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lundi, 25 octobre 2021

L'Europe s'éloigne de l'OTAN

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L'Europe s'éloigne de l'OTAN

Pascual Serrano

Ex: http://www.elespiadigital.com/index.php/noticias/defensa/35663-europa-se-aleja-de-la-otan

L'humiliation subie suite au retrait américain d'Afghanistan, sans compter sur les partenaires européens de l'OTAN, et suite à l'accord militaire AUKUS entre l'Australie, le Royaume-Uni et les États-Unis, accord qui tourne le dos à l'Europe et suspend même les contrats d'armement avec la France, a ouvert un débat dans l'UE sur la nécessité d'une armée européenne propre, organisée en dehors de l'OTAN.

Le 22 août, le haut représentant de l'UE, Josep Borrell, a exprimé la nécessité pour l'Union européenne de disposer de sa propre force militaire indépendante. Le président français Emmanuel Macron est allé jusqu'à dire que l'OTAN était "en état de mort cérébrale" et Mme Merkel a parlé d'une perte de confiance avec les alliés, faisant clairement référence à Washington.

Toutes ces affirmations ont fait suite à la décision américaine de retirer ses troupes d'Afghanistan le 31 août et à la prise de Kaboul qui s'en est suivie, ainsi qu'au contrôle total du pays par les talibans, laissant les partenaires européens comme simples témoins de la fin d'une intervention dans laquelle ils ont été entraînés par les États-Unis et que ceux-ci laissent désormais sans aucun pouvoir de décision.

Annulation d'un contrat de 56 milliards de dollars

Puis vint l'AUKUS, un acronyme pour Australie, Royaume-Uni, États-Unis. Un accord militaire entre ces trois pays pour assurer la sécurité dans la zone indo-pacifique. Un accord porté secrètement devant les partenaires européens des États-Unis et qui, parmi de nombreuses autres conséquences, a conduit à l'annulation d'un contrat signé entre la France et l'Australie en 2016, d'un montant de 56 milliards d'euros, pour la construction française de huit sous-marins à propulsion nucléaire de dernière génération. Cela a provoqué l'ire du gouvernement français et le rappel de ses ambassadeurs à Washington et à Canberra pour des consultations.

Le ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian a déclaré qu'il s'agissait d'un "coup de poignard dans le dos" et que Canberra avait trahi la confiance de Paris. Le Drian a ensuite comparé l'administration Biden à celle de Donald Trump, qui a tissé une relation exécrable avec les alliés européens de l'Amérique.

"Ce qui m'inquiète dans tout ça, c'est aussi le comportement des Américains. Cette décision unilatérale, brutale et imprévisible est très similaire à ce que faisait M. Trump. Ce n'est pas comme ça, entre alliés, qu'il faut faire", a déploré M. Le Drian.

Le diplomate en chef de l'UE, Josep Borrell, a tenu les mêmes propos. "Je regrette de ne pas avoir été informé, de ne pas avoir participé à ces discussions", a-t-il déclaré lors d'une conférence de presse.

"Des missions où l'OTAN n'est pas présente mais où l'UE l'est"

L'onde de choc de l'humiliation des Européens en Afghanistan, où ils sont allés lorsque les États-Unis leur ont dit d'y aller et où ils sont également partis lorsqu'ils en ont reçu l'ordre, a atteint tous les pays et institutions européens. Dans un discours au Parlement européen, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a déclaré :

"Ce dont nous avons besoin, c'est de l'Union européenne de défense. L'Europe peut - et doit clairement - être capable et désireuse d'en faire plus pour elle-même". Mme von der Leyen, qui a été ministre de la défense dans son propre pays et qui a une connaissance approfondie des questions militaires et de leurs lacunes au niveau de l'UE, a annoncé qu'elle convoquerait un sommet sur la défense l'année prochaine.

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C'est précisément l'année où la France assurera la présidence de l'UE. "Il y aura des missions où l'OTAN ou l'ONU ne seront pas présentes", a déclaré M. von der Leyen, "mais où l'UE devrait être présente".

L'une des premières questions concrètes de défense européenne à être discutée au lendemain du désastre afghan est l'idée, déjà ancienne, d'un bataillon européen de réaction rapide de 5000 hommes. M. Borrell a soulevé la question lors d'une réunion informelle des ministres de la défense de l'UE à Kranj (Slovénie), début septembre.

Selon le quotidien El País, "cette initiative, à laquelle pensaient les dirigeants de Bruxelles avant même que l'OTAN ne débarque en Afghanistan, a déjà été reprise ce printemps par 14 États membres, dont la France, l'Allemagne et l'Espagne".

"Même les atlantistes changent de position"

Selon le journal, la proposition a reçu un accueil inhabituellement réceptif de la part d'une majorité de pays lors du Conseil informel où M. Borrell l'a évoquée. "C'est incroyable. Personnellement, je ne l'ai jamais vu auparavant. Même les atlantistes sont en train de changer de position", a déclaré une source présente à la réunion au quotidien espagnol.

Même la ministre allemande de la défense, Annegret Kramp-Karrenbauer, a proposé d'explorer la possibilité qu'un éventuel déploiement soit décidé par l'UE, tandis que les troupes ne seraient fournies que par une coalition de volontaires. La possibilité de pouvoir activer la force rapide par une majorité qualifiée du Conseil, sans avoir besoin de l'unanimité, a même été discutée.

Groupements tactiques de l'UE

L'idée d'une sorte de petite armée propre a commencé à prendre forme en 1999 - lorsque la création d'une force de réaction rapide de 60.000 hommes a été discutée et soutenue par le ministre espagnol de la défense en 2000. L'UE dispose d'une force de réaction rapide depuis 2007, mais peu de gens la connaissent car elle n'a jamais été utilisée. Il s'agit des "groupements tactiques de l'UE", deux bataillons d'urgence d'environ 1500 soldats chacun, dont l'un est toujours actif pour répondre à toute crise ou menace.

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Les bataillons sont multinationaux et effectuent une rotation tous les six mois. L'Espagne sera à la tête du contingent au second semestre 2022. Avec ces bataillons, l'UE peut effectuer deux déploiements de réaction rapide d'une durée minimale de 30 jours, pouvant être prolongée jusqu'à 120 jours grâce aux réserves et au réapprovisionnement.

La nouvelle force de réaction rapide serait en fait une nouvelle variante, "plus opérationnelle et prête à être activée", de ce qui existe déjà, selon les termes de M. Borrell. Depuis 2017, l'UE dispose d'un projet de coopération militaire accrue entre les États membres, la "coopération structurée permanente" (PESCO), qui n'a pas été suffisamment développé.

Treize pays européens ont déjà signé un accord militaire

Il ne s'agit pas de la seule initiative européenne de développement militaire en dehors de l'OTAN. Le 25 juin 2018, les ministres de la défense de neuf pays de la région ont signé à Luxembourg une lettre d'intention sur le développement de la nouvelle initiative européenne d'intervention (EII ou E2I). La ministre française des Armées, Florence Parly, a clairement indiqué que l'IIE serait un "processus rapide et opérationnel" permettant de réunir des forces de différents pays européens chaque fois que nécessaire.

Ces neuf pays sont désormais au nombre de treize, qui se sont engagés à accroître leur coopération militaire et leur indépendance vis-à-vis des États-Unis, comme l'a rapporté Euronews en septembre.

La ministre française de la Défense, Florence Parly, a expliqué à l'issue de la réunion : "La chute de Kaboul et le retrait mal préparé des troupes d'Afghanistan ont été un moment très difficile. Nous avons constaté un manque de coordination entre nous, entre les alliés de l'OTAN et les membres de l'UE également. Et je voudrais mentionner le partenariat AUKUS annoncé sans aucune consultation préalable le même jour que le lancement de la stratégie indo-pacifique de l'UE. Ces développements nous montrent quelque chose que nous savons déjà. L'Europe doit parler pour elle-même, l'Europe doit être capable d'agir pour elle-même - pour la sécurité de nos citoyens.

La "boussole stratégique" de l'UE est née

Les confrontations successives en matière de défense entre l'UE et Donald Trump ont déjà incité l'Allemagne à présenter à ses partenaires européens, en 2019, une proposition de réflexion stratégique en matière de défense, appelée la boussole stratégique. Ce que Reuters a décrit comme "le plus proche que le bloc européen puisse se rapprocher d'une doctrine militaire commune similaire au concept stratégique de l'OTAN, qui définit les objectifs de l'alliance, est la dernière étape en date dans l'accélération des efforts visant à approfondir leur coopération en matière de défense".

Il s'agit d'une proposition qui a été soumise aux conclusions du Conseil de sécurité et de défense du 17 juin 2020 et qui a été diffusée et analysée dans la publication espagnole Política Exterior, qui compte neuf anciens ministres des affaires étrangères dans son conseil consultatif. L'objectif est de présenter le document final de la "boussole stratégique" pour examen par le Conseil européen en 2022.

Plus d'autonomie militaire européenne d'ici 2024

Entre-temps, lors du sommet européen de février, ainsi qu'à Bruxelles en mai, l'UE a convenu de renforcer son autonomie en matière de défense. Dans les documents approuvés à l'unanimité par les 27, l'UE s'est engagée à mettre en œuvre son programme de défense jusqu'en 2024, à mener "une action plus stratégique" et à "accroître la capacité de l'UE à agir de manière autonome".

De même, comme le rapporte Europa Press, "l'importance de renforcer les initiatives militaires conjointes au sein de l'UE, telles que PESCO ou le Plan industriel européen de défense, qui génère des synergies entre les industries civiles, militaires et spatiales de l'Union, tout en assurant la cohérence dans l'utilisation des différents équipements de défense" a également été soulignée.

Un élément à garder à l'esprit est que l'UE n'a plus le poids du Royaume-Uni, le pays le plus réticent à évoluer vers un système de défense européen plus indépendant de l'OTAN et des États-Unis.

Le commerce des armes

Ce qui est indiscutable, c'est que derrière le discours sur la souveraineté en matière de défense se cache plus qu'autre chose un commerce d'armes et de guerre. Comme nous l'avons vu, le dernier accès de souverainisme de Macron est dû au fait qu'il a été évincé de la vente d'armes qu'il comptait faire à l'Australie ; et derrière un éloignement militaire entre l'UE et les États-Unis, les intérêts des entreprises militaires des deux côtés de l'Atlantique pèseront davantage. Selon qu'ils concluent qu'ils préfèrent s'entendre sur le partage du marché ou se battre séparément pour s'accaparer le marché.

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Dans l'Union européenne, l'organe politique le plus étroitement lié à la défense est l'Agence européenne de défense (AED), créée en 2004, qui "aide ses 26 États membres (tous les pays de l'UE sauf le Danemark) à développer leurs ressources militaires". Pour les organisations de paix, cette agence est utilisée comme un lobby par l'industrie de l'armement, comme dans de nombreux autres domaines, les dépenses impopulaires des pays sont présentées comme un impératif de l'Union et les gouvernements évitent le coût politique pour le public.

D'autre part, il y a quelques mois, le Parlement européen a approuvé 7953 millions d'euros pour le Fonds européen de défense pour la période 2021-2027.

En d'autres termes, en plus d'être un important vendeur d'armes, l'UE est également un important client. Ainsi, la véritable guerre ne consiste pas à tirer des armes, mais à les vendre et à les acheter.

Enquêtes européennes sur une armée nationale

Un autre élément à prendre en compte est l'opinion des Européens sur le fait d'avoir leur propre armée en dehors de l'OTAN. L'enquête européenne Eurobaromètre de 2017 a montré qu'une majorité d'Européens (55 %) étaient d'accord avec la création d'une armée européenne.

En France, un sondage réalisé par le magazine Le Point en 2019 a révélé un soutien de 81 %. En Espagne, un sondage réalisé par la société Sociométrica pour le journal El Español a montré que jusqu'à 71,3 % des Espagnols seraient favorables à la création d'une armée européenne dans laquelle les militaires seraient intégrés à leurs forces armées. De même, un sondage en ligne réalisé par le journal 20minutos indique que 88,35 % de ses lecteurs sont favorables à une telle armée européenne.

L'OTAN n'est certainement pas la plus populaire, non seulement elle n'a pas résolu la paix dans les endroits où elle est intervenue, comme l'Afghanistan, l'Irak, la Syrie et la Libye, mais elle crée également des conflits dans les zones de paix. L'expulsion, le 6 octobre, de huit diplomates de la représentation russe auprès de l'OTAN a incité le ministère russe des Affaires étrangères à annoncer la fermeture de sa représentation auprès de l'Alliance atlantique à Bruxelles et le retrait des visas pour le personnel de la mission de l'OTAN à Moscou.

Ce que dit le traité de l'UE

Mais une armée est-elle viable en vertu du droit européen ? L'article 42 du traité sur l'Union européenne fait référence à la défense dans les termes suivants : " La politique de sécurité et de défense commune fait partie intégrante de la politique étrangère et de sécurité commune. Il fournit à l'Union une capacité opérationnelle faisant appel à des moyens civils et militaires.

L'Union peut avoir recours à ces ressources lors de missions en dehors de l'Union pour le maintien de la paix, la prévention des conflits et le renforcement de la sécurité internationale, conformément aux principes de la Charte des Nations unies. La mise en œuvre de ces tâches est soutenue par les capacités fournies par les États membres".

Toutefois, les décisions en matière de défense doivent être prises "à l'unanimité" au sein du Conseil européen, et les obligations découlant de l'appartenance de certains États à l'OTAN doivent être respectées.

28 sur 30 sont européens

La réalité est que sur les 30 pays qui composent une OTAN avec un leadership et une domination clairs des États-Unis, 28 se trouvent en Europe. Un départ de plus en plus prévisible des Européens serait un coup mortel pour une organisation qui ne compte que les États-Unis et le Canada en dehors du continent européen.

Il serait curieux que, comme le Pacte de Varsovie, qui a disparu parce que ses membres sont partis et non parce qu'il a été militairement vaincu par un ennemi extérieur, l'OTAN soit également dissoute parce que ses membres sont partis.

vendredi, 07 mai 2021

Fond Européen de la Défense: une dotation ne suffit pas pour armer l’Europe

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Fond Européen de la Défense: une dotation ne suffit pas pour armer l’Europe

FED : l'Union européenne alloue 7,9 milliards d'euros à la création d'une défense commune, mais cela ne suffit pas à nous libérer des États-Unis.

par Salvatore Recupero

Ex : https://www.centrostudipolaris.eu/

Le 29 avril 2021, les députés ont approuvé l'adoption du Fonds européen de défense (FED), qui sera doté d'un budget de 7,9 milliards d'euros pour la période 2021-2027. Il s'agit peut-être d'un premier pas vers le soutien et la coopération en matière de défense en Europe. Pour l'instant, cependant, nous ne serons pas pour autant autonomes par rapport à Washington. En fait, la création d'un système de défense européen n'exclut pas un partenariat avec les États-Unis.

La genèse de l'EoF

C'était l'année 2016 et Jean-Claude Junker (alors président de la Commission européenne) avait parlé de la nécessité de créer une défense européenne commune (1). L'homme politique luxembourgeois invitait notamment à réfléchir à la nécessité de prendre la responsabilité de protéger les intérêts et le mode de vie des citoyens européens, sur leur territoire et à l'étranger, sans déléguer leur protection aux pouvoirs militaires des autres. L'idée était (et est) excellente, et indépendamment de ce que l'on peut par ailleurs penser de Junker.

Pour passer des paroles aux actes, il a fallu créer un fonds (le Fonds européen de défense) uniquement pour financer les premiers projets. Tout cela devait faire partie du "plan d'action européen en matière de défense". Entériné par le Conseil, l'EoF est devenu une réalité le 7 juin 2017, lorsque la Commission a adopté une communication intitulée "Établissement du Fonds européen de défense", soulignant ses caractéristiques distinctives. Il ne manquait que le sceau du Parlement. Il n'y a donc plus d'alibis.

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L'avenir du FED

Que va-t-il se passer maintenant? Simple, l'UE pourra cofinancer des programmes de recherche et de développement dans le domaine militaire. Mais sans la coopération des États nationaux, l'effort risque d'être inutile. Il faudra donc profiter de l'expérience acquise ces deux dernières années avec les projets pilotes (2): l'Edidp (le programme de développement de l'industrie européenne de la défense) pour 500 millions 2019-2020 ; et le PADR, l'action préparatoire dans le domaine de la recherche, pour 90 millions.

Bien que nous n'en soyons qu'aux premiers pas, l'enthousiasme est grand. Thierry Breton, commissaire européen chargé du marché intérieur et des services, a parlé d'un "jour historique pour l'Europe", car "l'idée de travailler ensemble pour promouvoir notre Union de défense et pour la sécurité des citoyens de l'UE est désormais une réalité tangible". L'opération aura également des effets positifs d'un point de vue économique, comme l'a expliqué la vice-présidente de la Commission européenne chargée des questions numériques, Margrethe Vestager. Selon Mme Vestager, "le Fonds jouera un rôle essentiel en permettant aux PME de participer aux chaînes d'approvisionnement de la défense et en développant la coopération industrielle transfrontalière. L'Italie aussi, par la voix de son ministre de la Défense Lorenzo Guerini, a exprimé sa grande satisfaction pour l'accord conclu. Tout va bien alors? Pas tout à fait.

Les Italiens veulent les Américains

Guerini, en effet, fait pression pour la participation de pays non membres de l'UE. En pratique, l'Italie (mais pas seulement elle) se félicite de la présence des Américains. À ce stade, une question se pose: mais pourquoi impliquer "nos alliés" alors que nous investissons pour nous rendre plus autonomes ? La réponse n'est que trop évidente: nous sommes forcés de le faire. L'Europe a perdu la Seconde Guerre mondiale et paie toujours pour cette défaite. Pas une feuille ne bouge sans que Washington ne le veuille. La rhétorique de la libération ne tient pas la route. Nous disons plutôt qu'après avoir porté le collier pendant plus de soixante-dix ans, nous nous sommes convaincus qu'il s'agit d'un collier (sans laisse). Cependant, il faut dire que la Maison Blanche avait déménagé à temps sans que le ministre de la PD n'en ait eu besoin.

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Les États-Unis ne reculent pas d'un pouce

Le journal en ligne Formiche.net (3) avait anticipé il y a plus d'un mois l'intention de la Maison Blanche d'entrer dans le projet de coopération structurée permanente (Pesco) dédié à la mobilité militaire. Une intervention qui est possible grâce au règlement approuvé en novembre qui "ouvre la défense européenne aux États-Unis". Un paradoxe en plein essor.

Pour mieux le comprendre, nous devons expliquer davantage ce qu'est le ‘’projet de coopération structurée permanente’’. La ‘’coopération structurée permanente’’ (Pesco precisely) est la coopération structurée permanente en matière de défense signée par 25 pays européens lors du Conseil Affaires étrangères/Défense de Bruxelles en 2017. Il s'agit de la première étape exécutive vers l'intégration des forces armées européennes, car elle vise à "simplifier et normaliser les procédures de transport militaire à l'intérieur des frontières européennes". C'est pourquoi l'OTAN, ou plutôt le Pentagone, ne pouvait pas être spectateur. Et c'est ainsi que dans les premiers jours de mars arrivent les nouvelles: l'entrée des Etats-Unis dans le Pesco se passe bien et "peut fonctionner". C'est ce qu'a déclaré l'ambassadeur Stefano Sannino, secrétaire général du Service européen d'action extérieure, lors d'un événement de l'ECFR, rapporté par DefenseNews.

Il est évident que les questions sont beaucoup plus complexes. Quelques lignes ne suffisent pas pour analyser la question de manière exhaustive. Cet épisode clarifie cependant nos idées sur l'équilibre des forces entre les deux côtés de l'Atlantique.

L'importance d'une armée européenne

Pour en revenir au thème de l'article, un "fonds" ne suffit pas à faire de l'Europe une puissance militaire, mais c'est un premier pas. Une condition nécessaire mais pas suffisante pour avoir une armée européenne qui ne dépend pas du Pentagone.

À la lumière de ce qui a été dit, il est clair que l'Union européenne doit agir différemment. Le professeur Vittorio De Pedys explique comment dans le numéro 21 de la revue Polaris (4). Selon M. De Pedys, "un accord fort est nécessaire immédiatement sur trois aspects. Le premier est la défense des frontières. La coopération dans ce domaine est essentielle car il y a, et il y aura de plus en plus, le danger du terrorisme, la marée montante de l'immigration, l'illégalité, le commerce des armes, les patrouilles et la sécurité des frontières extérieures.

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L'autre aspect est celui des missions internationales de "maintien de la paix". Au lieu de dépenser autant d'argent et de vies de jeunes gens à faire les guerres des autres, il serait bon d'envoyer les forces d'une armée et d'une marine européennes sur les théâtres où nos intérêts l'exigent (Méditerranée, Afrique du Nord, Tchad, Libye, Syrie, etc.). Enfin, la création d'une industrie européenne de la défense qui permettrait d'acheter des systèmes d'armes étrangers de manière concertée et moins coûteuse. L'Europe est l'un des quatre grands acteurs mondiaux par la taille de ses armées et de ses armements : elle dispose de porte-avions (italiens et français) et de marines de guerre, qui lui permettraient de projeter son pouvoir d'influence sur différents théâtres ; elle entretient également un surprenant rapport de force et d'influence avec un très grand nombre d'anciennes colonies situées à l'autre bout du monde, qui sont sensibles à toute proposition européenne unifiée. Cet énorme potentiel n'est pas du tout exploité aujourd'hui parce qu'il est fragmenté dans un fatras (et non une somme) inepte, stérile et substantiellement inutile de micro-politiques nationales". Ces mots nous montrent quelle est la bonne approche pour construire une Europe qui redevienne un phare de la civilisation.

Notes :

  1. (1) Fonds européen de défense : un financement pour l'avenir de la défense européenne par Lucrezia Luci, Geopolitica.info, 13 septembre 2020 https://www.geopolitica.info/european-defence-fund-finanz...
  2. (2) La défense européenne commence. Feu vert pour le fonds de (presque) 8 milliards d'euros par Stefano Pioppi, Formiche.net, 26 avril 2021 https://formiche.net/2021/04/fondo-europeo-difesa-approva...
  3. (3) La défense européenne s'ouvre aux États-Unis. Voici les plans pour la mobilité militaire par Stefano Pioppi, Formiche.net, 16 mars 2021 https://formiche.net/2021/03/usa-difesa-europea-pesco/
  4. (4) L'Europe que nous voulons - Populaire, pas populiste, souveraine, pas souverainiste, européenne, pas européiste par Vittorio De Pedys, Polaris Magazine, Numéro 21 Hiver 2018 https://www.centrostudipolaris.eu/2018/11/01/leuropa-che-...

 

samedi, 03 avril 2021

Cyber et compétition militaire, la nouvelle frontière

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Cyber et compétition militaire, la nouvelle frontière

Par Elisabetta Crevatin

Ex : http://osservatorioglobalizzazione.it/

SolarWinds a subi cet hiver l'une des cyberattaques les plus structurées de ces dernières années, impliquant l'espionnage de près de dix-huit mille de ses clients, dont plusieurs agences gouvernementales américaines. Bien que le montant exact des données volées, et donc le préjudice économique infligé par les pirates, soit encore incertain, cette opération est comparable au célèbre Moonlight Maze. Les nouvelles concernant les opérations informatiques sont désormais à l'ordre du jour, considérant que la pandémie de Covid-19 n'a fait qu'accélérer le processus de numérisation, et a rendu les institutions et les entreprises impliquées dans la campagne de vaccination contre le Coronavirus, telles qu'AstraZeneca et Pfizer/BioNtech, particulièrement sensibles aux attaques des espions.

Le cybermonde fait désormais partie intégrante de notre société, faisant de la cybersécurité une priorité pour les entités publiques et privées, et cela affecte également le domaine militaire. À cet égard, Europe Unie a organisé une conférence le 25 février sur les conséquences des cyberattaques sur la sécurité militaire, en invitant des experts de renom, dont Benedikt Franke et Denis Mercier, à analyser ces questions et à fournir des informations intéressantes.

Avant d'aborder ces sujets, il est toutefois important de rappeler qu'il existe trois types différents de cyberattaques, en fonction des infrastructures ou des sujets visés par les opérations. On parle d'espionnage lorsqu'une attaque vise à obtenir des informations sensibles, comme dans l'affaire SolarWinds que nous venons de citer. Une opération subversive a, au contraire, pour objectif de déstabiliser et de mobiliser un grand nombre de personnes, souvent pour discréditer des personnalités qui détiennent le pouvoir politique ou économique, par exemple, par le biais de la propagande. Enfin, le sabotage est un type d'opération informatique dont le but est d'endommager des infrastructures physiques, comme ce fut le cas avec Stuxnet, qui a compromis plusieurs installations nucléaires du gouvernement iranien. Si une attaque subversive nécessite un haut niveau de mobilisation sociale, mais est technologiquement facile à concevoir, on peut avancer le contraire pour les opérations visant le sabotage.

Quel que soit leur type, ces attaques ont des répercussions constantes sur la sécurité et la défense, car elles peuvent compromettre des informations gouvernementales, mobiliser des groupes sociaux par la propagande et endommager des installations publiques. Quels sont donc les problèmes de cybersécurité les plus urgents auxquels les militaires sont confrontés ?

Tout d'abord, il y a la question de l'attribution, car la majorité des cyberattaques se produisent de manière anonyme, ce qui rend difficile de cerner l'identité des pirates. La situation est encore plus compliquée lorsqu'il s'agit de déterminer si les pirates ont des liens avec des agences gouvernementales, comme ce fut le cas pour les cyberattaques pendant la guerre en Géorgie. Bien qu'il existe de nombreuses preuves que les pirates étaient en contact avec le gouvernement russe, il n'est toujours pas possible d'établir avec certitude si ce dernier porte une responsabilité partielle dans l'opération. De plus, comme l'a dit Denis Mercier lors de la conférence d'Europe Unie, l'anonymat entraîne un haut niveau d'incertitude dans le secteur militaire, qui se retrouve non préparé à réagir à l'attaque qu'il a subie.

Parallèlement au problème de l'attribution, M. Mercier a souligné le manque de préparation de la communauté internationale pour établir un plan d'action prédéfini en fonction du type de cyberattaque reçue. Quelle est la limite au-delà de laquelle elle peut générer une réponse militaire dans laquelle des armes de guerre sont utilisées ? Comment les gouvernements occidentaux réagiraient-ils si les infrastructures publiques étaient sabotées ? Bien que le nombre de simulations et d'entraînements mettant en scène des "cyber-guerres" ait augmenté ces dernières années, aucun code de conduite clair n'a encore été établi.

Les cyberattaques génèrent des maux de tête supplémentaires dans le secteur de la sécurité, car il est très facile d'obtenir les moyens nécessaires pour mener une cyberattaque, contrairement, par exemple, aux armes à feu, qui sont soumises à un contrôle international strict. Les militaires sont donc confrontés à un grand nombre d'acteurs étatiques et privés qui pourraient devenir des pirates informatiques. À cet égard, Benedikt Franke a fait remarquer que les acteurs terroristes ou les gouvernements autoritaires ont la possibilité de mener des cyberattaques, avec le risque potentiel de faire un grand nombre de victimes. Contingent qui déstabiliserait grandement l'Occident.

Face aux innombrables menaces, la cybersécurité fait désormais partie intégrante de la sécurité internationale et constitue une priorité dans le secteur militaire. La communauté internationale investit de nombreuses ressources pour mieux se préparer dans ce domaine, en encourageant la coopération entre les États dans l'échange d'informations sensibles et en les incitant à moderniser leurs arsenaux militaires. On ne sait pas encore dans quelle mesure les progrès technologiques affecteront les guerres futures et la cybersécurité, mais on sait que les cyberattaques feront parler d'elles pendant longtemps.

18:44 Publié dans Actualité, Défense | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actuaité, défense, cyberguerre, espionnage | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

samedi, 20 mars 2021

Des robots de Rossum à l'intelligence artificielle

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Des robots de Rossum à l'intelligence artificielle

par Leonid SAVIN

https://orientalreview.org/  

Le 25 janvier 2021 marque le centenaire de la première de la pièce de théâtre R.U.R. (Rossum's Universal Robots) de l'écrivain tchèque de science-fiction Karel Čapek. Cette courte œuvre a anticipé les livres ultérieurs sur le sujet, ainsi que les films cyberpunk et post-apocalyptiques comme Terminator et Alien: Covenant. Les robots universels de Rossum ont été conçus comme des assistants des humains, mais après un certain temps, ils se rebellent et détruisent la race humaine, à l'exception d'un ouvrier d'usine, dont ils ont besoin pour recréer leur propre espèce.

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Karel Capek.

Le mot "robot" s'est rapidement banalisé et a été appliqué à des mécanismes dotés d'un ensemble limité de fonctions programmables et nécessitant un diagnostic, un entretien et une réparation. Plus récemment, cependant, notamment après le développement des ordinateurs et des cyber-technologies, des discussions sont déjà en cours pour savoir si les machines peuvent penser et prendre des décisions sur un pied d'égalité avec les personnes.

Les dernières réalisations en matière de robotique et d'informatisation ne sont nulle part plus demandées que dans l'armée, notamment aux États-Unis, où des centres spéciaux ont été créés pour développer des programmes, des applications et du matériel spécifiques. De nombreux laboratoires de l'armée américaine, du corps des Marines, de la marine et de l'armée de l'air, avec l'aide de contractants et des principales institutions du pays, mènent à bien les prototypes de modèles avancés - toute cette technologie doit servir les nouvelles guerres que Washington prévoit de déclencher à l'avenir.

Les récentes avancées dans ce domaine sont révélatrices.

Le navire sans équipage Ghost Fleet Overlord a récemment parcouru 4700 miles nautiques avec succès et a participé à l'exercice Dawn Blitz, où il a opéré de manière autonome pendant presque tout le temps.

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Ceux qui s'inquiètent de la puissance croissante de la Chine proposent d'utiliser de tels systèmes pour toutes les relations futures avec l'APL: utiliser des drones suicide sous-marins pour attaquer les sous-marins chinois, par exemple. Les États-Unis parlent déjà de robots de combat sous-marins et de surface qui seraient en cours de développement par l'armée chinoise et que les Chinois appellent une "Grande Muraille sous-marine". C'est pourquoi ils suggèrent d'établir une parité avec les Chinois ou de les surpasser d'une manière ou d'une autre.

Les efforts de la Chine dans ce domaine montrent que la disponibilité de nouveaux types d'armes ne donne aux États-Unis aucune garantie que ces systèmes ne seront pas mis en service par d'autres pays. Par exemple, l'apparition de drones de combat dans un certain nombre de pays a obligé les États-Unis à développer des méthodes et des stratégies pour contrer les drones.

Ainsi, en janvier 2021, le département de la défense américain a publié une stratégie pour contrer les petits systèmes d'aéronefs sans pilote : cette stratégie s'alarme de l'évolution de la nature de la guerre et de la concurrence croissante, qui constituent toutes deux des défis pour la supériorité américaine.

bio-groen.pngLe lieutenant général Michael Groen, directeur du Joint Artificial Intelligence Center du ministère américain de la défense, évoque la nécessité d'accélérer la mise en œuvre de programmes d'intelligence artificielle à usage militaire. Selon lui, "nous pourrions bientôt nous retrouver dans un espace de combat défini par la prise de décision basée sur les données, l'action intégrée et le rythme. En déployant les efforts nécessaires pour mettre en œuvre l'IA aujourd'hui, nous nous retrouverons à l'avenir à opérer avec une efficacité et une efficience sans précédent".

Le Centre interarmées d'intelligence artificielle du Pentagone, créé en 2018, est désormais l'une des principales institutions militaires développant des "logiciels intelligents" pour les futurs systèmes d'armes, de communication et de commandement.

L'intelligence artificielle est désormais le sujet le plus discuté au sein de la communauté de recherche de la défense américaine. C'est une ressource qui peut aider à atteindre certains objectifs, comme permettre aux drones de voler sans supervision, de recueillir des renseignements et d'identifier des cibles grâce à une analyse rapide et complète.

On suppose que le développement de l'intelligence artificielle entraînera une concurrence féroce, car l'IA elle-même se distingue de nombreuses technologies passées par sa tendance naturelle au monopole. Cette tendance au monopole exacerbera les inégalités nationales et internationales. Le cabinet d'audit Pricewaterhouse Coopers prévoit que "près de 16.000 milliards de dollars de croissance du PIB pourraient découler de l'IA d'ici à 2030", dont 70 % pour les seuls États-Unis et la Chine. Si la rivalité est le cours naturel des choses, alors pour les entreprises qui utilisent l'intelligence artificielle à des fins militaires ou pour des technologies à double usage, la considérer de cette manière semblera tout à fait logique. Il s'agira d'un nouveau type de course aux armements.

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Sur le plan éthique, toutefois, les systèmes d'intelligence artificielle militaires pourraient être impliqués dans la prise de décisions visant à sauver des vies ou à prononcer des condamnations à mort. Ils comprennent à la fois des systèmes d'armes autonomes létaux, capables de sélectionner et d'engager des cibles sans intervention humaine, et des programmes d'aide à la décision. Certaines personnes plaident activement en faveur de l'inclusion de machines dans un processus décisionnel complexe. Le scientifique américain Ronald Arkin, par exemple, affirme que non seulement ces systèmes ont souvent une meilleure connaissance de la situation, mais qu'ils ne sont pas non plus motivés par l'instinct de conservation, la peur, la colère, la vengeance ou une loyauté mal placée, suggérant que, pour cette raison, les robots seront moins susceptibles de violer les accords de paix que les personnes.

Certains pensent également que les fonctions de l'intelligence artificielle peuvent transformer la relation entre les niveaux tactique, opérationnel et stratégique de la guerre. L'autonomie et la mise en réseau, ainsi que d'autres technologies, notamment la nanotechnologie, la furtivité et la biogénétique, offriront des capacités de combat tactique sophistiquées au sol, dans les airs et en mer. Par exemple, des bancs de véhicules sous-marins autonomes concentrés à des endroits précis de l'océan pourraient compliquer les actions secrètes des sous-marins qui assurent actuellement une frappe de représailles garantie par les puissances nucléaires. Par conséquent, d'autres plateformes tactiques pourraient également avoir un impact stratégique.

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L'amélioration de la manœuvrabilité est également liée à l'intelligence artificielle. Celle-ci comprend, entre autres, des logiciels et des capteurs qui permettent aux robots d'être autonomes dans des endroits dangereux. C'est l'un des moteurs de l'utilisation de systèmes autonomes par l'armée. L'armée américaine fonde de grands espoirs sur l'autonomie des machines, car elle pourrait offrir une plus grande flexibilité aux personnes qui commandent et combattent aux côtés des robots. Les développeurs américains espèrent passer de 50 soldats soutenant un drone, un véhicule terrestre sans pilote ou un robot aquatique, comme c'est le cas actuellement, à un paradigme où une seule personne soutiendrait 50 robots.

Mais l'intelligence artificielle pourrait aussi créer de sérieux problèmes. L'intelligence artificielle militaire pourrait potentiellement accélérer le combat au point que les actions des machines dépassent les capacités mentales et physiques de ceux qui prennent les décisions dans les postes de commandement d'une guerre future. Par conséquent, la technologie dépassera la stratégie, et les erreurs humaines et de la machine se confondront très probablement - avec des conséquences imprévisibles et involontaires.

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Une étude de la RAND Corporation, qui examine l'influence des machines à penser sur la dissuasion en cas de confrontation militaire, met en évidence les graves problèmes qui pourraient survenir si l'intelligence artificielle était utilisée sur le théâtre de la guerre. Sur la base des résultats des jeux réalisés, il a été démontré que les actions entreprises par une partie, que les deux joueurs percevaient comme ‘’désescalatoires’’, étaient immédiatement perçues par l'intelligence artificielle comme une menace. Lorsqu'un joueur humain retire ses forces afin de désamorcer une situation, les machines sont les plus susceptibles de percevoir cela comme un avantage tactique qui doit être consolidé. Et lorsqu'un joueur humain faisait avancer ses forces avec une détermination évidente (mais pas hostile), les machines avaient tendance à percevoir cela comme une menace imminente et à prendre les mesures appropriées. Le rapport a révélé que les joueurs devaient faire face à la confusion non seulement de ce que pensait leur ennemi, mais aussi de la perception de l'intelligence artificielle de leur ennemi. Les joueurs devaient également faire face à la façon dont leur propre intelligence artificielle pouvait mal interpréter les intentions humaines, qu'elles soient amicales ou hostiles.

En d'autres termes, l'idée contenue dans la pièce de Karel Čapek sur les robots est toujours d'actualité : il est impossible de prévoir le comportement de l'intelligence artificielle. Et si les robots "intelligents" ont un usage militaire, alors ils pourraient aussi devenir un danger pour leurs propriétaires. Même aux États-Unis, certains militaires sceptiques se rangent dans le camp des traditionalistes qui pensent que de telles innovations, imaginées par des utopistes de la Silicon Valley seront nuisibles à la politique de l'État américain.

jeudi, 04 mars 2021

Le désastre du F-35 américain et la soumission européenne

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Le désastre du F-35 américain et la soumission européenne

par Jean-Paul Baquiast

Ex: http://www.europesolidaire.eu

Lancé il y a une vingtaine d'années, l'avion de combat américain Lockheed Martin Joint Strike Fighter F 35 n'a pas cessé d'accumuler les retards et les malfaçons. Le programme pourrait à ce jour coûter plus de 1.500 milliards de dollars.

Depuis sa mise en service, le F-35 a accumulé les malfaçons le rendant à ce jour encore incapable d'une utilisation en opération. Il est trop sensible à la température, vulnérable à la foudre, doté d'un revêtement destiné à la furtivité qui se dégrade en vitesse supersonique. De plus il montre des variations brutales de pression à l'intérieur du cockpit qui sont très gênantes pour les pilotes, il court en permanence le risque d'éclatement d'un pneu à l'atterrissage qui détruirait l'appareil ne détruise l'appareil, son réacteur montre une usure prématurée , son canon ventral mal aligné est incapable d'atteindre une cible.

En 2018 un rapport du Directeur des tests opérationnels et de l'évaluation (DOT&E) récemment remis au Congrès énumérait 966 défaillances techniques évidentes.  110 d'entre elles, de première catégorie, étaient alors considérées comme pouvant «porter atteinte à la fiabilité, à la sécurité ou à d'autres exigences critiques» lors de la mise en service de l'appareil.

Malgré cette longue liste de malfaçons, les pays de l'Otan se sont précipités pour acquérir l'appareil avant même sa disponibilité. Au lancement des ventes à l'été 2017, près de 711 commandes à l'export avaient été passées par onze pays. On peut notamment mentionner les Danemark, Italie, Norvège, Pays-Bas et Royaume-Uni. La France avait fait scandale en préférant son programme d'avions de combat Dassault.

Plus tard, d'autres bons clients de l'industrie américaine, tels que la Belgique et la Pologne, franchiront le pas malgré la disponibilité des européens Grippen, Eurofighter et surtout  le Rafale de Dassault. Le plus surprenant est le Japon. En juillet 2020, Tokio a commandé pour 220 millions de dollars l'unité une centaine de F-35 qui pourtant ne correspondent nullement à ses besoins.

En effet, le Japon recherche avant tout des appareils dits de suprématie aérienne, pour faire face à des appareils russes ou chinois, ainsi que des avions capables de mener des attaques contre des navires. Or, le F-35 n'est capable ni de l'un ni de l'autre, ses soutes d'armement étant trop petites pour des missiles anti-navires et doivent être ouvertes de temps à autre afin de pallier à un problème d'échauffement

Le Japon, comme d'autres alliés des États-Unis, s'intéressait davantage au F-22 Raptor. Il s'agit d'un intercepteur, également furtif, mais doté de qualité de vol qui manquent au F-35. Mais le Congrès américain en a interdit la vente à l'export par crainte de voir ses technologies tomber dans des mains chinoises ou russes. Le programme a depuis lors été interrompu.

Comme nous l'avons indiqué précédemment, si le dixième des sommes dépensées pour le F-35 avaient été consacrées à l'exploration spatiale, les Américains disposeraient depuis longtemps de bases permanentes habitables sur la Lune et sur Mars. 

mardi, 29 décembre 2020

Que deviendra l'Europe de la défense sans Trump ?

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Que deviendra l'Europe de la défense sans Trump ?

L'Union européenne continuera à être seule face à ses démons

Par Raul Suevos

Ex : https://www.tradicionviva.es

Nous sommes en pleine période d'euphorie depuis la victoire de Biden ; il semble que le « président de l'Europe » ait été élu sur base d'innombrables articles dans la presse européenne et espagnole. On mesure la rapidité avec laquelle les dirigeants de chaque pays se sont félicités ou, selon le cas, on interprète l'absence de réaction. Il en va toujours de même avec l'intronisation du nouveau César, dans tout l'Empire, des gestes sont attendus, d'une manière ou d'une autre.

Il y a un aspect, je crois, que les analystes n'ont pas encore abordé et qui cache une importance de tout premier ordre pour l'avenir de l'Europe. C'est la Défense, la Défense européenne, avec des majuscules, un élément sous-jacent dès le début, dès la création même du sujet politique européen. La défense est évidemment un élément intégrateur auquel Donald Trump avait donné, indirectement, la plus grande impulsion depuis la naissance de l'Union avec la Communauté européenne du charbon et de l'acier en 1951, un instrument destiné uniquement, au départ, au maintien indéfini de la paix sur le continent et qui a fini par donner naissance à un géant économique.

La politique étrangère de Trump a été farouchement isolationniste, avec des manifestations constantes de désaffection envers les pays européens, individuellement et dans leur ensemble. Certains de ses débordements resteront dans l'histoire de la diplomatie mais, dans l'ensemble, ils ont servi à mettre la peur dans le corps des dirigeants européens qui, ces dernières années, coïncidant avec sa présidence, ont mené un énorme effort dans la construction de cette nécessaire Défense européenne, avec le Fonds européen de Défense, au sein de la Coopération structurée permanente : il s’agit là d’une réalisation majeure parmi d'autres également significatives.

Il reste beaucoup à faire, surtout dans le domaine des opérations à l'étranger, où des vies nationales sont perdues et avec elles le soutien électoral dans le pays, mais la situation actuelle est bien meilleure qu'à la fin du mandat d'Obama. Les attentes sont grandes maintenant avec l'arrivée de Biden, mais je ne suis pas sûr que cela suscitera un avenir brillant.

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Il est difficile de croire que le nouveau président va soudainement changer la politique étrangère isolationniste ; sa préoccupation restera la Chine, vers laquelle Obama a déjà infléchi l'intérêt des États-Unis. Et Poutine, malgré sa guerre et ses préoccupations politiques - il vient d'obtenir un cessez-le-feu dans le Haut-Karabakh dont le principal bénéficiaire sera Erdogan - ne sera pas une raison suffisante pour modifier le retrait américain en Europe. L'Union européenne continuera à être seule avec ses démons.

Le problème est qu'une lecture superficielle peut amener de nombreux partenaires à penser qu'avec Biden ici, il ne vaut plus la peine de poursuivre la construction de la Défense européenne, et cela nous laisse nus au milieu d'un monde en ébullition, alors qu’aucune des menaces n’a disparu, bien au contraire.

samedi, 10 octobre 2020

L’Europe doit s’inscrire dans la défense de l’espace

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L’Europe doit s’inscrire dans la défense de l’espace

Par Euro Libertes

par Michel Grimard, Président du ROUE

Face à la militarisation accélérée de l’espace par les super puissances, ce qui ne peut manquer d’inquiéter par l’aspect négatif généré sur l’équilibre des forces en présence, l’Europe ne peut rester passive. La domination de l’espace intègre désormais le volet confrontation. De récentes initiatives illustrent cette volonté de conquête et de puissance. En juillet, la Chine a procédé au lancement d’une sonde vers mars, dont les performances n’ont rien à envier à celles qui l’ont précédée. Pékin marque ainsi le degré technologique atteint, qui le hisse quasiment au même niveau que les États-Unis.

En juillet également, par l’intermédiaire des Émirats-Arabe-Unis, le monde Arabe est entré dans la compétition en lançant une sonde d’exploration de Mars. Même si une aide américano-japonaise les a confortés, l’exploit demeure. L’appareil, appelé « Al-Amel » (l’espoir), est de création émiratie. Le départ de deux astronautes vers la Station Spatiale Internationale, réalisé en mai par SpaceX, est un nouveau défi à l’Europe, via Ariane. Parfaitement abouti, il porte une double réussite, en s’affirmant comme un sérieux concurrent d’Ariane et en libérant les États-Unis de leur dépendance à la Russie. L’aspect pacifique, trompeur, de ces initiatives abrite un germe belliqueux.

Scruter le cosmos n’est plus la seule préoccupation des terriens. Ils ont malgré le traité de 1967 sur l’espace, qui bannit le déploiement d’armes de destructions massives, notamment nucléaires, commencé à le militariser. Si Washington a marqué sa volonté d’occuper une place prééminente dans l’espace, la Chine a montré qu’elle n’entendait pas être absente. Déjà, en janvier 2007, en procédant à un tir antisatellite et actuellement, avec le décollage de sa sonde pour explorer Mars. Garder leur totale liberté d’action dans l’espace est conforme à la politique spatiale des États-Unis, définie le 31 août 2006.

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Aussi parler de simple surveillance de l’Univers, comme le font les Européens, est périmé. La course qui conduit à la militarisation de l’espace, y compris sous l’aspect d’armes antisatellites, semble désormais difficile à contenir, surtout si cette présence spatiale apparaît comme un élément de défense absolument vital. Dépasser l’exploration est devenu la règle. En mars 2019, par un tir de missiles capable d’abattre un satellite dans l’espace, l’Inde a pris sa place parmi les pays détenteurs de ce record.

Récemment, la Russie s’est vue accusée par le commandement spatial américain d’avoir « conduit un test non-destructeur d’une arme antisatellite depuis l’espace ». Moscou a aussitôt rétorqué que le test n’était ni menaçant, ni contraire au droit international. Au-delà des polémiques, la militarisation de l’espace ne fait aucun doute.

Actuellement, les yeux des Européens, plus particulièrement de la France, se sont dessillés. Des déclarations ainsi que des actes, montrent que le danger et la nécessité d’y parer sont devenus une évidence. Après une longue période d’observation, teintée de naïveté, notre pays prend la mesure de l’importance que revêt le sujet.

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La ministre des armées, Florence Parly, semble avoir saisi tout l’enjeu de cette présence dans l’espace où s’accélère la volonté de domination. Elle a livré son sentiment en déclarant « Les menaces sont tangibles. Face à ce nouvel ordre des choses, nous devons être prêts ». Même constat, un an plus tôt en 2019, du Général Michel Friedling, commandant interarmées de l’espace « L’espace étant à la fois, un enjeu économique majeur et un milieu essentiel à la supériorité militaire, la coopération sera demain un champ de confrontation ». L’état-major de l’armée de l’air, désormais état-major de l’armée de l’air et de l’espace, a fait de cette dernière attribution, un domaine stratégique. La ministre des Armées, qui entend mettre en place les moyens de le sécuriser, a énoncé plusieurs dispositions en matière de surveillance et de défense. Développement du grand commandement de l’espace, basé à Toulouse, augmentation des investissements du secteur, dotation de caméras à 360 degrés, de satellites patrouilleurs, de lasers de puissance, notamment.

Malgré ses louables efforts, les investissements de la France dans le spatial militaire et civil sont bien en deçà des principales puissances championnes de l’espace. Ils représentent 12 fois moins que les États-Unis, 3 fois moins que la Chine et moins que la Russie. Les Américains qui demeurent dominants, entendent bien conserver leur position. Ils disposent encore de tous les moyens qui assurent cette suprématie, l’écoute, l’observation, la détection, la communication, le positionnement et l’alerte.

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L’Europe peut relever le défi en adoptant, notamment, deux dispositions. Premièrement, en dotant le spatial militaire d’investissements conséquents, à l’image du civil qu’elle a pourvu d’un budget de 14,4 milliards d’euros. Bien sûr, l’Agence Spatiale Européenne peut indirectement servir le côté militaire, mais elle est avant tout civile. Deuxièmement, en intégrant les différents systèmes des pays européens, relatifs à l’espace. L’importance de la mise en place de cette défense spatiale, pour l’indépendance de l’Europe, appelle à œuvrer selon l’esprit qui a prévalu pour l’ESA, à travers Ariane et Galileo. Toutefois la cohérence voudrait qu’à la défense éclatée de l’Union, se substitue une défense européenne unie et indépendante.

Particulièrement cruciale pour l’équilibre de la paix, l’espace ne peut échapper à une vigilance accrue de l’Europe.

dimanche, 13 septembre 2020

Le nouveau visage de la guerre : vers la quatrième génération

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Le nouveau visage de la guerre : vers la quatrième génération

par William S. Lind

 
Article original de William S. Lind , publié en octobre 2009 sur le site Global Guerillas 
Traduit par le blog http://versouvaton.blogspot.fr

La tâche principale du soldat en temps de paix est de se préparer efficacement à la prochaine guerre. Pour ce faire, il doit anticiper ce que sera la prochaine guerre. C’est une tâche difficile qui devient de plus en plus difficile. Le Général allemand Franz Uhle-Wettler écrit :

Auparavant, un commandant pouvait être certain qu’une guerre future ressemblerait aux guerres passées et présentes. Cela lui permettait d’analyser les tactiques appropriées du passé et du présent. Le commandant de troupe d’aujourd’hui n’a plus cette possibilité. Il sait seulement que quiconque ne parvient pas à adapter les expériences de la dernière guerre perdra sûrement la prochaine.

Co-auteurs : colonel Keith Nightengale (États-Unis), Capitaine John F. Schmitt (USMC), Colonel Joseph W. Sutton (USA), et le lieutenant-colonel Gary I. Wilson (USMCR)

Publication originale : Gazette du corps des Marines, Octobre 1989, pages 22-26 

La question centrale

Si nous examinons l’évolution de la guerre à l’ère moderne, nous voyons trois générations distinctes. Aux États-Unis, l’armée de terre et le corps des Marines s’attaquent maintenant au passage à la troisième génération. Cette transition est tout à fait positive. Cependant, la guerre de troisième génération a été conceptuellement développée par l’offensive allemande au printemps 1918. Elle a maintenant plus de 70 ans. Cela suggère quelques questions intéressantes : N’est-il pas temps qu’une quatrième génération apparaisse ? Si oui, à quoi pourrait-elle ressembler ? Ces questions sont d’une importance capitale. Quiconque est le premier à reconnaître, comprendre et mettre en œuvre un changement de génération peut obtenir un avantage décisif. À l’inverse, une nation qui tarde à s’adapter au changement générationnel s’expose à une défaite catastrophique.

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Notre objectif ici est moins de répondre à ces questions que de les poser. Néanmoins, nous allons proposer quelques réponses provisoires. Pour commencer à voir ce qu’elles pourraient être, nous devons replacer les questions dans leur contexte historique.

Trois générations de guerre

Alors que le développement militaire est généralement un processus évolutif continu, l’ère moderne a connu trois bassins versants dans lesquels le changement a été dialectiquement qualitatif. Par conséquent, le développement militaire moderne comprend trois générations distinctes.

La guerre de première génération reflète les tactiques de l’époque du mousquet à âme lisse, la tactique de la ligne et de la colonne. Ces tactiques ont été développées en partie en réponse à des facteurs technologiques – la ligne maximisait la puissance de feu, l’exercice rigide était nécessaire pour générer une cadence de tir élevée, etc. – et en partie en réponse aux conditions et aux idées sociales, par exemple, les colonnes des armées révolutionnaires françaises reflétaient à la fois l’élan de la révolution et le faible niveau d’entraînement des troupes enrôlées. Bien que rendus obsolètes par le remplacement du canon lisse par le mousquet à canon rayé, les vestiges des tactiques de la première génération subsistent aujourd’hui, notamment dans un désir de linéarité fréquemment rencontré sur le champ de bataille. L’art opérationnel de la première génération n’existait pas en tant que concept, bien qu’il ait été pratiqué par des commandants à titre individuel, notamment Napoléon.

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La guerre de la deuxième génération était une réponse au mousquet à canon rayé, aux chargeurs de culasse, aux fils barbelés, à la mitrailleuse et au tir indirect. Les tactiques étaient basées sur le feu et le mouvement, et elles restaient essentiellement linéaires. La défense essayait toujours d’empêcher toute pénétration, et lors de l’attaque, une ligne dispersée latéralement avançait par petits groupes. Le principal changement par rapport aux tactiques de la première génération a peut-être été la forte dépendance au tir indirect ; les tactiques de la deuxième génération ont été résumées dans la maxime française, « l’artillerie conquiert, l’infanterie occupe ». La massification de la puissance de feu a remplacé la massification des effectifs. Les tactiques de deuxième génération sont restées la base de la doctrine américaine jusqu’aux années 1980, et elles sont toujours pratiquées par la plupart des unités américaines sur le terrain.

Si les idées ont joué un rôle dans le développement des tactiques de deuxième génération (en particulier l’idée de dispersion latérale), la technologie a été le principal moteur du changement. La technologie s’est manifestée à la fois qualitativement, par exemple par une artillerie plus lourde et des avions de bombardement, et quantitativement, par la capacité d’une économie industrialisée à mener une bataille de matériel (Materialschlacht).

La deuxième génération a vu la reconnaissance et l’adoption officielles de l’art opérationnel, d’abord par l’armée prussienne. Là encore, les idées et la technologie ont été les moteurs du changement. Les idées sont issues en grande partie des études prussiennes sur les campagnes de Napoléon. Parmi les facteurs technologiques, von Moltke a réalisé que la puissance de feu tactique moderne exigeait des batailles d’encerclement et a voulu exploiter les capacités du chemin de fer et du télégraphe.

La guerre de troisième génération est également une réponse à l’augmentation de la puissance de feu sur le champ de bataille. Cependant, sa force motrice était avant tout celle des idées. Conscients qu’ils ne pouvaient pas l’emporter dans un concours de matériel en raison de leur base industrielle plus faible pendant la Première Guerre mondiale, les Allemands ont développé des tactiques radicalement nouvelles. Basées sur la manoeuvre plutôt que sur l’attrition, les tactiques de troisième génération ont été les premières à être véritablement non linéaires. L’attaque reposait sur l’infiltration pour contourner et faire s’effondrer les forces de combat de l’ennemi plutôt que de chercher à les approcher directement et à les détruire. La défense était en profondeur et invitait souvent à la pénétration, ce qui préparait l’ennemi à une contre-attaque.

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Alors que les concepts de base des tactiques de troisième génération étaient en place à la fin de 1918, l’ajout d’un nouvel élément technologique – les chars – a marqué un changement majeur au niveau opérationnel pendant la Seconde Guerre mondiale. Ce changement était une guerre éclair. Dans la blitzkrieg, la base de l’art opérationnel s’est déplacée du lieu (comme dans l’approche indirecte de Liddell-Hart) au temps. Ce changement n’a été explicitement reconnu que récemment dans les travaux du colonel John Boyd, retraité de l’armée de l’air, et dans sa théorie « OODA (observation- orientation- décision- action) « .

Nous voyons donc deux grands catalyseurs de changement dans les nouveautés générationnelles précédentes : la technologie et les idées. Quelle perspective tirons-nous de ces changements antérieurs alors que nous envisageons une quatrième génération de guerre ?

Les éléments qui se perpétuent

Les changements générationnels antérieurs, en particulier le passage de la deuxième à la troisième génération, ont été marqués par une insistance croissante sur plusieurs idées centrales. Quatre d’entre elles semblent susceptibles de se transmettre à la quatrième génération, et même d’étendre leur influence.

La première concerne les ordres de mission. Chaque changement générationnel a été marqué par une plus grande dispersion sur le champ de bataille. Le champ de bataille de la quatrième génération est susceptible d’inclure l’ensemble de la société de l’ennemi. Une telle dispersion, associée à ce qui semble être une importance accrue pour les actions de très petits groupes de combattants, exigera que même le niveau le plus bas opère avec souplesse sur la base de l’intention du commandant.

La deuxième est la diminution de la dépendance à l’égard d’une logistique centralisée. La dispersion, associée à une valeur accrue accordée au rythme, exigera un degré élevé de capacité à vivre du terrain et de l’ennemi.

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Troisièmement, il faut mettre davantage l’accent sur les manœuvres. La masse, en hommes ou en puissance de feu, ne sera plus un facteur déterminant. En fait, la masse peut devenir un inconvénient car elle sera facile à cibler. Les forces petites, très manœuvrables et agiles auront tendance à dominer.

Quatrièmement, l’objectif est de faire s’effondrer l’ennemi intérieurement plutôt que de le détruire physiquement. Les cibles comprendront des éléments tels que le soutien de la population à la guerre et la culture de l’ennemi. L’identification correcte des centres de gravité stratégiques de l’ennemi sera très importante.

En termes généraux, la guerre de quatrième génération semble être largement dispersée et largement indéfinie ; la distinction entre la guerre et la paix sera floue au point de disparaître. Elle sera non linéaire, peut-être au point de ne pas avoir de champs de bataille ou de fronts définissables. La distinction entre « civil » et « militaire » pourrait disparaître. Les actions se produiront simultanément dans toute la profondeur de tous les participants, y compris leur société en tant qu’entité culturelle et non pas seulement physique. Les grandes installations militaires, telles que les aérodromes, les sites de communication fixes et les grands quartiers généraux, deviendront rares en raison de leur vulnérabilité ; il peut en aller de même pour leurs équivalents civils, tels que les sièges du gouvernement, les centrales électriques et les sites industriels (y compris les industries du savoir et de la fabrication). Le succès dépendra fortement de l’efficacité des opérations conjointes, car les limites entre la responsabilité et la mission deviennent très floues. Là encore, tous ces éléments sont présents dans la guerre de troisième génération ; celle de quatrième génération ne fera que les accentuer.

Potentiel technologique de la quatrième génération

Si nous combinons les caractéristiques générales de la guerre de quatrième génération mentionnées ci-dessus avec les nouvelles technologies, nous voyons une ébauche possible de la nouvelle génération. Par exemple, l’énergie dirigée peut permettre à de petits éléments de détruire des cibles qu’ils ne pourraient pas attaquer avec des armes à énergie conventionnelle. L’énergie dirigée peut permettre d’obtenir des effets EMP (impulsion électromagnétique) sans explosion nucléaire. La recherche sur la supraconductivité suggère la possibilité de stocker et d’utiliser de grandes quantités d’énergie dans de très petits conteneur. Sur le plan technologique, il est possible qu’un très petit nombre de soldats puisse avoir le même effet sur le champ de bataille qu’une brigade actuelle.

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Le développement de la robotique, des véhicules pilotés à distance, de la faible probabilité d’interception des communications et de l’intelligence artificielle pourrait offrir la possibilité de modifier radicalement les tactiques. À son tour, la dépendance croissante à l’égard de ces technologies pourrait ouvrir la porte à de nouvelles vulnérabilités, telles que la vulnérabilité aux virus informatiques.

De petits éléments très mobiles, composés de soldats très intelligents armés d’armes de haute technologie, peuvent parcourir de vastes zones à la recherche de cibles critiques. Les cibles peuvent être plus dans le secteur civil que dans le secteur militaire. Les termes « avant-arrière » seront remplacés par « ciblé – non ciblé ». Cela pourrait à son tour modifier radicalement la manière dont les services militaires sont organisés et structurés.

Les unités combineront les fonctions de reconnaissance et de frappe. Des moyens « intelligents » à distance, dotés d’une intelligence artificielle préprogrammée, pourraient jouer un rôle clé. Parallèlement, les plus grandes forces défensives pourraient être la capacité à se cacher et à duper ces moyens.

Les niveaux tactique et stratégique se mélangeront à mesure que l’infrastructure politique et la société civile de l’adversaire deviendront des cibles sur le champ de bataille. Il sera d’une importance capitale d’isoler l’ennemi de sa propre patrie car un petit nombre de personnes sera capable de faire de grands dégâts en très peu de temps.

Les dirigeants devront être maîtres à la fois de l’art de la guerre et de la technologie, une combinaison difficile car deux mentalités différentes sont en jeu. Les principaux défis auxquels seront confrontés les commandants à tous les niveaux comprendront la sélection des cibles (qui sera une décision politique et culturelle, et pas seulement militaire), la capacité de se concentrer soudainement à partir d’une très grande dispersion, et la sélection de subordonnés capables de gérer le défi d’une supervision minimale ou nulle dans un environnement en évolution rapide. Un défi majeur consistera à gérer l’énorme surcharge potentielle d’informations sans perdre de vue les objectifs opérationnels et stratégiques.

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Les opérations psychologiques peuvent devenir l’arme opérationnelle et stratégique dominante sous la forme d’une intervention dans les médias/informations. Des bombes logiques et des virus informatiques, y compris des virus latents, peuvent être utilisés pour perturber les opérations civiles et militaires. Les adversaires formés aux techniques de la guerre de quatrième génération seront habiles à manipuler les médias pour modifier l’opinion nationale et mondiale au point que le recours habile aux opérations psychologiques empêchera parfois l’engagement de forces de combat. L’une des principales cibles sera le soutien de la population ennemie à son gouvernement et à la guerre. Les informations télévisées peuvent devenir une arme opérationnelle plus puissante que les divisions blindées.

Ce type de guerre de haute technologie de quatrième génération peut porter en elle les germes de la destruction nucléaire. Son efficacité pourrait rapidement éliminer la capacité d’un adversaire doté de l’arme nucléaire à mener une guerre de manière conventionnelle. La destruction ou la perturbation des capacités industrielles vitales, de l’infrastructure politique et du tissu social, associée à des changements soudains dans l’équilibre des pouvoirs et aux émotions qui en découlent, pourrait facilement conduire à une escalade vers les armes nucléaires. Ce risque peut dissuader les puissances nucléaires de se livrer à une guerre de quatrième génération, tout comme il dissuade les grandes puissances conventionnelles de se livrer à une guerre conventionnelle aujourd’hui.

Il convient de mettre en garde contre la possibilité d’une quatrième génération à base technologique, du moins dans le contexte américain. Même si l’état de la technique permet une quatrième génération de haute technologie et ce qui n’est pas clairement le cas [en 1989, depuis …, NdT], la technologie elle-même doit être traduite en armes qui soient efficaces dans le combat réel. À l’heure actuelle, notre processus de recherche, de développement et d’acquisition a beaucoup de mal à effectuer cette transition. Il produit souvent des armes qui incorporent des technologies de pointe non pertinentes au combat ou trop complexes pour fonctionner dans le chaos du combat. Trop d’armes dites « intelligentes » fournissent des exemples ; en combat, elles sont faciles à contrer, échouent de par leur propre complexité ou imposent des exigences impossibles à leurs opérateurs. Le processus américain actuel de recherche, de développement et d’acquisition pourrait tout simplement ne pas être en mesure d’assurer la transition vers une quatrième génération d’armes militairement efficaces.

Une quatrième génération potentielle menée par des idées

La technologie a été le principal moteur de la deuxième génération de guerres ; les idées ont été le principal moteur de la troisième. Une quatrième génération basée sur les idées est également envisageable.

Depuis environ 500 ans, l’Occident a défini la guerre. Pour qu’une armée soit efficace, elle devait généralement suivre les modèles occidentaux. La force de l’Occident étant la technologie, il peut avoir tendance à concevoir une quatrième génération en termes technologiques.

Cependant, l’Occident ne domine plus le monde. Une quatrième génération peut émerger de traditions culturelles non occidentales, telles que les traditions islamiques ou asiatiques. Le fait que certaines régions non occidentales, comme le monde islamique, ne sont pas fortes en matière de technologie peut les amener à concevoir une quatrième génération par le biais d’idées plutôt que de technologies.

La genèse d’une quatrième génération basée sur les idées peut être visible dans le terrorisme. Cela ne veut pas dire que le terrorisme est une guerre de quatrième génération, mais plutôt que certains de ses éléments peuvent être des signes indiquant une quatrième génération.

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Certains éléments du terrorisme semblent refléter les « séquelles » de la guerre de troisième génération, déjà mentionnées. Les terroristes les plus efficaces semblent opérer sur la base d’ordres de mission généraux qui se ramènent au niveau du terroriste individuel. Le « champ de bataille » est très dispersé et comprend l’ensemble de la société de l’ennemi. Le terroriste vit presque entièrement sur le territoire et le dos de l’ennemi. Le terrorisme est essentiellement une question de manœuvre : la puissance de feu du terroriste est faible, mais le lieu et le moment où il l’applique sont critiques.

Il faut noter deux éléments supplémentaires qui se perpétuent, car ils peuvent être des « signaux » utiles pointant vers la quatrième génération. Le premier est un élément de l’effondrement de l’ennemi. Il s’agit d’un déplacement de l’attention du front de l’ennemi vers ses arrières. Le terrorisme doit chercher à faire s’effondrer l’ennemi de l’intérieur car il n’a guère la capacité (du moins à l’heure actuelle) d’infliger des destructions massives. La guerre de première génération s’est concentrée, sur le plan tactique et opérationnel (lorsque l’art opérationnel était pratiqué), sur le front de l’ennemi, ses forces de combat. La guerre de la deuxième génération est restée tactiquement frontale, mais au moins dans la pratique prussienne, elle s’est concentrée opérationnellement sur l’arrière de l’ennemi en mettant l’accent sur l’encerclement. La troisième génération a déplacé l’accent tactique ainsi que l’accent opérationnel vers l’arrière de l’ennemi. Le terrorisme va encore plus loin dans cette voie. Il tente de contourner entièrement l’armée de l’ennemi et de frapper directement sa patrie sur des cibles civiles. Dans l’idéal, l’armée de l’ennemi n’a tout simplement pas d’importance pour le terroriste.

Le deuxième signe est la façon dont le terrorisme cherche à utiliser la force de l’ennemi contre lui. Ce concept de guerre venant du « judo » [ou aïkido, NdT] commence à se manifester dans la deuxième génération, dans la campagne et la bataille d’encerclement. Les forteresses de l’ennemi, telles que Metz et Sedan, deviennent des pièges mortels. Il est poussé plus loin dans la troisième génération où, sur la défensive, un camp essaie souvent de laisser l’autre pénétrer, de sorte que son propre élan le rend moins apte à se retourner et à faire face à une contre-attaque.

Les terroristes utilisent contre elle la liberté et l’ouverture d’une société libre, ses plus grandes forces. Ils peuvent se déplacer librement au sein de notre société tout en travaillant activement à la subvertir. Ils utilisent nos droits démocratiques non seulement pour pénétrer, mais aussi pour se défendre. Si nous les traitons dans le cadre de nos lois, ils bénéficient de nombreuses protections ; si nous les abattons simplement, les informations télévisées peuvent facilement les faire apparaître comme des victimes. Les terroristes peuvent mener efficacement leur forme de guerre tout en étant protégés par la société qu’ils attaquent. Si nous sommes contraints de mettre de côté notre propre système de protection juridique pour faire face aux terroristes, ceux-ci remportent une autre sorte de victoire.

Le terrorisme semble également représenter une solution à un problème qui a été généré par les changements générationnels précédents, mais qui n’a été réellement traité par aucun d’entre eux. Il s’agit de la contradiction entre la nature du champ de bataille moderne et la culture militaire traditionnelle. Cette culture, incarnée dans les grades, le salut aux uniformes, les exercices, etc., est en grande partie un produit de la guerre de la première génération. C’est une culture de l’ordre. À l’époque où elle a évolué, elle était en accord avec le champ de bataille, qui était lui-même dominé par l’ordre. L’armée idéale était une machine parfaitement huilée, et c’est ce que la culture militaire de l’ordre cherchait à produire.

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Cependant, chaque nouvelle génération a apporté un changement majeur vers un champ de bataille en désordre. La culture militaire, qui est restée une culture de l’ordre, est devenue contradictoire avec le champ de bataille. Même dans la guerre de troisième génération, la contradiction n’a pas été insoluble ; la Wehrmacht l’a efficacement surmontée, en maintenant extérieurement la culture traditionnelle de l’ordre tout en démontrant au combat la capacité d’adaptation et la fluidité qu’exige un champ de bataille désordonné. Mais d’autres armées, telles que celle des Britanniques, ont moins bien réussi à gérer la contradiction. Elles ont souvent tenté de transposer la culture de l’ordre sur le champ de bataille avec des résultats désastreux. À Biddulphsberg, par exemple, lors de la guerre des Boers, une poignée de Boers a vaincu deux bataillons de la Garde britannique qui se sont battus comme à la parade.

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La contradiction entre la culture militaire et la nature de la guerre moderne confronte un service militaire traditionnel à un dilemme. Les terroristes résolvent ce dilemme en éliminant la culture de l’ordre. Les terroristes n’ont pas d’uniformes, d’exercices, de saluts ou, pour la plupart, de grades. Potentiellement, ils ont ou pourraient développer une culture militaire conforme à la nature désordonnée de la guerre moderne. Le fait que leur culture générale puisse être non occidentale peut faciliter ce développement.

Même au niveau de l’équipement, le terrorisme peut indiquer des signes de changement de génération. En règle générale, une génération plus âgée a besoin de ressources beaucoup plus importantes pour parvenir à une fin donnée que celle qui suit. Aujourd’hui, les États-Unis dépensent 500 millions de dollars pièce pour des bombardiers furtifs. Une bombe furtive d’un terroriste est une voiture avec une bombe dans le coffre – une voiture qui ressemble à toutes les autres voitures.

Le terrorisme, la technologie et au-delà

Encore une fois, nous ne suggérons pas que le terrorisme est la quatrième génération. Ce n’est pas un phénomène nouveau et, jusqu’à présent, il s’est avéré largement inefficace. Cependant, que voyons-nous si nous combinons le terrorisme avec certaines des nouvelles technologies dont nous avons parlé ? Par exemple, cette efficacité pourrait-elle être celle du terroriste si sa voiture piégée était le fruit du génie génétique plutôt que d’explosifs puissants ? Pour démontrer encore davantage le potentiel de notre quatrième génération, que se passerait-il si nous combinions le terrorisme, la haute technologie et les éléments supplémentaires suivants ?

  • Une base non nationale ou transnationale, telle qu’une idéologie ou une religion. Nos capacités de sécurité nationale sont conçues pour fonctionner dans le cadre d’un État-nation. En dehors de ce cadre, elles rencontrent de grandes difficultés. La guerre contre la drogue en est un exemple. Comme le trafic de drogue n’a pas de base d’État-nation, il est très difficile de l’attaquer. L’État-nation protège des barons de la drogue mais ne peut pas les contrôler. Nous ne pouvons pas les attaquer sans violer la souveraineté d’une nation amie. Un attaquant utilisant des technologies de type quatrième génération pourrait bien agir de la même manière, comme le font déjà certains terroristes du Moyen-Orient.
  • Une attaque directe sur la culture de l’ennemi. Une telle attaque fonctionne aussi bien de l’intérieur que de l’extérieur. Elle peut contourner non seulement l’armée de l’ennemi, mais aussi l’État lui-même. Les États-Unis souffrent déjà beaucoup d’une telle attaque culturelle sous la forme du trafic de drogue. La drogue attaque directement notre culture. Ils ont le soutien d’une puissante « cinquième colonne », les acheteurs de drogue. Ces derniers court-circuitent tout l’appareil d’État malgré nos meilleurs efforts. Certains éléments idéologiques en Amérique du Sud voient la drogue comme une arme ; ils l’appellent le « missile balistique intercontinental du pauvre ». Ils apprécient le trafic de drogue non seulement pour l’argent qu’il rapporte et qui nous permet de financer la guerre contre nous-mêmes, mais aussi pour les dommages qu’il cause aux Nord-Américains détestés.

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  • Une guerre psychologique très sophistiquée, notamment par la manipulation des médias, en particulier des informations télévisées. Certains terroristes savent déjà comment jouer à ce jeu. Plus largement, les forces hostiles pourraient facilement tirer profit d’une production importante de reportages télévisés – le fait que, à la télévision, les pertes de l’ennemi peuvent être presque aussi dévastatrices sur le front intérieur que les pertes de l’ami. Si nous bombardons une ville ennemie, les images de civils ennemis morts, diffusées dans tous les salons du pays au journal télévisé du soir, peuvent facilement transformer ce qui aurait pu être un succès militaire (en supposant que nous ayons également atteint la cible militaire) en une grave défaite.

Tous ces éléments existent déjà. Ils ne sont pas le produit du « futurisme », du regard dans une boule de cristal. Nous nous demandons simplement à quoi nous ferions face s’ils étaient tous combinés. Une telle combinaison constituerait-elle au moins les débuts d’une guerre de quatrième génération ? L’une des idées qui suggère qu’ils pourraient l’être est que les militaires de la troisième (pour ne pas parler de la deuxième) génération semblent avoir peu de capacités contre une telle synthèse. Ceci est typique des changements de génération.

Le but de cet article est de poser une question, et non d’y répondre. Les réponses partielles suggérées ici peuvent en fait s’avérer être de fausses pistes. Mais compte tenu du fait que la guerre de troisième génération a maintenant plus de 70 ans, nous devrions nous poser la question suivante : que sera la quatrième génération ?

William S. Lind

vendredi, 11 septembre 2020

Vers l'autodéfense ? Entretien avec Eric Werner

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Vers l'autodéfense ?

Entretien avec Eric Werner

Ex: https://cocardeetudiante.com

L’été Orange mécanique que la France a vécu a mis au centre du débat politique le concept d’ « ensauvagement », repris jusqu’au sommet de l’État par le ministre de l’Intérieur. Pour remédier à ce phénomène, l’appel à un renforcement de l’État et à un tour de vis régalien est la solution la plus largement partagée, du moins celle qui paraît aller de soi. Or, à Palavas-les-Flots, à Bordeaux, ou encore à Nantes, des citoyens, désabusés de la dégradation de leur environnement quotidien, se sont constitués en collectifs pour prendre en charge eux-mêmes leur sécurité. Une même unanimité condamne cette voie vers l’ « autodéfense », considérée comme le début de la fin d’une société. Mais faut-il être si inquiet ?

ob_c081c3_autodefense-werner.jpgNous avons posé un certain nombre de questions au philosophe et essayiste suisse Eric Werner, diplômé de l’Institut d’études politiques de Paris et ayant enseigné la philosophie politique à l’Université de Genève. Rédacteur à L’Antipresse, contributeur régulier de la revue Elements, il a publié récemment Légitimité de l’autodéfense: Quand peut-on prendre les armes? aux éditions Xenia (2019, 109 p.).


Question 1 : Dans votre ouvrage, vous analysez l’effacement, dans nos sociétés occidentales, de la frontière entre la guerre et la paix, et le mélange des deux états. L’actualité française est marquée par une succession dramatique d’agressions et d’homicides ultra-violents, aux motifs dérisoires et dont les auteurs sont quasi-systématiquement étrangers, « migrants » ou d’origine étrangère. Le concept d’ « ensauvagement » vous semble-t-il opérant pour analyser et comprendre ce phénomène ?

Eric Werner : Effectivement, la frontière entre la guerre et la paix tend à s’effacer, ce qui fait qu’on ne sait plus trop aujourd’hui par où elle passe. C’est très flou. Mais il faut aller plus loin encore. C’est la question même de savoir si l’on est en paix ou en guerre qui apparaît aujourd’hui dépassée. Elle l’est pour une raison simple, c’est que tout, aujourd’hui, est guerre. La guerre est devenue « hors limites » (pour reprendre le titre du livre de Qiao Liang et Wang Xiangsui). Il n’y a plus dès lors à se demander si l’on est en paix ou en guerre. Car a priori l’on est en guerre. C’est le cas en particulier au plan interne. Il y a différentes manières de qualifier l’état de choses actuel en France, mais on pourrait se demander si la référence à la paix civile est bien encore la plus appropriée.

Entrons un peu maintenant dans les détails. Vous parlez d’ « agressions et d’homicides ultra-violents, aux motifs dérisoires ». Plus ils sont dérisoires, plus évidemment on est amené à se demander si la véritable motivation ne serait pas d’ordre politique. Sauf que cette motivation ne s’affiche pas toujours ouvertement. On peut en revanche se référer au contexte : djihad, indigénisme, surenchères post- ou décoloniales, iconoclasme, culture Woke, etc. Rappelons également la formule de Clausewitz : la guerre, poursuite de la politique par d’autres moyens. La criminalité en elle-même n’est pas la guerre. Elle ne le devient que lorsqu’elle devient un moyen de la politique. Mais alors, très clairement, le devient. On pourrait se demander si ce n’est pas aujourd’hui le cas.
Autre point à considérer : on est en présence d’un phénomène évolutif. Pour l’instant encore, les agressions et les meurtres dont vous parlez (auxquels il faudrait ajouter les viols collectifs, les profanations d’églises et de cimetières, d’innombrables actes de vandalisme, probablement aussi un certain nombre d’incendies, etc.) relèvent de la micro-criminalité (ou encore d’une criminalité « moléculaire »). Autrement dit, ils restent dispersés dans le temps et dans l’espace, ne constituent donc pas encore un ensemble d’un seul tenant. Mais il est tout à fait concevable qu’ils le deviennent un jour, ne serait-ce qu’au travers de la contagion mimétique. Vous-même le relevez d’ailleurs, ils tendent aujourd’hui à se multiplier. C’est le cas en particulier dans les centre-villes, jusqu’ici relativement épargnés. Relevons au passage l’inexistence, ou quasi-inexistence, de la réponse policière, avec pour conséquence le développement d’un  sentiment d’impunité poussant les voyous et les criminels à se montrer toujours plus agressifs et entreprenants. Bref, on a de bonnes raisons de penser qu’à un moment donné, une « coagulation », se fera,  la micro-criminalité en question se transmuant alors en émeute (à l’échelle d’un quartier, d’abord, puis d’une ville). L’événement n’est pas complètement inédit. Rappelons pour mémoire les émeutes raciales de 2005 en région parisienne (avec des débordements jusqu’au cœur de la capitale). C’est une deuxième étape de l’évolution. Mais il peut y en avoir encore une troisième. Du niveau de l’émeute on peut ensuite passer à celui de l’insurrection. L’émeute s’étend dès lors à l’ensemble du territoire. C’est ce qui s’était passé, par exemple, en 1789. Rien ne dit que le processus actuel ira jusqu’à son terme, mais on ne saurait a priori en exclure la possibilité. Tout dépend de ce que décideront ou non de faire les victimes potentielles : se défendront-elles ou non ? En 1789, elles s’attendaient si peu à ce qui leur arriva qu’elles n’eurent pas le temps seulement de se poser la question. Et donc ne se défendirent pas. C’est bien montré par Taine dans Les Origines de la France contemporaine.

Je réponds par là même à votre question sur l’ensauvagement. Cette terminologie est évidemment inadéquate. Les voyous et les criminels qui agressant aujourd’hui les personnes dans la rue et souvent les tuent, ne le font pas parce qu’ils seraient soi-disant retournés à l’état sauvage. Ils font la guerre, c’est tout. La guerre, que je sache, ne s’est jamais signalée par son caractère particulièrement humain ou civilisé.

Question 2 : L’État ne semble pas prendre la mesure de la gravité de la situation, ne serait-ce que dans le choix des mots de ses responsables (« incivilités ») ou dans l’absence de traitement des causes profondes de cette ultraviolence et de l’insécurité permanente. Peut-on dire qu’en France, le pacte social entre l’Etat et ses citoyens est rompu ? 

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E. W : L’Etat ne semble pas prendre la mesure de la gravité de la situation, dites-vous. Il en a au contraire tout a fait pris la mesure, puisqu’il est lui-même à l’origine de cet état de choses, ne serait-ce qu’en l’ayant laissé se développer comme il l’a fait. Mais on pourrait aussi le soupçonner de l’avoir lui-même mis en place. En tout cas, il n’a rien fait pour en empêcher ou seulement même freiner la mise en place (par un meilleur contrôle des frontières, par exemple, ou encore en veillant à ce que les voyous et les criminels se voient appliquer les peines prévues par la loi : ce qui, on le sait, n’est jamais le cas). Sauf qu’il ne le qualifierait pas, quant à lui, de « grave ». Comme il lui est à tous égards hautement profitable, au moins le pense-t-il (c’est pour cette raison même qu’il l’a laissée se mettre en place), il le qualifierait plutôt de réjouissant.

En revanche une question se pose : dans quelle mesure entend-t-il aller plus loin encore dans cette direction ? Dans mon Avant-guerre civile, je défendais l’idée suivant laquelle les dirigeants étaient prêts à aller jusqu’à l’extrême limite séparant l’avant-guerre civile de la guerre civile, mais pas au-delà. Ils ne voulaient pas basculer dans la guerre civile. C’est une thèse qu’on pouvait encore défendre en 1999 (date de la publication de la première édition de l’ouvrage), peut-être encore en 2015 (date de la deuxième édition). J’hésiterais peut-être à le faire en 2020. On a parfois le sentiment que les dirigeants actuels seraient désormais prêts à franchir la ligne de démarcation. Ce thème est développé avec brio par Laurent Obertone dans son roman d’anticipation, Guérilla. Obertone décrit une guerre civile hypothétique, avec en arrière-plan l’Etat qui tire les ficelles, et en fin de compte empoche la mise. Il s’agit là d’une œuvre de fiction, mais le décryptage qu’elle suggère de la stratégie actuelle de l’Etat, plus exactement encore des personnels qui, tout au sommet de l’Etat (ou dans ses profondeurs, comme on voudra), prennent les décisions dans un certain nombre de domaines retient l’attention. – Quant au pacte social entre l’Etat et ses citoyens, il n’y a, bien entendu, plus de pacte depuis longtemps, puisque depuis longtemps également l’Etat ne protège plus ses citoyens. Mais ce n’est pas seulement le cas en France : c’est le cas également  en nombre d’autres pays européens.

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Question 3 : Avec la vague d’attaques djihadistes que la France a subie depuis 2015, souvent conduites de manière tout à fait « artisanale » (attaques au couteau), l’idée d’une reprise en main de sa défense par le citoyen lui-même a gagné du terrain dans les esprits. Le citoyen, ou un regroupement de citoyens, est-il l’échelon le plus efficace aujourd’hui pour assurer la protection du peuple français ?

E. W : Le plus efficace, je ne sais pas. De toutes les manières, il n’y en a pas d’autre. A partir du moment où l’Etat n’assure plus la protection du citoyen, ce dernier récupère ipso facto son droit naturel à l’autodéfense. Il n’y a pas de décision particulière à prendre à ce sujet, cela se fait automatiquement. Soit l’Etat fait ce qu’il lui revient de faire (c’est le pacte social qui le lui impose), et donc protège le citoyen, soit il ne le fait pas, en quel cas le citoyen récupère son droit à l’autodéfense. Maintenant, il peut aussi ne pas l’utiliser. Mais ce n’est pas parce qu’il ne l’utilise pas qu’il ne l’a pas récupéré. La question que vous posez doit donc être reformulée. On peut ne pas vouloir se défendre, c’est tout à fait possible. Mais qu’est-il préférable : se défendre ou ne pas se défendre ? Personnellement je réponds : se défendre, et cela pour au moins deux raisons : 1) L’agresseur préférerait le contraire, que je ne me défende pas. Je ferai donc ce qu’il n’a pas envie que je fasse : je me défendrai. 2) L’expérience historique montre qu’on a bien davantage de chances de rester entier et vivant en se défendant qu’en ne se défendant pas. On le voit en particulier durant les périodes de révolution et de guerre civile. Les gens qui ne se défendent pas sont à peu près sûrs de mourir. Ceux, en revanche, qui se défendent ont une petite chance au moins de s’en tirer.

« En choisissant de se défendre plutôt que de ne pas le faire, on ne se confronte pas seulement à l’agresseur mais à l’Etat, qui directement ou non protège l’agresseur. »

Après, il y a manière et manière de se défendre. On décide en fonction de chaque situation. Dans mon livre sur l’autodéfense, j’insiste en particulier sur le fait qu’en choisissant de se défendre plutôt que de ne pas le faire, on ne se confronte pas seulement à l’agresseur mais à l’Etat, qui directement ou non protège l’agresseur. Théoriquement l’Etat reconnaît le droit à la légitime défense, mais cette reconnaissance, justement, n’est que théorique : en fait, il ne le reconnaît pas. Il ne laisse même rien passer dans ce domaine. Il faut donc faire très attention à ce qu’on fait (et dit). Je n’affirme pas qu’il ne faut rien faire. Mais il faut être prudent, discret, plutôt en retrait (je pense en particulier ici à l’Internet). Le problème a souvent été abordé dans le cinéma américain. Je pense en particulier au film de Peter Hyams, La nuit des juges, sorti dans les années 80.  – Un mot enfin sur la « protection du peuple français ». Je crois que si vous réussissez à vous protéger vous-mêmes (vous-même en tant qu’individu, éventuellement groupe d’individus), c’est déjà beaucoup.

Question 4 : La notion de citoyen-soldat, ou l’idée de confier à l’individu les moyens de sa défense, restent néanmoins particulièrement mal perçues en Europe, très vite associées à l’image de « milices » sans foi ni loi ou conduisant nécessairement à des « carnages » de tireurs fous à la sauce états-unienne. Comment expliquez-vous cette diabolisation de l’autodéfense et du port d’arme ?

E. W : Qu’y a-t-il là de si surprenant ? Vous attendriez-vous peut-être à ce que l’Etat et les médias à sa solde les enjolivent ou en fassent l’apologie ? Si l’Etat leur était favorable, cela se saurait. Il leur est en réalité totalement hostile. C’est peut-être même la chose du monde à laquelle il est le plus hostile. Cela étant, puisque vous évoquez les Etats-Unis, il faut aussi rappeler que la situation en la matière est profondément différente des deux côtés de l’Atlantique. Aux Etats-Unis le droit de porter des armes est considéré comme un droit fondamental (2ème amendement de la constitution), en certains Etats, même, comme un devoir. Les citoyens ont le devoir d’être armés et de se défendre quand ils sont attaqués. C’est l’inverse exactement en Europe. On vous recommande avec la plus grande fermeté de ne pas vous défendre. C’est un très lourd handicap pour les Européens. Les Européens partent de beaucoup plus bas dans ce domaine que les Américains.

Question 5 : Sous les effets conjugués de la mondialisation libérale, de la perte de souveraineté au bénéfice d’instances supranationales, et de l’immigration massive, la cité « France » est de plus en plus une chimère, et le beau mot de « citoyen » a été dépossédé de son sens. Vous expliquez dans votre essai que la sentence « je réplique donc je suis » peut redonner à la citoyenneté et à la loi (nomos) leurs lettres de noblesse, comment ?

E. W : D’une manière générale, la guerre civile a pour effet de redistribuer les cartes, de remettre les compteurs à  zéro. Elle offre ainsi l’occasion d’une refondation. C’est ce qu’explique Giorgio Agamben dans son essai sur la stasis, autrement dit la guerre civile (La guerre civile : Pour une théorie politique de la stasis, Editions Points, 2015). La stasis, écrit-il, « est un paradigme politique coessentiel à la cité ». On est dans un cycle mort-résurrection. La cité meurt avec la stasis, mais la stasis est en même temps ce qui la fait renaître de ses cendres. Elle renaît évidemment autre. Ce n’est plus la même cité qu’auparavant. Mais renaît. Concrètement, on sort de l’état de nature pour en revenir à l’état civil. Un nouveau pacte social est conclu entre de nouveaux citoyens (en l’espèce, citoyens-soldats). On pourrait aussi se référer à Machiavel. Dans Un air de guerre (Xenia, 2016), j’explique que, pour Machiavel, c’est la guerre elle-même qui rend apte à la guerre. On n’a donc pas besoin d’être apte à la guerre pour la faire. La guerre elle-même nous y éduque. Or l’aptitude à la guerre n’est pas sans lien avec un certain nombre de vertus proprement civiques: courage, empathie, dévouement au bien commun, etc. Il est vrai qu’au point de départ, il y a une décision personnelle : se défendre et donc répliquer, plutôt que rester passif et ne pas répliquer. Le choix de se défendre précède la guerre qui rend apte à la guerre.

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Question 6 : Diriez-vous qu’aujourd’hui l’Etat, tel qu’il est et agit, représente le principal obstacle à la bonne vie et la protection du citoyen ?

E. W : On peut le dire comme ça. On pourrait aussi dire que l’Etat est aujourd’hui l’ennemi prioritaire. Ce n’est bien entendu pas le seul ennemi : il y en quantité d’autres. Mais c’est l’ennemi prioritaire. Si on ne l’écarte pas en priorité, on n’écartera pas non plus les autres, ne serait-ce que parce qu’il est leur allié et les protège. Ce n’est pas être anarchiste que de le dire. Personnellement je ne suis pas anarchiste. Je reconnais tout à fait l’utilité de l’Etat, et à certains égards, même, sa nécessité. On a tout à fait besoin de lui, par exemple, pour résister à une invasion étrangère. Mais je ne suis pas non plus un inconditionnel de l’Etat. L’Etat n’est pas a priori mon ami. Il ne l’est que s’il se conduit en conformité avec le pacte social, qui lui fait obligation de protéger le citoyen. Autrement non, il ne l’est pas. Il l’est encore moins quand il m’agresse, comme c’est de plus en plus le cas aujourd’hui. Il est alors mon ennemi, et que cela lui plaise ou non je prends toutes les mesures que j’estime utiles et nécessaires pour me protéger contre lui.

vendredi, 04 septembre 2020

Pas de souveraineté européenne sans défense commune

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Pas de  souveraineté  européenne sans défense commune

par le Général Vincent Desportes

Ex: http://www.europesolidaire.eu

Cet article est du général Vincent Desportes ancien directeur de l'Ecole de Guerre Professeur des universités associé à Sciences Po Paris. Notre observation: qui dans l'Union européenne, actuellement dominée par les intérêts américains, prendrait le risque de soutenir cette position?

Mali, Méditerranée orientale, Niger et même cyberespace... Les situations de conflits apparaissent partout et l'Europe semble les bras ballants.  Elle doit assumer une stratégie de puissance.

Dans la succession des crises qui secouent le monde, que fait l'Europe ? Rien, ou trop peu. Tension politique en Biélorussie, chantage turc aux réfugiés, coup d'Etat au Mali, chaos guerrier en Libye, autodestruction du Yémen : l'Europe, première puissance économique, regarde presque passive se régler des problèmes qui la concernent au premier chef ! Au plan international, elle paraît absente et compte sur d'autres pour garantir ses lendemains.

Face à des Etats-Unis erratiques, une Russie agressive, une Chine conquérante, face à des menaces sécuritaires émergentes et de nouveaux défis stratégiques, l'Europe doit balayer ses illusions pour saisir le monde tel qu'il est, forgé de souverainetés et de puissances. Et si nous, Français, voulons rester ce que nous entendons être, notre discours et nos actes ne peuvent qu'être européens.

Un nouvel environnement stratégique

Premier constat : le démantèlement du monde créé à San Francisco en 1945, tué par ceux qui l'ont créé. Dès l'origine, le ver était dans le fruit. L'architecture multilatérale du 26 juin 1945 supposait l'égalité des membres et leur acceptation du principe de souveraineté limitée. Très vite, les Etats-Unis ont estimé que leur « destinée manifeste » leur demandait de dominer le monde : ils n'avaient donc pas à se plier à la règle qu'ils avaient eux-mêmes établie. Ils la rejettent aujourd'hui : le multilatéralisme serait la source de tous leurs maux.

9782717858426-475x500-1.jpgSecond constat : la croissance des tensions militaires. En 2019, les dépenses militaires mondiales ont atteint leur apex depuis la fin de la Guerre Froide. Le budget militaire des Etats-Unis, avec 732 milliards de dollars en 2019, en augmentation de 5,3%, représente 38% du total. Celui de la Chine, en hausse constante, est avec 261 milliards de dollars le deuxième mondial, cinq fois ce qu'il était il y a quinze ans. L'Inde a accru son budget de 6,8% pour le porter à 71,1 milliards de dollars. En Europe, la Russie fait la course en tête, augmentant son budget de 4,5% : avec à 65,1 milliards de dollars, elle se situe dans le top 5 des puissances militaires.

Troisième constat : la franche détérioration de la relation transatlantique. Son histoire a toujours été subordonnée à la vision des Etats-Unis : une Europe solide mais vassale, sans leadership, qui ne leur fasse pas d'ombre. Leur but ? Maintenir l'Europe en constant devenir ! Les Etats-Unis n'ont jamais aidé les Européens à s'affirmer et parler d'une seule voix, les en décourageant même. Depuis 2017, le phénomène s'est accéléré. Le président américain retire ses troupes de Syrie sans concertation avec ses alliés européens contre lesquels il mène sa guerre commerciale. Il fait l'apologie du BREXIT et critique l'OTAN. Au plus fort de la pandémie, la règle a été celle de l'égoïsme et de l'indifférence envers ses alliés traditionnels.

Quatrième constat : la montée dominatrice de la puissance chinoise. La volonté de son président est claire : faire de son pays la première puissance économique et militaire en 2049. La Chine veut imposer son modèle dans un nouvel ordre mondial dont les Etats-Unis et l'Europe auraient perdu le leadership. Encore récemment, les dirigeants occidentaux balayaient ces réalités dérangeantes. Ce n'est plus possible : la dépendance est devenue criante dans les domaines industriels et ceux des ressources critiques.

Peut-on croire au retour de l'Amérique ?

Le découplage Europe-Etats-Unis peut-il être corrigé ? Non : nous appartenons déjà à deux planètes différentes. Ecoutons le président des Etats-Unis : « America first only » ou pire : « Je crois que l'Union Européenne est un ennemi pour les Etats Unis ». Inexorablement ceux-ci se tournent vers le Pacifique. De plus en plus asiatiques, de plus en plus hispaniques, de moins en moins « caucasiens », les Américains deviennent chaque jour un peu moins européens : dès 2040, la population d'origine européenne sera devenue minoritaire. Ce pivot vers l'Asie ne traduit d'ailleurs que la réalité stratégique. Les Etats-Unis, affranchis de leur dépendance énergétique à l'égard du Proche-Orient, connaîtront de brefs regains d'intérêt pour l'Europe, mais pas d'illusions : même avec Biden, la tendance ne s'inversera pas. Le président Obama se disait déjà le premier président du Pacifique ...

9782717844344-200x303-1.jpgIl est donc fort hasardeux pour l'Europe de lier son destin à celui des Etats-Unis. Pourtant, plus le parapluie américain est une chimère, plus les Européens s'y accrochent ; hélas, en leur donnant un faux sentiment de sécurité, l'OTAN est devenue un frein politique à l'unité européenne et un ferment de déresponsabilisation. Elle est, en ce sens, devenue une menace pour la sécurité de la France et de l'Europe.

Le monde a besoin d'Europe.

L'Europe est-elle nécessaire ? D'évidence oui, puisque l'Occident a perdu son leader, les Etats-Unis ayant trahi leurs pères fondateurs et leurs alliés comme d'ailleurs les principes philosophiques et moraux qui ont fait leur grandeur.

Pour combler cette déliquescence, notre monde dérégulé a besoin de l'Europe, une Europe mature, née d'affrontements fraternels meurtriers, puis des « Lumières », puis de massacres encore, une Europe devenue raisonnable, pôle de sagesse et d'équilibre par le sang versé, porteuse des valeurs humanistes, dans un monde qui court au gouffre.

L'Europe est aussi nécessaire à chacune de nos nations : isolément, elles sont toutes trop faibles pour survivre, protéger leur culture, leur art de vivre, leur liberté. Sans union, demain, nous serons livrés à des entreprises et technologies chinoises, des logiciels américains, nous nous abreuverons de sous-culture américaine et n'aurons plus le choix que de subir.

Cependant, pour être utile, l'Europe doit parler au monde. Le peut-elle ? Ses rêves congénitaux l'ont mal préparée à affronter les défis futurs : elle est encore un acteur aphone parce que la puissance militaire est un facteur clef de l'indépendance et que la sienne est inexistante. Pour être entendue, l'Europe doit être militairement forte puisque la voix des nations ne porte qu'en fonction du calibre de leurs canons, vérité regrettable mais éternelle.

Peut-on rêver encore d'une défense française ?

C'est un rêve mortifère. La construction de l'Europe de la défense relève d'un impératif d'échelle : en termes de défense, celle des nations est dépassée. Une puissance moyenne ne peut plus se doter d'un système de défense cohérent, comme ce fut le cas jusqu'au milieu du XXème siècle.

strategie.pngD'abord en raison de l'expansion continue des domaines de conflictualités, de la terre hier au cyberespace aujourd'hui, et demain dans tout nouvel espace conquis par l'homme. Or, à l'expansion des espaces de guerre ne correspond nullement celui des budgets militaires : aucun Etat européen n'est plus en mesure de constituer en solo une capacité d'action substantielle dans chacun des espaces d'affrontement.

Ensuite en raison de l'explosion du coût des équipements. Chaque nouvelle génération multiplie leur prix par dix au moins. Tout Etat est donc contraint de réduire ses parcs à chaque saut générationnel ou d'accepter le décrochage technologique. La conséquence ? Sauf pour les superpuissances, le choix est simple : accepter un système de défense échantillonnaire affaibli de larges déficiences capacitaires, ou bien opter pour le rétablissement de la cohérence au niveau supranational. Pour les nations européennes, il est donc techniquement nécessaire de retrouver là l'exhaustivité qui leur manque.

C'est ici qu'apparaît à nouveau la nécessité d'une défense européenne, car ce niveau supranational doit être fiable et ce n'est plus le cas de l'Alliance atlantique.

Construire la défense de l'Europe ... pour l'Europe et par l'Europe

Aujourd'hui, les États-Unis fournissent, selon les secteurs, 70 à 100 % des capacités de l'Alliance: ce niveau de dépendance est dangereux. Pourtant, l'Union européenne, malgré les chocs que constituèrent entre 2015 et 2017, les attentats terroristes, les attaques cyber ou l'afflux incontrôlé de migrants, reste toujours aussi mal préparée à la gestion d'une crise de sécurité sur son sol ou à sa périphérie.

Les pays européens auraient donc tout intérêt à affermir leur contribution à cette mission de sécurité collective. Il leur faut rationaliser des appareils militaires comportant aujourd'hui autant de redondances que de carences capacitaires. Faute de convergence des programmations nationales, les dépenses militaires des États européens ont un médiocre rendement, la recherche de défense est sous financée, la relève des grands équipements est problématique : il faut donc européaniser les processus d'acquisition des équipements militaires mais aussi consolider la base industrielle et technologique de défense de l'Union. C'est vital pour l'équipement de nos armées comme pour l'industrie européenne. En outre, que ce soit pour la gestion de crises civiles ou les opérations militaires, les outils de planification, de conduite et de commandement de la PSDC sont inadaptés : l'UE a besoin de sa propre « tour de pilotage » des crises.

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La croissance économique européenne s'est faite dans une merveilleuse insouciance devenue mortifère. Hédonistes aveugles, les Européens sont tout simplement sortis de l'histoire ; il vaudrait mieux qu'ils y entrent à nouveau, mais non par une porte dérobée. Leur salut suppose que ce soit en puissance.

La principale illusion européenne était le caractère facultatif de la force : les évolutions dangereuses du monde doivent nous ramener au réalisme. Voulons-nous que les Etats-Unis continuent à nous dicter ce que doit être notre position vis- à-vis de la Chine ? Voulons-nous conserver notre statut de vassal, ou souhaitons-nous compter dans le monde et influer sur son devenir ? Les questions sont simples : quelle volonté, quels moyens, quels buts ? Changeons de paradigme : l'Europe économique doit devenir politique et géopolitique.

La souveraineté de nos États suppose la recherche parallèle de l'autonomie stratégique aux niveaux national et européen. Ils sont complémentaires : la souveraineté européenne n'est pas un substitut à la souveraineté nationale mais son indispensable complément, voire sa condition. Nos vieilles nations ne pourront exister que dans et par l'Europe. Il y a 60 ans, à l'Ecole Militaire, Charles de Gaulle le martelait : « Il faut que la défense de la France soit française ». Eh bien il faut aujourd'hui que la défense de l'Europe soit européenne.

Général (2S) Vincent DESPORTES
Ancien directeur de l'Ecole de Guerre
Professeur des universités associé à Sciences Po Paris

 

Source : www.asafrance.fr

samedi, 27 juin 2020

L’Europe de la défiance

Par Hadrien Desuin*

Ex: https://geopragma.fr

La France multiplie les effets d’annonce en faveur de “l’Europe de la défense” sans pouvoir masquer sa dépendance à l’OTAN.

Quelques jours avant le sommet de Londres, les 3 et 4 décembre 2019, un entretien présidentiel publié dans l’hebdomadaire britannique The Economist met le feu aux poudres. En qualifiant l’OTAN d’organisation “en état de mort cérébrale“, Emmanuel Macron vole la vedette à Donald Trump, pourtant habitué à ce type de sortie fracassante. Son duel à fleuret moucheté avec le président turc et membre de l’OTAN, Erdogan, se poursuit en juin 2020, sur fond de guerre civile libyenne, lors de la venue à Paris du président tunisien, Kais Saied. Quelques jours plus tôt, la flotte turque a menacé une frégate française envoyée par l’OTAN au large des côtes libyennes. Washington n’a pas condamné la Turquie et l’OTAN a prudemment demandé une enquête, renvoyant dos à dos Turcs et Français. Ce camouflet illustre la marginalisation de la France dans l’alliance atlantique et justifie a posteriori ses doléances exprimées à Londres: une Europe de la défense indépendante de la tutelle américaine, moins complaisante vis-à-vis de la Turquie et moins obnubilée par la menace russe.Entre temps, Jens Stoltenberg, le secrétaire général norvégien de l’OTAN, est venu à l’Elysée demander des explications: « Nous avons besoin d’une structure de commandement forte et compétente, pas de diviser les ressources en deux ». Il serait selon lui « dénué de sens de permettre à l’OTAN et à l’Union européenne de rivaliser ». Nicole Bacharan, figure de la French-American Foundation, souvent critique du président Trump, sait mettre de l’eau dans son vin quand c’est nécessaire:  « Sur le fond Trump a raison, c’est irréaliste de penser qu’une armée européenne pourrait se passer des États-Unis ». Angela Merkel a certes tenté une synthèse: « il ne s’agit pas d’une armée contre l’OTAN, bien au contraire ! Cela peut être une armée qui complétera l’OTAN de façon très utile, sans remettre ce lien en cause »;  Vladimir Poutine est finalement le seul à voir dans une « une armée européenne : un processus positif pour le renforcement du monde multipolaire ».

La roue de secours de l’OTAN ?


En réalité, les malentendus entre l’OTAN et les projets d’armée européenne ou d’Europe de la Défense ne datent pas d’aujourd’hui. Après deux guerres mondiales Britanniques et Français sont traumatisés par l’engagement tardif des Américains contre l’Allemagne. Dès le 5 mars 1946, dans un discours resté fameux à Fulton, Winston Churchill s’alarme du “rideau de fer descendu à travers le continent, de Stettin dans la Baltique à Trieste sur l’Adriatique.” Suivront en 1947, la doctrine Truman et le plan Marshall mais aussi le traité franco-britannique de Dunkerque, signé le 4 mars, dans une ville ô combien symbolique. Un an plus tard, à Bruxelles, le traité bilatéral franco-britannique s’élargit au Benelux. Son article 5 prévoit une assistance mutuelle en cas d’agression extérieure. L’Europe de la défense ne va toutefois durer qu’un an. En 1949, avec le traité de Washington, les dispositions du traité de Bruxelles sont vidées de leurs substances et mis en sommeil. Washington, qui planifie une guerre imminente contre l’URSS, au vu de ce qui se passe au même moment en Corée, prend directement les commandes. Bien loin d’être concurrents, les deux projets militaires, OTAN et Europe de la défense apparaissent dès l’origine complémentaires dans la mesure où la dernière sert de palliatif ou de plan B, pour encourager ou suppléer une puissance américaine parfois hésitante. En 1954, lorsque Jean Monnet échoue de peu à fonder la CED (communauté européenne de Défense), l’Union de l’Europe occidentale (UEO) réactive le traité de Bruxelles et puis sombre à nouveau dans l’oubli.

35 ans plus tard, la guerre froide s’achève sur une victoire de l’OTAN par abandon des soviétiques. La paix européenne présuppose la réintégration de la Russie dans le concert européen mais la chose est impensable pour Washington. Les structures otaniennes diminuent leur empreinte au sol mais s’élargissent vers l’est. Les Européens, et singulièrement la France, tentent dans le même temps une relance de l’Union de l’Europe Occidentale, “troisième pilier du traité de Maastricht”.


Dans les faits, malgré l’implosion yougoslave et l’intervention tardive des Etats-Unis (accords de Dayton puis occupation du Kosovo), les nations européennes se sont empressées d’ “engranger les dividendes de la paix“. Formule prononcée par Laurent Fabius dès le 10 juin 1990 et symptomatique d’une vision économique du monde. La plupart des armées européennes se contentent des missions dites de Petersberg, du nom de la déclaration de l’UEO, faite à l’hôtel éponyme sur les hauteurs de Bonn en 1992. Missions “civilo-militaires” de formation, de coopération ou d’interposition dont les contours politiques s’avèrent assez flous. Il faut “gagner la paix” et non plus “faire la guerre”. Il y a une “division du travail entre les États-Unis, qui “faisaient le dîner”, et les Européens, qui “faisaient la vaisselle” ironise Robert Kagan dans un article dePolicy Review publié en 2002 et destiné à préparer l’opinion à la guerre en IrakArticle qui sera à l’origine de son ouvrage majeur, La puissance et la faiblesse. Pour Kagan, l’Europe s’apparente à Vénus, déesse de l’amour, tandis que Mars, dieu de la guerre, inspire l’Amérique. Autrement dit, l’armée américaine détruit l’ennemi et les Européens réparent les dégâts.


La PESD (Politique Européenne de Sécurité et de Défense), héritière de l’UEO n’a jamais pu se substituer à l’armée américaine en Europe. Dans les accords de “Berlin +”, la condition pour que l’UE bénéficie des moyens de l’OTAN est que celle-ci ne soit pas engagée. La mission judiciaire et policière EULEX Kosovo n’a, par exemple, pas d’accord de partenariat avec la KFOR. Cet accord est aujourd’hui verrouillé par la Turquie qui fait payer aux Européens, via l’OTAN, sa non adhésion à l’UE.

L’Europe de la Défense portée disparue


Certes la France et le Royaume-Uni tentent de conserver une capacité de projection et d’intervention “en premier” sur un théâtre d’opération. Ce sont les deux “nations-cadres” qui peuvent encore agir en autonomie ou diriger une coalition. Pour le reste, c’est le désarmement général: les crédits de défense dépassent péniblement les 1% du PIB. Le nombre de soldats et de régiments est divisé par deux ou trois en 30 ans. Dans son discours sur “l’État de l’Union” du 14 septembre 2016, le luxembourgeois Jean-Claude Juncker a dévoilé un projet de “corps européen de solidarité” où les jeunes pourront servir les autorités nationales et locales mais aussi les ONG et les entreprises… Avec le Brexit, certains ont cru qu’il n’y avait plus d’obstacle à une Europe de la Défense. C’est méconnaître le tropisme atlantiste des pays d’Europe centrale, du nord et même du sud. Même la France a très tôt réaffirmé son étroite collaboration militaire avec le Royaume-Uni à l’occasion du sommet de Sandhurst en janvier 2018 et lors de l’exercice naval Griffin strike en Ecosse en octobre 2019. En théorie, la France a pu apparaître comme la dernière nation, avec peut-être la Belgique et le Luxembourg, à croire encore à l’Europe de la Défense. Mais en 2009, la France est rentrée dans le giron de l’OTAN et le fond européen de défense qu’elle a péniblement obtenu d’Angela Merkel pourra d’ailleurs servir à l’achat d’équipement militaire non-européen, signe de la dépendance américaine de l’Europe de la défense.

Les administrations américaines successives appellent de leur côté les nations européennes de l’OTAN à stopper l’hémorragie budgétaire. 70% de la défense européenne est en effet assurée par les États-Unis et les états-majors de l’OTAN sont pléthoriques. On comprend que Donald Trump ait menacé de se retirer pour obtenir une meilleure répartition financière. Mais cette confortable réticence européenne peut s’expliquer. D’une pierre deux coups; cet effort européen permet à l’armée américaine de financer son propre réarmement. Et l’Europe, en première ligne, sert de tête de pont à la défense américaine. La mise en place en Europe du bouclier antimissile face à la Russie coûte par exemple très cher et c’est l’industrie américaine (Raytheon) qui en bénéficie en très grande partie. Une base navale en Espagne, un centre de commandement en Allemagne et deux bases de lancements en Pologne et en Bulgarie, sans compter le coût du système d’arme. Voilà pourquoi, l’achat de système de défense anti-missile russe S-400 par la Turquie a suscité plus de colère et de frayeur à Washington que les protestations françaises face à l’intervention militaire de Erdogan en Libye et en Syrie.

*Hadrien Desuin, chercheur associé à GEOPRAGMA

vendredi, 12 juin 2020

La Chine affine son «Art de la guerre (hybride)»

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La Chine affine son «Art de la guerre (hybride)»

par Pepe Escobar

Ex: https://echelledejacob.blogspot.com

Le général chinois Qiao Liang affirme que « si nous devons danser avec les loups, nous ne devrions pas danser au rythme des États-Unis ».

En 1999, Qiao Liang, alors colonel chevronné de l’armée de l’air dans l’Armée de libération du peuple (APL), et Wang Xiangsui, un autre colonel émérite, ont provoqué un énorme tumulte avec la publication de Unrestricted Warfare : China’s Master Plan to Destroy America [La guerre totale : le plan stratégique de la Chine pour détruire l’Amérique].
 
Unrestricted Warfare était essentiellement le manuel de l’APL pour la guerre asymétrique : une mise au goût du jour de l’Art de la Guerre de Sun Tzu. Au moment de la publication initiale, alors que la Chine était encore loin de son influence géopolitique et géo-économique actuelle, le livre était conçu pour présenter une approche défensive, loin du sensationnaliste « détruire l’Amérique » ajouté au titre pour la publication américaine en 2004.

Le livre est maintenant disponible dans une nouvelle édition et Qiao Liang, en tant que général à la retraite et directeur du Conseil de Recherche sur la Sécurité Nationale, a refait surface dans une interview très révélatrice publiée à l’origine dans l’édition actuelle du magazine Zijing (Bauhinia), basé à Hong Kong.

Le général Qiao n’est pas un membre du Politburo habilité à dicter la politique officielle. Mais certains analystes, avec lesquels je me suis entretenu, s’accordent à dire que les points clés qu’il fait à titre personnel sont assez révélateurs de la pensée de l’APL. Passons en revue certains de ses points forts.

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Danser avec les loups

L’essentiel de son argumentation se concentre sur les lacunes de l’industrie manufacturière américaine : « Comment les États-Unis peuvent-ils aujourd’hui vouloir faire la guerre à la plus grande puissance manufacturière du monde alors que leur propre industrie est vidée de son contenu ? »

Un exemple, en référence au Covid-19, est la capacité de produire des respirateurs :

« Sur plus de 1 400 pièces nécessaires pour un respirateur, plus de 1 100 sont produites en Chine, y compris l’assemblage final. C’est le problème des États-Unis aujourd’hui. Ils disposent d’une technologie de pointe, mais pas des méthodes ni des capacités de production. Ils doivent donc s’appuyer sur la production chinoise ».

Le général Qiao rejette la possibilité que le Vietnam, les Philippines, le Bangladesh, l’Inde et d’autres nations asiatiques puissent remplacer la main-d’œuvre bon marché de la Chine :

« Réfléchissez : lequel de ces pays a le plus de travailleurs qualifiés que la Chine. Quelle quantité de ressources humaines, de moyen et haut niveau, a été produite en Chine au cours de ces 30 dernières années ? Quel pays forme plus de 100 millions d’étudiants aux niveaux secondaire et universitaire ? L’énergie de tous ces gens est encore loin d’être libérée pour le développement économique de la Chine ».

Il reconnaît que la puissance militaire américaine, même en période d’épidémie et de difficultés économiques, est toujours capable « d’interférer directement ou indirectement dans la question du détroit de Taïwan » et de trouver une excuse pour « bloquer et sanctionner la Chine et l’exclure de l’Occident ». Il ajoute qu’« en tant que pays producteur, nous ne pouvons toujours pas satisfaire notre industrie manufacturière avec nos propres ressources et compter sur nos propres marchés pour consommer nos produits ».

En conséquence, il affirme que c’est une « bonne chose » pour la Chine de s’engager dans la cause de la réunification [avec Taïwan], « mais c’est toujours une mauvaise chose si cela est fait au mauvais moment. Nous ne pouvons agir qu’au bon moment. Nous ne pouvons pas permettre à notre génération de commettre le péché d’interrompre le processus de renaissance de la nation chinoise ».

Le général Qiao affirme :

« Ne pensez pas que seule la souveraineté territoriale concerne les intérêts fondamentaux d’une nation. D’autres types de souveraineté – économique, financière, de défense, alimentaire, des ressources, biologique et culturelle – sont tous liés aux intérêts et à la survie des nations et sont des composantes de la souveraineté nationale ».

Pour stopper le mouvement d’indépendance de Taïwan, « en dehors de la guerre, d’autres options doivent être prises en considération. Nous pouvons réfléchir aux moyens d’agir dans l’immense zone grise entre la guerre et la paix, et nous pouvons même penser à des moyens plus particuliers, comme le lancement d’opérations militaires qui ne conduiront pas à la guerre, mais qui peuvent impliquer un usage modéré de la force ».

Dans une formulation illustrée, le général Qiao pense que « Si nous devons danser avec les loups, nous ne devrions pas danser au rythme des États-Unis. Nous devrions avoir notre propre rythme, et même essayer de casser leur rythme, pour minimiser leur influence. Si la puissance américaine brandit son bâton, c’est parce qu’elle est tombée dans un piège ».

En bref, pour le général Qiao,

« la Chine doit tout d’abord faire preuve de détermination stratégique pour résoudre la question de Taïwan, et ensuite de patience stratégique. Bien sûr, le postulat est que nous devons développer et maintenir notre force stratégique pour pouvoir résoudre la question de Taïwan par la force à tout moment ».

 
Les gants sont enlevés

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Comparons maintenant l’analyse du général Qiao avec le fait géopolitique et géo-économique désormais évident que Pékin répondra par la force des choses à toute tactique de guerre hybride déployée par le gouvernement américain. Les gants sont définitivement enlevés.

L’expression « gold standard » est apparue dans un éditorial sans retenue du Global Times:

« Nous devons être clairs sur le fait que la stratégie nationale de la Chine sera axée sur la lutte contre l’agression américaine. Nous devrions renforcer la coopération avec la plupart des pays. Les États-Unis sont censés contenir les lignes de front internationales de la Chine, et nous devons mettre fin à ce complot américain et faire de la rivalité entre la Chine et les États-Unis un processus d’auto-isolement américain ».

Un corollaire inévitable est que l’offensive tous azimuts visant à paralyser Huawei sera contrecarrée en proportion, en ciblant Apple, Qualcom, Cisco et Boeing, y compris « des enquêtes ou des suspensions de leur droit de faire des affaires en Chine ».

Ainsi, à toutes fins pratiques, Pékin a maintenant dévoilé publiquement sa stratégie pour contrecarrer les affirmations du Président américain Donald Trump du genre « Nous pourrions arrêter l’ensemble du business ».

Un mélange toxique de racisme et d’anticommunisme est responsable du sentiment anti-chinois prédominant aux États-Unis chez au moins 66% de l’ensemble de la population. Trump s’en est instinctivement emparé – et en a fait le thème de sa campagne de réélection, entièrement approuvé par Steve Bannon.

L’objectif stratégique est de s’attaquer à la Chine dans tous les domaines. L’objectif tactique est de forger un front anti-Chine à travers l’Occident : un autre exemple d’encerclement, de style guerre hybride, axé sur la guerre économique.

Cela impliquera une offensive concertée, en essayant de faire respecter les embargos et en essayant de bloquer les marchés régionaux aux entreprises chinoises. La guérilla juridique sera la norme. Même le gel des avoirs chinois aux États-Unis n’est plus une proposition farfelue.

Toutes les ramifications possibles des Nouvelles Routes de la Soie – sur le front énergétique, les ports, la Route de la Soie de la Santé, l’interconnexion numérique – seront stratégiquement ciblées. Ceux qui rêvaient que la Covid-19 pourrait être le prétexte idéal pour un nouveau Yalta – réunissant Trump, Xi et Poutine – peuvent reposer en paix.

L’« endiguement » sera mis à rude épreuve. L’amiral Philip Davidson, chef du Commandement indo-pacifique, en est un bon exemple : il demande 20 milliards de dollars pour un « cordon militaire robuste » allant de la Californie au Japon et le long du littoral du Pacifique, avec « des réseaux d’attaque de précision à haute capacité de survie » le long du littoral du Pacifique et des « rotations de forces interarmées basées sur le front » pour contrer la « nouvelle menace que fait peser la concurrence des grandes puissances ».

Davidson soutient que « sans une dissuasion conventionnelle valable et convaincante, la Chine et la Russie seront encouragées à agir dans la région pour supplanter les intérêts américains ».

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Regardez le Congrès du Peuple

Du point de vue de larges régions du Grand Sud, la tension actuelle, extrêmement dangereuse, ou nouvelle guerre froide, est le plus souvent interprétée comme la fin progressive de l’hégémonie de la coalition occidentale sur la planète entière.

Pourtant, l’hégémon demande encore à des dizaines de nations de se positionner à nouveau dans un impératif de guerre mondiale contre le terrorisme du type « Vous êtes avec nous ou contre nous ».

Lors de la session annuelle de l’Assemblée populaire nationale, qui débute ce vendredi, nous verrons comment la Chine va gérer sa priorité absolue : se réorganiser sur le plan intérieur après la pandémie.

Pour la première fois en 35 ans, Pékin sera contrainte de renoncer à ses objectifs de croissance économique. Cela signifie également que l’objectif de doubler le PIB et le revenu par habitant en 2020 par rapport à 2010 sera également reporté.

Ce à quoi nous devons nous attendre, c’est un contrôle absolu des dépenses intérieures – et de la stabilité sociale – plutôt qu’une lutte pour devenir un leader mondial, même si cela n’est pas totalement négligé.

Après tout, le président Xi Jinping a clairement indiqué en début de semaine que « le développement et la distribution d’un vaccin Covid-19 en Chine, lorsqu’il sera disponible », ne seront pas soumis à la logique des grandes entreprises pharmaceutiques, mais « deviendront un bien public mondial. Ce sera la contribution de la Chine pour assurer l’accessibilité et le caractère abordable du vaccin dans les pays en développement ». Le Grand Sud est attentif.

Sur le plan interne, Pékin renforcera le soutien aux entreprises publiques qui sont fortes en matière d’innovation et de prise de risque. La Chine déjoue toujours les prédictions des « experts » occidentaux. Par exemple, les exportations ont augmenté de 3,5 % en avril, alors que les experts prévoyaient une baisse de 15,7%. L’excédent commercial était de 45,3 milliards de dollars, alors que les experts prévoyaient seulement 6,3 milliards de dollars.

Pékin semble identifier clairement l’écart grandissant entre un Occident, en particulier les États-Unis, qui plonge de facto dans une Nouvelle Grande Dépression, et une Chine qui est sur le point de relancer sa croissance économique. Le centre de gravité de la puissance économique mondiale continue à se déplacer, inexorablement, vers l’Asie.

Une guerre hybride ? Allez-y.

Pepe Escobar

Traduit par Michel, relu par jj pour Le Saker Francophone

mercredi, 03 juin 2020

5G, nouveau terrain de la course aux armements

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5G, nouveau terrain de la course aux armements

 
 
Auteur : Manlio Dinucci
Ex: http://www.zejournal.mobi

À la base aérienne Nellis au Nevada -annonce le Pentagone- commencera en juillet la construction d’un réseau expérimental 5G, qui deviendra opérationnel en janvier 2021.

Dans cette base s’est déroulée en mars dernier la Red Flag, la plus importante manoeuvre aérienne des États-Unis, à laquelle ont participé des forces allemandes, espagnoles et italiennes. Ces dernières étaient composées aussi de chasseurs F-35 qui -communique l’Aéronautique militaire- ont été “intégrés aux meilleurs dispositifs de l’aviation militaire américaine” afin d’”exploiter au maximum les potentialités des aéronefs et des systèmes d’armes en dotation”, y compris à coup sûr les nucléaires. À la Red Flag de 2021 seront probablement déjà en fonction, pour être testés dans un environnement réel, des réseaux mobiles 5G formés de tours montables et démontables en moins d’une heure pour être rapidement transférés selon l’opération en cours.

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La base Nellis.

La base Nellis est la cinquième sélectionnée par le Pentagone pour expérimenter l’utilisation militaire de la 5G : les autres se trouvent dans l’Utah, en Georgie, en Californie et dans l’Etat de Washington.

Un document du Service de recherche du Congrès (National Security Implications of Fifth Génération 5G MobileTechnologies, 22 mai 2020) explique que cette technologie de cinquième génération de la transmission mobile de données peut avoir “de nombreuses applications militaires”. L’une d’elles concerne les “véhicules militaires autonomes”, c’est-à-dire les véhicules robotiques aériens, terrestres et navals en capacité d’effectuer de façon autonome les missions d’attaque sans même être pilotés à distance. Ceci requiert le stockage et l’élaboration d’une énorme quantité de données qui ne peuvent pas être effectuées uniquement à bord du véhicule autonome. La 5G permettra à ce type de véhicule d’utiliser un système extérieur de stockage et élaboration de données, analogue à l’actuel Cloud pour le stockage personnel de dossiers. Ce système peut rendre possibles de “nouveaux concepts opérationnels militaires”, tel celui de l’”essaim” dans lequel chaque véhicule se relie automatiquement aux autres pour effectuer la mission (par exemple d’attaque aérienne d’une ville ou attaque navale d’un port ).

La 5G permettra de rendre plus puissant tout le système de commandement et contrôle des forces armées étasuniennes à une échelle mondiale : actuellement -explique le document- il utilise les communications par satellite mais, à cause de la distance, le signal prend un certain temps pour arriver, provoquant des retards dans l’exécution des opérations militaires. Ces retards seront pratiquement éliminés par la 5G. Celle-ci aura un rôle déterminant notamment dans l’utilisation des armes hypersoniques qui, dotées aussi de têtes nucléaires, circulent à une vitesse supérieure à 10 fois celle du son.

La 5G sera aussi extrêmement importante pour les services secrets, rendant possibles des systèmes de contrôle et d’espionnage beaucoup plus efficaces que les actuels. “La 5G est vitale pour conserver les avantages militaires et économiques de l’Amérique”, souligne le Pentagone.

Particulièrement avantageux est le fait que “la technologie émergente 5G, commercialement disponible, offre au Département de la Défense l’opportunité de bénéficier à moindres coûts de ce sytème pour ses propres exigences opérationnelles”. En d’autres termes le réseau commercial de la 5G, réalisé par des sociétés privées, se trouve utilisé par les forces armées étasuniennes avec une dépense beaucoup plus basse que celle qui serait nécessaire si le réseau était réalisé uniquement à des fins militaires. Ceci se passe aussi dans d’autres pays.

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On comprend donc que le contentieux sur la 5G, en particulier entre États-Unis et Chine, ne fait pas partie de la seule guerre commerciale. La 5G crée un nouveau terrain de la course aux armements, qui se déroule moins sur le plan quantitatif que qualitatif. Ceci n’est pas abordé par les médias et largement ignoré même par les critiques de cette technologie, qui concentrent leur attention sur les possibles effets nocifs pour la santé. Engagement certes de grande importance, mais qu’il faut unir à celui s’opposant à l’utilisation militaire de cette technologie, financée à leur insu par les utilisateurs ordinaires des téléphones portables de cinquième génération.

Traduit par Marie-Ange Patrizio

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jeudi, 21 mai 2020

La guerre sociétale

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La guerre sociétale

Introduction de Nicolas Zubinski

Ex: https://infoguerre.fr

La guerre sociétale se démarque par une conflictualité diffuse et subversive, à la temporalité singulière, et relevant davantage d’approches sociologiques. Ce faisant, les approches classiques du renseignement et de la contre-ingérence ne parviennent qu’imparfaitement à déceler le potentiel déstabilisateur de ce type d’attaque. La nature des mécanismes de modélisation sociétale s’inscrit davantage dans la lignée des relations publiques, de la communication stratégique et du market shaping. Les opérations militaires contemporaines gagneraient à intégrer davantage cet héritage civil.

Ainsi la guerre sociétale risque d’être un mode de conflictualité de plus en plus sollicité, que cela soit par des services clandestins, des groupuscules politiques, des communautés radicalisées ou des entreprises. Pour prémunir la société d’une altération manipulée de son pacte social, il est nécessaire de procéder à l’édification d’une résilience informationnelle à l’échelle sociétale.

L’article décrit les leviers contemporains de re-modélisation et de déstabilisation sociétale induits par les opérations de guerre de l’information et de guerre politique. Les mécanismes décrits reposent en grande partie sur les méthodologies mises en œuvre, d’une part, pour des opérations militaires d’influence et, d’autre part, pour des opérations de désinformation ayant ciblé les systèmes électoraux ces dernières années.

Il dépeint des mécanismes propres aux opérations psychologiques, aux actions numériques, au ciblage psycho-cognitif et socio-économique des individus, ainsi que des méthodes de délégitimation des institutions et de radicalisation des acteurs. En mettant en perspective ces vecteurs de déstabilisation avec les doctrines russes et américaines de l’influence, civile ou militaire, l’analyse conclut à l’existence d’un nouveau type de conflictualité de basse intensité : la guerre sociétale. La spécificité de la guerre sociétale ne réside pas dans les moyens mobilisés, mais davantage dans les mécanismes des conflictualités utilisés pour et par la déstabilisation de l’échiquier sociétal.

L’article propose dans sa dernière partie les recommandations suivantes : un renforcement de la spécialité « influence » dans l’écosystème français du renseignement et de la contre-ingérence (3.1), une adaptation de l’éducation civique aux nouveaux enjeux de citoyenneté (3.2), et un développement des capacités de résilience sociétale des entreprises (3.3).

Nicolas Zubinski

Lire le PDF :

ConceptGuerreSociétale

dimanche, 17 mai 2020

Le SCAF prend forme

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Le SCAF prend forme

par Jean-Paul Baquiast

Ex: http://www.europesolidaire.eu

Ceux qui se demandaient si l'Allemagne allait pouvoir s'affranchir de la tutelle militaire américaine en se débarrassant des engins nucléaires américains stockés sur son territoire pourraient peut-être commencer à se rassurer en constatant un engagement accru de Berlin dans le SCAF ou Système de Contrôle Aérien du Futur, considéré comme l'emblème de la coopération militaire entre la France, l'Allemagne et l'Italie.

L'élément central du SCAF sera un avion de combat de nouvelle génération (NGF – New Generation Fighter), dont la mise au point a été confiée en principe à Dassault Aviation. Cet appareil sera au centre d'un « système de systèmes », c'est à dire une mise en réseau de plusieurs types d'engins aériens ou spatiaux en réseau tels que drones, satellites, avions, intercepteurs connectés dans le cadre d'un « Air Combat Cloud », qui fusionnera les données en temps réel et pourra en faire des synthèses.

Ceci supposera le recours à l'intelligence artificielle, aux big data, aux interfaces homme-machine supposant notamment par l'intermédiaire de capteurs portables par le pilote la relation en temps réel avec celui-ci avec l'arme. Certains avaient même envisagé de mettre en place des implants au moins temporaires dans le corps du pilote. Mais l'idée a jusqu'à ce jour été refusée car considérée comme « non éthique ». C'est le moins que l'on pourrait en dire.

En attendant, la réflexion sur les implications humaines de ce projet vient d'être lancée en Allemagne, sous l'égide d'Airbus et de l'institut de recherche en sciences appliquées « Fraunhofer-Gesellschaft », via un groupe d'experts présentés comme « indépendants». Ils réfléchiront à « l'utilisation responsable des nouvelles technologies en matière d'armements tels que le SCAF ». Airbus a indiqué que leurs travaux seront consultables sur le site  FCAS Forum actuellement non disponible en français. 

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Rappelons qu'Airbus civil est déjà, à la suite d'abandons français successif, une société principalement allemande. Il en est de même de Airbus military, où la présence allemande est prépondérante, avec une large participations de conseillers militaires américains. On peut en conséquence s'interroger sur le rôle que jouera Dassault Aviation dans le programme SCAF.

lundi, 11 mai 2020

Comment devenir un Mentat

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Comment devenir un Mentat

par Michel Goya

Ex: https://lavoiedelepee.blogspot.com

9200000021166011.jpgDans l’univers de Dune, les Mentats sont des maîtres dans l’emploi de tous les moyens, généralement violents, pour atteindre un but stratégique face à des adversaires souvent très ressemblants. Ce sont les équivalents imaginaires des plus grands capitaines des siècles passés comme des actuels Grands maîtres internationaux (GMI) d’échecs ou des 9e dan de go. Par extension, on baptisera Mentat les super-tacticiens de classe internationale. En devenir un n’est pas chose aisée.

Un super-tacticien est-t-il intelligent ?

En première hypothèse, on pourrait imaginer que les Mentats bénéficient d’un quotient d’intelligence très supérieur à la moyenne, en entendant le QI comme la mesure de la capacité à utiliser la mémoire de travail [MT] pour résoudre des problèmes combinatoires. Cette hypothèse n’est en fait que très imparfaitement confirmée. Les différentes études réalisées sur les joueurs d’échecs n’établissent pas de corrélation nette entre le QI et le niveau d’expertise aux échecs. Certaines tendant même à démontrer une corrélation négative chez les débutants, les plus intelligents ayant tendance à moins s’entraîner que les autres. Ce n’est qu’au niveau Elo (du nom d’Apard Elo) le plus élevé qu’un lien semble être établi, mais sans que l’on sache trop si les capacités combinatoires sont indispensables pour atteindre ce niveau… ou si c’est la pratique assidue des échecs qui a développé ces capacités. En réalité, les deux facteurs, intelligence et niveau d’expertise, ne sont tout simplement pas indépendants l’un de l’autre.

Toujours d’un point de vue cognitif, on sait  depuis les années 1960 que les experts aux jeux d’échecs ou de go ne se distinguent pas des novices par une capacité à calculer de nombreux coups à l’avance, mais à organiser leurs connaissances pour analyser une configuration donnée et orienter la réflexion vers les meilleurs coups à jouer. En 1973, Wester Chase et Herbert Simon ont demandé à des joueurs d’échecs de niveau différents de regarder pendant 5 secondes des photos de configurations échiquéennes et de les restituer ensuite. Les configurations présentées étaient soit parfaitement aléatoires, les pièces étant placées au hasard, soit tirées de parties réelles. Dans le premier cas, on ne constata pas de différences notables dans les restitutions des différents joueurs. Novices, joueur de club et maîtres disposaient en moyenne correctement 4 pièces de l’échiquier, ce qui correspond sensiblement à la capacité de la mémoire de travail (manipulation maximum de sept objets). Dans le second cas en revanche, les novices placèrent toujours en moyenne 4 pièces, les joueurs de club 8 et le maître 16. L’apparition de « sens » dans ces configurations réelles transformait la vision des maîtres qui ne considéraient plus des pièces, mais des groupes de 2 à 5 pièces liées entre elles par des relations nécessaires, et baptisés chunks. C’est toute la différence entre mémoriser et restituer 32 chiffres aléatoires et 4 numéros de téléphone connus et étiquetés.

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Reconnaître des chunks implique donc évidemment de les avoir parfaitement mémorisés auparavant. Le problème est que ceux-ci peuvent être incroyablement nombreux. Selon une autre étude de Simon, on ne peut prétendre à être grand maître d’échecs sans en connaître au moins 50 000. Ces chunks assimilés presque toujours grâce à de parties vécues ou apprises sont également le plus souvent organisés en réseaux statiques ou en enchaînements. L’art du maître d’échecs consiste donc surtout dans l’appel judicieux à des enchaînements qui ressemblent à la situation à laquelle on fait face et à leur adaptation intelligente. Sous contrainte de temps, cette heuristique tactique combine un processus inconscient de recherche dans la mémoire profonde et un processus conscient d’analyse. Le processus inconscient lui-même s’accélère avec l’habitude et, de manière plus subtile, le succès. On sait, en effet depuis les travaux d’Antonio Damasio, que tous les souvenirs ont un marquant émotionnel (en fait chimique). Les souvenirs avec reçu un marquant de plaisir viennent plus facilement à la surface que les négatifs, qui, eux, ont tendance à être refoulés. Le succès est un soutien à la mémoire et donc au succès.

Au bilan, sur une partie d’échecs moyenne où chaque joueur joue environ 40 coups, il prend au maximum une dizaine de vraies décisions. Cela correspond sensiblement aux décisions d’un général dans une journée de bataille, en fonction de la souplesse de son armée, du chef antique qui prenait rarement plus de deux décisions (jusqu’à quatre pour Alexandre le Grand, un des premiers grands Mentats) jusqu’aux commandants de grandes unités blindées modernes qui ont pu aller jusqu’à 6 ou 7. Un processus de décision similaire a d’ailleurs été observé dans un très grand nombre de domaines tels que le sport, la musique, l’expertise médicale.

En soutien de la mémoire de travail, il faut donc aussi faire intervenir la mémoire et le travail, beaucoup de travail.

9200000059272012.jpgLa gloire se donne au bout de 10 000 heures de travail

Dans une étude d’Anders Ericsson sur les élèves de la prestigieuse Académie de musique Hanns Eisler de Berlin, trois groupes de musiciens ont été distingués en fonction de leur niveau. Ericsson calcula que les membres du groupe d’élite avaient une moyenne de 10 000 heures de pratique, le second groupe 8 000 et la 3e, 4 000, avec pour chaque groupe des écarts-types assez réduits. Selon Ericsson qui appliqua ces résultats à plusieurs autres disciplines, il faut dix ans de travail quotidien pour devenir un expert. Pour être un expert international, il en faut certainement plus. En analysant, la carrière de 40 grands maîtres internationaux d’échecs, Nikolai Grotius a montré en 1976 qu’il leur avait fallu en moyenne 14 années pour atteindre ce niveau, avec un écart de 4 ans. Quand on demande à Gary Kasparov, un des six hommes ayant (depuis 1970) atteint ou dépassé le seuil des 2 800 points Elo, comment il était devenu champion du monde, il répond habituellement qu’il lui a fallu apprendre 8 000 parties par cœur. Il lui aura fallu dix ans depuis sa première inscription dans un club pour devenir GMI et quinze pour être champion du monde.

L’énorme investissement nécessaire pour parvenir d’expert de classe internationale pose évidemment un certain nombre de problèmes. Bien souvent, il impose de commencer dès l’enfance, ce qui implique un environnement favorable. Si Mozart était né dans une famille de paysans, il n’y aurait jamais eu de Don Giovanni. Comme Jean-Sébastien Bach, il est né dans une famille de musiciens et a largement bénéficié de l’aide de son père. Léopold Mozart a rapidement décelé les dons de son fils, l’a mis en présence de plusieurs instruments et l’a aidé à composer dès l’âge de six ans. Pour autant, la première œuvre personnelle qui soit considérée comme un chef-d’œuvre (numéro 9, K.271) n’a été réalisée qu’à 21 ans, dix ans après son premier concerto.

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Jusqu’à l’ère des révolutions, la grande majorité des Mentats est issue d’un processus de formation familiale aristocratique. Outre son éducation intellectuelle  et physique très militarisée, le jeune Alexandre suit son père dans ses campagnes en Grèce et, à 17 ans, commande sa cavalerie à Chéronée. Il obtient son chef-d’œuvre contre Darius III à Gaugamèles en -331, à seulement 25 ans, mais aussi après un long apprentissage.

Les Mentats de l’époque classique apprennent très tôt la chose militaire et avec, pour la seule armée française, 174 batailles livrées pendant la période, trouvent toujours une occasion de s’illustrer. Turenne est envoyé à 14 ans et sur sa demande aux Pays-Bas pour y voir ce qui se fait de mieux alors en matière d’art militaire. Il reçoit un premier commandement à l’âge de 15 ans, mais ne dirige vraiment seul sa première bataille que dix ans plus tard. Il reçoit la distinction de Maréchal de France à 33 ans avec encore trente ans de service devant lui. À 13 ans, Maurice de Saxe a déjà un précepteur militaire particulier et arpente son premier champ de bataille. Il reçoit le commandement d’un régiment à l’âge de 15 ans et se bat pour la première fois l’année suivante. Il va connaître la guerre pendant encore pendant 36 années.

Ce mélange de talents, de chance, d’investissement personnel, d’environnement favorable et de multiples combats permet, malgré la faiblesse numérique de la population de recrutement, de former de nombreux Mentats au service, parfois changeant, des Princes. Dans un contexte très proche de celui de l’univers de Dune, l’époque classique sécrète aussi de grands diplomates qui peuvent être classés comme Mentats. Certains même cumulent les rôles comme le Maréchal de Villars. Il existe aussi des souverains Mentats comme Gustave-Adolphe Ier ou Frédéric II.

Le contrepoint de ce processus familial et monopolistique d’apprentissage est qu’il n’incite pas à mettre en place un système institutionnel de formation qui serait concurrent et pourrait s’ouvrir à d’autres classes. Les écoles militaires sont de fait plutôt réservées à la petite noblesse avec normalement peu de perspectives d’atteindre les plus hautes fonctions. Napoléon et beaucoup de ses maréchaux en sont issus.

247px-1801_Antoine-Jean_Gros_-_Bonaparte_on_the_Bridge_at_Arcole.jpgVainqueur de 32 batailles, capable de dicter simultanément à 4 secrétaires sur 4 sujets différents et dont l’abbé Sieyes disait : «il sait tout, il fait tout, il peut tout», Napoléon a dix ans lorsqu’il entre à l’école militaire de Brienne et seize à l’École des cadets de l’École militaire. Il ne s’y distingue pas par ses résultats  scolaires. Il est même plutôt médiocre, sauf en mathématiques, et on peut même estimer que vivant aujourd’hui, il n’aurait pas réussi le concours de Saint-Cyr. En revanche, c’est un énorme lecteur qui dévore tout ce qui a trait à la guerre dans la bibliothèque de l’école. Lorsqu’il connaît sa première gloire au siège de Toulon, en 1793 à l’âge de 24 ans, Napoléon connaît par cœur presque toutes les batailles de son temps. Celui qui disait que « l’inspiration n’est le plus souvent qu’une réminiscence », continue par la suite à accumuler les « chunks » en lisant et en pratiquant, le plus souvent, seul, la simulation tactique à l’aide d’armées de plomb. Toutes choses égales par ailleurs, la bibliothèque de Brienne a changé le monde.

Il est vrai aussi que cette même bibliothèque était ouverte à tous les autres élèves de l’école et que Napoléon est sans doute le seul qui y courait à chaque récréation. Comme le dira de Gaulle «la gloire se donne seulement à ceux qui l’on rêvé» et acceptent d’y consacrer au moins 10 000 heures.

Peut-on être toujours habile face au changement permanent ?

Avec ses 225 batailles françaises, la période de la révolution et l’Empire marque la fin d’un âge d’or des Mentats. La période qui suit est en effet moins favorable aux super-tacticiens.

Contrairement au jeu d’échecs dont les règles et le matériel ne changent pas, l’art de la guerre est, comme la médecine, une discipline dont les paramètres évoluent. Jusqu’aux révolutions politiques et économiques des XVIIIe et XIXe, ces paramètres évoluaient peu. On pouvait faire une carrière militaire complète avec les mêmes hommes, les mêmes armes et sensiblement les mêmes méthodes. À partir de cette époque, les sociétés, et donc les armées, se transforment à une vitesse inédite et perceptible. À partir de 1861, l’armée française change de règlement de manœuvre tous les douze ans en moyenne afin de tenter de rester adaptée aux évolutions multiples du temps. Désormais, les soldats ne font plus la guerre qu’ils jouaient lorsqu’ils étaient enfants et désormais ils devront se remettre en cause régulièrement, source de troubles et de tensions. Dans une époque qui détourne son regard du passé pour considérer le progrès et l’avenir, la lente maturation d’un apprentissage fondée dès l’enfance sur l’étude des classiques se trouve prise en défaut.

Partant de la nécessité politique et sociale de l’ouverture des carrières selon des principes d’égalité, mais aussi du postulat que les capacités à commander ne sont pas innées, mais acquises, les futurs Mentats sont progressivement presque tous recrutés sur concours. Le problème, en France particulièrement, est que ces épreuves ne servent qu’à juger de connaissances scolaires, comme si on sélectionnait les futurs champions d’échecs, voire des sportifs de haut niveau, à l’âge de 20 ans sur des épreuves de français ou de mathématiques. Cela importe peu dans l’esprit scientiste de l’époque.  La maîtrise des « lois » de la guerre, en fait des principes tactiques relativement évidents, et de méthodes de raisonnement tactique rigoureuses, doit permettre de résoudre tous les problèmes tactiques.

Il est vrai qu’avec des armées de plus en plus importantes en volume, avec une puissance de feu qui s’accroît sans cesse pour une mobilité tactique inchangée, les batailles ont tendance à se dilater dans l’espace et le temps. Les fronts évoluent sur des centaines de kilomètres, mais se rigidifient à chaque point de contact. La violence des combats impose une dispersion des forces et donc une décentralisation croissante. La capacité à raisonner une manœuvre descend progressivement du chef de bataillon en 1871 au sergent-chef de groupe en 1917. À l’autre bout de l’échelle, l’analyse rigoureuse des événements et la gestion de ces forces énormes imposent au sommet la création de machines pensantes appelées États-majors et d’une technocratie militaire.

280px-Louis_de_Grandmaison.pngLe processus institutionnel s’efforce de s’adapter à cette complexité croissante. Dans l’entre deux guerres 1871 -1914, à l’imitation des Prussiens, la France ajoute des étages (École supérieure de guerre puis Centre des hautes militaires) aux écoles initiales à son système de sélection et de formation. Un officier peut passer sept ou huit ans en école de formation. Cela n’empêche par le colonel de Grandmaison dans ses fameuses conférences de 1911 d’oublier complètement des choses comme les engins motorisés volants et terrestres ou les nouvelles technologies de l’information, éléments qui se sont développés dans les armées lorsqu’il était à l’École supérieure de guerre et à l’État-major de l’armée et qu’il ne connaît pas. Cela n’empêche pas non plus 40 % des généraux de 1914, dont les trois-quarts de commandants de corps d’armée, d’être limogés pour inaptitude manifeste. L’enseignement militaire de l’époque, même s’il hésite en permanence entre former des officiers d’état-major et des décideurs, a pourtant bien pris en compte la nécessité d’un apprentissage tactique en profondeur. Jamais les officiers ne autant fait d’exercices sur cartes ou sur le terrain que pendant cette période, mais cette spécialisation s’avère finalement néfaste à partir d’un certain seuil, car elle empêche de voir tout ce qui bouge autour de sa discipline et qui va avoir une influence sur elle. C’est ainsi qu’à force d’accumuler les connaissances sur un sujet donné nous devenons ignares (texte mentat, Dune) ou au moins peu adaptatifs.

Il suffit alors de quelques mois de la Grande Guerre pour rendre obsolètes toutes ces années d’enseignement tactique. On découvre alors que l’on a besoin d’officiers supérieurs qui soient capables de comprendre les évolutions de leur temps. La manœuvre n’est plus simplement la manipulation de pions tactiques sur un champ de bataille, c’est aussi la capacité à adapter ces mêmes pions à des contextes changeants, qu’il s’agisse des innovations autour de soi ou de la projection dans des milieux étrangers. Gallieni et Lyautey auraient pu montrer la voie avec leurs campagnes coloniales très éloignées de la manière « métropolitaine », mais celles-ci sont méprisées par les puristes. Le général Bonnal se moque des «opérations du fameux Balmaceda ou la retraite de Bang-Bo», tout en enseignant à l’École de guerre des « principes » qui vont s’avérer inefficaces et meurtriers. Pétain avait également une vue assez juste des évolutions de la guerre en Europe avant 1914  et c’est incontestablement celui qui s’y est le mieux adapté après. Il ne commande pourtant qu’une modeste brigade (et par intérim) et s’apprête à partir la retraite au moment où débute le conflit. La suite du XXe siècle consacre la revanche des hommes cultivés et imaginatifs sur les technocrates militaires.

Mentats et technocratie 

Le blocage de la Première Guerre mondiale est dépassé de deux manières qui constituent autant d’axes pour le renouveau de la manœuvre et donc de la tactique. Le premier axe concerne l’infanterie qui retrouve de la souplesse avec des méthodes de commandement décentralisées et de la puissance de feu portative. Cette voie est celle des Allemands, dont les divisions d’assaut de 1918 vont dix fois plus vite que les unités de 1916. Le deuxième est l’art opératif, qui est essentiellement français et s’appuie, entre autres, sur les premières unités motorisées. Celles-ci permettent de se déplacer plus rapidement d’un point à l’autre du front, et donc d’avoir une manœuvre à cette échelle, mais ne modifient guère le combat débarqué.

Wolfgang_Willrich_-_Porträt_Erwin_Rommel,_1941.jpgLes unités allemandes sont par la suite « dopées » par la généralisation d’engins de combat à moteur et de moyens de transmissions « légers ». Les divisions d’assaut deviennent des panzerdivisions commandées par les héros de 1918 alors que l’art opératif français étouffe plutôt la recherche d’une excellence tactique. De Rommel à Sharon en passant par O’Connor et Leclerc pour les plus connus, on voit donc ainsi apparaître pendant un peu plus d’une trentaine d’années une nouvelle génération de super-tacticiens capables d’obtenir à nouveau des victoires spectaculaires, voire décisives. Le développement de parades antichars et l’intégration des unités motorisées redonnent aussi du lustre aux opératifs comme Patton, Slim, Mac Arthur ou, à une autre échelle, Joukov.

En parallèle de ces nouveaux hussards, la voie de la manœuvre de l’infanterie légère perdure avec les armées communistes asiatiques de Chu Teh, Lin Piao ou Giap. En terrain difficile, en Corée ou au Tonkin, ces fantassins l’emportent même à plusieurs reprises sur les « hussards » motorisés. En réponse, le Royaume-Uni et surtout la France développent à leur tour une manœuvre de l’infanterie légère, avec des maîtres comme Bigeard. On notera que beaucoup de ces nouveaux Mentats ne sont pas issus du processus institutionnel, mais sont des amateurs mobilisés ou volontaires qui se révèlent et apprennent autant au combat qu’au-dehors.

L’apparition des « atomiques » perturbe ce renouveau des Mentats. Malgré les réflexions sur le « champ de bataille atomique », il faut se rendre à l’évidence que cette arme est trop écrasante pour permettre une manœuvre cohérente. Elle est même confisquée par la politique aux militaires et paralyse pour un temps l’idée d’un affrontement en Europe semblable à celui de la Seconde Guerre mondiale. Cette transformation est particulièrement flagrante en France où le corps blindé-mécanisé est adossé dans une position sacrificielle et où notion de victoire tactique s’efface au profit de celle de dissuasion. Même lorsque Soviétiques et Américains renouvellent brillamment leurs doctrines tactiques dans les années 1970-80 pour envisager à nouveau le combat conventionnel, l’armée française refuse de s’y intéresser, tout en menant il est vrai de nombreuses, mais petites interventions  en Afrique.

La fin de la guerre froide laisse les armées occidentales dans une position de force relative qu’elle n’avait plus depuis le début de la Première Guerre mondiale. Si les États-Unis en profitent pour asseoir leur puissance, l’Union européenne saisit l’occasion pour désarmer à grande vitesse et satisfaire son désir d’impuissance. Entre les deux, l’armée française balance. Lorsque l’anesthésie domine, elle est engagée dans des opérations de maintien de la paix où il n’est nul besoin de tacticiens puisqu’il n’y a pas d’ennemi, avec les résultats que l’on sait. Lorsqu’il faut suivre les Américains, on revient à une conception plus classique de la force, mais soit dans un cadre dissymétrique, comme face à l’Irak, la Serbie ou la Libye de Kadhafi, où il s’agit plus de gérer sa supériorité de moyens que de conduire des manœuvres habiles, soit dans un cadre symétrique, comme en Afghanistan où on retrouve la nécessité d’une vision élargie des situations. Si certains officiers se distinguent à cette occasion, la structure fragmentée des opérations leur interdit pratiquement de renouveler les expériences victorieuses. Le chef actuel doit réussir du premier coup et au moindre coût. Il est difficile dans ces conditions de former des Mentats audacieux et riches d’expérience (ce qui revient un peu au même) et la tentation est très forte de les remplacer par un pilotage très étroit depuis Paris, comme si des membres de plus en plus petits impliquaient un cerveau de plus en plus gros. Il est à craindre que le dernier Mentat français s’appelle Centre de planification et de conduite opérationnelle (CPCO).

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00:45 Publié dans Défense, Militaria | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : mentat, défense, militaria, stratégie, art militaire | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

vendredi, 01 mai 2020

Un futur char de combat allemand-français?

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Un futur char de combat allemand-français?

par Jean-Paul Baquiast

Ex: http://www.europesolidaire.eu

L'Allemagne et la France ont signé deux accords pour lancer le développement en commun d'un nouveau char de combat, dit système de combat terrestre (Main Ground Combat System) destiné à remplacer dans les années 2030 les chars Leopard 2 allemands et Leclerc français.

Le projet sera conduit sous un leadership allemand. Il associera comme partenaires principaux les trois entreprises Rheinmetall, KMW et Nexter qui formeront une coentreprise. Rappelons que Nexter S.A. est un groupe industriel de l'armement appartenant à l'État français. Il fabrique du matériel militaire pour le combat terrestre, aéroterrestre, aéronaval et naval. Il est issu de différentes entités du groupe GIAT industries qui en devient la holding de tête.

Le ministère de la Défense allemand vient d'annoncer mardi la signature de deux accords par les deux partenaires : un accord-cadre (framework agreement) suivi d'un accord de mise en œuvre (implementing agreement). Ce dernier permettra de passer un contrat pour une étude de définition de l'architecture du futur système. Cette commande est un préalable au développement de démonstrateurs technologiques, qui serviront à évaluer le MGCS, selon les besoins et exigences allemandes et françaises,

Les coûts de développements encore mal précisés sont estimés aujourd'hui à un minimum de 1,5 milliard d'euros pour parvenir aux phases de réalisation et d'industrialisation à partir de 2028. Ceci ne comprend évidemment pas les coûts de fabrication. 

Le marché européen potentiel serait de 100 Milliards d'euro. Les industriels visent également de nombreuses commandes à l'exportation. L'enjeu est donc majeur pour eux. Le MGCS servira aussi de plate forme pour divers types d'engins blindés plus polyvalents. Il s'agit du concept dit multi-plateformes associant des systèmes sous pilotage humain et d'autres complètement automatisés.

Du côté allemand, on considère que ce programme devrait compenser l'appel de l'Allemagne au F-18 américain pour renouveler sa flotte de Tornado, au lieu de s'adresser au français Dassault qui pouvait fournir des Rafales de nouvelle génération considérés comme bien plus performants.

Est-ce à dire que le projet d'une Défense européenne franco-allemande qui échapperait au contrôle du Pentagone pourrait ainsi se préciser ? Paris l'espère mais Berlin, malgré l'accord de principe donné sur ce sujet par la chancelière Merkel à Emmanuel Macron, reste, semble-t-il encore, très réticent.

Note 

En attendant 2040 et l'entrée en service de MGCS, KMW et Nexter (KNDS) continuent de préparer l'European Main Battle Tank (EMBT), résultant de l'union entre un Leclerc et un Leopard 2 dévoilé en juin 2018 lors du dernier salon Eurosatory. A compter de 2025, l'EMBT pourrait devenir une solution intermédiaire pour les pays dont le remplacement des flottes ne pourra pas attendre vingt années de plus ou dont le budget s'avérerait trop serré pour acquérir le MGCS.

vendredi, 13 mars 2020

Origine américaine du COVID-19?

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Origine américaine du COVID-19?

par Jean-Paul Baquiast

Ex: http://www.europesolidaire.eu

Le CDC, Center for Desease Control and Prevention CDC (/www.cdc.gov/) est un organisme américain ayant pour mission de combattre les risques sanitaires et de santé.

Il rassemble des professionnels de santé se voulant indépendants des Pouvoirs Publics. Il est donc possible de prendre très au sérieux ses décisions.

Or l'on vient d'apprendre que le CDC avait précédemment demandé - sans succès - la fermeture du laboratoire américain pour la guerre biologique de Fort Detrick parce qu'il avait appris qu'entre 2005 et 2012 les Etats-Unis y avaient expérimenté plus de 1.000 souches de pathogènes dérobées ou s'étant échappé de divers laboratoires américains se consacrant aux recherches biologiques.

De plus en plus de biologistes américain estiment que la souche mère du coronavirus faussement attribué à des animaux vivants se trouvant sur le marché de Wu Hang, en Chine provient en réalité de Fort Detrick. Le coronavirus COVID-19 infectant aujourd'hui la planète ne serait qu'un des variants de cette souche-mère. 

Il n'existe aucune possibilité de prouver que celui-ci a été introduit en Chine par des agents du Pentagone afin de la paralyser dans le cadre d'une guerre biologique. Ceci d'autant plus que ce type de guerre se retourne nécessairement contre ceux qui la déclenchent. Par contre il paraît très vraisemblable que le COVID-10 provienne de Fort Detrick.

Pour en savoir plus:

https://www.globalresearch.ca/china-coronavirus-shocking-update/5705196

https://www.globalresearch.ca/covid-19-further-evidence-v...

Rappelons que Globaleresearch est un organisme canadien rassemblant de nombreux chercheurs de tous pays, dans le but de faciliter la communication scientifique au plan international

 

mercredi, 11 mars 2020

Cyber-guerre/Souveraineté nationale : Arrogance, trahisons et résistance…

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Cyber-guerre/Souveraineté nationale: Arrogance, trahisons et résistance…

 
 
par Richard Labévière 
Ex: http://www.zejournal.mobi

A en croire certains journalistes pressés et analystes aux idées tranchées, la Russie serait aujourd’hui notre principale menace numérique. Ses « hackeurs1 » seraient en capacité de cibler – quotidiennement – nos entreprises les plus performantes, nos administrations les plus sensibles, nos secrets les mieux gardés, alors que nous serions pratiquement désarmés, incapables de nous protéger, sinon de riposter. Récurrentes, depuis que Vladimir Poutine a remis son pays sur les rails d’une politique de puissance, ces assertions réactivent toutes les raisons de détester la Russie2.

Ressurgissent les poncifs de la Guerre froide, mâtinés de cet anticommunisme qui s’enracine dans la Révolution d’octobre de 1917 ; du Communisme de guerre à la crise des missiles de Cuba (1962)3 jusqu’à la chute du Mur de Berlin en 19894 et après…

Récurrente, cette figure de l’idéologie dominante marche sur trois jambes : 1) une appartenance au « monde libre », qui aurait définitivement affirmé sa supériorité avec l’effondrement du Bloc de l’Est ; 2) une suprématie économique, qui repose sur les mécanismes du libéralisme, néo-libéralisme et ultra-libéralisme imposés par les Etats-Unis et la Grande Bretagne ; 3) enfin, un racisme profond, dont on retrouve quelques racines, notamment dans Mein Kampf, qui assimilait les peuples slaves à des « sous-races incultes descendant des Tatar-Mongols, acquis à la juiverie bolchevique… ».

Ce type de figure « essentialiste » vide la réalité de toute dimension historique pour la transformer en une « essence », autrement dit une « nature » quasiment géologique, résultant davantage du « bon sens populaire » et de ses « mythes » que de toute espèce d’approche scientifique : « la privation d’histoire : le mythe prive l’objet dont il parle de toute Histoire. En lui, l’histoire s’évapore. C’est une sorte de domestique idéal : il apprête, apporte, dispose, le maître arrive, disparaît silencieusement. Il n’y a plus qu’à jouir sans se demander d’où vient ce bel objet »5. Il est plus simple de se réfugier dans quelque bouc-émissaire, et dans une vérité arbitraire…

Pour en revenir à la transformation numérique de notre monde, il s’agit justement de remonter le courant idéologique par l’Histoire, ses filiations, ses péripéties et ses acteurs, en posant quelques questions : pourquoi la France se trouve-t-elle aujourd’hui si démunie et vulnérable, si dépendante sur les fronts de la cyber-guerre ? Trop méconnue, cette histoire est pourtant instructive. Ensuite, il s’agit de bien prendre la mesure des rapports de force et de rappeler que les Etats-Unis et Israël disposent – aujourd’hui – de l’arsenal numérique le plus puissant du monde6. Enfin, dans ce rapport de force proprement asymétrique, comment réagissent la Russie et la Chine, voire l’Inde ? Sont-ils vraiment nos seuls et principaux ennemis ?

TRAGEDIE EN TROIS ACTES

Selon le pionnier du Web français Tariq Krim7, le fiasco du numérique français est une tragédie en trois actes : « il y eut d’abord les ‘30 honteuses du numérique’, où une petite élite arrogante et dénuée de vision stratégique a démantelé notre industrie informatique et électronique. Elle a débranché les travaux de recherches les plus intéressants et laissé nos meilleurs développeurs partir à l’étranger, faute de les associer à des projets ambitieux. Vient ensuite la capitulation vis-à-vis des grands acteurs américains. Ainsi, de nombreux politiques et hauts fonctionnaires français leur ont permis d’intégrer leurs technologies au cœur des prérogatives régaliennes de l’État : défense, renseignement, éducation, sécurité, mais aussi culture. Plusieurs d’entre eux quitteront leurs fonctions pour aller rejoindre ces sociétés. Le troisième acte se joue en ce moment. Alors que nos dirigeants se préparent à une vente à la découpe, il reste cependant un mince espoir d’inventer une autre manière d’utiliser le réseau plus en phase avec nos principes et nos valeurs »8.

La tragédie commence au CERN9, dans les années 1990, lorsque le chercheur Tim Berners-Lee invente le WorldWideWeb – premier navigateur web et premier éditeur HTML. Mais ces recherches ne sont pas encouragées par le CERN, ce qui pousse Tim Berners-Lee à proposer ses services au MIT10. En 1993, les États-Unis lancent le projet des « Autoroutes de l’information », faisant de l’Internet et du numérique le fer de lance de leur nouvelle stratégie de croissance. L’Europe et la France continuent de miser sur les industries traditionnelles. Vingt-cinq ans plus tard, les GAFAM11 dominent le monde.

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Tariq Krim : « la France ne voit pas les choses de la même manière, notre élite méprise ce qui est marginal, différent ou simplement trop petit. Le scénario de « dénumérisation » de la France suivra toujours le même schéma. Nous vendrons à la casse nos sociétés, ou les dilapiderons alors qu’elles possédaient en interne les technologies qui, si elles avaient été mieux valorisées, nous auraient permis d’influencer la direction prise par l’Internet ». Tout commence dans les années 70, avec l’abandon du réseau Cyclades de Louis Pouzin au profit du Minitel. Louis Pouzin en est le concepteur. Il est aussi l’inventeur de la segmentation des données en « Datagramme ». Il sera récompensé (avec Tim Berners-Lee et Vinton Cerf) par la reine d’Angleterre pour ses contributions essentielles à la création de l’Internet. En France – à ce jour encore – il reste un parfait inconnu du grand public.

Tout juste nommé Premier ministre en 1995, Alain Juppé explique – au journal de 20 heures – sa volonté de vendre Thomson Multimédia au coréen Daewoo : «  Thomson, ça ne vaut rien, juste un franc symbolique. » Obsédé par les revendications sociales de l’entreprise, il ignore que Thomson multimédia dispose d’une grande partie des brevets sur la musique (le fameux MP3) et la vidéo en ligne, qui seront utilisés quelques années plus tard dans tous les smartphones. Sa branche grand public sera démantelée et vendue au chinois TCL. Ses meilleurs ingénieurs partiront chez Google. Le champion européen du GSM – Nokia -, sera lui aussi vendu à Microsoft, ce qui s’est révélé à l’époque désastreux.

LE DESASTRE WANADOO 

En 1980, les équipes de recherche du CNET (Centre national d’études des télécommunications) lancent le Minitel qui hisse la France au premier rang de la télématique mondiale, grâce à ce premier service au monde de fourniture payante d’information. Grand succès : la petite boîte Minitel s’installe dans la plupart des foyers et concurrencera par la suite l’extension d’Internet.

En 1995, France Telecom lance Wanadoo pour développer les accès français à l’Internet, déjà très en retard par rapport aux Etats-Unis et à d’autres pays européens. Dans la même filiation, par manque de clairvoyance, après Juppé, Lionel Jospin déclare : « le Minitel, réseau numérique national, risque de constituer progressivement un frein au développement des applications nouvelles et prometteuses des technologies de l’information. Je souhaite donc que France Telecom provoque des solutions incitatives afin de favoriser la migration progressive du vaste patrimoine du Minitel vers l’Internet ». On aurait très bien pu jouer conjointement le Minitel et Internet. Simple question : qui conseille ces décideurs ?

En 1997, Wanadoo lance un moteur de recherche sous la marque Voilà.fr –destiné à faire face à l’Américain Yahoo – avantl’arrivée de Google en version française (septembre 2000). Les développements techniques de ce moteur étaient réalisés à Sophia Antipolis par Echo, une start-up française qui a coûté fort cher en investissements.En 1999, la France se lance dans l’accès gratuit à Internet. Sous la direction de Nicolas Dufourcq qui considère qu’Internet est un média à part entière – Wanadoo étant appelé à être le TF1 de l’Internet, disait-il – les métiers du contenu sont considérés comme les plus nobles, au détriment de ceux du réseau, concepteurs de tuyaux et de commodités. Dans le même état d’esprit, Wanadoo acquiert des sites éditoriaux et commerciaux comme GOA (plateforme de jeux en réseau) et Alapage, le concurrent français d’Amazon, qui sera aussi sacrifié.

En 2000 Wanadoo est côté en bourse. Cette cotation et ses actionnaires deviennent une véritable obsession. Mais en 2001, la bulle explose. La tendance est de revenir à l’accès, aux « métiers de tuyaux ». Trop tard ! C’est l’effondrement des valeurs boursières d’Internet alors que son usage se généralise mondialement.

En septembre 2006, France Telecom vend pour 3,3 milliards d’euros le groupe PagesJaunes aux fonds d’investissement américain KKR et Goldman Sachs basés à New York. En février 2009, selon France Telecom, le réseau de Minitel enregistrait encore 10 millions de connexions mensuelles sur 4 000 codes de services Vidéotex, dont un million sur le 3611 (annuaire électronique). En 2010, 2 millions de personnes utilisaient encore le Minitel-36, dégageant 200 000 euros de chiffre d’affaires.

Face à la concurrence d’Internet, France Telecom/Orange ferme le service Minitel le 30 juin 2012. En fait, Wanadoo n’a pas su utiliser la Recherche et Développement (R&D) de France Telecom. Nicolas Dufourcq se concentre exclusivement sur une « stratégie médias », au détriment de la recherche et de l’innovation technologique. Tout s’est joué durant la période 1998/2006 : Wanadoo se laisse distancer par Google, Amazon et les autres concurrents américains.

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Le désastre de Wanadoo et du numérique français continue après la réintégration de la filiale de l’Internet dans la maison-mère. A la tête de France Telecom dès 2002, Thierry Breton – ancien ministre de Nicolas Sarkozy et actuellement commissaire européen – est l’un des responsables de cette casse industrielle. Il a privilégié une stratégie de partenariats au détriment de celles du R&D interne aux industries françaises. En 2006, son successeur Didier Lombard signe avec Microsoft un partenariat en vue de développer produits et services communs dans le domaine du multimédia. Les centres de recherche ont été fermés et nos meilleurs ingénieurs ont été poussés au suicide ou à vendre leurs savoirs à l’étranger12. Ce polytechnicien – en principe au service des intérêts de la France- vient d’être jugé pour l’épidémie de suicides à Orange. Le virage du numérique a été complètement loupé : le CNET est devenu un musée…

« PALANTIR » : CHEVAL DE TROIE ET SERVITUDE VOLONTAIRE

Lancé par Jacques Chirac, le projet Quaero – qui devait servir de plateforme pour une réponse franco-européenne à Google, Amazon et Microsoft – sera revendu… au chinois Huawei ! Au final, c’est une génération entière d’ingénieurs, de chercheurs et d’entrepreneurs qui aura été délibérément sacrifiée.

Tariq Krim : « l’acte deux commence avec le quinquennat Hollande. Un changement d’attitude va s’opérer vis-à-vis des grandes plateformes. La défaite est désormais entérinée en coulisses. Il ne s’agit plus d’exister au niveau mondial, mais de négocier avec les GAFAM tout en faisant mine de s’indigner publiquement de leurs abus de position dominante. Place à la stratégie « Ferrero Rocher » : tapis rouge, petits fours, quasi-visites d’État et quasi-sommets diplomatiques avec les GAFAM. L’exigence de souveraineté numérique n’est plus un rempart. Un partenariat entre Cisco13 et l’Éducation nationale est mis en place par Manuel Valls. Ceci alors que cette société est au cœur du complexe militaro-industriel américain. Son patron sera d’ailleurs nommé par Emmanuel Macron ambassadeur mondial de la French Tech ».

Microsoft est devenue le partenaire de l’Éducation nationale et Google le parrain de la Grande École du numérique. Les agents de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) et leurs homologues de la sécurité extérieure (DGSE) ont établi que quelque 4000 cadres et employés de la fonction publique, collaborateurs d’entreprises stratégiques et acteurs de cercles d’influence ont été ainsi ‘approchés’ via les réseaux numériques professionnels, en particulier LinkedIn14. Et comme ce sont toujours les cordonniers qui sont les plus mal chaussés, la DGSI, faute de pouvoir recourir à un système français ou européen, s’est adressée en 2016 à la société américaine Palantir-Technologies pour le traitement de ses données, un contrat s’élevant à plus de 10 millions d’euros.

Dès 2004, Palantir – société créée par Peter Thiel, Alex Karp et Nathan Gettings, proches du président Donald Trump, bénéficie de fonds importants de la CIA et multiplie différentes collaborations avec le renseignement, les forces armées et les services de police américains. Palantir a été associée à Cambridge-Analytica afin de collecter et d’exploiter, à leur insu, les données de millions d’abonnés au réseau numérique Facebook lors de la campagne présidentielle américaine de 2016. Pour une fois, la justice américaine via son régulateur de la concurrence est intervenue avec célérité, condamnant Facebook à une amende de 5 milliards de dollars.

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Et lorsqu’on questionne cet abandon flagrant de souveraineté directement auprès du représentant « français » de Palantir, – un certain Alexandre Papaemmanuel (ça ne s’invente pas !) -, celui-ci brandit aussitôt l’épouvantail du « souverainisme » (gros mot qui n’appelle pas de réponse), vitupérant qu’« on ne pouvait tout de même pas rester seuls à pianoter sur nos Minitel dans le massif central… »15. Même pas drôle, mais tellement français ! Si l’on ne se vend pas aux Américains, l’on est condamné, soit à demeurer de pauvres gaulois arriérés, soit suspecté de faire le jeu des Russes ou des Chinois. Malheureusement, cette mentalité de « servitude volontaire » est partagée par nombre de spécimens de nos élites économiques, politiques et administratives.

Directeur de l’ANSSI (Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information), Guillaume Poupart a multiplié les mises en garde à l’encontre des logiciels de Palantir, appelant de ses vœux une alternative française. Le 16 octobre 2018, le GICAT (Groupement des industries françaises de défense et de sécurité terrestres et aéroterrestres) annonce enfin que le ‘Cluster Data Intelligence’, un groupement réunissant 22 entreprises spécialisées, peut proposer une offre « cohérente, souveraine, modulaire, compétitive, répondant concrètement aux besoins, avec un coût de possession transparent, à disposition des services de renseignement et entreprises ayant des problématiques liées au Big Data ». Le communiqué conclut : « Cette offre souveraine peut répondre aux besoins et contraintes des administrations et entreprises françaises, mais elle peut également bénéficier à d’autres pays pour la recherche de solutions ‘indépendantes’, représentant ainsi une véritable opportunité à l’export pour les industriels français ».

Parallèlement, la DGA (Direction générale de l’armement) poursuit un autre programme visant à permettre le traitement massif de données. « Appelé Artemis, il est confié en novembre 2017 aux sociétés Capgemini et Athos-Bull, ainsi qu’au groupement Thales/Sopra-Steria. Il devrait être testé durant le premier semestre de cette année. Des déploiements pilotes devraient suivre courant 2020 à Brest, Rennes et en région parisienne, puis sur l’ensemble des réseaux du ministère des Armées », précise encore la DGA. A voir…

LA COLLABORATION HONTEUSE D’ORANGE

Aujourd’hui, rares sont ceux qui remettent en cause le monopole des GAFAM, même si l’affaire Snowden a ébranlé quelques certitudes. En février 2019, parait une petite brochure – « Israël, le 6ème GAFAM ? » – éditée avec l’aide de l’Ecole de guerre économique. Sur la quatrième de couverture, on peut lire : « Israël est un pays singulier par sa géographie, sa culture et son histoire. La culture israélienne s’est construite au rythme de conflits récurrents et autour de l’émergence d’un Etat démocratique et prospère dans le morceau de désert qu’est la Terre Promise ». Cocasse pied de nez de l’histoire que de voir ainsi le directeur de l’Ecole de guerre économique – ancien terroriste notoire – relayer la propagande de Tel-Aviv !16

Publiée avec l’aide de l’ambassade d’Israël à Paris, cette brochure de pure propagande a au moins un mérite : celui d’énumérer et de décrire (partiellement) les connexions organiques entre Israël-Valley et la Silicon Valley, les deux poumons planétaires des GAFAM. Le brûlot évoque plus discrètement la collaboration d’Orange avec plusieurs sociétés directement arrimées à la communauté israélienne du renseignement.

Créée par des anciens du Mossad en 2014 et basée à Beer-Sheva – dans le sud d’Israël – la start-up MORPHISEC ouvre un bureau à Boston en 2016. Page 42 de la brochure : « en outre, sa croissance a été accélérée et financée notamment par le fonds JVP à Jérusalem, GE Capital, Deutsche Telekom. Depuis le 20 février 2018, ORANGE Digital Ventures a annoncé sa participation au financement de MORPHISEC ». Avec La Maison et Kodem Growth Partners, Orange rejoint ainsi les investisseurs historiques de la start-up et prend part à son développement.

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Morphisec.com (PRNewsFoto/Morphisec)

Page 43 : « l’investissement d’ORANGE Digital Ventures va permettre à MORPHISEC d’accélérer ses réductions de coûts et, en France, d’acquérir un positionnement dans le haut de gamme dans le mobile et l’Internet haut débit (40% du marché français) ». Question : comment MORPHISEC va-t-elle pouvoir suivre l’évolution potentielle de sa valeur, notamment au sein du groupe ORANGE dont il est dit de sa stratégie que « l’Etat français y exerce une forte intervention » ?

Réponse : « l’évolution des tensions avec TF1 à propos de la poursuite de la diffusion des chaînes du groupe TF1 sur les box Orange est un véritable enjeu ; la poursuite des acquisitions dans le secteur de la sécurité, après l’achat du français Lexsi ; le lancement de la banque mobile Orange Bank, avec pour objectifs deux millions de clients et 400 millions d’euros de produit net bancaire à fin 2018 ».

Chaque année à Tel-Aviv, dans la plus grande discrétion, le groupe ORANGE participe à une semaine de colloque consacré à la cybersécurité et au renseignement numérique, touchant évidemment à des secteurs sensibles de la défense nationale. Au sein du groupe ORANGE, cette politique est animée notamment par un certain Luc Bretones17 et Roseline Kalifa dont le profil LinkedIn indique qu’elle consacre principalement sa vie à des partenariats d’ORANGE en Israël. Interrogé par prochetmoyen-orient.ch sur ses activités en Israël, ORANGE n’a pas jugé utile de nous répondre, nous renvoyant aux bons soins de l’ambassade d’Israël à Paris ! Vive la téléphonie et la communication numérique…

RESISTER DANS UN « MONDE RVVD »

Il est vrai que le dos vous glace lorsqu’on peut voir des drones filocher des passants qui ont omis de dissimuler leur visage sous un masque anti-virus, le même drone s’adressant au « mauvais citoyen » en l’avertissant qu’il sera poursuivi jusqu’à son domicile ! Le « Crédit social » chinois délivre une note à chaque Chinois, qui détermine sa capacité à se déplacer ou à obtenir un crédit. C’est aussi ce qui se prépare dans certains cabinets ministériels lorsqu’il est question d’État plateforme et d’« applis » pour remplacer les fonctionnaires humains au guichet.

Les compagnies d’assurance aussi sont sur le coup pour moduler nos cotisations en fonction du nombre de nos pas effectués quotidiennement ou de celui des cigarettes ou cigares fumés dans la journée. La société Casino vient d’annoncer qu’elle allait supprimer les caissières de ses supermarchés, pour les remplacer par des machines, surveillées par des vigiles. Magnifique ! Après le monde VUCA (Vulnérable, incertain, complexe et ambigu), nous voici entrés de plein pied dans un monde encore bien plus merveilleux : le RVVD (Robots, vigils, virus, drones).

Dans ce nouveau monde et dans cette nouvelle géopolitique du Cyber, la Chine a – très tôt – construit sa muraille pour garantir et défendre son indépendance. Moins bien dotée, la Russie – comme d’autres pays – pratique les ruses de la guerre asymétrique, disposant de très bons ingénieurs et n’hésitant pas à recourir aux services rémunérés de certains des meilleurs hackeurs du monde. Comme les pays occidentaux n’ont cessé de le faire durant la Guerre froide, Moscou riposte sur le champ du soft-power et de l’information. Washington et Tel-Aviv ne sont pas en reste pour défendre leur quasi-monopole. France et Europe sont toujours très en retard…

On ne va pas rigoler tous les jours ! Mais tout n’est jamais complètement perdu, tant qu’il y a toujours du pouvoir qui échappe aux puissants. Antonio Gramsci nous a enseigné le pessimisme de l’intelligence, allié à l’optimisme de la volonté pour faire émerger de nouvelles formes de résistance technologique. Espérons que la France et ses élites – encore lucides et animées d’un patriotisme minimal – reprennent le dessus sur ces questions touchant directement à notre souveraineté, à notre indépendance nationale, donc à notre liberté !

Saluons au passage, et diffusons les travaux du penseur Bernard Stiegler. Fondateur et président d’un groupe de recherche – Ars industrialis, créé en 2005 -, il dirige également l’Institut de recherche et d’innovation (IRI) qu’il a créé en 2006 au centre Georges-Pompidou.

Ses travaux concernent justement les alternatives technologiques, des pratiques et usages – tout aussi alternatifs – de l’Internet et des outils numériques. Les ouvrages18 de Bernard Stiegler et les travaux de ses équipes transdisciplinaires ouvrent des perspectives réelles de résistance…

Notes:

1 En sécurité informatique, un hacker (francisé : hackeur ou hackeuse – « mercenaire numérique »), est un spécialiste en technologies informatiques, qui recherche les moyens de contourner les protections logicielles et matérielles afin de pirater les données. Il agit par curiosité, défi technique, motivation politique, en quête de notoriété ou/et de rémunération.

2 Guy Mettan : Russie-Occident, une guerre de mille ans : La russophobie de Charlemagne à la crise ukrainienne – Pourquoi nous aimons tant détester la Russie. Editions des Syrtes, 2015.
3 La crise des missiles de Cuba se déroule du 16 octobre au 28 octobre 1962. Elle oppose les États-Unis et l’Union soviétique au sujet des missiles nucléaires russes pointés en direction du territoire des États-Unis depuis l’île de Cuba.
4 La chute du mur de Berlin a lieu dans la nuit du 9 novembre 1989 lorsque des Berlinois de l’Est, avertis par les médias ouest-allemands de la décision des autorités est-allemandes de ne plus soumettre le passage en Allemagne de l’Ouest (RFA) à autorisation préalable, forcent l’ouverture des points de passage aménagés entre Berlin-Est et Berlin-Ouest. 
5 Roland Barthes : Mythologies. Editions du seuil, 1957.
6 « Quand l’Ecole de guerre économique relaie la propagande israélienne » – prochetmoyen-orient.ch, 25 mars 2019.
7 Pionnier du Web français, Tariq Krim fondateur de Netvibes, Jolicloud et de la plateforme de Slow Web dissident.ai.
8 Le Point, 5 janvier 2019.
9 CERN : Conseil européen pour la recherche nucléaire, créé en 1952. Le CERN est le plus grand centre de physique des particules du monde.
10 MIT : le Massachusetts Institute of Technology (Institut de technologie du Massachusetts) est un centre de recherche américain et une université, spécialisé dans les domaines de la science et de la technologie. 
11 GAFAM est l’acronyme des géants du Web : GoogleAppleFacebookAmazon et Microsoft, qui sont les cinq grandes firmes américaines, dominant le marché du numérique, parfois également nommées les Big Five, ou encore « The Five ».
12 Sur le sujet, on peut lire l’excellent livre de Johann Chapoutot : Libres d’obéir – Le management, du nazisme à aujourd’hui. Editions Gallimard, janvier 2020.
13 Cisco Systems est une entreprise informatique américaine spécialisée dans le matériel réseau, et depuis 2009 dans les serveurs. Elle est dirigée par Chuck Robbins depuis juillet 2015.
14 575 millions de personnes sont inscrites sur Linkedin dans le monde.
15 Echange avec l’auteur durant le colloque de la SONU sur « les mythes du renseignement » – 12 janvier 2020, Paris-Panthéon-Sorbonne.
16 « Quand l’Ecole de guerre économique relaie la propagande israélienne » – prochetmoyen-orient.ch, 25 mars 2019.
17 Luc Bretones a travaillé pour le groupe Orange depuis 1997. En juillet 2013, il prend la direction du Technocentre du groupe, puis en octobre 2013 d’Orange-Vallée. Il est administrateur des sociétés SoftAtHome et La cité de l’objet connecté d’Angers. Il est également président de l’association de bénévoles Orange/solidarité. Spécialisé dans le business des nouvelles technologies, Luc Bretones est administrateur de divers think tanks, comme l’institut G9+ ou encore Renaissance numérique. Il a quitté Orange en 2019.
18 Notamment, Dans la disruption, comment ne pas devenir fou ? Editions Les liens qui libèrent, 2016.

Le Pentagone veut déployer des micro-réacteurs nucléaires sur ses bases à l’étranger

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Le Pentagone veut déployer des micro-réacteurs nucléaires sur ses bases à l’étranger

09:52 Publié dans Actualité, Défense | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : états-unis, défense, armes nucléaires | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

jeudi, 30 janvier 2020

El concepto de Defensa Integral

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El concepto de Defensa Integral

Ex: https://www.geopolitica.ru

Defensa Integral - Concepto

Entiendo el concepto de Defensa Integral como se refiere la comprensión, intervención y control de la mayor cantidad de variables mensurables vinculadas a la preservación de la soberanía del Estado, entendiendo que la Soberanía, en tanto poder efectivo del Estado sobre el territorio, deviene del Pueblo y de éste a su Gobierno, en pleno uso de las facultades constitucionales previstas en tanto gobierno electo. 

Por ello la Defensa Integral incluye no sólo aspectos militares, sino también otros que coadyuvan al mantenimiento de la gobernabilidad, aspecto fundamental para lograr los objetivos que el Gobierno Electo se ha propuesto. 

Defensa Integral - Esquema

Elementos de la Defensa Integral

Militar

El objetivo del desarrollo de las capacidades militares es la disuasión militar. La Directiva de Política de Defensa Nacional (DPDN), Decreto 1714/2009, y norma complementaria (Decreto 2645/2014), establece que la defensa nacional tendrá el carácter defensivo, autónomo y cooperativo. 

En el marco de la DPND, se plantea abordaje en dos áreas: Equipamiento y Formación ideológica. 

Formación Ideológica

Se plantea la necesaria revisión de los contenidos brindados en los establecimientos de formación militar de Oficiales y Suboficiales de todas las Armas, incluyendo los de educación superior:

  • Escuela de Oficiales de la Armada
  • Escuela de Suboficiales de la Armada
  • Escuela Naval Militar 
  • Liceo Naval Militar Almirante Brown 
  • Colegio Militar de la Nación
  • Escuela Superior de Guerra (Argentina)
  • Instituto Social Militar
  • Escuela de Aviación Militar
  • Liceo Aeronáutico Militar
  • Los Liceos militares de todo el país.

La carencia de una concepción geopolítica adecuada a nuestra realidad queda manifestada en la falta de “conciencia de clase” militar, donde el modelo a seguir continúa siendo el de los países de la OTAN, pese a que tenemos una parte de nuestro territorio ocupado por una base de la Alianza del Atlántico Norte en las Islas Malvinas. Se desprecia lo popular, los gobiernos populistas, se continúa con el cultivo de formación clasista y oligárquica, con una concepción de “Patria” indeterminada, alejada de lo popular y lo concreto. 

Equipamiento

El equipamiento de nuestras FFAA debe estar acorde a nuestra realidad geopolítica. No podemos seguir adquiriendo material militar de países de la OTAN, puesto que es una contradicción a nuestro reclamo de soberanía sobre las Islas Malvinas. Por ello los caminos que se plantean son los siguientes:

•  Potenciación de Capacidades

Mediante el apoyo político y de recursos materiales y humanos a la Industria de la Defensa, sea estatal (FADEA, FAMA) o privada (Cicaré, etc.).

• Adquisición

En la nueva concepción de Defensa Integral, la adquisición debe realizarse priorizando a países fuera de la órbita de OTAN, que proveen material más accesible y mantenimiento coordinado (en su mayoría), como Rusia y China. La renovación del equipamiento de las tres Armas principales puede lograrse progresivamente a través de convenios con estos países, donde ya hay voluntad de hacerlo 

Ideológica

Los vaivenes del populismo latinoamericano, el pase de la cima a la sima, responden a procesos que si bien han permitido el acceso a los derechos de grandes sectores de la población, no han podido modificar la matriz cultural de los ciudadanos, quienes en gran parte, siguen adaptando las formas del lenguaje y reflexión de los sectores de poder ajenos a los intereses nacionales y populares. 

De allí que en estos cuatro años debe darse una fuerte batalla en el campo cultural a fin de consolidar el proceso democrático y popular, en tanto justicia social, para perfilar un modelo de país no sólo en el plano económico, sino en el cultural. 

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La batalla cultural o guerra ideológica se plantea en dos frentes: 

• Medios de Comunicación

La batalla cultural debe disputarse en el plano de los medios de comunicación, fortaleciendo los pequeños los medios de comunicación aliados, a la vez que reaplicando la Ley de Servicios de Comunicación Audiovisual, con el fin de debilitar a los grandes grupos monopolísticos comunicacionales que forman ideología y no permiten la reflexión, tanto en forma directa a sus televidentes, oyentes o lectores como cuando son utilizados como agencias de prensa por los medios de comunicación del interior del país. Una vez aprobada la Ley de Solidaridad y Reactivación Productiva y consolidado la actualización de retenciones a las exportaciones, sería apropiado continuar con lo planteado anteriormente.  

La batalla comunicacional también se da desde la comunicación no tradicional, en particular redes sociales, donde el rol de los trolls o centros de difusión de mensajes maliciosos y noticias falsas o falaces (fake news) juega un rol importante a la hora de formar opinión en los sectores medios.

• Políticas Educativas

La centralidad del Estado posibilita la implementación de las políticas educativas tendientes a librar la batalla cultural en el ámbito de las Instituciones Educativas. Los planes, programas y proyectos planteados entre 2003 y 2015 adolecieron de instrumentos de control efectivo, su aplicación dependió del interés de cada ministro de educación provincial y las jornadas de actualización docentes fueron y siguen siendo formas de perder el tiempo en forma organizada. Es menester que los procesos de implementación, monitoreo y evaluación de las políticas públicas sean efectivos a fin de proveer las herramientas para el debate racional de ideas en alumnos primarios y secundarios, así como docentes. 

Infraestructura

La Defensa Integral implica orientar todo el potencial del Estado a proteger el gobierno democráticamente elegido, en tanto proyección de la soberanía popular, lo que incluye las obras públicas que favorezcan la defensa, protección, integración y proyección del Estado Argentino. 

La obra pública es una importante herramienta de reactivación de la demanda agregada, por lo que es conveniente priorizar aquellas que favorezcan la ocupación efectiva del territorio, la integración cultural y comercial, la protección de las fronteras y la proyección económica y cultural de la República Argentina a países limítrofes, especialmente a Uruguay, Paraguay y Bolivia. 

Política

La defensa del Gobierno del Estado también se logra consolidando el poder político democráticamente logrado y fortaleciendo a los actores políticos del proyecto nacional popular en territorios hostiles donde no son gobierno. 

Con las herramientas existentes y en forma coordinada y planificada, es posible asesorar y supervisar la gestión política de referentes propios a fin de minimizar los daños de gestión que minen su imagen y caudal electoral. 

Es necesario también brindar asesoramiento político para la construcción de poder democrático a aquellos referentes que disputan gobiernos municipales y provinciales gobernados por espacios políticos ajenos a la concepción política filosófica del Gobierno Nacional. 

01:08 Publié dans Défense, Militaria | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : défense, défense intégrale, militaria | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

dimanche, 26 janvier 2020

Des chercheurs pris dans la guerre biologique

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Des chercheurs pris dans la guerre biologique

par Etienne Aucouturier

Ex: http://www.geopolintel.fr

Que feriez-vous si le gouvernement vous demandait d’effectuer des recherches visant à défendre les populations contre des épidémies intentionnelles ? Au cours du XXe siècle, nombre de chimistes et biologistes civils, confrontés à cette question, ont accepté de collaborer secrètement, même si cela signifiait souvent aussi développer et produire les armes biologiques à combattre.

En janvier dernier, le virologue David Evans et son équipe de l’université d’Alberta, au Canada, indiquaient, dans la revue PLoS One, qu’ils avaient réussi à produire, à petit budget, une variante du virus de la variole. Conçue sur la base de séquences d’ADN trouvées sur Internet – qui provenaient du virus responsable de la forme chevaline de la variole –, l’initiative visait à produire un vaccin plus efficace contre cette maladie. Six mois plus tôt, la revue Science mettait déjà en garde contre cette recherche, alors en cours, qui pouvait donner l’occasion à des terroristes de produire à peu de frais des armes biologiques.

De fait, depuis que la période de l’après-Guerre froide a sonné le glas de la bipolarité politique du monde, ce que l’on nomme aujourd’hui le bioterrorisme préoccupe les États, particulièrement depuis l’épisode dit des « lettres à l’anthrax », au cours duquel, en octobre 2001, diverses institutions, dont des rédactions de journaux, avaient reçu des lettres contenant des bacilles de la maladie du charbon.

Certes, dès les premières décennies du xxe siècle, les États qui en avaient les capacités s’étaient lancés dans une course aux armements biologique et chimique, mais de nos jours, un nouvel aspect est venu renforcer l’inquiétude des dirigeants à ce sujet : la crainte de voir émerger des capacités de destruction sortant du cadre étatique. Le très grand nombre de canulars et les tentatives avérées de bioterrorisme des trente dernières années – dont celles des sectes Rajneesh à The Dalles, dans l’Oregon, en 1984 et Aum à Kameido, au Japon, en 1993 –, conjointement avec la fin de la Guerre froide et l’avènement d’Internet, laissent penser que l’arme biologique, l’arme atomique du pauvre comme la surnomment souvent les militaires, représenterait une menace sans précédent.

Le fait qu’une revue scientifique alerte sur les risques bioterroristes liés à une étude montre que le monde scientifique a fait siennes ces craintes. Mais cela n’a pas toujours été le cas. Si dès les années 1950, profondément marqués par l’emploi de la bombe atomique, les physiciens du domaine ont pris acte des enjeux éthiques et politiques de leurs recherches, pendant ce temps, les chimistes, biologistes et médecins concernés par l’usage militaire de leurs travaux ne dénonçaient que marginalement les recherches sur les armes biologiques et chimiques, sans doute à cause de leur caractère plus secret et des usages moins catastrophiques ou spectaculaires qui en étaient faits.

Pourtant, ces armes ont été développées et utilisées dès le début du xxe siècle, soit bien avant l’arme nucléaire, et ce grâce à l’expertise scientifique et médicale de nombre d’entre eux. Un minutieux travail de recherche dans les archives militaires françaises, mais aussi dans d’autres fonds comme les archives de la direction de l’institut Pasteur, nous a en effet récemment permis de montrer que, en France, ces armes ont fait l’objet d’une collaboration continue des militaires avec des scientifiques et médecins civils, membres d’institutions de premier plan.

Du roquefort aux nuages artificiels

at.jpgLa France a été pionnière dans le domaine des armes biologiques et chimiques. Dès la première décennie du XXe siècle, un chimiste français renommé, Auguste Trillat, inventeur du formol quelques années auparavant, brevetait certes un procédé de fabrication industrielle du roquefort, mais posait aussi les bases de la production intentionnelle d’épidémies à l’aide de nuages artificiels microbiens.

Bien avant la Première Guerre mondiale, le pays avait entrepris des recherches à visée militaire sur les armes chimiques. Mais c’est pendant cette guerre que les Français, puis les Allemands, firent pour la première fois usage de gaz de combat. Les armes dites biologiques furent elles aussi utilisées, mais de façon marginale, plutôt en tant que moyens de sabotage (pour tuer du bétail ou des animaux de transport) qu’en tant qu’armes de destruction massive, ou visant massivement les humains. Néanmoins, la menace de guerre bactériologique que ces attaques rendaient plus tangible fit avancer les recherches sur les méthodes de désinfection et de prophylaxie (l’ensemble des mesures à prendre pour prévenir les maladies). Trillat, devenu en 1905 chef du service des recherches appliquées à l’hygiène de l’institut Pasteur, à Paris, joua ainsi un rôle fondamental dans la création du programme français d’armement biologique et chimique après la Première Guerre mondiale.

En 1922, lui qui avait été pionnier tant dans la production de nuages artificiels déclencheurs d’épidémies, pour lesquelles il avait étudié les conditions atmosphériques propices à leur développement, que dans la recherche de méthodes de désinfection chimique à grande échelle, fut sollicité pour donner les lignes directrices de ce nouveau programme, sous la forme d’un rapport commandé l’année précédente par le ministère de la Guerre. Dès lors s’installa une collaboration continue entre institutions de recherche civiles et militaires. Les recherches sur les armes chimiques et biologiques requérant des compétences et des équipements similaires, les institutions et chercheurs mobilisés travaillaient en commun sur les deux systèmes, qu’il s’agisse de la recherche, du développement ou de la production.

L’institut Pasteur, ainsi que de nombreuses institutions scientifiques et médicales françaises de premier plan, dont le Muséum national d’histoire naturelle et le Collège de France, participèrent à ce programme par l’intermédiaire de certains de leurs membres éminents, comme les chimistes Charles Moureu (Collège de France), Marcel Delépine (faculté de pharmacie) et André Job (Conservatoire national des arts et métiers), travaillant sous contrats secrets avec la sphère militaire.

Dans le monde, la crainte que les guerres du futur voient s’amplifier le caractère de guerre totale qu’avait pris la Grande Guerre conduisit les principales nations occidentales, mais aussi le Japon, à préparer en temps de paix, dès l’entre-deux-guerres, les moyens de défendre – et d’attaquer – non plus seulement les combattants, mais les populations de nations entières. À cette même époque, des rumeurs issues de la presse britannique sur des essais secrets de dispersion d’agents biologiques effectués par des agents secrets allemands dans le métro parisien achevèrent de convaincre l’opinion publique et l’État français de la nécessité de prendre au sérieux cette menace. La réorganisation de la France en nation armée, souhaitée au plus haut niveau de l’État, conduisit à la production de moyens offensifs et défensifs de guerre chimique, biologique, puis, après la Seconde Guerre mondiale, nucléaire.

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L’activité secrète de la poudrerie du Bouchet

La poudrerie du Bouchet, à Vert-le-Petit, au sud de Paris dans l’actuelle Essonne, devint graduellement le centre névralgique d’un réseau de recherche et développement d’armes biologiques et chimiques, incluant d’autres institutions civiles et militaires. Elle demeure de nos jours, sous le nom de Centre d’études du Bouchet, le centre du ministère des Armées dédié à la défense contre les menaces biologiques et chimiques, et l’un des rares sites en France (et dans le monde) à disposer d’un laboratoire de niveau de sécurité P4. Peu à peu, la France rassembla ainsi secrètement, sous l’appellation d’armes spéciales, un arsenal de nouveaux moyens offensifs et défensifs, étudiés et développés avec l’apport constant de l’expertise scientifique et médicale civile.

En 1947, une Commission médicale de défense contre la guerre moderne vit le jour afin de mieux centraliser les études relatives aux armes spéciales, de reconstruire une défense nationale incluant ces armes et de tirer parti des recherches scientifiques civiles ainsi que des renseignements issus des réseaux scientifiques internationaux de chercheurs. Mixte, cette commission était composée de militaires et de savants de premier plan, pour beaucoup médecins des facultés de médecine ou chercheurs de l’institut Pasteur. Entre autres membres, Léon Binet, doyen de la faculté de médecine de Paris, Robert Debré, président de l’Institut national d’hygiène, ou Jacques Tréfouël, directeur de l’institut Pasteur, prenaient part aux discussions secrètes de la commission et répondaient secrètement à diverses commandes militaires. Les laboratoires civils entreprirent ainsi une grande diversité d’études sur, par exemple, le mode d’action des trilons (les gaz neurotoxiques Sarin, Tabun et Soman), la possibilité de vacciner contre la radioactivité ou encore celle de potentialiser les effets délétères d’aérosols de bacilles du charbon en les combinant avec des métaux lourds.

Les décennies suivantes, l’ouverture à la sphère civile des recherches sur les armes spéciales se referma partiellement, le gouvernement préférant concentrer ses forces sur l’arme nucléaire. Mais de nombreux chercheurs continuèrent de travailler sur financement militaire, à des fins prophylactiques ou non, leur expertise demeurant indispensable, s’agissant par exemple des études sur la polyvaccination. À titre indicatif, en 1967, le nombre d’animaux de laboratoire destinés en France à l’expérimentation d’agents chimiques et biologiques de guerre (20 000 souris, 20 000 rats, 5 000 cobayes, 2 000 lapins et 50 singes) représentait 10 % de l’utilisation actuelle par an d’animaux à des fins scientifiques.

Outre la motivation patriotique mise en avant par certains scientifiques pour justifier leur collaboration à ces programmes, la relation mutuellement bénéficiaire entre l’armée et les hommes de science en France explique sa pérennité. Ainsi, en 1972, Jacques Monod, alors directeur de l’institut Pasteur, écrivait au ministre de la Défense nationale Michel Debré qu’il serait souhaitable de renforcer et formaliser les liens entre l’armée et l’institut Pasteur, qui formait alors selon lui « la quasi-totalité des médecins-biologistes de l’armée ».

Des essais mystérieux en Algérie

Les armes testées au moins depuis les années 1930 à l’ouest du Sahara algérien (ainsi que dans certains centres d’expérimentation métropolitains, notamment près de Bourges) continuèrent de l’être jusqu’à la fin des années 1970. Notamment, on fit exploser des obus, roquettes et grenades chargés en agents biologiques ou chimiques pour mesurer leurs effets en situation réelle. La nature exacte et l’étendue des essais effectués secrètement en Algérie dans les deux décennies qui suivirent les accords d’Évian (1962) demeurent à ce jour peu connues et font donc régulièrement l’objet de spéculations légitimes de la part des populations concernées, craignant que les sites n’aient pas été parfaitement dépollués. Néanmoins ces essais ont eu lieu et ont participé de l’expertise française dans le domaine des armes chimiques et biologiques.

Ainsi, de l’aube du xxe siècle au début des années 1970, la France a développé et produit, à des échelles variables selon les époques et les priorités politico-militaires, des poisons synthétiques ou non, destinés, d’une part, à être utilisés en temps de guerre contre les hommes, les animaux et les plantes, mais aussi, d’autre part, à tester leurs effets à grande échelle pour mieux s’en prémunir en situation opérationnelle.

Les autres nations développées n’ont pas été en reste au cours du xxe siècle. Le Royaume-Uni, le Japon, les États-Unis, l’URSS, le Canada, les Pays-Bas, Israël, l’Afrique du Sud et d’autres ont aussi eu, à des fins diverses et des échelles variables, leur programme de guerre biologique et chimique. Le Japon, lorsqu’il occupait la Mandchourie avant la Seconde Guerre mondiale, a par exemple effectué de cruels essais sur les populations chinoises locales. Les États-Unis ont, à l’issue de cette guerre, secrètement récupéré les données que les Japonais avaient récoltées. Et, dans le cadre de la Guerre froide, l’URSS serait aussi entrée en lice avec son ambitieux programme Biopreparat, selon des transfuges russes tels que Ken Alibek ou Vladimir Pasechnik.

Parmi les scientifiques, mais aussi les militaires, il semble qu’un consensus ait perduré quant à la nécessité de maintenir une forme de politique de santé publique secrète pour défendre les populations contre les armes biologiques et chimiques. En France comme ailleurs, cependant, cette dimension avouable de leur action était contrebalancée par une contribution simultanée à des programmes souvent offensifs. Cette forme de politique de « santé publique inversée » – selon l’expression d’un de ses critiques de la fin des années 1960, le Britannique Robin Clarke – a placé les scientifiques et médecins devant un dilemme moral : collaborer secrètement avec les armées de leur pays pour prémunir des populations civiles contre des épidémies intentionnelles, au risque de contribuer en même temps à les doter de moyens offensifs en pratiquant des recherches non divulguées sur des agents pathogènes naturels ou synthétiques. Il semblait ainsi irresponsable de refuser cette collaboration autant qu’il l’était de l’accepter, et tout aussi irresponsable de publier les résultats des recherches comme de ne pas les publier. La réponse récurrente des scientifiques à ce dilemme, en France au moins, a majoritairement consisté à jouer le jeu du secret.

JBS-Haldane.jpgDe même, rares ont été les avocats de l’usage des sciences biomédicales pour la guerre. Si quelques scientifiques comme le généticien britannique John Burdon Sanderson Haldane (photo), dans les années 1920, ou des militaires tels que le brigadier général Jacquard Hirshorn Rothschild, après la Seconde Guerre mondiale, ont entrevu dans l’utilisation des connaissances en physiologie un moyen de rendre la guerre plus humaine (en introduisant la possibilité d’utiliser des agents non létaux plutôt que des armes conventionnelles aux effets moins prévisibles, comme les explosifs), la sélection précise des effets physiologiques des armes est demeurée une inclusion contre-nature de la science et de la médecine dans la guerre (tandis que des armes conventionnelles aux effets moins prévisibles sont restées autorisées).

Aujourd’hui, les armes biologiques et chimiques continuent de faire l’objet d’un dilemme moral récurrent pour la biomédecine. On ne s’improvise pas savant militaire : les chercheurs se lancent rarement dans une carrière médicale ou scientifique en vue de produire des systèmes d’arme ou de prémunir les populations nationalescontre des armes biologiques et chimiques. Aussi la sphère militaire a-t-elle toujours besoin de l’expertise de chercheurs civils et continue-t-elle, selon les périodes, à les inclure secrètement dans des programmes militaires ou à financer des travaux d’intérêt militaire.

La responsabilité des chercheurs civils est d’autant plus grande que sans expertise physiologique, la distinction entre les agents chimiques ou biologiques bénins et malins est impossible. La connaissance précise du fonctionnement du corps (humain, mais aussi d’autres animaux ou de végétaux) et de ses interactions avec des substances ou agents exogènes est essentielle pour caractériser une substance ou un agent comme un poison. À tel point que les armes biologiques et chimiques devraient être rassemblées sous un même terme, « armes physiologiques », qui insisterait plus sur la sélectivité de leurs effets que sur le moyen utilisé pour les obtenir.

Et demain ?

Sauf à adopter une anthropologie optimiste fondée sur une confiance universelle, il semble difficilement pensable qu’un État soucieux de la sécurité de sa population et du droit humanitaire international ne cherche pas à mobiliser ses scientifiques en vue de secrètement préparer sa défense, donc en effectuant des recherches sur un maximum d’agents malins et sur leurs antidotes. Il résulte de cette tension entre la vocation universaliste de la science et les circonstances politiques qu’il reste difficile de nos jours de distinguer les recherches à vocation défensive de celles à vocation offensive : se défendre contre des poisons implique en effet d’en disposer afin de trouver des antidotes. Et par conséquent d’anticiper les menaces en maintenant une recherche biomédicale et militaire de pointe. Si le cadre législatif international tend à préserver un statu quo entre les États, comme c’est le cas de la dissuasion nucléaire, le cadre géopolitique de l’après-Guerre froide tend quant à lui à laisser planer la menace d’une utilisation moins prévisible ou identifiable de ces armes empoisonnantes par des groupes privés ou non étatiques.

Cela d’autant que les avancées scientifiques et techniques des dernières décennies – notamment Internet, les nanotechnologies et l’utilisation des big data en médecine – sont susceptibles de conférer à des États comme à des entités privées des moyens de guerre biologique sans précédent, en accroissant la possibilité de sélectionner précisément les effets physiologiques ainsi que les éventuelles populations cibles.

Par exemple, nombre d’hôpitaux sont aujourd’hui dotés de biobanques où sont stockées et parfois partagées à grande échelle les données de patients consentants (notamment génétiques) et leurs échantillons biomédicaux. Ces biobanques constituent une avancée considérable pour la recherche biomédicale. Néanmoins, elles présentent aussi le risque qu’à la faveur d’une instabilité politique d’un État y ayant accès ou d’une privatisation de leur gestion (que l’OCDE préconise depuis 2001), le rêve d’un partage global des progrès de la biomédecine ne se transforme en un cauchemar militaro-industriel. Il est donc plus que jamais nécessaire que les citoyens s’emparent de la question de la guerre biologique, dont les enjeux relèvent tant de la sécurité militaire que des sécurités sanitaire et alimentaire.

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Armes chimiques et armes « bio »

Aujourd’hui, la terminologie militaire établit une distinction entre les armes chimiques et les armes biologiques, fondée sur les substances utilisées. Cette distinction à des visées juridiques et tactiques. Les deux types d’armes ne sont pas interdits de la même manière ni depuis la même époque, et leur usage diffère. Pourtant, ils n’ont pas toujours été dissociés.

Parmi les textes de loi emblématiques à ce sujet, au milieu du xixe siècle, pendant la guerre de Sécession, fut adopté le code Lieber (1863) qui interdit, entre autres pratiques cruelles, l’usage de poisons dans la guerre. Mais à l’issue de la Première Guerre mondiale, une légère nuance est apparue dans le Protocole de Genève (1925) : il spécifia qu’il était interdit d’utiliser des gaz asphyxiants, toxiques ou similaires et des moyens bactériologiques. Cette dissociation juridique en germe devint effective dans la seconde moitié du XXe siècle, avec la signature en 1972 de la Convention sur l’interdiction de la mise au point, de la fabrication et du stockage des armes bactériologiques (biologiques) ou à toxines et sur leur destruction. Les armes chimiques sont ainsi demeurées sans interdiction spécifique autre que celle du Protocole de Genève jusqu’en 1993, lorsque la Convention sur l’interdiction de la mise au point, de la fabrication, du stockage et de l’usage des armes chimiques et sur leur destruction fut adoptée.

Qu’est-ce qui distingue fondamentalement ces deux types d’armes ? Les toxines biologiques (la ricine, par exemple) étant fonctionnellement équivalentes à des armes chimiques, la distinction juridique est faite en vertu de leur origine. Les toxines biologiques sont ainsi qualifiées de biologiques en ce qu’elles ne sont pas des produits de la synthèse chimique, mais sont trouvées telles quelles dans la nature. Elles sont issues du vivant. Il en est de même des autres agents biologiques : bactéries, virus, champignons, et autres agents pathogènes non synthétiques sont inclus dans la catégorie des armes de guerre biologique. D’un point de vue juridique, les armes biologiques sont donc comparables… aux produits alimentaires dits « issus de l’agriculture biologique ». En revanche, toute reproduction de toxine biologique par chimie de synthèse relève du droit des armes chimiques…

Ainsi, la subdivision juridique des poisons prévus pour un usage guerrier est discutable à bien des égards. Elle a vraisemblablement eu pour fonction de permettre aux États concernés, dans la seconde moitié du XXe siècle, de poursuivre des recherches, développements et productions d’armes chimiques en toute liberté.

Etienne Aucouturier​​​​​​​

 

dimanche, 12 janvier 2020

Guerre: s'adapter pour vaincre

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Guerre: s'adapter pour vaincre

par Thibault LAVERNHE

Ex: https://metainfos.fr

Au cours des XIXe, XXe et déjà XXIe siècles, les organisations militaires du monde – et singulièrement les armées occidentales – ont été marquées par le sceau de l’évolution rapide, qu’elle soit technologique, doctrinale ou culturelle. Sous l’effet de l’adversité, du progrès scientifique ou des évolutions sociales, les armées, sans exceptions, ont eu à relever très régulièrement des défis existentiels dont elles sont ressorties profondément changées.

9791021004306-xs.jpgEn prenant sept cas d’école de la conduite du changement dans les armées, Michel Goya propose ainsi avec S’adapter pour vaincre une analyse des rouages de l’adaptation des grandes structures militaires sous la pression de leur époque : qu’il s’agisse de l’ascension de l’armée prussienne au XIXe siècle, de la métamorphose de l’armée française durant la Première Guerre mondiale, du déclin de la Royal Navy au cours de la première moitié du XXe siècle ou encore de la confrontation de l’US Army avec la guerre moderne à partir de 1945, l’animateur du blog La Voie de l’épée met à chaque fois en lumière les inducteurs de la mue de la Pratique (avec un grand « P » sous la plume de l’auteur) au sein de ces organisations complexes. Car, pour Michel Goya, « faire évoluer une armée, c’est faire évoluer sa Pratique », cette même Pratique étant « le point de départ et d’arrivée du cycle de l’évolution ».

Ce faisant, l’officier des troupes de marine propose une lecture de l’évolution militaire, comme le confluent de l’adaptation des structures et de l’innovation en leur sein. L’adaptation, d’abord, c’est-à-dire la gestion de la tension entre les ressources que la Nation consent à ses armées, d’une part, et les missions données par la politique, d’autre part ; gérer cette tension, c’est chercher à augmenter les ressources jusqu’à un certain point où celles-ci ne suffisent plus, ouvrant ainsi la voie à un changement de méthode, c’est-à-dire à l’innovation. L’innovation, ensuite, comme forme ultime de l’adaptation, qu’il s’agisse d’innovation radicale (qui préserve le « noyau noble » d’une organisation militaire) ou de rupture (qui aboutit à une transformation de ce « noyau noble »).

515uMMkKlkL._AC_UL320_SR214,320_.jpgAu-delà de la rétrospective historique, le principal intérêt de l’ouvrage est ainsi l’analyse percutante que livre Michel Goya sur les conditions d’apparition de cette innovation au sein d’une structure militaire. S’adapter pour vaincre montre comment les innovations de rupture ne viennent pas souvent de l’intérieur – contrairement à l’innovation dite « continue » – mais sont généralement imposées de l’extérieur, sous la pression de l’ennemi par exemple. On y voit également les viscosités et les biais cognitifs à l’œuvre, que ce soit l’effet générationnel des décideurs, la propension des armées à reproduire des modèles connus, la rivalité entre les services d’une même armée ou encore l’illusion de pouvoir piloter de manière centralisée le cycle du changement. Le rôle du politique pour faire passer les évolutions de rupture est également mis en avant, tout comme l’importance de créer les conditions de l’émergence d’un courant de pensée libre de réflexion non institutionnelle – que l’auteur considère d’ailleurs comme une forme indispensable de « réserve » opérationnelle pour les temps mauvais. On retiendra enfin l’importance pour une organisation militaire de pouvoir expérimenter, grâce à un surplus de ressources matérielles et de temps libre, comme ce fut le cas notamment dans les décennies qui précédèrent la Première Guerre mondiale : « Plus les unités disposent de temps libre et de moyens autonomes, et plus ce capital d’adaptation rapide est important. Inversement, plus les moyens sont comptés, surveillés et centralisés, et plus l’armée devient rigide. »

Servies par la clarté habituelle du propos de Michel Goya, les sept tranches d’histoire intellectuelle et militaire qui défilent sous nos yeux combleront à la fois les amateurs d’histoire militaire et les officiers désireux de disposer de repères pour mieux « penser l’innovation » dans les armées. Et à ceux qui auront aimé S’adapter pour vaincre, on ne saurait trop recommander de se plonger dans le récent ouvrage de Trent Hone Learning War (1), qui ajoute à sa manière une huitième fresque à l’ouvrage de Michel Goya, en décrivant l’adaptation de l’US Navy entre 1898 et 1945.


(1) Trent Hone : Learning War – The evolution of fighting doctrine in the U.S. Navy, 1898-1945 ; USNI Press, 2019 ; 402 pages.

Source : Revue de la Défense nationale n°826, janvier 2020.

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samedi, 28 décembre 2019

Les Etats-Unis et leur guerre des drones

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Les Etats-Unis et leur guerre des drones

par Jean-Paul Baquiast

Ex: http://www.europesolidaire.eu

Beaucoup ignorent que les industries miliaires américaines se sont depuis quelques années spécialisées dans la production de drones ou UAV armés.

Il s'agit en l'espèce le plus souvent d'engins de grande taille, dotés de plusieurs dizaines d'heures d'autonomie et capables d'atteindre des objectifs situés à plusieurs centaines de km puis de revenir à leur base. Mais de nombreux autres sont des hélicoptères à plusieurs rotors capables au besoin de vols stationnaires de longue durée. Les plus petits sont utilisés dans des attaques urbaines, y compris dans celles d'appartements.

Ils ont télépilotés, même à grande distance, par des pilotes militaires résidant à terre dans des bases protégées. Ils peuvent être porteurs d'armements divers, toujours meurtriers, tels des missiles ou des bombes. Certains sont dotés de mitrailleuses ou de canons leur permettant d'attaquer d'autres drones ou plus simplement des objectifs à terre. Ils sont aussi porteurs de caméras électroniques très performantes utilisées pour la géolocalisation visuelle ou l'observation.

Le plus connu est le General Atomics MQ-9 Reaper (image) qui est de plus en plus vendu à des pays alliés, dont la France. Mais il s'agit aujourd'hui d'un appareil qui préoccupe de moins en moins les militaires américains. Ils lui préfèrent des engins plus performants dont les caractéristiques ne sont pas publiques.

L'on sait que le complexe militaro-industriel américain s'intéresse aujourd'hui au domaine des drones militaires plutôt qu'à celui des avions de combat. Le Pentagone laisse volontiers les Russes, avec aujourd'hui les diverses génération de Sukhois, se donner une nette supériorité.

Ce que l'on sait moins est que les Etats-Unis mènent actuellement un nombre importants de conflits locaux, dans lesquels ils utilisent essentiellement des drones, en Afghanistan, Pakistan, Iraq, Yemen, Somalie, Syrie et Libye. Selon certaines sources, la CIA aurait établi une liste beaucoup plus longue de pays, notamment en Afrique de l'ouest, dans lesquels l'armée américaine se tiendrait prête à utiliser des drones militaires si elle le jugeait opportun. Certains objectifs possibles auraient même été identifiés au sein des Etats européens.

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Ce que l'on sait encore moins, du fait que les témoignages civils sont encore rares et censurés, est que l'emploi de ces drones, comme l'on pouvait s'y attendre, entraîne la mort de très nombreux civils, femmes et enfants notamment. Il y a tout lieu de supposer que ces morts de civils constituent un élément de dissuasion prioritaire recherché par l'armée américaine, au lieu d'en être comme jusqu'à présent une conséquence regrettable.

Concernant les morts de civils, à ce jour, seul le New York Times a publié un article consacrée à un drame dont l'on avait inévitablement parlé vu son caractère public, la mort en Afghanistan d'une femme qui venait d'accoucher et de ses enfants, revenant de l'hôpital et tués par un drone américain. Dans cet article, le New York Times reconnaît que, selon des chiffres fournis par la mission spéciale des Nations Unis, plus de 4.000 civils avaient été tués dans ce pays par des frappes aériennes américaines dans les seuls derniers mois de 2029. Mais il s'agissait de victimes de bombardements aériens. L'emploi de drones n'avait pas été mentionné.

Note

Sur les drones on pourra lire

https://fr.wikipedia.org/wiki/Drone
https://en.wikipedia.org/wiki/Unmanned_aerial_vehicle

16:46 Publié dans Actualité, Défense, Militaria | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : états-unis, drones, défense, militaria | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

mercredi, 25 décembre 2019

La militarisation de l'espace

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La militarisation de l'espace

par Jean-Paul Baquiast

Ex: http://www.europesolidaire.eu

Le 20 décembre 2019, Donald Trump a promulgué un « 2020 National Defense Authorization Act » qui crée une nouvelle force militaire, l'United States Space Force s'ajoutant à l'US Army, l' Air Force, la Navy, les Marines et les Coast Guards.

Il a expliqué ceci en disant que l'espace allait devenir un nouveau domaine d'affrontement entre puissances et que les Etats-Unis devaient y assurer une présence militaire adéquate. Il ne l'a pas dit expressément, mais il visait en particulier les présences dans l'espace de la Russie et de la Chine, voire prochainement celles de la Corée du Nord . 

Un article très détaillé de Wikipedia (sans doute inspiré officiellement par Washington), précise ce que seront les attributions et les moyens de cette Force Spatiale des Etats-Unis. On s'y reportera. Mais à quoi pourra servir en réalité cette nouvelle Force ?

L'espace est déjà abondamment pourvu en satellites militaires. On désigne de ce nom des satellites artificiels utilisés dans un objectif militaire, satellites de reconnaissance identifiant un territoire ennemi et les objectifs potentiels qui s'y trouvent, satellite d'alerte précoce permettant de détecter le lancement de missiles balistiques, satellites de télécommunications militaires, satellites de navigation sécurisés destinés à la marine et à l'aviation. Les satellites militaires les plus récents peuvent avoir un rôle antisatellite, emporter des armes antisatellites capables de troubler les communications des satellites ennemis ou le cas échéant les détruire par abordage. Il va de soi qu'ils peuvent porter des bombes dites orbitales, capables d'exploser dans l'espace et d'avoir un effet destructeur considérable sur les territoires ennemis.

Par ailleurs les satellites militaires sont commandés du sol par des équipes hautement spécialisées, opérant dans des espaces protégés. Il s'agit donc déjà d'une force militaire organisée, qui se distingue nécessairement des autres forces terrestres ou navales.

Il est donc légitime de se demander pour quelles raisons créer cette nouvelle force?  Le premier objectif doit être vraisemblablement, en l'officialisant et lui donnant un nom, d'augmenter les moyens budgétaires et en personnels déjà affectés à l'espace militaire. Mais il s'agit certainement aussi d'avertir la Russie et surtout la Chine que les Etats-Unis ne les laisseront pas développer de nouveaux moyens militaires dans l'espace sans réagir de la même façon. Pékin l'a d'ailleurs compris  en accusant les Etats-Unis de poursuivre et d'accélérer la transformation de l'espace en un futur champ de bataille.

On peut craindre que ceci ne se produise de toutes façons. En cas de conflit entre grandes puissances, l'espace et les moyens qu'il comporte seront nécessairement utilisés. De plus, il n'est pas exclu que ce soit aussi la Lune et ultérieurement Mars et ses satellites qui servent de terrains d'affrontement.

La Lune se trouvera ainsi divisée en territoires dont les grandes puissances spatiales se seront donné la propriété et dont elles voudront se réserver la jouissance, notamment en termes d'exploitation des ressources naturelles considérables qui s'y trouvent.

Elles y installeront des stations permanentes pouvant éventuellement être habitées par périodes, sinon en permanence. Il s'agira aussi de bases militaires.

On lira à ce sujet un article du général français Jean-Vincent Brisset dans Atlantico