/imperativ-russkoy-vlasti
Le huitième congrès de Tsargrad, qui s'est tenu dans la cathédrale du Christ-Sauveur, a été d'une incroyable pertinence. Voici, en substance, ce qui s'y est dit.
Il est évident que nous vivons dans une société où l'idéologie est en train de changer - elle passe du libéralisme à la russéité. Et ce processus ne peut être arrêté. Il ne s'agit pas d'une décision ponctuelle des autorités, mais de la logique du temps, d'un ultimatum fixé par l'histoire elle-même.
L'Opération militaire spéciale a radicalement changé le paysage idéologique de la Russie. L'ère des technocrates idéologiquement neutres est révolue, celle des patriotes idéologiquement motivés a commencé.
Un nouveau type de fonctionnaire apparaît - qu'il soit gouverneur, ministre, dirigeant. Désormais, les représentants de l'État sont constamment confrontés à la mort, à la douleur, à l'horreur, à l'âme des gens. Ils ne peuvent se contenter d'instructions, de remplir des conditions formelles et de se corrompre tranquillement sur cette toile de fond. Ils sont impliqués dans l'histoire, et l'histoire exige de la subjectivité, un choix volontaire, une décision prise avec le cœur. Par conséquent, les personnes au pouvoir doivent faire un choix: soit elles sont du côté de la caste, soit du côté du peuple. Soit ils sont du côté de la guerre, ils y prennent une part active, soit leur cause demeure en marge (de l'histoire qui se fait). Être technocrate, c'est désormais choisir le camp de ma cause. Sinon, il faut changer sa vision du monde ou admettre ouvertement les opinions russes qui ont été formées auparavant et passer ouvertement du côté de la cause russe.
Là encore, chacun doit déterminer sa propre position. Il s'agit d'un tournant idéologique. Le libéralisme est complètement épuisé, même s'il existe encore par inertie. Mais aujourd'hui, la technocratie exécutive ne suffit plus. Face à la guerre, face aux ennemis intérieurs des cinquième et sixième colonnes, face aux migrations destructrices et à la démographie catastrophique, face aux valeurs traditionnelles et non traditionnelles, chacun doit faire un choix. Un choix clair et net. Non pas en chuchotant sotto voce, mais en parlant haut et fort. Et nous devrons répondre de ce choix et le mener jusqu'au bout. Peut-être jusqu'à notre propre fin, car nous sommes en guerre. Aujourd'hui, être russe ne signifie pas déposer une marque. Être russe, c'est rejoindre les rangs de la cause russe, c'est se réaliser en tant que nation, c'est tout sacrifier - y compris sa vie - pour le bien du pouvoir.
Le temps des compromis et des demi-mesures touche à sa fin. Le choix,qui est posé maintenant, aura une signification irréversible.
L'Évangile parle des ouvriers de la dernière heure. Ils se sont engagés plus tard que tous les autres, mais ils se sont engagés. Et on leur promet une part du Royaume des cieux. Mais après cette dernière heure, il sera vraiment trop tard.
C'est maintenant la dernière heure pour la cause russe. Il est temps d'apporter à la Patrie, à la Foi, au Pouvoir et au Peuple notre dernier serment.
Oui, depuis les années 80, la trahison est devenue une norme sociale, idéologique et psychologique. Chacun vivait pour soiet pour soi seul. Mais cette époque est révolue.
L'époque est foncièrement différente aujourd'hui. Elle n'est pas seulement illibérale, elle est incompatible avec la technocratiesans âme, sans épaisseur. C'est le temps de l'Idée qui est advenu. De l'idée russe (de l'idée ancrée dans notre réalité vivante). Il est enfin arrivé, ce temps de la décision ultime.
Pas un seul problème de la Russie contemporaine ne peut être considéré comme purement technique. Tous les problèmes, au contraire, ont une dimension idéologique. Ils sont apparus pour des raisons idéologiques et leur solution se trouve dans le domaine idéologique.
Pourquoi l'Opération militaire spéciale a-t-elle été déclenchée ? Parce que les libéraux et les Occidentaux de Russie ont pris la décision idéologique, en 1991, d'effondrer l'Empire (l'URSS). Et nous serons en guerre tant que nous n'aurons pas inversé les résultats de cette trahison.
D'où viennent les migrations ? Du fait que l'idéologie libérale nie, même en théorie, les facteurs ethnique et culturel-religieux. Et le principe capitaliste d'optimisation du profit exige la main-d'œuvre la moins chère et socialement la moins protégée possible. Et c'est cela l'idéologie libérale.
D'où vient le déclin démographique ? Du principe de l'individualisme et de l'engorgement des villes. Et aussi de la destruction systémique des valeurs familiales et du démantèlement du patriarcat classique. Il s'agit d'attitudes idéologiques qui ne peuvent être éliminées par des moyens techniques.
D'où vient la corruption ? De l'égoïsme dogmatique et du cynisme obligatoire, massivement retransmis par la culture: ils conduisent inévitablement à l'érosion de la responsabilité envers la société et à l'opportunisme juridique.
Et puisqu'il en est ainsi, nous avons besoin d'un organe idéologique. Qu'il s'agisse d'un système de contrôle de l'exécution et de la mise en œuvre des décrets présidentiels 809 et 314 et du concept de sécurité nationale. Ou de quelque chose d'autre. Et naturellement, l'idéologie patriotique russe devrait être introduite en douceur dans la société et gérée par des patriotes russes.
18:05 Publié dans Actualité | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : actualité, alexandre douguine, russie, idéologie russe | | del.icio.us | | Digg | Facebook
mardi, 10 mars 2015
Les racines intellectuelles qui expliquent le tournant conservateur de Vladimir Poutine
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Ex: http://www.toutsaufsarkozy.com
Michel Eltchaninoff vient de publier «Dans la tête de Vladimir Poutine» (Solin/Actes Sud), un éclairage très documenté des racines intellectuelles du président russe. Agrégé de philosophie, russophone, spécialiste de Dostoïevski, l'auteur est rédacteur en chef adjoint de Philosophie Magazine à Paris.
Vous écrivez que, en Ukraine et ailleurs, Vladimir Poutine pratique un «impérialisme à la carte», jouant sur plusieurs tableaux idéologiques à la fois. Quelles sont les cartes dans son jeu ?
J'en vois cinq ou six, comme les touches d'un clavier sur lequel il peut jouer sans forcément chercher une cohérence d'ensemble – et surtout sans dévoiler son jeu. D'abord la nostalgie de l'Union soviétique qu'il cultive dans ses discours, celle d'un empire multiethnique unifié par le rouble, par un mode de vie et une culture commune, par la liberté de circulation en son sein. La deuxième carte est celle des Russes et des russophones vivant hors des frontières du pays. Pour lui, la disparition de l'Union soviétique a non seulement été une catastrophe géopolitique, mais a provoqué un drame humanitaire en laissant 25 millions de Russes ou de russophones à l'étranger. Il veut se présenter comme leur protecteur, par exemple dans l'Est de l'Ukraine, dans le nord du Kazakhstan, en Lettonie ou en Estonie. Troisième plan : l'orthodoxie. Le Kremlin a conclu une alliance idéologique très puissante avec le patriarcat de Moscou, sur un programme de défense de la moralité, du respect de l'ordre et de la hiérarchie, de la défense de la famille traditionnelle jugée essentielle au renouveau démographique. Cette solidarité fondée sur le christianisme oriental peut jouer dans le Caucase, en Géorgie et en Arménie, dans les Balkans (Bulgarie, Roumanie, Macédoine, Serbie et Grèce) ou encore avec les chrétiens d'Orient. Quatrième thème : l'Eurasie, ou plus exactement l'idéologie eurasiste. C'est un concept très plastique qui pose l'existence d'une harmonie et d'une fraternité entre différents peuples (Russes orthodoxes, turcophones musulmans...) tissant une même civilisation qui pourrait s'étendre, selon les mots de Poutine lui-même, de la Bulgarie à l'Afghanistan. Dernière carte, le panslavisme, la solidarité supposée de tous les peuples slaves (Russes, Ukrainiens, Bulgares, Serbes, etc.) sous la direction de la Russie et dans une hostilité assumée vis-à-vis de l'Occident.
Si le président russe conteste l'ordre international issu de la fin de la guerre froide, vous insistez sur le fait qu'il y a une chose qu'il ne remet pas du tout en cause : l'économie de marché et la capitalisme.
Oui, Vladimir Poutine en est un partisan. Du point de vue économique, il est anticommuniste et semble l'avoir toujours été, ayant constaté dans sa jeunesse soviétique que l'économie administrée ne fonctionnait pas. En Russie, une partie du clergé orthodoxe, critique du capitalisme libéral, voudrait mettre en place une finance religieuse, sur le modèle de la finance islamique, mais le Kremlin ne soutient pas vraiment cette idée. Son projet est celui d'un Empire libéral en matière économique, une zone rouble avec un marché commun. Je ne pense pourtant pas que ce projet soit viable, car deux partenaires importants de l’Union eurasiatique, le Kazakhstan et la Biélorussie, sont fortement échaudés par l’aventure militaire russe en Ukraine et sont nettement moins enthousiastes que l’année dernière.
Vladimir Poutine a-t-il des maîtres à penser ?
Poutine n'est pas un grand intellectuel. Ce qu'il préfère par dessus tout, c'est le sport – il a même développé une philosophie du judo... Il lit davantage de livres d’histoire que de philosophie. Toutefois, il utilise de manière pragmatique certains noms de la pensée russe pour élaborer un grand récit national. Ce ne sont pas forcément les plus meilleurs auteurs du pays, comme Dostoïevski, mais des penseurs souvent moins connus et peu traduits en Occident.
Qui sont-ils ?
Il y en a quatre principaux. Ivan Ilyine (1883-1954), un spécialiste de Hegel expulsé par Lénine en 1922, qui représente la fraction la plus réactionnaire des émigrés russes en Occident. C'est un partisan de la force, anticommuniste et antilibéral. Ce qui a certainement frappé Poutine, ce sont certains textes qu’il a jugés prophétiques et dans lesquels Ilyine décrit ce que pourrait devenir la Russie après la chute du communisme, avec notamment l’émergence d’un guide de la nation incarnant une « dictature démocratique » : un portrait en creux de Poutine en somme ! Il y aussi Constantin Leontiev (1831-1891), un penseur très anti-occidental et Nicolas Danilevski (1822-1875) , auteur d'un livre très célèbre publié en 1871, La Russie et l'Europe, où il exprime des positions slavophiles et panslavistes. Enfin, Lev Goumilev (1912-1992), un idéologue de l'eurasisme, qui croit à la biologie des peuples et à leur énergie vitale qu’il appelle la «passionarité». Si on se risque à comparer ces auteurs à des Français, on pourrait y voir un mélange de Joseph de Maistre et de Maurice Barrès, c’est-à-dire des représentants du courant antimoderne, mais teintés de scientisme.
Qu'en est-il d'Alexandre Douguine, souvent présenté en Occident comme l'inspirateur de Poutine?
Il est trop extrêmiste pour que Poutine se risque à le côtoyer. Douguine, proche de l'extrême-droite européenne, notamment de la Nouvelle Droite et maintenant d’Alain Soral, mêle eurasisme et certains représentants de la nébuleuse fasciste, voire occultiste, avec des références à Carl Schmitt, René Guénon ou Julius Evola. Néanmoins Douguine est bien diffusé en Russie et il est lu, y compris au Kremlin.
Vous insistez sur le «tournant conservateur» de Poutine, depuis son arrivée au pouvoir en 2000. A-t-il radicalement changé au cours de ces quinze années ?
Son identité idéologique durant son premier mandat (2000-2004) est discutée par les spécialistes. Il veut alors faire accéder une Russie sinistrée aux standards internationaux, grâce à une certaine normalisation « à l'occidentale ». J’y vois surtout une pose, car il met en place dès les premiers temps une « verticale du pouvoir ». Un premier raidissement conservateur a lieu en 2004, après le massacre de Beslan, les révolutions de couleur en Géorgie et en Ukraine, l'adhésion des pays Baltes à l'Otan. En 2012, son retour à la présidence a été difficile, avec la contestation de l'hiver 2011/12. Il a alors cherché à mobiliser le peuple russe autour d'un projet conservateur contre un Occident présenté de plus en plus ouvertement comme un ennemi. On y est en plein depuis septembre 2013 avec des discours de Poutine sur les valeurs chrétiennes qu’il juge bafouées en Occident. Chez lui, la question de l'homosexualité, qu'il lie au déclin démographique, devient une obsession. Il a suivi avec beaucoup d'attention la Manif pour tous en France.
Vous concluez votre livre avec cette phrase : « L'URSS n'était pas un pays, mais un concept. Avec Poutine, la Russie est de nouveau le nom d'une idée ». Une idée conservatrice?
Poutine ne séduit pas uniquement l'extrême-droite ou l'aile la plus conservatrice de la droite traditionnelle. Il plaît à toux ceux qui, comme Eric Zemmour, considèrent que le cycle initié par mai 68 doit se terminer et qu’il faut le dépasser. Il s'adresse également à tous les anti-américains, aussi bien à Jean-Luc Mélenchon qu'à certains dirigeants de Syriza en Grèce. Cette influence, le Kremlin l'organise, avec des échanges, des relais médiatiques et beaucoup d'argent.
Comment voyez vous l'évolution de la situation en Ukraine ?
Poutine a été furieux de la réussite imprévue du Maïdan, ces manifestations qui ont renversé le pouvoir à Kiev l'an dernier. Après avoir annexé la Crimée, son objectif minimal est d'empêcher l'Ukraine de rejoindre l'UE et l'Otan. Avec le Donbass, il crée un sarcome sur le flanc du pays. Il pourrait par la suite vouloir déstabiliser le pouvoir de Kiev, pour faire revenir l'Ukraine dans le giron russe. Il dispose en effet d'importants relais d'influence. Par ailleurs, la situation économique de l'Ukraine est catastrophique. Il n’est pas impossible que ce dessein anti-ukrainien finisse par se réaliser.
00:10 Publié dans Actualité, Entretiens | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : russie, poutine, entretien, conservatisme, conservatisme russe, idéologie russe | | del.icio.us | | Digg | Facebook