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mercredi, 28 février 2007

Le siècle des guérillas selon G. Chaliand

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A lire sur: http://www.geostrategie.com/

Gérard Chaliand/ Marion Van Renterghem

Le siècle des guérillas
 

Pour Gérard Chaliand, spécialiste des conflits armés, les guerres asymétriques entre grandes puissances et forces non conventionnelles vont se multiplier. Les armées n’y sont pas préparées.

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lundi, 26 février 2007

Robo-bugs et nanobots: armes de demain

Karl RICHTER :

Les micro-armes de la guerre de demain : robo-bugs et nanobots

Extrait du livre de Karl RICHTER, Tödliche Bedrohung USA – Waffen und Szenarien der globalen Herrschaft, Hohenrain Verlag, Tübingen, 2004, ISBN 3-89180-071-1[= La menace mortelle des Etats-Unis – Armes et scénarios de la domination globale]. Un ouvrage à lire et faire lire, pour connaître les armes terribles de l’ennemi américain !

Au début des années 80, au 20ième siècle, l’écrivain de science fiction polonais Stanislav Lem a publié une étude sur les systèmes d’armement du 21ième siècle (1), laquelle s’est révélée une remarquable vision prémonitoire. Lem a ainsi prédit qu’à la suite du progrès  technologique, d’une part, à la suite de l’élaboration d’armes toujours plus précises et mortelles, d’autre part, une certaine tendance “évolutionnaire” sera inévitable dans les forces armées de l’avenir : cette tendance, qu’il désignait ainsi, est la tendance à la miniaturisation et à la “fragmentation fonctionnelle” des instruments de combat. Et, de fait, quand on observe une série de produits “high tech” du 20ième siècle, on s’aperçoit qu’une telle évolution est en cours et qu’en règle générale elle est dictée par le besoin de se donner toujours davantage de  sécurité.

Et Lem écrivait : “Pour tous les systèmes, qui se caractérisent par leur haut taux de complexité, qu’il s’agisse de systèmes industriels ou militaires, biologiques ou techniques, qu’il s’agisse de systèmes appelés à traiter d’information ou de matière, leur “infiabilité” est, de manière  caractéristique et mathématique, proportionnelle à la quantité des éléments dont ils  se composent (...).  Pour éviter que de tels systèmes ne tombent en panne, les ingénieurs y ont injecté des trop-pleins de fonctionnalité et de capacités de résistance : par exemple, à titre de réserve d’énergie ou, notamment dans la construction des premières navettes spatiales américaines telles le “Space-Shuttle Columbia”, ils ont dédoublé voire quadruplé les dispositifs existants, ce qui fit que les premières navettes spatiales américaines possédaient au moins quatre ordinateurs principaux, pour éviter l’échec et la catastrophe au cas où la panne de l’un d’eux serait survenue. Mais il est impossible d’éviter totalement les pannes. Lorsqu’un système est composé de millions d’éléments, chaque élément est donc exposé au fonctionnement ou au dysfonctionnement de millions d’autres, ce qui entraîne que le fonctionnement de l’ensemble dépend du fonctionnement de tous les éléments, ce qui implique l’inévitabilité des pannes. La physique des animaux et des plantes, toutes espèces confondues, se composent de milliards de particules fonctionnelles, ce qui n’exclut pas que la vie elle-même est exposée au phénomène de l’échec inévitable. De quelle manière? Les spécialistes considèrent qu’il s’agit là de systèmes fiables composés de parties non fiables” (2).

La transposition des résultats de ces observations dans les systèmes futurs d’armement est évidente. Quand l’épée de Damoclès nucléaire est suspendue en permanence sur le champ de bataille et quand, le plus souvent, les armes conventionnelles de plus en plus précises et mortelles, les militaires ne peuvent plus engager sur le terrain des appareillages de grandes dimensions ou exécuter des manoeuvres tactiques englobant l’ensemble du terrain. La solution à ce défi réside dans la construction de micro-puces de plus en plus performantes, ce que permet aujourd’hui la “nanotechnologie” : cette science vise à produire des “micro-organismes artificiels intelligents dont les tâches sont plurielles; ils seront dotés d’une sorte d’”instinct” synthétique, permettant de construire de grands organismes techniques, difficiles à repérer et quasiment inattaquables car ils ne se constitueront et ne se monteront en systèmes de combat compacts que sur le terrain même où ils doivent être engagés.

L’histoire de la vie (biologique) nous enseigne de manière optimale la façon dont se déroulera une évolution de ce type : à la fin du Crétacé, il y a plus de 65 millions d’années, qui fut vraisemblablement provoquée par la chute d’un météorite sur la Terre, ce ne sont pas les grands organismes qui ont survécu, mais les petits. Les dinosaures se sont éteints, mais non pas les insectes. La miniaturisation et la diversification se révèlent donc les meilleures stratégies évolutionnaires face aux grandes catastrophes. Et Lem écrivait : “Ce que nous enseigne la paléontologie est clair. La catastrophe qui est survenue, et qui est comparable à la puissance destructrice d’une guerre nucléaire généralisée, a éliminé tous les animaux de grandes dimensions, n’a pratiquement pas affecté les insectes et n’a pas touché les bactéries. Par conséquent, il faut en déduire que, plus les effets destructeurs d’une force élémentaire ou d’une arme technique sont importants, plus les petits groupes seront épargnés et échapperont à l’annihilation. Une bombe atomique peut vitrifier et carboniser des armées entières et des soldats isolés (...). Par conséquent, ce ne seront pas des automates semblables à l’homme qui formeront les armées nouvelles, mais des insectes synthétiques, des “synsectes”, des sortes de micro-crustacés en céramique, des lombrics en titane et de pseudo-insectes volants dotés de nodalités nerveuses en laisons d’arsenic et de dards constitués d’éléments lourds et fiscibles (...). Le “synsectes” volants combineront avion, pilote et munition en un tout unifié et miniaturisé. Une telle micro-armée deviendra unité opérationnelle, qui tirera sa force de son “holicité” dans la force et la valeur combatives qu’on exigera d’elle, tout comme l’essaim d’abeilles constitue en lui-même une unité de survie, ce que n’est pas l’abeille isolée” (3).

Cela ne m’étonnera pas de voir figurer l’étude de Lem, qui date de 1983, dans la littérature spécialisée en l’an 2025, car, effectivement, les réflexions, que les stratèges qui élaborent la politique spatiale américaine couchent aujourd’hui sur le papier, vont exactement dans le même sens. Ils expriment leur espoir que la “nanotechnologie” offrira bientôt la possibilité de créer des ateliers de fabrication à l’échelle moléculaire, capables de produire des miloiers de nano-machines hautement spécialisées. Les experts partent du principe que seules vingt ou trente années suffiront pour obtenir des résultats probants dans le domaine de la nanotechnologie” (4).

Cette tendance évolutionnaire, décrite par Lem et bien d’autres, qui va dans le sens d’une diversification et d’une miniaturisation, a été bien perçue en haut liue. On ne s’étonnera dès lors pas que les stratèges de la guerre des étoiles réclament de mini- et des micro-satellites hautement spécialisés pour le Space Command. Leurs tâches seront très diversifiées, quand ils seront sur orbite. Il s’agit principalement d’engins de deux catégories :

◊ 1. Les satellites “gardes du corps” : ils serviront à protéger les grands satellites dont l’importance est primordiale. Cette mission de sécurisation sera effectuée par un grand nombre de satellites de ce type. Le document 2025 les compare à ces essaims de chasseurs qui escortaient les escadres de bombardiers américains pendant la seconde guerre mondiale. On sait déjà qu’il y aura plusieurs sous-espèces de “satellites gardes du corps” : des satellites de défense passifs et actifs, des satellites chargés  de renforcer les ondes qui, si besoin s’en faut, renforceront le flux de signalisaztion émanant des satellites de communication attaqués, des satellites de maintenance et de réparation et beaucoup d’autres.

◊ 2. Les “Robo-Bugs”, ou “insectes-robots” : leurs tâches seront de “parasiter”, d’émettre des parasites à proximité des satellites ennemis, dont ils devront faire cesser le bon fonctionnement en paralysant les échanges d’ondes et en entreprenant toutes sortes d’autres manoeuvres dans la guerre électronique. Le document 2025 fait référence à une vérité stratégique éternelle, déjà mise en exergue par le théoricien chinois de la guerre, Sun Tzu, qui écrivait, dans l’une des maximes de son “Art de la Guerre” : “Toute bonne guerre se mène en créant des illusions” (5). Les futurs “robo-bugs” utiliseront, eux aussi, les techniques de camouflage, de dissimulation et d’illusion, afin de s’approcher des satellites ennemis, sans se faire repérer, afin de troubler leur fonctionnement, de pomper les informations qu’ils glânent ou de les mettre hors d’état de fonctionner.  Les satellites ennemis pourront aussi être détournés, dans la mesure où les “robo-bugs” interromperont le contact qu’ils entretiennen avec leur station de contrôle. Ces satellites ennemis seront alors pris sous le contrôle de la puissance qui aura envoyé les robo-bugs. Dans la mesure du possible, il faudra laisser l’ennemi le plus longtemps possible dans l’incertitude quant à la raison de la perte de ses satellites. Le “retournement” des satellites ennemis sera la stratégie privilégiée, plutôt que leur destruction pure et simple.

Une classe particulière de “robo-bugs” devra mettre hors de combat les satellites ennemis par un bombardement par micro-ondes ou par des impulsions électromagnétiques. Ces deux modes d’intervention énergétique sont parfaitement appropriées pour les missions contre la “vie intérieure” des satellites, animés par des techniques ultra-sensibles. Les “frondes électroniques volantes” opèreront très près de leurs cibles et, par leur intervention énergétique, pourront, par exemple, parasiter les communications ennemies. On pourra les disperser dans le cosmos à l’aide soit de planeurs spatieux soit de fusées. Elles possèdent une charge énergétique d’une  durée limitée, de 30 à 60 jours, et seront rassemblées après avoir perpétré leur mission de sabotage, probablement à l’aide d’un planeur atmosphérique. Elles sont donc les armes idéales contre les capacités satellitaires des pays alliés ou neutres, dont les “corps célestes” ne doivent pas être détruits mais simplement paralysés pendant un certain laps de temps, par exemple pour ne pas fournir involontairement des informations aux forces armées ennemies. Si le système de navigation européen “Galileo” venait à être mis sur orbite dans les prochaines années, c’est à ce genre d’actions de sabotage qu’il faudra s’attendre de la part du “partenaire” américain.

Comme on pouvait le lire dans le livre de Stanislaw Lem, le concept de “Star Tek” vise également à automatiser les futurs satellites de petites dimensions, à relier entre eux des “méta-réseaux” informatisés, au sein desquels toutes les composantes fabriquées prendront en charge des tâches particulières et, simultanément, nourriront sans arrêt le “cerveau d’ensemble” d’une pluralité d’informations.

Les problèmes techniques, qu’il faudra résoudre avant de mettre en état de fonctionner ces organismes satellitaires et quasi-intelligents, sont évidents. Il faudra d’abord d’autres progrès dans le domaine de la miniaturisation des processeurs, ensuite il faudra régler toutes les questions de la propulsion. Ce qui semble le plus plausible à l’heure actuelle, c’est l’élaboration de nouveaux types de batteries nucléaires et le développement de batteries solaires plus performantes. Des chercheurs français planchent depuis un certain temps sur d’autres possibilités (6). Ils ont réussi à développer une puce propulseuse spéciale pour les petits satellites et les micro-satellites, qui est formée de plusieurs couches de silicone et brûle une petiute réserve de carburant liquide. La pression gazeuse qui provient de la combustion passe par de minuscules réacteurs. Des centaines de réacteurs de ce type devraient pouvoir tenir sur une surface de quelques cm2 et rendre possibles une pluralité de manoeuvres directionnelles. Toutefois, chacun de ces réacteurs ne peut donner qu’une seule fois, car le minuscule réservoir de carburant est consommé immédiatement lors de chaque mission.  Mais, dans le cosmos, il suffit de faire donner des quantités relativement réduites de forces propulsantes, pour impulser une modification de direction. La puce-fusée sera prête à être produite en série d’ici peu d’années.

Mais il ne faut pas seulement résoudre le problème de la  propulsion. Pour que les micro-satellites deviennent un facteur digne d’être pris au sérieux et mis sur orbite, il faut qu’ils aient les capacités suffisantes pour propulser ces minuscules “corps célestes” en nombre suffisant.Les missions des futurs robo-bugs ne peuvent être comparées aux missions  de grands satellites actuels, qui demandent non seulement plus de doigté technologique, mais aussi beaucoup de temps pour être préparé. Les robo-bugs doivent, eux, être alignés rapidement et en grand nombre.

Et, finalement, il faudra développer de nouvelles méthodes du type “Stealth”, capables de satisfaire les exigences de l’avenir. Les capacités actuelles des engins de type “Stealth”, comme les avions B-2 et F-117 sont loin d’être satisfaisantes et ne rencontrent pas encore la nécessité d’être totalement invisibles sur les écrans-radar ennemis. Les nouvelles solutions sont à trouver dans la composition moléculaire des futures couches qui recouvriront les engins de type “Stealth”. Il s’agit plus précisément de trouver des alliages spéciaux qui, non seulement seront capables de découvrir et d’analyser par eux-mêmes toutes les formes de rayons qui se présenteront, mais, simultanément, en un espace-temps absolument minimal, de transformer leur composition moléculaire, afin d’échapper à l’oeil des senseurs ennemis. On cherche donc une  sorte d’”épiderme intelligent”, capable de s’auto-reproduire et de s’auto-guérir : “Des ordinateurs à l’échelle moléculaire serviront de “cerveaux” à ce bouclier de défense très particulier et permettront, ipso facto, au système de réagir en temps réel aux impulsions des unités que sont les senseurs. L’arrivée des nano-ordinateurs (...) nous procurera des machines utiles, qui seront des trillions de fois plus performantes que les ordinateurs actuels, le tout dans des dimensions moléculaires ! (...) Tout d’abord, le système classera le signal informateur arrivant comme un signal radar, un signal infra-rouge ou un signal optique (...). L’information captée par les senseurs est ensuite transmise au système de contrôle du nano-ordinateur, qui passe les ordres aux “blocs de finalisation” se situant dans l’épiderme du satellite. Ces “blocs de finalisation” fonctionnent comme des “chaînes de production” moléculaires propres et fabriquent ainsi une nouvelle couche, qui peut réfléchir ou absorber l’énergie arrivante de manière optimale (...). Cette couche, spécifique aux engins spatiaux, relève de la nanotechnologie, et se montrera capable de réparer, par exemple, des dégâts dus aux combats et portés aux véhicules spatieux (il s’agit, ni plus ni moins, d’un satellite capables de s’auto-réparer). Cette capacité d’auto-réparation autonome diminue considérablement le besoin en systèmes logistiques, ce qui entraîne, dans l’espace, une diminution importante des coûts et un bon gain de temps” (7).

Les avantages en matières de coût et de temps ont conduit au développement de petits satellites relativement plus performants au cours de ces dix dernières années. Mais les laboratoires de recherche militaires et civils sont encore bien loin de pouvoir réaliser les capacités envisagées, c’est-à-dire de transformer les micro- et nano-satellites en organismes intelligents de dimensions très réduites,capable de travailler en interaction. Dans ce contexte, nous devons souligner une finesse conceptuelle, car sinon nous risquons d’oublier que les capacités techniques réellement existantes aujourd’hui se situent encore bien en-deça des attentes futuristes. Tandis que la “nano-technologie” traite du domaine des machines les plus petites qui existent actuellement, et qui relève en effet des dimensions extrêmement réduites, que l’on qualifie de “nano” (naines), les “nano-satellites”, eux, sont par rapport à elles, des éléments envoyés dans le ciel, dont les dimensions sont relativement plus importantes. Pour donner un ordre de grandeur, ces “nono-satellites” pèsent de un à dix kilos.  Comparés aux satellites “high tech” habituels, ils sont effectivement petits, mais par rapport aux micro-satellites prévus et aux tâches révolutionnaires qui leur seront dévolues, la taille des nano-satellites actuels relève d’un autre ordre d’idée.

Mais cela ne change rien au fait que la recherche bat son plein, à une cadence accélérée. L’Université de Surrey, dans le Comté anglais du Sussex, a réalise un travail pionnier depuis longtemps déjà; en 1985, une entreprise commerciale spécialisée en technologies satellitaires a été fondée : la SSTL (Surrey Satellite Technology Ltd).  En juillet 1995, la SSTL lance  son premier mini-satellite militaire dans l’espace, dans le cadre d’une mission Ariane. En 1999, les Français emboîtent le pas. Deux ans après, l’US Air Force suit (8). Les chercheurs de Surrey estiment que le lancement de satellites, dont la taille sera celle d’une carte de crédit, sera bientôt possible. Le directeur de la SSTL, Martin Sweeting, se montre très confiant. Il effectue une comparaison, qu’il aurait pu glaner chez Stanislaw Lem ou chez les spécialistes qui ont rédigé le rapport “2025” : “Les insectes sont probablement l’espèce la plus solide sur la Terre: ils ont vu arriver et disparaître les dinosaures et, aujourd’hui, ils dépassent largement les hommes en nombre. Bien sûr, on peut dire qu’un seul insecte isolé ne peut déployer des effets réels, mais, par exemple, un nuage de sauterelles se comportera de façon bien différente. Les systèmes actuels mécaniques et micro-électroniques et la nano-technologie en marche, poussée par les besoins de l’industrie et de ses clients, nous conduiront à élaborer et à fabriquer en masse des “pico- et femto-satellites, qui seront plus petits qu’une carte de crédit. Un seul de ces satellites ne se montrera guère utile.  Mais un nuage entier de “femto-satellites” mis sur orbite  —avec des noyaux-processeurs interchangeables, avec un système de communication synchronisé et des capacités à indiquer très précisément leur position—  nous promet l’avènement dans l’espace d’un système hautement inaccessible à toutes manoeuvres de diversion ou de sabotage et capable de se regrouper en temps réel, pour réagir très rapidement à des exigences  extrêmement dynamiques (...)” (9).

Le Professeur Sweeting sait de quoi il parle. Certes, la plupart des projets actuels n’en sont qu’aux premiers stades et avancent encore lentement dans cette direction, soit vers le lancement dans l’espace de nano-machines; mais quelques-uns de ses collègues chercheurs britanniques ont pu faire des progrès remarquables en ce sens au cours de ces dernières années, même s’ils sont restés sur terre pour élaborer leurs expériences.  Dans les bureaux de l’Université d’Oxford, on est convaincu de pouvoir bientôt fabriquer des micro-avions, ressemblant à des insectes, dont l’envergure ne dépassera pas 10 cm (10). Ils seront téléguidés par ondes radio ou pourront voler de manière autonome, en étant dotés de caméras minuscules, ce qui en fera des instruments d’espionnage parfaits. La clef qui fera le succès de ces appareils sera une étude détaillée du comportements des insectes en vol. Ces études prendront douze ans à l’Université d’Oxford. L’un des principaux résultats de ces études, c’est d’avoir constaté qu’il ne suffit pas de miniaturiser toujours davantage les avions conventionnels, parce qu’à partir d’une  certaine dimension, la portance sous les surfaces porteuses n’est plus siffisante. Les ailes des insectes fonctionnent de manière fondamentalement différente et génèrent par le rythme de leurs battements une portance dix fois  supérieure à celle des ailes d’avion.

Les constructeurs américains ont déjà réussi à exploiter ces nouvelles connaissances. La firme californienne “AeroVironment”, qui s’est spécialisée dans la construction de micros volants, a présenté le premier “insecte-robot” capable de voler au printemps 2001, le “Microbat”, un appareil volant dont les ailes mesurent 20 cm et fonctionnent comme celles d’une chauve-souris.  Dans ce cas, la réalisation de ce “Microbat” a été précédé de longues recherches sur les ailes d’insectes. Le “Microbat” possède un avantage par rapport aux petits drones conventionnels : il vole plus lentement et peut modifier son comportement de vol, exactement comme les insectes et les chauve-souris.  

L’objectif étant de fabriquer des engins-espions, il a été le véritable moteur de ce nouveau développement technologique. La firme AeroVironment a également développer et fabriquer un autre produit : un petit avion de 15 cm, résultat du programme “Veuve Noire” (“Black Widow”). Les forces armées américaines l’ont déjà utilisé pour parfaire des missions de reconnaissance. “A 100 m au-dessus du sol”, explique le directeur du projet, Matt Keennon, “on n’en croit pas ses yeux et ses oreilles et l’on découvre des images claires comme le cristal, qui sont immédiatement renvoyées au sol” (11). Pourtant, les caractéristiques de ces petits engins volants ne satisfont pas encore les concepteurs. Les futures générations de “micros volants” parviendront à pénétrer dans des immeubles et pourront commettre leurs activités d’espionnage dans des pièces fermées, sans se heurter aux murs. Et ils seront encore plus petits. Le “Microbat” n’est jamais qu’une étape dans cette direction.

Mais une étape parmi beaucoup d’autres étapes. Car dès le début de l’année 2001, le gouvernement américain investira chaque année la somme gigantesque de près de 200 millions de dollars dans le développement de MEM (des “Micro-Electronic Machines”). Cette part du budget est l’une des plus élevées dans l’ensemble des postes réservés à l’armement. Au cours des deux années 1997 et 1998, le budget s’élevait à seulement 134 millions de dollars, tandis qu’en 1999 déjà 71,5 millions avaient mis à la disposition de ces projets (12). La plus grande partie de ces montants sont partagés par la DARPA, soit l’agence centrale de développement et de recherche du Ministère de la Défense, par les “Sandia National Laboratories” dans le Nouveau-Mexique, soit l’agence de l’Etat américain qui est responsable du développement futur des armes nucléaires américaines. Cette dernière reprend en quelque sorte du poil de la bête dans la hiérarchie des secteurs de la Défense, grâce aux travaux entrepris pour réaliser les programmes MEM. Chez Sandia, on travaille selon la devise : “Tout ce qui est bon pour les MEM, est bon pour la  défense” (13). Raison pour laquelle le gouvernement américain observe les progrès  qui se font dans le domaine technologique des MEM avec les yeux d’Argus. Eric Pearson, directeur d’une autre entreprise spécialisée dans les MEM et proche de l’armée, exprime son opinion: “Le gouvernement a la main dans presque tous les projets de recherche en matières de MEM, depuis les automobiles jusqu’aux systèmes d’optique. Il observe ces domaines très attentivement” .

Entre-temps, la course a commencé. Les grandes firmes d’armement, telles Raytheon, Boeing et Lockheed Martin, ont désormais des départements qui s’occupent des MEM et ont créé des cellules de recherche en ce domaine. Des effets de synergies sont d’ores et déjà programmés. Quant aux adversaires potentiels de demain, ils ne s’endorment pas. En 1996, l’Académie des sciences militaires de Chine fait publier un article sur les multiples possibilités de mettre en oeuvre des “robots-fourmis”, qui disposeraient d’un cycle de vie de plusieurs décennies et qui pourraient être “déposés” en temps de paix sur le territoire d’un ennemi potentiel, pour être aussitôt activés si des hostilités échaudes” éclatent. Ils auraient notamment pour mission d’infiltrer et de brouiller les systèmes d’approvisionnement énergétiques de l’adversaire (14).  

Les “robo-bugs” deviendront une réalité, tout n’est plus qu’une question de temps : ils seront présent d’abord sur la Terre, ensuite dans l’espace. L’évolution technique suivra, elle aussi, les traces annoncées par la nature. Non seulement, elle imitera les capacités de voler, de percevoir et de se camoufler de leurs modèles naturels, mais aussi d’autres capacités encore, bien plus vitales, telles la reproduction, l’auto-guérison et le métabolisme. Et puisque la division du travail, la spécialisation et la constitution d’Etats augmentent les chances de survie, des unités auto-organisées de “nano-insectes”, connaissant la division du travail, deviendront un jour réalité. Ernst Jünger avait en quelque sorte anticipé, il y a déjà quelques décennies, en imaginant, dans le domaine de la création littéraire, la vision d’essaims d’abeilles, créés par la main de l’homme, tels qu’ils apparaissent dans son roman “Les Abeilles de verre”. Il exprimait toutefois un certain malaise en évoquant cette invention qui dépassait son modèle original en efficacité, tout en sacrifiant l’ordre naturel pré-établi. Jünger était bien conscient des innombrables potentialités de tels essaims d’insectes artificiels, utilisés comme armes. Un passage de son roman est très explicite sur ce sujet : “Je ne savais pas ce qui m’étonnait le plus, l’invention artistique et synthétique de ces corps distincts ou leur synchronisation. Sans doute était-ce, au tréfonds, cette force chorégraphique du regard porté qui me subjuguait et m’enchantait, une puissance hautement ordonnée et concentrée, qui n’avait pas de fin (...). Oui, sans aucun doute, je me trouvais sur un champ d’expérimentation (...), sur le terrain d’aviation pour micro-robots.  Je pensais que c’était des armes et je pense que j’avais vu juste (...). Lorsque Zapparoni avait réduit ses abeilles au simple rang d’ouvrières, il ne leur avait pas enlevé le dard, au contraire” (15).

Les experts de la “nano-révolution” n’émettent donc pas des prophéties pour un futur très lointain, mais pour l’année 2020. Les effets que ces engins minuscules produiront seront révolutionnaires et, en même temps, inquiétants. Les précurseurs de ce domaine scientifique envisagent déjà de créer des verres de lunettes qui ne se grifferont jamais, des cuvettes de WC qui ne devront jamais être nettoyées, des disques durs miniaturisés qui disposeront de gigantesques mémoires et des robots minuscules qui lutteront contre les tumeurs ou la calcification et la sclérose des artères. Lors d’une exposition, on a déjà pu voir le prototype d’un “sous-marin” nano-électronique destiné à surveiller médicalement l’intérieur du corps humain en y patrouillant. “Nous nous attendons à une révolution dans tous les domaines de production”, a déclaré l’expert en informatique Ralph Merkle, l’un des principaux théoriciens de la nano-technologie, “révolution qui sera liée à la possibilité d’offrir des gammes de produits bien plus vastes pour un prix considérablement réduit et qui, de surcroît, seront bien plus fiables. Ces productions seront plus robustes et aussi plus légères (...).  Dans l’avenir, nous disposerons d’appareils chirurgicaux de dimensions moléculaires. Ils se porteront exactement là où nous le voudrons, là où une lésion sera survenue et où nous l’élimineront. Cela conduira à une révolution dans la médecine (...)” (16).

Mais toutes les voix ne sont pas aussi enthousiastes. Il y a celles qui nous avertissent de dangers. Le spécialiste ès-logiciels, Bill Joy, voit dans la “nano-révolution” l’un “des plus grands dangers pour l’avenir de l’humanité”. A quoi ressemblera cet avenir?  Michael Crichton, auteur de best-sellers, a tenté de le décrire dans son roman “Butin” paru en 2002. Le scénario est terriblement actuel et, comme chez Lem ou Jünger, la caractéristique la plus étonnante des robots qu’il a inventé, est la capacité à s’auto-organiser. Chez Crichton, il s’agit de nano-robots qui sont téléguidés dans les airs et y virevoltent pour ensuite se regrouper en un essaim sur le lieu ciblé  —par exemple une fabrique d’armement suspecte—  et fonctionner comme un oeil, comme un système d’observation parfait. Dans le roman, cet essaim est fabriqué, sur commande du Pentagone, par une entreprise de haute technologie installée dans le  déseert du Nevada. Mais tout finit par aller mal; les nuages de robots s’autonomisent et deviennent un danger mortel.

Crichton n’invente rien, au fond. Il se borne à exagérer quelque peu les tendances à l’oeuvre aujourd’hui en ces domaines de très haute technologie. “Les effets pour l’humanité”, écrit-il dans la préface de son roman, en citant deux scientifiques renommés, “pourraient être désastreux, plus importants que ceux de la révolution industrielle, de l’invention de l’arme atomique ou de la pollution de l’environnement” (17). Ce n’est certainement pas exagéré.

Karl RICHTER.

Notes:

(1) Stanislaw LEM, Waffensysteme des 21. Jahrhunderts oder The Upside Down Evolution (Die verkehrte Evolution), Frankfurt a. Main, 1983.

(2) Ibid., pp. 19 et ss.

(3) Ibid., pp. 55 et ss.

(4) “Star Tek – Exploiting the Final Frontier : Counterspace Operations in 2025”.

(5) James CLAVELL (éd.),  Sunzi, Die Kunst des Krieges, Munich, 1988, p. 24.

(6) Kimberly PARCH / Eric SMALLEY, “Rocket chips to propel small satellites”, http://www.trnmag.com/Stories/2002/013002/Rocket_chips_to_propel_small_satellites_013002.html .

(7) “Star Tek – Exploiting the Final Frontier : Counterspace Operations in 2025”.

(8) D’après : Martin SWEETING, “Micro/NanoSatellites – A Brave New World”, in: “Guardian Unlimited”n 10 octobre 2002, http://www.guardian.co.uk/Archive/Article/0.4273.4274597.00.html

(9) Ibid. ; la mesure “femto” indique une taille d’un billiardième de mètre.

(10)               “Butterflies point to micro machines”, http://news.bbc.co.uk/1/hi/sci/tech/2566091.stm

(11)               “Robotic insect takes to the air”, http://news.bbc.co.uk/1/hi/sci/tech/1270306.stm

(12)               D’après : George Leopold, “Military Invests In Microelectronic Machine Technology”, in : “Times”, 21.3.1998, http://www.techweb.com/wire/story/TWB19980321S0001

(13)               Andrew Freiburghouse, “The MEMs Microcosm: Military”, http://www.forbes.com/aspa/2001/0402/052.html

(14)               Bertil Hagman, “Ernst Jünger, the Technological Revolution and Titanism”, http://www.juenger.org/mailarchive/5_2001/mgs00006.php

(15)               Ernst Jünger, “Gläserne Bienen”, Roman, Reinbeck bei Hamburg, 1960, pp. 94 & 99.

(16)               Stefan Krempl, “Nano – die elementare Revolution”, http://tor.at/resources/focus/telepolis/container/heise.de/tp/deutsch/inhalt/co/7273/1.html

(17)               Cité d’après : Jobst-Ulrich Brand, “Killer-Kollektiv”, in: “Focus”, n°49/2002, p. 103.  

 

 

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dimanche, 25 février 2007

TIAS: nouvel instrument de surveillance totale

Karl RICHTER :

Le nouvel instrument américain de surveillance totale : “Total Information Awareness System” (TIAS)

Extrait du livre de Karl RICHTER, Tödliche Bedrohung USA – Waffen und Szenarien der globalen Herrschaft, Hohenrain Verlag, Tübingen, 2004, ISBN 3-89180-071-1[= La menace mortelle des Etats-Unis – Armes et scénarios de la domination globale]. Un ouvrage à lire et faire lire, pour connaître les armes terribles de l’ennemi américain !

Les nouvelles qui nous viennent des Etats-Unis ont quelque chose de bizarre en soi depuis quelques années, c’est-à-dire qu’elles recèlent une sorte d’aura, se situant entre les fictions  d’Hollywood et les films d’horreur. Depuis le 11 septembre 2001, cette tendance s’est nettement accentuée. Pourtant, pendant toutes les années 90, on pouvait déjà s’apercevoir que l’Oncle Sam devait de moins en moins tenir compte de ses concurrents et adversaires potentiels. Les objectifs et les intentions apparaissent en clair dans les rubriques “informations” de la presse quotidienne. Ceux qui ne se satisfont pas de ces rubriques, ne devront pas surfer longtemps sur internet. Le reste du monde n’a plus le choix qu’entre l’étonnement et l’incrédulité, d’une part, les lamentations désespérées, d’autre part. Rien de tout cela n’est bien utile.

En novembre 2002, la “Süddeutsche Zeitung” présentait à ses lecteurs une autre de ces nouvelles étranges, mi-apocalyptiques. “Pêcher dans l’océan des données”, tel était le titre choisi par le quotidien bavarois. Sous-titre : “Les Etats-Unis planifient le mise sur pied du plus grand système de surveillance de tous les temps” (“Die USA planen das aufwendigste Überwachungssystem aller Zeiten”) (1).

L’objet de l’article était un nouveau système informatique qui, dans les années proches, serait mis en œuvre grâce à un investissement financier de 200 millions de dollars par an, par un sous-département du ministère américain de la défense. Ce système prévoit rien moins qu’une surveillance électronique sans faille du plus grand nombre possible de citoyens de la planète Terre. C’est cela qui se dissimule derrière l’abréviation “TIA”, soit “Total Information Awareness”.

Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire dans mon livre, il ne s’agit nullement de science fiction mais de réalité, d’une réalité qui rendra plus totale encore la domination américaine sur cette planète et qui réduira encore davantage la liberté, la sphère privée et la sphère intime des citoyens au cours du 21ième siècle.

De quoi s’agit-il? En janvier 2002, un nouveau département est créé au sein du ministère de la défense américain, l’IAO, soit “Information Awareness Office”. En français : “Bureau pour la prise de conscience de l’information”. “Awareness”, en anglais, ne signifie pas seulement “conscience”, mais aussi, et surtout dans le contexte qui nous préoccupe ici, “prise en compte”, “perception”; en français, le terme anglais “aware” peut aussi se traduire par “saisir par les sens”, “saisir par la conscience”, “capter”, “capter des informations”.

L’IAO sait parfaitement ce  qu’il veut. Dans le logo de ce nouveau bureau, on aperçoit un oeil ouvert et vigilant, semblable à celui que l’on voit au dos des billets de banque américains, où l’on nous promet un “novus ordo seclorum”, un “nouvel ordre mondial”; cet oeil se trouve au sommet d’une pyramide maçonnique et regarde le globe terrestre. Les mots inscrit au bas du logo sont :  “Scientia est potentia”, soit “La science est le pouvoir”. Pour ne pas inquiéter outre  mesure les critiques et les théoriciens conspirationnistes, le logo a été subrepticement effacé du site de l’IAO dès l’automne 2002.

Le programme ambitieux, qui consiste à prendre le monde entier sous la loupe et de le scruter avec le regard d’un “Illuminé”, doit devenir réalité dans les prochaines années. Si les choses évoluent de la sorte, les systèmes d’écoute actuels comme “Carnivore” et “Echelon” apparaîtront comme d’inoffensifs précurseurs. Car le futur “Data-Mining-System”, qui sera issu de l’IOA, a pour objectif déclaré  de saisir et d’exploiter véritablement toutes les données électroniques créées  —et laissées en tant que traces—  par tous les citoyens du monde. Non seulement les traces laissées par les coups de téléphone ou par l’utilisation d’internet, mais aussi à mille autres occasions : les passages à la caisse électronique de la banque, à la bibliothèque publique, à l’assurance maladie, à la pompe à essence, à l’office social, auprès de toute institution financière.

Le problème de la protection des données privées est une question purement académique pour l’IAO. Le bureau peut se revendiquer du plus haut intérêt de la nation américaine, car il lutte  contre le “terrorisme”. On peut se contenter d’une simple apparence légale quand on institue un nouveau système de surveillance de cet acabit. D’après une information publiée dans le “Washington Post”, l’IAO négocie déjà avec le FBI et avec l’agence nationale pour la sécurité du trafic, la TSA, qui gère déjà les données relatives aux passagers des avions, afin d’échanger toutes informations utiles. Mais tout cela n’est qu’un début, rien que le sommet émergé de l’iceberg. Car l’oeil vigilant de l’IAO est dardé sur l’Europe. En décembre 2002, un accord a été scellé  —sans qu’on ait fait beaucoup de publicité à son sujet au sein de l’opinion publique—  entre le gouvernement des Etats-Unis et les ministres de la Justice et de l’Intérieur de l’UE, afin de régler, pour l’avenir, un transfert sans heurts de données entre les instances européennes en matières de sûreté et leurs homologues américaines. Lors des négociations, Washington avait lourdement insisté pour ne pas être handicapé par les standards européens  relatifs à la protection des données, en cas d’exploitation des informations collationnées par Interpol. Bien entendu, l’Oncle Sam a réussi à faire triompher son point de vue.

D’après la déclaration officielle, l’objectif de cet échange et de cet accord serait “de prévenir , de repérer, d’empêcher et de  poursuivre tout acte délictueux dans le cadre de la jurisprudence [sic!] propre aux parties signataires et, en particulier, de faciliter l’échange mutuel d’informations, y compris les données personnelles” (2). Rien que la formulation laisse deviner que les citoyens européens deviendront dans l’avenir encore plus transparents que jamais auparavant. Mais ce qui m’étonne encore bien davantage, c’est que ce flux routinier de quantités impressionnantes d’informations ultra-confidentielles, relatives à des millions de citoyens européens, vers les ordinateurs d’autorités américaines et de services secrets ne constitue pas un sujet à débattre au sein de l’opinion publique pour les médias et pour les politiciens.

Cet accord scellé avec les Etats-Unis constitue une nouvelle génuflexion européenne devant Washington. Si les Européens avaient refusé de céder, l’IAO aurait de toute façon pompé les réseaux informatiques européens sans couverture légale, exactement comme l’ont toujours fait des services de renseignement comme la NSA ou le réseau Echelon. Ils n’ont jamais tenu compte des droits à la souveraineté des pays européens. Nos Etats sont considérés comme inexistants. De même, la présentation officielle de cet accord par Eurobruxelles n’est rien d’autre qu’une circonlocution pour camoufler le statut d’ilote des Européens. L’accord  de décembre, comme le formule le conseil de l’UE  pour la justice et l’intérieur, englobe “de nouvelles formes d’assistance juridique mutuelle, rendues possibles par les technologies modernes, comme par exemple l’échange d’information sur les comptes en banque [!] et les conférences sur vidéo” (3).

Cette formulation, qui accepte benoîtement le fait accompli, est bien forte de tabac quand on connaît les règles censées présider à la protection des données informatiques en Europe. Ce qui pose encore plus problème, c’est la nouvelle dimension que prend la lutte contre la criminalité, dimension qui fait l’unanimité entre les “Big Brothers” de part et d’autre de l’Atlantique. Dans la déclaration des ministres de l’UE, on souligne la nécessité de lutter contre les crimes, “qui auraient été commis ou pourraient probablement [!] être commis dans le cadre d’activités terroristes (...)” (4).

Ces formules rappellent immanquablement le film de fiction américain, qui passait à peu près au même moment dans les salles de cinéma en Allemagne, intitulé “Minority Report”. Ce film nous dévoilent partiellement ce qu’est et sera la guerre psychologique. Le réalisateur Steven Spielberg place son scénario en l’année 2054 et il s’agit aussi de combattre des crimes qui n’ont pas encore été  commis. Il y a du vrai dans cette fiction cinématographique : les procédés décrits  dans ce film sont en train d’être mis au point aujourd’hui. La répartition des rôles est également exacte : les ordres viennent de Washington et l’UE a simplement le droit de jouer avec, mais à titre de simple exécutant.

A partir de janvier 2003, signalons que les citoyens non-américains sont expressément discriminés par rapport aux citoyens américains, par une décision du Sénat des Etats-Unis. En effet, l’observation permanente des citoyens américains ne plaisait pas à certains sénateurs démocrates, qui estimaient que les choses allaient trop loin. Ils ont donc demandé à ce que des limitations  soient introduites dans la législation, afin que les surveillances  perpétrées aux Etats-Unis soient soumises à des critères plus stricts. Mais pour le reste du monde, ces restrictions ne comptent pas (5).

Le système technique, qui rend possible cette observation permanente et tous azimuts des citoyens, se trouve encore aujourd’hui dans  sa phase de développement. Rien que son nom est déjà tout un programme : “Total Information Awareness System” (TIAS). Le but de la manoeuvre apparaît clairement dans l’intitulé, exactement comme dans le logo de l’institution, avec cet oeil divin, qui voit tout. Pour des raisons de discrétion, ce logo a été transformé, afin de ne pas alarmer des “fanatiques” qui ne raisonnent qu’en termes conspirationnistes, les juristes qui cherchent à étayer la protection des données personnelles des citoyens et les âmes trop sensibles. Le sigle “TIAS” a donc reçu une autre appellation officielle depuis le printemps 2003 : l’adjectif ‘total”, qui qualifiait la nature de la surveillance informatique planifiée, a disparu; TIAS signifie désormais “Terrorism Information Awareness”. Mais, dans le fond, rien n’a changé. Aux Etats-Unis, à l’heure actuelle, on peut très  vite se voir transformer en “terroriste”, surtout après le “Patriot Act” qui a été passé à l’automne de 2001. Ce n’est donc  pas un hasard si le ministre de la justice Aschcroft a qualifié la loi d’”arme clef contre le terrorisme” (6). Bon nombre de libertés citoyennes ont été tout bonnement mis hors circuit par cette loi, qui a aussi rendu les citoyens américains encore plus transparents que jamais auparavant.

Actuellement, le programme TIAS est donc en phase de développement. Cette phase doit durer cinq ans. Pendant cette période quinquennale, il est prévu d’installer un prototype du système à Fort Belvoir, où se trouve le Commandement des services de renseignement et de sécurité de l’armée. Dès 2005, les prototypes en état de fonctionner, installés dans toutes les branches du projet, devront faire convergence, se mettre en réseau et se synchroniser. Les directives ont été données depuis longtemps. Tous les services secrets américains, toutes les universités renommées, tous les laboratoires  de recherche et de nombreuses industries de pointe y participent, dont certaines sont très connues, comme IBM, SAIC et Visionics. “Toutes les entreprises, organisations et collaborateurs personnels, qui y participent, sont soumis à un “examen de sûreté” (“clearance”) et sont tenus à respecter scrupuleusement le secret. Quelques entreprises étrangères ont été sollicitées, mais pour l’élaboration de composantes annexes du projet, qui sont toutes considérées comme “de-classified”, c’est-à-dire non secrètes (7).

En avril 2002, près de 75 institutions participaient à l’élaboration du projet TIAS. Le budget annuel, que quelques partenaires de l’entreprise ont reçu à leur disposition, varie entre 200.000 et 1.000.000 de dollars. Cela signifie que pendant la phase de probation, qui durera cinq ans, le volume global et maximal des sommes allouées sera de 375 millions de dollars. Le  personnel mobilisé à cette tâche est également impressionnant. L’institution, qui fera tourner TIAS, soit l’IAO, occupe d’ores et déjà 170.000 personnes.

Karl RICHTER.

Notes:

(1) Patrick ILLINGER, “Fischen im Daten-Ozean”, Süddeutsche Zeitung, 14  nov. 2002.
(2) Cité par : Florian RÖTZER, “Freier Fluß persönlicher Daten zwischen Europol und US-Behörden vereinbart”,
http://www.heise.de/tp/deutsch/inhalt/te/13831/1.html
(3) Ibid.
(4) Ibid.
(5) Florian RÖTZER, “Das DARPA-Überwachungsprojekt soll an die Leine gelegt werden”,
http://www.heise.de/tp/deutsch/inhalt/te/14031/1.html
(6) Michael LANG, “Big Brothers großer Bruder”, Süddeutsche Zeitung, 17 juin 2003.
(7) (auteur anonyme), “Scientia est Potentia – Wissen ist Macht” – “Die Pläne der DARPA-Behörde”,
http://mlists.in-berlin.de/pipermail/ds-news/msg00827.html

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