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dimanche, 24 mai 2009

Plaidoyer pour Louis-Ferdinand Céline

Plaidoyer pour Louis-Ferdinand Céline

Ex: http://ettuttiquanti.blogspot.com/
Article tiré de En avant FFI n°13 du 16/12/1944, hebdomadaire des FFI du Sud-Est :

M. Charles Maurras, qui est encore de l'Académie, et M. Louis-Ferdinand Céline qui n'en est pas encore, se trouvent en ce moment en délicate posture : Ils attendent d'être jugés. Et le cas du premier apparaît comme si critique que l'assemblée des Habits Verts pourrait bien être sommée de l'éjecter de son sein. Dès lors, la candidature de M. L.-F. Céline prendrait la valeur d'une protestation contre un coup de force. L'habit changerait d'échine, mais l'esprit serait sauvé. Et nul doute que M. Claude Farrère se ferait une joie de patronner une telle candidature, lui qui écrivit un jour : « Hitler et Mussolini sont bien libres dé massacrer qui bon leur semble ! » En somme, l'Académie devient le dernier refuge de la liberté.

En outre, si elle ouvrait ses portes à l'auteur du « Voyage au bout de la nuit » et de « L'Ecole des cadavres », on ne pourrait plus lui reprocher d'être le dépotoir des lettres et la maison de retraite du conformisme édenté et zézayant. Car M. L.-F. Céline est un costaud. Ecoutez avec quel dynamisme il fulmine contre les youtres : « Qu'on les enferme, qu'on les fricasse, qu'on les branche, qu'on les fouette jusqu'à l'os, que ça gicle, que ça éclabousse.»

Comme M. Charles Maurras, M. Gélive est un pur doctrinaire, et ce n'est pas sa faute si d'aucuns l'ont écouté et suivi. Enfin, ce Gide de la canaille a décidément créé un genre. On a comparé sa langue à des dissections d'hôpital. Il semble même que M. Céline, médecin aliéniste, soit oublieux de son propre cas, qui relève de la camisole de force. Les Immortels, dont le goût est infaillible, ont toujours fait grise mine aux auteurs rabelaisiens, à ceux dont les histoires truculentes chantent la joie de vivre et respirent la santé — qu'ils se nomment Jules Romains, Louis Pergaud, Gabriel Chevallier ou Maurice Fontbeurre. Mais ils se doivent d'accueillir un individu aux mains sales qui ne peut toucher à rien sans le souiller, et dont les gros bouquins dégagent une odeur à laquelle les narines les moins chatouilleuses finissent par ne plus pouvoir résister. Ça, au moins, c'est de l'art et de l'éclectisme !

Un dernier argument. M. L.-F. Céline est l'auteur de ce jugement aussi clairvoyant qu'intrépide : « Quel est le véritable ami du peuple ? Le fascisme. Qui a le plus fait pour l'ouvrier ? Hitler. Qui nous préserve de la guerre ? Hitler. C'est un bon éleveur de peuples, il est du côté de la vie, il est soucieux de la vie des peuples et même de la nôtre. C'est un Aryen ».

Et M. Céline qui n'aime rien, ni la nature, ni la vie, ni les hommes (à la seule exception d'Hitler) s'aime passionnément lui-même. Il avoue quelque part : « Je suis orgueilleux comme trente-six paons ». Il y a vraiment de quoi.

Vite, Messieurs, élisez-le, pour le plaisir de lui voir faire la roue !

Paul Chevalier.

vendredi, 22 mai 2009

L. F. Céline : Siegmaringen: quel pittoresque séjour!

Louis-Ferdinand Céline - Siegmaringen : quel pittoresque séjour !

Ex: http://ettuttiquanti.blogspot.com/
Peut-être pas encore se vanter, Siegmaringen?... pourtant quel pittoresque séjour!... vous vous diriez en opérette... le décor parfait... vous attendez les sopranos, les ténors légers... pour les échos, toute la forêt!... dix, vingt montagnes d'arbres !... Forêt Noire, déboulées de sapins, cataractes... votre plateau, la scène, la ville, si jolie fignolée, rose, verte, un peu bonbon, demi-pistache, cabarets, hôtels, boutiques, biscornus pour « metteur en scène »... tout style « baroque boche » et « Cheval blanc »... vous entendez déjà l'orchestre !... le plus bluffant : le Château!... la pièce comme montée de la ville... stuc et carton-pâte !... pourtant... pourtant vous amèneriez le tout : Château, bourg, Danube, place Pigalle ! quel monde vous auriez !... autre chose d'engouement que le Ciel, le Néant et l'à Gil!... (1) les « tourist-cars » qu'il vous faudrait !... les brigades de la P. P. ! ce serait fou, le monde, et payant !

Nous là je dois dire l'endroit fut triste... touristes certainement ! mais spéciaux... trop de gales, trop peu de pain et trop de R. A. F. au-dessus!... et l'armée Leclerc tout près... avançante... ses Sénégalais à coupe-coupe... pour nos têtes !... pas les têtes à Dache!... je lis là actuellement tous nos « quotidiens » pleurer sur le sort des pauvres Hongrois... si on nous avait reçus comme eux ! tant larmoyé sur nos détresses, on l'aurait eu belle, je vous dis ! dansé des drôles de claquettes ! s'ils avaient eu au prose l'article 75 ces pathétiques fuyards hongrois Coty les garderait pas souper!... merde!... s'ils étaient simples Français de France il les ferait vite couper en deux!... en dix s'ils étaient mutilos! surtout médaillés militaires ! la sensibilité française s'émeut que pour tout ce qu'est bien anti-elle! ennemis avérés; tout son cœur! masochisse à mort !

Nous là dans les mansardes, caves, les sous d'escaliers, bien crevant la faim, je vous assure pas d'Opérette!... un plateau de condamnés à mort !... 1142 !... je savais exactement le nombre...

Je vous reparlerai de ce pittoresque séjour! pas seulement ville d'eau et tourisme... formidablement historique !... Haut-Lieu!... mordez Château!... stuc, bricolage, déginganderie tous les styles, tourelles, cheminées, gargouilles... pas à croire !... super-Hollywood !... toutes les époques, depuis la fonte des neiges, l'étranglement du Danube, la mort du dragon, la vidoire de SaintFidelis (2), jusqu'à Guillaume Il et Goering.

De nous autres, tous là, Bichelonne avait la plus grosse tête, pas seulement qu'il était champion de Polytechnique et des Mines... Histoire ! Géotechnie !... pardon !... un vrai cybernétique tout seul ! s'il a fallu qu'il nous explique le quoi du pour ! les biscornuteries du Château! toutes ! qu'il penchait plutôt sud que nord?... si il savait? pourquoi les cheminées, créneaux, pont-levis, vermoulus, inclinaient eux plutôt ouest?... foutu berceau Hohenzollern! pardi! juché qu'il était sur son roc ! ... traviole ! biscornu de partout !... dehors !... dedans ! ... toutes ses chambres, dédales, labyrinthes, tout! tout prêt à basculer à l'eau depuis quatorze siècles !... quand vous irez vous saurez !... repaire berceau du plus fort élevage de fieffés rapaces loups d'Europe ! la rigolade de ce Haut-Lieu! et qu'il vacillait je vous le dis sous les escadres qu'arrêtaient pas, des mille et mille « forteresses », pour Dresde, Munich, Augsburg... de jour, de nuit... que tous les petits vitraux pétaient, sautaient au fleuve !... vous verrez !...

Louis-Ferdinand Céline, D'un château l'autre, 1957.

Sur le sujet :

A voir :
>>>
Lucette à Sigmaringen, émission Le Fond et la forme de 1971.

A lire :
>>>
Céline, Degrelle et quelques autres à Sigmaringen

jeudi, 14 mai 2009

Jacques Ovadia: quand j'ai rencontré Céline

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SYNERGIES EUROPÉENNES -

VOULOIR (Bruxelles) - JANVIER 1994

Quand j'ai rencontré Céline

par Jacques OVADIA

Quand Louis-Ferdinand Céline m'a reçu chez lui, à Meudon, route des Gardes, il m'a demandé de lui parler d'Israël. Il a dit, après avoir écouté: "Ben voilà, un homme nouveau se fabrique là-bas... un bâtisseur... un cultivateur... un guerrier..." Devant la résistance victorieuse des forces juives contre les armées arabes pendant la Guerre d'Indépendance, l'écrivain avait adressé à l'hebdomadaire "France-Dimanche" un court article où il s'écriait d'emblée: "Vive les Juifs, bon Dieu!". Et cette exclamation avait fait la manchette de la "Une" de l'hebdo. Quand je l'ai vu, il était tassé sur son siège; visiblement, il souffrait des suites de ses blessures reçues au champ de bataille en 1914... Un bras fonctionnait mal, il avait été trépané et souffrait de terribles migraines. Je voyais maintenant un homme aigri, fatigué, mais n'ayant rien perdu de sa vivacité. Parlant littérature, il me disait: "Ecrire, c'est un travail de bagnard, il faut être très méticuleux, ne pas jouer avec la grammaire, revoir les phrases... Tenez, un de mes parents, Auguste il s'appelait, qui était employé aux écritures dans une sous-préfecture, était un maniaque de la virgule... elle devait être à sa place, toujours, 1a virgule... Et puis, il y a l'émotion, sans l'émotion, on ne peut pas vraiment écrire, l'émotion c'est le style... Lisez donc Rabelais dans le texte..." Parmi ses contemporains, peu trouvaient grâce. Proust avait tout en quelque sorte pour lui déplaire; juif, pédéraste. Mais c'était surtout le fait qu'il fût décadent qui le repoussait. Il s'opposait aussi à son style. "Moi, je suis un homme, j'écris comme un homme, disait-il. L'homme ne s'exprime pas comme Louis XIV". Par contre, il lui reconnaissait le talent de savoir "chier les phrases".

Avant de le voir, j'avais correspondu avec Louis-Ferdinand Céline. Parlant d'édition, il m'écrivait: "Pour être édité, il faut être académicien ou pédéraste fameux".

Une autre fois, nous avons parlé du communisme. Céline avait dit: "L'idéal du communisme, c'est de jouir dix fois plus qu'un bourgeois". Il me parlait de l'URSS où il s'était rendu pour toucher ses droits d'auteur. Le "Voyage au bout de la nuit" avait été traduit en russe, c'était le livre de chevet de Staline... Il exprima sa grande déception, mentionna l'état déplorable des hôpitaux russes, ajoutant: "Le communiste est dans le fromage, il a la carte du Parti, il a des privilèges, il est à part, le communiste, ce n'est pas le peuple...". Il a terminé par cette phrase que je n'oublie pas: "L'homme enlèvera toute sa signification au communisme, c'est le peuple qui aura raison, un jour, vous verrez, il jettera le communisme aux. poubelles".

Louis-Ferdinand Céline voulait faire traduire le "Voyage" en hébreu, le faire paraître en hébreu. Je suis allé voir les éditeurs. Bien entendu, aucun n'a accepté. L'un d'eux, dans un modeste bureau de la rue Yavneh, à Tel-Aviv, a répondu que ce n'était pas le moment: "Un jour, peut-être".

Je me rappelle encore, quand je l'ai vu pour la première fois, son irritation: "Cessez de m'appeler "Maître", que les autres le fassent, pas vous... Si vous tenez tellement à me décorer d'un titre, appelez-moi "docteur". Il avait la voix éraillée, il était enveloppé dans ce que j'ai pris pour une grosse couverture verdâtre, c'était peut-être un macfarlane. A la fin, voyant ma curiosité, il m'a révélé qu'il se couvrait d'une houppelande de berger landais. Il est mort quelques heures après avoir achevé le manuscrit de son dernier ouvrage: "Rigodon". Je crois qu'il prévoyait sa mort. La seconde fois que je l'ai vu, il se plaignait de violents maux de tête. Je ne sais pourquoi nous avons parlé de la guerre. "On a gueulé que j'étais collaborateur... encore une insulte... je n'ai collaboré avec personne... et puis pour moi, les Allemands, c'était pas Hitler... Il y a une fameuse différence... Ah! On m'en a fait baver à ce propos... Dites, ça s'est amélioré après la guerre?... On m'a tout brûlé, tout saccagé... Les lendemains qui chantent? J'en ris, j'en ris jaune..." Je n'ai pas voulu lui parler du conflit israélo-arabe. Je crois qu'il n'avait pas envie d'en parler. Mais il tenait à me revoir, j'ai perdu les lettres de cette période. Ce qui l'intéressait, c'était surtout les nouvelles d'Israël. Il en avait des échos assez justes. "Israël est dirigé comme une communauté juive d'Europe Centrale. Vous avez un homme qui est un peu comme De Gaulle, qui connaît bien son peuple et qui veut que le peuple se dépasse, c'est Ben Gourion". Israël avait pour lui un très long chemin de sueur et de sang à accomplir avant de se retrouver libre. Il avait toujours eu en tête l'idée d'un homme libre, d'un homme très populaire et l'existence d'un Etat Juif lui avait ouvert les yeux.

Jacques OVADIA.

(extrait de la revue universitaire israëlienne Levant,  n°4, octobre 1991)

mercredi, 29 avril 2009

Louis-Ferdinand Céline - Jacques d'Arribehaude

Louis-Ferdinand Céline - Jacques D'Arribehaude

Souvenirs
J'ai connu Céline l'hiver 59-60 et je l'ai revu plusieurs fois chez lui à Meudon. Notre dernière rencontre se situe peu avant sa mort. Je voulais surtout réaliser avec lui, sur le décor où il vivait, sur son personnage, un document filmé de 16 mm, mais il se refusait farouchement à « paraître », et je n'ai jamais pu le persuader de la valeur et de l'intérêt que pouvait avoir un tel document. Cependant il me recevait avec amitié et je gardais l'espoir d'arriver un jour à mes fins. Il tournait le dos au monde mais sa curiosité restait inépuisable et rien ne lui échappait. De ses épreuves, il gardait une amertume presque résignée, et il était impossible de le voir, de l'entendre sans être ému. Je le faisais souvent parler de son enfance, des véritables sources de Mort à crédit, qui l'expliquait tout entier. Il pouvait être, dans la conversation un mime irrésistiblement cocasse, d'une férocité aiguë lorsqu'il imitait, en particulier, les gens du monde, les snobs. Tout ce qui était taux, chiqué, enflé, prétentieux, il mettait une verve fantastique et extraordinairement tonique à le démolir.

À quoi donc restait-il attaché et de quelles valeurs gardait-il la nostalgie ? je remarquais que ce monde d'avant 14 où il était né et qu'il haïssait à bien des égards, lui laissait des souvenirs très contradictoires. Après un demi-siècle, son horreur de la société et des conditions d'exploitation de la Belle époque, restait intact, mais il s'y mêlait un respect profond pour la laborieuse honnêteté, la modestie patiente, humble et discrète, des petites gens d'alors, et que sa mère représentait parfaitement à ses yeux.

L'évolution du monde lui paraissait soumise à d'impitoyables lois biologiques, et les discours, les professions de toi idéologiques, les concerts de l'O.N.U. lui faisaient hausser les épaules. Pour lui, le blanc était « un fond de teint » appelé à se modifier. Il ne prétendait pas que le monde à venir serait meilleur ou pire, simplement ce monde-là ne le concernait plus, ne l'intéressait plus.

À la fin de sa vie, assez curieusement, il rendait hommage à Proust, bien loin de lui sans doute, mais fossoyeur génial, tout comme lui, d'un monde pourri.

Jacques d'Arribehaude
(Lomé, 26 octobre 1962)

Extrait du "Cahier de l'Herne Louis-Ferdinand Céline", 1963, volume I.

Source

mercredi, 01 avril 2009

Entretien sur Céline avec Philippe Alméras

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Entretien avec Philippe Alméras

 

 

Philippe Alméras est un personnage controversé dans le petit monde des  céliniens. Nous avons déjà dit ici ce que nous pensions de sa biographie de Céline qui n’est assurément pas un modèle d’équanimité. Au moins lui reconnaîtra-t-on une puissance de travail peu commune. Ainsi c’est entièrement seul qu’il a rédigé un Dictionnaire Céline, coiffant ainsi au poteau les autres céliniens qui nourrissaient ce projet. Nous l’avons rencontré pour lui poser quelques questions sur un sujet qui l’occupe  depuis  quarante ans et dont ce dictionnaire est l’aboutissement.

 

Comment vous est venue l'idée de ce Dictionnaire Céline ?

 

Accidentellement : j'avais oublié mon ordinateur portable dans le train de Paris. Aussitôt signalée, la perte a été déclarée irréparable : « On ne retrouve jamais les ordinateurs ». J'en ai donc acheté un autre. Fourni sans la moindre notice d'instruction, naturellement. Pour apprendre à m'en servir, découvrir par exemple la touche qui mange le texte, j'ai eu l'idée de transcrire mes notes, fiches, entretiens, tout cela vieux souvent de trente ans et plus. Et l'ordre alphabétique allait de soi.

 

Habituellement, ce genre d'ouvrage est le résultat d'un travail d'équipe. La tâche ne vous a pas paru colossale pour un seul homme ?

 

À vrai dire, je ne me suis rendu compte de ce que je faisais qu'après 200 ou 300 pages. Si je m'étais mis en tête de réunir un Dictionnaire de 850 pages, le « colossal » de la chose m'aurait probablement inhibé et nous en serions encore au projet.

 

Si cela avait été possible, auriez- vous souhaité travailler dans une équipe ou préférez-vous, somme toute, le cavalier seul ?  

 

Il y avait, lorsqu'une indiscrétion a révélé mon travail en cours, deux ou trois projets similaires. Quelqu'un a proposé une conjonction des données et des talents. Cela ne s'est pas fait. Je le regrette et je ne le regrette pas : ce que ce Dictionnaire aurait gagné en précision, il l'aurait sans doute perdu en spontanéité. Est-ce vraiment un hasard si ce genre de travail est toujours la responsabilité d'un seul et si les œuvres collectives aboutissent souvent à des mishi-mashi de cotes mal taillées ? Tu me laisses ceci, je t'accorde cela.

 

Comment avez-vous conçu ce Dictionnaire ?

 

Il s'est façonné de lui-même chemin faisant. Une entrée en appelait une autre, un dépouillement d'autres dépouillements. J'avais intégré les témoignages reçus, ils ont failli disparaître lorsque tel éditeur candidat les a jugés diffamatoires ou futiles.

 

Les céliniens vous ont souvent reproché une trop grande partialité à l'égard de votre sujet. Pensez-vous que ce Dictionnaire soit susceptible de provoquer à nouveau ce type de critiques ?

 

Cette partialité m'a été pour ainsi dire laissée en lot, les autres ne parlant que sources, références, tours de mains, etc. Mon premier travail visait à décrire le passage de Mort à crédit aux Bagatelles, du « roman » au « pamphlet ». Devant l'impossibilité de le faire recevoir ou même lire, je me suis obstiné à présenter mes petites trouvailles, et certains disent avec raison : la problématique de Céline a changé.

Cela dit, et cela dépassé, la forme du Dictionnaire est en soi objectivante. Elle oblige à aborder chaque chose sous ses angles divers et la promenade d'une entrée à l'autre fait le reste. Le fait même de pouvoir retrouver tel fait et telle citation et de les comparer à tels autres est en  soi  instructif.  J'ai beaucoup appris à le faire. D'ailleurs, je ne suis pas resté seul longtemps même si le fait de dire qu'il s'agissait d'un travail personnel et subjectif a protégé l'entreprise qui ne manquait pas de concurrents.

 

Les notices de ce Dictionnaire ne sont pas seulement consacrées à des personnages mais aussi à des thèmes. Sur quels critères se sont fondés vos choix ?

 

Le premier critère était de faire figurer tout ce dont nous disposons aujourd'hui. Le second de traiter sa production sans exclusive comme cela se fait souvent au nom des bonnes mœurs ou des bons sentiments. Céline en trente ans d'activité a abordé des thèmes et des genres différents selon une progression et des modalités dont la continuité n'apparaît pleinement qu'après 1961. Au Dictionnaire de mettre cela à jour.

 

En quoi Céline est-il, selon vous, un grand écrivain ?

 

Je pourrais vous dire, comme tel autre, que le fait d'être publié dans La Pléiade est une garantie. Ce serait peut-être un peu court. Répondre qu'on le trouve prodigieusement doué, avec son goût des « diamants du langage parlé » ne serait même pas suffisant. Il ne faut pas oublier que ce qu'il dit – juste ou faux – est au moins aussi intéressant que la façon dont il le dit. Dans sa langue de prédilection – celle de la pré-Renaissance – on faisait la distinction entre « matire » et « sen ».  C'est la combinaison qui fait bien sûr Céline : sans tabous ni précautions, il cite son temps comme le toréador cite le taureau. Ce n'est pas la meilleure des métaphores s'agissant de l'homme de tous les égards et de toutes les tendresses  envers  les  animaux, mais je n'en vois dans la minute pas d'autre.

Comme le pays (lui avec) s'est refait une mémoire littéraire et historique à l'automne 44, il reste le seul à parler de ce dont il est convenu jusqu'à nouvel ordre de ne plus parler. C'est, après  érosion, comme ces témoins de pierre des grands déserts d'Anatolie : indestructible.  

 

Le fait que le Dictionnaire soit l'œuvre d'un seul auteur en fait quelque chose de très personnel : un Dictionnaire certes, mais en même une sorte de « Céline vu par Alméras ». Récusez-vous cette façon de considérer votre travail ?

 

Le « Céline vu par Alméras » reste encore à écrire. Il faudra que je le définisse d'abord. Ce Dictionnaire est à cette date mon travail le moins personnalisé. J'y ai rassemblé les pièces disponibles du puzzle célinien en m'efforçant d'envisager tous les angles et en donnant la parole à tout le monde. Nommément, ce qui devrait fournir à chacun l'occasion de répondre pour corriger ce qui lui paraîtra encore trop interprété. Cela devrait favoriser le rapprochement des diverses obédiences. Les clivages entre céliniens me paraissent dus à la particularité des parcours et aux options politiques prêtées à l'autre. Sur les faits tout le monde se rejoint.

 

En quoi ce Dictionnaire est-il aussi redevable au journaliste que vous fûtes ?

 

J'ai utilisé certainement des approches apprises à Réalités-Entreprise où je m'étais fait une spécialité paresseuse des portraits de dirigeants. Il existe une technique de l'interview. Dans le journalisme j'ai aussi appris le devoir absolu de ne pas ennuyer à mort le lecteur ou l'auditeur. Mais à ce compte une bonne partie des céliniens sont journalistes d'autant que tous ou à peu près tous ont interrogé les témoins du temps. Moi, quand je me suis rendu compte que je n'obtiendrais pas par cette voie la réponse à la question posée  (quelles était la vision du monde et les opinions de Céline entre 1927 et 1936 ?), ce sont les textes que j'ai interrogés, et c'est le chartiste qui a découvert que – pour citer un exemple marquant – ce que Céline avait vraiment écrit dans telle lettre à Élie Faure, ce qui libérait la datation des « mauvaises idées ». Joie lorsque les photocopies ont confirmé ma radiographie. Et certitude dès lors d'aller dans la bonne direction.

 

La manière dont vous considérez l'homme Céline n'a pas toujours été empreinte de la plus grande bienveillance. Mais ne considérez-vous pas qu'il s'agit en l'occurrence d'une personnalité très ambivalente ?  Tour à tour radin et généreux, méfiant et imprudent, courageux et timoré, cynique et sentimental, etc.

 

Il était effectivement tout ce que vous dites, et tout à la fois mais n'est-ce pas notre sort à tous si nous sortons du type : l'avare, le malade imaginaire, Don Juan… et si nous entrons dans la carrière sans plan à la main ? Cette question de « bienveillance »  me reste toujours aussi peu compréhensible. C'est un effet du Céline entre haines et passion où j'ai mis à jour tout ce que je savais alors de la vie de Céline. M'entendre dire que j'avais écrit un livre   haineux  ou   me  voir  décrit à d'innocents étrangers comme « l'auteur d'une biographie extrêmement hostile à Céline » me déconcerte alors comme maintenant. S'il s'était agi de témoigner devant un tribunal, l'exercice serait différent. Je mentirais avec l'accusé. Céline ne risque plus sa peau. Céline ne faisait pas dans l'eau tiède et rarement dans la bienveillance. Il avait le regard aigu et la dent dure. Ceux qui lui veulent le plus de mal sont à mon sens ceux qui occultent, travestissent son œuvre et font de lui un délirant : « Céline the fou » décrit dans les endroits les plus inattendus. J'ai conscience pour ma part de lui avoir rendu la santé mentale et des dents : est-ce malveillant ?

 

Commentant votre biographie, Henri Godard a écrit qu’on avait l’impression de lire la vie d’un second Drumont (et donc que l’accent n’était pas suffisamment mis sur l’écrivain). Que pensez-vous de cette observation ?

 

Êtes-vous sûr qu'il a écrit cela ? Et que cela a été imprimé ? Je ne l'ai pas lu. La seule biographie de Drumont que je connaisse est celle de Bernanos que Céline a pu lire en 1932. En voilà un qui n'hésitait pas. Il faut supposer que Godard a voulu me flatter, ce qui n'est pourtant pas son genre. Il est vrai que le lyrisme mystico-patriote de Bernanos n'est pas non plus le mien.  Peut-être aussi est-ce la « grande peur » que Godard dit lui-même éprouver qui a amené Drumont sous ses doigts. Passons.

 

Comment jugez vous les travaux de vos confrères céliniens ? Quels ont été, de votre point de vue, les apports décisifs ?

 

Ils ont tous eu leur importance ou leur intérêt même si je m'attache plus aux coups de projecteurs et aux apports factuels qu'aux paraphrases et aux commentaires. Merci à ceux qui ont apporté des documents (Lainé les lettres à Garcin, Nettelbeck les lettres à Cillie Pam, Pécastaing les lettres à Zuloaga et ainsi de suite). Celui qui a fait le travail documentaire le plus important est évidemment Jean-Pierre Dauphin. On peut regretter le coup de sang ou le point d'honneur qui lui a fait quitter la partie dont il s'exagérait à mon avis les dangers et les enjeux.

 

Pour vous, le « fil rouge » de l’œuvre de Céline est ce racisme biologique que vous voyez apparaître très tôt et qui est présent jusque dans l’ultime Rigodon. Même si cet aspect de l’œuvre n’est pas négligeable, n’avez-vous pas l’impression d’avoir tellement mis l’accent sur ceci qu’il semble que, pour Céline lui-même, son travail d’écrivain était subordonné à cette préoccupation ?

Ce fil, c'est vous qui le voyez. Céline, personne ne le nie, a cru au corps, à la santé du corps, au dépassement du corps, comme tout le monde aujourd'hui (sport, beaux enfants, pas d'alcool), mais comme on ne le faisait pas alors. D'où les effets de rupture.

Il a ensuite étendu au groupe  (aux « communautés ») la prescription  aux individus. Est-ce unique ?

Comment ces conceptions qu’on dit maintenant temporaires, sans portée littéraire et donc à oublier, entrent dans l'écriture, la sous-tendent et l'orchestrent, voilà ce qu'il est permis de se demander. « L’homme, c’est le style », disait Céline et cela peut autoriser à aller de l'homme au style... Au moins le temps de voir. Surtout si, comme lui, on ne croit pas à la Littérature en soi.

 

Quelles sont les éventuelles critiques auxquelles vous vous attendez au sujet de ce travail ?

 

Vous les avez anticipées : trop personnel, trop désinvolte, trop copieux, trop léger. On chicanera des dates et des virgules. Je ne parle pas des « signes diacritiques » sans lesquels Céline nous reste imperméable. Jean-Pierre Dauphin avait eu l'idée d'assortir ses calepins de bibliographie de pages blanches ou chacun inscrivait ses apports. Si ce Dictionnaire n'avait pas déjà atteint la taille critique, j'aurais bien voulu l'imiter. Chacun aurait pu inscrire son apport, celui qu'il garde jalousement par devers lui. Les exemplaires auraient été disponibles en solde au bout de quatre ou cinq ans, on les aurait collationnés et l'on aurait « Le Dictionnaire Céline » dont nous rêvons tous : impeccable, exhaustif, unanime.

 

(Propos recueillis par Marc LAUDELOUT)

 

 

Comment j'ai commencé à travailler sur Céline

 

par Philippe Alméras

 

Quand j’ai commencé à « travailler sur Céline », il y en avait deux : celui d’avant 1937 et celui d’après, que certains vouaient d’ailleurs à la poubelle.

 

Plus le temps a passé et plus les Céline se sont multipliés. Les Anglo-Saxons parlent des neuf vies du chat. Le chat Céline en a eu bien plus, surtout si l’on ajoute celles qu’il s’est fabriquées à celles qu’on lui a prêtées.

 

Il a été successivement l’enfant du Passage et de la rue Marsollier, le stagiaire en langues d’Allemagne et d’Angleterre, l’apprenti commerçant, le cuirassier de Rambouillet, le combattant d’août 14, l’agent consulaire de Londres, le colon du Cameroun, le grouillot-journaliste d’Eurêka, le propagandiste antituberculeux de la Fondation Rockefeller, le bachelier éclair, l’étudiant en médecine tout aussi pressé, le mari et le père temporaire, l’hygiéniste itinérant de la SDN, le médecin en clientèle, le consultant du dispensaire à Clichy, l’auteur de théâtre, le pharmacien visiteur médical, le rédacteur de Voyage au bout de la nuit, Goncourt raté et événement littéraire de l’année 1933, le héros d’une légende misérabiliste, l’explorateur des enfances de Mort à crédit, le polémiste engagé des « pamphlets », le prophète vérifié un temps (1940-1944), l’émigré d’Allemagne puis du Danemark, le prisonnier de la Vestre Fængsel, le rural malgré lui de Korsør, le  banlieusard  de Meudon et l’auteur d’un come back qui n’allait pas de soi, l’écrivain restauré. Soit trois fois neuf vies de chat. Et l’enchaînement des œuvres dans une langue indéfiniment renouvelée.

 

À ces métamorphoses s’ajoutent les images qu’un lectorat multiple s’est faites de lui. Si les céliniens ne s’aiment guère en règle générale, c’est qu’ils ont chacun leur Céline. En 1932, Daudet le monarchiste et Descaves le nostalgique de la Commune se rejoignent certes dans l’admiration pour le Voyage, mais pas pour les mêmes raisons. L’étudiant Lévi-Strauss le voit socialiste. Bernanos le catholique lit le roman de la déréliction d’un monde sans Dieu. Décor, philosophie, tout renvoyant au peuple, certains croient à un Céline peuple et donc populiste, et c’est d’ailleurs sous cette forme que, génération après génération, il trouve chez les jeunes ses nouvelles recrues. Aujourd’hui le Voyage en poche serait encore le plus « fauché », le plus « chouré », le plus volé des livres dans un temps où les livres se volent de moins en moins. (…)

 

Philippe ALMÉRAS

(extrait de la préface du

Dictionnaire Céline)

 

 

Philippe Alméras, Dictionnaire Céline. Une œuvre, une vie, Plon, 2004, 880 pages.

samedi, 07 mars 2009

L. F. Céline: la grande attaque contre le Verbe

Louis-Ferdinand Céline : La grande attaque contre le Verbe

Ex: http://ettuttiquanti.blogspot.com/
Dans L.F. Céline vous parle (1957), émission radiophonique où Céline aborde à nouveau son oeuvre, ses techniques, l'auteur donne un prolongement aux images du rail camouflé rectiligne et du bâton courbé vu droit dans l'eau. Nous complétons l'analyse du "métro du bout de la nuit" par un extrait de l'entretien, avec des incursions dans quelques autres lettres et textes de l'écrivain. Parlant de son style émotif qui rend caduc le "style verbal" du "bachot" ou du "journal habituel", "éloquent peut-être mais certainement pas émotif", l'auteur rencontre le symbole du Verbe et de la porte.

Il faut, dit-il, sortir les phrases de leur sens usuel, d'un écart très léger comme on déplace une porte hors de ses gonds:

"Le style, il est fait d'une certaine façon de forcer les phrases à sortir légèrement de leur signification habituelle, de les sortir des gonds pour ainsi dire, les déplacer, et forcer ainsi le lecteur à lui-même déplacer son sens."

Ce "labeur" exige beaucoup de doigté. Céline enchaîne immédiatement sur sa "grande attaque contre le Verbe":

"Vous savez, dans les Ecritures, il est écrit : "Au commencement était le Verbe" Non! Au commencement était l'émotion..."

Tecniquement parlant, l'auteur décrit, par l'image, les procédés grâce auxquels il fait passer le langague parlé à travers l'écrit, pour atteindre, dit-il ailleurs, "cette espèce de prose versifiée (...) de dentelle" toute "en émotion et en violence" (1), un travail aussi "éreintant" que celui du médium en transe. Il faut gauchir, "tordre la langue tout en rythme, cadence, mots"(2). "C'est transposé dans le domaine de la rêverie entre le vrai et le pas vrai." (3)

Les gonds et la porte sont aussi un archétype très ancien. En posant son Verbe magique en rival de celui des Ecritures, Céline ne pouvait guère faire l'impasse sur ce point. L'idée d'axe du monde, de cycle, d'ouverture et de fermeture des portes solsticiales, tout ceci est contenu dans l'image de la porte et des gonds, nommés dans l'Antiquité par le même mot "cardo", d'où dérive le terme "cardinalis" servant à désigner les quatre directions de l'espace. Dans la symbolique romane les portes désaxées figurent une atteinte à l'âme du monde et à celle de l'homme. Le Christ, que l'Evangéliste désigne par le Verbe est dit "la Vraie Porte".

[...] La "grande attaque contre le Verbe" menée par Céline a bien d'autres finalités qu'un simple retour à la pureté des origines émotives du langage. Le métro célinien est tellement contre-nature que le colonel Réséda, à l'esprit si lent, finit par céder à la panique :

"il voit le métro sur le boulevard!... là, sur le boulevard Sébastopol!... il se cramponne... (...) Les rails!... qu'il crie, lui (...) traître! les rails!... il a dévissé tous les rails!... (...) au secours! au secours! (...) il a mis des soupirs partout!... monstre anarchiste!... vendu!... traître!... traître!..."

La vision n'est pas si délirante. Elle énonce le remède. Le colonel hurle:

"C'est le métro! (...) c'est le métro!" "Sauvez-moi! sauvez-moi tous!" "Un taxi pour l'amour de Dieu!"

Dans son accès de démence, Réséda propose une sortie du métro, au jour, il achète des fleurs, "les lys, les glaïeuls, les roses", véritable antidote. La fable ne saurait se contenter de cette fin : Réséda perd ses lys; hypocritement Céline les ramasse, mais le coeur n'y est pas :

"C'est vrai, il perdait ses fleurs!... (...) il en perd encore!... j'en ramasse..."

Récapitulons: Les Entretiens avec le Professeur Y constituent une véritable parabole de l'oeuvre célinienne, de ses tropismes, et de l'envoûtement qu'elle exerce sur le lecteur. L'auteur y livre rétrospectivement la théorie et la pratique de ses écrits, tout particulièrement leur phase "au noir" constituant sa grande période créatrice. Le renversement des valeurs diurnes, symboliquement la Surface - avec majuscule - la chute active, accélérée vers le "bout de la nuit" sont exprimés par la métaphore du métro Pigalle.
L'écrivain fera basculer ses fables pseudo-biographiques dans cet "Espace Pigalle" ainsi que toute la matière substancielle de ses romans.

Le choix dit Pascalien de Céline témoigne d'une sacralité inversive. Descendre au gouffre par le "Nord-Sud", à toute vapeur, s'y boucler avec les voyageurs en un trajet strictement nocturne analogue à la navigation des morts, signifie un renversement caractéristique de substitution de la nuit au jour. Telle est la politique qui sera celle de Céline dans Voyage au bout de la nuit, métaphoriquement et intuitivement comme Monsieur Jourdain faisait de la prose sans le savoir, puis, bien plus tard, consciemment dans les Féerie dont les allégories offrent un véritable florilège de tous les gestes de l'Oeuvre au noir, première époque célinienne.

Les Entretiens considèrent l'état mental des voyageurs-lecteurs entraînés dans l'abîme : vivre dans les ténèbres substituées au jour sous la dictature du magicien-inventeur-ferroviaire est une situation inviable, à plus forte raison si l'auteur réussit, comme il l'a fait dans Voyage, à faire passer pour naturelle cette chute aux enfers. Céline ajoute dans un entretien avec A. Zbinden :

"Et pour tout avouer, si je me suis mis tant de gens à dos, l'hostilité du monde entier, je ne suis pas certain que ce ne soit pas volontairement. (...) Je me suis isolé, pour ainsi dire. Isolé, c'est pour être plus en face de la "chose".

[...] Il avait de quoi s'isoler volontairement face à la "chose", la redouter, lui attribuer tous les malheurs, estimer qu'ils remontent à Voyage, "le seul livre vraiment méchant" de sa carrière... (4) C'est peut-être dans cette magie noire du Verbe qu'il faut chercher le trouble que Céline inspire. C'est peut-être la perversité, le malaise, la délectation du pacte forcé avec la nuit que certains lecteurs lui pardonnent le moins.

Source : Denise Aebersold, Goétie de Céline, SEC, 2008.


Notes
1- Lettre de Céline au Dr Camus du 24 mai 1950, citée par P. Alméras, in Dictionnaire Céline, pp 802-803.
2- Lettre du 16 avril 1947 à Milton Hindus.
3- Entretien avec Claude Sarraute, Le Monde, 1/6/1960, Cahiers Céline 2.
4- Préface à une réédition de Voyage au bout de la nuit, 1949.

jeudi, 05 mars 2009

Bulletin célinien n°306

Le Bulletin célinien

Le Bulletin célinien, n° 306, mars 2009 :

Au sommaire :
-"Le Testament de Céline" de Paul Yonnet : entretien avec Christian Authier.

-"Entretiens avec le Professeur Y" au théâtre par Jean-Pierre Doche.

-"Études céliniennes" : présentation du n° 4 par André Derval.

-"Style, morale et anarchie chez Céline" par Xavier Garnier.










Le Bulletin célinien
B. P. 70
B 1000 Bruxelles 22, Belgique
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jeudi, 12 février 2009

L. F. Céline: le cadavre bouge encore...

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Louis-Ferdinand Céline : le cadavre bouge encore

Le Figaro, 5/2/2009 : "Paul Yonnet - Un essai passionnant sur ce grand écrivain qui scandalisait parce qu'il renvoyait une peinture atroce de l'homme.

Écrire sur l'astre noir de la littérature française du XXe siècle à propos duquel tout semble avoir été déjà mille fois dit et imprimé, c'est l'audacieuse intention du
Testament de Céline. Le pedigree de son auteur mérite que l'on s'y arrête. Après des livres sur le travail et le loisir, le sport, la famille et l'enfant, Paul ­Yonnet accéda à une certaine notoriété en 1993 lors de la parution de Voyage au centre du malaise français. Cet essai visionnaire paru chez Gallimard (collection « Le Débat ») lui valut un procès en sorcellerie (accusation de « lepénisation des esprits ») et au mieux de sévères critiques, notamment de Luc Ferry - ce qui n'empêcha pas ce dernier de se retrouver plus tard en compagnie de ­Yonnet dans la charrette des « nouveaux réactionnaires » (Alain Finkielkraut, Michel Houellebecq, Philippe Muray, Maurice G. Dantec, Alain Badiou, Renaud Camus…), rassemblant des auteurs peu soucieux de plaire aux bonnes mœurs de la pensée correcte et soumise à la vindicte publique par Daniel Lindenberg en 2002.

Décidément familier des sujets qui fâchent, Yonnet consacre donc un livre très personnel - qui tient du journal intime, de la réflexion politique et historique aussi bien que de l'étude littéraire - à cet écrivain honni et encensé, abonné à la fois aux listes noires de l'infamie collaborationniste et aux manuels sco­laires.

Une indéfectible volonté d'offenser. Il confronte Céline à d'autres infréquentables aujourd'hui maudits (Maurras) ou oubliés (Bernanos). Ce dernier rendait d'ailleurs hommage au Voyage dans Le Figaro en prévenant les âmes sensibles face à « un livre dont aucun homme sensé ne recommandera la lecture à sa femme, et moins encore à sa fille ». Surtout, il soulignait la vocation de l'écrivain : «M. Céline scandalise. À ceci, rien à dire, puisque Dieu semble l'avoir fait pour ça.»

Le scandale Céline, c'est d'abord d'avoir renvoyé une peinture atroce mais vraie de la condition humaine. C'est ensuite sa fureur antisémite exacerbée dans les pamphlets et qui s'étendra même dans la presse collaborationniste à « ces antisémites de mots (…) pires que des juifs » dont « le Maurras ». ­Céline outrage, vomit certains racistes qu'il juge trop ­tièdes, se soucie peu du vitriol qu'il dispense. « Nous ne parlerions pas des pamphlets s'il n'y avait eu ­Voyage, mais parlerions-nous autant de Céline, et alors d'un air entendu du Voyage, supposé connu de tous, une affaire réglée, s'il n'y avait pas eu les pamphlets ? », interroge Paul Yonnet.

Au-delà du génie littéraire et de la haine antisémite, la paradoxale postérité de Céline réside dans son indéfectible volonté d'offenser, de revendiquer sa part maudite et d'offrir le visage vociférant d'un écrivain qui, dès le Voyage, a voulu dépouiller les hommes « du moindre prestige qu'on a encore tendance à leur prêter ». Mission accomplie."

Bulletin célinien n°305

Le Bulletin célinien

Le Bulletin célinien, n° 305, février 2009:

Au sommaire:
Marc Laudelout : Hommage à quatre céliniens
Dossier sur Lucien Combelle (1913-1995) : textes de Pierre Assouline, Lucien Combelle, François Gibault, Marc Laudelout, Dominique Venner.
J.-L. Aubrun : "Un grand poète épique" [1936]
Jean-Paul Louis : L'Année Céline 2007
Marc Laudelout : Censure et diffamation


Le Bulletin célinien
B. P. 70
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Un numéro de 24 pages, 6 euros franco.
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lundi, 09 février 2009

A paraître: "Le Testament de Céline"

A paraître : Le testament de Céline

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La hantise dont Céline est le bâtard par Philippe Delaroche :

"La lecture du Voyage au bout de la nuit produit une commotion. "Quand j'ai lu le Voyage, raconte Paul Yonnet, j'ai été traversé par ce livre, coupé en deux, en trois, en dix..." Il cessa de lire. Et il prit la route - parce que mourir ou partir, il faut choisir. Revenu à la lecture, il continua à s'interdire le Voyage. Jusqu'au jour où, menacé de cécité, le sociologue redouta d'entrer dans la nuit définitive sans avoir dissipé un doute. Il réappareilla à bord du Voyage. Même ravissement ! Livre de la révolte, "le plus complet et le plus achevé de tous les manifestes de l'Anarchie", où la vie des pauvres et la domestication - "le soldat gratuit, ça c'est du nouveau" - prend un relief inouï, le Voyage témoigne du temps où Céline invente une syntaxe pour "la douleur individuelle d'exister" des sociétés modernes.

Mais il a tout dit. L'effet de souffle est perdu dans Mort à Crédit - "roman à tics". Après quoi, toujours plus retranché, Céline vocifère et délire dans la pire solitude "car, explique Yonnet, c'est une solitude qui désidentifie". Mais l'oeuvre n'est pas née de rien. Elle condense destin personnel et fatalité collective. Céline a vingt ans en 1914. La Grande Guerre lui causa une infirmité et des bourdonnements. Il est pacifiste. Que les surenchères nationalistes relancent la guerre, voilà sa hantise. Il deviendra raciste, au motif qu'une même race vivrait en paix et, qu'à l'inverse, les nations métissées, et par là même "contre-nature", seraient des foyers de guerre civile. Manipulées par les Juifs, elles ne songeraient qu'à s'entretuer.

Ce n'est pas parce que le discours est inqualifiable qu'il faut ignorer les ressorts du délire. Chateaubriand prévoyait chez les solitaires des temps futurs "une misanthropie orgueilleuse, qui les conduira à la folie, ou à la mort". Voici Céline et sa torrentueuse colère. Ce qui le rapproche et le distingue de Zola est avéré, Georges Bernanos, autre survivant de 14-18 et issu d'un autre horizon, salua ainsi le Voyage : "Pour nous la question n'est pas de savoir si la peinture de M. Céline est atroce, nous demandons si elle vraie. Elle l'est. " L'accent de vérité s'épuisa, pas l'atrocité du traumatisme. Paul Yonnet rappelle comment, pour avoir vécu ou dénoncé un péril trop écrasant, certains écrivains ont parfois tout perdu - jusqu'à la raison."

Paul Yonnet,
Le testament de Céline, Editions de Fallois, 2009.

mardi, 03 février 2009

F. Vitoux: Céline, l'homme en colère

Frédéric Vitoux : Céline, l'homme en colère

Trouvé sur: http://ettuttiquanti.blogspot.com

Ce volume constitue une édition revue et mise à jour de Céline, paru aux éditions Belfond en 1987.

Présentation de l'éditeur
" Chaque écrivain, chaque intellectuel, chaque maître à penser veut désormais se mesurer à l'auteur du Voyage, le jauger, le juger, l'accabler ou le louer ", estime Frédéric Vitoux, qui fut l'un des premiers à se risquer à cet exercice et qui pose aujourd'hui la question : " Céline serait-il l'auteur le plus notoirement méconnu de la littérature moderne ? " Ecrivain maudit ? Il était célèbre dès la publication de Voyage au bout de la nuit, en 1932. Ecrivain controversé ? Sa gloire n'a cessé de croître depuis sa mort, au point qu'il est aujourd'hui l'un des Français les plus traduits dans le monde. Ecrivain ordurier ? Son style ajouré, éclaté comme de la dentelle, en fait aussi l'un des plus précieux de notre littérature. Ecrivain consacré ? Son œuvre, à l'exception de ses deux premiers romans, reste largement ignorée. Aborder sans jargon les singularités de l'écriture célinienne. Raconter les principales étapes de sa vie. Evoquer sans complaisance aucune le signataire de pamphlets antisémites d'une violence et d'une outrance telles qu'elles indignèrent ou décontenancèrent ses détracteurs comme ses amis : tel est le triple défi relevé par ce livre. Etude objective et dépassionnée, Céline, l'homme en colère se complète de témoignages, d'une bibliographie et d'un index.

Frédéric Vitoux, Céline, l'homme en colère, Ed.Ecriture, 2009.

lundi, 02 février 2009

Un blog consacré à Céline

 

 

 

Un blog consacré à Céline

 

Céliniens qui êtes aussi des internautes, oyez ! Un blog consacré à Céline est désormais disponible sur la toile.  Il propose les entretiens filmés, des émissions télévisées et radiophoniques mais aussi des commentaires variés, des articles de presse, des photographies, des portraits, bref tout ce qu’il est possible de mettre sur Internet ¹.

L’animateur de ce blog, Matthias Gadret, n’est pas (encore) connu des céliniens. La trentaine, licencié en philosophie, « gratte-papier » dans la banlieue parisienne, il se considère comme un simple lecteur de Céline. Simple lecteur peut-être mais passionné si l’on en juge par la richesse de son blog qui accumule les informations en tous genres sur celui qu’il considère de toute évidence comme le contemporain capital. Si on lui demande quel est l’objectif de ce blog, il répond modestement : « Offrir chaque jour un petit quelque chose sur notre auteur favori ». Le plus étonnant, c’est qu’il y parvient si bien que le réflexe quotidien d’aller visiter ce blog devient familier aux internautes céliniens qui le connaissent déjà. L’avantage du blog, dit-il, est que l’outil,  simple et souple à utiliser, ne nécessite aucune connaissance technique particulière. Il permet surtout aux lecteurs de réagir aisément à chaque information mise en ligne en déposant un commentaire. À ce propos, Matthias déplore que les internautes céliniens soient aussi discrets alors même que l’anonymat leur est garanti.  Le fait que ce blog soit plutôt de droite  – particularité peu commune parmi les céliniens déclarés – ne suscite pas davantage de réactions. Il est vrai qu’il se divise en plusieurs sections, dont l’une, centrée sur l’actualité, est davantage lue que les autres. Pas que Céline, en effet : ce fervent du 7ème art en général et de Michel Audiard en particulier propose de savoureux extraits de films mettant en valeur tout le talent du dialoguiste qui était aussi, comme on le sait, un célinien patenté.

Proche de la sensibilité identitaire, Matthias met aussi en ligne d’intéressants documents sur notre patrimoine européen. Fasciné par le Japon, il consacre aussi une part intéressante de son travail à l’empire du Soleil levant. La partie consacrée à la photographie donne à voir de beaux nus artistiques. Celle centrée sur la musique propose classique, chanson française, rock’n’roll’, airs traditionnels, etc. Bref, un blog éclectique à souhait.

En ce qui concerne Céline (qui occupe tout de même une part privilégiée avec plus de 400 « posts »), Matthias Gadret déplore que l’image de l’écrivain se résume encore aujourd’hui à celle d’un « horrible écrivain collabo-nazi-antisémite ». Il n’en veut pour preuve que l’incident survenu récemment à la Médiathèque André Malraux de Strasbourg : une citation bien anodine extraite de Rigodon a dû être effacée en catastrophe suite aux pressions émanant d’une seule personne ². Notre blogueur pense qu’il sera difficile d’aller plus loin dans la bêtise. Et de commenter sur le mode ironique : « “Dieu qu’ils étaient lourds !”, nous disait Céline il y a environ 50 ans. Ils continuent, les bougres... ». Son souhait, pour conclure : « Voir des céliniens avertis (relativement rares sur internet) réagir plus souvent, pour créer le débat, partager leurs impressions, chaque célinien ayant son Céline. »  Lecteurs du BC, vous savez ce qu’il vous reste à faire…

Marc LAUDELOUT

 

1. Blog « Entre guillemets... » ( http://ettuttiquanti.blogspot.com ) comportant dix sections : actualités – Louis-Ferdinand Céline – livres – musique – mémoire – images – japon – humour – film – mots et proverbes. 

2. Pour plus de détails, voir Le Bulletin célinien, n° 302, novembre 2008, p. 3.

vendredi, 23 janvier 2009

L'Apocalypse selon Ferdinand

14 janvier 2009 : http://ettuttiquanti.blogspot.com/

L'Apocalypse selon Ferdinand

"D'entrée de jeu, soulignons le double niveau d'interprétation qu'on peut donner à cette oeuvre : Féerie est l'expression, par l'image, d'un drame personnel de Ferdinand confondu avec Céline. En outre, ce qui arrive au narrateur, personnage cosmocentrique par excellence, adviendra au reste du monde. Féerie contient des vues sur le passé, le présent, le présent, et l'Histoire future. C'est une Apocalypse - au sens de Révélation - selon Ferdinand.
"Apocalypse" ne signifie pas seulement les tribulations catastrophiques de la fin des temps, mais la Révélation Johannique - "tout est dans saint Jean!" (1) - qui donne leur sens aux motifs tragiques. [...]

Le prophète de Féerie narre ce qu'il a vu en se disant simple témoin : le point de départ est un bombardement longuement décrit. Céline, qui se réclame de Pline l'Ancien (2) pour son esprit de sacrifice et la minutie de son observation, précise que sa perception des jardins à l'envers de Jules est "rétinien(ne)"... "du phénomène physique (3)". La vision est à la fois naturelle et surnaturelle, car elle s'inscrit dans le temps des devins :

"Confusion des lieux, des temps! Merde! C'est la féerie vous comprenez... Féerie c'est ça... l'avenir! Passé! Faux! Vrai! " (4)

L'Apocalypse célinienne concerne tous les hommes au-delà des continents historiques, tous les temps, elle embrasse présent, passé, avenir. Ainsi, après ce bombardement donné pour authentique, l'un des personnages de Féerie, le baron Solstrice, nie la réalité des faits et s'écrie:

"Il ne s'est rien passé!... vous confondez tout! (...) Il va se passer! oui! certes! il va! il va se passer! (5)

Plus tard, précise le narrateur-prophète, quand viendra le Temps, les hommes comprendront; ils conviendront alors du sérieux de l'observation:

"ils achèteront plus tard mes livres, beaucoup plus tard, quand je serai mort, pour étudier ce que furent les premiers séismes de la fin, (...) Ils savaient pas, ils sauront!..." (6)

"... quand ils déferleront au coeur! quand Técel aura été dit... Pharès! Manès!... alors on entendra quelque chose!... alors les yeux sortiront... "(7)

Source : Denise Aebersold,
Goétie de Céline, SEC, 2008.


Notes
1- Féerie pour une autre fois I, p. 81, Pléiade.
2- Pline l'Ancien ou "le naturaliste" (23-79 ap.JC), auteur d'une Histoire naturelle, commandait la flotte romaine de Misène, près de Naples, lorsque eut lieu l'éruption du Vésuve qui anéantit la ville de Pompéi. Voulant observer le volcan de près, il mourut asphyxié par les émanations. L'hommage qui lui est rendu repose sur l'idée sous-jacente qu'un écrivain digne de ce nom paie un lourd tribut à la connaissance... à distance du cratère de feu s'il s'agit de Ferdinand.
3- Féerie II, p.191
4- Féerie I p15
5- Féerie II p144
6- Féerie II p191
7- Féerie II p195

mercredi, 21 janvier 2009

Céline: "Je suis mystique, messianique, fanatique, païen"

Louis-Ferdinand Céline : "je suis mystique, messianique, fanatique", "païen"

"Breton, je suis mystique, messianique, fanatique tout naturellement - sans effort - absurde - j'ai été élevé tout naturellement en catholique = baptême, première communion, mariage à l'église, etc. (comme 38 millions de Français) La foi ? hum ! c'est autre chose - comme Renan, hélas, comme Chateaubriand, en désespoir... Pire, je suis médecin - Et puis païen par mon adoration absolue pour la beauté physique, pour la santé - Je hais la maladie, la pénitence, le morbide - grec à cet égard totalement - J'adule l'enfance saine - je m'en Pâme - je tomberai facilement éperdument amoureux - je dis amoureux - d'une petite fille de 4 ans en pleine grâce et beauté blonde et santé - je hais la boisson, la fumée, les toxiques - je comprends, je crois l'enthousiasme des Grecs - Cela est fort rare en somme - Ni Popol ni tant d'autres artistes infiniment mieux doués que moi ne ressentent l'appel irrésistible de la jeunesse (même l'extrême jeunesse - saine et joyeuse) pour cela j'ai tant aimé l'Amérique ! la félinité des femmes ! Ah ! Hollywood - Ah - Goldwyn Mayer ! J'aurais donné 10 ans de ma vie pour occuper leurs fauteuils un instant ! Toutes ces déesses à ma merci ! (Renoir était bien aussi de cet avis) - Etalon très modéré, la vue, le palper, m'enchantent à souhait, m'enivrent, m'inspirent - Je donnerais tout Baudelaire pour une nageuse olympique !"

Louis-Ferdinand Céline, lettre à Milton Hindus du 23/08/1947, in Milton Hindus, LF Céline tel que je l'ai vu, L'Herne. (réédité en 2008 sous le titre Rencontre à Copenhague)

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dimanche, 18 janvier 2009

Céline, la peinture et les peintres

Louis-Ferdinand Céline, la peinture et les peintres

Trouvé sur: http://ettuttiquanti.blogspot.com

[Céline par Gen Paul - 1936]
"Céline dit plus d'une fois qu'il n'est pas peintre, en ce sens qu'il ne se sent pas personnellement concerné par la peinture comme il l'est par tout ce qui touche à la littérature. En peinture, il n'est au mieux qu'un amateur, et encore, moins sensible aux qualités proprement picturales qu'aux effets affectifs, voire sentimentaux. «Mon Dieu, un Meissonnier moi ça ne me gêne pas, déclare-t-il dans un entretien de 1959, moi je trouve ça joli, moi, La Retraite de Russie, nom de Dieu je ne suis pas capable d'en faire autant. On me montrera un beau chromo, moi, même l'almanach des Postes, je vois ça très bien [...] c'est gentil même. L'Angelus de Millet, moi je trouve pas ça mal du tout (1). »

Tout autodidacte qu'il est, il n'est pourtant pas sans connaissances en matière de peinture. Dans Voyage au bout de la nuit, il cite les noms de Claude Lorrain et de Fragonard, mais chaque fois pour des raisons extra-picturales. De même sa référence cent fois réitérée à l'impressionnisme ne concerne-t-elle pas la peinture en elle-même. Il ne s'agit que de faire comprendre, par comparaison, la révolution qu'il a réalisée dans la prose française en y réintroduisant, sinon la langue parlée populaire, du moins quelque chose de son ton et de sa démarche,de même que l'impressionnisme, en choisissant le plein air, avait rejeté dans le passé la peinture en atelier.

Ce n'est pas qu'il soit dépourvu de goûts personnels, mais les prédilections qu'il marque vont toujours à un sujet ou à une thématique plutôt qu'à une facture ou à un style. Il n'y a guère lieu de s'attarder sur celle qu'il affirme pour Vlaminck (« parmi les peintres, celui qui se rapproche le plus de mon idéal (2) »: elle peut tenir à la fréquentation du peintre chez Lucien Descaves.

La peinture flamande
La prédilection la plus notable et la plus convaincante, parce qu'elle touche à l'imaginaire qui se révèle dans ses romans, est son attachement durable et souvent réaffirmé à la peinture flamande. En décembre 1932, alors qu'il vient de publier Voyage au bout de la nuit, les Bruegel du musée de Vienne sont pour lui une révélation. Il en fait part aussitôt dans une lettre à Léon Daudet, l'un des trois aimés qui l'ont soutenu dans l'affaire du prix Goncourt contre les autres membres du jury. Tout est significatif dans ce passage: le tableau de Bruegel qu'il choisit parmi tous ceux que présente le musée, le titre qu'il substitue à son titre habituel et le commentaire qu'il en fait: «Vous connaissez certainement, Maître, l'énorme fête des Fous de P. Brughel [sic]. Elle est à Vienne. Tout le problème n'est pas ailleurs pour moi.../ je voudrais bien comprendre autre chose -je ne comprends pas autre chose. je ne peux pas. / Tout mon délire est dans ce sens et je n'ai guère d'autres délires (3). »

La gaucherie et l'insistance de la rédaction témoignent de l'impact qu'a eu sur lui le tableau, en relation étroite avec sa propre inspiration. Il ne peut s'agir que du tableau traditionnellement intitulé Le Combat de Carnaval et de Carême, scène de place publique où d'innombrables petits personnages sont dispersés autour de deux d'entre eux figurés à plus grande échelle, l'un ventru et rubicond, l'autre squelettique et sinistre, tous deux assis, l'un sur un tonneau posé sur des roulettes et poussé par deux acolytes, l'autre sur une plate-forme roulante tirée par un moine et une nonne. Hormis un certain nombre de personnages qui, comme participants d'une fête populaire, relèvent d'une scène de genre, tous les autres, mendiants et estropiés, composent une humanité pitoyable. Cette fête de mi-carême, malgré les déguisements de quelques-uns et les jeux de quelques autres, est tout sauf joyeuse. La vue de ces malheureux qui s'efforcent et font semblant de s'amuser, beaucoup déjà atteints dans leur corps, laisse le spectateur partagé entre la pitié envers leur état et la répulsion qu'inspire la cruauté spontanée de la plupart de leurs amusements. Consciemment ou inconsciemment, Céline retrouve pour les acteurs de cette scène, malgré le décor de place de village, le mot de « fous » qui figure dans le titre donné par Jérôme Bosch - que Céline découvrira apparemment après Bruegel - à un tableau allégorique, La Nef des fous. Il sait qu'une telle vision est le produit d'un «délire »- le mot même qu'il emploie régulièrement pour désigner l'inspiration qui anime ses romans. Trois mois plus tard, il le répétera dans un autre contexte en se disant « bien Brughelien par instinct (4) ». Souligné par les répétitions, le mouvement qui anime les lignes de la lettre à Léon Daudet est déjà celui d'une défense contre le reproche qu'on a commencé à lui faire à propos de Voyage au bout de la nuit, celui de se complaire à évoquer misères et turpitudes des hommes. « Je voudrais bien comprendre autre chose. [ ... ] Je ne peux pas. » Il y reviendra quelques années plus tard dans le prologue de Mort à crédit. Son domaine à lui, comme celui de Bruegel, est celui du grotesque dont l'humanité présente le tableau lorsque, sujette à la mort, elle tente sans le savoir de s'en divertir en faisant souffrir son semblable. Quittant Vienne, Céline voudra garder cette toile sous les yeux dans son appartement parisien sous la forme d'une reproduction qu'il demande à son amie viennoise de lui envoyer. À ce moment, il s'est si bien persuadé de cette proximité artistique avec Bruegel qu'il a oublié qu'il ne l'a découvert qu'après la publication de Voyage au bout de la nuit et que, dans un entretien, il le présente - avec Balzac et Freud ! -comme son maître dans l'écriture du roman (6).

Il fera de même avec un autre tableau de Bruegel qu'il découvrira quelque temps plus tard, à Anvers où il est venu voir une autre amie (7). Le sujet de Dulle Griet le touche sans doute de plus près encore, puisqu'il s'agit de scènes de guerre dans lesquelles la légendaire géante « Margot l'Enragée» (désignation habituelle du tableau en français) entraîne ses compatriotes flamandes. Ce que révélait déjà sur les hommes la pacifique « fête des Fous » est ici pleinement et irrécusablement mis en valeur.

L'intérêt pour la peinture flamande ne se démentira pas. En janvier 1936, il visitera l'exposition de l'Orangerie en compagnie de son amie Lucienne Delforge, qui, dans un témoignage, parlera plus tard de l'admiration de Céline pour « la justesse des attitudes, la subtilité du geste ou de l'expression qui permettaient de pénétrer la psychologie des personnages peints par l'artiste, en dehors de la splendeur des couleurs (8)». Ce que Lucienne Delforge nomme ici la« psychologie » est la« folie » humaine que Céline ne se lasse pas de voir illustrée par cette école de peinture. Même lorsqu'il est le plus touché par un peintre, c'est encore davantage par la représentation que par le style.

Dans les années suivantes, peut-être à la suite de cette exposition ou bien après avoir vu ou revu au Louvre La Nef des fous, il remontera jusqu'au maître de Bruegel, Jérôme Bosch. Il s'interrogera sur ce qu'a pu être la vie du peintre pour qu'il en arrive à peindre de tels tableaux. À la même amie anversoise, il demande « quelques renseignements sur la vie de Jérôme Bosch, juste quelques idées (9) », (Et lui, quelle avait été sa vie pour qu'il écrive ces romans?) À la réflexion, il jugera le maître supérieur à l'élève. En 1947, quand il voudra donner une idée de la peinture européenne à son admirateur et défenseur américain Milton Hindus, il écrira: « Bosch Jérôme, le peintre, surpasse de beaucoup Breughel à mon avis - il ose davantage"). »

Deux amis peintres auraient pu offrir à Céline un autre contact avec la peinture, mais, à en croire les lettres de lui qui ont été conservées, il ne s'entretenait guère de peinture avec eux. Avec le peintre décorateur Henri Mahé, son cadet, la complicité repose sur leurs origines bretonnes et sur un échange de propos sur les femmes et le sexe. C'est pour accompagner les fresques dont Mahé avait décoré une maison de plaisir que Céline écrit un petit texte licencieux, « 31 cité d'Antin » (l'adresse parisienne de la maison).

Gen Paul
L'intimité va beaucoup plus loin avec l'autre peintre, son voisin montmartrois, Gen Paul. Elle est à la fois profonde et ambivalente, comme le montrera leur brouille d'après-guerre qui se traduira, de la part de Céline, par une évocation très négative de l'artiste, sous le nom de «Jules», dans la seconde partie de son roman Féerie pour une autre fois. Avec lui, pourtant, Céline avait touché de plus près la peinture, et la création plastique en général. Non que, jusqu'à la guerre, il entre si peu que ce soit dans l'expressionnisme violent de la manière de Gen Paul à cette époque, qui le rapproche de Soutine. Mais, déjà, Céline est sensible dans ses dessins à une affinité avec ce que lui-même réalise avec les mots. Deux textes témoignent de son admiration et font de l'artiste l'illustrateur privilégié de ses romans: «J'avoue que Gen Paul avec ses cartons me fait grand plaisir. J'attends chaque nouveau. Je frétille du bout... C'est la seule glace qui me convienne. je m'y retrouve tout immonde et sans dégoût (11).» Deux ans plus tard, il écrira, pour présenter une exposition de Gen Paul prévue à New York, un texte dans lequel il donnera sa peinture comme « authentiquement représentative d'une manière qui est purement et essentiellement française - irrévérencieuse, moqueuse, franche - et pourtant gracieuse, vive et joyeuse (12)».

On ne sait de quelle série de peintures de Gen Paul parle ici Céline. Sur sa manière expressionniste antérieure, il portera dans Féerie pour une autre fois un jugement beaucoup plus défavorable. Mais il se passe alors un phénomène paradoxal qui le rapproche bon gré mal gré de cette peinture.

[Gen Paul, Le Sacré-Coeur, 1927]
Le bouleversement cosmique que produit sous ses yeux le bombardement en cours, qui est le sujet de ce roman, lui apparaît comme la réalisation concrète, et même encore exagérée, de cette manière de « jules ». Il ne rappelle d'abord ses premières impressions que pour reconnaître que les événements de cette nuit d'avril 1944 leur apporte rétrospectivement un démenti, dans la mesure où ils réalisent bel et bien, et même davantage encore, ce qu'il prenait alors pour de la pure provocation. « je l'avais vu vernisser ses toiles... moi parfait plouc, aucune autorité d'art, je m'étais dit à moi-même: il le fait exprès! il bluffe le bourgeois! il leur peint des autobus sur la mer de Glace... et les Alpes elles-mêmes en neiges mauve, orange, carmin, et les vaches paissant des couteaux!... des lames d'acier! des poignards en fait d'herbe tendre!...» Mais la réalité est en train de dépasser la fiction - en l'occurrence la vision -, jugée alors artificielle, des tableaux de jules, ce que Céline traduit en termes romanesques en imaginant celui-ci non plus en train de peindre, mais de présider au bombardement par ses gestes du haut de la plate-forme du Moulin de la Galette: «... maintenant il nous sorcelait autre chose! des aravions tonnants, grondants, des escadres entières, et des déluges de mines réelles qui foutaient un bordel au sol, que les immeubles déchaussaient, et les monuments! les mairies! que tout ça s'envolait aux cieux, à la queue leu leu à l'envers! et les couvents! c'était plus terrible que ses gouaches! c'était un petit peu plus osé ! (13) »

À quelqu'un qui, comme lui, ne s'intéressait pas à la peinture pour elle-même et n'avait pas suivi son évolution au XXe siècle, la déformation du réel dans les peintures expressionnistes de Gen Paul avait pu à l'époque paraître gratuite, mais le moment était venu où elle se révélait prophétique, face au tohu-bohu auquel était réduit le monde par l'action conjuguée des bombardiers, avec leurs piqués, leurs loopings, leurs lâchers de bombes, et de la DCA, avec ses pinceaux lumineux et ses tirs. Contre les préjugés de l'ignorance, la peinture trouvait sa justification. Mais le dernier mot restait à la transposition de cette peinture dans le monde du langage, dont Céline prouverait, dans ces quatre romans de l'apocalypse, que la littérature était capable."

Source : Henri Godard, Un autre Céline, de la fureur à la féerie, Ed.Textuel, 2008.

Sur le sujet:
>>> Louis-Ferdinand Céline - Bruegel


Notes
1-Voir aussi l'entretien avec Francine Bloch et Julien Alvard, Cahiers Céline 7, p.435 et 459.
2- Bagatelles pour un massacre, p.216.
3-Lettre à Léon Daudet du 30 décembre 1932, in Appendices, Romans, T.1, p.1108.
4- Lettre à Evelyne Pollet du 5 juin 1933, Cahiers Céline 5, p.166.
5- Lettre à Cillie Ambor du 10 janvier 1933, CAhiers Céline 5, p.91.
6- Cahiers Céline 1, p.41.
7- Lettre à Evelyne Pollet du 5 juin 1933, Cahiers Céline 5, p.171.
8- Cahiers Céline 5, p.258.
9- Lettre à Evelyne Pollet du 20 novembre 1937 Cahiers Céline 5, p.194.
10- Milton Hindus, LF Céline tel que je l'ai vu, lettre du 12 juin 1947.
11- Texte écrit en 1935 pour le bulletin de souscription d'une édition illustrée du Voyage qui ne sera pas réalisée à cette date.
12- Le texte n'étant connu que par sa traduction en anglais, ces mots ne sont pas ceux de Céline mais d'une retraduction en français, Année Céline 1996, p.19.

13- Féerie pour une autre fois, p.223.

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vendredi, 09 janvier 2009

Le Bulletin Célinien n°304

Le Bulletin célinien

Au sommaire du n°304 - janvier 2009 :

Marc Laudelout : Bloc-notes
Henri Godard : Un monument célinien ("Dictionnaire des personnages dans l'œuvre romanesque de Céline")
Marc Laudelout : Le monde de la dédicace
André Rousseaux : Justice pour Céline écrivain (1961)
Deux lettres de Céline à André Rousseaux
Marc Laudelout : À propos de Céline et Karl Epting
Vera Maurice : Les paradoxes de la Rose des Vents
Marc Laudelout : Un blog consacré à Céline

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jeudi, 08 janvier 2009

Les idées politiques de Louis-Ferdinand Céline par J. Morand

Trouvé sur: http://ettuttiquanti.blogspot.com/

Les idées politiques de Louis-Ferdinand Céline par J. Morand

Extrait de Les idées politiques de Louis-Ferdinand Céline de Jacqueline Morand, 1972 :

Le paradoxe. Céline engagé volontaire des deux guerres
.

« Ce pacifiste forcené, qui dénonçait si violemment la guerre, la déliant d'un mépris gigantesque, qui allait jusqu'à faire l'apologie de la lâcheté et de la roublardise dans son premier roman et se déclarait en 1938 « objecteur de conscience 700 pour 100 » fut un volontaire des deux guerres, médaillé militaire en 1914, cité à l’Ordre de l'armée, mutilé 75 %. Là réside le paradoxe, la réelle contradiction entre l'œuvre de Céline et sa vie. Un patriotisme d'Epinal ne cessa jamais au fond de l'habiter. Cette première guerre mondiale qu'il jugeait monstrueuse, absurde, et haïssable, il était fier de l'avoir faite avec bravoure, fier des blessures reçues au service de son pays, versant dans ces « sentiments » dont il disait devoir se méfier.

Les dernières pages de Mort à crédit présentent l'engagement à l’armée du jeune L.F. Destouches comme la révolte d'un adolescent qui pense échapper ainsi à l'emprise devenue pesante de sa famille. De fait Céline s'engagea volontairement en 1912 pour une durée de 3 ans. Il put choisir sa garnison, Rambouillet, 12è régiment de cuirassiers. Il avait 18 ans. Maréchal des logis sur le front des Flandres, il fut en novembre 1914 volontaire pour une mission dangereuse à Poekapelle en Flandre occidentale dont il se tira avec bravoure. Grièvement blessé au bras et à la tête, considéré comme invalide à 75%, il fut cité à l’ordre du jour de l’armée et reçut la Médaille militaire. Cet acte héroïque lui valut d’être représenté en couverture de L’Illustré national (10). La gravure montre le jeune Destouches galopant à cheval sous le feu nourri de l’ennemi. La légende inscrite au bas de la gravure explique :

« Le maréchal des logis Destouches, du 12è régiment de cui¬rassiers, a reçu la médaille militaire pour s'être offert spontané¬ment (alors qu'il était en liaison entre un régiment d'infanterie et sa brigade) pour porter, sous un feu violent, un ordre que les agents de liaison d'infanterie hésitaient à transmettre. Après avoir porté cet ordre, il fut malheureusement grièvement blessé au retour de sa mission. »

Ces blessures expliquent qu'il fût affecté, début 1915, à Londres, comme attaché au bureau des passeports, ce qui lui occasionna des rencontres étranges, celle de Mata-Hari entre autres. Il fut, en 1916, envoyé au Cameroun, réformé temporairement et retourna à Londres, versé dans les services de l'Armement. Il obtint en 1917 son deuxième baccalauréat à Bordeaux, fit des tournées de conférences en Bretagne pour la Fondation Rockfeller, en vue de la propagande anti-tuberculeuse, et commença en 1918 ses études de médecine à Rennes. En 1939, Céline, âgé de 45 ans, reprend volontairement du service dans l'armée. Il devient médecin de la marine de guerre (3è classe) et embarque à bord du Shella, un paquebot de la compagnie « Paquet ». Lors d'un trajet Casablanca-Marseille, le bateau est touché par une torpille allemande au large de Gibraltar ; il entre ensuite en collision avec un patrouilleur anglais, le Kingston Cornelian et les deux navires font naufrage. Renfloué, le Shella est coulé par les Allemands en regagnant Marseille.

Où irai-je ? s'interroge Céline dans une lettre envoyée de Gibraltar le 9 jan¬vier 1940 à un de ses amis.

Ah ! le destin se montre féroce en ces jours courants. J'espère que vu ma vaillance et ma discipline, on me découvrira une nouvelle planque où je finirai bien par gagner la timbale des bonnes vies bien mouvementées.

Et de poursuivre avec amertume :
De toi à moi, jamais je ne me suis tant ennuyé. La belle époque tu vois c'était le XVIIIè. On y faisait facilement une vie par semaine. De nos jours dits rapides, on guerroye en limace.

A son retour en France, Céline remplace le médecin mobilisé du dispensaire de Sartrouville. Il accompagne sur les routes de l'exode jusqu'à La Rochelle une ambulance d'enfants qu'il ramènera à Sartrouville en octobre (11). Durant l'occupation, il vit à Paris, rue Girardon et travaille au dispensaire de Bezons. Il quittera Paris pour l'Allemagne, en juillet 1944.

Il y a donc désaccord entre les idées pacifistes de Céline qui logiquement aurait dû le conduire à l'objection de conscience et les réflexes qui le poussèrent à s'engager volontairement une fois la guerre déclarée. Cette contradiction correspond chez lui à l'oppo¬sition entre un antimilitarisme ardent et un patriotisme à la Déroulède, et dans cet affrontement entre l'antimilitarisme qui chez lui tient plutôt de l'idée, et le patriotisme qui relève surtout du sentiment, c'est ce dernier qui l'emporta. Il est à noter aussi que les deux guerres l'ont très différemment marqué : la guerre de 1914 l'a poussé ainsi qu'un grand nombre d'intellectuels de sa génération à un pacifisme véhément. La guerre de 1940 l'a laissé plus indifférent, détachement que procure l'âge, lassitude que crée l'habitude. Le pacifisme de Céline reste étroitement lié à la guerre de 1914, aux corps à corps des poilus, et aux champs couverts de jeunes cadavres en uniformes bleu horizon.

Mais le refus forcené du romancier du Voyage atteint à l'intemporalité et à l'universalité. Il semble inspirer le pacifisme intransigeant de certains mouvements de jeunes des années 1970, en réplique à l'optimisme quelque peu pervers de « la paix par la terreur » ? Au-delà de la soif de fraternité entre les hommes, au-delà des bons sentiments, face à la menace atomique et à la banalisation de la guerre, l'impulsion angoissée de Bardamu s'arroge le droit d'envahir nos sociétés contemporaines. »

Notes
10. Voir, L'Illustré national, Histoire anecdotique de la guerre européenne, novembre 1914.
11. Durant quinze jours, Céline sera médecin à l'hôpital de La Rochelle. On lui proposa alors d'embarquer à bord d'un bateau en par¬tance pour l'Angleterre. Il refusa, ne voulant pas abandonner son ambulance.


A lire:
>>> Les idées politiques de Louis-Ferdinand Céline par J. Morand (1)
>>> Les idées politiques de Louis-Ferdinand Céline par J. Morand (2)
>>> Les idées politiques de Louis-Ferdinand Céline par J. Morand (3)

samedi, 06 décembre 2008

Bulletin célinien n°303/Déc. 2008

 Le Bulletin célinien

Sommaire du Bulletin célinien n°303 de décembre 2008 :

* Marc Laudelout : Bloc-notes
* Marc Laudelout : Hans et Arletty
* Robert Le Blanc : Face à Céline : BHL, Houellebecq, Stéphane Denis...
* Jessie Aitken : Un aspect inattendu de Guy de Girard de Charbonnières
* Marc Laudelout : Enivrante Corona (Jeanne Loviton)
* Dossier : Elisabeth Porquerol et Céline
* Pol Vandromme : "Une allégresse amère et sauvage" (1969)
* Marc Laudelout : Hommage à Pascal Pia
* Marc Laudelout : Céline et Carco
* Marc Laudelout : Le Paris de la Collaboration


Un numéro de 24 pages, 5 illustrations, 6 € franco de port.



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samedi, 29 novembre 2008

Céline dans la presse: approximations et légendes

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Céline dans la presse : approximations et légendes

 

 

C’est naturellement la foisonnante actualité éditoriale sur Céline qui suscite à chaque fois un important dossier de presse. Ainsi, le livre Céline à Bezons a encore récolté quelques articles, dont un signé de l’historien de cinéma, Philippe d’Hugues. Il relève que « l’activité du docteur Destouches a occupé dans la vie de l’écrivain un temps plus important que celui qu’il consacra à son œuvre littéraire » ¹. Pas tellement plus important en fait, car, pratiquant une médecine de dispensaire, il bénéficiait de pas mal de temps libre. Ainsi, à Clichy, il officiait tous les jours une heure et demie en fin d’après-midi et à Bezons, il ne consultait que trois après-midi par semaine. Les contraintes de l’exil firent qu’il dût abandonner la profession dès l’âge de 50 ans. Il ne la reprit très épisodiquement que pour quelques années, de 1953 à 1959 afin de pouvoir bénéficier d’une pension de retraite. Tout cela est bien connu des céliniens...

 

Frédéric Saenen note que « David Alliot semble avoir trouvé un juste milieu entre approche littéraire de pointe et de proximité. Son travail, cela devient coutume, ravira les amateurs comme les spécialistes. Qui se grattent déjà le crâne en  se demandant  quelle surprise  leur est  réservée pour la prochaine fois... » ². Entre-temps, on la connaît : cet album iconographique  sur Céline  au Danemark, réalisé en collaboration avec François Marchetti, dont nous reproduisons ci-contre la préface de Claude Duneton qui situe bien le climat politique de l’immédiat après-guerre.

 

Le recueil d’articles de Philippe Alméras, Sur Céline, a suscité un dossier de presse nettement moins consistant. On y relève une erreur d’ordre biographique commise par Joël Prieur : « Contrairement à ce que montre l’image d’Épinal, l’essentiel de la carrière médicale de Céline s’effectue à Genève, en Amérique et en Afrique, dans le cadre de missions officielles pour ce qui deviendra l’OMS » ³. Or, chaque lecteur de ce bulletin sait que le docteur Destouches ne travailla que quatre ans pour la Société des Nations.   En fait, on n’en finirait pas de relever toutes les erreurs ou approximations relatives à Céline dans la presse.  Ainsi, la revue Europe, au  glorieux passé stalinien, rendant compte de la énième réédition de Nausée de Céline, conclut en l’estimant « indispensable pour contribuer à démystifier le discours trompeur des hagiographes inconditionnels de l’auteur du Voyage (qui fut aussi, faut-il le rappeler, le délateur de Robert Desnos…) » 4. Jean-Paul Louis a naguère fait litière de cette accusation. Rappelons seulement que la polémique Desnos-Céline, dans le journal collaborationniste Aujourd’hui (qui employait RD), date de février 1941 et que Desnos fut arrêté trois ans plus tard.

 

Commentant l’éviction de Céline de la médiathèque André-Malraux de Strasbourg (voir en page 3), Claude Lorne note avec ironie que ces actes de censure « ne sauraient concerner Louis Aragon qui, dans ses poèmes, célébrait “le Guépéou nécessaire de France” (…) ni Jean-Paul Sartre qui professait que “tout anticommuniste est un chien” 5.

Marc LAUDELOUT

 

1. Philippe d’Hugues, « Céline-Destouches, 1940-1944 », La Nouvelle Revue d’Histoire, septembre-octobre 2008.

2. Frédéric Saenen, « “Chanter Bezons, voici l’épreuve !” », La Presse littéraire, septembre-octobre-novembre 2008.

3. Joël Prieur, « Céline ou la politique des chromosomes », Minute, 30 juillet 2008.

4. Ménaché, « Notes de lecture. Jean-Pierre Richard : “Nausée de Céline” », Europe, mai 2008. Voir Jean-Paul Louis, « Desnos et Céline, le pur et l’impur », Histoires littéraires, janvier-février-mars 2001 & Marc Laudelout, « D comme diffamation », Le Bulletin célinien, novembre 2002.

5. Claude Lorne, « Chronique de la censure citoyenne », Rivarol, 3 octobre 2008.

 

vendredi, 10 octobre 2008

Céline, la danse et les danseuses

Trouvé sur: http://ettuttiquanti.blogspot.com

Céline, la danse et les danseuses

"Il n'était pas évident que cet écrivain qui semble ou prétend n'écrire que pour se délivrer de souvenirs insupportables et décharger sa bile soit sensible à d'autres arts qu'à cette prose narrative dans laquelle il s'est lancé comme malgré lui.

Or sa relation avec plusieurs de ces arts a à voir, quoique pas toujours de la même manière, avec sa pratique de romancier, et tout se passe même comme si ses attirances premières avaient été tournées vers des arts qu'il passe ensuite sous silence, en tout cas dans ce Voyage au bout de la nuit qui dessine pour longtemps son image dans l'opinion.

Aucun ne le hante plus continûment et sous des formes plus diverses que la danse, cette mise en forme et en valeur du corps, pour lui avant tout du corps féminin. Sans doute fait-il cette découverte de la danse, comme il le dit, dans le music-hall londonien au cours de son séjour de 1915-1916. Il le retrouvera plus tard à Paris, dans les intermèdes dansés de séances de cinéma au temps du muet. L'épisode du Tarapout dans Voyage au bout de la nuit se souvient de ces expériences. « Ce que je trouve remarquable, dit Céline d'une des danseuses à un journaliste à qui il a donné rendez-vous dans un de ces cinémas, c'est que l'esprit ne cesse pas de dominer les muscles et le métier.» L'instant d'après, il lui parle de « l'infini de la danse ».



L'émerveillement durable dans lequel le plonge Elizabeth Craig quand il la rencontre en 1926 ne tient pas seulement aux qualités de corps et d'esprit de la jeune femme, mais aussi au fait qu'elle fait entrer la danse dans sa vie. À partir de ce moment, il n'aura plus de relation intime durable qu'avec des danseuses, comme s'il avait besoin d'avoir en permanence auprès de lui ce témoignage d'un accomplissement de la vie. Il en a besoin comme d'un contrepoids aux aspects négatifs de cette vie dont son imaginaire fait la matière des romans qu'il écrit. Il s'intéresse au travail intense auquel se plient ses compagnes pour se maintenir au niveau qu'exige leur art; il fréquente les cours qu'elles suivent pour bénéficier de l'expérience de leurs aînées. C'est à l'un d'entre eux, celui de Mme d'Alessandri, qu'en 1935 il rencontre Lurette Almansor, qui se spécialise dans les danses de caractère, d'inspiration espagnole ou orientale. Il vivra avec elle jusqu'à sa mort.

Ce choix n'est pas seulement affaire de relations féminines, il n'est pas exagéré de le dire existentiel, tant il est enraciné au plus profond de sa sensibilité et de son imaginaire. Dans la danseuse, Céline admire une lutte de chaque jour contre les effets que le temps fait subir au corps humain, en le soumettant toujours plus à la pesanteur et en ne lui laissant plus accomplir que des mouvements de moins en moins harmonieux - lutte donc, au repos, contre l'avachissement, l'affaissement, la perte des formes, lorsque les muscles ne suffisent plus à remplir et à tendre la peau qui auparavant les dessinait à la surface,- dans le mouvement, lutte contre la perte de souplesse qui désaccorde les parties du corps dans leur relation les unes avec les autres danseuse est l'être humain qui mène avec le plus d'évidence contre cette mort avant la mort une action perdue d'avance mais glorieuse.

Il est donc logique que Céline s'intéresse autant, et peut-être plus, au travail à la barre et aux répétitions qu'au spectacle final, et qu'à côté de l'envol et des pointes de la danseuse classique il fasse place dans son empyrée à la danseuse de music-hall.
Les circonstances ont fait que le développement le plus long et le plus lyrique que lui ait inspiré la danse soit situé à l'orée des trois cents pages de fureurs et d'éructations de Bagatelles pour un massacre: « Dans une jambe de danseuse le monde, ses ondes, tous ses rythmes, ses folies, ses voeux sont inscrits!... jamais écrits!... Le plus nuancé poème du monde!... émouvant! [ ... ] Le poème inouï, chaud et fragile comme une jambe de danseuse en mouvant équilibre est en ligne, [ ... ] aux écoutes du plus grand secret, c'est Dieu! C'est Dieu lui-même! Tout simplement! [ ... ] La vie les saisit, pures... les emporte... au moindre élan, je veux aller me perdre avec elles... toute la vie... frémissante, onduleuse... » (Bagatelles pour un massacre)

C'est explicitement la raison pour laquelle il insère trois arguments de ballet (« bagatelles ») dans le texte de ce pamphlet, les deux premiers avant de se déchaîner, le troisième pour terminer le livre dans le calme après tant de violences. Il en attend la possibilité, s'ils étaient mis en musique et dansés, de « se rapprocher des danseuses » et, grâce à elles, de mourir « par une onde... la plus dansante... la plus émue... » (Bagatelles). À l'époque où il écrit ces lignes, il ne manque pas de relations personnelles avec des danseuses. Depuis qu'Elizabeth Craig l'a quitté, il voit régulièrement lors de leurs passages à Paris la Danoise Karen Marie Jensen et ses amies américaines, qui se produisent notamment au Radio City Hall de New York. Mais assister aux répétitions d'un ballet dont il aurait écrit l'argument serait être associé aux danseuses dans leur travail, et même accéder à leur saint des saints, si cela pouvait avoir lieu avec le corps de ballet de l'opéra de Paris.

Auparavant, à l'époque où il vivait avec Elizabeth, il avait tenté de mêler autrement danse et écriture. Ses deux pièces de 1926 et 1927, L'Église et Progrès, qui préfigurent, la première Voyage au bout de la nuit, la seconde Mort à crédit, comprenaient des personnages de danseuses et les faisaient danser sur scène, afin, disait Céline au même journaliste (voir p. 83), qu'en elles «sex-appeal» ou encore «attirance biologique » s'imposent directement au spectateur. Ils agiraient sur lui non, comme habituellement dans les pièces, à travers compliments et commentaires, mais comme des évidences ressenties.

Il est cependant significatif que, lorsqu'à deux reprises Céline reprend sous forme romanesque une histoire dont la plupart des éléments subsistent, en revanche la danse et la danseuse disparaissent. Grâce à son intimité avec des danseuses, il parvient, dans sa vie personnelle, à faire contrepoids à tout ce qui le rebute et le fait souffrir dans la réalité. Mais il n'est pas si facile de juxtaposer le positif et le négatif dans une création artistique fondée sur une représentation de cette réalité. Alors, c'est l'imaginaire qui commande et peut seul, par sa cohérence propre et sa correspondance avec le style, faire la valeur de l'œuvre dans l'ordre de la littérature. En Céline, le sens et le désir de la création littéraire, de même que l'intuition sinon la conscience de ses lois, ne sont pas moins forts que l'attachement à la danse. Rien n'est plus éloquent dans ce domaine que les transformations qu'il fait subir à l'histoire des aventures de Bardamu quand il passe du théâtre au roman : il les fait commencer par l'évocation de la guerre, qui devient la clé du roman tout entier. En revanche, il supprime de l'épisode new-yorkais les danseuses et leurs exercices sur scène.

[Photo : Le cours de Mme d'Alessandri avec Lucette Almansor (au milieu)] Quand L'Église fut jouée dans une mise en scène qui lui rendait justice, en 1992, les spectateurs qui gardaient le roman présent à l'esprit découvraient à quel point le choix d'une danseuse professionnelle pour tenir le rôle d'Elizabeth Craig suffisait à lui seul à déplacer le centre de gravité de l'histoire. Sa présence et les mouvements qu'elle exécutait devant Bardamu - et donc devant les spectateurs -, si ces scènes avaient été maintenues dans le roman, auraient fait perdre au reste des expériences du narrateur une partie de l'impact qu'elles ont à la lecture. La note de violence et de noirceur qui était destinée, pour le meilleur et pour le pire, à devenir la marque de Céline dans la littérature de son temps n'était pas compatible avec l'évidence physique de la danse. Quel que soit le secours que Céline tirait personnellement de celle-ci, dont il n'est pas exagéré de dire qu'elle l'aidait à vivre, il était trop écrivain-né pour ne pas en tirer les conclusions qui s'imposaient."

Source : Henri Godard, Un autre Céline, de la fureur à la féerie, Textuel, 2008.

jeudi, 09 octobre 2008

Bulletin célinien, n°301

Le Bulletin célinien

Sommaire du n° 301, octobre 2008 :

Marc Laudelout : « Sur Céline » de Philippe Alméras
Jean-Pierre Doche : Céline parmi nous
Alain Ajax : Céline au bout du communisme
Marc Laudelout : Céline dans la presse
Tomohiro Hikoe : « Progrès » et le music-hall
Michel P. Schmitt : Toujours à propos du 300ème numéro du BC

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Numéro disponible contre 6 € (en timbres-poste ou par chèque à l'ordre de M. Laudelout)

mardi, 30 septembre 2008

R. Poulet: "D'un château l'autre"

ds-Louis-Ferdinand-Celine.jpg

Robert Poulet:

« D’un château l’autre »

[1957]

Il est toujours dangereux d’enterrer les gens ; ils ressuscitent à l’improviste et on ne sait plus où les mettre. Depuis Féerie pour une autre fois, on posait en fait que le grand Céline, celui du Voyage au bout de la nuit, était mort. Erreur complète ! Le prétendu défunt détrompe son monde en poussant un nouvel éclat de rire dont les échos ont même réveillé les critiques parisiens, dans leur fauteuil à roulettes. Et ces messieurs en oublient que – par convention tacite, conclue en 1944 – « Céline, ce n’est rien », « un personnage très surfait », grossier comme un chauffeur de car, artificieux, puéril ; d’ailleurs tout à fait inconnu de la jeunesse. Inconnu, justement, parce que pendant dix ans on s’est abstenu de le faire connaître !... Est-ce que les jeunes connaîtraient Proust si la conspiration du silence s’appliquait à la Recherche du temps perdu ?... Pendant qu’Aristarque effaré et irrité s’empêtre ainsi dans ses contradictions, proclamons tranquillement que D’un château l’autre, s’il était signé Tartempion, ferait pousser des hurlements d’admiration et de stupeur à toute l’avant-garde littéraire, dont les choryphées se sont signalés par des innovations qui paraissent imperceptibles au prix de ce discours prodigieux, encore bien plus hardi et plus expressif que celui du Voyage.

Seulement ce livre-là contenait un sentiment, valable pour tous les hommes de ce siècle. Sentiment de découverte furieuse, de scandale qui répond au scandale ; la vie moderne, non plus décrite, mais vomie toute fumante ; et par-dessus le marché la Rigolade : un être qui tombe des nues, qui voit le monde où nous sommes – la civilisation faussée, l’âme salie, l’esprit plein de mensonges – et qui se tord.

Des deux inventions énormes qui constituent (renforcée dans Mort à crédit) la surprise célinienne, il ne reste évidemment que la seconde ; celle qui a pour fin d’introduire dans la littérature le langage de notre temps. Le vrai, non celui que jargonnent les romanciers réalistes, populistes, néo-naturalistes, etc.  Il suffit de contempler le hachis et le pataugis des sous-Céline, dont quelques-uns portent des noms partout vantés, pour mesurer l’habileté cachée de notre homme, faux cacographe, pseudo-débraillé, qui calcule ses diatribes à une virgule près, et qui s’apparente bien plus, pour le souci du style, à José-Maria de Hérédia qu’au Père Duchesne.

Que nous conte-t-il cette fois ? Tout ce qui lui passe par la tête. Et d’abord ses malheurs, ses aventures, ses observations d’émigré malgré lui, en 1944-45. On sait que le père de Bardamu s’enfuit à la Libération, encore qu’en réalité il n’eût même pas mis le bout du doigt dans les engrenages de la Collaboration ; mais, comme il le dit très bien, à Paris on lui aurait arraché les tripes. Grâce à ce malentendu tragi-comique, nous avons ici, sur l’Allemagne aux abois, sur Sigmaringen (où vivaient onze cents condamnés à mort), sur les geôles et les geôliers danois (qui tinrent dans une oubliette, pendant six ans, le pauvre Louis-Ferdinand,  accusé  là-bas d’avoir « vendu les plans de la Ligne Maginot »), sur les rapports  de  l’auteur avec son éditeur, « ce salaud de Gaston » (et l’impossibilité du seigneur Gallimard, tirant à moult exemplaires les injures dont il est abreuvé, ajoute encore à l’effet d’hilarité) un témoignage sans doute inexact – les poètes ni les prophètes ne voient les choses comme elles sont – mais épique. Sur un fond de vociférations, d’hallucinations et de protestations, dans la matière desquelles il n’entre pas une seule phrase : rien que de petits groupes de mots démantibulés, qui hoquètent et qui cliquètent ; dents d’une roue sans fin, que meut un moteur inquiétant, plein d’éclairs et de fumée.

Mais quand le mouvement s’arrête, avec sa charge d’images puissantes, de sarcasmes inouïs et de plaintes enfantines, on s’avise qu’à l’origine de tout ce tumulte, strictement distribué par le génie le plus mécanique de l’ère contemporaine, il pourrait bien y avoir ceci : une forme désespérée de la grandeur d’âme. Une sensibilité, une générosité, qui se mutilent et se meurent elles-mêmes, comme dans le conte d’Edgar Poë.

Robert POULET

(Pan, 26 juillet 1957)

 

samedi, 27 septembre 2008

A propos du 300ième numéro du Bulletin Célinien

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À propos d'un trois centième numéro du Bulletin célinien

J'ai entendu parler pour la première fois du Bulletin célinien  à l'époque déjà ancienne où j'assurais, au moins nominalement, la présidence de la Société des Études céliniennes naissante. J'en étais en tout cas le parrain pour avoir imaginé l'intitulé. Elle était destinée à servir de liaison entre la poignée de chercheurs qui s'intéressaient alors à Céline, et – après mes expériences américaines – j'y mettais naturellement mes espoirs. C'est pourquoi je me souviens avec netteté des sentiments que suscita à Paris la naissance du Bulletin célinien à Bruxelles. On en parlait avec réserve, pas mal de suspicion, mais comme d'une chose transitoire.

 

Or, voici le 300ème numéro. Le BC a non seulement vécu et survécu mais il s'est imposé, il est devenu une institution ; comment expliquer la chose ?

 

J'y vois d'abord un effet de la distance. Cela ne pouvait sans doute se faire que dans cette Belgique qui, à travers Denoël, Évelyne Pollet et Marc Hanrez, avait élu Céline. On y était suffisamment loin de Paris pour ne pas ressentir le clapotis parisien. Vivant avec tranquillité affrontements et conflits, sa double nature flamande et française lui assure la placidité nécessaire devant les mauvais coups : on sait encaisser.

 

Quand j'ai aperçu Marc Laudelout pour la première fois dans l'un des colloques qui se tint vers là-bas j'avais été surpris par sa jeunesse, mariée à une réserve sénatoriale. Cela contrastait avec la nervosité ou la fébrilité de céliniens rencontrés de part et d'autre de l'Atlantique. Ce tempérament lui a permis de négocier les emballements, les compétitions, les conflits et les paniques périodiques que provoque Céline. Non pas que le directeur du BC ait le cuir épais, je le crois sensible et même ultra sensible aux critiques, mais la périodicité mensuelle lui donne le temps de voir. De Bruxelles-Sirius,  on distingue mieux le qui du quoi.  Chacune des  chapelles  de la cathédrale chante l'évangile à sa façon, et tout en veillant au respect de la lettre, le directeur du BC se garde des procès aux hétérodoxes et aux dissonants, à moins de croire le grand homme attaqué.

 

Il a maintenu ce calme et ce sérieux d'arbitre dans les empoignades qui ont mis périodiquement aux prises les officiants qui s’assomment à coup d'encensoirs  comme les moines des différentes confessions à l’entrée du Saint-Sépulcre. Céliniens de gauche ou de droite, ayants droit, celtisants, passionnés de la virgule et du texte pour le texte, acharnés du  petit fait vrai ou de la mémoire du lieu, experts en exploration d'archives, collectionneurs et marchands de reliques, tous ont reçu leur dû chez lui. Il n'y a eu,  je crois, qu'un chanoine  pour refuser le contact. Ces rares qualités ont permis à Marc Laudelout de tenir la gageure du sujet unique.

 

Encore fallait-il que ce sujet tint lui-même en  haleine, et c'est justement la survie exceptionnelle de Céline qui permet au Bulletin à lui consacré de vivre depuis  trente ans.

 

Il m'a toujours semblé que chacun des admirateurs de Céline élisait l'une de ses qualités ou de ses défauts pour les cultiver dans son laboratoire, certains le misérabilisme, d'autres la folle audace associée à une extrême prudence, d'autres encore la peur des riches et des puissants, je passe sur les mimétiques de la forme,  Laudelout, lui, me paraît avoir élu le désir de vie de l’increvable qui, tout en parlant périodiquement de « se filer au gaz », a sans doute été le moins suicidaire des écrivains du temps.

 

La tentation d’en finir avec ce Bulletin, qui lui apportait à longueur d’année palpitations et vertiges devant le numéro à remplir, à boucler et à payer, a dû se présenter dix fois. Il lui a résisté, il a tenu grâce à celui qui – il faut le constater – n’a pas connu une année de purgatoire depuis la publication de L’Herne, les colloques de J.-P. Dauphin ou le premier numéro du Bulletin célinien.

 

Montherlant s’est lourdement trompé en disant qu’on ne lirait pas plus Céline dans cinquante ans qu’on ne lisait Paul Alexis ou Paul Lombard. On pourrait même croire qu’il a payé son erreur. Et ceci nous amène fatalement à la question inéluctable : pourquoi lit-on l’un et plus l’autre ? Une fois écartée la fausse réponse du style, il faut imaginer le lecteur, jeune ou vieux, gavé de l’aube au crépuscule de bons sentiments, envers les femmes, les immigrés et les sans-papiers, sommé de tenir tous les bipèdes pour ses semblables et convaincu de culpabilités rétrospectives variées, il faut imaginer ce lecteur découvrant la prose lyrique du seul qui sache piétiner nos tabous les plus chers entre deux ballets et trois idylles. L’impunité fournie par le temps et le talent assure la renaissance du phénix.

 

Laudelout s’est fait une spécialité d’évoquer le drôle d’oiseau, et il a encore le temps de voir. Son secret de longue vie tient au fait qu’il n’a rien à prouver, rien à démontrer.

 

Philippe ALMÉRAS

 

Auteur de deux thèses de doctorat sur Céline : L’évolution du langage romanesque de Louis-Ferdinand Céline (Université de Californie [Santa Barbara], 1971) et Les idées de Céline (Université de Paris VII, 1987). Cette thèse a été éditée par la BLFC (1987), puis rééditée par Berg International (1992) et Dualpha (2004).  Auteur d’une biographie, Céline. Entre haines et passion  (Robert Laffont, 1994 ; rééd. Dualpha, 2002) et d’un Dictionnaire Céline. Une œuvre, une vie (Plon, 2004).  Autres livres publiés sur le sujet : Je suis le bouc. Céline et l’antisémitisme (Denoël, 2000) ; Voyager avec Céline (Dualpha, 2003) et Sur Céline (Éditions de Paris, 2008).  A également édité et préfacé Lettres des années noires (Berg International, 1994).

 

     

 

 

 

dimanche, 21 septembre 2008

Citation de Louis-Ferdinand Céline

Cassez vos télévisions

 

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C'est un prodigieux moyen de propagande. C'est aussi, hélas! un élément d'abêtissement en ce sens que les gens se fient à ce qu'on leur montre. Ils n'imaginent plus. Ils voient. Ils perdent la notion de jugement et ils se prêtent gentiment à la fainéantise. La TV est dangereuse pour les hommes. L'alcoolisme, le bavardage, et la politique en font déjà des abrutis. Etait-il nécessaire d'ajouter encore quelque chose?

Louis-Ferdinand Céline

mardi, 24 juin 2008

Céline musicien

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Céline musicien

Chez Nizet est paru Céline musicien de Michael Donley. L'é­di­teur écrit: «La petite musique de Céline? Quelque chose qui va de soi, serait-on tenté de dire. De nos jours, aucun lecteur informé n'ignore la façon hautement poétique dont l'écrivain a su maîtriser les aspects sonores et rythmiques du français, surtout du français parlé. Pourtant, on a ten­dan­ce à oublier que Céline emploie le mot "musique" non seu­lement pour désigner le style de ses livres, mais aussi en se référant à ce qu'il essaie de capter: "la musique inté­rieu­re", "la musique de l'âme". De fait, la musique —cette "ca­ta­lyse de toute grâce", comme il l'a définie—  est la matrice de son œuvre entière. Mais qu'est-ce que la musique? En es­sa­yant de répondre à cette question, l'auteur démontre que la petite musique de Céline —loin d'un maniérisme synta­xi­que ou d'un bricolage cosmétique— n'est autre que la mise à jour du véritable contenu de ses livres» (JdB).

Michael DONLEY, Céline musicien, 2000, Librairie Nizet, F-37.510 Saint-Genouph, 338 pages, 190 FF.

 

00:13 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : lettres, livres, céline, musique | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook